Touten construisant une politique de prévention des violences institutionnelles plus efficace, il est essentiel de donner aux jeunes placés des possibilités d’expression. La violence la plus
% p igm “• *a» y yi fcn T, - .- îæ* 5 ** Li^ ,"*â L’ARCHITECTURE -i tJMiÊÊkié / L’ARCHITECTURE DE VITRUVE, TRADUITE EN FRANÇOIS, AVEC DES REMARQUES. MEMBRE DE L’ORDRE ÉQUESTRE ET DES ÉTATS DE LA PROVINCE DE NAMUR. G 7 , y.'' stGrtjJ A BRUXELLES, CHEZ ADOLPHE STAPLEAUX , LIBRAIRE, IMPRIMEUR DE S. M. LE ROI DES PAYS-BAS ET DE S. A. R. LE PRINCE D’ORANGE, MARCHÉ AUX HERBES, H. a86. WWW WM 1816. J i / -maez DU TRADUCTEUR. armi les arts que les anciens nous ont transmis , et dans lesquels ils ont été nos maîtres , on distingue sur-tout l’architecture. Son origine se perd dans la nuit du temps. Dès les siècles les plus reculés , elle avoit atteint une grande perfection. Lefr Égyptiens avoient trouvé le beau, le sublime, le grandiose, lorsqu’ils construisirent les temples de Thèbes du temps de Sésostris , dont on fixe le règne plus de trois siècles avant la guerre de Troie. Comme les autres arts , ils consacrèrent celui-ci à leur religion ; ils sembloient ne les cultiver que pour elle , c etoit pour l’honorer qu’ils cherchoient la perfection. Les anciens monumens qui s’y sont conservés n’offrent, pour ainsi dire , encore aujourd’hui , que des temples , des statues de leurs dieux et des tombeaux. Les colonies égyptiennes, que Cécrops et Inacus introduisirent dans la Grèce , y répandirent leur mythologie et les beaux-arts. Les Grecs, comme les Egyptiens, les employèrent d’abord pour le culte des dieux , et se livrèrent ensuite à leur goût, avec toute l’ardeur qu'inspirent le génie et la gloire. Leurs succès furent rapides * quelquefois même ils passèrent les limites des règles que leur enseignèrent les Egyptiens , et sur-tout pour l’architecture mais ces écarts de l’imagination ne servirent qu’à les éclairer , à leur faire mieux connoître les excellens principes de leurs maîtres ils y revinrent, et on vit sortir de leurs mains des ouvrages , moins colos- sals à la vérité , mais tout aussi admirables que ceux qui décoroient les villes brillantes de Thèbes et de Memphis. Comme ils représentoient leurs dieux sous des formes humaines, l’art chez eux eut d’abord l’homme pour objet. Dans la formation de leurs statues , ils cherchèrent ce qu’il y avoit de plus beau dans la nature et a vj •. 2 ' "' H r II È î A C E parmi tous les individus qui la composent, ils choisirent ce qu’il y avoit de mieux. Des diverses beautés qu’ils y trouvèrent disséminées , ils formèrent, en les réunis- sant, ce beau idéal qui n’existe pas dans la nature, et qui est bien plus parfait quelle. On établit des régies d’après lesquelles on connut ce qui formoit l’essence de la beauté, et l’on trouva que le rapport des proportions y contribuoit le plus. Ces rapports une fois trouvés pour former de belles statues, on appliqua les mêmes principes pour perfectionner l'art de bâtir. Aussi , comme le remarque Vitruve , toutes les proportions de l’architecture ont été prisés sur celîesdu corps humain. Les Grecs ayant formé , pour représenter leurs dieux, des statues d’une beauté parfaite, ils construisirent des temples pour les y placer , d’après les mêmes principes. Le beau siècle de Péri clés vit fleurir à la fois tous les arts dans la Grèce. L’éloquence, la poésie , la peinture et la sculpture produisirent des chefs-d’œuvre. On vit s’élever dans le même temps des temples magnifiques et autres édifices dont on ne se lasse pas d’admirer les proportions. Les Grecs revinrent aux excellens principes qu’ils tenoient des Égyptiens. Parmi les décorations capricieuses qui caractérisent les ornemens de la colonne égyptienne, ils choisirent les trois genres qui leur plurent davantage pour former les trois ordres de leur architecture. Ils continuèrent par la suite à cultiver cet art, en s’écartant un peu cependant des bons principes qu’ils avoient établis. Les Romains à leur tour les puisèrent chez les Grecs, à qui ils dévoient également la connoissance des autres arts et des belles-lettres. Souvenez-vous, éerivoit Cicéron » à Quintius, que vous commandez à des Grecs qui ont civilisé tous les peuples, en » leur enseignant la douceur et l’humanité, et à qui Rome doit les lumières qu elle .» possède. » Lorsque les Romains cultivèrent l’architecture, les règles de cet art étoient établis depuis long temps. On avoit fixé ses proportions qui étoient le résultat d’une infinité de combinaisons , et des pensées sublimes dont étoient remplis ceux qui avoient cuL- tivé les arts dans les siècles où ils furent les plus llorissans. Les architectes romains ne s’écartèrent pas de ces règles. C’est d’après les proportions qu’elles établissoient, qu’ils construisirent tous les édifices de Rome 5 il éloit D U T R A D U C * T E U R. VI aisé de les suivre et d’en faire l’application, puisqu’elles sont toutes très-précisées. Tout est mesuré, tout est déterminé dans l'architecture. Il n’en est pas de même des belles-lettres, ni des autres arts que les Romains tenoient aussi des Grecs.'Tant de choses réunies doivent contribuer à la beauté dans les ouvrages de poésie et d’éloquence ! L’invention du sujet, sa sage disposition, la beauté des pensées, la vérité des images, le choix des expressions, etc. De même, dans la peinture, soeur de la poésie, la correction du dessin, la beauté des formes, le choix des attitudes, la disposition convenable de l’ouvrage, le parti que le peintre sait tirer dû clair obscur, le coloris, etc. Il existe bien des règles générales, mais leur application au sujet qu’on traite est entièrement dans le'génie du poète, de l’orateur et de l’artiste. Pour bien connoître ces règles et pour en faire la juste application , il faut avoir une partie du génie des grands hommes qui les ont établies. Il falloit être Virgile pour imiter Homère,, et Cicéron pour imiter Démosthène. INous ne voyons nulle part qu’aucun peintre ou sculpteur romain ait atteint la perfection dans l’art d’Apelle , de de Praxitèle, Dans l’architecture, au contraire, tout est déterminé, tout est fixé par des règles précises et immuables. Dès qu’on eut trouvé les belles proportions qui constituent son essence et font sa plus grande beauté, on en forma des principes qui sont à la portée de tout le monde ; il suffit de les connoître et de ne pas s'en écarter. ^ous avons retrouvé ses belles proportions dans les ruines de la Grèce et de l’ancienne Rome dont la plupart des édifices étoient l’ouvrage d’architectes grecs, que les Romains , vainqueurs des héritiers d’Alexandre , avoient emmenés avec eux pour les employer à embellir leur capitale. * Auguste et Mécène , ces grands protecteurs des beaux-arts , firent de Rome une nouvelle Athènes. * Il y a v oft déjà long-temps, comme nous le verrons dans nos remarques sur Yitruvc , que les Étrusques avoient fait connoître l’architecture en Italie. Les Grecs même ont employé des architectes romains , comme nous l’apprend Yitruve dans l’introduction du septième livre. PRÉFACE Vlij Les successeurs d’Auguste marchèrent quelquefois sur ses traces , et continuèrent à élever des édifices construits d’après les principes qu’ils tenoient des Grecs. En vain le temps a exercé sa faux contre leurs ruines, beaucoup se sont conservées jusqu a nous. Ces précieux restes suflisoient, peut-être , pour nous faire retrouver parmi eux les règles de l’art de bâtir mais nous avons été bien plus heureux, puisque l’architecte d’Auguste a laissé un traité complet de son art, et ce traité est venu jusqu’à nous. Cet ouvrage n étoit pas .le seul qui existât alors sur l'architecture. Plusieurs auteurs grecs et latins avoient écrit sur ce sujet. Vitruve les nomme dans la préface du septième livre. D’après ce qu’il dit, aucun d'eux n’avoit écrit un traité complet de cet art ; chacun s’étoit occupé d’un objet en particulier l’un avoit écrit sur l’ordre dorique , un autre sur l’ordre toscan , d’autres sur la construction des temples , etc. Tous leurs ouvrages sont perdus. Le traité de Vitruve est le seul qui nous soit resté , et il peut en quelque sorte nous consoler de la perle de tous les autres , puisque , comme il le dit, il a réuni dans son ouvrage les principes qui sont épars dans les autres auteurs. Il paroît même que, lorsque son traité parut , il fit oublier tous les autres. Les anciens le regardoient en effet comme le meilleur et le plus complet de tous. On voit combien il étoit estimé avant même que le temps n’eût mis le sceau à son mérite , puisque Pline le cite spécialement dans les XVI. e , XXXV. e et XXXVI. e livres de son histoire , ainsi que dans une infinité d’autres endroits. En un mot, lorsqu’il parle de l’architecture , il ne cite jamais d’autre auteur que Vitruve , et rapporte toujours ses propres paroles. Ce qui prouve combien il étoit estimé , même dans les siècles les plus barbares ^ c’est le grand nombre de manuscrits de son ouvrage qui ont échappé aux ravages du temps et des hommes. On les conserve dans les plus célèbres bibliothèques , entr’autres à Rome dans celle du Vatican où l’on en trouve deux ; dans celle du prince de Corcini, etc. J ai donné une liste des différentes éditions de l’ouvrage de Vitruve et des traductions qui en ont été faites dans toutes les langues de l Europe , depuis la renaissance des arts et 1 invention de 1 imprimerie. Malgré leur nombre , elles sont entièrement DU TRADUCTEUR. ÎX épuisées, et ce nest qu’avec la plus grande peine qu’un artiste ou un amateur parvient à s’en procurer un exemplaire. On a lieu de s’étonner que personne n’ait pensé jusqu’à présent à donner au public une nouvelle édition du de l’antiquité qui traite d’une science que nous devons entièrement aux anciens , que nous avons apprise d’eux , et dans laquelle nous ne pouvons réussir qu'en les imitant, qu'en marchant sur leurs traces. Depuis l’époque où l’on a vu renaître en France le goût des lettres et des arts , on s’est empressé de publier de nouvelles éditions des auteurs grecs et latins. Les poètes , les orateurs, les historiens ont été traduits , commentés plusieurs fois, et le sont encore tous les jours.» Mais ce qu’ils ont écrit sur les sciences et les arts ne nous est pas aussi connu ; peu d’ouvrages de ce genre sont parvenus jusqu’à nous. Il existe cependant une belle tracluclion“des ouvrages de Pline, * qu’on peut regarder comme l’encyclopédie des anciens; c’est en effet le recueil de toutes leurs con- noissances, tant dans les sciences que dans les arts. Nous avons aussi une traduction de Strabon, une de Frontin et de Yégèce. Mais les lumières que nous avons acquises depuis tant de siècles, nous ont rendus bien plus habiles que les anciens. Ce qu’ils ont écrit sur ces matières ne peut guère servir qu’à contenter notre curiosité , en nous faisant voir jusqu’à quel point ils avoient porté les sciences. • Il n’en est pas de même de l’architecture cet art, comme nous lavons dit, nous est venu des anciens dans toute sa pureté, dans sa dernière perfection; c’est en vain que nous prétendrions les surpasser en nous écartant de leurs principes nous devons les suivre, nous devons imiter leurs ouvrages sous peine de choquer le bon sens et le goût. En reconnoissant cette vérité incontestable, n’est-il donc pas bien étonnant que le seul traité d’architecture que les anciens nous ont laissé, soit presqu’oublié parmi nous ? La traduction françoise de Perrault a été imprimée la dernière fois en 1684. Depuis ce temps, il n’a plus paru en France aucune édition de Vitruve ; et cependant le goût des beaux-arts, et sur-tout de l’architecture, a toujours augmenté depuis * Cette traduction est de M. Poinsinet de Siyry ; elle est imprimée en 18 vol. in-4. 0 X PRÉFACE celte époque. Des gens capables de perfectionner la traduction de Perrault ne man- quoient pas en France, neanmoins personne ne l'a fait ce qui est d’autant plus à regretter, que notre langue est actuellement plus répandue que jamais; par conséquent ce seroit dans cet idiome, que les gens instruits de toutes les nations con- noissent, qu’il conviendrait d’avoir une traduction de Yilruve. Je crois donc que cette nouvelle édition sera accueillie favorablement du public; l’utilité de mon travail sera aisément reconnue par tous les amateurs des beaux-arts, et sur-tout par les artistes, pour qui principalement je l’ai entrepris car je suis persuadé que le traité de Yitruve est encore actuellement le meilleur et le plus complet que nous ayons sur l’architecture. Les changemens arrivés depuis lui dans nos moeurs et nos usages, ont rendu, j’en conviens, quelques passages un peu difficiles à comprendre pour le grand nombre; mais avec l’aide d’une explication, je crois que les jeunes artistes tireront plus de fruit de cette lecture que de tous les „ autres livres qui traitent de cette science. * Le chevalier de Chambrai écrivoit en 1G80, que Yignole avoit beaucoup d’obli- » galion à £on traducteur qui l’avoit produit en deçà des monts, particulièrement à » nos ouvriers françois qui le tiennent en une très-haute estime ; car quoiqu’en effet » il en soit digne, néanmoins étant comparé à Palladio et Scamozzi, ils ne sont pas en leur lustre , et ils les suivent même d’assez loin. Le lecteur, continue-t-il, pourra faire » le discernement , en comparant les uns et les autres avec les originaux antiques que » je leur ai mis en tète, comme le fanal et la boussole de la vraie architecture. » Comme l’observe très-bien M. de Chambrai, Yignole, qui a été long-temps le guide des architectes françois , est très-inférieur à Palladio et à beaucoup d’autres auteurs Italiens qui ont écrit sur cet art. Nous devons en effet convenir que , pendant longtemps, les Italiens ont été nos maîtres dans cette partie, et que l’on avoit raison d’avoir recours à leurs lumières. Il est certain que, dans le moyen âge , le goût pour l’architecture gothique a dominé en Italie comme dans le reste de l’Europe mais le goût de 1 architecture grecque n’en avoit pas entièrement disparu. Les monumens qu’on avoit sans cesse sous les yeux dans cette patrie des beaux-arts en ayoient conservé la D U T RADUCTEU R." * x î mémoire. Le babtislhère de Florence, bâti en i335 , en est une preuve il offre un octogone dont l’intérieur est décoré de colonnes corinthiennes qui portent un entablement du même ordre qui règne tout autour. Les Grecs du moyen âge n’avoient pas non plus entièrement abandonné celte architecture ; la gothique avoit cependant poussé quelques racines dans la Grèce mais les grandes proportions pour les temples chrétiens y étoient encore observées , lorsque les Grecs , après la conquête de Mahomet lï, furent obligés d’aller chercher un asile auprès des Médicis. Il n’y a donc rien détonnant qu’on ait eu, pendant plusieurs siècles , recours aux architectes d’Italie. Mais dès que les lumières eurent ramené en Europe le goût pour l’architecture grecque, et quelle fut venue remplacer la gothique que les siècles de la barbarie y avoient introduite, on,eut de suite recours à Yitruve. Sous François premier, le restaurateur des belles-lettres et des beaux-arts en France , Philander , l’ami du cardinal George d’Àrmagnac , qui fut le Mécène de son siècle , donna une bonne édition de Yitruve, accompagnée de notes très-savantes. Pendant le règne de Louis XIY, qui fit renaître en France le siècle d’Auguste , Claude Perrault en donna une magnifique traduction, qu’il enrichit d’excellentes notes ; elle fut imprimée aux dépens du roi avec toute la magnificence possible , et l’on y étala tout le luxe de la typographie. Depuis lors, on n’a plus fait imprimer en France aucune traduction de Yitruve , et c’est ce qui me donne lieu d’espérer que celle que je publie recevra un accueil favorable. Dans un temps sur tout où le goût des études solides reprend plus que jamais ,'celte nouvelle édition doit plaire au public , puisqu’indépendamment de la science qui en fait le sujet, ce traité savant contient plusieurs autres avantages en effet, Yitruve ne traite pas seulement de son art, il parle aussi des sciences qui y ont rapport. On y trouve un traité de la musique des anciens , un autre d’astronomie , d’autant plus intéressant, que c’est le plus ancien de ceux qui sont parvenus jusqu’à nous. Lorsqu’il décrit les habitations , les édifices publics , il fait en même temps la peinture exacte des mœurs grecques et romaines , et nous apprend une infinité de particularités concernant les sciences qu’on ne trouve dans aucun autre ouvrage. Cette partie de son livre est très-intéressante , et j’ai tâché de développer ses idées dans mes remarques, pour satisfaire la curiosité des amateurs de l’antiquité. On peut d’ailleurs regarder Yitruve comme un de nos meilleurs auteurs classiques ; PRÉFACE xi] il écrivoit dans le siècle d’Auguste, par conséquent dans le temps ou la langue latine étoit dans toute sa perfection. L’érudition profonde et variée dont son ouvrage est semé, prouve qu’il possédoit toutes les sciences qu’il désire dans un architecte. Son style est aussi agréable qu’instructif ; l’introduction de chaque livre est remarquable par le choix des traits historiques qu’il rapporte ce sont comme autant d’épisodes qui délassent le lecteur, et ils sont écrits avec tant de goût et d’élégance, qu’on peut les donner pour modèles aux jeunes gens qui cultivent la langue latine. Quant à ceux qui apprendront l’architecture , ils auront le double avantage d'en puiser les règles dans le meilleur traité qui existe , et dans un ouvrage digne, pour le style, du beau siècle où il fut écrit. Qu’on ne dise pas que l’étude de cette science ne doit pas faire partie de celles qui composent une bonne éducation. Jusqu’à présent, il est vrai, on a négligé de l’y faire entrer néanmoins si les artistes, tels que les peintres , les sculpteurs et les architectes , doivent la savoir par état, il convient aussi aux personnes riches et instruites de la connoître. La plupart consacrent quelques années de leur jeunesse à voyager; s’ils ignorent les principes de l'architecture , ils ne pourront apprécier le mérite des édifices où les anciens et les modernes ont étalé tant d’art et de magnificence. Que de jouissances seront perdues pour eux ! D'un autre côté , s’ils doivent faire construire quelques bâtimens pour eux-mêmes , ou si, placés dans quelque magistrature, ils se trouvent dans le cas d’en faire élever pour le public, ils sauront du moins faire un choix judicieux parmi les plans qu’on leur présentera, s’ils commissent les règles véritables de l’architecture. Dans le premier cas , ils n’emploiront pas leur argent à faire des choses ridicules ; et dans le second, les connoisseurs applaudiront l homme instruit qui aura fait- un usage utile et agréable des deniers publics. * Quand j’écrivois ceci, mon projet étoit de faire imprimer le texte latin en regard de la traduction. Diverses circonstances m’ayant .empêché de surveiller moi-même l’impression de mon ouvrage , j’ai renoncé à ce projet ; il n’en sept pas de même si j’en donne -une seconde édition. Je suis loin de penser que ma traduction puisse remplacer le texte ; les vrais savans y auront toujours recours * ? mon unique but a été d’en faciliter l’intel- lïgenc'o, JiCS Les mœurs et les usages des Romains diffèrent trop des nôtres? pour que nous puissions comprendre leurs ouvrages sans le secours de notes. Il est absolument nécessaire que les personnes qui, par leur savantes recherches, ont pénétré dans l’antiquité, nous en facilitent l'étude. Ce secours est sur-tout indispensable pour l’intelligence de Vitruve, qui traite d'une science qui, sans cesse, a rapport aux habitudes de la vie humaine. Aussi les dernières éditions sont-elles accompagnées de notes ou de commentaires. On distingue sur-tout ceux de Barbaro, de Perrault et de Galiani, qui sont aussi savans qu’utiles aux artistes. Ils auroient pu donner une forme plus commode à leurs éditions ; les notes souvent très-longues sont répandues dans tout le cours de l’ouvrage ; il s’en trouve quelquefois trois ou quatre dans une même ligne ; à chaque instant elles interrompent le lecteur qui a souvent oublié la matière du texte après avoir lu la note. Aussi n’y a-t-il guère que les architectes qui les lisent présentement. J’ai cru obvier à cet inconvénient en réunissant, à la fin de chaque chapitre , toutes les explications, et les interprétations nécessaires pour faciliter lintelligence d un ouvrage hérissé de difficultés qui n’avoient pas encore été éclaircies jusqu’à présent ; par-là le lecteur ne sera plus interrompu; ce sera comme un nouveau chapitre ajouté au premier. M. Ramond a adopté cette manière dans l’édition qu’il a donnée des lettres de Coxe sur la Suisse. Comme lui, je n’ai mis à côté du texte que les notes qui sont indispensables pour expliquer quelques mots, sans l intelligence desquels on ne pour- roit comprendre la suite du discours. Je les ai toujours faites les plus courtes qu’il m’a été possible. Les remarques que j’ai ajoutées à la fin des chapitres sont le fruit des recherches que j ai faites à Rome et dans le reste de l’Italie. Mon goût pour l’architecture m’at- tiroit sans cesse parmi ses anciens monumens; je les étudiois ; je compârois leur proportion avec les principes que Vitruve établit dans son ouvrage, sur-tout dans le troisième et le quatrième livres , tellement que je puis dire, que c’est au milieu des ruines des édifices romains que j’ai interprété le traité d'architecture de Vitruve. On sent que j’ai souvent dû avoir recours aux interprètes de notre auteur , entr’autres à la traduction enrichie de notes de Perrault, qui étoit la meilleure avant que celle de Galiani parut. C’est la justice que lui rend ce traducteur italien. Perrault, dit-il b préface J xiv » » » est sans contredit le seul qui, tant pour T utilité de ses notes, jusqu’à présent, ait mérité une estime particulière, qui sont on ne peut mieux raisonnées, que pour la clarté de sa traduction. » Cependant le traducteur italien remarque, dans une infinité de notes, que Perrault n’a pas du tout saisi le sens de l’auteur latin ; mais au lieu d’accuser son ignorance , il ne manque jamais de supposer qu’il y a faute dans les manuscrits, Galiani a cherché dans le texte le véritable sens de ces passages, et, sans y rien changer, il est parvenu à le trouver. J’ai adopté toutes ces interprétations de Galiani, et comme lui, j’ai rétabli le texte. Par-là plus de cent passages, où Perrault a fait des contre-sens, faute de les avoir compris , sont rendus d’une manière simple et naturelle dans ma traduction r sans avoir touché au texte. Je suis loin cependant d’avoir suivi en tout la traduction de Galiani; je dois convenir que son ouvrage , ainsi que celui de Perrault, m’ont été trèsrUtiles ; je m’en suis servi comme ils se sont servis de ceux de leurs prédécesseurs mais, comme on le verra dans mes remarques , j’ai bien des fois traduit autrement qu’eux, parce qu’ils n’avoient pas eu assez souvent recours aux anciens monumens d’architecture. Perrault, il est vrai, avoit voyagé en Italie, maïs il fit sa traduction à Paris. Galiani, quoiqu’au milieu des édifices romains , a fait la sienne à Tsaptes, sans sortir de son cabinet. 1 Ses notes très-curieuses sont pleines d’érudition cependant tous ceux qui les liront ; verront clairement qu’il a bien plus consulté les bibliothèques que les anciens monumens d architecture. On conçoit qu un traité d’architecture tel que celui de Vitruve est rempli de mots techniques, la plupart tirés du grec , puisque c’étoit des Grecs que les Romains avoient appris cette science. Souvent même il emploie les mots grecs ou il les cite , ce qui en rend 1 intelligence très-difficile, même pour les savans. La plupart des traducteurs Italiens ne se sont pas donné la peine, non plus que Galiani, de les expliquer ; ils se sont contentés de travestir ces mots dans leur langue. Ils ont par exemple rendu ces expressions latines, irabes everganeœ par trabi everganei • celles-ci, scapi cardinales , par scapi cardinali , etc. J’ai préféré suivre l’exemple de Perrault ; tous DU TRADUCTEUR. xv les mots qui n’ont pu être rendus par d’autres mots françois dans le texte , je les ai expliqués dans des notes qui sont au bas de la page. J’en ai excepte' ceux dont la signification se trouve dans le texte. ° Quanta ma manière de traduire, je n’ai eu en vue que la clarté et la simplicité. J© n’ai pas cherché à mettre de l'élégance dans mon style , parce qu’il m’a paru qu’un ouvrage de ce genre en excluoit rigoureusement l’emploi , et que la précision étoit préférable aux ornemens. D’ailleurs ces ornemens auroient produit des inégalités et des disparates fâcheuses pour le goût autant que pour l’oreille. D’après ce principe ; toutes les fois qu’une phrase ambitieuse s’est présentée dans ma traduction, j’eus soin de la repousser comme déplacée. Non erat hic locus. J’aime à croire que tout lecteur éclairé approuvera ma méthode. En effet, dans un ouvrage tout didactique, la diction la plus simple et la plus intelligible doit l’emporter sur les expressions recherchées,' 1 Sdihouè de vit* tiwe, N compte dix Éditions latines de Yitruve, dans lesquelles on ne comprend pas les diverses réimpressions ; les voici 1. ° Celle de Sulpice , imprimée vers Fan i 486 . 2 . ° Celle qui fut imprimée à Florence en 1496 . 5.° Une autre imprimée à Venise en l497* 4. 0 Celle de Joconde imprimée aussi à Venise en i5il. 5. ° La même corrigée par l’auteur et réimprimée à Florence en i5i3. Réimprimée de nouveau en 1022 , et pour la troisième fois en i523. 6 . ° Celle imprimée à Strasbourg en i543, et pour la seconde fois en i55o. 7. 0 Celle de Guillaume Philander , imprimée à Lyon en i55a ; et pour la seconde fois aussi à Lyon en i556. 8." Celle de Daniel Barbaro, imprimée à Venise^en 1567 . g* Celle de Jean de Laet, imprimée à Amsterdam en 164 & io.° Finalement celle de Berardo Galiani, imprimée à Naples en 1758 , avec une traduction italienne. Dans les six premières éditions que nous venons de citer , on n’a imprime que le texte sans aucune note. Plusieurs auteurs ont expliqué Vitruve dans de savans .commentaires ; on estime sur-tout ceux de Philander , de Perrault, de Césarini , de Barbaro et de Galiani. D’autres se sont contentés d’en expliquer quelques passages. Le Caporali n’a expliqué que les cinq premiers livres. ^üxjdwc\ioviô de yûfCiwLJ* Il y a, en italien, cinq traductions; savoir 1. ° Celle de Césarini , imprimée à Côme en i5ai. 2. ° Celle de Durantino , imprimée à Venise , d^abord en i 5 z$ , et ensuite en i535. 3. ° Celle de Barbaro, imprimée d’abord à Venise en i566 , ensuite en , et pour la troisième fois en 1629. 4. 0 Celle de Caporali, imprimée à Peroüse en i 536. 5.° Celle de Galiani, imprimée à Naples en 1758. En françois , il y en a deux i.° Celle de Jean Martin , imprimée pour la première fois à Paris en i 547 , ensuite en 1672, et pour la troisième fois à Cologne en 1618. 2. 0 Celle de Claude Perrault, imprimée d’abord à Paris en 1673 , et ensuite en 1684. Il y en a deux en allemand t.° L’édition de D. Gualtere et H. Rivius , imprimée d’abord à Nuremberg en i548 , ensuite à Basle en 1675, et pour la troisième fois en i6i4. a. 0 Celle de Scheider, qui a paru pour la première fois à la foire de Leipsick en 1808. En espagnol , • Pendant long-temps il n’y eut pas de traduction complète de Vitruve. On avoit cependant, en celle langue, le recueil de D. Didac Sagreda , intitulé Medidas del Romano o Vitruvio , imprimé à Madrid, en i 542 , à Tolède d’abord en i54q , et ensuite en i564. Ce fut en 1787, que D. Joseph Ortitz et Sanlz en firent imprimer , pour la première fois à Madrid, une traduction complète. Robert Castel avoit promis une traduction angloise de Vitruve , comme on le voit dans le journal des savans de Leipsick, année 1737; j’ignore si elle a jamais paru. Henri Votton , qui a écrit un traité d’architecture en anglois, cite souvent notre auteur. TABLE DES CHAPITRES. ' -g > - LIVRE PREMIER. / Pages. N T RO D U C T I O N ... 1 Chapitre I. De Varchitecture en général , et des qualités d'un architecte. . . 5 Chap. II. En quoi consiste l’architecture .. il Chap. III Des parties de Varchitecture qui concernent la distribution des édifices publics et particuliers . .29 Chap. IV. De quelle manière on peut choisir un local sain .5i Chap V. Des fondemens , des murs et des tours .3j7 Chap. VI. De la distribution et de la situation des bdtimens qui se trouvent dans l’intérieur des villes . 42 Chap. VII. Où l’on doit placer les édifices, publics. . 4g LIVRE SECOND. Introduction . 5i Chap. I. Origine des édifices ... 53 Chap. II. Des principes de toutes choses, d’après le sentiment des philosophes. ..... 56 Chap. III. Des briques .. . . . 5 q Chap. IV. Des diffèrens sables. . . 6 a Chap. V. De la chaux. . 62 Chap. VI. De la pouzzolane. .. 66 Chap. VII. Des carrières d’où l’on tire la pierre. 69 Chap. VIII. Des différentes espèces de maçonneries. . . Chap, IX. Des bois propres à bâtir. . .82 Chap. X. Des différentes espèces de sapins qui se trouvent des deux côtés de T Apennin. . 91 XX table Pages. livre troisième. INTRODUCTION . .. ° Chap. I. De la construction et des proportions des temples .. 9^ Chap. II. Des cinq espèces de temples .. .. . 107 Chap. III. Des fondemens des colonnes et de leurs ornemens. » . . livre quatrième. Introduction, . • • » • . . Chap. I. Des trois ordres de colonnes et de leur origine ... 10 9 Chap. II. Des ornemens des colonnes ...346 Chap. III. De Tordre dorique .j. 1 ^ 2 Chap. IV. De la distribution de l’intérieur des temples et de leurs vestibules .161 Chap. V. Quelle position il faut donner aux temples .. .. .166 Chap. VI. Proportions des portes des temples, . . ibid. Chap. VIT. Des temples à la manière toscane . .• • *77 Chap. VIII. Comment les autels doivent être placés. .... 186 LIVRE CINQUIÈME. Introduction, v . 188 Chap. I. Du forum . 189 Chap. II. Du trésor public , des prisons et de Vhôtel-de-ville. . ... 197 Chap. III. Du théâtre et du choix d'un local sain pour l'y placer ..* . 199 Chap. IV. De Vhûrmonie. \ ... 206 Chap. V. Des vases du théâtre. . ... 216 Chap. VI. De la construction du théâtre ... ... 222 Chap. VII. Du portique et d’autres parties du théâtre . 226 Chap. VIII. Des trois espèces de scènes et des théâtres grecs .23o Chap. IX. Des portiques qui sont derrière la scène et des promenoirs. ; ... . 2 35 Chap. X. De quelle manière il faut disposer les bains , et quelles sont leurs parties. . . 25 q Chap. XI. De quelle manière il faut construire les palestres et les xystes. ...... 246 CjîAP, Xll. Des ports et de la maçonnerie qui se fait dans l’eau .» - . 25 i LIVRE fl; I w •ÜÜÏ des chapitres. xxj LIVRE SIXIÈME. Pages Introduction .'• * • Chap. I. Comment il faut situer les édifices dans les différents climats .260 Chap. TI. Comme on doit régler les proportions des édifices d’après la nature des lieux. . 203 Chap. III. Des cours des maisons . Chap. IV. Des cours , de leurs galeries ^ des cabinets d etude et des péristyles. .... 272 Chap. V. Des salles à manger , des salons , des exèdres et des galeries de tableaux. . . 275 Chap. VI. Des salons à la manière des Grecs .278 Chap. VII. De l’aspect qu’il convient de donner d chaque partie de l’édifice .279 Chap. VIII. Des formes que doivent avoir les maisons , d’après la condition de ceux qui les habitent . 2 8° Chap. IX. Des maisons de campagne. .. 282 Chap. X. Comment les Grecs distribuent leurs habitations .. 286 Chap. XI. De la solidité des édifices .... . 291 LIVRE SEPTIÈME. Introduction . 2 97 Chap. I. De la rudération . 3 o 8 Chap. IL Comment on doit préparer la chaux pour faire le stuc .. . . 3 i 3 Chap. 111 . Des enduits ...3i7 Chap. IV. Des enduits qui se font dans les lieux humides . 32-4 Chap. V. Comment il faut peindre l’intérieur des appartemens . 327 Chap. VI. Comment on doit préparer le marbre pour faire le stuc .. . 332 Chap. VII. Des couleurs naturelles . 355 Chap. VIII. Du cinabre .. * 557 Chap. IX. De la préparation du cinabre . 539 Chap. X. Du noir artificiel . 543 Chap. XI. Du bleu d’azur et de l’ocre brûlée .. . 345 Chap. XII. Du blanc de céruse , du vert-de-gris , et du minium . 546 Chap. XIII. De la couleur pourpre . 547 Chap. XIV. Des autres couleurs artificielles . .. 34 g C XXI] TABLE LITRE HUITIÈME. Pages. Introduction.. . ... . Chap. I. Des moyens de trouver de Veau. .. 356 Chap. II. Des eaux de pluie. . . 9 Chap. III. Des qualités particulières de certaines eaux de fontaines .563 Chap. IT. Des qualités particulières qu’ont les eaux d'autres fontaines . Chap. V. Comment on peut connoître la qualité des eaux . 3q5 Chap. TI. Comme on doit conduire les eau\ et les niveler. . . .^76 Chap. TI1. Des diverses manières de conduire les eaux .3y8 LIVRE NEUVIÈME. Introduction. . . . . . . . . • . • • • .. 38g. Chap. I.*...3gi Chap. Il..3g2 Chap. III...5g4 Chap. IV. De la sphère et des planètes. .. 3g8 Chap. T. Du cours que le soleil fait dans les douze signes du zodiaque . 408 Chap. VI. Des constellations septentrionales. ... .. 4 og Chap. TII Des constellations qui sont au midi .. ... . 4i3 Chap VIII. Description des cadrans avec les analèmes .. 417 Chap. IX. De la construction des horloges, et par qui elles ont été inventées . 420 L I V R E D I X I È M E. Introduction ..; . 429 Chap. I. Des différentes espèces de machines et de leurs organes .43i Chap. II. Des machines pour tirer .^ . 435 Chap. III. D’une autre machine pour tirer . 453 C 11 AP. IV. D’une autre machine pour tirer . 43 g Chap. T D’une autre espèce cle machine. . *. l\h^- ChAP. VI. Moyen qii employa Cièsiphon polir transporter des fardecCux très-pesants, . . . 443 Chap. VII. Comment on découvrit les carrières d’Ephèse . 445 Ciiap. VIII. Des principes mécaniques .. Ibid. Chap. IX. Des machines pour tirer l’eau .•.^ 5 0 D ES CHAPITRES. XXÜj Pages. 353 35s 35 û 3^3 3^6 3;8 3 9 i Ch ap. X. D'une autre espèce de tympan et des moulins à Veau .. . . 45 1 Chap. XI. De la vis . 45î Chap. XII. De la machine de Ctèsihius ... 454 Chap. XIII. Des orgues hydrauliques . 455 Chap. XIV. Comment on peut mesurer les milles dans un voyage .. 46o Chap. XV. Des catapultes et des scorpions . 465 Chap. XVI. Des balistes .467 Chap. XVII. Proportions de la baliste .. ibid. Cïiap. XVIII. De la manière de bander les balistes et les catapultes .470 Chap. XIX. De s machines pour assaillir les forteresses .471 Chap. XX. De la tortue qiVon emploie pour combler les fossés .475 Chap. XXL Des autres espèces de tortues .. 477 Chap. XXII. Des moyens qu J on emploie pour défendre les places fortes . 48o ¥ 408 4 0 9 4i3 4 iy 420 FIN DE LA TABLE DES CHAPITRES. 429 43i 435 458 439 ; 441 445 445 v». t X .*i,7 ERRATA La lettre n , dans la colonne des lignes, indique que la faute est dans les notes ; le chiffre romain, suivi d’un c, indique la colonne où elle se trouve; et le chiffre arabe, la ligne de la colonne. 'WXV"WVWWVW% Pi G SS. Lignes. i3 *4 est qu’il faut avoir Ibidem , 8 puloinalis *9 5 enfin la hauteur Ibidem , 3i lorsqu’il s’agit de l’architecture ; quantité 20 21 représentoient 21 5 entreillés 3i 16 car puisque personne 47 i3 nous les divisons en quatre 55 32 l’ordre que j’ai donné 6i 36 et 37 Liv. VIII. Ch. vu 68 n. II. C. I hist. de l’acad. 80 II Castel - Gandolto 8 9 3i n’est point alors plus sujet 9° 27 ils font de leur écorce 9 5 dernière, tous ces diviseurs 9 6 i5 et par-conséquent vingt-quatre 97 »• 3 de Romme 99 3 et 4 la proportion seule fait le beau 106 25 templytoscans 116 23 on a trois septièmes 1J 9 5 la huitième partie de sa grandeur Lisez » c’est qu’il faut avoir » pulvinatis » entre la hauteur » lorsqu’il s’agit de l’architecture. Par la quantité \ » représenteroient » en treillis » puisque personne » nous le divisons en quatre » le rang que j’ai donné Liv. VII. Ch. i » mémoire de l’acad. » Castel Gandolfo » n’est point alors syjet » il sort de leur écorce » tous ses diviseurs » et par conséquent de vingt—quatre » de Rome » la proportion seule ne fait pas le beau » temples toscans » ou a trois septièmes » la huitième partie de cette grandeur E R R A T A. xxvj Pages. Lignes. Lisez 120 n. I. c. 9 fvoniibus vaïutarum. Sur le côté de l’abaque , pour peu » Jrontibus eolutarum J sur le côté de l’abaque. Pour peu 125 n 3 et 3 o des ports et autres Dans le 12. e Chap. du Liv. V , en parlant, etc. des ports et autres dans le i2. e Chap. du Liv. V. En parlant, etc. 128 i 5 les siècles de Périclès » le siècle de Périclès 129 24 et 25 une moulure carrée d'un autre côté, dans sa position horizontale. La forme circulaire » une moulure carrée. D’un autre côté , dans sa position horizontale la forme circulaire Ibidem s r 33 moulures principales les deux tores de la scotie » moulures principales, les deux tores et la scotie Ibidem , 37 connexité des tores » convexité des tores i 3 x 38 se représenloient de front n se présentoient de front i 3 a 22 Talviati } Salviati i 33 35 dans le chapitre précédent » au commencement de ce chapitre i 38 xo c’est ce que j'ai fait, César, dans le premier livre }> c’est ce que j’ai fait, César dans le premier livre, * 4 q 22 asticcinola i asticcivola Ibidem 25 Cateri » Canteri i 5 o 34 on aura sans doute confondu » on aura confondu i 5 i i 5 longueur » largeur 176 n. II. C. X Parthenos , » Parthenon ' x8o 18 Pourquo » Pourquoi 182 *9 et oit rempli par un mur » étoit rempli par ce mur *94 33 étaient formés » étaient fermés i 9 5 x 3 pluteum epistyiiorum » pluteum epistyiiorum Ibidem , x 7 qu’elles élèvent » qu’il élève 199 n. 2x2 I. c. 2 aux piliers La clef de sol doit aussi être placée sur la 2. e ligne dans le genre Diatonique et Chromatique A» aux paliers Ibidem , dernière , peripate meson J> paripate meson 220 i 5 la neté hyperboleon » la nete synemmenon 229 27 immédiatement après ces deu'x » immédiatement après des deux s 3 o 5 des rochers on des maisons *> des rochers ou fies maisons a 34 - 33 et 34 Voici comme Vitruve veut qu’on trace les côtés de l’orchestre depuis les degrés bb jusqu’à la ligne qui marque le devant de la scène 12, on trace Voici comme Vitruve veut qu’on trace les côtés de l’orchestre depuis les degrés bb jusqu’à la ligne qui marque le devant de la scène 12» On trace ERRATA. XXV1J Pages. Lignes. Lisez 234 38 61 » bi 245 dernière , dans la figure e j » dans la figure 3 ^ a n* 18 Yetœotesium » Y elœotesium "e Ibidem , *9 prognigeum » propnigeum 2 63 3i soit l’horizon du monde Bbb du bord » soit l’horizon du monde Bbb du bord septenscotie; septentrional B ; on tire trional B on tire 281 21 qu’ils survenoit qu’il survenoit 283 n. I. c. 4 vases de terre 3 vases de terre cuite 286 27 Les salles sont réservées » Ces salles sont réservées ; 29° 3i et la défaite des Perses 3* et la défaite de Persée 291 23 le livre précédent 3 les livres précédents 'livre, 2 9 3 i3 tout ce qu’il falloit pour faire bâtir , yy tout ce qu’il falloit faire pour bâtir , 298 9 antecides yy antcrides 3o4 *7 Perrault a très-mal saisi ce passage de » Perrault a très-mal saisi ce passage de Yitruve; Yitruve, suivant sa coutume; lorsqu’il, etc. suivant sa coutume lorsqu’il, etc. 3o5 11 étoit donc connu 2 étoit donc connue 307 26 et 27 est sans doute cause y> est cause 3°9 x 7 cassera i sassera 3i3 4 spinadi pescc spin a di pesce 3i8 7 culpture yy sculpture 3iq 4 s’imprégne. Aussitôt yy s’imprègne aussitôt 3 2 8 18 de demi-figures » des demi-figures Ibidem , dernière , Alabaudin yy Alabandin 332 28 voici les différentes espèces qu’on emploie yy voici les différentes espèces de couleurs qu’on une pierre de poids * emploie 337 18 yy une pierre du poids -34i dernière voyez le moyen . yy voici le moyen 345 1 8 et 19 lapis lazulé yy lapis lazuli 35o 16 qui vient aux environs de Troyes yÿ qui vient des environs de Troyes Ibidem , 34 des couleurs différentes de celle yy de couleurs différentes de celles 35a 18 ceruleo yy Cæruleum Ibidem 23 Osiro yy Oslniÿn es 355 n. 3 d’Alexis Gommène » d’Alexis Çomnène l’à 363 23 sienne yy Sienne > 364 12 et i3 Les eaux yy Ces eaux 368 n 11. C. I de la Libie Cirène yy de la Libie. Cirène i ERRA T A. XXVI1J Pages. Lignes. 369 n. I. c. 3 On a oublié d’ajouter ici , la traduction du passage de Pline. 370 *9 Passants 3 7 i 3o Suspicio Galba 3 9 6 5 Misolabe 4o3 7 et 8 la planète de Mars fait son cours aussi; l’ardeur du soleil. 4o6 36 et 3 7 comme aujourd’hui long-temps; avant Vitruve 443 *7 Il fit amener ainsi tous les fûts des colonnes ; sur le m’odèle de cette machine. 4b Metagènes 445 24 es machines 4 7 2 B. I. c. 2 cry'sXoç , échelle , c’est-à-dire 5o3 12 Echinas S17 23 Bains qui régnent tout au tour 5ig 14 Porte des étrangers 5ai 23 sur lesquels on étoit au théâtre Lisez » Dans risle d’ischia il y en a qui guérissent de la pierre et de la gravelle comme font les eaux de la fontaine nommée Acidula, près de Théano Sedicino.... On dit de même que, quand on boit de l'eau du lac Velino, elle soulage aussi dans ces maladies. v Passant » Sulpicio Galba » Mesolabe » la planète de Mars fait son cours/ aussi l’ardeur du soleil » comme aujourd’hui ; long-temps avant Vstruve il fit amener ainsi tous les fûts des colonnes. Sur le modèle de cette machine Metagènes » les machines » cry'e Ao„’, c’est-à-dire » Echinus » Bancs qui régnent tout au tour » Portes des étrangers » sur lesquels on étoit assis au théâtre Page 54 g, colonne 2 e . , ligne i 4 Craie érétrienne, sélunisienne et annullaire ; qui ajoutez-y les lignes 16 et 17 de la- même colonne , commençant par ces mots ; entre dans la composition , etc. L’ARCHITECTURE D E .5 a;. Y IT1ÜV E, ’KB -f;V / K LIVRE PREMIER. INTRODUCTION. TL and is que votre divin génie, ô César, vous rendoit maître de l’empire du monde; qu’aucun ennéini ne pouvoit résister à votre valeur invincible ; que les citoyens romains se giorilioient de vos triomphes et de vos victoires ; que les peuples même que vous aviez soumis y applaudissoient ; que le sénat et le peuple romain, délivrés de toute crainte , mettoient leur confiance dans la sagesse de votre gouvernement qui leur assurait la paix et le bonheur ; j’aurais craint d être importun et de vous interrompre mal à propos dans vos sublimes occupations, en vous offrant ce traité d’Archi- teclure , fruit de mes longues études et des efforts que j’ai faits pour expliquer cette science. Vous prouvez que vos soins ne se bornent pas seulement aux affaires les plus importantes de l’état, mais que vous vous occupez encore de la construction des bâti- mens publics, dans la Mie de les rendre plus utiles vous ne vous êtes pas contenté de faire Rome la maîtresse de toutes les provinces que vous lui avez soumises, vous la rendez encore admirable par la belle structure de ses édifices, dont la magnificence égale la majesté de votre empire. * Dans ces circonstances, je n’ai pas cru devoir différer plus long-temps de vous présenter ce que j ai écrit sur ce sujet, espérant qu’une profession qui m’a fait connoîlre i / 2 L A R C H BT E Martial , et d’autres auteurs, parlent des honneurs divins rendus aux empereurs pendant leur vie. 2 Le plus fort de tous les raisonnemens pour prouver que Yitruve étoit contemporain d’Auguste, c’est que , dans le deuxième chapitre du troisième livre de cet ouvrage , il dit que le temple de la Fortune équestre étoit près du théâtre de pierre. Cette manière de parler ne convenoit qu’au temps d’Auguste , où il n’existoit qu’un seul théâtre de pierre à Rome , qui étoit celui de Pompée, comme Pline nous l’apprend , en nous disant que le théâtre de Pompée est le premier qui fut bâti en pierre. Ce qui n’étoit plus vrai dès le temps de Yespasien , où il existoit à Rome plusieurs théâtres de pierre. D’après tout cela , je suis persuadé que Yitruve étoit contemporain d’Auguste , et que c’est à cet empereur qu’il dédie son ouvrage. ; dedie ;ent par 51101 ils it dans \e dans ; Tacite. ; weiisi" étoient TariOD,. is 171 » ; la ca* s après» osla bâ' de tel r nio f i CHAPITRE PREMIER. De l Architecture en général et des qualités d'un Architecte . JLj a science de l’architecture en renferme plusieurs autres ; presque toutes contribuent à l’embellir, de sorte qu’on peut dire qu elle est le juge de toutes les productions des autres arts. On l’acquiert par la pratique et par la théorie. La pratique est une longue habitude de donner,aux difîerens matériaux qu’on employé, la forme qu’ils doivent avoir d après les dessins qu’on a faits. La théorie démontre et explique pour quelles raisons on doit donner, aux choses bien construites, telle ou telle proportion. Malgré un travail assidu et les plus grands efforts , les architectes qui négligent la théorie de leur art et se livrent à la seule pratique , n’acquièrent aucune réputation. Ceux au contraire qui abandonnent la pratique et ne recherchent que la théorie , atteignent l’ombre de la science et jamais la réalité. Ceux-là seuls , qui joignent la théorie à la pratique, réussissent dans leur entreprise. Semblables au guerrier armé de 1 Hor. epist. j. Liv. II. Ep. 1. v. j 5 . a Suet. vie de Jules-César. Mart. Liv. Y. Ep. 8. ï. 4 L’ARCHITECTURE DE V-1 T R U V E. toutes pièces , ils sont pourvus cle tout ce dont ils ont besoin , et pai viennent a leur but avec honneur. Dans toutes les sciences, et principalement en architecture, on distingue soigneusement la chose représentée de celle qui La repiesente; pai celle qui est représentée, on entend la chose meine dont on doit traitei ; par celle qui îepiesente, on entend la définition qu’on en fait, développée dans un raisonnement appuyé sur les sciences. L’architecte doit donc s’exercer dans l’une et l’autre manière. Il faut qu’il joigne l’intelligence au travail. Car l’esprit sans l’application, et l’application sans l’intelligence , n’ont jamais rendu aucun artiste parfait./Il doit donc savoir écrire et dessiner , posséder la géométrie , et ne pas ignorer les règles de l’optique, être versé dans l’arithmétique et bien connoître 1 histoire ; s’être appliqué à la philosophie , savoir la musique et posséder quelque teinture de la médecine , de la jurisprudence , de l’astronomie qui nous apprend à connoître le mouvement des deux et quelles en sont les causes? L’architecte doit connoître les lettres ; sans elles il ne pourroit rédiger les mémoires où il développe ses projets et sur lesquels il les appuie. S’il sait dessiner, il lui sera plus facile ' de tracer et rendre sensible la forme qu’il veut donner à ses ouvrages. La géométrie prête de nouveaux secours à l’architecture , puisqu’elle enseigne l’usage de la règle et du compas , sans lesquels on ne pourroit tracer régulièrement le plan géo- métral des édifices ; elle montre à bien prendre les alignemens et à dresser chaque partie avec l’équerre et le niveau. Dans les règles de l’optique , il puisera l’art de prendre les jours, en plaçant les fenêtres d’après les dispositions du ciel 1 . Avec l’arithmétique il calcule la dépense de l’ouvrage qu’il entreprend , et résout les problèmes les plus difficiles de la proportion. Il trouve dans l’histoire l’origine de presque tous les orne- mens de l’architecture et les moyens d’en rendre raison. Par exemple , si sous les mutu- les des corniches, au lieu de colonnes il place des statues de femmes vêtues de longues robes, ce qui s appelle des cariatides, il apprendra à ceux qui en ignorent le motif, que les habitans de Carie , ville du Péloponèse, se liguèrent autrefois avec les Perses , qui faisoient la guerre aux Grecs. Ceux-ci la terminèrent bientôt par des victoires glorieuses et la déclarèrent de suite aux Cariâtes. Leur ville fut prise et rasée , tous les hommes passés au fil de i épée , les femmes emmenées captives ; et pour les traiter avec plus d ignominie , on ne permit jamais aux dames de qualité de quitter leurs robes et autres ornemens accoutumés , afin qu elles ne servissent pas seulement au moment du triomphe , mais que paroissant toujours dans l éiat où elles se trouvoient alors , elles conservassent la mémoire de cet affront , et qu ainsi elles portassent à Xi Les règles de l’optique lui sont encore utiles pour gelle, Nuits attiq. Liv. XVI , Ch. , pour connoître plusieurs choses , comme on le verra ci-après Liv. III, à que l point les anciens avoient porté la science de JW Ch. 2 et 3, et aussi Liv. VI , Ch. g. Voyez aussi Aulu- tique. LIVRE I, C h A p. i. 5 011 di$! f l u i est -sente sr le s joigne genct. »sséd tétiquç t! ifi qui 3 moires ui sera ;es. La e de la fi géo- te par- rendrc étique s plus orne- QUtU- ignés noliî, erses, foires , tous $ {rai- leurs nt au soient ent > B noiU e lel’r jamais la peine que leur ville avoit méritée. Les architectes cle ce temps-là, imaginèrent de placer ces sortes de statues, au lieu de colonnes, dans les édifices publics, afin de transmettre à lai postérité un exemple éternel de la punition qu’on avoit fait souffrir aux Cariâtes. Les Lacédémoniens en usèrent de même lorsque , sous la conduite de Pau- sanias, fils de Cléombrote , ils défirent, avec peu de monde, la nombreuse armée des Perses à la bataille de Platée. Après avoir fait servir les captifs à la pompe de leur triomphe , pour laisser aux générations futures un monument qui attestât leur courage et leur victoire , ils bâtirent, du produit des riches dépouilles de l’ennemi, une galerie qu’ils appelèrent persique. Ils y placèrent des statues vêtues, comme l’éloient ces barbares, pour en soutenir la voûte , i afin de punir cette nation par un opprobre que son orgueil avoit mérité. Ils rendirent ainsi la valeur lacédémonienne redoutable aux ennemis , et excitèrent les peuples à la défense de la liberté, par l’exemple de leurs concitoyens. Depuis , à l imitation des Lacédémoniens , plusieurs architectes firent soutenir les architraves et les entabiemens sur des statues persiques, et enrichirent leurs ouvrages de semblables inventions. Il existe plusieurs histoires de ce genre qu’il faut qu’un architecte commisse, La philosophie élève l ame de l’architecte ; sans lui inspirer de l’arrogance, elle le rend équitable et fidèle , et ce qui est plus essentiel encore , absolument désintéressé. Car pour réussir dans ses entreprises , la probité et l'honneur seuls doivent le diriger. Qu’il ne soit donc pas avide de gain , et qu’il songe moins à s’enrichir qu’à acquérir de la réputation par son art , ne faisant jamais rien d’indigne d’une profession si honorable. C est ce que lui prescrit la philosophie. Il est une autre branche de la philosophie , qui apprend à connoître la nature. Les Grecs la nomment physiologie. Il est très-essentiel qu’il l'étudie pour comprendre les effets de la nature , qui sont variés à l’infini. Par exemple , s’il veut conduire, par différens détours, les eaux d’un lieu à un autre sur un plan horisonlal ; ou que . pressées par leur propre poids , 11 veuille les faire jaillir , quelle qu’en soit la cause , il s’engendre une quantité d’air dans les tuyaux , inconvénient auquel il ne pourroit remédier , s’il ne connoissoit pas , par la philosophie, les principes des choses qui sont dans la nature. Sans le secours de la philosophie , comment pourroit-on saisir le vrai sens des ouvrages de Clêsibius , d Archimède , et de tous ceux qui ont écrit sur de pareils sujets? Quant à la musique, il doit la savoir parfaitement, pour connoître les règles des proportions mathématiques de la résonnance 2 et pour tendre, comme il faut, les Ralistcs , Catapultes et Scor- 1 Pausanias Liv. ÏII , Ch. 9 , parle de ce portique 2 Voyez ci-après Liv. V, Ch. 3 ; et Auiugelie, ISuits comme du plus bel édifice qui fût sur la place de „attiques Liv. XVI, Ch. 18. Sparte. i 6 L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. pions; i les chapiteaux de ces machines sont, à cet effet, percés à droite et à gauche de deux trous , qui rendent un même ton , et par lesquels passent les cables, faits de cordes de nerfs, que l’on bande avec des cabestans, moulinets ou vindas et leviers, et qu’on ne doit arrêter pour décocher la machine, qu autant qu elles rendent 1 un et 1 autre des sons qui forment un accord parfait lorsqu’on les touche ; par ce moyen, il juge si les bras de la machine sont également tendus pour frapper en même-temps leur coup ; car si elles ne rendaient pas un même son, le trait seroit dérangé dans sa direction. La musique lui sert encore à disposer les vases d’airain 2 qu’on place dans les cases sous les degrés des théâtres, par proportions mathématiques, et d’après les différons sons qu’ils rendent, que les Grecs appellent Tons. La grandeur de ces vases est réglée d’après les divers accords de la musique ; on les dispose circulairement le long des degrés, de manière qu’ils passent de la quarte à la quinte, à l’octave, etc. ; la voix des acteurs qui part de la scène, retentit contre ces vases qui se correspondent, et par là elle s’accroît et parvient plus douce et en même-temps plus sonore aux oreilles des spectateurs. Enfin personne ne pourroit construire les machines hydrauliques et autres semblables, sans le secours de la musique 3. L’étude de la médecine lui est nécessaire pour connoître les aspects du ciel , que les Grecs nomment climats 4 distinguer les lieux sains et dangereux , et quelles sont les diverses propriétés des eaux. Il n’est pas possible de bâtir une habitation, qui soit saine, si l’on n’a bien examiné toutes ces choses. Il faut qu’il commisse la jurisprudence et les lois pour diriger la construction des murs communs, 5 les gouttières et les égouts ; pour placer les fenêtres ; pour l’écoulement des eaux et choses semblables. Avant de commencer un édifice, il doit prévenir tous les procès qu on pourroit intenter au propriétaire, lorsque 1 ouvrage sera achevé ; cette connoissance lui est aussi nécessaire , pour bien rédiger les baux de location, tant à l’avantage du locataire que du ren- deur, et n’y laisser échapper aucun terme ambigu , afin d éviter toute espèce de chicane qui pourroit s’élever entr eux. L astronomie 6 lui sert pour la confection des cadrans 1 Yitruve parle plus amplement de ces machines Liv. X , Ch. i 5 , 16, 17 et 18. 2 Vitruve parle de la distribution de ces vases, de l’harmonie et des théâtres Liv. V. Ch. 3 , 4 , 5 , 6 , 7 et 8. 3 Tout le dixième livre est employé à traiter de ces machines, tant de celles hydrauliques que de celles de la guerre. 4 Ce mot est dérivé du verbe %Xiva , incliné, parce que les divers degrés du méridien sont inclinés -vers le pôle , ou déclinent vers l’équateur. 5 Par murs communs, Vitruve n’entend pas, comme l’a cru Perrault, les murs mitoyens, mais les murs des maisons le long des rues, dont la construction étoit réglée a Lomé par des lois particulières, comme on le verra plus loin. 6 Vitruve se sert du mot Astrologie que nous avons aoandonne aux charlatans, pour désigner l’influence qu’ils prétendent que les astres ont sur le corps t humam ; et je me suis servi de celui q astronomie, qui désigne la connoissance de 1 état des cieux et du mouvement des astres. 7 LIVRE I, C h a p. i. fçM s dcj M 1 2 autre si les i car niusi- de- sren- d'wers qu’ils scène, douce rnrroit laides. tenter , i leces- j ten- hicane , coin- ;S B' uri 3 n étoii i on le solaires, par la connoissance qu elle lui donne des quatre points cardinaux , de l’état du ciel, des équinoxes , des solstices et de tout le cours des astres. . Puisque l’architecture demande donc une aussi grande érudition et le concours de tant d’autres sciences , je ne crois pas que personne puisse tout-à-coup se donner pour architecte. Cette qualité n’appartient qu’à celui qui, dès son enfance, a commencé à monter par tous les degrés qui conduisent au faîte du temple de l’architecture. Les igno- rans seront peut-être étonnés , et ne pourront croire que la mémoire et l’intelligence humaines soient suscep tibles d autant de lumières ; mais on verra bientôt combien ils sont dans l’erreur, si I on réfléchit que toutes les sciences étant liées, et communiquant les unes avec les autres , les connoissances humaines sont comme un corps composé de divers membres ; ceux qui, dès leur tendre jeunesse , ont consacré leurs momens à l’étude des belles-lettres , en sont convaincus. Ils sont persuadés aussi que la connexion qui se trouve entre elles, en facilite beaucoup Fétu de. Ce qui fait dire à Pythius i, cet ancien architecte qui s’est rendu célèbre par la construction du temple de Minerve , dans la ville de Priène , que l’architecte réussira mieux dans ces différentes sciences , que ceux qui. par les efforts de leur génie, et leur industrie, ont excellé dans quelques-unes en particulier. Cependant cela n’est pas exact. En effet , il n’est pas possible , ni même nécessaire, qu’il possède la grammaire comme Aristarque , la musique comme Àris- toxène 2 ; qu’il soit aussi bon peintre qu’Apelle , aussi bon sculpteur que Miron ou Policlète , enfin aussi savant en médecine qu’Hippocrate 5 il suffit qu’il ait quelques connaissances de la grammaire , de la musique , de la peinture , de la sculpture , et de la médecine ; l’esprit de l’homme n’est pas capable d'atteindre la perfection dans autant de sciences , dont les démens exigent déjà beaucoup d’étude. Ce n’est pas aux architectes seuls auxquels il est refusé d atteindre la perfection, puisque ceux même qui s’adonnent à quelqu’art en particulier, qui s’efforcent d’en vaincre toutes les difficultés pour s’y rendre profonds et renommés, ne réussissent pas toujours. Que dis-je ! parmi tous ceux qui cultivent une même science , et en font leur unique étude, il n’est donné qu’à un petit nombre , et dans l’espace d'un siècle , d’y devenir célèbres ; comment voudroit-on que l’architecte qui doit posséder tant de connoissances, non-seulement n’en ignore aucune, ce qui est déjà beaucoup exiger, mais qu'il excelle dans toutes , tandis que les forces et l’intelligence humaines suffisent à peine pour en approfondir une seule ? js avons ;e n;eti latffr es asti* 1 Vitruve le nomme Phileos dans 1 introduction du sur lharmonie; c’est dans ces livres que Vitruve a nuise VII. e Liv. Il parle aussi d’un architecte nommé Pytheus , ce qu’il a écrit sur la musique dans les 4 e et 5" Ch. du Liv. I\ , Ch. 3. Liv. Y, comme il nous l’apprend lui-même. 2 Aristoxène, disciple d’Aristote, a livres I 8 L’ARCHITECTURE DE VI T R U V E. Il me semble donc qu'en cela Pythius s’est trompe 7 ; il n a pas réfléchi que deux choses, la pratique et la théorie, composent tous les arts. La pratique appartient proprement à ceux qui font profession de quelqu’art en particulier, et la théorie appartient généralement à tous ceux qui cultivent les sciences. Qu’un médecin et un musicien parlent, par exemple , l’un de la proportion des pulsations du poulx, et 1 autre de celle des mou- vemens des pieds que font des pas de danse ; cette théorie leur est commune à tous deux. Néanmoins si un homme vient de se blesser, ou tombe dangereusement malade, on n’appelle pas le musicien , mais le médecin qui doit le secourir. Si au contraire , on veut mettre d’accord quelqu’instrument de musique, on n’appellera pas le médecin, mais le musicien , qui parviendra à lui faire rendre des sons harmonieux qui charmeront les oreilles. Les astronomes et les musiciens peuvent également raisonner sur la sympathie des étoiles , et sur les consonnances musicales, dont les unes se distinguent par quadrals et par trines i , et les autres par la quarte et la quinte ; et avec les géomètres de ce qui concerne la vue, c’est-à-dire , de cette science que les Grecs appellent optique 2. Il en est de même du reste des sciences ; leurs diverses théories servent à toutes , ou du moins à la plupart. Mais s’il s’agit de la pratique qu’on n’acquiert que par le travail et une longue habitude, il faut que chacun traite de celle dans laquelle il s’est particulièrement exercé. De sorte qu il est censé qu’un architecte en sait assez , quand il est médiocrement instruit dans les arts qui dépendent de l’architecture , quand il peut en juger et les examiner au besoin, et n’avoir pas la honte de demeurer court. S’il se rencontre par hasard des personnes dont l’esprit et la mémoire ont assez d étendue pour posséder parfaitement la géométrie , l’astronomie , la musique et les autres sciences ; cette capacité doit être considérée comme quelque chose au - delà de ce qui est nécessaire à l’architecte. Ce sont alors des mathématiciens qui peuvent traiter à fond de toutes les sciences ; mais ces génies sont fort rares 5 il s’en trouve peu, tels qu’ont été Ari star que à Samos , Philolaiis et Architas à Tarente , Apo- lonius à Perge, Eratosthène à Cyrène , Archimède et Scopinas à Syracuse. Avec le secours du calcul et la connoissance qu’ils avoient des secrets de la nature , ils ont fait les plus belles découvertes dans les mécaniques et dans la gnomonique, et les ont transmises à la postérité. Mais puisque la nature avare produit rarement de ces génies extraordinaires, et qu’il laut cependant que rarcliilecle possède, autant qu’il est possible, ces diverses connois- snnces ; car il seroit déraisonnable d’exiger qu’il les possédât toutes parfaitement, je vous 1 On appelle quadrat aspect , la situation de deux 90 degrés font le quart du méridien et 120 le tiers ; astres éloignés l’un de l’autre de 90 degrés , et le trine voyez les remarques à la fin de ce chapitre, aspect lorsqu’ils sont éloignés de 120 degrés , parce que 2 Ce mot est tiré du verbe tance que de Jupiter à Saturne , tellement qu’en réunissant celte harmonie , 011 trouvera sept tons ». pour former une musique aussi parfaite que celle du diapason. D’après celle harmonie , il prétend » donc que Saturne dans son cours suit le mode dorien , et Jupiter le mode phrygien. Il ajoute » plusieurs subtilités ingénieuses qui sont beaucoup plus agréables qu’utiles , telles que la magnifiqne » harmonie des astres , leur marche mélodieuse , leur révolution cadencée , et ce concert sublime > que forment tous les corps célestes et les cieux divers 1. Il paroît que Vitruve partageoit cette opinion , tant par ce qu’il dit dans ce chapitre , que dans le sixième du cinquième livre , où il parle des dispositions d’un théâtre , qui doivent être prises , dit-il , d’après les rapports qui se trouvent entre les astres et la musique. Quoiqu’il ait adopté ce système , on voit qu’il n’ignoroit pas celui des autres philosophes il les rapporte tous dans le second chapitre du deuxième livre. Mais cette préférence pour celui de Pylhagore et des philosophes dont il fut le chef, lui fait , suivant moi, infiniment d’honneur , ^car l’antiquité n’a pas produit de savants qui aient été aussi éclairés qu’eux ' dans les sciences naturelles , et dont les découvertes aient fait plus d’honneur à l’esprit humain. Il y avoil alors, comme le rapporte Vitruve Liv. IL Ch. 2. , des philosophes qui soutenoient que l’eau, le feu, l’air, les atomes, étoient les principes des choses. Pylhagore prétendit, au contraire, que les principes des choses étoient les convenances et les proportions dont se formoient les harmonies , et que la bonté et l’intelligence faisoient la nature de Dieu. Il fut le premier qui appela l’univers , monde, à cause de son ordre. Il soutint qu’il étoit gouverné par la providence sentiment lout- à-fait conforme à nos livres sacrés et à l’expérience. Il inventa les cinq zones , et découvrit l’obliquité du zodiaque. Il assura que la zone torride étoit habitable. 11 découvrit le carré de l’hypoténuse d’où sont sortis une infinité de théorèmes et de solutions géométriques. Philolaüs de Crotone , un de ses disciples, prétendoit que le soleil recevoil le feu répandu dans l’univers et le réverbéroil. Il tenoit que les comètes étoient des astres qui se remontrent après une certaine révolution. Oecette autie pythagoricien, souienoit quil y avoit deux terres, celle-ci et celle qui lui est opposée', ce 1 Pline Liv. Il, Ch. ao. Il en parle encore dans la pre'face du même Livre. qui ne convient -qu' Socrate , Platon , Architas, général Taremin , Xénophon Epaini- ïiondas , Numa, enfin ce que la philosophie, les lettres , Part militaire et le trône ont en de plu* illustre , étoient pythagoriciens. Toutes leurs idées sur les harmonies de la nature ont été renouvelées, par M. Bernardin de S. 1 Pierre , dans son charmant ouvrage des Eludes de la Nature. Ils ne les bornèrent point à Pastronomie ; nous voyons, dans ce chapitre , que les médecins même trouvèrent dans l’harmonie les principes de leur art. Hérophile , médecin célèbre qui vivoit du temps de Plia- laris , 56 o ans avant Père vulgaire , avoit réglé les degrés du mouvement des pulsations du pouls selon les différens âges de l’homme , d’après les règles de la musique 1. Le médecin Zerlin , qui mourut à Yenise en 1699, a renouvelé celte opinion a. Vitruve dit que les anciens distinguoient deux sortes de philosophie ; celle qui nous apprend à connoître la nature, et celle qui traite de la morale. Il exige que son architecte connoisse aussi cette dernière, pour qu’elle soit la règle de sa conduite. M/ Legier, célèbre architecte, que Frédéric II , roi de Prusse , fit venir de Paris à Berlin, nous, a prouvé combien il étoit pénétré des principes de Vitruve. Il présente un jour à ce grand roi le plan de la maison royale dite le nouveau Sans-Souci. Frédéric l’approuve, mais il veut qu-’au lieu du salon d’entrée, on fasse une espèce de grotte très-grande. Legier lui représente que cela seroit absolument contre les règles de Part, qu’il sera critiqué par tous les connoisseurs. Qu’importe , lui répond le roi j’exige qu’on exécute ma volonté c’est moi qui paye l’ouvrage si on le critique, dites que je l’ai voulu avoir comme cela. Mais , lui dit Legier, ni votre majesté ni moi, ne serons- pas toujours là pour dire à la postérité , que c’est par vos ordres que cet édifice a été bâti de cette manière. Ma réputation m’est bien plus chère que tout l’argent que je pourrois gagner à cet ouvrage je supplie votre Majesté de vouloir choisir un autre architecte. Legier peu soit donc Bien moins à s’enrichir qu’à acquérir de la réputation par son art. Il possédoit cette philosophie dont parle Vitruve. CHAPITRE II. En quoi consiste lArchitecture. architecture a six objets principaux l’ordonnance, que les Grecs appellent iaxis; la disposition, qu’ils nomment diatesis ; Xeurythmie ; la proportion , la bienséance et la distribution , qu’on appelle en grec économie. L’ordonnance donne à chaque partie du bâtiment la grandeur nécessaire pour l’usage auquel elle est destinée ; elle la réduit à une même mesure pour en former un ensemble bkn proportionné; » Pline. Lît. XXIX, Cb. 2 Zerlino inst. ym. Ch. 3 , P. I. L’ARCIUTECTÜRE DE VITRUVE. 12 L’ordonnance se règle donc par la quantité appelée en grec posotes , et par quantité, on entend le module, qui est une’grandeur prise dans quelque partie de l’ouvrage, pour servir de terme de comparaison aux dimensions de toutes les autres parties. Placer chaque chose dans le lieu qui lui convient selon sa qualité , de manière que cet arrangement produise un effet agréable , c’est ce qu’on appelle la disposition. Les dessins , ou, pour parler comme les Grecs , les idées de la disposition se font de trois manières ; savoir par l’ichnographie , par l’orthographie et par la scénographie. L’ichnographie , c'est lorsqu’avec la règle et le compas , on trace , dans un espace médiocre , le plan d’un édifice , comme si c’étoit sur le terrain. L’orthographie représente dans un petit dessin coloré , l’élévation d’une des faces du bâtiment dans les mêmes proportions qu’il doit avoir. La scénographie est un dessin ombré qui fait voir non seulement l’élévation d’une des faces , mais aussi celle d’un des côtés , par le concours de toutes les lignes qui aboutissent à un même point. Pour faire ces dif- férens dessins , il faut unir l’esprit et l’intelligence. Le plaisir qu’il goûte à faire bien exécuter le plan qu’il a conçu , fait que l’esprit y met toute son attention et son exactitude. L’intelligence fait surmonter les difficultés ; elle pénètre , elle emploie tous les secrets de l’art. Avec le secours de ces trois manières de dessiner, on représente parfaitement toutes les dispositions d’un édifice. L’eurythmie est la beauté que produit l’accord de toutes les parties d’un ouvrage ; c’est elle qui donne à l’ensemble un aspect agréable. Rien n’y contribue davantage que la proportion, lorsque la hauteur répond à la largeur , et celle-ci à la longueur. La proportion est aussi le rapport que l’ouvrage entier a avec ses parties , et celui que ces parties ont entre elles à cause de l’uniformité des mesures. Comme dans le corps humain, il y a un rapport de grandeur entre le coude, le pied , la paume de la main , le doigt et les autres parties ; ainsi dans un ouvrage perfectionné , un membre en particulier fait juger de toute la grandeur de l’édifice. Par exemple le diamètre d’une colonne, le module d’un triglyphe fait juger de la grandeur d’un temple i. On con- noît aussi celle d’une baliste par la proportion du trou que les Grecs appellent Péri - treton. De même l’espace qui se trouve d’une rame à une autre , laquelle se nomme Dipêchdice , fait voir quelle est la grandeur d’un navire. Il en est de même de tous les autres ouvrages. La bienséance exige d’abord que tout ce qui se voit dans un édifice y soit tellement correct, quil ne s y trouve rien qui ne soit conforme à la raison et aux règles de l’art pour cela il faut premièrement faire attention à l’état et à la qualité des ^i Voyez h 3.* Ch. du JV. Xiy. L I V H E I, C h a p. i i. i3 choses i , c’est ce que les Grecs nomment sefurnw. c; ensuite à l’habitude et à la nature. Par exemple , si on fait attention à la qualité des choses, on ne fera pas de toit 2 au temple de Jupiter foudroyant, ni à celui du ciel , non plus qu’à celui du soleil et de la lune. On les laissera découverts , parce que ces divinités se font connoître pendant le jour et dans tout l’univers. Pour la même raison, les temples de Minerve, de Mars, d’Hercule, seront d’ordre dorique, parce que les vertus graves de ces divinités répugnent à la délicatesse des autres ordres. Au lieu que Vénus, Flore , Proserpine et les nymphes des fontaines, auront les leurs d'ordre corinthien, parce que la délicatesse et l’agrément des fleurs, des feuillages et des volutes, dont cet ordre est embelli , convient à la légèreté qu’on attribue à ces déesses. La bienséance semble aussi exiger que les temples de Junon, de Diane , de Bacchus, et des autres dieux de cette espèce, soient d’ordre ionique , parce que cet ordre tient le milieu entre la sévérité du dorique et la délicatesse du corinthien , par conséquent est plus analogue à la nature de ces divinités. Une observation , qu’exige encore la bienséance , est qu’il faut avoir égard à l’habitude , qui veut que , si l’intérieur des bâtimens est richement décoré , le vestibule le soit de même ; car si l’intérieur étoit riche et élégant, et que l’entrée et le vestibule fussent mesquins , il n’y auroit ni agrément ni convenance. De même si,, sur des entablemens doriques , on mettoit des corniches dentelées ; ou si , au-dessus des architraves ioniques, soutenues par des colonnes à chapiteaux en forme d’oreiller, 3 on taille des triglyphes, et qu’ainsi on attribue et transporte à un ordre les choses qui sont particulières et propres à un autre, les yeux en seront choqués , parce qu’ils sont habitués à les voir disposées d’une autre manière. La convenance qu’exige la nature des lieux , consiste à choisir les endroits où l’air et les eaux sont les plus sains , pour y placer les temples , principalement ceux qu’on bâtit à Esculape , à la Santé, et aux autres divinités auxquelles on attribue la vertu de guérir les maladies. Car les malades qui passeront d’un air malsain dans un autre qui sera plus salubre , et qui feront usage de meilleures eaux, se guériront aisément ; ce qui augmentera beaucoup la bloient à un oreiller ou coussin roulé sur lui-même, et lié dans le milieu pour le transporter plus commodément dans les voyages , comme font encore aujourd’hui lesPolonois qui transportènt les matelas dans leur voiture, parce que, dans toute la Pologne, personne,n’a des lits pour les étrangers. Ces matelas sont beaucoup plus minces que les nôtres. Vitruve, Liv. III , Ch. 3 , nomme encore le chapiteau ionique pulvinaUs. Pline , Liv. XV , dit que la noix du noyer ressemble à un* oreiller. 1 Perrault a traduit le mot statio par état des choses, et Galliani par statuto statut. Le latin ne rendoit déjà pas trop bien le mot grec que Vitruve a été obligé de rapporter comme terme de l’art le français le rend encore plus mal. Il est dérivé de rîSrqf&t qui signifie poser, placer', établir. 2 Hypœthra signifie ici généralement toute espèce d’édifice découvert ; mais dans une signification plus restreinte , il désigne une espèce de temple, dont il est parlé dans le chapitre premier du Liv. III. 3 Parce que les côtés du chapiteau ionique ressem- L’ARCHITECTURE DE V I T R U V K 4 dévotion du peuple , qui attribuera à ces divinités la guérison qu’il devra à la nature d’un lieu salutaire. Il est encore une convenance que demande la nature des lieux. C’est de faire en sorte que les fenêtres des chambres à coucher et des bibliothèques soient placées au levant i ; que celle des hains et des appartemehs d hiver aient les leurs au couchant d’hiver ; et que les cabinets des tableaux et autres curiosités qui demandent un jour égal en tout temps, aient les leurs vers le septentrion, d’autant que ce qui est tourné - vers ce côté du ciel est toujours également éclairé. La distribution ou l’économie exige qu’on sache choisir avec discernement ses matériaux dans le local même où I on doit travailler , et qu’on évite toute dépense inutile , ce qu’il est aisé de faire , si toutefois l’architecte ne cherche pas à exécuter des choses impossibles , ou qui ne peuvent avoir lieu qu’avec des dépenses excessives ; car dans certains endroits, il ne se trouve pas de sable fossile, ni de bonnes pierres, ni de 1 epicias, ni du sapin, ni du marbre , ou, si on veut s’en procurer , il faut les faire venir de loin avec beaucoup de peines et de dépenses. On se sert alors du sable de rivière ou du sable de mer lavé dans l’eau douce, et on emploie le bois de cyprès, de peuplier ou d’orme. L’autre partie de la distribution consiste à faire attention à l’usage auquel on destine le bâtiment, à l’argent qu’on veut y mettre , à la beauté qu’on veut qu’il ait , parce que ces diverses considérations régleront la distribution qu’il doit avoir ; car le plan d’une maison, dans la ville, est différent d’une maison de campagne qui doit servir de ferme et de ménagerie ; et les maisons qu’on bâtit, pour les bureaux des gens d’affaires et des négocians, doivent être autrement disposées que celles qu’on fait pour des financiers ou pour des personnes de distinction , dont les hautes qualités et les emplois dans les affaires publiques demandent des usages particuliers en un mot il faut ordonner les édifices selon les différentes conditions des personnes pour lesquelles on bâtit. REMARQUES. Les sciences et les arts ont un idiome qui leur est propre. Il est composé de termes qu’on nomme techniques. Ces mots sont la plupart tirés de la langue que l’on parle, mais on leur donne une autre acception , ou une signification plus ou moins étendue que dans l’usage ordinaire. Ce langage est familier aux artistes ; mais lorsqu’on enseigne une science , ou qu’on écrit quelque traité , il faut commençai pai définir ces soi tes de termes j pour 1 intelligence de ceux qui apprennent. C’est ce que fait ici Yitruve, x Pour l’exposition des bains, voyez Liv. Y, Ch. 10 ; et pour le reste, Liv. YI, Ch. 7. L I ï , C h à p. ii. ✓ i5 Ce sont les Grecs qui ont introduit en Italie les belles-lettres , les sciences et les beaux-arts. Les Pelages , colonies grecques, les apportèrent en Etrurie; les Etrusques les ont fait eonnoître aux Romains. Ceux-ci firent enèuite la .conquête de la Grèce , d’où ils enlevèrent les plus beaux tableaux et les plus belles statues , ce qui augmenta leur goût pour les beaux-arts. Ils ne purent emporter les magnifiques édifices qui s’y trouvoient mais ils emmenèrent à Rome des architectes. Ce furent donc les Grecs qui apprirent l’architecture aux Romains ; et c’est pourquoi ceux-ci se servirent , dans celte science , de termes grecs ou tirés de cette langue. Yitruve est obligé de les traduire , de les expliquer et de faire eonnoître le sens qu’ils doivent avoir lorsqu’ils sont afFectés à l’art de bâtir. Il commence donc par expliquer les principaux termes de l’architecture; il considère séparément les objets qu’ils indiquent. Par-là il nous donne une idée générale de cet art ; il en trace les plus grandes parties, marque leur étendue, leurs limites et leurs connexions. Son explication est un peu abstraite chacun de ces termes renferme l’idée de plusieurs choses qui en renferment elles-mêmes d’autres, et toutes ont besoin d’une définition un peu longue. Les termes techniques grecs donnoient une idée assez exacte de la chose qu’ils exprimoient, puisqu’ils étoient composés de mots tirés de cette langue , qui signifioient l’objet qu’on vouloit désigner, avec ses qualités accessoires; le mot architecte, par exemple , est composé des mots âpxv , principal, et tsxtuv , ouvrier ainsi principal ouvrier. Les arts généralement répandus dans la Grèce où on les cultivoit depuis long-temps , avoient rendu ces mots familiers; ils étoient, pour ainsi dire, compris de tout le monde. La langue grecque, pour les composer , a en outre un grand avantage sur le latin et sur les autres langues sa grande abondance fait qu’on y trouve des mots pour rendre les idées les plus subtiles. Les Grecs , dit le traducteur françois de Théophraste , ont quelquefois deux ou trois termes assez différens pour exprimer dès choses qui le sont aussi , et que nous ne saurions guères rendre par un seul mot ; cette pauvreté embarrasse. » Aussi leur langue a toujours été celle des sciences et des beaux-arts. Les Romains , qui les avoient appris d’eux , se sont servis pour les r arts de la langue de leurs] maîtres ; ils adoptèrent quelques-uns de leurs termes , ils traduisirent les autres , mais en général ils perdoient dans la traduction qui étoit bien moins expressive. C’est pourquoi Yitruve met souvent le mot grec à côté. Nous jïvons une difficulté de plus en françois ces mots qui ont déjà perdu beaucoup dans la version latine, perdent encore davantage en passant dans notre langue. Mais la plus grande de toutes les difficultés, c’est qu’en adoptant ces termes grecs ou latins , nous leur avons quelquefois donné une autre acception que celle qu’ils ont dans ces langues ; tellement que je serai obligé d’entrer dans quelques détails absolument nécessaires pour l’intelligence de ces différens termes. De ï Ordonnance. Le mot grec rct^iq exprimoit à merveille ce qu’on entend par l’ordonnance; il est tiré du verbe Tao-îha qui signifie établir , faire une chose, l’arranger d’après certaines règles , certain ordre , certaines lois, d’où 1 on a pris les mots taxe et taxer , parce que les taxes se lèvent d’après un régle-ment , d’après une loi. Employé dans l’architecture , le mot se rend , en latin comme en françois , par celui !G L'A RCHITECTURÊ DE VITRUVE. d’ordonnance, ainsi lorsqu’on parle de l’ordonnance d’un bâtiment, on entend qnil y a de 1 ordre dans la distribution , et qu’il est construit d’après les règles établies. L’ordre qui règne dansions les ouvrages de la nature, inspira les artistes des premiers âges; c’est d’après lui qu’ils réglèrent leurs ouvrages. Ce principe fondamental fut aussi le guide de ceux qui firent faire de si grands progrès aux arts , dans les beaux jours de la Grece. La confusion déplaît et nuit par-tout où elle se trouve , et plus encore dans les productions des beaux-arts, qui sont le résultat des efforts de l’esprit humain. C’est par l’ordre et les combinaisons qu’ , qu’on peut voir si elles sont le fruit du génie. L’ordre est si essentiel à l’architecture qu’elle n’existe, pour ainsi dire, que par lui. Aussi ï’ordçm- narice est-elle nommée la première parmi les objets qui constituent cet art. Elle donne , comme dit Vitruve, à chaque partie de l’ouvrage , l’étendue, nécessaire à l’usage pour lequel elle est destinée elle les réduit à une même mesure , pour en former un ensemble bien proportionné. Il faut donc que chaque partie ait sa juste grandeur , convenable à son usage et proportionnée à la grandeur de tout l’édifice. Dans un temple il faut qu’il se trouve un espace suffisant polir la. Cella , un autre pour le vestibule, un autre pour les galeries, etc, Dans une habitation il faut, par exemple , que l’alcove soit capable de. contenir le lit; l’écurie , les chevaux; que la cour, la salle et les chambres ne soient ni trop grandes ni trop petites pour servir aux usages auxquels elles sont destinées la cour, pour donner le jour aux appartemens et contenir ce qui doit y entrer ; la salle, pour y recevoir les grandes compagnies; et les chambres,, pour y coucher. L’ordre doit régner entre ces parties principales ou majeures ; il doit également régner entre les moindres parties qui sont comme les accès-, soires de celle-ci telles que les colonnes , Ja grandeur des entre - colonnemens , etc. Il faut que le tout forme un ensemble bien proportionné d’après les règles de l’art,, comme l’exprime le mot iaxis. Il faut distribuer d’une façon commode et agréable,, d’apiès les mêmes règles, non seulement les parties principales , mais encore les détails accessoires c’est ainsi qir’en méditant sur ce qui concerne l’ordre dans un édifice , on voit que le plan a un. point central auquel tout vient aboutir, et qu’il faut que l’intégralité et l’unité s’y trouvent. L’intégralité du plan n’est antre chose , au premier coup d’œil ,, que la. totalité des parties qui le composent; mais en creusant cette idée foncière, on s’aperçoit ensuite que cette intégralité suppose que l’on donne une juste étendue à toutes ces parties , et que même on les unit ensemble en les liant toutes à un même point central , ce qui constitue l’unité ; et que de plus on en rejette, avec soin 3 tout ce qui peut y être étranger on superflu. Ces conditions également requises dans le développement du plan y sont si importantes, qu’elles font le principal mérite de l’artiste , et le place au rang des grands hommes. Au contraire , Horace met dans la dernière classe des ouvriers , l’artiste qui sait rendre les détails , même dans une perfection rare , mais qui ne sait pas en former un tout. 1 • * L’unité tient tellement à l’intégralité qu’on peut en quelque sorte les confondrepour n’en Lire qu’un seul et même précepte. Il ne faut pas croire qu’elle puisse jamais la contrarier car rame- > Hor. Art. poet, ?. 3a. . \ ner l i v n e i, Cha i>. h. 17 ner tout à un même centre , n’est pas mutiler*les objets. Tout ce qui est inutile et déplacé contrarie l’unité et l’intégralité ; ainsi l’habile architecte retranchera toujours ce qui est superflu. Si les anciens ont réussi , si les ouvrages qu’ils nous ont laissés paroissent si parfaits, c’est qu’ils se sont toujours astreints aux principes que nous venons d’indiquer. Yovez dans les temples de Thèbes en Egypte , comme tout tend au même centre et ne forme qu’un seul tout, malgré la complication et l’étendue des accessoires qui les environnent. Dans la vaste étendue de leurs ruines , on a retrouvé l’ordonnance de ces immenses édifices voici comme s’exprime Desnon , en parlant du grand temple de Karnack , village égyptien qui occupe une petite partie de l’emplacement d’un des temples de Thèbes. On ne peut nier, dit - il , que le plan du temple de Karnack ne soit > noble et grand ; l’art des beaux plans a toujours devancé , en architecture, celui de la belle exécu- » lion des détails , et lui a toujours survécu plusieurs siècles après sa corruption. Il fttut ajouter aux descriptions connues de ce grand édifice de Karnack , que ce n’éloit encorç » qu’un temple , et que ce ne pouvoit être autre chose ; que tout ce qui y existe est relatif à un très-petit sanctuaire, et avoit été ainsi disposé pour inspirer la vénération dont iff étoit l’objet, » et en faire une espèce de cent colonnes du seul portique de ce temple , w les plus petites ont sept pieds de diamètre , et les plus grandes en ont onze l’enceinte de sa cir- convallation contenoit des lacs et des montagnes; des avenues de Sphinx amenoient aux portes de » cette circonvallation; enfin pour prendre une idée vraie de tant de magnificence > il faut croire » rêver en lisant, parce qu’on croit rêver en voyant. » Les ouvrages des Grecs , d’un genre différent de ceux des Egyptiens , qui sembloient avoir consacré toute leur industrie à leur culte , étoient cependant construits , d’après les mêmes principes. Les Egyptiens ne vouloient que des temples et des tombeaux , ils les firent gigantesques. Les autres instruits par ceux-ci, élevèrent aussi des temples ; mais ils les. firent moins grands , et cherchant à se procurer des jouissances dans la vie , ils construisirent des places publiques , des palestres , des stades , des théâtres et autres édifices analogues à leurs moeurs , mais bâtis d’après les règles qu’ils tenoient des Egyptiens. Ainsi, si l’on considère les plans des uns et ceux des autres , on voit que c’est le même génie qui les a inspirés. Rien d’essentiel n’y est omis , rien d’étranger 11’y est ajouté. Tout y est naturel ; c’est-à-dire , qu’ils présentent les choses rangées et liées comme la nature les produit ou peut les produire ; ou bien comme un bon esprit les conçoit ou peut les concevoir. Cette qualité est la suite de la précédente , puisque la première établit toutes les parties nécessaires; la seconde les arrange et sur-tout les lie entr’elles. Tous ces plans sont simples , c’est-à-dire , qu’ils présentent aussi peu de parties que la nature le permet, et toutes ces parties ramènent sensiblement à un centre commun , en un mot , à l’idée de l’unité. Cette simplicité présuppose qu’ils voient embrassé leur sujet tout entier , qu’ils en avoient rangé tous les détails sous un petit nombre de points de vue , en les attachant à l’idée fondamentale , par des rapports étroits et sensibles. Le nombre des parties varie sans doute , et doit nécessairement varier, selon la nature et l’usage de l’édifice ; elles sont différentes dans un temple , dans une palestre , dans une basilique , dans un palais , dans un théâtre ; cependant les plans de ces diverses espèces d’édifices , offrent tous la même simplicité, La simplicité du plan ne doit pas con- iB L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. sister à retrancher des parties car simplifier un objet, n est autre chose que de tiouver le moyen de le présenter tout entier sous une forme moins compliquée. Qu’un architecte se garde donc d’imiter ces entablemens , qui ne sont pas en ligne droite ; mais découpés en formant des angles et ressauts qui s’avancent sur les colonnes , se retirent dans les entre-colonnemens , et nous offrent une foule d’angles rentrants et saillants tels sont h plupart des frontispices de nos églises et les retables d’autels. Si quelques monumens de l’ancienne Rome ont ce defaut, c est que, quand les Romains ont connu les beaux-arts , ils se sentoient de la corruption où ils étoient déjà tombes chez les Grecs. Les plans des temples , des théâtres , et des autres édifices qui ont ete inventes dans les beaux jours de la Grèce , sont toujours faciles ; toutes les parties qui les composent, semblent se présenter d’elles-mémes , telles qu’elles sont ; tant la combinaison de leur arrangement est aisée à saisir ; et cette facilité découle le plus souvent de la simplicité , au point qu’on pourroit prendre l’un de ces deux termes pour' l’autre. Quoique les plans de ces divers édifices offrissent toujours la forme la plus convenable „ à l’usage auquel ils étoient destinés , ils étoient méthodiques ; c’est-à-dire , conformes aux règles de l’art règles qui avoient été trouvées par les Egyptiens , et que les Grecs suivirent, en cherchant a s’attribuer la gloire de leur invention. La plupart de ces réglés sont fondées sur le bon sens et la raison , c’est-à-dire sur la nature des choses , aussi - bien que sur une longue expérience , ainsi que nous le verrons ailleurs. Ceci amène deux observations; l’une que si l’architecte a dessein de plaire aux connoisseurs, il ne r doit pas blesser leur amour-propre, en contrariant, sans aucun ménagement, les idées qu’ils ont adoptées et érigées en précepte ; la seconde qu’il seroit bien étonnant que des règles qui ont pour elles l’autorité de tous les grands hommes qui nous ont précédés dans la même carrière , et depuis tant de siècles ne fussent pas les plus avantageuses et les plus sages à suivre. 11 est difficile de croire qu’une méthode ainsi établie ne soit pas au fond la meilleure ; et si elle ne l’étoit pas , il n’y auroit guère moins de mal-adresse et de témérité à la négliger, sur-tout dans les cas ordinaires, et sans de grandes précautions , puisqu’il est vrai qu’en général le temps et l’usage donnent enfin à une pratique , quelle qu’elle soit, une forme presqu’égaîe à la nature. Pour être autorisé à s’écarter d’une méthode généralement adoptée et suivie , il faudroit pouvoir y en substituer une autre qui fût essentiellement et évidemment plus parfaite ; mais depuis le siècle de Périclès , où sont les hommes privilégiés à qui ce talent créateur est réservé ? Un grand avantage que l’architecture a sur les autres arts , et qui offre une grande facilité aux artistes , c est que toutes les réglés qui établissent et font régner les diverses qualités qui contribuent a la beaute de ses ouvrages , ont toutes ete trouvées et sont établies par des principes immuables 1 architecte n’a plus qu’a les étudier et les appliquer aux divers bâlimens qu’il veut construire. La plupart de ces qualités sont aussi nécessaires dans les productions des autres arts ; mais aucune règle ceitaine ne dnige 1 ai liste ; son geme seul peut les découvrir et en faire l’application. Il n’en est pas de même pour l’architecture les règles les plus précises établissent, dans les formes et les grandeurs, les divers rapports qui donnent à ses ouvrages toutes les qualités dont nous venons de parler , et leur impriment ce caractère de perfection que l’on doit aux anciens. On trouve toutes ces règles dans l’ouvrage de Vilruve. Les troisième, quatrième , cinquième et sixième livres, nous montrent, dans le plus grand détail, les rapports de grandeurs qu’il doit y avoir, enfin la hauteur, la largeur et la longueur d’un édifice ; le rapport que l’étendue de ces parties principales ont avec les moindres, tels que lès entre-colonnemens, la hauteur des colonnes, des enta- blemens, etc. , ramenant toutes ces parties à l’unité par des plans simples et méthodiques. Certains édifices , comme les temples , avoient différentes formes chez les anciens les règles et les mesures pour les construire étoient fixées et tellement précises qu’on ne pouvoit s’écarter en rien des principes établis. Il en étoit de même pour les théâtres. Aussi Vilruve , tant pour les uns que pour les autres, entre dans les plus grands détails. L’architecte n’avoit, pour ainsi dire, qu’à copier en suivant exactement ce que l’auteur prescrivoit. Les autres édifices , tels que les palais , les maisons de campagrfe , etc. , laissent un peu plus à faire au génie de l’architecte les principes lui sont dictés , il est vrai , mais il doit en faire l’application , suivant l’étendue , la forme et l’usage de ces divers bâlimens , où l’ensemble , la mesure , l’unité et l’ordre doivent se trouver comme dans les temples. On pourroit donc dire qu’on entend par l’ordonnance, la conception générale de tout l’ouvrage ; car en ordonnant un édifice , pour qu’il forme un tout bien proportionné , il faut arrêter 1 .° la grandeur que chaque partie doit avoir ; 2 .° les disposer d’une manière commode et agréable ; 3,° faire que - cet arrangement produise un bel effet, par l’accord des parties entre elles , de sorte, par exemple , que la partie droite ressemble à la gauche ; 4.° que le tout soit bien proportionné ; 5.° que toutes ces parties soient arrangées d’après les règles de la convenance , de la raison et de l’habitude ; 6.° comme on ne peut faire ces choses sans matériaux , il faut qu’on se les procure avec le moins de dépenses qu’il sera possible ; on peut dire , en d’autres termes , que comme tout cela doit se faire dans un espace donné , dont la forme et l’étendue sont arrêtées par les règles de l’art, on doit économiser son terrain , ou pour parler comme Vitruve , sa quantité , de manière que toutes ces parties s’y trouvent placées convenablement dans une grandeur suffisante , et former un ensemble qui ait toutes ses proportions. La connexion de toutes ces choses est donc bien visible. Il est impossible de faire l’ordonnance d’un édifice sans les avoir en même temps toutes présentes à l’esprit. Ainsi j’ai raison de dire que par l’ordonnance , on peut entendre la conception générale de tout l’ouvrage , et c’est assez l’acception qu’on donne à ce mot , lorsqu’il s’agit de l’architecture ; par la quantité , comme nous. l’avons dit , on entend la portion de grandeur que contient chaque partie tant en longueur , largeur , qu’épaisseur. Poür proportionner entre elles et avec le tout , ces parties de différentes grandeurs , on se sert d’une même mesure , qui est une grandeur prise dans une partie de l’ouvrage. C’est presque toujours le diamètre ou le demi-diamètre de la colonne. C’est ce qu’on nomme le module. . De la Disposition. Dans l’architecture , le mot disposition a une signification qui lui est particulière , puisqu’il exprime celte partie de l’art qui enseigne comme il faut placer chaque chose selon sa qualité. Par exemple 20 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. que le fût de la colonne soit sur la base , le chapiteau sur le fut , et 1 entablement sur les chapiteaux , etc. On entend aussi par ce mot , la distribution que l’on fait des différentes grandeurs ou quantités , qu’on dispose de manière qu’elles produisent un effet agréable. Partant, en donnant à ce mot une signification plus étendue, et le prenant dans toute la force du terme , c est la disposition , c est l’arrangement que l’architecte fait , d’après les règles contenues dans ce chapitre , des différentes parties qui doivent composer l’édifice qu’il a conçu, pour ne former qu’un seul tout. On voit que , du temps de "Vitruve , on représentoit, ou on faisoit connoître ses idées à cet égard de trois manières ; c’est-à-dire par trois sortes de plans , qui sont, à quelques différences près, les mêmes que ceux dont nous nous servons aujourd'hui, savoir, par l’ichno graphie , par l’orthographie et par la scénographie. 1. ° L’iclinographie , c’est ce que nous appelons le plan terrestre ou planimélrique, qui représente en petit les fondemens de l’édifice, avec leurs proportions, tels qu’ils doivent se trouver sur le terrain. On les réduit à ces petites proportions par le moyen d’une échelle , ou ligne divisée , dont les parties représentent les mesures dont on se servira pour les tracer sur le terrain , comme toises , pieds , pouces , etc. 2. ° L’orthographie , c’est ce que nous nommons l’élévation géométrale cette espèce de dessin représente en petit une des faces de l’édifice , avec toutes ses proportions réduites par le moyen d’une échelle. Il n’indique aucune épaisseur , et sans le secours de quelques ombres que "Vitruve indique sans doute par les mots modiaque picta qui désignent les parties saillantes , ils ne représentoient qu’une supêrficie plane. Toutes les lignes perpendiculaires de l’édifice, éloignées ou rapprochées du même plan , n’ont toutes pour base qu’une seule ligne droite ; et les lignes horizontales , quoique saillantes, de ce même plan , sont par-tout paralelles à cette même ligne de base. Cette manière de dessiner ne rend pas , à beaucoup près, la nature , aussi bien que la perspective car il est impossible qu’un grand objet , comme un édifice , paroisse à l’oeil tel qu’elle le représente mais elle a deux grands avantages pour l’architecture c’est que d’abord , il est bien plus aisé d’en faire un dessin , que de le mettre en perspective ; ensuite on y trouve toujours ses grandeurs et ses mesures , avantage que n’a pas le dessin en perspective , parce qu’elles y varient à proportion de l’éloignement î. 5.° La scénographie , c’est ce que nous nommons le plan perspective. If fixe la place des objets en supposant l’illusion qui résulte des distances. Par-conséquent il représente les objets visibles comme ils paroissent à l’œil, dans un tableau, que, pour cette fin, l’on suppose transparent et ordinairement perpendiculaire à l’horizon , et placé entre l’oeil et l’objet. Cette représentation se fait en tirant, de tous les points de l’objet jusqu’à l’œil, des rayons qui rencontrent le plan du tableau en des points qui font les apparences ou représentations de ceux de l’objet 2. ^ itruve , dans ce chapitre , a 1res — bien defini la perspective 5 il en parle encore dans l’intro— diction du septième liYie, ou il dit, que Democnte et Anaxagore ont écrit sur ce sujet et démon- 1 Les figures qui représentent l’élévation des temples dans les planches Y , Yll , Y111 , sont des plans orthographiques. 2 Les figores 3 de la planche 1Y , sont des plans scénographiqties ou perspectives. 21 LIVRE I, C H AP. II. tré comme il falloit faire les décorations des théâtres 1 , ce qui prouve évidemment que les anciens en connoissoient les règles. J’ai vu à Parme , dans un des cabinets de l’académie , un tableau peint sur plâtre ; il avoit été scié hors d’un mur des ruines de Velleya_, ville à sept lieues de Plaisance , qui fut engloutie , à ce qu’on croit, quelque temps après le règne de Constantin. Ce tableau représente un jardin décoré de berceaux entreillés. Les règles de la perspective y sont aussi exactement suivies qu’on le feroit de nos jours. Quelques personnes ont prétendu, sans aucun fondement, qu’au lieu de scénographie il falloit lire sciographie ce qui ne peut pas être , car la sciographie veut dire la représentation des ombres, chose que Vitruve a déjà indiquée, en parlant cle l’orthographie , lorsqu’il dit, que c’est un dessin un peu coloré , c’est-à-dire ombré. D’autres ont cru qu’il entendoit par la scénographie , l’espèce de dessin que nous appelons en francois la coupe , que nous avons imaginé pour représenter l’intérieur d’un bâtiment , qu’on suppose pour cela coupé du haut en bas , par un plan perpendiculaire. Rien de ce que dit Vitruve ne semble indiquer cette sorte de dessin. Il est néanmoins de la plus grande utilité dans l’architecture. Il paroît que les anciens n’en faisoient pas usage , à moins que Vitruve ne le comprenne aussi dans l’orthographie. Nous ignorons si les anciens dessinoient leurs plans de la même manière que nous dessinons les nôtres. J’ai tout lieu d’en douter, après avoir vu le plan de la ville de Rome, qui fut trouvé dans le temple de Romulus. Ce plan est gravé sur de grands carrés de pierre liburtine. Il formoit le pavé de ce temple. Les fragmens qu’on en a pu recueillir ont été incrustés dans les murailles de l’escalier qui conduit dans les apparlemens du palais des conservateurs au capitole , où on les voit présentement. M. Jean-Pierre Belloni l’a fait connoître dans un ouvrage qu’il a écrit sur ce sujet , et qu’il a publié depuis quelques années. C’est un plan planimétrique , ou ichnograpliique , comme les appelle Vitruve. Les murs extérieurs et intérieurs des édifices y sont désignés par un simple trait, et les oolonnes par un point ; ainsi l’épaisseur des murailles et autres maçonneries n’y est pas indiquée. Outre ces trois manières de représenter un édifice , les anciens se servoient aussi du modèle en' relief. Pline Liv. XXXV. Ch. 45. dit que les modèles d’Arcésilas Arcesilai proplcismatci se vendoient beaucoup plus cher que ceux des auires artistes , et que Praxitèle ne faisoit aucun ouvrage sans auparavant en avoir fait un petit modèle, en relief. Ce modèle pour l’architecture représente , en petit , la figure de l’édifice avec toutes ses proportions , ^de sorte qu’on le voit en petit tel qu’il sera en grand. On les exécute avec de la cire , du plâtre \ du bois , ou du carton. Cette méthode est de la plus grande utilité pour un architecte , parce qu’elle lui donne la facilité de faire comprendre ses idées aux personnes qui ne commissent pas le dessin , et qui ne sont pas habituées aux plans ordinaires. Ceux-ci sont à la portée de tout le monde , et conviennent beaucoup , sur-tout pour les ouvriers. i Aulugelle parle aussi de la perspective dans ses Nuits Attiques, Liv. XVI, Ch. 22 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Michel-Ange avoit exécuté , de la sorte , le modèle de la chapelle de S.* Laurent , destinée a recevoir les tombeaux de tous les Médicis. J’ai vu ce modèle à Florence , où il est conservé dans cette meme chapelle. Ce grand homme employoit souvent cett© méthode. On m’a dit quil s en éloit servi, entr’aulres , pour l’église de S. Pierre du Yatican. De / ’ Eurythmie. C’ EST dommage que nous avons adopté si lard , dans notre langue , le mot d’eurythmie , qui exprime si bien toute la magnificence de l’architecture. Il est compose des deux mots grecs d’éu et de puôpcc. Eu étoit le cri d’acclamation et d’admiration des Grecs, lorsqu’ils trouvoient quelque chose de beau l. PufycoV appartient particulièrement à l’harmonie; il signifie accord harmonie 3 nombre } justesse 3 rime 3 cadence y en un mot , tout ce qui se fait par un certain ordre , et par une proportion qui donne de la grâce aux choses. C’est comme si 1 on disoit dans 1 admiration en voyant un bel édifice Quel ordre ! Quelle précision ! Quel ensemble ! il exprime l’émotion , le ravissement , en un mot , toutes les sensations qu’éprouve un homme de goût , la première fois qu’il voit un beau morceau d’architecture , tel que la façade du Louvre , ou au moment qu’il entre dans la cour de la basilique de S. Pierre du Yatican. Les anciens entendoient sur-tout par l’eurythmie , le rapport et la ressemblance , que la -moitié d’un bâtiment a avec l’autre moitié , ce qui est imité de la nature , et sur-tout de la figure humaine , d’où l’on a pris toutes les idées de l’architecture ; car, dans l’homme la partie gauche ressemble à la droite. Il en est de même de tous les êtres animés, et même des feuilles et des fleurs. Nous avons , très-improprement , nommé cela symétrie , comme nous allons le voir. Par l’eurythmie , on n’entendoit pas seulement le rapport que la partie gauche d’un bâtiment avoit avec la droite , on entendoit toute espèce de parité ou d’analogie , comme celui que les parties basses avoient avec les hautes ; celles de devant avec celles de derrière , en grandeur , en figure , en hauteur , en couleur , en nombre , en situation , et généralement en tout ce qui peut les rendre semblables les unes aux autres. C’est assez ce que nous nommons régularité , mais il me semble que les mots françois qui conviendroient le mieux pour rendre celui d’Eurythmie , seroient ceux d’accord ou d’harmonie des rapports. De la Proportion . Nous avons adopté dans notre langue , le mot symétrie , mais nous lui avons donné une toute autre acception que celle qu’il doit avoir, et différente de celle qu’il a en grec et en latin car nous appelons symétrie , la ressemblance que la partie gauche d’un bâtiment a avec la droite ; c’est précisément ce que les Grecs et les Latins nomment eurythmie , tandis que par symétrie ils entendent la proportion. Symétrie est composé des deux mots grecs cruv , qui signifie avec et de jxerpov , mètre , mesure ; c’est ce que nous appelons , faire une chose sur , ou avec une même échelle. J’ai donc traduit le mot symétrie par celui de proportion. i Eu ctoit le cri d'acclamation des Bacchantes chez les Grecs , comme Etoe l’e'toit chez les Romains, LIVRE I, Chaï. ii. 2 3 "* • Vitruve se sert aussi du mot proportion mais lorsqu’il s’en sert, il entend ce qu’on appelle en mathématique , Raison , qui est le rapport ou la relation d’une quantité avec une autre. Il existe deux manières de comparer deux grandeurs différentes ; la première , en considérant de combien l’une surpasse l’autre , c’est ce qui s’appelle Raison arithmétique. La seconde en examinant comment l’une contient l’autre, c’est ce qui s’appelle Raison géométrique par exemple , si je considère que 6 surpasse deux de 4 > cette comparaison des nombres 6 et 2 est une -raison arithmétique. Si je considère d’un autre côté que 6 contient fois, cette comparaison est une raison ou rapport géométrique. La première se trouve par la soustraction , et la seconde par la division. Il y a deux termes dans toute raison , soit arithmétique soit géométrique , Xantécédent et le conséquent y l’antécédent est celui qui est comparé à l’autre 5 le conséquent est celui auquel l’antécédent est comparé. Dans l’exemple proposé , 6 est l’antécédent , et 2 est le conséquent. Les proportions viennent des raisons , puisque deux raisons égales forment une proportion par exemple , les raisons arithmétiques de 5 à 3 et de 8 à 6 étant égales , elles forment une proportion arithmétique. La raison géométrique de i 5 à 5 étant égale à celle de 21 à 7 , ces deux raisons forment une proportion géométrique. Ainsi il y a quatre termes dans toutes proportions 5 savoir l’antécédent et le conséquent de la première et de la seconde raison. On voit clairement par les deux passages de Vitruve , où il se sert du mot proportio , qu’il a entendu par ce mot, les raisons mathématiques que nous venons de définir. Dans la première de ces phrases, il dit Ordinatio est modica membrorum operis commoditas , separatirn unipersæque proportionis , ad symetriam comparatio 1J y dans la seconde , il dit aussi Proportio est ratce partis membrorum in omni opéré totiusque commodulatio , ex qua ratio efficitur symetriarum 2. La fin de ces deux phrases prouve évidemment , que par symétrie , il entendoit ce que nous appelons proportion , et que par le mot proportio il entend ce que nous appelons en mathématique une raison , puisqu’il dit que c’est d’elle que vient la symétrie ; c’est pourquoi j’ai toujours rendu Je mot symetria > par celui de proportion , et celui de proportio 3 par le mot françois rapport. Les deux mots , symetria et proportio , se trouvent très-rarement dans les auteurs latins qui nous restent. Pline qui écrivoit 70 ans après Vitruve dit que , de son temps , la langue latine n’avoit pas de terme propre , pour exprimer le mot grec symetria y ce mot étoit donc purement grec du temps de Vitruve , puisqu’il n’étoit pas encore latinise lorsque Pline écrivoit. Ce qui nous prouve de plus , combien peu les arts étoient alors cultivés par les Romains 3 leur langue manquoit de terme propre , pour exprimer une chose sur laquelle reposent, pour ainsi dire , toutes les règles de l’art. Cicéron, pour exprimer la proportion , se sert du verbe commetiri d’où est dérivé commelisus , dont Vitruve se sert dans le premier chapitre du troisième livre. Les artistes appellent encore aujourd’hui proportion dans les ouvrages de l’art l’analogie , ou le rapport d’une grandeur avec une autre 5 cette analogie est fixée par la nature , comme sont celles 1 Vit. Liv. 1. Ch. 2 . nation toute guerrière ne s’occupoit qu’au métier des armes. Les ouvra- • 2 Vit. Liv. 111. Ch. 1 . ges d’art , dans les premiers temps de Borne , y étoient exécutes par 3 Les beaux-arts étoient connus à Rome dès son origine ; mais la des artistes Etrusques ou Grecs. 4 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. qui composent la figure humaine. La tête, disent-ils, est proportionnée avec le corps, la main avec le bras ; celte différence de grandeur entre la main et le bras doit toujours etre la meme dans tous les hommes bien faits , quelle que soit leur taille ; en parlant comme les mathématiciens , ce rapport de la grandeur de la main avec celle du bras , ou de la grandeur de la lele avec celle de tout le corps , ce n’est qu’une raison, puisqu’il n’y a que deux termes, la grandeur de la main qui est l’antécédent, et celle du bras qui est le conséquent. Pour qu’il y ait proportion dans le sens que les mathématiciens donnent à ce mot, il faudroit qu’il y eut deux raisons égalés par exemple, dans tous les hommes bien faits , quelle que soit leur taille , la différence de grandeur entre la main et le bras , entre la tête et le reste du corps , doit toujours être la même. Mais la grandeur de la tête et de tout le corps variera d’après la stature plus ou moins grande de chaque individu , et c’est le rapport de proportion qui se trouve entre un petit homme et un grand, qui forme, suivant les mathématiciens , la véritable proportion ; parce qu’il y a 4 termes , la tête a du petit homme qui est l’antécédent, et son corps qui est le conséquent b, la tête du grand c et son corps d; a b c d. Les artistes distinguent donc deux sortes de proportions. Par la première , ils entendent celle qui se trouve entre le tout et ses parties , et celle que les parties ont entr’elles ; par la seconde , ils entendent celle qui se trouve entre des figures semblables , dont les unes sont plus petites et les autres plus grandes. La première de ces proportions est déterminée par la nature, et par les règles de l’art 5 l’autre est relative. Pline attribue à Euplianor de l’isthme de Corinthe , qui florissoit dans la cent quatrième olympiade 1 , l’invention de la proportion prise dans celte dernière acception n. Pour rendre la chose plus sensible , je vais appliquer aux beaux-arts la définition que je viens de faire. Dans la statue d’un homme , si elle est bien proportionnée , la longueur de la tête qui lui sert ordinairement de module sera égale à la huitième partie de toute la statue. Ceci concerne la première espèce de proportion. Qu’on suppose à présent deux statues , dont l’une a huit pieds de haut, et l’autre huit pouces pour qu’elles soient bien proportionnées l’une et l’autre, il faudra que la tête de celle qui a huit pieds de haut, soit grande d’un pied; et que celle qui n’a que huit pouces, le soit d’un pouce seulement on voit que chacune de ces statues ont leur mesure ou leur échelle particulière , qui sert à mesurer tout l’ouvrage , dont l’une est le pied et l’autre le pouce. 11 en est de même d’une colonne pour que son fût soit bien proportionné ; si elle est ionique , il doit avoir huit diamètres de haut , mais ce diamètre peut être de deux pieds , de trois pieds , etc. Dans le premier cas le fût doit avoir seize pieds de haut, et dans le second vingt-quatre , etc. ; du reste cette définition est assez subtile , puisqu’il y a beaucoup de connesion entre ces mots qui signifient tous deux le rapport d’une grandeur avec une autre. Mais l’une est le rapport de grandeur que les parties ont entr’elles et avec le tout, et l’autre est le rapport de grandeur qui se trouve entre ces mêmes grandeurs et celles d’un ouvrage semblable , qui est fait sur une échelle plus petite nu plus grande. C’est très-improprement que nous avons appelé en françois symétrie , l’égalité et la parité qui se rencontrent entre les parties opposées , ce qui est l’eurythmie. Par exemple si un œil est plus {» Pline, llr- XXXV, Ch. 3G. . 2 pi; ne , Li v . XXXIV , Ch. , 9 . haut LIVRE I, C h a p. iï. liaut ou plus gros que l’autre, si les colonnes sont plus serrées à droite qu’à gauche 3 et si Je nombre et la grandeur n’en est pas pareille , on dit que c’est un défaut d’eurythmie, suivant les anciens, ou de symétrie, comme nous entendons ce mot au lieu que si un chapiteau est plus grand, ou qu’une corniche ait plus de saillie que les règles de l’ordre, dont est la colonne, ne le demandent, c’est un défaut de symétrie, suivant les anciens, ou de proportion, suivant nous. Mais comme nous l’avons dit, la proportion symetria contribue beaucoup à l’eurythmie, puisque la beauté d’un édifice dépend surtout de l’harmonie des rapports qui se trouve entre les diverses grandeurs de toutes ses parties. Le module, comme nous l’avons déjà dit est une mesure prise sur un des membres de l’ouvrage qui sert à le régler en entier ; la tête est le module sur lequel on règle, comme dit Vitruve , les proportions d’une figure humaine. Depuis que l’architecture grecque a repris parmi nous, nous n’avons cessé de prendre pour module le diamètre , ou le demi-diamètre de la colonne. Il paroît aussi que du temps de Vitruve on lui donnoit la préférence ; mais il n’en étoit pas de même dans les plus anciens temps de l’aYchitecture, comme on le remarque aux temples de Pestum la longueur, la hauteur et les autres proportions de ces temples sont réglées, non par le diamètre de la colonne , mais par la largeur même du temple. Vitruve règle aussi les proportions des temples , d’après leur largeur. On verra ci-après, Liv. III. Ch. 3, comment le triglyphe les règle aussi $ et dans le 17. m * Cbap. du X. me livre , on verra comment le trou de la baliste règle ses proportions ; celles des navires chez les Grecs et les Romains se l’égloient d’après leur largeur, ou parla distance qui se trouvoit d’une rame à une autre, qui varioit, à proportion de la grandeur ou delà petitesse de la galère. Le mot grec qui, suivant Vitruve, exprimoit cette distance, signifie deux cubes, soit parce que les bancs, sur lesquels les rameurs étoient assis, avoient la forme d’un cube , soit parce que l’on sup- posoit que la distance qui séparoit deux rameurs qui étoient. sur un des côtés du navire des deux qui leur correspondoienl sur l’autre côté , étoit égale à deux cubes parfaits , placés l’un contre l’autre sur la ligne qu’on suppose le diviser en deux parties égales dans toute son étendue , et dont deux rameurs auroient été placés aux deux angles extérieurs de chacun, contre le bord du navire , tellement que c’étoit d’après la largeur du navire , qu’on régloit la proportion de sa longueur et toutes les autres ; comme encore aujourd’hui, c’est sur le maître bau qui traverse le vaisseau dans toute sa plus grande largeur , qu’on règle ses proportions. On verra ci-après , Liv. IV , Ch. 3 , que les Grecs nommoient le module E’p&âTyg. Ce mot,pris à la lettre, signifie une chose qui marche, qui entre , parce que le module est censé entrer dans toutes les parties , et se promener sur tout l’édifice , •puisque c’est lui qui règle toutes les grandeurs. De la Bienséance. Ln-mot latin décor signifie ce qui convient, ce qui est suivant la décence , l’usage et la coutume, d’où nous avons pris en fèançoisdei mot décorum , qui a le même sens qu’en latin ; on en a pris encore le mot décorer , parce'que décor signifie aussi la beauté, l’agrément qui résulte de la i égularité des traits et de la bonne conformité du corps. Mais en françois, on n’a pas donné à ce verbe un sens aussi étendu que celui qu’il a en latin ; onTa restreint à ce qui concerne l’ordre et l’arrangement qu’on met dans la distribution des, ornemens qui servent à embellir un lieu, un bâtiment , etc. Le mot décoration ne convenoil pas du tout j j’ai donc dû substituer ceux de bienséance ou convenance, 26 L’ARCHITECTURE DË VITRUVE. 1 ~ ~ qui sont plus génériques et qui rendent mieux toute la signification du mot latin. Perrault î avoit aussi traduit par le mot bienséance. ' Toute l’architecture est fondée sur deux espèces de principes , dont les uns sont positifs et les autres arbitraires. Les principes positifs , et desquels on n’a jamais pu s’écarter , sont ceux pour lesquels l’édifice est bâti ; tels que son usage , son utilité , et ceux qui tiennent à son essence et à la nécessité , tels que la solidité , la salubrité , et la commodité une partie de ceux qui contribuent à sa beauté et à l’agrément, telles que les proportions qui ont été prises sur celles du corps humain , sont aussi positifs. Quant aux autres qui forment aussi la beauté de l’architecture , ils sont arbitraires , en grande partie , et ils l’étoient presque tous dans les premiers temps de l’architecture ; ils ne sont devenus stables et invariables que par la longue habitude que l’on a eue de toujours s’en servir et de voir les choses exécutées d’après eux ; cependant plusieurs choses sont restées arbitraires dans l’architecture , comme d’orner de sculpture les différentes moulures , les frises, etc., de creuser ou de ne pas creuser des cannelures dans les colonnes , le choix de différens ordres pour les temples. Lorsque Yitruve dit , que la convenance exige que tout ce qui se voit dans un édifice , y soit tellement correct qu’il ne s’y trouve rien qui ne soit fondé et approuvé par quelque autorité il entend que tout y soit exécuté d’après ces principes. Une partie des premiers sont tirés des lois de la nature ; c’est d’eux que dépend la solidité du bâtiment c’est pourquoi ils sont invariables. Par exemple , il est nécessaire que les parties inferieures soient plus fortes que les parties supérieures , puisqu’elles doivent porter tout le reste , aussi les fait-on plus massives , tels sont les cubes solides des. stylobales qui portent les colonnes , et le fût même de la colonne , qui s’élève dans une proportion plus solide jusqu’au tiers de sa hauteur. Les deux autres sont atténués. L’art imite en cola la nature, puisque les troncs des arbres s’élèvent à peu près dans cette proportion ; ils sont plus gros vers les racines , et diminuent vers le haut, où ils commencent à poitcr des branches. Comme il existe trois manières de bâtir, savoir la solide, la moyenne et la délicate, lesquelles sont parfaitement exprimées par les trois ordres grecs , lorsque dans un édifice on élève plusieurs ordres les uns au-dessus des autres , comme au théâtre de Marcellus , ou au Colisée, le premier qui sert de base à tout l’édifice, et qui doit porter tous les autres, doit être d’ordre dorique , comme le plus solide de tous. Le second doit être ionique , parce que cet ordre lient le milieu entre la sévérité du dorique et la délicatesse du corinthien qui , pour cette raison , doit être élevé au-dessus de tous. C’est ainsi qu’ils sont distribués dans le Colisée, Une autre partie de ces principes est tirée de l’usage pour lequel le bâtiment est destiné ; c’est- la raison et les lois de la nécessité qui les ont dictés. Par exemple les toits doivent être en pente pour l’écoulement des eaux ; et la corniche de l’entablement doit avoir une grande projection en avant pour en garantir les galeries ou les murailles. Le plan d’un temple est autre que celui cl’une basilique , d’un théâtre , d’une habitation , parce que leurs usages sont différens. Ces divers bâtimens se construisent sur des plans qui leur sont particuliers, conformes à leur destination et consacrés par l’habitude ; l’architecte ne peut s’en écarter. Ces différentes formes qu’on donne à chaque espèce d’édifices, n’ont pas été trouvées d’abord ; ce n’est qu’après une longue expérience que les anciens ont connu ce qui étoit le mieux et l’ont approuvé. Il y a toujours la plus grande témérité de chercher a vouloir leur donner une nouvelle forme. II en est de même pour l’entablement que Yitruve LIVRE I, Ch a,p. ii. 27 nomme en latin les décorations de l’architecture elles sont une véritable représentation des parties nécessaires daus la construction d’un édifice , comme Vitruve nous l’apprend , dans le chapitre 2 du livre IV. 6 L’architrave représente une poutre qui seroit posée sur le sommet de plusieurs troncs d’arbres qui sont représentés par les colonnes ; les triglyphes représentent les extrémités des poutres qui portent le plafond , les mutuîes , l’extrémité des forces, etc. Il en est de même pour les proportions. La peinture et la sculpture , qui sont des arts d’imitation , ont trouvé les leurs dans la nature. C’est aussi d’après celle de l’homme , que l’architecture a pris les siennes ; mais elle fut obligée de les chercher par une infinité de raisonnemens et de combinaisons , et ne les a fixées qu’à la suite de l’approbation. Quelques parties , il est vrai, sont restées arbitraires dans l’architecture , comme d’orner ou de ne pas orner, de sculpture, certaines parties mais encore cela est-il soumis à certaines règles car si l’on décore de sculpture certaines parties , il faut alors que d’autres le soient aussi ; et il faut que plusieurs de ces sculptures correspondent entr’elles. Quelques parties de l’architecture ont même un genre de sculpture qui leur est propre , tel que l’ove qui est réservée à l’échine ou quart de rond en un mot , tout dans l’architecture est fondé sur des règles , et ces règles n’ont été établies qu’après des recherches infinies , et une “longue suite d’approbations. Les juges étoient les anciens Grecs nos maîtres , ainsi que ceux des Romains , pour les arts. Ils con- noissoient bien mieux que nous en quoi consiste la véritable beauté ; aussi devons-nous nous en rapporter à ce qu’ils ont trouvé et décidé , et c’est avec raison que l’architecte romain dit , que tout ce qui se voit dans un édifice 3 y doit être tellement correct , qu s il ne s’y trouve rien qui ne soit fondé et approuvé par quelqu 3 autorité. Il veut même que l’habitude soit une loi , et par conséquent qu’on ne transporte pas à un ordre , les ornemens qui sont propres à un autre , parce que , dit-il , on n’est pas accoutumé de voir les choses ainsi. Les plus grands maîtres se sont néanmoins quelquefois écartés de cette règle. Personne ne l’a fait davantage que le Bernin dans la magnifique galerie qui entoure la place de l’église de S.* Pierre du Vatican j les colonnes , qui sont d’ordre dorique , portent un entablement ionique. Les anciens ont aussi pris cette licence, puis qu’au théâtre de Marcellus , il se trouve des denticules au dessus des triglyphes dans l’entablement qui est d’ordre dorique ; cela n’a rien de choquant , et Vitruve a raison de dire qu’il n’y a que l’habitude qui nous fait exécuter exclusivement ces choses. J’ajouterai avec Perrault , qu’accoutumé de voir ces choses ainsi exécutées dans des ouvrages qui ont d’ailleurs tant d’autres beautés fondées sur la véritable raison, on les aime par compagnie. De la Distribution. Il est probable que , du temps de Vitruve , on n’avoit pas encore adopté , dans la langue latine , le mot œconomia y qui est tiré du grec oînoç maison , et de vopoç loi, manière , règle ; de ces deux mots on a fait oînovofuci qui signifie , dans cette langue , le goirvernement et la conduite de la -maison , ou la disposition de quelque chose que ce soit, ou enfin l’économie , dans le sens que nous avons donné à ce mot, en l’adoptant dans la nôtre j c’est dans ce sens que Vitruve s’en sert ici, et il le traduit en latin par celui de distribution. On trouve le mot œconomia 4- ; i 28 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. dans Quinte-Curee , et on sait qu’il écrivoit sous le règne de Vespasien ou sous celui de Claude, par conséquent après Vitruve. Je ne sache pas qu’on le trouve dans ceux qui ont écrit antérieurement. Je ne sais pourquoi Vitruve n’a pas aussi compris sous cet article l’économie du terrain ou l’art de le ménager 5 il l’a compris, il est vrai, dans l’ordonnance, lorsqu’il parle de la distribution de la quantité ; mais on pourroit dire qu’en cela il y auroit connexion entre l’ordonnance et la distribution. Les architectes ne sauroient faire trop d’attention aux conseils qu’on leur donne dans ce chapitre sur le choix et l’emploi des matériaux ; le deuxième livre est entièrement consacré à traiter de cette matière. Malheureusement les maçons de ce pays ne les suivent guère ; non plus que le conseil qu’il donne de laver le sable de mer dans l’eau douce, l’employer cette précaution est^abso- lument nécessaire pour obvier au défaut dont il parle dans le Ch. 4 du Liv. Il, qui est, que le mortier qu’on en fait , ne peut sécher à cause du sel qui s’y trouve , mais qui en sort en le lavant. Il faudroit avoir la même précaution à l’égard du sable que l’on tire de la terre, pour le purger de toutes les parties terreuses j par là le mortier en vaudroit beaucoup mieux le sable le plus pur étant le meilleur. Voyez à cet égard le 4. e Ch. du II. e Liv. . Telle est l’explication que j’ai cru pouvoir donner à ce chapitre qui traite jdes six parties dans lesquelles Vitruve fait consister jxmte la science de l’architecture cette division, comme je l’ai dit, est très - subtile ; il faut toute l’intelligence possible pour les distinguer , à cause de la connexion qu’il y a entr’elles , au point qu’elles semblent ne faire qu’une même chose 5 car elles tendent également au même but , qui est de rendre un édifice parfait dans tous les sens et de toutes les manières. Tous ceux qui ont écrit sur Vitruve , avouent que ce chapitre est des plus difficiles à expliquer. Henri Voton prétend que le texte est corrompu dans cet endroit. Philander l’a trouvé si embrouillé qu’il 11’a pas osé tenter de l’expliquer. Barbaro et Scamozzi ont fait tous leurs efforts pour éclaircir ' ce passage ; ils entrent dans une infinité de distinctions et de subdivisions qui n’éclaircissent pas beaucoup la matière. Barbaro avoit cru en faciliter l’intelligence avec le secours d’une table. Bernardo Galliani en a aussi fait une à son exemple mais je crois qu’il est très-inutile de les copier, d’autant qu’elles ne facilitent pas beaucoup l’intelligence du texte. r / ItVVWIMMMMHMimM/WIMVkVM ». LIVRE I, C h a p. ni. 2t aise. mor- ant. 1 ; ger k\ r élan! us les-j ai dit, i nqui ientent ! raières. iquer, ' ouille aircir eau- ' i rdo tant. ; Des parties de ïarchitecture qui concernent la distribution des édifices publics et particuliers. L’architecture se divise en trois parties , qui sont la construction des bâtimens ; la gnomonique et la mécanique. Il existe deux sortes de constructions celle qui regarde les remparts et les autres ouvrages publics , et celle qui concerne les maisons particulières. Il existe trois sortes d’ouvrages publics ; ils sont consacrés à la sûreté, à la piété , ou à l’utilité du peuple. Les bâtimens, qui sont faits pour la sûreté, sont les remparts , les tours, les portes des villes , et tout ce qu’on invente pour servir continuellement de défense contre les entreprises de l’ennemi. La piété des peuples fait élever , en divers endroits , des temples aux dieux immortels, C’est pour l’utilité du peuple qu’on entreprend tous les édifices qui sont à son usage , comme les ponts , les marchés publics , les portiques , les bains , les théâtres et les promenoirs. Dans tous les édifices , il faut toujours que la solidité , l’utilité et la beauté s’y rencontrent. Pour la solidité , il faut sur-tout s’attacher aux fondemens qu’on doit creuser jusqu’au solide , et les bâtir des meilleurs matériaux qu’on pourra trouver , sans rien épargner. L’utilité veut que l’on dispose l’édifice de manière que rien n’empêche son usage ; que chaque chose soit à sa place ; et que tout ce qui lui est propre et nécessaire s’y trouve. La beauté d’un bâtiment sera parfaite , si les justes proportions de toutes ses parties rendent sa forme élégante et agréable à la vue. REMARQUES . Dans le premier chapitre de ce livre , Yitruve fait connoître toutes les sciences qui contribuent à l’architecture, et qu’un architecte doit savoir. Daps le second, il divise les parties qui la composent j. et dans le troisième il parle des différens arts que devoit exercer de son temps l’architecte , et qui étoient attribués à sa profession. C-’étoit, i. a l’art de bâtir proprement dit ; 2. 0 l’art de faire des gnomons , c’est-à-dire des cadrans ^solaires et des horloges 5 5.° l’art des mécaniques. Je conviens que les divisions , contenues dans ces trois chapitres , sont trè 6 -subtiles ; mais ceux qui ont étudié les anciens Grecs dans l’histoire et leurs ouvrages , ou qui auront même connu les Grecs modernes, n’en seront pas surpris. Ces sortes de subtilités leur sont habituelles», 11 n’y a donc rien d’élonnant qu’un architecte romain, qui avoit puisé toute la science de son art chez les Grecs, n’ait pris un de leurs défauts. 3 o L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. On sera peut-être étonné que la gnomonique , qui n’est autre chose que l’art de faire des cadrans solaires , soit mise au nombre des principaux attributs de la profession de 1 architecte. Mais si on réfléchit combien il est important, dans la vie civile, de connoître comment s écoulé le temps, d après les divisions que nous avons établies, et qu’on n’avoit alors d’autres moyens pour cela, que le secours des cadrans , et celui des horloges à l’eau , ou de sable , on sera persuade que 1 utilité de ce talent lui a fait donner plus d’importance qu’il ne mérite. Quoique Vilruve parle ici de la gnomonique et des mécaniques , comme de deux arts particuliers que doit professer l’architecte , ils doivent aussi etre comptes dans le nombre de ceux qui contribuent à l’archiieciure , et dont elle ne peut se passer, non plus que des autres dont il parle dans le premier chapitre. Il fait voir lui-meme dans le 6. me chapitre de ce livre combien la gnomonique lui est utile , et tout le monde connoît la nécessité des mécaniques pour les machines , du secours desquelles on ne peut se passer pour les constructions. Dans ce chapitre , Yitruve fait encore le sommaire de tout son ouvrage ; il le divise en trois parties , dont chacune contient ce qui concerne un des trois arts que doit pratiquer l’architecte. Ainsi la première regarde la construction des bâtimens ; il en traite dans les huit premiers livres. La seconde , la gnomonique , c’est-à-dire le cours des astres , la confection des cadrans et des horloges alors connues et en usage ; il en traite dans le neuvième livre. La troisième , les mécaniques dont les principes sont applicpiés aux machines de guerre 1 et à celles qui servent à la construction des édifices ; il en traite dans le dernier livre. La partie qui concerne la construction des bâtimens est partagée en deux ? savoir celle des bâtimens particuliers et celle des édifices publics. On trouvera , dans le sixième livre , tout ce qui a rapport à l’habitation des particuliers. Quant aux édifices publics , ce sujet est encore partagé en trois ; l’un appartient aux fortifications ou à la sûreté des villes ; il en traite dans le cinquième chapitre de ce livre j l’autre , à la religion, c’est-à-dire aux temples ; le troisième et le quatrième livre lui sont consacrés. La troisième aux édifices qui sont pour la commodité du public ; il en traite amplement dans les cinquième et huitième livres. x Trois qualités sont encore inhérentes à tous les bâtimens c’est la solidité , l’utilité ou la commodité , et la beauté ; il traite de la solidité dans le onzième chapitre du sixième 'livre 5 de l’utilité dans le septième chapitre du sixième livre ; et de la beauté dans tout le septième livre , du moins, pour tout ce qui regarde les ornemens de peinture et de sculpture. Quant à la proportion , qui est le principal fondement de la beauté , tous les endroits de son ouvrage traitent de cette partie. Nous pouvons ajouter , pour appliquer les termes de l’art , dont Yitruve se sert , que la solidité dépend de la distribution ; la commodité , de l’ordonnance ou de la disposition ; la beauté de 1 eurythmie , de la proportion et de la convenance. Voyez la fin de mes réflexions sur le second chapitre de ce livre. 1 Voyez Plutarque , vie de TirooVoa. LIVRE I, C h a p. iy. 3 c CHAPITRE I V. A .culiers ontij. 5 dans 3 DiqUf eçouK troB itecte, livres, et des mëca- iliers. liions !* on aux wi- oin- .ouiS ,qii lariie. ilidite lé d De quelle manière on peut choisir un local sain . I !JÀ première chose qu’il faut faire, lorsqu’on veut bâtir une ville, c’est de choisir un local sain ; pour cela , il doit être élevé , n être point sujet aux brouillards, ni aux bruines ; avoir une bonne température d’air ; n’être exposé , ni au grand chaud, ni au grand froid ; il doit être éloigné des marais ; car lorsque le vent s’élève le matin du côté où ils sont , il pousse , sur les habitans , les vapeurs que le soleil levant attire des terres marécageuses , et ces vapeurs se-mêlent à l’haleine infecte et vénéneuse des animaux qu’engendrent les marais , ce qui est malsain et dangereux. L’air ne sera jamais sain non plus dans une ville bâtie au bord de la mer , si elle est exposée au midi, ou au couchant, parce que pendant l’été, dans des lieux ainsi exposés , le soleil est fort chaud à son lever , et brûlant à midi ; et dans ceux qui sont exposés au couchant, l’air commence à s’échauffer dès' le lever du soleil, il est chaud à midi , et presque brûlant à son coucher ; ces chan- gemens subits du chaud au froid , nuisent beaucoup à la santé. On remarque même que cela influe sur les choses inanimées ; car puisque personne ne s’avise de faire les fenêtres des celliers qui sont couverts , i du côté du midi , mais bien vers le nord , parce que le ciel , de ce côté , est moins variable ; c’est pourquoi les greniers sur lesquels le soleil darde ses rayons tout le long du jour , ne conservent presque rien dans sa bonté naturelle ; la viande et les fruits ne s’y gardent pas long-temps. Il n’en sera pas de même , si on les enferme dans un lieu à l’abri des rayons du soleil. La chaleur qui ne cesse d’altérer toutes choses , leur ôte leurs forces, par les vapeurs chaudes , qui viennent dissoudre et épuiser leurs qualités naturelles. Le fer même , tout dur qu’il est , s’amollit tellement dans les fourneaux , par la chaleur du feu , qu’il est aisé de lui donner la forme qu’on veut ; il ne retourne à son premier état , qu’autant qu’il se refroidit , ou qu’étant trempé , on lui rende sa dureté. Cela est si vrai, qu’il n’y a personne qui n’éprouve que la chaleur de l’été affoiblit le corps , non-seulement dans les lieux 0 Les anciens avoient deux sortes de cellier , les Constantin , Porphyrogénète , Liv. VII , Ch. 2. de uns couverts et les autres qui ne l’étoient pas ; c’est Agricultura. Il dit que le vin fort doit être conservé pourquoi Vitruve met ici l’épithète tectis. Voyez Pline, dans des celliers découverts, et le vin léger dans des Liv. XIV. Ch. 2i. Voyez aussi l’ouvrage de l’empereur celliers couverts. 32 L’ARCHITECTURE DE Y I T R TJ Y E. malsains , mais même dans ceux où l’air est le meilleur ; au contraire , pendant l’hiver , l’air le plus dangereux n’est pas nuisible , parce que le froid affermit et fortifie. On remarque aussi que les hommes qui passent des régions froides dans les pays chauds , ne peuvent y demeurer sans devenir malades ; au contraire ceux des climats chauds qui vont habiter les froides contrées du nord , bien loin d’éprouver aucun mal de ce changement, s en trouvent beaucoup mieux. Il faut donc avoir l’attention , lorsqu’on choisit un emplacement pour y bâtir une ville , d éviter celui où les vents chauds ont coutume de souffler. Tous les corps sont composés des quatre élémens, que les Grecs appellent sot%six; savoir le feu , 1 eau , la terre et l’air ; de leur mélange , il résulte un tempérament naturel qui fait le caractère de chaque animal. S’il arrive que la quantité nécessaire de l’un ou l’autre de ces élémens soit augmentée , ce qui a lieu, par exemple , lorsque le soleil agit sur le corps ; sa chaleur détruit et dissout alors les trois autres, fait entrer dans les veines, par les pores de la peau , qui sont ouverts , plus de chaleur qu’il n’en faut pour la température de l’animal ou bien lorsqu’une trop grande humidité s’insinue dans les conduits des corps , change la proportion qu elle doit avoir avec la sécheresse , anéantit toutes les autres qualités , qui n’existent qu’autant que l’équilibre se maintient entre elles. L’air trop humide , et agité par le vent, rend aussi le corps de l’homme malade , par le froid qu’il occasionne. La terre détruit de même l’équilibre , en augmentant ou diminuant l’une et l’autre des qualités naturelles du corps humain , ce qui arrive lorsqu’il prend trop de nourriture solide , ou qu’il respire un air trop grossier. Pour bien connoître- la différence des tempéramens, il faut faire attention à celle des animaux , et comparer les quadrupèdes avec les poissons et les oiseaux ; car leur composition est tout-à-fait différente. Les oiseaux ont peu de terrestre , et encore moins d’humide , mais beaucoup d’air , joint à une chaleur tempérée ; cela fait qu’ils s’élèvent aisément dans les airs , n’étant composés que des élémens les plus légers. Les poissons ont une chaleur tempérée , jointe à beaucoup d’air et de terrestre , d’où vient qu’ils vivent aisément dans l’eau , et qu’ils meurent quand ils sont dehors. Les animaux terrestres , au contraire , ne peuvent vivre long - temps dans l’eau , parce que chez eux , la partie aérienne est tempérée par la chaleur , qu’ils ont peu de terrestre , et beaucoup d’humidité. Si , d’après les principes que je viens d’exposer , le corps des animaux est composé de plus ou moins de ces différens élémens , que leur abondance , ou leur défaut soit si nuisible à la santé , U est donc très-important de choisir les lieux les plus tempérés pour y bâtir les tilles , afin qu elles ne soient pas sujettes à leur inlluence. Je ne puis qu’approuver la LIVRE I, € h a p. iv. O '> OJ la méthode des anciens, à cet égard , lorsqu’ils vont oient bâtir ou camper i dans un endroit ; ils faisoîent ayant tout un sacrifice , et prenoient pour victimes les animaux qui y alloient paître habituellement ; ils examinoient leur foie ; si, parmi ceux qu’ils avoient ouvert, ils n'en trouvoieht qu’un certain nombre qui l’eussent livide et corrompu , par l’effet de quelque maladie qui leur étoit particulière , et non par la mauvaise nourriture qu’ils avoient prise , puisque les autres l’avoient sain et entier , par l’usage des bonnes eaux et des bons pâturages , ils y bâtis- soient alors leurs villes ; mais s’ils les trouvoient généralement gâtés et corrompus , ils concluoient qu’il en seroit de même pour celui des hommes ; que les eaux et la nourriture n’étoient pas bonnes dans ce pays-là; ils l’abaüdonnoient de suite, n’appréciant rien davantage que ce qui peut contribuer à la santé. - La preuve qu’on peut connoître la salubrité d’un lieu par la qualité des herbes qui y croissent, c’est ce qui se passe dans les deux contrées qui sont sur le bord du Potheré. dont les eaux coulent entre inossus et Cortine dans l’île de Candie. ; Des animaux paissent à droite et à gauche de cette rivière ; ceux qui paissent près de Gnossus ont une rate , et ceux qui paissent de l’autre côté n’en ont pas. Les médecins ont cherché la cause de cette singularité , et ont trouvé qu’il croît , dans cet endroit , une herbe qui a la vertu de diminuer la rate ; ils s en sont servis depuis pour guérir ceux qui en étoient affectés. C’est pourquoi les Candiots nomment cette herbe WA^oy 2. Ces exemples font voir qu’il existe des lieux , que la mauvaise qualité des fruits ou dés eaux , rend tout-à-fait malsains. On doit cependant faire une exception pour les villes qui sont bâties près des marais ; car l’air n’y est pas , à beaucoup près , aussi malsain , s ils sont près de la mer , et situés au nord de la ville , ou entre le nord et le levant, sur-tout s ils sont élevés au-dessus du niveau de la mer , puisqu’alors on peut faire des canaux et des tranchées , pour faire écouler l’eau des marais dans la mer , et y introduire celle de la mer, lorsqu’elle viendra à s’enfler par les tempêtes. Ces eaux amères, mêlées à celles des marais, empêcheront qu'il n’y naisse aucune espèce de reptiles, et feront mourir tous ceux qui s’y trouvent ; nous en avons l’expérience. Les marais qui 1 On appeloit castra stativa , chez les Romains , le lieu où ils formoient un camp avancé et retranché , pour la garde d’une frontière , ou d’une province nouvellement conquise , dans lequel ils entretenoient pendant très - long - temps des troupes. Voyez Nieuport. Ant. Rom. 2 C’est-à-dire qui consume la rate. On donne aussi à cette herbe le nom arabe de Ceterach et celui de Scolopendre , pax’ce qu’elle ressemble à un ver qui poçte ce nom. 5 34 L'ARCHITECTURE HE VITRUVE. sont aux environs d’Altine i , de Ravenne , d’Aquilée 2 et de plusieurs endroits de la Gaule cisalpine , n’empêchoient pas l'air d’y être très - sain au contraire, lorsque les eaux des marais sont stagnantes , et ne peuvent s e'couler , à 1 aide d’aucune rivière ou fossé , comme sont les marais Pontins , ces eaux n étant pas agitées , corrompent et infectent l’air. Les habitans de Salapie 3, ville très-ancienne de la Pouille, bâtie par Diomède , à son retour de la guerre de Troie , ou comme d’autres croient, par Elphias Rhodien , voyant qu’ils éioient tous les ans attaqués de maladie , à cause que leur ville se trouvoit au milieu des marais de cette espèce, demandèrent à Hostilius , qu’il leur permît de la transporter dans un lieu plus commode et plus sain , tel qu’il voudroit le choisir ce qu’il leur accorda facilement. Après avoir examiné , avec beaucoup d intelligence et de sagesse , un lieu , près de la mer , qu’il jugea fort salubre , avec la permission du sénat et du peuple romain , il y bâtit une nouvelle ville et ne fit payer aux habitans qu’un seul sesterce, pour l'emplacement de chaque maison ; il fit pratiquer ensuite une ouverture à un grand lac , qui étoit près de la ville , pour y introduire les eaux de la mer et le changer en port, de sorte que les Salapiens habitent présentement un lieu fort sain, distant de ' quatre milles de leur ancienne ville. REMARQUES. On voit encore dans ce chapitre combien Vitruve étoit attaché au système des pythagoriciens , et qu’il n’ignoroit cependant pas ceux des autres philosophes. Gette préférence, comme nous l’avons déjà dit, prouve combien il avoit le jugement bon, puisque , parmi tant d’opinions , il avoit su choisir la meilleure. Les anciens philosophes, peu instruits des secrets de la physique , n’en expliquoient les causes que par des qualités occultes, des horreurs du vuide, des sympathies ou antipathies, des antipéris- tases , des attractions , et par une infinité d’autres termes dont l’impénétrable obscurité fait assez voir qu’ils cherchoient moins à découvrir la vérité , qu’à cacher leur ignorance aux yeux du public crédule. Les pythagoriciens n’étoient pas exempts de ces défauts ; c’étoit la maladie du temps ; leur système sur l’harmonie universelle et leur opinion même sur les élémens , que Vitruve rapporte ici, sont de ce nombre , et c’est justement pourquoi nous devons admirer , qu’au milieu de ce chaos d’erreurs , ils aient découvert tant de vérités utiles , comme nous l’avons observé dans 1 Altine , ville très-ancienne dans le Trévisan , à trois lieues au nord de Venise , fut détruite lorsque les barbares du Nord inondèrent l’Italie ; les habitans se retirèrent alors , dans les lagunes , et les îles qui sont aux environs du lieu où Venise a été bâtie. Il ne reste plus qu’une tour de l’ancienne ville d’Altine. 2 Ravenne , située dans la Romagne , et Aquilée dans le ïrioul , étoient deux villes très-anciennes ; elles acquirent le plus grand degré de splendeur et de richesse, après que Constantin eut transporté le siégé de l’empire à Constantinople. La situation d’Aquilée , entre les deux capitales , fit qu’on y abordoit de tous les points de l’empire ; sa population , ses richesses et son étendue accrurent, au point, qu’on l’appeloit la seconde Rome; mais elle a éprouvé le sort des états les plus florissans. En 4 -Sa 1 Attila la saccagea , et en 5 go , les Lombards la ruinèrent de fond en comble. 3 Aujourd'hui Salpi, dans le royaume de Naples. 35 LIVRE I, C h A p. iv. nos remarques sur le second chapitre. Il est probable que la découverte de ces vérités avoit frappé Vitruve , et lui avoit plu , et que cela l’avoit porté à adopter leur système , et en même- temps leurs erreurs. Si ce motif a déterminé son choix , il prouve infiniment à son avantage. Quant aux erreurs qu’il a adoptées en même-temps , on ne peut lui en faire des reproches ; on ne savoit pas mieux alors. Nous avons vu dans les derniers siècles, combien les universités elles-mêmes ont eu de peine à les abandonner , malgré que la vérité leur fût démontrée dans toute son évidence. Vitruve croyoit donc , avec les pythagoriciens , que tous les corps quelconques , soit qu’ils fussent animés ou non , étoient composés de quatre élémens , qui sont , l’air , l’eau , la terre et le feu. Il fait , dans ce chapitre , l’application de ce système aux corps animés ; mais dans le second livre , il l’applique à tous les êtres quelconques, et principalement aux matériaux qu’on emploie dans la construction des édifices. Je me propose , dans le cours de cet ouvrage , d’expliquer , par les principes de notre physique moderne , les différens effets de la nature , dont la philosophie ancienne cherchoil à faire connoître les causes avec ses faux raisonnemens. Si les principes étoient faux , les conséquences qu’ils en liroient ne l’étoient pas moins ; ce n J est pas , par exemple , parce que l’air et le feu dominent dans la composition des oiseaux , ni même à cause de la légèreté de leurs corps qu’ils s’élèvent si aisément ; mais bien par la grandeur et la force de leurs ailes. Cela est si vrai, qu’un coq d’inde qui a de la peine à s’élever de terre , n’est pas plus pesant qu’un aigle qui vole si haut et si aisément, qu’il peut même enlever d’autres animaux avec lui ; il est cependant vrai que la chair et les os des oiseaux sont plus légers que ceux des animaux terrestres. Il tire une pareille conséquence pour expliquer pourquoi les poissons vivent dans l’eau , opinion, qu’il avoit puisée dans Empédocle , et qu’Àristote a réfutée dans le livre où il traite de la respiration. Si les poissons vivent dans l’eau, et ne peuvent vivre long-temps dehors, ce n’est pas à cause des élémens dont ils sont composés , mais parce qu’ils sont conformés pour cela 5 n’étant pas destinés à vivre dans l’air , ils n’ont pas de poumons. Leurs ouïes et leurs branchies leur en tiennent lieu , et sont les organes de leur respiration ; car ils ont besoin d’air pour vivre, et ils sont construits de manière à pouvoir extraire , de l’eau, l’air nécessaire à leur respiration. Les ouïes des poissons sont des espèces de feuillets composés d’un rang de lames étroites, rangées et serrées l’une contre l’autre, qui forment comme autant de barbes ou franges qu’on peut appeler proprement le poumon des poissons. Ces ouïes sont recouvertes d’un couvercle qui s’élève et qui s’abaisse, et qui, en s’ouvrant^ donne passage à l’eau que l’animal a respiré un nombre prodigieux de muscles fait mouvoir toutes ces parties. Le poisson avale l’eau continuellement par la bouche c’est son aspiration c’est dans ce passage que le sang s’abreuve d’air. Le sang qui sort du cœur du poisson se répand de telle manière , sur toutes les lames dont les ouïes sont composées , qu’une très-petite quantité de sang se présente à l’eau , sous une très-grande superficie , afin que , par ce moyen , chacune de ces parties puisse plus facilement , et en moins de temps, être pénétrée de petites particules d’air qui se dégagent de 1 eau, par l’extrême division qu’elles souffrent, entre ces lames. On conçoit que des êtres , si bien organisés pour vivre dans l’eau, ne le sont pas du tout pour vivre dans l’air ; sa chaleur et sa sécheresse détruisent bientôt le froid et l’humidité qui leur est naturelle et nécessaire, sur-tout dans des parties aussi minces que le sont les fibres des branchies; 5 . 36 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. comme elles sont le principal mobile de la circulation du sang , elle se trouve arrêtée , et il faut que le poisson meure. Dans plusieurs contrées de l’Italie , l’influence du mauvais air s’y fait sentir d’une manière bien cruelle. Le teint livide et la figure hâve ou boursoufflée des malheureux habitans , annonce aux voyageurs ces lieux iriforlunés , sur lesquels la mort fait continuellement agir sa faux meurtrière. Certains quartiers de la ville de Rome, entr’autres ceux du Yalican et de la Trinité du mont, ne sont pas exempts de ses funestes effets qui ont rendu presque désertes les plaines qui se trouvent entre Viterbe et celte ville. L’on a vu souvent tous les habitans abandonner leurs villes, et chercher un emplacement plus salubre , pour y en bâtir des nouvelles , et y transporter leur demeure, i Dans un tel pays il est de la plus grande importance , avant d’entreprendre aucune construction d’édifice , de choisir un lieu qui soit sain. Comme Vitruve ne destine pas seulement son architecte à construire des habitations et des édifices publics mais qu’il, veut qu’il soit capable de flàtir des villes entières, ce qui arrivoit plus souvent alors que de -nos jours il s’attache principalement à lui recommander de s’assurer , avant tout, de la salubrité de l’air, comme je viens de le dire. L’effet du mauvais air , en Italie , est tel , que des pays entiers , comme une partie de la çampagne de Rome , sont entièrement dépeuplés. Les vapeurs pestiférées que le soleil lire des eaux croupissantes des marais pontins et que certains vents chassent de ce côté, rendent l’air si malsain, qu’il est impossible d’y demeurer long-temps, sans tomber malade. Tous ceux qpi sont obligés d’habiter ces contrées , sont écrouelleux , sujets aux obstructions et aux fièvres. On ne sauroit franchir , avec trop de rapidité , cet espace où la mort semble avoir établi son empire. Malheur à celui dont la paupière se fermeroit pendant ce dangereux trajet ; elle pourroit bien s’étre fermée pour toujours. L’aspect livide de ceux que le besoin et l’habitude fixent sur cette contrée , atteste assez son insalubrité. Leur existence languissante n’est , pour ainsi dire , qu’une mort plus ou moins prolongée. Aussi , ne reneonire-t-on guère d’autres habitations que celles qui sont destinées au service de la poste , et quelques auberges. Ces marais commencent au pont d’Aslura, où Cicéron fut décapité. Ils régnent le long de la côte jusqu’à Terracine , aux confins du royaume de Naples ; ils ont 2i milles romains d’étendue, c’est-à-dire environ 8 ,lieues de France; en quelques endroits ils ont trois lieues de large; ils sont traversés , dans toute leur longueur, par la voie Appienne. L’origine de leur existence se perd dans, la nuit des temps dès le temps de la république , on les désignoit indistinctement par les dénominations ager pontinus , palus ponüna y et les vingt-trois villes , qui, autrefois , avoient décoré sa surface 1, ne vivoieni plus que dans le souvenir des Romains, Depuis long-temps ils auroient empoisonné Rome, si les vapeurs pestilentielles, qui s’en exhalent, n’eussent été arrêtées par les forêts qui abritent les villes de Cisterra et de Sermonelta. Les empeieuis, les rois, les papes sur—tout, ont fait tous les efîoris, et employé tous les moyens possibles pour rendre à l’agriculture ces vastes terrains; tout, jusqu’à présent,’a été inutile. Le pape Pie VI est cependant parvenu , avec des travaux immenses , à découvrir la voie Appienne qui traverse ce marais , et qui étoit couverte d’eau. Il l’a rendue à son ancien usage. Je l’ai suivie en allant de à Naples. 0 C’est ce qui est arrive' à S. f Lorenzo , près du lac de Bolsène ; sur la montagne, les habitans abandonnèrent l’ancienne ville pour en bâtir une nouvelle 2 Pline , Liv. III. Ch. 5. / LIVRE I, G h a p. H Hère w ère, ^ »esj reni^ *ni*i •.s coDstre; »n ait! paWe princif m de rlle de deseifl 1 malsai liges, d'y roit 1» ur à cefc mée pii Æste ass- oins j» iii serrici fui fe ; ik û ils oi r^ine t désii est 5 S ! 1 îulilO' J ien» f P suivi 4 C H A P I T R E V. Des fondemens des Murs et des Tours. Lorsque, d’après ces principes que je viens d’établir, on se sera assuré de la salubrité d'un emplacement, pour y bâtir une ville , si les autres avantages s’y trouvent réunis , tels que l’abondance des fruits qui peuvent croître dans les environs, pour fournir la nourriture aux habitons; la commodité des chemins, des rivières, des ports de mer , pour y apporter et faire venir toutes les choses nécessaires ; il faudra travailler aux fondemens des tours et des remparts , de la manière suivante. Il faut creuser , s’il se peut, jusqu’au solide , et dans le solide même , autant qu il est nécessaire , pour soutenir le poids des murs , à proportion de leur pesanteur. On emploie , pour les fondemens , la pierre la plus dure qu’on peut trouver , et on leur donne plus de largeur que la muraille n’en doit avoir au-dessus du rez- de - chaussée. * Les tours doivent s'avancer hors des murs , afin que , lorsque l’ennemi s’en approche, celles qui sont à droite et à gauche, lui donnent dans les flancs. Il faut rendre difficile l’approche des murs , les environner de précipices, et faire en- sorte que les chemins , qui conduisent aux portes , ne soient pas droits , mais qu’ils tournent à la gauche de la porte CG ; par ce moyen , les assiégeans présenteront , à ceux qui sont sur la muraille , le côté droit , qui n’est pas couvert du bouclier. La figure d’une place ne doit être ni carrée , ni composée d’angles trop avancés ; sa forme doit être ronde , afin que l’ennemi puisse être découvert de plusieurs endroits. Les angles avancés ne conviennent pas pour la défense, et sont plus favorables aux assiégeans qu’aux asssiégés. ** Il convient que les murailles AA soient assez épaisses , pour que deux hommes armés venant à se rencontrer , puissent passer aisément et sans gêne. Pour consolider cette épaisseur , il faut placer , de travers, de grands pieux d’olivier, un peu hrûlés , mis les uns près des autres, afin que les deux paremens de la muraille ainsi joints , comme par des ciels , et tirants , aient une fermeté qui soit de longue durée ; car les vers n’attaquent jamais ce * Planche l. re fig. i. ** Planche I. re fig. 2. 38 L’ARCHITECTURE DE VÏTRUVE. bois , ainsi préparé , et il ne se corrompt pas , tel vieux qu il puisse eti e ; il peut même demeurer toujours dans la terre et dans l’eau , sans se gâter. Cette pratique doit avoir lieu , non seulement , pour la construction des murs , mais meme pour les fondemens ; et si, pour d’autres édifices que les remparts , on a besoin d’une muraille fort épaisse , il faudra aussi s’en servir ; car par le moyen de cette liaison, ils dureront fort long-temps. * La distance DD entre les tours , doit être tellement compassée , quelle ne soit pas plus longue que la portée des traits de flèche ; afin que les assiégeants , en cas d’attaque, soient repoussés, à droite et à gauche , par les scorpions et les autres machines , qui servent à lancer des traits. Il faut, de plus , du côté de l’intérieur, arrêter le mur à la rencontre de chaque tour , et que l’intervalle EE ** soit de toute l’épaisseur de la tour. Pour communiquer d’un mur à l’autre FF, et traverser ces intervalles , on emploie des solives posées sur les deux extrémités , sans les attacher avec du fer ; afin que si l’ennemi se rend maître de quelque partie du mur , les assiégés puissent ôter ce pont de bois ; s’ils le font promptement , l’ennemi , qui occupe une partie du rempart , ne pourra passer dans les autres qu’en se précipitant du haut en bas. Les tours doivent être rondes , ou à plusieurs pans , parce que celles, qui sont carrées, sont bientôt détruites par les machines de guerre ; les béliers en rompent trop aisément les angles ; tandis que, lorsqu’elles sont rondes, les pierres, dans l’intérieur, étant taillées comme des coins, elles résistent mieux aux coups qui ne peuvent que les pousser vers le centre. Mais rien ne rend ces remparts si fermes , que lorsque les murs , tant des courtines que des tours, sont soutenus par de la terre ; alors ni les béliers , ni les mines, ni toutes les autres machines , ne peuvent les ébranler ; cependant ces terrasses ne sont nécessaires, qu’autant qu’il se trouve quelquéminence assez près des murs, pour que les assiégeans puissent s’en servir , pour entrer de plein pied. *** Pour faire ces terrasses , il faut d’abord creuser des fossés fort profonds et très-larges au fond ; dans ces mêmes fossés, on doit encore creuser les fondemens du mur , auquel on doit donner , en l’élevant, une épaisseur suffisante pour soutenir la terre ; en avant de ce mur , il faut en bâtir un autre GG , à une distance suffisante , pour faire une terrasse capable de contenir ceux qui doivent la défendre , comme s’ils étoient rangés en bataille ; de plus , entre ces deux murs , il est nécessaire d’en élever plusieurs autres HH, qui aillent de l’un à l’autre , disposés comme les dents d’une scie ou * Planche I. re fig. 2, ** Planche l. re fig. 2. *** Planche I. re fig. 2. LIVRE I, C h A p. v. 3 9 d’un peigne ; par ce moyen , la terre séparée en plusieurs parties , par ces petits murs , aura moins de force et de poids pour pousser les murailles. Je ne puis déterminer quels matériaux on doit employer pour la construction des murs , parce qu’on ne les trouve pas par tout, comme on pourroit les désirer ; il faut donc employer ceux qui se rencontreront sur les lieux , soit pierres de taille ou gros cailloux, ou le moelon , la brique cuite ou non cuite. On ne trouve pas, par tout, le bitume en abondance , comme à Babylone , où on l’emploie au lieu de mortier , pour bâtir les murailles de briques ; mais chaque pays produit diffé- rens matériaux , qui ont chacun leurs propriétés ; il ne s’agit que de les choisir , et l’on parviendra à faire des constructions qui dureront à jamais. REMARQUES. La fortification étoit peu de chose dans son origine ; comme on ne craignoit alors que l’insulte des bêtes sauvages et des voleurs , on n’avoit d’autre fortification que de simples haies. Alexandre le Grand trouva les Hircaniens et les Mardiens fortifiés de celle manière 1 et de nos jours encore , les habitans des îles de la mer du sud n’en ont pas d’autres , comme nous l’apprend la relation du capitaine Cook. On se fortifia ensuite de murailles , parce que ces haies étoient faciles à couper. Lorsque l’ambition vint à croître , ceux qui voulurent dominer sur les autres , trouvèrent bientôt le moyen de franchir ces foibles défenses ; on y ajouta encore un fossé ; en faisant ce fossé, on éleva en même- temps un rempart derrière lequel l’assiégé se mettoit pour écarter l’ennemi à coups de traits. L’ennemi ne pouvant surmonter ces obstacles , résolut d’essuyer quelques coups de flèche , de passer le fossé et de se loger au pied de la muraille , d’où l’assiégé ne le pouvoit plus chasser , quelque quantité de pierres qu’il jeta pour l’incommoder ; parce qu’il se couvroit de son bouclier , en le soutenant sur sa tête. Cette manoeuvre obligea ceux du dedans de faire des embrasures dans les murs, pour empêcher, à coups de flèches , que l’ennemi ne les pût attaquer car de quelque côté qu’il vînt , l’arbalète l’incommodoit néanmoins , le pied des murs étoit encore sans défense , et l’ennemi se logeoit entre les deux embrasures les plus proches. On imagina alors de faire des tours rondes, ayant leurs embrasures de tous côtés , qu’on plaça aux extrémités des murs , pour empêcher l’ennemi de se loger dans les embrasures , et pour le battre de flanc , lorsqu’il tentoit l’escalade 5 elles servoient aussi à augmenter le front des assiégés. L’invention des béliers n’apporta aucun changement à la manière de fortifier ces machines ne se mouvoient qu’à force de bras, et ceux qui les servoient étoient assez éloignés du mur , pour être vus de flanc par les deux tours voisines de celle qu’on ébranloit. II n’existoit pas d’autre fortification du temps de Vilruve 5 il en développe tous les principes dans ce chapitre 5 elle n’a guère changé jusqu’à l’époque de la découverte de la poudre à canon qui occasionna une révolution générale , et changea absolument le système des fortifications. Avant cette époque , des murailles un peu épaisses suffisoient pour résister aux efforts 1 Quinte-Curce ? Liv. VI. Ch. 5. \ 40 L’UICIUTECTURE DE V I T R U V E, des béliers , et des autres machines de guerre de simples tours , dont étoiènt flanquées ees murailles , et d’où l’on lançoit des flèches sur les assiégeans, empêchoient l’approche. En i38o , sous le règne de Wenceslas, fils de Charles IV , un religieux de 1 ordre de S. 1 François } nommé Berthold Schwartz , de Fribourg en Brisgau , trouva, dit-on , la poudre à canon, en cherchant , par la chimie, la pierre philosophale il en montra le premier usage aux Yéniliens, qui étoient alors en guerre avec les Génois. Pour battre les places , on inventa les canons , dont l’exécution furieuse renversoit et foudroyoit ces foibles murs. Ceux qui se virent attaqués avec ces étonnantes machines , furent obligés de mettre un bon rempart derrière leurs murailles , et de faire ces mêmes murailles beaucoup plus épaisses qu’auparavant. Cette manière de fortifier auroit subsisté long -temps ; mais elle avoit un défaut essentiel les tours rondes avoient un endroit en forme de triangle qui ne pouvoit être vu de ceux du dedans, et que l’ennemi affectoit de battre , parcequ’il étoit à l’abri du feu de la mousquelerie , et elierclioit à s’y loger à couvert des coups de l’assiégé , qui ne pouvoit le voir dans cet endroit. Us y ouvroient des chemins couverts , pour pénétrer dans la place , ou ils y pratiquoient des mines. Pour obvier à ce défaut, on remplit cet endroit défectueux de bonne terre , laquelle étant soutenue par un bon mur , formoit deux pointes qui regardoient la campagne , comme aujourd’hui les faces d’un bastion , et couvroit cet endroit. , ** L’ennemi alors commença, avant toute autre chose , par attaquer ces deux faces, de manière que l’assiégé se vit obligé d’ajouter encore des flancs à ces faces , pour meure des canons dessus , et empêcher que l’ennemi ne fît plus tant de mal aux faces. C’est de celte manière que les bastions furent inventés et remplacèrent les tours. - Pour consolider les murailles, Yitruve conseille de placer , de distance en distance, plusieurs rangs de pièces de bois d’olivier qui la traversent de part et d’autre ; celte manière de bâtir étoit en usage dans les plus anciens temps. C’étoit ainsi qu’étoient bâties les murailles du parvis du temple de Salomon. 1 César dit que les Gaulois bâtissoient ainsi leurs murs. Ceux de Persépolis étoient aussi traversés de pièces de bois de cèdre , ce qui fut cause , suivant Quinte-Curce , qu’il fut plutôt réduit en cendres , lorsqu’Alexandre , noyé dans l’ivresse , fit brûler cette superbe ville , par complaisance pour une courtisane. 2 Comme l’observe très-bien Galliani, il n’existe aucun fragment de tours antiques, qui offre quelques secours , pour faciliter l’intelligence du passagë de Yitruve , où il parle de leur construction. Tous les monumens antiques de ce genre , qui existent encore , sont antérieurs ou postérieurs au temps où écrivoit Yitruve. Les plus anciens de tous, sont les murs de clôture du carré de la ville de Pestum , avec les quatre tours des angles ; ils ne ressemblent en rien à ce que dit Yitruve ; mais ils sont d’une antiquité si reculée et si éloignée des temps où écrivoit notre auteur , qu’ils ne peuvent servir d’exemple. Galliani critique beaucoup le plan et la description que Perrault a donnés des j Liv. des Rois. Liy. 111. Ch. 6. v. 36. î Quinte-Curce , Liv. Y. murs LIVRE I, Coap. u . 4^ les fortifians. Ces maladies , causées par le froid , sont les plus difficiles à guérir ; leur longue durée diminue les forces des malades auxquels les vents sont extrêmement contraires , parce qu’en épuisant leurs forces et en exprimant , pour ainsi dire, les sucs de leur corps affoibli, ils les exténuent de plus en plus ; au lieu qu’un air plus doux et plus grossier , qui n’est pas agité , les fortifie , les nourrit , et rétablit leurs forces. * Plusieurs personnes ne comptent que quatre vents , qui sont ; le Solanus , qui souffle du côté du levant ; l’Euster du côté du midi ; le Favonius du côté du couchant ; et le Septentrion du côté du nord i. Ceux qui ont fait plus de recherches sur les vents , en ont trouvé huit ; particulièrement Andronic Cyrrhestes 2 , qui fit bâtir pour cela, à Athènes , une tour de marbre , de figure octogone ; chacune de ses faces représentait l’image d’un des vents , à l’opposite du lieu d’où il souffle ordinairement ; et sur la tour, qui se terminoit en pyramide , il plaça un triton d’airain , qui tenoit une baguette à la main. La machine étoit ajustée de manière , que , le triton tournant, se tenoit toujours opposé au vent qui souffioit, et l’indiquoit avec sa baguette. Les quatre autres vents sont, l’Eurus , qui est entre le Solanus et l’Auster au levant d’hiver ; Africus , entre Auster et Favonius, au couchant d’hiver ; Caurus , que plusieurs appellent Corus , entre Favonius et Septentrion ; l’Aquilon , entre le Septentrion et Solanus 3. On a imaginé ces noms pour désigner le nombre des vents et des régions d’où ils viennent. Cela ainsi établi , voici ce qu’il faut faire , pour trouver les points des régions d’où viennent les vents. * On posera , de niveau , une table de marbre, au milieu de la ville * ou bien, on applanira le terrain , en le nivelant, et on le rendra bien uni, en le polissant avec la règle. On placera dans le milieu un style d’airain, pour marquer l’ombre du soleil. Les Grecs appellent ce style tnue&tpaq 4 5 il faut observer son ombre , avant midi, vers la cinquième heure du jour , et en marquer l’extrémité par un point de ce point, il faut tracer, avec le compas, un cercle dont le style soit le centre ; on observera ensuite l’ombre , après midi ; lorsqu’en croissant ; son extrémité aura atteint la ligne circulaire , et qu elle aura , par conséquent, fait une ligne pareille à celle du matin , on marque aussi son extrémité par un second point de ces deux points , on trace , avec le compas, deux lignes circulaires , qui * Planche II. me fig. i. 3 Sud-Est, Sud-Ouest, Noid-Ouest, Nord-Est. 1 C’est-à-dire, les vents à'Est, Sud, Ouest, et Nord. * Planche II. tne fig. 2 . 2 Vitruve l’appelle Cyrrhestes, et Varron le nomme 4 C’est-à-dire qui trouve Vombre. Cyprestis. lie re rust. Liv. III. Ch. 5. 6 . 44 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. s’entre-coupent, du point de cette intersection , on tire , par le centre , une ligne qui désignera le midi et le septentrion. On prendra, apres cela , la seizième partie de toute la circonférence de la ligne circulaire, qui est autour du centre du style, et Ion marquera cette distance , à'droite et à gauche du point, où la ligne du midi coupe la ligne circulaire, on en fera autant au point où la même ligne coupe le cercle vers le septentrion; et de ces quatre points on tirera des lignes, qui, s'entre-coupant au centre , iront d’une des extrémités de la circonférence à l’autre, cela marquera, pour le midi , et pour le septentrion , deux huitièmes parties ce qui restera aux deux côtés de la circonférence , sera partagé chacun en trois parties égales , afin d’avoir les huit divisions pour les vents. Il faudra donc tirer les alîgnemens des rues entre ces deux divisions ; par ce moyen , on n’y sera point incommodé par la violence des vents car si les rues y étoient directement opposées, leur impétuosité, qui est déjà si grande dans l’air libre et ouvert, augmenteroit beaucoup , renfermée dans des rues étroites. C’est pourquoi on disposera les rues de manière que les vents donnent sur les angles que forment les grouppes des maisons, afin qu’ils se rompent et se dissipent. On s’étonnera peut-être, que nous ne comptions que huit vents ,, i tandis qu’il en existe un bien plus grand nombre qui ont chacun leur nom ; mais si on considère qu’Eratosthène de Cyrêne, avec le secours du gnomon et des ombres équinoxiales , par les observations qu’il fit , en différens endroits , où l’inclinaison du pôle n’est pas la même, trouva , par les règles de la géométrie, que le tour de la terre est de deux cents cinquante-deux mille stades 2 , qui font trente-un millions cinq cents mille pas , et que la huitième partie de cette circonférence de la terre , qui est la région d’un vent, est de trois millions neuf cents trente-sept mille cinq cents pas; on ne sera pas étonné qu’un même vent qui occupe un si grand espace , paroisse en former plusieurs , à mesure qu’il s’avance vers un point, ou qu’il s’en éloigne. C’est pourquoi le vent * Auster 1 a, à droite et à gauche, les vents Euronolus 2 et AltciTius 3 ; aux cotes d Africus 4 sont Libonotus 5 et Subçôspsrus 6 ; aux côtés 1 Pline parle des difl'érens vents, à-peu-près comme Vitruve , Liv. IL Ch. 47- où il les nomme tous. ’ 3 Le Stade étoit une mesure de cent vingt-cinq pas, puisque huit stades faisoient mille pas. C’est-à-dire un mille. Ainsi 252,ooo stades multipliées par 125, produiront 3i,5oo,ooo pas , ou bien 3i,5oo milles, c est par •erreur que Perrault a traduit trecies par trois cent. Voyez, les remarques à la fin de ce chapitre. * Planche II.™ 1 * 3 * * 6 fig. r. re 1 Sud. 2 Sud , tiers de Sud-Est. ' 3 Sud , tiers de Sud-Ouest'. 4- Sud-Ouest. 5 Sud-Ouest, tiers de Sud. 6 Sud-Ouest, tiers d’Ouest. LIVRE I, C h a p. v. 4i murs et des tours des anciens -, parce que, dit-il, Perrault suppose des tours, de forme circulaire , qui sont élevées contre les remparts. Il préfère les plans qu’en ont donné • Barbaro et Caporali, qui supposent des tours 6 emi-circulaires et à pans , v. fig. 2 , pl. I. j ce qui est, suivant lui , plus conforme à ce que nous voyons dans les moiïumêns antiques. Vitruvé parle ensuite des matériaux nécessaires pour la construction des murs des villes; on doit, dit-il , employer ceux qu’on trouve sur les lieux , sans en faire venir de loin. Il paroît regretter qu’on n’ait pas , par-tout, du bitume qu’on a employé au lieu de mortier , pour bâtir les murs de Babylone. Dans le troisième chapitre du huitième livre , il dit , que ces murs furent élevés par Sémiramis. Babylone lacus amplissima magnitudine 3 qui Limne Asphaltis appellatur , habet su* pranatans liquidum bitumen , quo bitumine 3 et latere testacero structù muro Sémiramis cir- cumdedit Babylonem^ Les bitumes sont des matières huileuses et minéralisées , qu’on rencontre dans le sein de la terre , sous une forme fluide , et nageant quelquefois, à la surface des eaux , ou sous une forme tantôt molle , tantôt solide , et plus ou moins concrète. On met au rang des bitumes solides , le succin , le jayet ou jais, l’asphalte , et le charbon de terre ; et au nombre des bitumes liquides , l’huile de pétrole ou de pierre et le naphte. Le bitume , dont parle ici Vitruve 3 est l’asphalte , ainsi nommé , parce qu’on, en lire beaucoup du lac asphaltique , ou mer morte en Judée. Tacite en parle dans le V. e Liv. de son histoire ; c’est une substance pesante , solide , friable , d’une couleur brune et même noire , brillante , d’une odeur bitumineuse , sur-tout > lorsqu’on l’a échauffée ; elle s’enflamme aisément , et se liquéfie au feu. Il s’élève du fond des eaux de la mer morte , et il en surnage beaucoup sur sa surface. Tacite rapporte que ceux qui sont chargés de le ramasser , en prennent une partie avec la main , et la tirent jusques sur le'tillac , sans qu’elle se détache de la masse qui suit d’elle-même , en sorte qu’il n’est pas besoin d’aucune autre opération. Quand le vaisseau est chargé, on arrête celte traînée , non en la coupant avec le fer ou l’airain, ce qui ne seroit pas possible ; mais on emploie , pour l’interrompre , quelques vêtemens teints du sang que rendent les femmes , dans le temps de leurs règles. Tacite , Liv. Y. Dans les connnencemens , il est moins visqueux et très-tenace ; mais il s’épaissit avec le temps , et acquiert plus de dureté que la poix sèche.’ Lorsqu’il est encore liquide, les Arabes le ramassent pour goudronner leurs vaisseaux. On trouve aussi , dans le sein de la terre , des mines d’asphalte ou de bitume. M. De la Sablonière en a trouvé une près de Neuchâtel en Suisse ; on en connoît une autre dans la basse Alsace. La mine de bitume de Neuchâtel se fond au feu ; en y joignant une dixième partie de poix , on en forme un mastic impénétrable à l’eau. En 1745 le principal bassin du jardin du roi, a été réparé avec ce mélange , et depuis ce temps , il ne s’est point dégradé. C’est avec ce mastic que l’on a réparé les bassins de Versailles , Laione l’arc de triomphe , ainsi que le beau vase blanc , sur lequel est en relief le sacrifice d’Iphigénie. C’est aussi avec un mastic de bitume qu’on remplit, à Naples , les jointures des pierres plates qui composent les plates-formes qui couvrent les maisons de celle ville , au lieu de toits. 6 4 2 L. ARCHITECTURE DE V I T R U V E. CHAPITRE VI. 'Je In distribution et de In situntion des bntimens, i/ui se trouvent dnns l intérieur des Villes. Xj’enceinte de mur achevée , on trace l’espace que doivent occuper les maisons; on prend l’alignement des grandes rues, et des plus petites. Pour bien les disposer, il faut sur-tout éviter quelles ne soient dirigées vers les vents dominans , parce que leur souffle est toujours nuisible ; s’ils sont froids , ils blessent ; s’ils sont chauds, ils corrompent tout ; et s’ils sont humides , ils nuisent. Il faut éviter de pareils incon- véniens ; ils se font trop sentir dans plusieurs villes ; particulièrement à Mitylène, dans l île de Lesbos ; les bâtimens y sont beaux , et même magnifiques , mais disposés avec si peu de prudence , que le vent du midi y cause souvent des fièvres, et celui du nord-ouest la toux ; tandis que celui du nord , qui guérit ordinairement ces maladies , est si froid qu’il est impossible de demeurer dans les rues lorsqu’il domine. Le vent n’est autre chose que le flux de l’air , agité d’un mouvement plus ou moins violent. Il est produit par la chaleur, qui agit sur l'humidité son action impétueuse en fait sortir le souffle du vent. L’expérience qu’on fait avec les œoli- pyles i d’airain , prouve , on ne peut pas mieux , ce que j’avance ; les effets de ces machines artificielles nous découvrent clairement, quelles sont les causes cachées qui agitent les airs au-dessus de nous. Les œolipyles sont des vases creux , faits de bronze ; ils n’ont qu’une très-petite ouverture , par laquelle on les remplit d’ean. Ces vases ne poussent aucun air , s’ils ne sont pas échauffés ; mais placés devant le feu , aussitôt qu’ils éprouvent la chaleur , il sort par l’ouverture un vent impétueux ; cette petite expérience démontre des vérités importantes sur la nature de 1 air et des vents. Les lieux qui sont à l’abri des vents contribuent non - seulement à conserver la santé de ceux qui se portent bien , mais cette bonne température guérit bientôt les malades , qui ne pourroient l’êlre partout ailleurs , qu’avec le secours des remèdes. On remarque , au contraire , que les maladies , les plus difficiles a guérir , sont tres-fréquentes , dans les lieux inlempérés dont nous venons de parler ; tels sont les rhumes , la goutte , la toux , la pleurésie , la phthisie , le crachement de sang et autres , qui ne guérissent pas par les évacuations , mais par i C’est-à-dire, ouverture pour le vent. LIVRE I, Chap. yi. 47 l’air que contient l’eau est très condensé , et la chaleur le dilate au point, qu’il lui faut une place, plusieurs milliers de fois plus grande que celle qu’il occupoit étant comprimé par le froid -, c’est ce qui fait qu’il sort avec force par l’ouverture de l’oeolipyle. Il en est de même pour les vents. A mesure que le soleil échauffe une partie de l’athmosphère , où l’air est plus ou moins condensé par le froid , cet air , ainsi dilaté , chasse , en s’étendant , l’air plus éloigné , ce qui cause le souflle du vent. Nous ne pouvons pas traduire tous les noms que les Grecs et les Latins donnoient aux différens vents , par ceux que nous leur donnons aujourd’hui. Les anciens , comme le dit Yiiruve , n’en dis- tinguoient que vingt-quatre ; tandis que nous en comptons jusqu’à trente-deux. Leurs huit principaux vents correspondent avec les nôtres ; il n’en est pas de même des autres par exemple entre l’Est et le Nord-Ést les anciens ne distinguoient que deux vents , Boreas et Carbcis y par conséquent ils ne divisoient qu’en trois parties égales , l’espace qui se trouve entre l’Est et le Nord-Est. Nous autres nous y distinguons trois vents, et par conséquent nous les divisons en quatre. La I. re fîg. de J a II mo planche fait connoître les noms et la situation des vents suivant les Grecs et les Latins, et aussi ceux que nous leur avons donnés , d’après leur situation dans les divisions de la rose et de la boussole. Eralosthène , garde de la bibliothèque d’Alexandrie, sous le règne de Ptolomée-Evergète , entreprit de calculer le nombre des stades , ou mesures de 125 pas , à cinq pieds le pas , qui pouvoient entrer dans le circuit de notre globe , et il eut la gloire d’approcher de la vérité. Il savoit qu’au solstice d’été , le soleil passoit par le point vertical de la ville de Sienne , située aux confins de l’Egypte et de l’Ethiopie, sous le tropique du cancer. Il y avoit, à Sienne, un puits construit pour cette observation , qui , sur le midi du jour du solstice , étoit par dedans tout éclairé du soleil, placé perpendiculairement au-dessus 1 . Il étoit notoire, qu’à i5o stades à la ronde , les styles élevés à plomb , sur une surface liorisontale , ne faisoienl point d’ombre 2 . Ayant supposé Alexandrie et Sienne , à-peu-près, sous un même méridien , ou sous une même ligne tirée d’un pôle à l’autre, il observa , à Alexandrie , au jour du solstice , la distance du soleil au point vertical, par l’ombre d’un style élevé à plomb du fond d’une demi-sphère concave. Si ce style n’avoit point fait d’ombre, c’est parce que le soleil auroil été à plomb au-dessus. Il pouvoit donc juger de la distance du sommet de l’ombre , à l’égard du pied du style. Il trouva que cette distance étoit la cinquantième partie de la circonférence d’un cercle entier d’où il conclut que , comme le soleil alors perpendiculaire sur la ville de Sienne , étoit distant du point vertical , d’Alexandrie , de la cinquantième partie de la circonférence de tout le ciel , Alexandrie étoit distante de Sienne de la cinquantième partie de la circonférence de la terre. Il étoit aisé après cela de savoir la distance de ces . deux villes , et de la répéter cinquante fois. Ayant donc supputé cette distance de cinq mille stades , il trouva la circonférence terrestre , de deux cent cinquante mille stades ; qui , réduites en lieues communes , à vingt-quatre stades chacune , font dix mille quatre cent seize lieues et seize stades. C’étoil déjà beaucoup approcher de la supputation des modernes , selon laquelle on trouve le circuit de la terre d’un peu plus de gooo lieues communes. Les anciens philosophes ne sont pas d’accord entr’eux , sur la mesure qu’ils assignent à la cir- ? timbras nusquam Jlcdente Sjene. Phars. de Lueain , Liv. 11. v. 58;. 1 Pline, Liv. 11. Ch. 63. 48 l’ARCHITECTURE DE VI TRtJVE. conférence du globe. Hipparque , suivant Pline , lui donne 53 o 62 5 mille ; Possidonius 3oooo j Ptolomée 225oo ; Alfragan et Tebitius 2o5oo. Philander croit que la cause de cette variété vient de la différence des pas dont ils se sont servis. Tellement, dit-il, que les uns étoient de deux pieds.; d’autres de deux pieds et demi ; d’autres de trois, pieds ; d’autres de quatre ; d’autres de cinq. d’autres enfin de six. Yitruve nous apprend qu’il avoit placé deux figures , à la fin de ce livre , l’une qui indiquoit la direction des vepts , et l’autre la manière d’éviter, que les rues ne se trouvassent dans leur direction ; ces figures , non plus que toutes celles qu’il annonce se trouver à la fin de chaque livre , ne sont pas parvenues jusqu’à nous ce que nous devons beaucoup regretter. Comme tous ceux qui ont traduit Yitruve avant moi, j’ai tâché d’en faire d’après le texte ; si elles ne ressemblent pas à celles de Yitruve, du moins elles en faciliteront Pintelligence. Yoyez la première et la deuxième figure de la seconde planche. Les interprètes ne sont pas d’accord , ni sur le nombre des rues , ni sur la figure que Yitruve a voulu donner à celte ville. J’ai copié celle de Galiani; comme lui , je l’ai fait octogone, et réduit, à huit, le nombre des grandes rues. La diversité d’opinions, pour le nombre des rues, vient, comme l’observe Philander , de ce que souvent chez les Piomains , lorsqu’on mettoit des lettres qui indi- quoient des nombres moindres, avant une lettre qui en indiquoit un plus fort, il falloit retrancher, de ce dernier nombre , celui irfdiqué par les lettres précédentes ; comme dans le texte de Yitruve , le nombre huit est ainsi indiqué IIX , ils ont donc ôté deux de dix. Philander rapporte plusieurs inscriptions trouvées à Rome et ailleurs , où les nombres sont indiqués de la sorte. Il suit de là , que les ôopistes auront aisément marqué XII au lieu de IIX. %/VWVVVV\VVVVVV>VVVVVVVVVVV\' tw Wf\ LIVRE I, C h a p. vi. 45 de Façonicus 7 sont Argeste 8 et les Etesiens 9 qui soufflent en certains temps de l’année ; autour de Caurus 10 , sont Circius u et Corus 12 ; aux côtés de Septentrio i 3 , sont Thrascias i 4 et Gallicus i 5 ; à droite et à gauche d’ Aquilon 16, sont Supemas 17 et Boreas 18; auprès de Solanus 19, sont Carbas 20, et en certains temps les Ornithies 21 ; et enfin , aux côtés d 'Eurus 22 , sont Cœcias 23 et Vulturus 24. Il existe encore une infinité d’autres vents qui portent le nom des terrés, des fleuves et des montagnes d’où ils viennent. On peut y ajouter ceux qui soufflent le matin , produits par les rayons du soleil, qui frappe rhumi- dité que la nuit répand dans l’air ; ils viennent ordinairement du vent Eurus , qu’il paroît que les Grecs ont nommé Spoç, à cause que les vapeurs du matin les, produisent. C’est aussi à cause de ces vents , qu’ils ont appelé mptov le jour du lendemain. Quelques personnes nient qu’Eratosthène eût pu trouver la véritable mesure du tour de la terre ; mais que son calcul soit exact ou non , cela n empêche pas que notre division des régions des vents ne soit bonne. Il suffit de savoir que les vents ne se ressemblent pas , et qu'ils sont plus ou moins impétueux. Comme je me suis expliqué peut-être trop brièvement pour être bien compris, j’ai cru qu’il ronvenoit de mettre, à la fin de ce livre, une de ces figures que les Grecs appellent , plan raccourci et cela pour deux raisons ; la première , pour marquer précisément les régions d où les vents partent ; la seconde, pour faire con- noître la façon de diriger les rues, pour que le vent ne puisse incommoder. * On marquera sur une table, bien unie, le centre A ; et l’ombre que le gnomon fait, avant midi , sera aussi marquée au droit de B ; et posant au centre A , une branche du compas, 011 étendra l’autre jusqu’à B, d’où on décrira un cercle ; et ayant remis le style dans le centre où il étoit, on attendra que l’ombre décroisse , et qu’en- suite recommençant à croître , elle devienne pareille à celle d’avant midi , ce qui 7 Ouest. 8 Ouest, tiers de Sud-Ouest. 9 Ouest , tiers de Nord~Ouesi. 10 Nord-Ouest. + n Nord-Ouest, tiers d’Ouest. 12 Nord-Ouest, tiers de Nord. Ci 3 Nord. 4 Nord, tiers de Nord-Ouest. i 5 Nord, tiers de Nord-Est. iG Nord-Est, 17 Nord-Est, tiers de Nord. 18 Nord-Est j tiers d’Est. 19 Sud-Est. 20 Sud-Est i tiers d’Est. 21 Sud-Est, tiers de Sud. 22 Est. 23 Est, tiers de Nord-Est. 24. Est , tiers de Sud-Est. * Planche II. me fig. 2. 46 I, ’ A R C I T E C T U R E DE VITRUVE. arrivera, lorsqu elle touchera la ligne circulaire au point C ; et alors, il faudra , du point B et du point C , décrire avec le compas deux lignes qui s’entre-coupent à D, duquel point D on tirera , par le centre * une ligne marquée EF , qui montrera la région méridionale et la septentrionale ; après quoi on prendra , avec le compas , la seizième partie du cercle , et mettant une branche au point E , qui est celui par lequel la ligne méridienne touche le cercle , on marquera avec 1 autre branche , a droite et à gauche , les points G et H ; et tout de même dans la partie septentrionale , mettant une branche du compas sur le point F , on marquera , avec l’autre, les points f et K, et on tirera des lignes de G à K et de H à I, qui passeront par le centre ; de sorte que l’espace, qui est de G à H, sera pour le vent du midi, et pour toute la région méridionale ; et celui de 1 à K sera pour la septentrionale ; les autres parties qui sont trois à droite, et autant à gauche, seront divisées également ; savoir celles qui sont, à l’orient, marquées LM, et celles qui sont, à l’occident, marquées N et O ; et de M à O , et de L à N, on tirera des lignes qui se croiseront; et ainsi on aura , dans toute la circonférence , huit espaces égaux pour les vents. Cette figure achevée , on trouvera , dans chaque angle de l’octogone , une lettre , savoir entre Eurus et Auster la lettre G , entre Auster et Africus H , entre Africus et Favonius N , entre Favonius et Caurus O , entre Caurus et Septentrio K , entre Septentrio et Aquilo I, entre Aquilo et Solanus L, entre Solanus et Eurus M. Le tout terminé de la sorte, on pose l’équerre entre les angles de l’octogone O A H, KAN, pour marquer l’alignement et la division des huit grandes rues et de toutes les petites. R E M A RQ UES. Ce que Yitruve rapporte sur la cause des vents , prouve , de nouveau, combien il avoit le jugement bon , puisqu’au milieu de tant de systèmes faux , il choisissoit toujours ce qui approchoit le plus de la vérité. Les lumières des anciens, tant en physique qu’en histoire naturelle, n’éloient pas aussi étendues que les nôtres ; parmi un grand nombre d’erreurs , il se trouvoit cependant quelques parcelles de vérité , mais il falloit infiniment de génie pour pouvoir les saisir. On peut voir , dans le 54. me Chapitre du deuxième Livre 4e Pline , toutes les idées des anciens sur l’origine des vents. Yitruve suppose que le vent n’est autre chose que l’air mis en mouvement. Sénèque se sert d’une comparaison très-ingénieuse pour exprimer cette pensée. La différence qui existe, dit-ilentre l’air et le vent, est la même que celle qui existe entre les eaux d J un fleuve et celles d’un lac. î Yitruve ajoute ensuite , que c’est la chaleur qui fait sortir l’air de l’humidité , ce qui produit le vent. Pour le prouver , il cite l’expérience qui se fait avec les œolipyles d’airain. II n’avoit plus qu’un pas à hure pour découvrir la raréfaction de Pair. Lorsqu’on ceolipyîe rempli d’eau sur un feu ardent, i Hue interest inter aéra et fentum , qvnd inter lacum et /lumen, Senec. quest. nat. Liv. V. LIVRE I, C H A P. y h. 49 fi M te n% l’autif. tpaiif fit pou autre; savoi- iquée fit aiii lettre J Afirici! , ente i tout [AS, itiites, e pige*, choit k s vents. ;r t d’n»* ;ntr^ I Yiimf't ► is aW ardeüi. CHAPITRE VIL OU Ton doit placer les Édifices Publics. - . i r i ' . avoir réglé la division des mes , il faudra choisir les emplacemens pour les édifices publics qui se trouvent dans toutes les villes ; tels sont les temples et les marchés publics. Si la ville est au bord de la mer , il faut, que le marché soit près du port ; et il doit être au milieu de la ville , si elle est loin de la mer. On doit placer les temples des Dieux tutélaires , tels que ceux de Jupiter , de Junon et de Minerve ; dans les lieux les plus élevés , d’où l’on puisse découvrir la plus grande partie des murs de la ville. Ceux de Mercure, d’Isis et de Sérapis doivent être dans les marchés ; ceux d’Apollon et de Bacchus près du théâtre; celui d’Hercule près du Cirque , si toutefois il ne s’y trouve pas de gymnase i , ni d’amphithéâtre; celui de Mars dans un champ hors de la ville. Il en est de même de celui de Vénus, sinon qu’il doit être près des portes. On en voit la raison dans les livres des Aruspices Toscans , qui prétendent que les temples de Vénus, de Vulcain et de Mars , soient placés hors de la ville. Le premier pour empêcher, entre les jeunes gens et les mères de famille, les occasions d’un commerce vicieux. Le second pour écarter des murs les effets destructeurs de la puissance de Vulcain, ensuite , par des prières et des sacrifices , se délivrer de la crainte de voir les maisons incendiées. Le troisième pour prévenir les querelles intestines et les meurtres des citoyens , les rassurer contre les entreprises des ennemis et les périls de la guerre. Le temple de Cérès doit aussi être bâti hors de la ville, dans un lieu très - reculé, où on ne soit dans le cas d’aller que pour sacrifier parce que ce lieu doit être gardé avec un respect religieux et une grande sainteté de mœurs. Les temples des autres dieux doivent aussi être placés dans des lieux commodes pour leurs sacrifices. Dans le troisième et dans le quatrième livres, j’enseignerai la manière de bâtir les temples , et ferai connoître leurs proportions ; mais auparavant, je veux parler des matériaux , de leurs qualités et de leur usage ; c’est ce que je vais faire dans le deuxième livre. Dans les suivans, je ferai connoître la différence des ordres, ainsi que les divers genres et proportions des édifices. i Lieu destiné aux exercices de la jeunesse, \ 7 5o % L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. REMARQUES. Le précepte des aruspices toscans n’a pas toujours ete suivi bien exactement ; puiscpi a Rome le temple de Mars vengeur , étoit dans le forum d’Auguste celui de Venus etoit dans le forum de Jules-César et plusieurs autres temples , consacres aux divinités malfaisantes , etoient dans la ville ; comme celui de la Fièvre , de Vulcain , de la mauvaise Fortune et de la Paresse , etc. Il est vrai que plusieurs de ces temples étoient , dans le principe , hors des murs de la ville ; mais lorsqu’elle vint à s’étendre , ils se trouvèrent enclavés dedans. Il n’y avoit rien de plus auguste ni de plus sacré dans la Grèce , que les mystères de Cérès les plus grands personnages, non seulement de la Grèce , mais de Rome , s’y faisoient initier.; témoin le scythe Anacharsis , lorsqu’il fut fait citoyen d’Athènes ; Atticus, Auguste même , etc. L’objet, de cette espèce de confrairie , étoit de rendre meilleurs et plus vertueux ceux que l’on y admettoit. Il étoit défendu aux initiés même , sous peine de mort, de divulguer les mystères de la déesse ; ceux qui violoient cette loi, étoient censés avoir encouru l’ire et l’indignation des dieux. . . . Vetabo s qui Cereris sacrum Vulgarit arcanœ , sub iisdem Sit trabibus } fragilemque mecum Solvat phaselum . Horat. Liv. 111. ode 2 . Pausanias , dans sa description de la Grèce , craint de parler de ces mystères ; on sait, dit-il, que ceux qui ne sont pas initiés à ces mystères, ne doivent pas en prendre connoissance , ni avoir la liberté de s’en informer 1 }. • 1 Paujin. Liv. 1. Ch. 14 . Liv. 1. Ch. 38. 1 WW%/WWV%/WWV%/WWV L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. LIVRE SECOND. INTRODUCTION. L’architecte Dinocrate , se fiant à ses connoissances et à son génie , part un jour de la Macédoine , pour se rendre à l’armée d’Alexandre , et tâcher d’acquérir la protection de ce grand prince , qui venoit de faire la conquête d’une grande partie de l’univers. Ses parens et ses amis lui avoient donné des lettres de recommandation , pour les personnes les plus distinguées de la cour , 'afin de lui procurer un accès plus facile auprès du prince. Les personnes auxquelles il s’adressa lui ayant fait l’accueil le plus favorable , il les pria de le présenter de suite à Alexandre ; ils le lui promirent ; mais comme ils différoient l’exécution de sa demande , sous prétexte d’attendre une occasion favorable , Dinocrate , se croyant joué par leurs vaines promesses , trouva le moyen de se produire lui - même. La nature l’avoit doué d’une taille remarquable ; sa figure et tout son extérieur annonçoient un homme distingué. Fort de ces avantages qu’il ne devoit qu’à lui , il se dépouille de ses habits , se frotte entièrement le corps d’huile., se couronne d’une branche de peupher , couvre son épaule gauche d’une peau de lion , prend une massue à la main , et dans cet équipage , il s’approche * du trône où le roi étoit assis et rendoit la justice. Un spectacle aussi nouveau , attire sur lui les yeux - de ceux qui se trouvoient là ; Alexandre , qui l’aperçut, en fut surpris lui-même ; il ordonne qu’on le laisse approcher , et lui demande qui il est ; il répond je 7 - 52 L’ARCHITECTURE DE VITRÜVE. suis l'architecte Dinocrate , macédonien , et j'apporte à Alexandre des pensées et des desseins dignes de sa grandeur. Jai projeté de donner au mont Athos la forme d’un homme qui tient dans sa main gauche une grande ville , et dans sa droite , une coupe , qui reçoit les eaux de toutes les rivières qui s écoulent de cette montagne , pour les verser dans la mer. Alexandre goûta cette idée ; mais il lui demanda s’il y avoit des campagnes aux environs de cette ville , qui pussent produire des bleds , pour la faire subsister ? On trouva qu’il ne pouvoit les faire venir que par la mer. Alexandre lui dit alors Dinocrate , j’avoue que votre projet est ïfitû , et qu’il me plaît beaucoup ; mais je crois qu’on accuseroit celai qui établiroit une colonie dans le lieu que vous me proposez , d’être peu prévoyant; car de même qu’un enfant ne peut se nourrir, ni croître sans le lait d’une nourrice , ainsi les habitans d’une ville ne"peuvent subsister , et encore moins augmenter leur population, s’ils ne sont abondamment pourvus de vivres. Tout ce que je puis vous dire , c’est que je loue la beauté de votre dessein , si je désapprouve le choix de remplacement que vous avez fait pour l’exécuter ; mais je désire que vous demeuriez auprès de moi, parce que je veux me servir de vous. Depuis ce temps, Dinocrate ne quitta plus le roi et le suivit en-Egypte. Alexandre y ayant découvert un bon port, bien abrité , environné de campagnes fertiles , où tous les avantages se Irouvoient réunis, à cause de la proximité du Ml; il ordonna à Dinocrate d’y bâtir une ville qui, de son nom , fût appelée Alexandrie. Tel fut l’heureux succès de l’entreprise de Dinocrate , sa bonne mine fut sa première recommandation. Quant à moi , César , la nature ne m’accorda point ces dehors imposans ; l’âge et les infirmités ont ruiné mes forces, et imprimé sur mon front les rides de la vieillesse mais quoique dépourvu de ces avantages , j’espère y suppléer par le secours de la science, et mériter par mes écrits votre protection. Dans le premier livre dé cet ouvrage , j’ai traité de l'architecture en général, et des principes de cet art j’ai parlé ensuite de la construction des murailles des villes , et exposé de quelle manière elles dévoient être divisées dans leur enceinte. Pour suivre 1 ordre naturel de 1 architecture , je devrais traiter maintenant de la construction des temples et des édifices , tant publics que particuliers , et des proportions qu on doit leur donner ; je n’ai cependant cm devoir le faire , qu’après avoir parlé des matériaux , de leurs principes , de leurs qualités ; et même , avant d expli quel cette matière , j ai jugé a propos , de parler des différentes manières de bâtir, de leur origine, des progrès qu’on y a faits; de rechercher dans l’antiquité, ceux qui ont réduit en principes et laissé à la postérité les leçons de cet art ; c’est ce que je tâcherai d expliquer, comme je l’ai appris des anciens auteurs. 53 LIVRE- II; C h a p. i. RE 31 ARQUES. Plutarque , dans la vie d’Alexandre , nomme Stæsicraie , l’architecte qui présenta à Alexandre le modèle du mont Athos en forme de géant. Pline et Solin , ainsi que Yitruve, nomment Dinocrate, rarchitecte dont Alexandre se servit pour bâtir Alexandrie. Strabon et Arrien l’appellent Chino- crate, ou comme d’autres lisent, Chiromocrate. Justin, Liv. XII, le nomme Cléomène. Philander rapporte cette ancienne inscription grecque qui se trouve encore dans la ville d’Alexandrie, et qui le nomme Démocrates. As/ •xvjpiKKvtoq àpXT ç fis s’ôsçsv Si KXs%avdpov CHAPITRE PREMIER. Origine des Edifices. Dans les temps les plus reculés, les hommes, semblables au reste des animaux, nais- soient dans les forêts ; ils avoient, pour demeure, des cavernes, et pour nourriture , des fruits sauvages. Le hasard voulut qu’un vent impétueux vint à pousser, avec violence ; des arbres qui étoient serrés les uns près des autres; ils s’entre-choquèrent si rudement , qu’ils s enflammèrent. Le feu étonna d’abord , et fit fuir ceux qui en étoient le plus près ; bientôt ils se rassurèrent, et s’étant rapprochés , ils éprouvèrent que la chaleur tempérée du feu n’avoit rien que d’agréable ; ils y jetèrent du bois pour l’entretenir, et amenèrent d’autres hommes , auxquels ils firent sentir, par signes , l’utilité de leur découverte. Les hommes , ainsi rassemblés, articuloient différens sons qui, répétés de jour en jour, formèrent par hasard certains mots dont l’expression habituelle servit à désigner les objets ; et bientôt ils eurent un langage qui leur permit de se parler et de se comprendre. C’est donc la découverte du feu qui donna occasion aux hommes de se réunir en société, et d’habiter dans un même endroit. La nature , d’ailleurs , les ayant doués de plusieurs avantages qu elle a refusés aux autres animaux , comme de marcher droits , élevés , de contempler le magnifique spectacle de la terre et des deux , et de pouvoir , à l’aide de leurs mains , faire toutes choses avec facilité ; les uns commencèrent à construire des huttes de feuillages ; les autres à creuser des cavernes aux pieds des montagnes. D autres, imitant les hirondelles , employoient de petites branches d’arbre et de la terre grasse, et cons- truisoient des retraites , où ils se réfugioient ; chacun considéroit l’ouvrage de son voisin et perfectionnoit ses propres inventions, après avoir remarqué celles d’autrui. 54 L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. Les progrès étaient rapides , et la manière de bâtir leurs cabanes s’amélioroit de jour en jour ; comme les hommes sont naturellement dociles et propres à imiter et perfectionner, chaque jour ils se glorifioient de leurs nouvelles découvertes, et s’en communiquoient les effets progressifs. C’est ainsi qu’en exerçant leur Esprit, ils rec- tilioient à l’envi les ouvrages qu’ils entreprenoient. i. * Ils commencèrent d’abord par planter des fourches, sur lesquelles ils placèrent des branches d’arbres entrelacées les unes dans les autres ; ils remplissoient les vui- des , et enduisoient le tout de terre grasse ; ils faisoient de même les murailles ; d’autres les bâtirent avec, des morceaux de terre grasse , desséchés , sur lesquels ils posoient des pièces de bois en travers ; pour les garantir de la pluie et des ardeurs du soleil, ils les couvrirent de cannes et de branches desséchées ; mais comme elles ne pouvoient résister aux pluies de l’hiver , ils élevèrent des combles inclinés qu’ils enduisirent de terre grasse pour faire écouler les eaux. Ce qui nous prouve que les premiers bàtimens ont été faits de cette manière , c’est qu’encore aujourd’hui , nous voyons que les nations étrangères se font de semblables habitations , et einployent les mêmes matériaux pour les construire ; comme dans la Gaule, l’Espagne, le Portugal et dans l’Aquitaine ; les maisons y sont couvertes de chaume ou de hardeaux faits de chênes , en forme de tuiles. Dans le royaume de Pont, dans la Colchide * **, où le bois est très-abondant, à cause des forêts qui s’y trouvent, on bâtit de cette manière on étend par terre, à droite et à gauche , des arbres dans leur longueur, entre lesquels on laisse l’espace nécessaire pour en coucher de semblables en travers, auxquels ils sont attachés par leurs extrémités , dans les quatre angles , de manière qu’ils enferment tout l’espace destiné pour l’habitation. On pose sur ceux-ci , des quatre côtés, d’autres arbres qui portent perpendiculairement les uns sur les autres ; puisqu’on les met d'à plomb sur celui d’en bas, et on élève ainsi les murailles des tours. On remplit avec des échalats et de la terre grasse les intervalles causés par l’épaisseur des poutres ; on forme les toits de la même manière. De l’extrémité de chaque angle, on arrange des poutres de même ; mais à mesure qu’elles s’élèvent de degré en degré , on les accourcit tellement, qu’elles forment une pyramide j qu’on couvre de feuilles et de limon. Telle est la manière rustique dont la croupe des toits est formée. Les Phrygiens *** qui habitent des plaines , où il n’y a pas de forêts qui leur fournissent des bois pour bâtir , creusent de petits tertres , naturellement élevés , les élargissent, autant que la nature du lieu le permet, et tracent un chemin pour y conduire ; sur le bord de ce creux, ils arrangent plusieurs perches * Planche IIÎ, me fig. 2. A, *** Planche III,™ fig. 2 . G. ** Planche UI. rac fig, 2. B, LIVRE II, Ch a p. iv 55 ' liées par le haut, en forme de pointe; ils les couvrent de cannes et de chaume , ! sur lesquels ils entassent une grande quantité de terre; par là, ils rendent leurs habitations très-chaudes pendant l’hiver, et très-fraîches pendant l’été. Dans d’autres pays, on couvre les toits ,avec des herbes prises dans les étangs. En un mot chaque peuple a une différente manière de bâtir. A Marseille, au lieu de tuiles, les' maisons sont couvertes de terre grasse pétrie avec de la paille à Athènes v on montre encore aujourd’hui, comme une chose curieuse par son antiquité, les toits de l’Aréopage faits de terre grasse; parmi les temples de la forteresse du Capitole , la cabane de Ilomulus, couverte de chaume , nous offre aussi cette ancienne manière de bâtir. D’après ces exemples, nous pouvons juger ce qu’étoient les bâti- mens des anciens; mais de jour en jour, à force de bâtir, on est devenu plus habile dans cet art, et l’expérience ayant multiplié les lumières , ceux qui s’y Sont adonnés , en ont fait une profession particulière. Comme les hommes ne se distinguent pas seulement des animaux par la supériorité que leurs sens ont sur les leurs, mais sur-tout par l’esprit qui les rend maîtres de tout ce qui est dans la nature, l’industrie qu’ils ont acquise, par la nécessité de bâtir, a été pour eux le premier degré pour parvenir à la connoissance des autres arts, et pour passer d’une vie sauvage à la politesse et à la civilisation qui convient à la nature humaine. Ainsi élevant leur courage et donnant à leurs conceptions progressives tout l’essor que la variété des sciences leur inspirait, ils abandonnèrent leurs cabanes pour bâtir des maisons dont ils construisirent les murs de briques ou de pierres, et les couvrirent de bois et de tuiles ,* ils réfléchirent ensuite sur leurs premières observations d’après ce& réflexions, ils fixèrent leur jugement et parvinrent à connoître très-exactement les véritables règles de la proportion dont ils n’étoient pas certains dans le principe. Ayant remarqué que la nature leur fournissoit abondamment les matériaux nécessaires pour les édifices , ils ont tellement cultivé, par la pratique, l’art de bâtir, qu’ils l’ont porté à la plus haute perfection; avec le secours des autres arts, ils ajoutèrent, 1 au nécessaire, les ornemens et les commodités qui peuvent contribuer aux agrémens de la vie. Je me propose d’expliquer ces divers objets avec toute l’attention dont je suis capable; je rapporterai tout ce qu’on peut dire sur les propriétés, la commodité et 1 usage des édifices. Quelques personnes, peut-être, critiqueront l’ordre que j’ai suivi pour placer mes livres, et prétendront que celui-ci devrait être le premier; je leur répondrai que mon projet étant décrire sur toute l’architecture en général, j’ai cru devoir parler, d’abord, des différentes connoissances qui sont nécessaires à cet art, des parties qui le composent, et quelle a été son origine. C’est ce que j’ai fait en exposait les qua- 56 L'ARCHITECTURE -DE V I T R U V E. lires que doit avoir un architecte. Tellement qu’après avoir parlé de ce qui dépend de l’art, je vais, dans ce second livre, m’occuper des différens matériaux que la nature fournit pour la construction des édifices. Je ne dirai donc plus rien de 1 origine de l’architecture, mais bien de celle des hâtimens; et comme on est parvenu à les perfectionner, au point où nous les voyons aujourd'hui, il est évident, daprès cela, que ce second livre est à sa place. Pour~revenir aux objets qui sont nécessaires pour bâtir, je vais raisonner sur les diverses matières qu’on y emploie, et expliquer le plus clairement qu il me sera possible, comment la nature les produit, ou par quelle combinaison délémens, elle les forme telles que nous les voyons car il n’y a rien sur la terre , dont ils ne soient le principe; tout ce qui appartient à la nature ne peut s’expliquer clairement en physique, si l'on ne démontre, par de bonnes raisons, quels sont les principes de chaque chose. CHAPITRE IL Des principes de toutes choses , d après le sentiment des Philosophes. JT h A lès, le premier, a cru que feau étoit le principe de toutes choses. Heraclite d’Ephèse , qui fut surnommé 'scoleinos i, à cause de l’obscurité de ses écrits, disoit que c’étoit le feu. Démocrite , et après lui Epicure, vouloient que ce fussent les atomes , qui sont des corps qui ne peuvent être coupés ni divisés. Ceux qui sui T vent la doctrine de Pythagore , outre l’eau et le feu, mettent encore au nombre des élémens l’air et la terre. Quoique Démocrite ne donne pas des noms particuliers aux principes qu’il admet, et se borne à les définir comme des corps indivisibles, il semble que par là il a voulu aussi entendre ces mêmes élémens; car ce n’est qu’au- tant qu’ils sont séparés les uns des autres qu’ils les suppose incapables de s'altérer et de se corrompre, et qu’il leur donne une nature éternelle , infinie et solide. Il paraît donc que tout ce que contient la nature, est composé de ces élémens, et leur doit 1 existence ; qu’ils y sont répandus et divisés de toutes les manières. J’ai cm qu’il falloit faire connoîlre leurs variétés , leurs différentes propriétés, l’usage qu’on en fait, et le parti qu on en tire pour construire les édifices, afin que ceux qui bâtissent ne soient pas dans le cas de se tromper, mais qu’ils puissent faire un bon choix dans les matériaux dont ils auront besoin. ï C’est-à-dire, iénébreu», CHAPITRE LITRE IX, Ch-a p, ni, ;>. CHAPITRE III. Des Briques. , * Parlons d’abord des briques , et de quelle terre elles doivent être faites. Celle, qui est pleine de gravier, de cailloux, ou de sable , ne vaut rien, parce qu elle les rend trop pesantes , et qu’ensuite elles sont sujettes à se détremper et se fondre ; lorsqu’elles sont mouillées par la pluie car cette terre, quoique, rude, n’est pas assez liante pour faire corps avec les pailles qu’on y met. Il faut les faire avec de la terre blanche semblable à la craie, ou rouge, ou mêlée de sable; parce que ces matières, à cause de leur douceur , sont plus compactes, ne pèsent pas tant sur l’ouvrage , et se préparent aisément. Le printemps et l’automne sont les temps les plus propres pour mouler les briques ; parce que , pendant ces saisons , elles peuvent se sécher également par - tout ; au lieu qu’en été , le soleil les séchant tout de suite, en dehors, on croit qu elles le sont aussi intérieurement, mais ce n’est qu’à la longue et en se rétrécissant qu elles sèchent, ce qui fait fendre et rompre leur superficie , et les gâtent entièrement. Le mieux seroit de les garder deux ans entiers , avant de s’en servir car si on les emploie lorsqu’elles sont nouvelles , avant d’être sèches ; l’enduit qu’on met dessus , se séchant plus vite , et prenant de la consistance , les briques s’affaissent et s’en séparent en se resserrant. Par-là , l’enduit n’est plus attaché à la muraille, et n’étant plus capable de se soutenir de lui-même, à cause de son peu d’épaisseur, il se rompt. La muraille s’affaisse également çà et là , se gâte et se ruine. C’est pourquoi, dans Utique, on ne met les briques en œuvre qu’après que le magistrat les a visitées, et qu’il a reconnu qu’il y a cinq ans quelles sont moulées. On fait trois sortes de briques; la première est celle dont nous nous servons , on l’appèle en grec Didoron ; i elle est longue d’un pied , et large d’un demi- pied; D les deux autres , qui sont le Pentadoron , 2 * A. et le Tetradoron, 3.C sont celles que les Grecs emploient habituellement. Les Grecs appellent le palme Do- ron , parce que Doron signifie un présent, et que le présent se porte ordinairement dans la paume de la main. Ainsi la brique qui a cinq palmes en carré s’appèie Pentadoron ; celle qui en a quatre, Tetradoron. Les ouvrages publics se font avec le 1 De deux palmes. 2 De cinq palmes. * Planclie lll. mc fig. 1. S De quaire palmes. * 8 58 L ’ 4 II C H I ï E C T U K E DE V I T R U Y E. Pentadoron, et ceux des particuliers en Tetradoron. Avec ces différentes espèces de briques, on fait aussi des demi-briques et lorsqu’on élève une muraille , on met, alternativement d’un côté, un rang de briques, et de 1 autre un rang de demi-briques, de sorte qu'étant rangées en ligne à chaque parement , celles d'une assise s’entrelacent avec celles d’une autre , et de plus le milieu de chaque brique se rencontre sur un joint montant ; cela rend la structure plus ferme et plus agréable à la vue. Celles qu’on fait à Calente , ville d’Espagne , et à Marseille dans la Gaule , comme aussi à Pitane ville d’Asie , surnagent sür l’eau quand elles sont sèches ; à cause que la terre, dont on les faits , est spongieuse; outre sa légèreté, ses ports externes sont tellement fermés , que l’eau ne peut les pénétrer ; elle est forcée de les soutenir par la loi de la nature , comme si c’étoit des pierres ponces. Ces qualités dans les briques sont de la plus grande utilité pour la maçonnerie car elles ne chargent pas trop les murailles et ne sont pas sujettes à se détremper par la violence des orages. REMARQUE S. Les Grecs et les Romains employoient beaucoup de briques dans la construction de leurs grands édifices. Le Panthéon , le Colisée , les différons thermes , les théâtres , les cirques , le palais des empereurs , tous ces édifices à Rome , éloient bâtis de briques ; mais revêtus de pierres, de taille et de marbre. Leur manière de maçonner en brique éloit toute différente de la nôtre ; les briques qu'ils employoient , sont celles que Vitruve appelle la Didoron ; elles sont beaucoup plus minces que les nôtres , et , comme on fa vu , beaucoup plus longues et plus'larges ; ils melloient une quantité prodigieuse de mortier, tant entre les assises qu’entre les jointures latérales des briques; tellement, comme le dit Yitruve , que dans une muraille , il y avoit plus de mortier que de briques. Pendant mon séjour à Rome , je m’assurois que des ruines éloient d’un édifice ancien , lorsque je les voyois maçonnées de la sorte. Il faut donc considérer des murs faits de briques , d’abord quant ^ aux murs mêmes , et ensuite quant à leur revêtement ; ayant soin d’y comprendre aussi le plancher et le pavé. Les murs des grands édifices de Rome ne sont cependant pas tous entièrement construits de briques ; plusieurs en sont seulement garnis , pour former les assises ; c’est ce qu’on appelle mûri a cortinci. L’intérieur en est rempli de petites pierres , de morceaux de pots cassés , et d’autres choses semblables , avec du ciment , dont il y avoit toujours un tiers plus que de pierres. Yitruve appelle ceiié espece de maçonnerie y^emplecton 1 , à cause qu’elle éloit remplie et garnie par fe milieu ; mais il ne parle alors que des murs de pierres , et non pas des murs de briques , ce qui nous prouve manifestement qu apres celte description , il a omis de parler de cette méthode , dont ni lui ni ses commentateurs , n ont fait mention. C’est en pratiquant cette manière de bâtir , que les Romains sont parvenus à faire des murs si prodigieusement solides , et qui avoient jusqu’à neuf et treize palmes d épaisseur. Les modernes , à la vérité , ont construit aussi de pareilles murailles , et cela i Lib. II. Ch. 8. LIVRE II, Chap. ni. b’o de briques seules ; telle que celle sur laquelle porte la coupole de Féglise de St. Piërrê à Rùffië, qui a quatorze palmes d’épaisseur. II paroît que c’est d’une semblable maçonnerie qu’étoient faits les murs de Babylone car le mot àipcKTiat dans Hérodote i, à la place duquel, d^aulres lisent apv£%ov indique cette espèce de maçonnerie , et non pas, comme le prétend M. Wesseling 2 , des murs faits de pierres jetées au hasard ; mais on en faisoit , comme chez les Romains , avec des assises de briques arrangées symétriquement. Je ne puis affirmer que ces derniers aient fait usage de briques polies ; cepeadan* on trouve , aujourd’hui , tous les murs extérieurs de quelques édifices , faits de ces briques , tels sont , entr’autres , ceux de l’église de la madonna de Monli à Rome j les murs extérieurs du palais du duc d’Urbin 5 sont de même de briques polies. Les briques qu’on vouloit employer aux murs et non aux pavés , étoient un .peu plus larges aux deux bouts , afin de pouvoir les poser solidement les unes sur les autres , sans se servir de ciment , car on metloit du ciment seulement dans l’endroit où les briques ne se touchoient point voilà pourquoi les joints des murs faits de briques polies, sont , pour ainsi dire , imperceptibles. Dans le principe , les briques n’étoient pas cuites au four ; mais seulement séchées pendant quelques années au soleil $ les Grecs , ainsi que les Romains , en faisoient un grand usage. C’est de pareilles briques qu’étoient faits les murs de Mantinée et ceux de Eione, au bord du fleuve Strymond dans la Thrace4 , un temple à Panopée 5, un autre temple de Cérès 6 , tous deux dans la Phocide , un péristyle dans Epidaure 7 , et un tombeau de la ville détruite de Lépreos en Elidé. Il paroît , suivant ce chapitre de Yitruve , que la plupart des maisons de Rome et des environs de cette ville , etoienl construites de pareilles briques $ cependant Pausanias nous apprend que ces briques se décomposoient par le soleil et par l’eau. A la terre destinée à faire des briques cuites , on meloit du tuf pile , connu aujourd’hui a Rome sous le nom de sperone y il est jaunâtre , mais il devient rougeâtre dans le feu j couleur dont est encore le grain intérieur de la brique. Ces briques, pour la construction des murs , n’étoient pas épaisses , mais fort longues. Leur épaisseur nalloit pas au-dela d’un pouce, tandis qu’elles avoient jusqu’à trois et quatre palmes de superficie 5 elles servoient particulièrement pour les voussures. 1 Lib, I. Ch. 180. 2 Euitath. ad. od. 6, p. i85i. liv. a5. 3 Memorie d’urbino. Roma 1724- fol* p* 46, ê Pausanias. Liv. VIII. C, 8. 5 Ibid. Liv. X. 6 Id. Liv. VIII. 7 Id. Liv. II. C. 27. fio L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. CHAPITRE IV. Des dijjérens Sables. ^uànd on bâtit, surtout en moellons , il faut s’attacher à choisir du bon sable, pour faire le mortier. Le plus grand défaut qu’il puisse avoir est d’être terreux. Les différentes espèces de sable fossile , sont le noir , le gris , le rouge et le carbon- culus. i Le meilleur de tous ces sables en général est celui qui fait du bruit étant frotté entre les mains ; il ne vaut rien s’il est terreux, s’il n’a pas d’âpreté, et si, étant jnis sur une étoffe blanche, il y laisse des marques, après en avoir été secoué. Manque-t-on d’endroit d’où l’on puisse, en creusant la terre, tirer de bon sable? il faut prendre alors le meilleur qu’on pourra trouver parmi le gravier. On peut même en tirer du bord de la mer ; ce sable , cependant , a un défaut, le mortier qu’on en fait, reste long-temps à sécher; et les murailles qu’on en bâtit, ne peuvent pas porter une grande charge , à moins qu’on ait la précaution de les maçonner à plusieurs reprises. En aucune manière , il ne peut servir pour l’enduit des plafonds. Il a encore le désagrément de faire suinter les murailles qui en sont crépies, à cause du sel qui se dissout et fait tout fondre ; au contraire, le mortier fait avec le sable fossile, sèche très-vite. Quand on emploie ce dernier pour enduire les murailles et plafonner, ces ouvrages durent long-temps, il est vrai, pourvu qu’on le mette d’abord en œuvre car si on le garde long-temps, le soleil et la lune l’altèrent , la pluie le dissout et le change presqu’en terre ; ce qui fait qu’il ne vaut plus rien pour lier les pierres , faire des murailles fermes et capables de soutenir de grands fardeaux. Cependant ce sable , quoique nouvellement tiré de terre , vaut mieux pour maçonner que pour faire des enduits ; parce qu’il est si gras , et sèche si vite , qu’étant mêlé avec la chaux et la paille , il fait un mortier qu’on ne peut empêcher de gerser. Pour les enduits, on doit donc préférer le sable de rivière, qui est au contraire très-maigre, mais il faut qu’on le batte avec le maillet, comme on fait pour les pavés de Smalthe , ce qui les rend on ne peut pas plus durs. 2 REMARQUES. La solidité d J une muraille dépend surtout du mortier, et le mortier ne sera bon , qu’autanl qu’on y emploiera le meilleur des sables ; le plus mauvais de tous est celui qui est terreux, comme O Voyez le G . 1 " 6 Ch. de ce Livre. sont à la fin , et celles qui sont à la fin du i. er chap. 2 Voyez, Livre V. Chap. II, le» remarques qui du Yll. me Liv. LIVRE II, C h à p. iy. \ 6i l’observe très-bien Yilruve. On peut dire que le défaut général de tous ceux qui bâtissent , dans ce pays, est de se servir de cette espèce de sable ; on croit n’employer que du sable, et on emploie beaucoup de terre. Rien n’est plus aisé cependant que de le rendre bon , voici comment on choisit le sable le plus blanc qu’on puisse trouver ; .car c’est celui dans lequel il se trouve moins de terre ; ensuite on le lave dans l’eau de rivière, qui emporte toutes les parties terreuses , il vous reste un sable très-pur, qui résonne, qui est dur lorsqu’il est frotté dans les mains et qui a toutes les qualités que Yilruve exige. Nous admirons la solidité des murs des anciens ; le ciment en est si dur , qu’on brise plutôt les pierres , que de les détacher ; tout leur secret consistoit dans le choix du sable. On peut regarder les sables comme les débris des plus grandes pierres , ou comme les premiers matériaux de la formation des pierres. En effet du grès brisé devient du sable ; et celui-ci sert , pour ainsi dire , de base à la plupart des pierres, sur-tout au grès. J’ai souvent employé , principalement pour les enduits , du mortier , où , au lieu de sable , je meltois du grès pilé , mélé^avec de bonne chaux ; ce mortier , lorsqu’il éloit sec , avoit la dureté et la solidité du grès meme ; ce qui faisoit l’admiration de tous les ouvriers. Yilruve parle des autres espèces de sable , de leurs défauts, et. de leurs qualités. Il parle d’abord de celui qu’on trouve en creusant dans la terre , qu’il nomme arena fossicia , auquel il donne la préférence. J’ai traduit ce nom, comme Galiani, par sable fossile ; il entend , sous cette dénomination , celui que nous connoissons sous le nom de sable vilrifiable qui est composé de fragmens de silex et de quartz. C’est celui dont on se sert dans la composition de la terre à faïence , de certaines porcelaines , des glaces , même pour nettoyer le verre , pour polir le marbre , l’albâtre , etc. 11 a sur-tout la propriété de donner de la dureté aux cimens et à la brique etc. Lorsqu’on n’a pas de sable fossile , Yilruve dit qu’il faut se servir de sable de rivière , et même de celui de mer. Le défaut du sable de rivière est d’avoir le grain extrêmement gros ; il n’est composé , le plus souvent , que de silex très-dur , qui ne peut se lier ni faire corps avec la chaux,. Quant au sable qu’on prend au bord de la mer , comme il y reste beaucoup de sel , il a le grand défaut , comme l’observe Yilruve , d’empêcher le mortier , où il s’en trouve , de sécher , à moins qu’on ne l’ait bien lavé dans l’eau de rivière , avant de le mettre en oeuvre , pour en faire sortir les parties salines. Malgré cela , il en reste toujours une partie , ce qui fait que ce mortier sèche difficilement, et je préfère le sable fossile. Pour les enduits , Yilruve préfère que l’on emploie le sable de rivière , qui a le grain plus gros ; mais il veut qu’on batte ces enduits avec le maillet , comme on fait en Italie les pavés de smalte ; ces pavés se font de la sorte après avoir rendu le terrain très-uni, on étend dessus une couche de mortier fait de chaux , de sable ou de pouzzolane ; on arrange , sur cet enduit , des fragmens de marbre cassés ou d’autres pierres , de différentes couleurs ; on les dispose en cornpar- timens ou dessins , d’après les couleurs ; chaque morceau de pierre , comme dit Yilruve , Liv. Yiir. Ch. 7. ne doit pas excéder le poids d’une livre. Lorsque cet arrangement est terminé , on remplit tous les vuides avec le même mortier , auquel on a donné une couleur semblable à celle des dif- férens marbres ou pierres ; on bat le tout avec un maillet plat ou une dame , à mesure qu’il sèche; on polit le tout avec un gros grès ; on le lustre ensuite comme si c’éloit du marbre, et il en 02 L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. prend tout le brillant. Ces paves sont de la plus grande beauté ; on diroit que la salle qui en est pavée , l’est d’un seul morceau de marbre. C’est ainsi que sont pavées presque toutes les salles du palais ducal à Milan; celle de l’arsenal à Venise ; de la villa Borgbèse à Rome , et de presque tous les palais en Italie. Vitruve en parle aussi dans le Ch. 7. du Liv. VIII. , de même que Pline dans le I2. m0 Ch. du XXXV. me Liv. de son histoire , et dit qu’on y employoit aussi , au lieu de pierres , des fragmens de tuiles , et de vases de terre cuite , cassés. J’ai entendu nommer ces sortes de pavés , dans la Lombardie et a Rome , paves de smalte , ou en scctgnuli; a JNaples , on nomme celte composition lastrichi. Ils y emploient l’espèce de pierre nommée rapillo, qui, à cause de sa grande porosité , se lie à merveille avec la chaux. On en fait aussi une autre avec des pierres ponces ; on choisit toutes celles qui sont de rebut , et qui ne peuvent entrer dans le commerce ; on les mêle avec de la chaux ; ce mortier est em* ployé dans la construction des terrasses il a la même propriété que le ciment fait avec la pouz-? zolane ; il prend corps avec un tel degré de dureté , qu’à peine les ferremens y ont prise , quelque temps après qu’il a été mis en œuvre. >-1 CHAPITRE V. ti - b De la Chaux. r avoir indiqué de quel sable on doit se servir, je vais rechercher avec soin , tout ce qui concerne la chaux ; il faut la faire de pierres blanches , ou de cailloux. Il est bon qu’on sache , que celle faite , avec les pierres les plus dures et les plus pesantes , est la meilleure pour maçonner ; et qu’au contraire , celle qu’on fera de pierre un peu spongieuse , sera préférable pour les enduits* Lorsque la chaux est éteinte , il faudra la mêler avec le sable , dans la proportion suivante. On met trois parties de sable de cave, ou deux de sable de rivière ou de mer sur une de chaux c’est la proportion la plus juste qu’on puisse garder dans leur mélange ; elle sera encore meilleure, si on ajoute au sable de mer et de rivière, une troisième partie de tuiles pilées et cassées. Si l’on veut savoir pour quelles raisons ce mélange de chaux , de sable et d’eau forme un corps si dur et si solide , il faut considérer que les pierres, ainsi que tout ce qui existe, sont composées d’élé- mens. Les corps, où l’air domine , sont plus tendres ; ceux où c’est l’eau, sont plus tenaces ; ceux où c’est la terre sont plus durs ; et lorsque c’est le feu , ils sont plus fragiles. Il faut encore observer que si on piloit des pierres à chaux, sans être cuites, et qu on mêlât cette poudre avec du sable , elle ne vaudroit rien pour la maçonnerie ; \ L I Y- R E II, C h A p. y. ,63 mais si on les fait dissoudre par la force du feu, elles deviennent poreuses, se percent de plusieurs ouvertures ; leur humidité naturelle s’épuise , et l’air qu elles contiennent se retire et n’y laisse qu’une chaleur cachée. On conçoit aisément qu’étant plongées dans l’eau , avant que cette chaleur soit dissipée , elles acquièrent une nouvelle force , s’échauffent au moyen de l’eau qui pénètre leurs cavités ; le froid fait évaporer la chaleur qu elles renfermoient ; c’est ce qui fait que les pierres à chaux sont beaucoup plus légères, lorsqu’on les tire du fourneau , qu’avant de les y mettre. Car si on les pèse après qu elles sont cuites , on trouvera leur poids diminué d’un tiers quoiqu'elles aient conservé leur première grandeur ; ainsi les ouvertures quelles ont dans toutes leurs parties , sont cause quelles s’attachent avec le sable , quand on les mêle ensemble , et qu’en se séchant, elles joignent et lient fermement les pierres, pour en faire une niasse fort solide. REMARQUES. Le mortier est destiné a remplir les intervalles qui se trouvent nécessairement entre les pierres ou les briques , dans les lieux où elles se joignent ; son propre- est de s’y attacher fortement en se coagulant , et de former un ciment , qui , lorsqu’il est bon , devient aussi dur que les pierres qu’il unit ; de manière qu’ils ne forment .ensemble qu’un même corps. L’union de la chaux avec le sable produit cet effet. La chaux n’est autre chose que la pierre calcaire calcinée par l’action du feu. D’après les principes des chimistes , la concrétion et la solidité de tous les corps viennent de leur sel. La violence du feu dans la fournaise fait évacuer la plus grande partie des sels volatils et sulphurés , ainsi que les parties humides qui se trouvoient dans la pierre , et qui contribuoient à unir , lier, et ne former qu’un seul tout , des parties qui composent la pierre 1 . Quant à la portion des sels qui ont résisté à l’action du feu et ne se sont pas volatilisés , ils se trouvent désunis et divisés par la perte des parties qui les unissoient en remplissant les vuides , et n’en faisoient qu’un même corps , mais dont' ils se trouvent privés par l’évacuation que le feu en a faite. L’eau que l’on jette sur ces pierres , ainsi calcinées , pénètre dans toutes les divisions et vuides que ces parties ont laissés; la chaleur qui reste dans ces pierres calcinées , produit une ébullition , dilate l’air que contient l’eau , et fait éclater ces pierres calcinées en une infinité de petites paities qui deviennent une poudre extrêmement fine ; mais celte poudre de chaux , qui a pu résister au feu , n’est autre chose qu’un sel qui peut se fondre dans l’eau. En réunissant cette poudre avec une certaine quantité de sable et d’eau, elle reprend une solidité égale , lorsqu’elle est bien faite , à celle de la pierre car l’eau et la chaux forment un corps compacte , qui remplit tous les vuides qui séparent les grains de sable ; l’eau met en fusion les sels qui forment la chaux, et qui, unis avec ceux que contient le sable , font un seul corps très-solide. t Voyez Descartes , art. 55 de la seconde partie de ses prin- solidité' des corps, cipes, Mallebranche , Rech, de la vérité' , Liv. VI. Ch. g , sur la 64 L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. Les effets de la nature ont d’abord suffi pour régler , avec quelques succès , le travail des ouvriers. La physique expérimentale les a perfectionnés d’âge en âge par de nouvelles remarques. Elle a , de bonne heure , aperçu que l’insinuation des liquides , entre les masses des corps solides, y pbrloit une action et un effort capables de les désunir, à proportion de la quantité , ou de l’activité de ces liquides. Elle a observé que c’étoit, au contraire, à l’écoulement des liquides , qu’éloit due la cohésion des masses petites ou grandes , de quelque façon que la chose s’exécutât dans le secret de la nature , qui semble attentive à nous en dérober la connoissance. L’eau par elle-même n’est pas un liquide elle ne le devient que par l’insinuation de l’air et du vrai principe des liqueurs qui est le feu l’écoulement de celui-ci la ramène à sa condensation naturelle. Il en est de même du sang , des huiles , des sels , et de bien d’autres corps qui s’épaississent à proportion de la sortie du feu , et avec lesquels le feu agit très - différemment ; comme la même main frappe des coups très - différens avec une baguette , avec un marteau , et avec une massue. C’est par un effet de cette remarque qu’on emploie le grand feu pour soulever toutes les petites parties d’un métal et les mettre en fusion. C’est par une suite du même principe expérimental que le grand feu a été mis en œuvre pour ébranler toutes les parties de la pierre à diaux , et de la pierre à plâtre , ce qui en facilite d’abord la pulvérisation et l’obéissance à nos souhaits. L’eau , qui les retient dans un état de désunion , venant à se dissiper , elles reprendront leur première ténacité. C’est donc l’écoulement des liquides, c’est-à-dire , de l’air , de l’eau et du feu , qui cause la roi- deur et la ténacité du mortier. Les liquides ne peuvent s’échapper totalement d’entre deux surfaces voisines , sans donner lieu à ces surfaces de se toucher immédiatement dans un grand nombre de points , et de s’unir, comme si elles ne faisoient qu’un corps. L’air retiré par la succion de la machine pneumatique d’entre deux hémisphères qui sont unis , n’y exerce plus son ressort, et ne travaille plus à les désunir. Alors la pression universelle agit sur ces deux parties de globes , sans y trouver aucune action , ni liquide intermédiaire qui lui résiste , et elle les comprime si fortement l’une contre l’autre , que les plus grands efforts ont peine à les détacher. La même cohésion, ou du moins, un commencement d’union se fait apercevoir dans deux marbres polis , ou entre deux ardoises qu’on couche de biais en les glissant l’une sur l’autre , de façon ;à n’y laisser entrer presqu’aucun air. L’action des liquides, dont nous avons observé les différêns progrès, et sans la faire tourner à notre profit , nous est d’un secours infini. La sécheresse ou le feu , dans un certain degré , pousse et dissipe l’eau sans violence. Celle-ci, en s’évaporant , emporte avec elle une grande quantité d’air qu’elle contient, et dont elle est presque toujours saisie. Les ouvriers ont vu ces effets et il suffit pour les regler. 11 nous est impossible de sucer l’air qui est entre deux pierres , ou entre une multitude de grains de sable , pour en unir plus étroitement les surfaces sans l’effort de la gravitation qui est toujours retarde par l’obstacle de l’air dispersé dans les interstices. Nous avons recours à un expédient nous jetons entre les pierres une couche de ciment, qui produit un double effet ; savoir, de faciliter par son obéissance l’exacte position de la pierre qu’on veut asseoir , et ensuite de tenir entre les pierres une multitude innombrable de petites surfaces, immédiatement appliquées l’une sur l’autre , 65 Y L;I VUE til, C h a p. V, ]’autre , par le départ de l’humidité du ciment, que la sécheresse ou le feu en fait sortir l’extrême ténuité de ces parcelles ne cause aux matières conjointes aucun affaissement sensible. C’est encore une autre expérience très-bien connue aujourd’hui, que l’eau se glisse avec l’air dans de petites ouvertures, où l’air seul he T peut outrer’; et qu’bn se sert de l’eau pour dissiper l’air qui s’écoule avec elle ; mais que le parfait dessèchement donne lieu à une application si exacte des petites surfaces, qu’après cela , ni l’air ni l’eau ne se jettent plus entre deux. Ce que la sécheresse produit entre les masses de pierres et les couches de ciment , elle l’opère pareillement enre les parties sableuses et la chaux du ciment celui-ci en est lui-même une première maçonnerie composée de parties dures et inflexibles , qui est le sable , et de parties souples et pliantes , formant un limon très-fin qui est la chaux. On n’ignore pas qu’un petit globe touche aux corps voisins par un plus grand nombre de parties, qu’un très-grand, eu égard à l’extrême disproportion des parties que celui-ci renferme. .Ainsi plus la chaux qui entre dans le ciment est fine et atténuée , plus elle présente de surface au sable auquel on l’a joint. Elle donne d’autant plus de prise à la pression de la gravité , lorsque le feu } fera écouler. J’air et l’humidité qui se tenoit entre surface et surface. , * ; • . Ainsi la pierre à chaux qu’on unit au sable ou aux masses demi-vitrifiées de la brique et de la tuile, est composée principalement d’ün limon . trèsrfm propre à remplir les interstices du sable; cnsorie que l’eau s’absorbant entre les petites surfaces, çle limon ^ l’unit d’abord, en masse avec les, sables , et durcit le tout avec les pierres voisines par t 1’éçlutppement de l’humide et de l’air d’entre- une infinité de points qui demeurent ainsi collés, et avec le temps presqu’inséparables. Quelques-uns en ont conclu qu’au lieu de lier les pierres ou les briques par un lit de ciment, on pourroit bâtir sans ciment en polissant bien les pierres , après les avoir taillées d’une coupe très-égale , et en les glissant horisontalement l’une sur l’autre ; mais l’exécution de cette méthode seroit peut être plus difficile et moins sure. Autre chose est- de. bâtir philosophiquement autre chose de bâtir solidement. Ou croit cependant voir des édifices antiques dont les pierres sont immédiatement posées l’une sur l’autre; peut-être après avoir été long-temps frottées l’une contre l’autre, et sans, apparence de ciment entre deux. Telle étoit à Reims la porte Rasée , qu’on disoit être, une de ces six arcades qui àvoient été^consiruïtes , soit pour honorer l’empereur Probus, par un mouvement de reconnoissance , lorsqu’il fit planter la vigne dans lès Gaules soit pour honorer le séjour que Garus ou Julien firent dans la Belgique/Vrtruve^pàfïe amplement, dans le-huitième chapitre de ce livre, de différentes manières de maçonner dés anciens ; nous- ÿ renvoyons le lecteur. On en admiré encore les restes à Rome , dans la Campanie, à Vérone , JNfismes, Trêves et dans nos grandes roules. A Paris même , on joit encore des restes de la maçonnerie des anciens Romains, entre l’hôtel de Cluny et la rue de la Harpe., qu’on dit.'être les ruines d’anciens Thermes. , •• . • - - " o h'ttt ' ' /; s ; • t. .. ; V ";r f ; . -//'• U 0 /' 9 66 L’ARCHITECTURE DE V I T RÜVE. C IliA P I T R E Y I. ! OC I! • '"1 • ' • i Je la Pouzzolane. S, I i Il existe une espèce de poudre , à laquelle la nature a donné une qualité admirable ; elle se trouve dans les environs de Baies , et dans les ; terres qui entourent le Mont-Vésuve. Cette terre mêlée avec la chaux et les pierres , rend la maçonnerie si solide, que non-seulement, dans les édifices- ordinaires , mais même au fond de la mer, elle fait des masses de la plus grande dureté. Ceux qui en ont cherché la cause, ont remarqué que , 1 sous ces montagnes et dans tout lé territoire, il se trouve quantité de fontaines d’eau chaude ; ce qu’ils attribuent à la quantité d’alun, de souffre et de bitume , qui alimente sous la terre un grand feuj La*vapeur de ce feu, passant à travers de cette terres, la rend plus légère*et donne au tuf une sécheresse qui attire l’humidité; alors la chaux , a la pouzzolane et le tuf qui *sont engendrés par le feu se mêlent et’sé li ioignent 'éiiSëiùhle ;'par le ' ihoyèn de J l’éaü ; elles s’endurcis- ’ A . ••yy .. toll ’* * n - i0 ; cil-,-. i • sent fort vite , et font une masse si solide que les Ilots ne peuvent ni la rompre ni la dissoudre.' • ••* -bd I IS0 1 li u i* j d - nr - 0 1 . ••"j 1 V tiiJ 1 > »Jï r t. M La preuve qu’il y a du feu sous les montagnes qui sont auprès de Cumes et de Baies, c’est que Mans des grottes qui sont-* creusées £ pour servir d’étuves , il s’élève naturellement deis vapeurs chaudes 0 iptë lé’feu occasionne ', après avoir pénétré la terre ; elles s'amassent ! dans ces lieux et sont dé lajpîus J grande utilité pour la transpiration. Ce qu’on raconte du Mont-Vésuve le prouvé encore; on dit que les. feux qui brûlent continuellement dans cette montagne , j ont autrefois éclaté et formé de grandes éruptions, et i qu’elles ont. r^pauddi une matière, [enflammée dans tous,, les lieux d’alentour ; cet embrasement produisit les pierres que Ton appèle spongieuses ; ou ponces pompeïanes. C’est une espèce de pierres auxquelles le feu donne p par la cuisson, une qualité ! particulière , qui ne se rencontre point'dans d’autres , si ce n’est dans celles qui sont autour du Mont - Etna et 1 des collmes de Mysie, appelées Catake - kaumenie , i [par les Grecs, Ces Fontaines d’eau bouillantes , ces bains de vapeurs, qui sont dans les montagnes , les flammes qui ont autrefois ravagé ces contrées , prouvent, à n’en pas douter, que c’est la véhémence du feu qui a desséché et épuisé i C'est-à-dire brûlées* U LIVRE I I, C ii v p. vi. 67 toute l’humidité de la terre et du tuf, comme il dessèche celle de la chaux dans les fournaises. On sait que les matières , quoique de différentes espèces , lorsqu’elles sont brûlées ensemble , ne font plus qu’une même nature ; la chaleur évapore promptement l’eau qu’elles contiennent, confond et mêle les parties qui sont semblables ; la force du feu les réunit et les rend très - dures. On pourroit m’objecter, et me demander pourquoi l’on ne trouve pas en Toscane cette poudre, dont la qualité est d’endurcir le mortier au fond de l’eau , quoiqu’il y ait dans ce pays beaucoup de fontaines ! d’eau chaude. Avant de me condamner, il faut savoir que dans tous les pays , les terres non plus que les pierres, ne sont pas de la même nature. Dans certains endroits, la terre a beaucoup de profondeur ; dans d’autres , il n’y a que du sable , du gravier , ou de l'argile ; ainsi les qualités de la terre changent d’un lieu à un autre , et sont presque aussi diversifiées que les régions qui sont sur le globe. Par exemple dans la Toscane , et dans les autres pays d’Italie , que renferme l’Appennin , on trouve presque par-tout du sable fossile , tandis qu’au-delà de ces montagnes vers la mer Adriatique , il ne s’en trouve pas plus que dans l’Achaïe , ni au-delà de la mer en Asie , où même on n’en a jamais ouï parler. Il n’y a donc rien d étonnant, si, dans les lieux où il se voit des fontaines bouillantes , les dispositions nécessaires pour produire cette poudre ne se rencontrent pas toujours. Car un heureux hasard dirige bien plus la nature dans ses productions , que la volonté de l’homme. Lorsque ce sont les rochers qui forment les montagnes ; et non pas la terre , la force du feu pénètre leurs veines, consume ce qu’il y a de plus tendre , et n’y laisse que les choses dures qui lui résistent. C’est ainsi que dans la Campanie , la terre brûlée se réduit en cendres , et dans la Toscane , où elle n est que cuite , elle se convertit en ^charbon ; ces deux espèces de terre sont excellentes pour bâtir; mais l’une est préférable pour les édifices qu’on construit sur la terre , et l’autre pour les ouvrages qui se font dans l’eau de la mer. Quant à cette matière qui est plus molle que le tuf, et plus dure que la terre ordinaire , lorsqu’elle est réduite en cendres par les feux souterrains, elle forme une espèce de sable , qu’on nomme Carbunculus. REMARQUES. Le ciment se préparent chez les anciens Romains , ainsi qu’on le fait encore présentement à Rome , avec la pouzzolane. Cette terre avoit anciennement le même nom qu’on lui donne aujourd’hui ; savoir pulvis puteolanus, sans doute à cause qu’on l’a découverte , pour la première fois , a Putéoli, aujourd’hui Pozzuolo près de Naples , et non pas comme l’a avancé Philander, à cause quon l’a découverte en creusant des* puits. Sidonius Apollinaris nomme cette poudre die e arche a , 9 * 68 L ’ A R C H TT E C T U R E D E YITRUVE. parce que Dicearchos éioit l’ancien nom 4 e Pouzzole, lorsqu’elle faisoit partie d’une colonie grecque; Vitruve parle encore de la pouzzolane dans le douzième chapitre du cinquième livre , où il dit, que pour les ouvrages de maçonneries , qui doivent se trouver dans l’eau , il faut se servir de la poudre qui se trouve dans les environs de Cumes et du promontoire de Minerve; cependant Yitruve pe nomme nulle part cette poudre, pouzzolane. Dans toutes les éditions, ce chapitre est intitulé de la pouzzolane ; mais on sait que cette division , par chapitre , n’est pas de Yitruve, et qu’elle a été faite dans les temps modernes. Pline , Liv. XXXY, chapitre i 3 , et Sénèque , Liv. III de ses questions naturelles , nomment tous deux , la pouzzolane , et disent , qu’étant employée sous,.l’eau, mêlée avec de la chaux, elle acquiert la dureté de Ja pierre. La pouzzolane est ou noirâtre, ou rougeâtre; celle qui est noirâtre est plus i ferrugineuse , plus pesante et plus sèche que l’autre , et l’on s’en sert principalement pour les édifices exposés à l’eau car comme elle est aigre, elle se crevasse facilement à l’air; l’autre est plus- terreuse et vaut mieux pour les bâtimens sur terre. La première espèce se trouve dans les environs de Naples, et non pas la seconde; mais on fouille l’une et l’autre à Rome, et dans le voisinage de cette ville ; il n’y en a point dans tout autre endroit de l’Italie. Il faut observer, cependant, que les anciens ont fait peu d’usage de la pouzzolane rouge j tandis qu’on l’estime maintenant beaucoup plus à Rome que la noire. On ne trouve pas non plus la pouzzolane dans les terres de Rome , sur le bord de la mer ; et il faut que les anciens qui l’ont employée à Antium , l’aient tirée de Naples, ainsi qu’on doit encore l’y aller chercher aujour- s d’hui. Il en coûte moins de faire venir cette terre par mer de Naples , que de la transporter par voiture de Rome. On l’apporte en Toscane , par vaisseau , jusqu’à Livourne , et on en fait même passer dans d’autres pays. Alberli 1, dans ses ouvrages sur l’architecture , parle de la pouzzolane , comme d’une chose qu’il ne connoissoit que par ouï-dire; et, à la vérité, elle ne pouvoit pas lui être connue autrement, parce qu’il éioit Florentin. Il confond même souvent cette terre avec le rapillo. Il parort d’ailleurs que la pouzzolane ne s’est, non plus, jamais trouvée en 'Grèce , comme Yitruve le remarque ; et c’est faute d’avoir cette terre, que les Grecs n’ont pas pu donner à leurs voûtes la'même légèreté, que les Romains. Il faut néanmoins qu’ils aient eu le secret de faire un très-bon ciment, 2 ainsi que nous le prouve encore le grand réservoir de Sparte, fait de cailloux qui font corps ensemble par nn ciment aussi dur que les cailloux mêmes. Les deux espèces de pouzzolane se changent également en pierre , et l’on peut dire que le ciment en devient plus dur que la pierre même qu’il joint ensemble ; c’est ce qu’on peut voir aux ruines des bâtimens placés sur le bord de la mer, et qu’elle baigne de ses - ^ eaux , tant à Pozzuolo qu’à Raies et dans tout ce pays ; ainsi qu’à Porto d’Anzio , qui est l’ancien Antium, dont les piliers qui formoienl le port et le fermoient, ainsi que les bâtimens dont nous j. venons de parler, étoient construits de briques. J’ai vu , dans les jardins de la ville d’Est à Tivoly, j des statues faites de pouzzolane, exposées, depuis plus de deux cents ans, aux injures de l’air, et parfaitement conservées. C’est aussi avec la pouzzolane que les anciens construisaient les rues de 1 Liv. II. Ch. 9 , p. 5 i. Liv. III. Ch. 16. p. g 5 , cd. Firenz 2 Hast. de l’acad. des inscript. T. XVI, p. 3 , c’d. de Paris. sS5o fol. LIVRE' II, C h A p. vu. 4 6 9 Rome i et les grands chemins de l’empire ; méthode qu’on a conservée jusqu’à nos jours. Les couches de pouzzolane s’étendent fort avant dans la terre , et quelquefois jusqu’à quatre-vingts palmes de profondeur. Tout le terrain de la ville de Rome est miné par la fouille de cette terre , et les paieries ont plusieurs milles de long ; c’est dans ces galeries que sont les catacombes. Lorsqu’on travailla aux fondemens du palais de la Yilla du cardinal Alexandre Albani , on trouva trois de ces galeries l’une au-dessus de l’autre ; de sorte qu’on fut obligé de jeter les fondemens encore pluÿ- avant sous terre , c’est- à-dire, à plus de quatre-vingts palmes de profondeur. CHAPITRE VIL Des Carrières doù Ton tire la Pierre. J’ai parlé des différentes qualités de la chaux et du sable ; il convient, pour suivre l’ordre des matières, que je parle des carrières d’où l’on tire les pierres qui sont nécessaires pour bâtir tant les pierres de taille que le moellon. Toutes les pierres diffèrent beaucoup en espèces et en qualités; il y en a de tendres , comme sont les pierres rouges des environs de Rome, celles qu’on nomme pallienses , fidenates et Albanes. D’autres sont un peu plus dures , comme les pierres tiburtines , celles d’ Anitemes , les Soractines et autres semblables. Nous avons finalement les pierres dures comme le silex ou caillou. Il existe encore plusieurs autres espèces, comme le tuf rouge et noir dans la Campanie , le blanc dans l’Ombrie , le Pisantin et près de Venise ; on les coupe avec la scie comme le bois. Les pierres tendres ont cet avantage on les taille aisément, et elles sont d’un bon usage , lorsqu’on les emploie dans des lieux couverts ; mais placées en dehors , la gelée et les pluies les réduisent en poussière ; et si elles sont employées dans des lieux près de la mer , l’air saumâtre les ronge. La grande chaleur leur fait aussi beaucoup de tort. Les pierres tiburtines, qui sont du même genre, conviennent pour porter de grands poids , et résistent très-bien aux injures de l’air, tandis que le feu leur est très-nuisible ; sa chaleur les fait éclater , à cause que l’air et le feu dominent dans les élémens qui les composent, tandis qu’il s’y trouve peu d’eau et de terre. Le peu quelles ont de ces deux derniers élémens , ne suffit pas pour empêcher la force du feu et des vapeurs de l’air de pénétrer leurs porosités, où ne trouvant aucun élément contraire, il s’allume aisément. H y a encore d’autres carrières, sur les confins du territoire des Tarquiniens ; les pierres qu’on en tire se nomment aniliènes ; elles ont la même cou- * + 7 o L’ARCHITECTURE DE V I T R U V Ç Leur que celles d’Albe ; la plus grande partie se taille sur les bords du lac de Bolsène, et dans la préfecture de Statonie. Elles ont plusieurs qualités; comme de résistera la gelée et au feu , parce qu elles contiennent peu d’air et de feu , beaucoup de terre et médiocrement d’eau ; ainsi leur nature compacte fait quelles résistent aux injures du temps , comme on en voit la preuve dans les anciens monumens , qui existent encore auprès de la ville de Ferentino, faite avec cette pierre car on y voit de grandes statues qui sont très-belles , d’autres plus petites et plusieurs ornemens très - délicats qui représentent des roses et des feuilles d’acanthe ; ces ouvrages, malgré leur vieillesse, n’ont encore rien souffert, et paroissent encore être nouveaux. Ces pierres sont encore très-utiles pour les fondeurs en bronze , qui les trouvent fort bonnes pour faire leurs moules de sorte que si ces carrières étoient plus près de Rome, on n’em- ployeroit pas d’autres pierres pour tous les ouvrages qu’on y fait. Mais puisque les carrières de pierres rouges et celles de Palliennes sont fort près de la ville, et qu’il est aisé de s’en procurer des pierres , on préfère les employer, en prenant néanmoins certaines précautions , pour empêcher qu’elles ne se gâtent ; les principales sont de les tirer plutôt pendant l’été que dans l’hiver ; de les exposer à l'air dans un lieu découvert, deux ans avant de s’en servir, afin de jeter dans les fondemens celles que le mauvais temps aura endommagées ; celles qui résistent à cette épreuve , la nature elle-même prouvant leur bonté , on les emploie à la maçonnerie faite hors de terre. On suit cette méthode tant à l’égard du moellon que des. pierres de taille. REMARQUES. Les premières pierres dont on se servit pour les édifices publics , tant dans la Grèce qu’à Rome, étoient une espèce de tuf ; le temple de Jupiter à Elis en étoit bâti. Un temple de Girgenti en Sicile , le temple et l’édifice de Pestum , sur le bord du golfe de Salerne , ainsi que les murs carrés de celte même ville , étoient tous construits avec de pareilles pierres. Cette concrétion pierreuse est de deux espèces la première se Forme d’une humidité lapidifique ; elle est blanchâtre et verdâtre , d’une nature spongieuse , et par cette raison plus légère'que les autres espèces de pierres , et que le marbre , cette pierre est connue sous le nom de Travertin , et se trouve près de Tivoli. La seconde espèce est une terre pétrifiée ; elle est quelquefois d’un noir grisâtre et quelquefois rosacée on l’appelle en Italie tufo > et en France , tuf. Vilruve lui donne le nom de pierre rouge , qu’on trouve aux environs de Rome j, c’est ce que Perrault a ignoré. L’une de ces espèces est enlevée du roc , au-dessus de la terre ; l’autre se tire du sein de la terre même. Celle-ci se trouve généralement dans les endroits où il y a des sources sulfureuses, telles que celles de Tivoli et de Pestum ; c’est près de cette ville que le ruisseau sulfureux dont parle Strabon se jette dans la mer. LIVRE II, C h A p. vu. Le travertin , en particulier , se forme des eaux de l’Anio , aujourd’hui le Tcvcrone , à qui ûn attribue une qualité pétrifiante. Dans les carrières d’où l’on tire les pierres liburtines , il se forme , en assez peu de temps , une nouvelle masse de pierre qui remplace celle qu’on en a tirée ÿ ce qui prouve ce fait , c’e*t qu’on a trouvé enfermé dans ces masses , en les faisant éclater , des outils de fer qui avoient servi autrefois à des ouvriers qui y avoient travaillé. Le marbre croît de même de nouveau car on a trouvé un pied de chèvre de fer dans un bloc de marbre , de l’espèce appelée marbre d’Afrique , qu’on vouloit scier pour l’employer à l’église délia Morte derrière le palais Faimèse à Rome. Cette croissance est néanmoins plus remarquable encore dans le porphire , puisqu’on y trouva , il y a trente ans, une médaille d’or d’Auguste. La seconde espèce de pierre , savoir le tuf, est d’une qualité terreuse et beaucoup plus tendre que le travertin $ on en trouve près de Naples une espèce qu’on travaille avec la coignée. L’autre espèce de tuf se fouille aussi dans les environs de Naples , et s’appelle rapillo ; mais peut - être faudroil-il dire lapiïlo. C’est un moellon plus lapidifié et plus noir , qui sert à faire le plancher dans plusieurs maisons, et à couvrir tous les toits liorisontaux. Ce moellon se trouve aussi à Frascali près de l’ancien Tusculum., où il est connu sous le nom de rapillo. C’est probablement une ancienne production volcanique des montagnes de ce canton , où l’on en trouve une grande quantité. Lorsqu’on lit dans l’ancienne histoire romaine qu’on a quelquefois vu tomber à Albano des pluies de pierres , il faut , sans doute , attribuer ce phénomène à quelque éruption volcanique des montagnes voisines. Les anciens enlevoient le tuf par masses carrées , et l’employoient non-seulement pour les fondemens , mais ils en construisoient aussi des édifices entiers. Les aqueducs , hors de Rome, qui ne sont pas de briques , sont faits de tuf. L’intérieur des rùurs du Colisée est de la même pierre. Aujourd’hui on tire le tuf des carrières en petits blocs , tels que le hoyau les sépare de la masse ; on le fait servir 'pour les fondemens et les voûtes , ou pour garnir les rïiurs , comme je le ferai voir plus bas. > - ; h . On employa aussi pour les premiers bâtimens à Rome , et dans les environs de celle ville , la pierre appelée peperino , qui est une espèce de pierre , d’un gris foncé , plus dure que le tuf , et plus tendre que le travertin , par-conséquent plus facile à travailler que cette dernière. Les anciens lui donnoient le nom de pierre d’Albano , comme dit Vilruve , parce qu’on en enlevoit beaucoup a Albano ; ce que les commentateurs et les traducteurs des écrivains que nous avons cités , n’ont pas remarqué. Aujourd’hui on l’appelle à Rome peperino > et à Naples pipemo , ou pipiemo , nom qui vient., probablement dé Pipemo y Privernum J où cette pierre se trouvoit en grande abondance. C’est de cette pierre que sont faits les fondemens du capitole , jetés l’an de Rome 367 , dont On voit encore de nos jours cinq hauteurs de grosses pierres au-dessus de la terre , que Ficorini ^a fait graver 1. La plupart de ces pierres ont cinq palmes et demie de longueur. La cloacca 1 Roma antiqua. p. 6a ÿ2 \ L’ARCHITECTURE DE VITRÏÏVE. massima , le plus ancien tombeau romain qu’on connoisse 1 , près d’Albano , et un autre des plus anciens monumens romains 2 , de l’an 358 de la ville de Rome , savoir un conduit pour l’écoulement des eaux du lac d’Albano , nommé présentement lago di Castello 3 sont tous construits de celte espèce de pierre. Il faut que le travertin n’ait pas été connu dans les premiers temps de Rome car on ne gravoit, alors les inscriptions que sur le peperino y telle est celle à l’honneur de L. Corn. Scipio Barbatus, le plus digne homme de son siècle 3. Cette inscription a été faite pendant la seconde guerre punique , et se voit aujourd’hui dans la bibliothèque du palais Barberin ; elle est du même âge que celle de Duillius , qui étoit sans doute gravée aussi sur la même espèce de pierre , et non pas sur le marbre 4, comme on a prétendu le prouver par un passage de Silius ; car les fragmens de marbre ne sont pas du même temps ; et Selden 5, ainsi que plusieurs autres savans, n’auroient pas été dans le doute sur la date de ce monument , s’ils avoient pu voir eux-mêmes cette inscription. Le marbre a été connu fort tard à Rome ; mais il le fut cependant avant l’an 676 de cette ville, comme un écrivain l’a avancé 6 car Pline , 7 que l’on cite à ce sujet , parle du marbre de Numidie , et du premier seuil de porte qu’on en a fait ; mais il assure, au même endroit, que l’art de scier le marbre n’a pas été connu en Italie avant le temps d ? Auguste , ce qui paroît à* peine croyable. Quoiqu’il en soit, on a employé le marbre, sans se servir de la scie , à deux monumens du temps de la république ; ce sont le tombeau de Cecilia Metèlla , appelé aujourd’hui Capo di Bove , çt la pyramide de Ceslius. Le peperino , ou la pierre d’Albano % servit aussi aux principaux édifices publies , dans le même temps qu’on employoit avec tant de profusion le marbre à Rome. Ceux qui se sont conservés du temps des empereurs , sont le forum transitorium de Nerva , le temple de Pallas au forum de cet empereur , et le temple d’Anloniii et de Fausline j un petit temple hors de Rome , près le lac Pantano , de soixante palmes de long , sur trente de large , dont les quatre murs sont encore sur pied , et peut-être d’un temps plus reculé. Ces temples cependant éloient revêtus de tables de marbre , ainsi qu’il paroît par les débris, qui nous j Bartoli Sepulcr. a tib. V. Chap. 19. 3 Jac. Simondi veluslissima fnscrip. ; qua. L. Com. Scipionis Elo giam contineUir. Romts 1617. 4- 4 Ryck de tapit . c. 33 -. ed Gandm\ 1617. 5 Marm. Àrundel p. io 3 . 6 Gozze , inscrip , délia colon, rosi, di Duillio. Rom. x 633 . 4 - p. 8. 7 Liv. XXXVI. 68. VV* V\ uttut CHAPITRE LIVRE II, C h a p. y m. CHAPITRE VIII. Des différentes espèces de Maçonneries. *Ïl existe deux espèces de maçonneries, la maillée L , qu’on emploie présentement par-tout, et l’irrégulière I qui est l’ancienne manière. La maillée est plus agréable à la vue ; mais elle a le défaut de se fendre , parce que les lits et les joints rompent et s’écartent aisément de tous côtés au lieu que la maçonnerie irrégulière , dans laquelle des pierres inégales , posées les unes sur les autres , sont liées sans régularité , est beaucoup meilleure , quoique le parement n’en soit pas si beau. Dans l une ou l’autre de ces manières de bâtir , il faut y employer les plus petites pierres car plus il y aura de mortier , plus l’ouvrage sera solide la pierre étant fort poreuse, enlève trop vite l’humidité qui se trouve dans la chaux ; c’est pourquoi il faut que le mortier domine , le mur étant alors plus humide , ne sèche pas aussi vite , et les matériaux , qui le composent, sont bien mieux liés ensemble ; tandis que s’il n’y en a pas beaucoup , les pores des pierres absorbant d’abord l’humidité qui s’y trouve , le sable se sépare de la chaux , et cause la ruine de la muraille. Nous remarquons cela dans plusieurs bâtimens anciens qui sont près de Rome ; leurs murailles faites de marbre ou de grandes pierres de taille équarries, travaillées en dehors ne sont liées dans l’intérieur que par un peu de remplage ; la chaux qui s’y trouve , sèche à la longue ; le mortier perd alors toute sa force , il tombe et se dissipe à cause qu’il y en a peu ; les pierres s’ébranlent dans leurs joints, qui se désunissent, et ces murailles tombent en ruine. Pour obvier à ces inconvéniens , il faut laisser un vuide entre les paremens ; remplir le dedans de pierres rouges équarries ou de briques , ou de cailloux communs ; donner aux murailles deux pieds d’épaisseur , et joindre les deux paremens par des crochets de fer plombés. Si on fait ces murailles avec ordre et sans confusion , elles n’éprouvent aucun dégât, et durent éternellement ; parce que les lits de pierres et les joints se rapportent également, et lient l’ouvrage ensemble. Le mur par là ne peut s’affaisser , et les paremens qui sont si bien liés l’un à l’autre ne peuvent s’ébranler. Pour la même raison, nous ne devons pas rejeter l’espèce de ma- * Planche flg. IO / 74 L’ARCHITECTU-RE DE Y I T R TJ V E. çonnerie, dont les Grecs se servent quand ils n emploient pas les pierres de taille bien équarries et également polies ; ils se contentent, dans ce cas, d arranger des cailloux , ou des pierres dures posées alternativement les unes sur les autres, comme si c étoient des briques. Cela rend les murailles si solides qu elles durent à jamais. * Ils font ces constructions ordinaires de deux manières. L’une appelée Isodome , G quand les assises sont d égale épaisseur , l’autre Pseudisodome H quand elles sont inégales. Ces deux façons de bâtir sont très-solides. Premièrement la qualité dure et compacte des pierres fait qu elles ne peuvent absorber de suite toute 1 humidité du mortier, qui s’y conserve très-long-temps ensuite légalité et le niveau des lits de pierres posés horizontalement, empêchent les matériaux de s’affaisser ; le mur étant de plus lié dans toute son épaisseur , il ne peut crévasser , et sa durée est infinie. La troisième manière est appelée Emplecton i, M dont nos villageois se servent aussi voici comme elle se fait. On rend les paremens le plus unis qu’il est possible ; on remplit le milieu de mortier , on y jette les pierres pêle-mêle , comme elles viennent, sans aucunes liaisons. Nos maçons , qui ne cherchent qu’à terminer le plutôt possible leur ouvrage , lorsqu’ils élèvent les assises , n’ont égard qu’au parement , et remplissent le milieu de pierres mêlées avec le mortier , qu’ils couchent de trois façons deux sont pour l’enduit des paremens , et la troisième sert pour remplir le milieu ; mais les Grecs ne font pas ainsi. Ils posènt leurs pierres couchées, et ils font les assises tout le long de la muraille, avec d’autres pierres , qui, de deux en deux ? , vont d’un parement à l’autre , sans remplissage au-dedans. Par le moyen de ces pierres à double parement, qu'ils appellent Diatonoiis 2 , NN ils maintiennent la muraille d’un bout à l’autre dans une égale épaisseur, et en liant ensemble les deux paremens lui donnent la plus grande solidité. Ceux qui suivront mes principes trouveront que c’est la vraie manière de construire des édifices qui durent long-temps. La maçonnerie qui paroît belle à la vue , à cause qu elle est faite de pierres faciles à tailler , n’est pas la meilleure , ni celle qui dure le plus ; pour cette raison , les experts nommés pour apprécier les murs extérieurs , ne les estiment pas d’après le prix qu’ils ont coûté ; mais après s’être assurés de l’époque où on les a faits , par les baux des loyers , ils déduisent , du prix qu’ils ont coûté , autant de quatre-vingtièmes parties, qu’il y a d’années que le mur est achevé, et ne font payer que ce qui reste de toute la somme , étant d’avis qu’elles ne peuvent durer plus de de quatre-vingts ans. ~ * * Planche III. me fig. i; 1 C’est-à-dire, entrelassée. a C’est-à-dire, étendue. 1 LIVRE II, C h a p. vin. 7 5 Il n’en est pas de même pour les murailles de briques si elles sont encore bien d’aplomb , on ne déduit rien ; mais on les estime toujours ce qu’elles ont coûté. C’est pourquoi , dans beaucoup de villes , les édifices , tant publics que particuliers , et même les maisons royales , sont bâties en briques. Tels sont à Athènes , les murs qui regardent le mont Hymette et le mont Pentelesien , et ceux de toutes les maisons. Les murailles de Cella , des temples de Jupiter et d’Hercule , sont de briques , quoiqu’en dehors , les architraves et les colonnes soient de pierre. On voit dans la ville d’Arezzo en Italie , un ancien mur de briques très-bien bâti. La maison des rois Atalliques , près de Tralis , est bâtie de même ; elle sert aujourd’hui de logement à celui que les habitans de la ville ont choisi pour remplir les fonctions sacerdotales. Pendant la magistrature des Ediles Varron et Murena , on a apporté , dans cette ville , pour en décorer le lieu des assemblées , des peintures qu’on avoit sciées à Sparte hors d un mur de briques , et on les a enchâssées dans du bois. La maison de Crésus , que les Sardiens ont consacrée à ceux de leurs concitoyens , qui, par leur grand âge, ont acquis le privilège de vivre en repos dans un collège de vieillards appelé Geronsie , est aussi de briques. Dans la ville d’Halicarnasse , le palais du puissant roi Mausole, a des murailles de briques , quoiqu’il soit par-tout orné de marbre de Proconèse. Elles sont encore aujourd’hui très-belles et très - entières , couvertes d’un enduit si bien poli , qu’il ressemble à du verre. On ne peut dire , cependant, que ce soit par économie que ce roi ne les a pas fait faire d une matière plus riche, lui qui étoit si puissant et qui commandoit à toute la Carie ; et si l’on considère les édifices qu’il a construits , on ne peut pas dire non plus que c’étoit faute de con- noître la belle architecture. Quoique ce roi fût né à Mylas , il préféroit la ville d’Halicarnasse , à cause de sa situation qui lui paroissoit très - avantageuse pour le commerce , ayant un très - bon port, ce qui le détermina d’y bâtir un palais. L’emplacement de cette ville est courbé en forme d’amphithéâtre ; il destina le bas, qui est près du port, pour en faire la place publique ; dans le milieu de ce circuit, sur la pente de la colline , se trouve une grande place , où fut bâti ce superbe ouvrage , nommé le Mausolée , l’une des sept merveilles du monde ; dans le milieu du château qui occupe plus loin , dans la même direction , le lieu le plus élevé , il fit bâtir le temple de Mars , et élever la statue colossale de ce dieu appelée Acrolithos 1 elle fut faite par un excellent ouvrier, nommé Telochâles , ou comme d’autres croient, par Timothée. Sur la pointe , qui est à droite de la colline , il fit bâtir les temples de Vénus et de Mercure , auprès de la fontaine Salmacis , à laquelle on attribue une qualité singulière ; on prétend que 1 C’est-à-dire, pierre élevée. 7 G L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. ceux qui boivent de son eau , deviennent malades d’amour. On ne sera peut - être pas fâché de savoir comment une opinion aussi absurde s est répandue dans le monde car il est certain , que ce qu’on dit des effets de cette fontaine, pour rendre efféminés et porter à la luxure ceux qui en boivent, n’est fondé que sur la qualité de son eau, qui est très - agréable à boire. Lorsque Mêlas et Arevanias conduisirent une partie des habitans de la ville d’Argos et de Trézène pour habiter dans ce lieu, ils en chassèrent les barbares Cariens et les Lélegues ; ces peuples se retirèrent dans les montagnes , d’où ils firent des courses sur les Grecs , et ravagèrent tout le pays par leurs brigandages. A cette époque , l’un des habitans reconnut la bonté de cette fontaine ; il y bâtit une taverne pourvue de tout ce qui étoit nécessaire , dans 1 espérance d y faire quelques profits ; il réussit si bien dans cette entreprise , que les barbares y vinrent comme les autres , et s’habituèrent, en vivant avec les Grecs , à la douceur de leurs mœurs ; et, sans aucune contrainte , ils changèrent leur naturel farouche ; de sorte que par la vertu qu’on attribue à cette fontaine , on ne doit pas entendre une mollesse qui corrompt les âmes , mais qu elle a contribué à adoucir les mœurs des barbares. Pour en revenir à la description de la ville , et des bâtimens de Mausole , je dirai que, comme le temple de Vénus et la fontaine dont nous avons parlé, se trouvoient du côté droit, à gauche , du côté opposé, se trouvoit le palais de ce roi , qu’il avoit disposé d’après son goût ; il est situé de manière qu’à droite, il a la vue sur la place publique , sur le port , et généralement sur tous les remparts de la ville ; à gauche il regarde sur un autre port qui est caché par la montagne, de sorte qu’on peut voir ce qui s’y passe , sans être aperçu. Le roi, de son palais , donne ses ordres aux soldats et aux matelots. Après la mort de Mausole , la reine Artémise son épouse prit les rênes du gouvernement. Les Rhodiens ne purent souffrir qu’une femme régnât sur toute la Carie ; ils armèrent une Hotte pour s’emparer du royaume. Artémise en fut avertie ; elle fit cacher, dans ses ports, une armée navale avec les forçats et tous les soldais de marine , et fit paroître le reste de l’armée sur les remparts. Les Rhodiens firent approcher leur armée navale fort bien équipée ; comme elle étoit prête d’entrer dans le grand port, la reine fit donner un signal de dessus les murailles , comme pour faire entendre que la ville vouloit se rendre. Aussitôt les Rhodiens sortent de leurs vaisseaux pour entrer dans la ville ; Artémise fait de suite ouvrir le petit port, son armée navale en sort et entre dans celui où étoient les vaisseaux des Rhodiens qui étoient vuides ; on les garnit de matelots et de soldats , et on les emmène en pleine mer ; en même - temps les Rhodiens , qui n’ont plus aucun moyen de se retirer , sont tous massacrés sur la place publique , où iis se trouvent enfermés. La LIVRE II, C h a p. vin. 77 reine de son côté , avec les navires Rhodiens qu elle avoit remplis de matelots et de ses soldats, s’en va droit à l isle de Rhodes. Les liabitans voyant venir leurs vaisseaux couronnés de lauriers , reçurent leurs ennemis , croyant que c’étoient leurs gens qui revenoient victorieux. Artémise , après s’être emparée de la ville de Rhodes , et fait massacrer les principaux hahitans de cette île , éleva un trophée dans la ville , composé de deux statues de bronze , dont l’une représentoit la ville de Rhodes ; l’autre étoit celle de cette reine , qui imprimoit, sur le front de celle qui représentoit la ville, les signes qui marquent la servitude. Long-temps après , les Rhodiens n’osant abattre ' ces statues , parce que la religion fait un crime de renverser les trophées qui dédiés aux dieux , s’avisèrent, pour en ôter la vue, de bâtir, tout autour, un édifice fort élevé, à la manière des Grecs , qu’ils apelèrent Abaton, c’est-à-dire où l’on ne pénètre pas. Si des rois aussi puissans n’ont pas dédaigné d’employer les briques dans les bâti- mens , ce n’étoit pas par économie; l’argent qu’ils levoient dans leurs états, et celui qui provenoit des dépouilles de l’ennemi , étoit plus que suffisant pour subvenir aux dépenses nécessaires pour bâtir non-seulement en moellons , mais en pierres de taille et même en marbre. On ne doit donc pas mépriser la maçonnerie en briques , si toutefois elles sont bien faites. Il est vrai qu’on ne peut s’en servir dans la ville de Rome. Mais en voici la raison les lois défendent de donner aux murs extérieurs, plus d’un pied et demi d’épaisseur ; pour gagner plus d’espace dans sa maison , on ne veut pas en donner davantage aux autres murs. Ceux de briques ne sont bons qu’au- tant qu’il s’en trouve deux ou trois rangs dans l’épaisseur , et on ne peut en mettre autant puisqu’elle n’a qu’un pied et demi d’ailleurs étant aussi minces, ils ne pour- roient soutenir qu’un étage, ce qui seroit fort mal entendu dans une ville qui contient autant d’habitants, et où il faut que la hauteur des édifices supplée au défaut de place. On doit même placer , de distance en distance , des pilastres de pierre , bâtis avec des tuileaux , ou bien d’autres murs faits avec le moellon , pour fortifier ceux des maisons, en les liant à ceux-ci par des solives, afin qu’ils puissent s’élever assez haut, tant pour procurer l’avantage des cénacles , que l’agrément de la vue i. La quantité d’étages et de balcons qu’on y peut faire, rendent les habitations de Rome fort belles, sans occuper beaucoup de place. L’économie du terrain est donc la seule raison pourquoi cette maçonnerie n’est pas en usage dans Rome ; mais comme la même x Le cénacle étoit le plus haut étage d’une maison , qu’on louoit au menu peuple , et où il alloit faire ses repas. In cœnaculum rarus venit miles. Le soldat monte rarement jusqu’au dernier étage, dit Juvenal, parce qu'il n’y avoit que le menu peuple qui y logeoit. 7 s L’ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. * raison n’existe pas hors de la ville, si on vent bâtir d’une manière qui dure longtemps, il faut l’employer. Sur le haut des murailles, sous le toit, on fait un massif avec des tuiles, de la hauteur d’un pied et demi, qui doit déborder en forme de corniche ; ce moyen garantit les murailles de tout ce qui peut leur nuire car si une des tuiles de l’entablement vient à se casser ou à être emportée par le vent , la pluie coule par cette ouverture sur la muraille ; mais ce massif de tuiles empêche que les briques n’en soient endommagées, parce que la saillie de la corniche fait tomber l’eau plus loin, et empê- che qu elle ne touche la muraille, tellement que la maçonnerie reste intacte. Quant aux tuiles, on ne peut guère juger de leur bonté, qu’après les avoir éprouvées ; on n’en est assuré qu’autant qu’elles ont résisté aux chaleurs de l’été et à toutes les injures du temps car si elles sont faites avec de mauvaise terre , et quelles soient mal cuites, la gelée et les pluies feront bientôt connoître leurs défauts ; et les tuiles qui se gâtent d’abord sur les toits , ne sont pas propres pour maçonner. Lors donc qu’on veut s’en servir pour cet usage , pour le faire de longue durée, il faut prendre celles qui sont depuis long-temps sur les toits. Il seroit à souhaiter qu’on n’eût jamais pensé à faire des murailles de bois entrelacé ; si elles ont quelqu’avantage à cause du peu d’espace qu elles occupent , et du peu de temps qu’il faut pour les fabriquer, elles sont si dangereuses, à cause du feu, pour lequel elles semblent être un aliment tout préparé , qu’il vaut beaucoup mieux faire la dépense des murailles maçonnées que de s’exposer à un danger continuel qui ne sera jamais compensé par la facilité de cette construction. Celles-mêmes qui sont couvertes d’enduit se fendent nécessairement le long des montants et des travers car le bois qui s’enlle d’abord par l’humidité, lorsqu’on le couvre de mortier, se rétrécit ensuite lorsqu’il sèche, ce qui fait casser l’enduit. Cependant, si pour la promptitude, par économie, ou pour remédier à quelque hors d’équerre, on a besoin de pareilles murailles , voici comme on doit faire il faut les asseoir sur un empâtement un peu élevé au-dessus du niveau de la terre , afin qu’ils ne touchent pas au pavé ; autrement ils se pourrissent, et, en s’affaissant, ils rompent et gâtent la beauté de l’enduit du mur. Voilà ce que j’avois à dire sur la construction des murailles , sur les matériaux qu’on y emploie en général , et sur leur bonne ou mauvaise qualité. J’ai traité cette matière le mieux que j ai pu ; il me reste à parler des planchers, des matériaux qu on y emploie, et comment il les faut choisir pour en faire un ouvrage durable, autant qu’on en peut juger d’après les lois de la nature. LIVRE II, C h a p. vin. REMARQUES. 79 Galiani remarque que Vitruve, , dans ce chapitre , parle d’abord des façons de maçonner en usage chez les Romains, ensuite de celle des Grecs, et qu’il divise l’une et l’autre en deux espèces, savoir celle des Romains en maillée et irrégulière, et celle des Grecs en pierre équarrie ou de taille , et la maçonnerie ordinaire l’une qu’il nomme isodoma , et l’autre pseudlsodoma. Il est vrai , dit-il , que Vitruve parle encore d’une autre espèce de maçonnerie qu’il nomme Emplectori; mais je crois qu’il n’entend par celle-ci, qu’une manière particulière d’exécuter celles dont il a déjà fait mention. C’étoit lorsque l’intérieur des espèces de murs, dont il vient de parler , étoit rempli , entre les deux paremens , de petites pierres , de morceaux de pots cassés et autres choses semblables , avec du ciment dont il y avoit toujours un tiers plus que de pierres. Réunissant ensuite la maçonnerie des Grecs et celle des Romains , voici, à ce qu’il] me semble , continue Galiani , la vraie manière de les diviser. Toutes les murailles sont bâties en massif ou en remplissage ; ces deux manières s’exécutent eii pierres de taille, en maçonnerie ordinaire, en maillée et irrégulière le maçonnage ordinaire peut être isodome et pseudisodome. Il ne parle pas de celle en brique , parce qu’il en a déjà fait mention dans le troisième chapitre de ce livre. Je suis de son avis , et je trouve sa division assez exacte ; mais avant de traiter des différentes constructions des bâtimens , je vais commencer par celle des fondemens ils éloient faits ou de grosses masses carrées de tuf , ou bien de petits moellons de ce même tuf ; ce qui étoit même la manière la plus ordinaire, comme elle l’est encore aujourd’hui. La platée de cette dernière manière se faisoit de la façon suivante , comme on le voit encore aux ruines qui sont à Rome. On jetoit le ciment , c’est-à-dire la chaux et la pouzzolane mêlées ensemble , par baquet dans la fosse , ce qu’on recouvroit ensuite de morceaux de tuf; manoeuvre qu’on recommençoit jusqu’à ce que la fosse fût pleine. Ce fondement se consolidoit en deux jours de temps ; il devenoit même si dur par le moyen de la pouzzolane , qu’on pouvoit bâtir dessus , immédiatement après cette opération. Il faut que je répète ici une observation que j’ai déjà faite , qui regarde les murailles même celles hors de terre ; c’est que les anciens , considérant la qualité solide de la pouzzolane , em- ployoient toujours plus de ciment que de pierre ; et c’est, suivant cette méthode , que sont faites toutes les anciennes voûtes ; comme nous l’observons dans nos remarques sur les chapitres premier et dixième du cinquième livre. On élevoit , sur les fondemens , les murailles ; celles de petites pierres étoient en général faites ' de morceaux de tuf, en forme de coin, ou de diamants taillés; la surface au parement étoit carrée, on les plaçoit un angle en haut et un autre en bas , en forme de losange ; cette espèce de maçonnerie s’appeloit chez les anciens , opus reticulatum ; c’est-à-dire ouvrage en réseau, ou maillée , à cause des joints des pierres , dont la figure étoit semblable à un réseau. Chaque pointe de ces coins représentés dans la figure i. re de la planche XII.”, Lit. E. , étoit enfoncée dans le mortier, qui , avec des pierres de la même espèce , formoit le remplissage de l’intérieur de la muraille. Quand les anciens employoient , à cette sorte d’ouvrage, des pierres tendres , comme le tuf, les carrés étoieni 8o L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. tous très-égaux et bien travaillés.; cette régularité plaisoit à la vue tels sont ceux qu’on voit sur les restes du mausolée d’Auguste à Rome; mais quand ils se trouvoient clans un endroit, où ils ne pouvoient se procurer cette espèce de pierre , et qu’ils étaient obligés d’en employer de plus dures, comme celles qu’on voit à l’amphitliéâtre de Theano , clans le labour a 6 lieues de Capoue , les carrés ne sont pas, à beaucoup près, aussi bien travaillés , et l’ouvrage n’offre pas un coup-dceil aussi agréable. Quoique Vitruve , et même Pline 1 assurent que cette espèce de muraille n’ést pas solide, cependant on voit , qu’il s’est conservé des bâtimens entiers , construits uniquement de cette façon tels sont entr’autres la maison de campagne dite de Mécène a Tivoli , les ruines du temple cl Hercule , au même endroit, les restes de la maison de campagne de Lucullus à Frascati, et de grands pans de murs de celle de Domitien , à Caslel-Gandolio , dans la villa Barberin. J ai trouve par toute Fltalie , des ruines d*opus reticulatum ; j’en ai vu sur-tout dans l’ancienne Campanie , et dans une infinité d’autres endroits du royaume de JNaples. On en trouve aussi beaucoup en d’autres pays hors de l’Italie et, maigre 1 opinion de Vitruve , les ouvrages de ce genre qui se sont conservés jusqu’à nous , sont en plus grand nombre , et plus intactes que ceux de tous les autres ; cela vient , sans doute , suivant les principes avances par notre auteur , de ce que les pierres en sont fort petites , mêlées dans une grande quantité de chaux , ou pour mieux dire de mortier. Passons présentement à l’autre espèce de maçonnerie en usage chez les Romains , qui, d’après ce que dit Vitruve , et ce que nous montrent les monumens antiques qui nous restent , étoit la manière de bâtir des plus anciens temps. Vitruve nomme celte manière incerta , et,je l’ai traduit par maçonnerie irrégulière. Je n’ai pas fait comme Perrault et d’autres qui ont voulu corriger ici le texte de Yitruve; au lieu d’incerta , ils ont mis inserta ; ils entendent par là, une maçonnerie faite en liaison y dans laquelle les pierres sont posées les unes sur les autres comme des tuiles y ce que Vitruve n’a certainement pas voulu dire ici ; car cette espèce de maçonnerie est celle qu’il nomme plus loin, isodome et pseudisodome. Perrault, et ceux qui ont suivi son sentiment, ne con- noissoient certainement pas cette manière que Vitruve nomme incerta et dont il existe encore un fragment considérable qui forme une partie des murs de la ville de Fondi dans le royaume de Naples , a droite de la porte de celle ville , nommée la porte de Rome. Cette muraille est faite de pierres blanches à paremens polis ; mais ces pierres sont toutes d’une forme différente car il y en a de pentagones , d’hexagones 3 et d’heptagones , et c’est de cette manière qu’elles sont emboitées les unes dans les autres. Elle est représentée lettre I. re , fig. i. re , pl. Ill. me Ce morceau est exécuté avec clés pierres très-grosses, et si elles n’éloient d’une autre espèce ^ que celles qui composent le pavé de la voie Appiénne, on pourroit croire que c’est une partie de cette voie qui a été transportée là y et élevée d’aplomb , tant les pierres de ce mur ressemblent à celles de ce pavé, soit par l’irrégularité , soit par la grandeur. Les murs de Corinthe et d’Eretria en Eubée , étoient construits de cette manière. Il y a voit aussi de pareils murs à Ostia , ville de l’Epire , dont San Gallo , ancien architecte de son temps on en voyoit encore quelques restes a donné le dessin et la description, 0 PU ne - Reticulata structura, qua frequentissimè slruunl nimis oporluna est, Liv. XXXVI, Ch. 5i. - 1 ;" A. qui LIVRE I I, C il à p. vin. 81 qui se trouvent sur vélin dans la bibliothèque du palais Barberin à Rome; VY inkelman a parlé de ces murs dans sa description des pierres gravées de Stoseh page 175. Ou voit aussi représentés sur la colonne de Trajan les murs d’une ville construits de semblables pierres. Outre ces deux espèces de maçonneries , les Romains se servoient aussi de celles que les colonies. Grecques avoient introduites anciennement en Italie. Vitruve commence par indiquer les murs faits entièrement de pierres de taille carrées, sans rem- plage ni moellon. Tous les murs de clôture de la ville de Pestum , située à un mille et demi du bord du golfe de Salerne , avec les quatre tours des angles , sont bâtis de celle manière , avec de très-grandes pierres quadrangulàires ou oblongues , jointes ensemble , à ce qu’il paroît, sans ciment ; de manière que le côté extérieur de ces pierres offre une surface taillée en forme de diamant. Les uns prétendent que cetlê ville a été bâtie par les Sybarites ; d’autres par les Dauriens ce qu’il y a de certain , c’est que ces murs sont de la plus haute antiquité ; et malgré le défaut que Vitruve reproche à cette maçonnerie , ils se sont conservés en entier ; quoiqu’il y ait deux mille ans qu’ils sont bâtis. Ces murs de pierres carrées , soit de tuf, de peperin , de travertin , ou de marbre , se faisoient en posant simplement ces pierres les unes sur les autres , et quoiqu’en dise Yilruve , à ce* qu’il paroît , sans ciment ; de sorte qu’ils se soutenoient par leur propre poids. Dans les temps les plus reculés , on prenoit, pour construire , les plus grosses pierres qu’on pou- voit trouver; c’est ce qui a fait dire que c’étoit des ouvrages de Cyclopes. 1 C’est pour celte même raison que les gens du pays donnent encore aujourd’hui le nom de Palais des Géants 2 aux ruines du temple de Jupiter à Girgenti en Sicile. Les pierres sont en général d’une équerre si juste et les arrêtes si vives , que les joints ressemblent à un fil mince ; et c’est ce que quelques écrivains ont appelé apfiovia- art qu’on admiroit particulièrement au temple que Scopas , 3 bâtit à Tégée les joints d’un temple de Cmcum étoient couverts de listeaux d’or 4. On a remarqué que les grandes pierres d’autres bâlimens étoient liées ensemble avec des ou des clefs , comme Yitruve l’enseigne dans ce chapitre ; ces clefs étoient de métal pour le marbre , parce que le fer y cause des taches de rouille. Alberti dit aussi avoir trouvé des clefs ou des crampons de bois dans des bâtimens anciens 5 ; M. Le Roi les a remarqués aux ruines d’un temple dans le territoire d’Athènes ; on en a trouvés aussi au temple de Jupiter à Girgenti. L’autre espece de maçonnerie en usage chez les Grecs, que Yitruve indique ensuite, est la même que la précédente , si ce n’est qu’on n’y employoit pas de pierres taillées , mais telles qtt’elles se trou— voient naturellement ; on les lioit en les posant alternativement les unes sur les autres , comme' si C etoient des briques. L’intérieur du mur n’étoit pas rempli avec du moellon jeté à bain de mortier , comme l’Empiecton ; mais avec la même espèce de pierre , qui étoit liée comme celles des paremens. Voyez la j. re fig. H de la III. rae planche. 1 Pausan. Liv. II. 2 Fazell. rer. Sici. Bec. Liv. "VI, p. ,127. ed, Panor, i 568 . 3 Pausan. Liy. YIII. 4 Plin. Liv, XXXVI. Ch. 22. Il parle dans le même chapitre des manières de bâtir en usage chez les Grecs , dites Isodome et Emplectone. 5 Archit, Liv. III, Ch. a. II 82 L’ARCHITECTURE DE VITRTJVE. Les couclies minces et assez égales de pierre calcaire et du grès schist, convenoient extrêmement pour faire ces sortes d’ouvrages ; et dans les Apennins , il se trouve beaucoup de pierre calcaire. Lorsque les assises ou rangs de pierres étoient tous d’une égale épaisseur , comme ils sont représentés dans la 1." fig, lettre G de la III. me planche , on nomme cet ouvrage Isodome y et lorsqu’ils étoient inégaux , comme dans la même fig. lettre H, on les nommoit Pseudisodome . CHAPITRE IX. Des bois propres à bâtir. Le temps le plus propre à la coupe du bois pour bâtir , est depuis le commen- ment de l’automne jusqu’au printemps ; c’est-à-dire , avant que le vent Favonius ne commence à souffler car au printemps , la tige de tous les arbres est pleine de la sève vigoureuse qui reproduit tous les ans leurs feuilles et leurs fruits. Cette saison qui les remplit d’humidité , les gonfle et les rend beaucoup plus foibles , semblables aux femmes, qui, pendant leur grossesse , ne sont ni aussi fortes, ni en aussi bonne santé ; ce qui fait qu’on ne garantit pas la santé des esclaves qu’on vend pendant qu elles sont enceintes. Voici la raison dé tout cela lorsque le germe qui a été conçu vient à croître , il attire à lui la plus grande partie de la nourriture ; de sorte que plus les fruits se fortifient en mûrissant , plus ils diminuent les forces et la santé de celle qui les porte'; mais après les couches , toute cette nourriture qui n’est plus employée à l’accroissement et à la nutrition d’un corps étranger , se retire dans les veines qui étoient vuides ; alors le corps de la mère se fortifie et revient dans son premier état C’est ainsi qu’en automne , lorsque les fruits sont mûrs , qüe les feuilles commencent à se flétrir, lès arbres retiennent tous les sucs que leurs racines tirent de la terre ; ils reprennent leur ancienne force ; le froid de 1 hiver qui survient , les resserre et les affermit. C’est pourquoi le temps que j indique est le meilleur pour couper le bois. Pour le bien couper, il faut cerner les arbres par le pied, de manière que le tronc de l’arbre , dans son rayon, reste intact depuis le coeur jusqu’à la moitié de sa circonférence , on le laisse ainsi pendant quelque temps , afin que l’humidité en sorte et quelle s’écoule de l’aubier par cette entaille , tellement quelle ne puisse corrompre ni gâter le bois par la suite. Quand l’arbre sera bien sec, et qu’il n’en sortira LIVRE I I, C h a £>. ix. 83 plus d’humidité, il le faut abattre ; .alors il sera excellent à mettre en œuvre. Ce qui se pratique à l’égard des arbustes, prouve combien cette méthode est utile dans une certaine saison de l'année , pn les perce par le bas , pour ôter cette humidité superflue; cela les fortifie et les fait durer plus long-temps. Si on néglige de le faire, elle s’amasse et se pourrit, dans l’intérieur de leur tige , ce qui fait qu’ils demeurent foibles et languissans. Les .arbres donc, que l’on fera ainsi sécher sur pied , avant qu’ils soient morts, ou épuisés par la vieillesse , seront exeeUens pour bâtir, et dureront long-temps après qu ils seront employés. S’il existe plusieurs espèces d’arbres , leur qualité diffère aussi beaucoup. Nous employons dans les bâtimens le chêne , l’orme, le peuplier , le cyprès et le sapin ; ils ne conviennent cependant pas également à tous les ouvrages car on ne peut pas faire du chêne ce qu’on fait du sapin , ni du cyprès ce qu’on fait de l’orme ; les propriétés de chacun de ces bois étant différentes, à cause des élémens dont ils sont composés, ils ne peuvent également servir au même ouvrage. Le sapin qui renferme beaucoup d’air et de feu , qui contient peu d’eau et de terre , étant composé d’élémens aussi légers , pèse lui-même très-peu ; sa nature est d’être ferme et tendu ; il plie sous le faix et tient le plancher fort droit; mais sa trop grande chaleur est cause qu’il engendre des vers qui le gâtent, qu’il s’enflamme aisément , à cause de sa nature aérée , et qu’il occasionne souvent des incendies. Si on remarque le sapin avant de le couper , on verra que, près de la terre, il est uni et n’a pas de nœuds à cause de l’humidité que tirent ses racines ; mais la partie d’en haut qui jette beaucoup de branches, parce que la chaleur y abonde, est fort noueuse; quand on l’a coupée à la longueur de vingt pieds , et équarrie, on l’appelle fusterna , pour marquer la dureté de ses nœuds. Quant à la partie inférieure , si elle est assez grosse , pour être partagée en quatre , on la décharge de son aubour, et ce qui reste est très-bon pour la menuiserie, on l’appelle sapinea. L’élément terrestre compose presque tout seul la nature du grand chêne ; il a peu d’eau, d’air et de feu, aussi dure-t-il éternellement dans la terre ; parce que sa solidité fait qu’il ne reçoit presque pas d’humidité dans ses pores ; il la fuit tellement et il en contient si peu , qu’il se tourmente , se gerse et se fend lorsqu’on l’emploie hors de terre. Le petit chêne , dont les principes sont beaucoup plus tempérés, est d’un très-bon usage dans les édifices il ne résiste pas, il est vrai, à l’humidité; elle s’insinue aisé- ii. 84 • L'ARCHITECTURE DE VITRÜVE. ment dans ses'pores , en fait sortir l'air et le feu qu’il contient , et avance par-là sa corruption. Le cerrus, le liège et le hêtre qui ont beaucoup d’air , peu d’eau , de terre et de feu, sont d’une substance si peu solide , qu’ils se gâtent , pour peu qu’ils soient humides. Le peuplier , le blanc comme le noir, le saul, le tilleul et le gatilier i, qui contiennent beaucoup de feu et d’àir, médiocrement d’eau et un peu de terre, conviennent beaucoup , à cause de leur légèreté , pour faire des ouvrages délicats’; leur bois n’étant pas dur, parce qu’il contient peu de terre, ils sont au contraire très-blancs, à cause qu’ils sont très-poreux; c’est pourquoi ils conviennent beaucoup pour la sculpture. L’aune qui croît au bord des rivières , et dont le bois n’est pas fort estimé, est souvent très-utile ; comme l’air et le feu composent principalement son essence , il est excellent pour soutenir les fondemens , qu’on bâtit dans les marais les pilotis qu’on fait de ces arbres , mis fort près les uns des autres , ont l’avantage de pouvoir prendre beaucoup d’humidité sans qu elle leur nuise , parce qu’ils en ont peu naturellement sans se gâter ils soutiennent la charge des bâtimens les plus massifs. Ainsi le bois qui se corrompt le plus facilement sur la terre , est celui qui dure le plus long-temps dans l’eau ; on en voit l’expérience dans la ville de Havenne , où toutes les maisons, tant publiques que particulières , sont fondées sur ces pilotis. La propriété de forme et du frêne , qui ont beaucoup d’eau, peu d’air et de feu, et médiocrement de terre , est de s’éclater difficilement quand on les emploie ; leur bois est aussi moins roicle que celui des autres arbres; c’est pourquoi il plie plus facilement, si ce n’est lorsqu’ils sont tout-à-fait desséchés par le temps , ou par le moyen que nous avons indiqué pour ôter aux arbres l’humidité, en les cernant pendant qu’ils sont encore sur pied ; cette fermeté, qui les empêche d’éclater, fait qu’ils conviennent beaucoup pour les assemblages par tenons et par mortaise. Le charme , à cause qu’il a peu de feu et de terre , médiocrement d’eau et d’air se rompt difficilement ; mais en revanche il plie aisément. C’est pourquoi les Grecs, qui en font le joug de leurs bêtes, l’appellent sigia, ziga, qui est le nom qu’ils donnent à cette espèce de joug. On remarque que les bois de cyprès et de pin se courbent ordinairement, lorsqu ils sont mis en oeuvre ; leur excessive humidité en est cause car la grande quantité i Autrement Yugnus caslus. 85 TUI V R'E I I, C h k *. ikji J ïi A d d'eau qu’ils contiennent n’est tempérée quelpar .la*mixtion des autres principes ; cependant ils existent long temps sans se gâter, à’cause qüe l’extrême amertume de cette humidité empêche la vermoulure , iet tue les vêts -qui les"rongent ; par-là les ouvrages qu’on en fait durent toujours, f mn .ou o h-.^au Le cèdre et le genévrier ont la même qualité et sont résineux comme le pin et le cyprès. L’huile du, cèdre qui s’appelle cedrium , sert à conserver tout ce que l’on veut; tellement que les livres qu’on en frotte, ne, sont pas dans le cas d’être gâtés par les vers ni de se moisir. Les feuilles du cèdre ressemblent,à celles du cyprès , et les fibres de son bois sont fort-droites. La sta^e de Liâne. dans fie temple d’Ephèse, est de bois de cèdre,; le plafond est aussi dejce,bmsWdeimêmè .que ceux de tous les plus grands temples. Cet arbre croît principalement dans l île de Candie , en Afrique, et dans quelques endroits de la Syrie. r . '»• a ; i . ? nod ’ r " U-> ; Le larix , qu’on ne voit guère qu’au bord du P© et- près dés côtes de la mer Adriav tique , est si amer , que les vers et la pourriture ne l’attaquent jamais ; mais il a une qualité bien plus essentielle , c’est qu’il est incombustible . pour le brûler , il faut le mettre dans le feu avec de l’autre bois , comme on fait des pierres pour les réduire en chaux; encore ne produit-il, ni flammes ni charbons , et il ne se consume qu’à la longue car l’eau et la terre dominent dans sa composition , { qui n’a que peu de feu et d’air ; ce qui rend son bois si solide et tellement serré que le feu ne peut pénétrer dans ses pores ; il lui résiste et ne peut être endommagé qu’à la longue ; il est d’ailleurs si pesant qu’il ne peut flotter sur l’eau. On ne peut le faire venir qu’à l’aide des bateaux , ou sur des radeaux faits de sapin voici comme on a découvert cette particularité ; l’ânecdote mérite d’être connue. Dans le temps que Jules - César campoit près des Alpes , il commanda à tous les lieux circonvoisins de fournir les choses nécessaires pour la subsistance de son armée. Dans un château-fort nommé Larignum , il se trouva des gens assez hardis pour refuser de lui obéir , parce qu’ils étoient persuadés , que , par sa situation avantageuse , cette place étoit imprenable. César fit approcher ses troupes , et trouva devant la porte du château , une tour faite de ce bois , mis en travers l’un sur l’autre en forme de bûcher ; sa hauteur étoit telle , que ceux qui étoient dedans pour la défendre , pouvoient aisément en empêcher l’approche avec des leviers et des pierres. On remarqua qu’ils n avoient d’autres armes que des leviers, qu’ils ne pouvoient lancer bien loin, à cause de leur pesanteur. On ordonna donc à ceux qui faisoient les approches , de jeter au pied de la tour quantité de fagots, et d’y mettre le feu, ce qu’ils exécutèrent de suite. Comme elle étoit environnée d’une flamme qui s’élevoit fort haut, on crut que toute la tour' 86 L ’ ARCHITECTURE DE V IT R U V E. étoit consumée; mais le feu venant à s éteindre , quelle fut la surprise de César en revoyant la tour toute entière ! il résolut alors de l’entourer d’une tranchée , qui mît ses troupes hors d’atteinte des traits des ennemis, qui, dans la crainte d’être forcés , furent obligés de se rendre. On leur demanda d’où ils tiroient ce bois incombustible ? ils montrèrent cette espèce de bois, très - commun dans le pays, qui e-nomme larix, d’où ils avaient appelé leur château Làrignum. On en fait venir, par le Pô , à Ravenne , à Fano , à Pesaro , à Ancône et autres villes des environs. Si l’on pouvoit sen procurer aisément à Rome, rien 11e seroit plus avantageux ; il y se- roit de la plus grande utilité pour les bâtimens sur tout pour ceux qui terminent les groupes ,des maisons. Si on" l’employoit pour les boiseries des entablemens qui sont sous les tuiles 1 , il en réSulteroit que , pendant les incendies , le feu ne passeroit r pas dam groupe à l’autre , puisque ce bois n’est pas susceptible de s’enflammer, ni de se convertir en charbon. Les feuilles de cet arbre ressemblent à celles dn pin ; le bois a le fil long ; il est aussi bon pour la menuiserie , que le sapin ; sa résine liquide ressemble au miel attiqué. On s’en sert pour guérir les phthisies. î .. ’ OU . Ce que j’ai dit sur les propriétés clés arbres et sur , leur s élémens., suffit à ce que je crois. Il me reste à expliquer pourquoi la qualité du sapin , qu’onnomme à Rome Supemas , n’est .pas aussi bonne que celle qu’on nomme Infemçis dont on se sert cependant beaucoup dans, la construction des édifices, à cause qu’il duce long-temps. Je vais faire voir n par les principes .qui me paraîtront les plus évidents , comment les qualités ou les défauts de cet arbre dépendent des lieux qui, les produisent. REMARQUES . Je vais rapporter les principes des naturalistes modernes , sur les causes de l’accroissement des arbres , et sur les différentes espèces de bois, pour les opposer à ceux de Yilruve qui n’abàndonne jamais son système des élémens. On remarque dans un arbre coupé transversalement , le bois , l’aubier et l’écorce. Toutes ces parties se font voir dans les branches 5 mais la moelle qui est au centre s’y fait mieux remarquer. Cette moelle est un amas de petites chambrèttes séparées par des interstices on y trouve beaucoup de sève. Autour de celle moelle , sont rassemblés , suivant la longueur du tronc , plusieurs vaisseaux, que l’on distingue en vaisseaux lymphatiques , vaisseaux propres , et trachées, dont nous détaillerons l’usage. La moelle rassemblée au centre jette des productions qui vont, ep quelque façon, s’épanouir dans 1 ecorce ; ainsi 1 entrelacement des vaisseaux longitudinaux, avec les productions médul* laires , forment la substance du bois et de l’écorce. 11 faut observer dans 1 épaisseur de l’ecorce, trois parties différentes entr’elles cette peau fine qui touche immédiatement le bois t et que l’on nomme liber , Y épiderme ou la peau extérieure , et s • LIVRE II, Cdap. iî. 87 l’ëcorce moyenne qui se trouve deux précédentes. Il est digne de remarque , que cette première peau ou écorce intérieure se détache au printemps, et forme une nouvelle ceinture d’accroissement au bois dans toute sà longueur. La préuve en est , que cette écorce étant arrachée , le liber dans un endroit, le bois n’y prend plus le moindre accroissement. .al . On distingue facilement, en coupant un arbre en travers , les divers accroisseihens annuels par ces cercles concentriques , c’est-à-dire , ces couches ligneuses , qui sont des cônes- inscrivis , ou qui s’emboîtent les uns dans les autres, on peut compter le nombre de ses années, parce qu’il se forme tous les ans, comme il est dit ci-dessus , une couche ligneuse qui s’applique sur l’ancien bois, pendant qu’il se forme pareillement une couche corticale sous l’ancienne écorce , dont l’extérieur tombe' par écailles dans les uns, comme l’orme, le plane , etc., ou se roule en feuillets comme dans le bouleau et le chèvre-feuille, etc. La oirconférence d’un arbre étant formée par la- révolution entière de chaque couche , chaque couche est répétée deux fois lorsqu’on prend le diamètre de l’arbre ; c’est pour cela qu’on ne compte que lè demi-diamètre ou le rayon , pour avoir le- nombre réel dé* ses couches; ou pour en juger exactement, on doit compter les cercles d’un arbre, d’une certaine* grosseur, assez près de son pied; c’est l’endroit où elles sont plus distinctes. Il'est de fait qué dani les premières années de l’arbre , les couches qui se forment sont très-épaissës , tandis qu’elles sont fort minces dons les derniers temps de son accroissement. Ges cercles ligneux n’ont donc pas également tous la même largeur. Il y a plus ; la même couche varie d^épaisseiir-^ suivant là 1 Situation des racines , et les diverses 1 expositions ôù l’arbre a été planté; Le côté du'nord' J ést è'n ^ général plus étroit dans les climats tempérés et froids. Les derniers Cercles qui touchent à Féèoreè sont plus minces, et d’une consistance plus légère ; c’est ce qu’on nomme l’anbief, que les ôUdriérs rejettent comme peu propre à êffé ; mis en œuvre. •> • '»•’ ... é ' Nous avons vu le moyen que Yitruve nous fournit pour, donner, à cet aubier , la qualité du bon bois nous verrons, dans la suite de cet article , ceux . que l’expérience & aussi fournis à -M. de Buffon pour la^ même chose. L’arbre ,, en grossissant % force les libres de l’écorceq à s’étendrer,; il rompt quelquefois les dehors avec un bruit éclatant c’est ce qui cause les crevasses qu’on voit souvent à l’extérieur de l’écorce. . '• -a ,oi> r fo ligneux , et qu’on relire les morceaux rompus en sens opposé , on aperçoit, entre les. deux morceaux , des filamens très-fins, qui, vus au microscope , paroissent être des bandes brillantes, roulées en tire-bourre. C’est par ces trachées , analogues, pour la forme, à celles des insectes , qu’il proit que l’air entre dans les plantes , pour aider sans doute à l’ascension des- liqueurs. f Ces trachées viennent aboutir à la surface extérieure n dë l’ëcorce. ;> 'p; ' ; • T , ..,,rn ol Les vaisseaux propres sont des canaux creux , qui r s’élèvent dans toute la longu"”" de l’arbre i et ' ^_ ,tiennent le suc particulier à chaque espèce d’arbre. C’est de ces dilférens sucs que dépend la qualité du bois, et non des élémens dont ils sont composés, comme dit Vitruve. Dans les uns, c est une résine; dans d’autres uue gomme; dans celui-ci un; lait; 1 dans cet autre une huile y quelquefois c’est un miel ou un sirop, ou une manne,’ . 88 L \\ R C II I T E C T U IV E 1 E VIT R TJ V E. Les vaisseaux lymphatiques contiennent une lymphe qui différé peu de l’eau pure, dans quelque peu d’arbres ; la vigne en donne'hure grande quantité, lorsqu’elle pleure au printemps 5 mais elle cesse d’en donner quand lés feuilles sont épanouies. La lymphe , ainsi qu’on le voit, diffère du suc propre, dans lequel il paroît que réside principalement la vertu et la saveur des plantes. La même organisation se retrouve dans les racines, dans leurs chevelus, dans les branches. Fous ces vaisseaux réunis dans les pédicules des feuilles , se distribuent ensuite en plusieurs gros faisceaux , d’où il part un'nombre de faisceaux moins gros , qui se divisent et se subdivisent en une prodigieuse quantité rde ramifications qui forment un réseau,-qu’on peut regarder’ comme le squelette des feuilles. Les maillés* de cds réseaux sont remplies d’une substance cellulaire. - * * ; t ♦ • ? r* .uj * Toutes les parties. ainsi. organisées servent et concourent a la nourriture, au développement et a l’accroissement de .l’arbre 5 les racines divisées en une infinité de rameaux vont chercher dans les différens sucs nourriciers que la terre contient, ceux qui sont propres à chaque espèce d’arbre. Dire t cela se - lait, if ; est impossible; 5 c’est encore un secret de la nature que l’intelligence" humaine ira pu encore péaétrfcr.,,M.^Pluche fait,.à cet égard , une comparaison très-ingénieuse , tirée d’une expérience de physique. 11 compare la terre d’un potager , avec tous ses différens sucs , à un vase dans lequel on a jeté, pêle-mêle , de l’huile, de l’eau et du vin prenez, dit-il , trois bandelettes de dinge trempe? le bout .de l’une dans l’eau, trempez le boiit de l’autre dans quelques gouttes d’huile, et celui .de la troisième dans si du vin mettez ensuite ces trois bandelettes dans le vase, de façon que le? bouts ffabibés plongept dans la. liqueur ,. et , que les bouts secs amenés et rebattus en haut sur les; jbprds du’vase descendent un peu au-dessous de la surface du liquide la bandelette qui a été trempée dans l’eau s’emplira d’eau en entier et distillera de l’aaju, Celle dont le bout a été mis dans l’huile vous distillera de l’huile l’autre rougira peu-â-peu, et vous distillera du vin elles ne 1 se 'méprendront point-. Vous ' tréuverez quelque * chose ! de tout semblable dans les plantes. Celui qùF les a faites et qui les a pourvues de tous j lës vaisseauxnécessaires à leur entretien et à leur propagation, n’a pas manqué dé mettre au bas de ces*vaisseaux certains cribles dont lés diverses ouvertures admettent facilement 1 certains sucs et rejettent tous les autres. eu ' / La sève monte par les fibres du bois , vers toutes les extrémités ; elle parvient jusques dans les feuilles où elle se perfectionne , parce qu’une multitude' de trachées ouvertes vers le ciel , dans le dessus de. la feuille éiï reçôivént sans cesse de l’eàu où quelque fraîcheur , un nouvel air , des nouveaux mires ,a r es parcelles de feu, et des esprits bienfaisants ,. qui' se mêlent à la sève, la volatilisent, et contribuent ainsi, soit par leur forme , ou par leur organisation qui varie dans chaque espèce d’arbre , à donner aux différens bois ,' les diverses qualités qu’on leur trouve , et qui est due à cette belle' organisation, que nous admirons dans tous les ouvrages du créateur, et non comme Je croyoit Vitruve d’après Aristote, aux élémens qui composoient les bois. Nous allons présentement parier ,jàesj diverses espèces qu’on emploie dans les bâlimens et de leurs qualités , en remplaçant les principes de la physique ancienne , par les découvertes de la physique moderne. Le bois proprement dit lignum , varie en pesanteur , en densité , en dureté dans les divers arbres 3 et même dans les mêmes .espèces d’arbres- qui t ont>cru dans différens terrains, ou dans des climats différens. La densité du bois a toujours un rapport avec le temps de son accroissement les arbres LIVRE I I, C h à p, ix. 89 arbres qui croissent le plus lentement , ont le bois le plus dur , au contraire des autres. Les couches ligneuses commencent d’abord par être molles et tendres avant d’acquérir la solidité , qu’elles ne prennent que peu-à-peu ; et comme elles s’appliquent extérieurement les unes sur les autres , il s’ensuit que les intérieures , dans un arbre bien sain , sont plus dures et plus colorées que les extérieures , et ont leurs fibres plus resserrées ; ce sont ces couches intérieures qu’on appelle bois les couches extérieures , qui sont plus tendres , et communément d’une couleur différente , s’appellent aubier ; ainsi l’aubier n’est lui-même qu’un bois nouveau , fort imparfait , qui n’a pas encore acquis toute sa solidité ; mais qui en est susceptible comme on le verra ci-après. \Iaubier n’est bien distinct que dans les bois durs comme l’ébène , le gaïac , la grenadille même , le chêne et le pin , etc. Dans les arbres mous , au contraire , qui ne peuvent pas prendre beaucoup de solidité , tels que le tilleul, le bouleau, l’aune , le cciba , le boubal, etc, il n’y a pas d 1 aubier ou, pour mieux dire , il n’y a pas de bois ; parce que le corps ligneux reste’ toujours dans son premier état d’aubier, sans jamais se durcir. C’est cet aubier, qu’attaquent et rongent les insectes qui s’y logent, et s’en nourrissent. Les arbres vigoureux ont plus à?aubier ,• mais en moindre nombre de couches que ceux qui languissent. Le chêne a communément depuis sept jusqu’à vingt-cinq de ces couches, qui se rejettent dans l’emploi qu’on fait de ce bois pour la menuiserie. Les différentes natures des bois, dont les uns se conservent mieux dans l’eau , d’autres dans l’air, les rendent propres à divers usages. 11 y en a qui sont susceptibles d’un beau poli, et d’une grande divisibilité , ainsi qu’on le voit dans les ouvrages de placage. Plus les bois ont de dureté , de solidité , plus ils sont bons pour toutes sortes d’ouvrages , et sur-tout pour le pilotage et la menuiserie. Les Allemands, chez qui les Iiollandois vont chercher leurs bois de menuiserie , ont un secret bien simple pour leur procurer ces qualités ; ce moyen ressemble et produit le même effet que celui indiqué par Yitruve dans ce chapitre , qui est de cerner les arbres long-temps avant de les couper. Au printemps , lorsque la sève monte en abondance , On enlève l’écorce , qui se détache facilement , et on les laisse ainsi sur pied pendant toute l’année; le printemps suivant, ils poussent encore quelques bourgeons , des feuilles , des fleurs et même des fruits , la seconde année il ne paroîlra plus de fruits et lors de la saison de la coupe, on abat ces arbres qui, pour lors, fournissent un bois bien meilleur pour la dureté. Suivant les expériences qu’a faites M. de Buffon , l’aubier de l’arbre ainsi écorcé , et laissé sur pied , devient aussi dur que le cœur ; il augmente de fo rce et d’intensité ; par-conséquent cet aubier , qui auroit été perdu , devient propre à être 4 tra- vaillé comme le reste du bois , et" n’est point alors plus sujet à la piqûre des vers. La connoissance de la force des bois , auxquels on fait supporter tous les jours des fardeaux, énormes , étant un objet important d’utilité , a mérité l’attention des yeux philosophiques du savant académicien que nous venons de citer. Il a fait sur ce sujet un très-grand nombre d’expériences , dont on peut voir un ample détail dans les mémoires de l’académie. Suivant ses observations , la force du bois n’est pas proportionnelle à son volume une pièce double , pour la grosseur , d’une autre d’égale longueur , est beaucoup plus du double plus forte. Le bois de même nature qui , dans le même terrein , a cru plus vite , est de plus fort ; celui qui a crû plus lentement , dont les cercles annuels sont plus minces, est moins fort. La force du bois est proportionnelle à sa pesanteur. De deux pièces de même grosseur'et longueur, la plus pesante est la plus forte, à-peu-près dans la même proportion qu’elle est plus pesante. Une pièce de bois, chargée simplement des deux tiers 12 9 o L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. du poids , capable de la faire rompre , ne rompt pas d’abord ; mais bien au bout d’un certain temps. Il résulte de ces ingénieuses expériences , que dans un bâtiment qui doit durer long-temps , il ne faut donner au bois , tout au plus , que la moitié de la charge qui peut le faire rompre. La plus grande attention qu’on doit avoir, comme dît Yitruve , c’est d’éviter de couper le bois lorsqu’il est plein de sève , non pas pour la raison qu’il dit ; mais parce qu’étant coupé plein de sève , il est bien plus sujet aux vers. Il est probable , que la sève mêlée aux différens sucs qui se trouvent dans les vaisseaux propres dont nous venons de parler , venant à sécher , attire les vers auxquels elle sert de nourriture. Un autre avantage, c’est que le bois qui n’est pas coupé en pleine sève , sèche beaucoup plus vite. Ainsi le meilleur temps pour abattre les arbres , est depuis la fin du mois d’octobre jusqu’à la fin de décembre ; car immédiatement après ce temps , la sève commence déjà à monter. Mais si on a la précaution d’abattre les arbres dans la saison que j’indique , je puis assurer , d’après l’expérience , que ceux mêmes les plus sujets à la vermoulure , tels que le sycomore, le plane , etc. ne seront jamais attaqués par les vers. * YitriïVe parle ensuite , d’après ces principes , des qualités des différentes espèces de bois ; il commence par le sapin , parce que c’étoit le bois dont on faisoit le plus d’usage de son temps. U çn distingue deux espèces dans le second chapitre du premier livre. Nos naturalistes les divisent aussi en deux ordres , savoir les sapins proprement dits , et les Piceas ou Epicéas , Peee ou Pesse. Les sapins proprement dits, ont la pointe de leurs fruits , ou cônes, tournée vers le ciel; leurs, feuilles 6ont longuettes, émoussées, échancrées par le bout, assez souples , blanchâtres en-dessons , et rangées à-peu-près sur un même plan des deux côtés d’un filet ligneux, ainsi ’que les dents d’un peigne ; ils fournissent la térébenthine liquide. Les feuilles des Epicéas ou Piceas sont étroites , assez courtes , roides , piquantes et rangées autour d’un filet commun , en sorte qu’elles forment toutes ensemble , par leur pointe, une espèce de cylindre ; leurs cônes ont la pointe tournée en bas. Ces arbres ne donnent point de térébenthine ; mais ils font de leur ecorce un suc épais , ou une résiné qui s’épaissit, devient concrète et semblable à des grains d’encens commun c’est avec cette résine que l’on fait ce qu’on nomme poix de Bourgogne. Le sapin a cela de contraire aux autres arbres , c’est que le bois de ses branches , et de la cime de son tronc qui les porte , que Yitruve nomme fusterna , est beaucoup plus dur que le reste du tronc ; c’est-à-dire que plus ce bois est jeune , plus il est dur , et qu’au lieu de durcir en vieillissant , il devient tendre. Ses branches , et la cime de son tronc sont aussi dures que l’intérieur du bois de chêne, tandis que le reste du plus tendre que l’aubier. LIVRE II, Chàp. x. 9 1 CHAPITRE X. Des différentes espèces de Sapins qui se trouvent des deux côtés de' l Apennin. L’apennin commence à la mer Tyrhène, et s’étend le long de l’Etrurie jusqu’aux Alpes. Les croupes de cette montagne forment ensuite une espèce de demi-cercle , qui touche presque , dans le milieu de sa courbure , la mer Adriatique , et s’étend jusqu’au détroit qui sépare l’Italie de la Sicile. La Campanie et l’Etrurie sont comme entourées de ces montagnes ; leur pente de ce côté est découverte , et très- exposée aux ardeurs du soleil. La pente opposée, qui descend vers la mer supérieure, regarde le nord ; tellement qu’elle est toujours à l’ombre , et couverte des plus épais brouillards. Les arbres qui se trouvent dans cette partie sont nourris par une humidité continuelle , ce qui fait qu’ils croissent extrêmement hauts, et que leurs fibres, qui en sont trop remplis , se gonflent jusqu’au moment où ils sont abattus et équar- ris ; comme ils perdent alors leur faculté végétative , ils se déssèchent ; leurs fibres n’ont plus de consistance ; leur grande porosité les rend foibles et sans force ; ce qui fait qu’ils subsistent peu lorsqu’on les employé dans les édifices. Ceux qui croissent, au contraire , dans des lieux découverts , exposés aux ardeurs du soleil, n’étant pas aussi poreux , s’endurcissent en séchant , parce que le soleil en tire l’humidité , comme il fait celle de la terre. C’est pourquoi, on préfère, pour bâtir, les arbres qui croissent dans les lieux découverts; leurs fibres étant plus serrées , ils sont beaucoup plus fermes ; et n’aspirant pas autant d’humidité, ils sont moins poreux et subsistent bien plus long-temps. C’est pour cette raison que l’espèce de sapin , nommée sapin d’en bas , qui croît à l’exposition du soleil , est préférée à cette autre espèce qui croît dans une exposition contraire et qu’on nomme sapin d’en haut. J’ai rapporté de mon mieux , après beaucoup de recherches , ce qui concerne les différens matériaux qu’on emploie pour bâtir. J’ai fait connoître les élémens qui les composent ; quelles sont leurs bonnes ou leurs mauvaises qualités , afin d’en instruire ceux qui bâtissent ; mes leçons leur pourront être utiles pour choisir ces matériaux et les mettre en œuvre, selon les différens genres d’ouvrages. J’ai d’abord parlé des préparatifs qui sont nécessaires pour bâtir ; j’expliquerai dans le reste de l’ouvrage les règles qu’on doit suivre dans la structure des édifices ; je commence , comme il est juste, par les temples des dieux ; je fais connoître, dans le livre suivant, leurs proportions et les rapports de leurs mesures. . 12. t D E y IT RU y{ \ i ' LIVRE TROISIEME. il cfe ' r- m 'INTRODUCTION. Socrate, qu’Apollou lui-même, par son oracle de Delphes , déclara le plus sage de tous les hommes , disoit avec raison , qu’il seroit à souhaiter que nous eussions une ouverture à la poitrine, afin qu’on pût y lire nos pensées et nos desseins. Si la nature, d après le sentiment de ce grand homme , nous avoit donné les moyens de découvrir les conceptions des uns des autres , outre favantage qu’on auroit de voir le fort et le foible de tous les esprits ; la science, et la capacité de chacun se connoissant à l’oeil, on ne les jugeroit plus d’après des conjectures incertaines. Les leçons des savans en auroient bien plus d’autorité. Mais puisque la nature ne l’a pas voulu , et qu’il ne nous est pas permis de pénétrer dans l’esprit de l’homme, pour connoître avec certitude les sciences qu’il renferme et qui y sont souvent cachées, les meilleurs artistes auront beau promettre d’employer tous les talens possibles pour faire réussir les ouvrages qu’ils entreprennent, s’ils ne sont pas doués des biens de la fortune , s’ils ne se sont pas créés d’avance une grande réputation , s’ils n’ont pas les talens de se faire valoir et une facilité de s’exprimer , proportionnée à leur science ; on ne croira jamais qu’ils connoissent à fond leur art. L’exemple des anciens peintres et sculpteurs prouve cette vérité ; en voyons-nous parmi eux qui ont transmis leurs noms à la postérité, si ce nest ceux qui jouirent Introduction. de quelques recommandations ou de quelques marques d honneur ? Myron, Polyclète, Phydias , Lysippe et tous ceux qui ont été anoblis par leur art, ne doivent leur célébrité qu’aux ouvrages qu’ils ont faits pour les rois, pour les grandes villes et pour des particuliers puissans et élevés en dignités. Il s’en est cependant trouvé plusieurs autres qui n’avoicnt pas moins d’esprit, d’adresse et de capacité qu’eux ; leurs ouvrages étoient aussi bons que les leurs; mais parce qu'ils travailloient pour des personnes moins distinguées, ils ne se sont fait aucune réputation ce n’est pas faute d industrie et de talent ; mais faute de bonheur. C'est ce qu’ont éprouvé Hellas d’Athènes, Cliion de Corinthe , Miagras de Phosène , Pharax d’Ephèse , Bedas de Bisance, et beaucoup d’autres. La même chose est arrivée aux peintres car Aristomène de Rhodes , Polyclès d’Atramide, et Nicomachus, ne sont pas les seuls qui , malgré leurs études , leurs talens et l’application la plus assidue à leur art, soit qu’ils étoient peu fortunés , soit par leur mauvais destin , ou par le malheur d’avoir eu du désavantage dans quelques contestations avec leurs adversaires , ont trouvé des obstacles insurmontables à leur avancement. Il n’y a rien d étonnant que des personnes de mérite restent dans l’obscurité , parce qu’il y a peu de gens capables de les apprécier ; mais il est insupportable de voir qu’une quantité d’ignorans soient applaudis , et leurs ouvrages estimés, parce qu’on les a prônés dans quelques festins, aux dépens de la raison et de la vérité. Si donc, comme le désiroit Socrate, les sentimens des hommes, leurs talens, leurs sciences avoient été visibles , la faveur et la brigue ne prévaudroient pas comme elles font. On occuperoit de préférence ceux qui, par leurs études et leurs sciences , sont parvenus à la perfection de leur art ; mais puisque les choses ne sont pas ainsi , et que l’expérience m’a fait connoître que les ignorans l’emportent bien souvent, par l’intrigue, sur les plushabiles ; moi qui n’aime pas ces derniers moyens, je ne veux pas me compromettre avec eux, mais je vais tâcher d’établir, par des raisonnemens solides, les principes de la science dont je fais profession. Dans mon premier livre, ô César, j’ai traité de tout ce qui appartient à l’architecture en général ; des qualités nécessaires pour rendre un architecte parfait ; j’en ai fait connoître les raisons ; j’ai divisé les différentes parties de cet art, et je les ai définies ; j'ai raisonné ensuite sur le choix qu’on doit faire de l'emplacement pour y bâtir une ville , afin que l’habitation en soit saine ; ce qui est très - important. J’ai fait voir , par les figures , quels sont les vents , leurs régions , et d’où ils viennent ; j’ai enfin enseigné la manière de disposer les rues et les places publiques. Après m’être étendu sur tout cela dans le premier livre , je parle , dans le second , des matériaux 94 L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. de leurs qualités naturelles , et de l’importance de leur choix pour la solidité des ouvrages. Mon dessein est de traiter , dans le troisième , de la construction des temples qu’on élève aux dieux immortels , et de dire quelle forme on doit leur donner. CHAPITRE PREMIER. De la construction et des proportions des Temples. La belle construction d’un édifice dépend, surtout, de la proportion; un architecte ne sauroit trop £n étudier et suivre les règles. La proportion dépend des rapports de grandeur, i que toutes les parties de l’ouvrage ont entr’elles , et avec le tout, réglé par une même mesure. C’est ce rapport que les Grecs appellent analogie. Pour qu’un bâtiment soit bien ordonné , il faut donc que toutes les proportions s’y trouvent et se rapportent entr’elles ; comme il est nécessaire , pour qu’un homme soit bien fait, que tous ses membres soient bien proportionnés les uns avec les autres. * La nature donne ordinairement au corps humain les proportions suivantes le visage , depuis le bas du menton jusqu’au haut du front, c’est-à-dire , jusqu à la racine des cheveux , fait la dixième partie de la hauteur de l’homme ; cette même longueur se trouve depuis le pli du poignet , jusqu’à l’extrémité du doigt, qui est au milieu de la main toute la hauteur de la tête , c’est-à-dire , depuis le bas du menton jusqu’au sommet, est la huitième partie de tout le corps ; la même mesure se trouve par derrière , depuis l’extrémité inférieure du cou depuis le haut de la poitrine jusqu'à la racine des cheveux , on trouve la sixième partie , et jusqu’au sommet la quatrième le visage se divise en trois parties égales. La première est depuis le bas du menton jusqu’au dessous du nez ; la seconde depuis le dessous du nez jusqu’aux sourcils ; la troisième depuis les sourcils jusqu’à la racine des cheveux qui 4. i Par le mot Symetria , comme nous l’avons dit dans nos remarques sur le 3. me chapitre du premier livre , les anciens entendent la proportion et par proportio , ce que les mathématiciens appellent raison ; ainsi j’ai été obligé , avec Perrault, de rendre le mot Symetria par % celui de proportion , et proportio par celui de rapport de grandeur. Je ne pourrois que répéter ici ce que j’ai déjà dit dans ces remarques où la chose est suffisamnïent expliquée ; j’y renvoie donc le lecteur, * Planche lV.^hg. i et terminent le front. La longueur du pied est la sixième partie de la hauteur de tout le corps humain ; le coude , de même que la poitrine, en sont la quatrième partie. Toutes les autres parties ont chacune leurs mesures et leurs proportions. C’est sur elles que les plus fameux peintres et sculpteurs de l’antiquité, qui font l’admiration de l’univers , se sont toujours réglés. Il faut de même qu’il y ait égalité de mesure dans toutes les parties qui composent un temple, et que leurs différentes grandeurs correspondent avec le tout. Le centre du corps humain est naturellement au nombril car qu’un homme soit couché; qu’il ait les pieds et les mains étendus ; qu’on mette alors le centre d’un compas au nombril, et qu’on décrive un cercle , il touchera l’extrémité des doigts des mains et des pieds. Comme le corps de l’homme ainsi étendu a rapport avec un cercle , on trouvera qu’il en a aussi avec un carré car si on prend la distance qui se trouve depuis l’extrémité des pieds jusqu’au sommet de la tête, et qu’on la rapporte sur celle qui se trouve depuis l’extrémité d’une des deux mains qui se trouvent étendues jusqu’à l’autre, on trouvera que cette longueur et celte largeur sont égales , comme sont celles d’un carré fait avec une équerre. Puisque la nature a composé le corps de l’homme , de manière que chacun de ses membres est proportionné avec le tout; c’est pour cette raison que les anciens, ' ont voulu que, dans les ouvrages perfectionnés, on observe exactement ce même rapport des parties avec l’ensemble. De tous les ouvrages dont ils ont réglé les mesures, ils se sont sur-tout attachés à perfectionner celles que doivent avoir les temples des dieux ; parce que tout ce qui s’y trouve de bien ou de mal fait , reste exposé à jamais aux jugemens de la postérité. Les différentes espèces de mesure dont on se." sert pour régler tous les ouvrages, sont elles-mêmes prises sur les parties du eèrps humain ; tels sont le doigt , le palme , le pied , la coudée ces divisions ont été réduites en nombres parfaits que les Grecs appellent telion. Le nombre parfait établi par les anciens , est celui de dix * à cause du nombre des dix doigts qui composent la main ; de même que la mesure du palme a été prise des doigts , et celle du pied des palmes. Comme la nature nous a donné dix doigts aux deux mains , Platon a cru que ce nombre étoit parfait, parce que les unités qui sont appelées monades , par les Grecs , formoient la dixaine de sorte que si l’on passe outre, en allant de onze à douze etc. , on ne trouvera pas de nombre parfait, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à l’autre dixaine , à cause que les parties de ce nombre sont l’unité. Les mathématiciens prétendent au contraire que le nombre le plus parfait est celui de six , parce que suivant eux , tous ces diviseurs réunis ensemble , font aussi le % 'ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. & nombre de six tellement que le sextant i contient une de ses parties; le trient 2 en contient deux ; le sentisse 3 trois ; le bes, 4 qu’ils appellent dimoiron , quatre ; le quintarium 5 qu’ils appellent pentamoiron cinq ; et le nombre parfait six ; si on y ajoute une sixième partie qui fait sept , ils appellent ce nombre ephecton 6. Si on va jusqu’à huit, en ajoutant la troisième partie de six , on a le tertiaire appelé' epi- tritos ; 7 et en ajoutant à six , la moitié qui fait neuf, on trouve le sesquialtere 8 qu’ils appellent hemiolios ; 9 et ajoutant encore deux tiers de six , pour faire la dixaine, on fait le besalterum , 10 appelé epidimoiron . 11 Si on fait onze en ajoutant cinq , on a le quintarium alterum , 12 appelé epipeqtamoiron ; i3 et on fait enfin la douzaine qu’ils appellent diplasiona , i4 en joignant les deux six simples ensemble. De plus pour faire voir la perfection du nombre six , ils ont observé que la longueur du pied de l’homme , est la sixième partie de toute sa hauteur , et que, suivant le nombre des pieds , que cette hauteur contient, on a cru que la proportion la plus parfaite étoit celle où la hauteur contenoit six fois la grandeur du pied. On a observé encore que la coudée est composée de six palmes , et par-conséquent vingt-quatre doigts. Il paroît que c’est à cause que la coudée contient six palmes, que les villes Grecques ont partagé la drachme en six , et qu’ils l’ont composée de six pièces d’airain , marquées de même que les as i5 que l’on appelle oboles; pour représenter les vingt- quatre doigts, ils divisèrent les oboles en quatre quartans, appelées par les uns dicha - lea , u6 et par les autres triçhalea 17. Nos ancêtres ont d’abord adopté la dixaine, comme un nombre très - ancien ; ils ont fait le dénier de dix as d’airain , et c’est pour cela que la monnoie qui en est composée a toujours été appelée jusqu’à présent 1 Le sextant faisoit la sixième partie de l’as qui étoit le numme de cuivre , ou la livre , la plus ancienne monnoie des Romains. Voyez nos réflexions à la fin de ce chapitre. 2 Le tiers de 6 , c’est-à-dire 2. 3 La moitié de 6 , c’est-à-dire 3 . 4 Les deux tiers de 6 , c’est-à-dire 4 * 5 Les cinq. 6 Un par dessus 6 , c’est-à-dire 7. 7 La troisième partie de 6 ajoutée à 6, c’est-à-dire 8. 8 Un et demi. 9 La] moitié avec le tout, c’est-à-dire 9. 10 Deux tiers de 6 par-dessus 6 , c’est-à-dire xo, 11 Le second dimoiron. 12 Les cinq parties de 6 ajoutées à 6, c’est-à-dire 11. 1 3 Le second pentamoiron. 1 4 Le double. 1 5 Nous verrons dans nos remarques, à la fin de ce chapitre , que ce mot a signifié un poids comme la livre commune; dfe-là on l’a transporté à quelqu’autre chose que ce fût , et as signifioit partout la chose entière. Nous voyons comme on a donné ce nom à une monnoie. 16 C’est-à-dire, double de cuivre. 17 Triple de cuivre. denarius, LIVRE III, C h a p. i, 97 denarîus , et sa quatrième partie sesterce , qui valoit deux as et demi. Ensuite ayant conside're' que les deux nombres parfaits sont six et dix , de ces deux - là ils en composèrent un plus parfait encore qui est le decussis sexis i ou seize. C’est le pied qui leur en a donné l’idée , puisqu’en ôtant deux palmes de la coudée , les quatre palmes qui restent font le pied, et le palme ayant quatre doigts, le pied doit en avoir seize , qui est autant que le dénier contient d’as d’airain. S’il est évident que tous les nombres doivent leur origine aux doigts et aux autres membres de l’homme , et qu’il existe un rapport de mesure entre les différentes parties de son corps et son ensemble , combien ne devons-nous pas estimer ceux , qui, d’après ces principes , disposèrent les plans des temples des dieux, de manière que les parties correspondant avec le tout , nous offrent, séparées , comme dans leur ensemble , les plus belles proportions ! On distingue chaque sorte de temple , par les différentes formes qu’ils présentent à notre vue. La première est le temple à antes , que les Grecs appellent Naos en Paratasin ; les autres sont le prostyle , l’amphiprostyle , le périptère , le pseudodiptère , le diptère , l’hypætre. Je vais expliquer et faire connoître leurs différentes formes. * On appelle temple à antes , celui qui a deux antes DD à son frontispice qui servent à terminer les murs qui enferment la Cella. Entre ces deux antes se trouvent deux colonnes FF un fronton s’élève sur le tout. E Nous prescrirons ci-après, dans ce livre, ses proportions et ses mesures. Les trois temples de la fortune , et principalement celui qui est près de la porte Colline 2 sont construits de cette manière. ** Le prostyle diffère du temple à antes , à cause que des colonnes D sont opposées aux antes angulaires ; G ces colonnes soutiennent les architraves qui retournent de chaque côté le temple de Jupiter et celui de Faune dans l’isle du Tibre sont bâtis de cette manière 3. *** L’amphiprostyle 4 a toutes les parties du prostyle. De plus il doit avoir à la face de derrière, H comme à celle de devant, des colonnes et un fronton. 1 C’est-à-dire , si» ajouté à dix. * Planche V. me , fig. i. 2 Porte de Homme , nommée aujourd’hui la porte Salare. ** Planche V. me , fig. i et 2 . 3 Tite-Liv. parle de ce temple de Jupiter dans le 4- me liv. de la 4 me décade, et de celui de Faune dans le 3. mc liv. de la 4- me déc. *** Planche V. rac , fig. 2 . 4 C’est-à-dire , qui a des colonnes aux deux côtés. 1 2 3 i3 9 S L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. * Le périptère i doit avoir, tant à sa face de devant qu’à celle de derrière , six Colonnes , et onze de chaque côté , y compris celles des angles. Il faut que ces colonnes soient placées de façon que l’espace qui se trouve entre les murailles et le rang des colonnes qui les environnent, soit égal à celle de l’entre-colonnement, laissant ùn passage pour s’y promener , comme l’on voit au portique que Métellus a fait bâtir par Hermodore autour du temple de Jupiter Stator, et à celui que Mutins a ajouté au temple de l’Honneur et de la Vertu , près du trophée de Marius , non-compris le frontispice de derrière. ** Le pseudodiptère 2 doit avoir huit colonnes à la face de devant, autant à celle de derrière , et quinze de chaque côté , y compris celles des coins ; de plus les murailles de la Cella doivent correspondre aux quatre colonnes du milieu de la face de devant, et aux mêmes colonnes de la face de derrière. Depuis les murailles jusqu’au rang des colonnes , il reste l’espace de deux entre-colonnemens et la grosseur d’une colonne. On ne voit point à Rome de pareil temple ,* ** *** mais il s’en trouve deux dans la ville de Magnésie , qui sont celui d Apollon construit par Hermogène Alabandin, et celui de Diane construit par Mneste. *** Le diptère 3 est octostyle 4 tant au-devant qu’au derrière du temple ; il a, tout à 1 entour, deux rangs de colonnes. Tel est le temple de Quirinus, d’ordre dorique. Tel est celui de Diane à Ephèse, d’ordre ionique , construit par Ctésiphon. L hypætre 5 est décastyle 6 devant et derrière ; du reste il est comme le diptère ; mais il a cela de particulier , que dans l’intérieur il règne tout autour deux ordres de colonnes, posées les unes sur les autres MM et séparées de la muraille pour faire des portiques , comme aux péristyles ; 7 le milieu II est découvert; il a des portes à la face de devant et à celle de derrière. Nous n avons point non plus un pareil temple à Rome ; mais le temple octostyle 8 de Jupiter Olimpien à Athènes est de ce genre. * Planche YI me , fig. i. 1 C’est-à-dire , qui a d,es colonnes tout à l’entgur. ** Planche VII. me , fig. 2. 2 C’est-à-dire, faux diptère. *** Planche VII.™ , fig. i. 3 C’est-à-rdire , où les colonnes sont doublées dans les ailes. 4 Qui a huit colonnes. **** Planche VI.™, fig. 2. 5 C’est-à-dire , découvert. 6 Qui a dix colonnes. 7 Qui ont des colonnes tout à l’entour. 8 A huit colonnes. LIVRE III, C h a p. i. 99 * REMARQUES. Ce chapitre et ceux qui suivent jusqu’au septième livre, sont les plus imporlans pour l’arcliitecture, puisqu’ils contiennent les règles d’après lesquelles on doit proportionner les divers édifices d’où, dépend surtout leur beauté. Car la proportion seule ne fait pas le beau ; mais sans elle il n’y a point de beau. Ce livre et le suivant étoient bien plus imporlans encore pour les anciens , puisqu’ils traitent de la construction des temples ; objet auquel l’architecture doit son origine , et pour lequel ils déployèrent toute sa magnificence. Nous avons déjà vu que les proportions de l’architecture ont été prises sur celles du corps humain, le chef-d’œuvre de la nature. Ses parfaites proportions le rendant le plus beau de tous les êtres, les anciens le choisirent pour régler celles des édifices. Ainsi il faut, comme dans un homme bienfait, que chaque partie d’un bâtiment soit bien proportionnée , qu’elle le soit avec le tout, et avec les autres parties. C’est pourquoi Yitruve rapporte les proportions de quelques-uns de nos membres, pour faire voir comme on a pris celles des édifices. Ceux qui voudront les connoître entièrement et dans le plus grand détail , doivent consulter le traité d’Albert Durer sur la symétrie du corps humain. H est bon d’observer, cependant, que les proportions que Yilruve assigne-aux différentes parties de notre corps, ne sont pas toutes exactes par exemple il dit, que la partie qui se trouve depuis le haut de la poitrine jusqu’à la naissance des cheveux , fait la sixième partie de la hauteur de l’homme; tandis qu’elle en fait quelquefois la sixième et demie. 11 ajoute que cette même partie, jusqu’au sommet de la tête, fait la quatrième partie de la hauteur de l’homme , ce qui fait dire avec raison , à Philander , qu’il y a ici une faute dans les manuscrits , et qu’au lieu de lire une quatrième parde , il faut lire une cinquième partie et quelque chose en sus , autrement il s’ensuivroit- que l’espace , qui est depuis la racine des cheveux jusqu’au sommet de la tête , seroit presqu’aussi grand que tout le visage. La proportion du pied est encore mal établie , puisqu’il lui donne une longueur égale à la sixième partie de toute la hauteur de l’homme , tandis que dans un çorps bien fait, dont la tête est la huitième partie de tout le corps, le pied n’a que la septième partie. La longueur qu’il donne à la poitrine est aussi disproportionnée. Catane , qui a écrit un ouvage italien sur l’architecture, saisit très-mal le sens de ce passage, où Yitruve fait voir comme on a réglé les proportions des édifices sur celles du corps humain , et comme la figure d’un homme ayant les bras étendus peut se placer dans un carré. Il donne à ce passage l’interprétation la plus ridicule, puisqu’il prétend que le plus beau plan pour un édifice, est celui qui ressemble à un homme étendu par terre ayant les bras en croix; aussi, c’est, dit-il, celui de presque toutes les cathédrales i. Jean Zhan 2 , avec le secours de quelques'figures, nous a fait voir comme on pouvoit dessiner la figure d’un homme dans un cercle , dans un carré, dans un pentagone , dans un triangle équilatéral. Celui qui a quelque teinture de géométrie, 1 Cataneo archit. liy. III., ch. 1, 3 Spécula phiîico-mathematico hisloria de î. Zhan. IOO L'ARCHITECTURE DE VITRUYE. comprendra facilement que , si l'on peut tracer un homme dans un cercle, on pourra également le tracer dans toutes les autres figures qui s'inscrivent dans ce cercle. Outre les proportions et les mesures , les anciens ont encore pris sur les parties du corps humain J’usage des nombres. Yilruve nous apprend dans ce chapitre que l’arithmétique doit son origine aux dix doigts de nos mains ; la plupart des peuples, avec leur secours, ont commencé à compter en additionnant des dixaines d’unités, dont ils lormoient des dixaines de dix, ou des centaines, puis des dixaines de cent ou des mille. Celte manière de compter étoit la plus simple , et sembloit dictée par la nature. C'est pourquoi Platon trouvoit que le nombre dix éloil le plus parfait j cependant en divisant le nombre dix , on ne trouve pas ces rapports de proportions entre les différentes quantités qui le divisent, et la totalité, qu’on trouve dans d’autres nombres, que les mathématiciens, trouvèrent plus parfaits, dont les divisions proportionnées entr'elles, et avec le tout, formoient ces proportions qu’on nomme harmoniques, où le premier nombre est au troisième , comme la différence du second et du troisième. Tel est le nombre six, dont les diviseurs i, 2 , 3 , sont en proportions harmoniques entr’eux et avec lui, parce que 2 6 i 3 , ce nombre six , comme on voit, se compose • de la somme de tous ses diviseurs, puisque tous ses diviseurs additionnés font ensemble le nombre de six. Ses diviseurs sont l’unité qui le divise en six parties égales ; 2 qui le divise en trois , et 5 . qui le divise en deux. Qu'on additionne ensuite 1 , 3 , 2 , le total sera six. Le nombre 12 est encore parfait par la même raison , puisqu'il est égal à 6 , 2,4, lesquels additionnés ensemble , font 12. 11 y a encore plusieurs nombres de cette espèce. Celle proportion qui est dans la nature et qu’on trouve dans les nombres parfaits , a été saisie par les architectes qui s’en sont servis pour proportionner de même les édifices et les parties qui les composent, ce qui fait régner eatr’elles la plus- belle harmonie. Ainsi la plupart des rapports de proportions , dans les édifices, sont tirés de ces nombres, parfaits. On verra par exemple que les divisions pour espacer les colonnes dans î’eustyle , qui est l’entre-colonnement qui a le plus de grâce, se fait par ces nombres, puisque pour un temple létrasiyle , on divise la longueur du frontispice en 12 parties, moins, une demie, pour un temple exastyle en 18 parties , et pour un ©etastyle en 24 .. Afin de prouver aux Romains l’avantage qu’on pouvoiî tirer d’un nombre parfait, à cause de ses divisions , comme celui de six. Yitruve cite l’application qu’on en fit pour diviser l’as romain , qui, étoit un poids et en même temps la plus ancienne de leur mormoie. Les nations, dans le principe, n’avoient pas l'usage des monnoies frappées a aucun coin elles eornmerçoient entr’elles par L’échange de leur marchandises , comme des brebis , des ânes, des chevaux , etc. , ou bien on emplovoit des métaux estimés au poids. C’est de là que viennent les différens nouas donnés aux monnoies ; noms qui marquent l’ancien poids, comme l’as chez les Romains, et toutes les parties dans lesquelles on l’a divisé ; comme le talent et la mine chez les Grecs, le sicîe chez les Hébreux , la livre tournois en France , la livre sterling en Angleterre , etc. Servius Tullius fut le premier qui fit frapper le cuivre à Rome ; il y fit mettre un animal , d’où les latins appelèrent cette monnoie pecunia , parce que dans leur langue pecus signifie bétail. Par l’as les Romains entendoiêat un tout solide solidum , divisible eu parties aliquotes. Cet as % 1 I Y R E ï I I, C h A p. 1. toi éloit, dans le commencement, d’une livre 1, et on avoit coutume de le peser, si la somme dont il s’agissoit éloit considérable. C’est de-là que les Romains disoient peser, pendere pour payer} de-là viennent aussi nos mots François dépenser, compter, etc. Ils divisoient l’as en 12 parties} chaque portion portoit le nom des parties de l’as qu’elle contenoit ; ainsi le quart de l’as s’appe- loil un trient, parce qu’il contenoit trois parties de l’as le tiers, parce qu’il en contenoit quatre , s’appeloit le quadrant, etc. Nous voyons par ce passage de Yitruye que les mathématiciens divisoient leur as en six , au lieu de le diviser en douze comme l’as ordinaire , et qu’ils se servoient des mêmes dénominations pour désigner les parties qu’elle contenoit. Cependant elles ne signifiaient pas le même nombre ainsi le sextant, qui désigne la sixième partie de leur as , conliendroit deux parties de l’autre le trient , qui désigne le tiers, en contiendroit quatre parce que, suivant les mathématiciens, l’as ou le tout est de six 5 par-conséquent le sextant signifie» le sixième de six, c’est-à-dire l’unité , le tiers, etc. Philandér observe, avec raison , qu’au lieu de lire , comme dans toutes les éditions , cùm ad suppu - tationem crescat, supra sex adjecto asse , il faut lire, adjecto sextants car Yitruve ne dit cela, que pour continuer à faire voir , comment tous les nombres , suivant les mathématiciens , tiroienfc leur nom du rapport qu’ils avoient avec celui de six. Ainsi puisque l’unité , ajoutée au nombre six , fait sept , ils ont nommé ce dernier nombre stpsuro» comme qui diroit stti sktov , le sixième en sus, et que le nombre 2 qui est le tiers de 6, ajouté à 6 fait 8 , ils ont nommé ce dernier nombre tertiarium en latin, et en grec ênirpirov le tiers en sus. Si on lisoit adjecto asse , alors Yitruve ne feroit pas connoître la raison pourquoi ce nombre est nommé stpsxrov, chose qu’il observe si exactement pour les autres nombres. • , f On croit apercevoir, dans ce chapitre, une contradiction au sujet du dénier , qu’il dit d’abord être composé de dix as , et ensuite de seize. C’est que , dans”lé principe , le dénier ne contenoit effectivement que dix as d’airain ; mais pendant la guerre punique , le besoin d’argent se faisant sentir dans la république , elle haussa le prix de l’argent , au point que le dénier fut porté jusqu’à; seize as. Pline et Feslus nous ont appris ce trait d’Histoire. Après avoir cité l’as des Romains, Yitruve cite aussi la drachme des Grecs. Fa drachme éloit com-» posée de trois scrupules , et chaque scrupule de deux oboles ; les oboles éloient de six æreoles ou chalques , et chaque eereole de sept minutes , que les Grecs appeloient lepta. On divisoit aussi l’obole en trois siliques, chaque silique en quatre grains, et chaque grain avoit une lentille et demie', de sorte que la drachme contenoit six oboles, ou dix-huit siliques, ou soixante-douze grains,, ou 108 lentilles. Après avoir parlé , en général , des mesures et des proportions , sur lesquelles on a> réglé celle des temples et des autres édifices , Yitruve parle des différens . genres de temples 5 il en distingue sept , qui sont le temple à antes , le proslyle , l’amphiprostyle , le péripière , le pseudodiptère , le diptère et l’hypætre. t t Tons ces temples , excepté celui à antes, et l’hypætre , tirent leur nom" des deux mots grees çuAoç stilos colonne , ou de jrrqj ou pteron, aile. noms de ceux qui ne sont pas entourés de* h xl Pline hiv. XXXIII. Ch. & 102 L’ARCHITECTURE DE V I T R U Y F, colonies * dont les rangs des côtés sont comme les ailes des temples , ne sont pas terminés par ] mot dé pteron ; mais par celui de stylos. Tels sont le prostyle, qui n’a d’autres colonnes que celle qui sont au frontispice de devant , et l’amphiprostyle qui n’en- a qu’à ses deux frontispices. Tous les autres sont terminés en pteron , pour désigner les ailes latérales , que forment les rangs des colonnes qui sont sur les côtés. On les nomme en général temples périptère , nom qu’on donne à tous les temples qui sont entourés de colonnes. Cependant dans son acception la plus stricte, il signifie le temple , qui n’est entouré que d’un seul rang dd r colonnes car celui qui est entièrement entouré de deux rangs, se nomme le diptère celui qui paroît avoir deux rangs de colonnes et n’en a cependant qu’un seul , se nomme pseudodiptère, c’est-à-dire faux diptère. L’hypætre étoit un temple dont l’intérieur étoit découvert. On appeloit Cella , l’intérieur d’un temple, c’est-à-dire cette partie qui étoit entièrement entourée de murs , et qui avoit une porte. Les temples avoient ordinairement quatre parties le pronaos ou porche, appelé aussi prodomos et propylax , et même vestïbulum dans l’introduction du VII. livre. C’étoit le vestibule ou la partie antérieure du temple , qu’on trouvoit avant d’entrer dans la cella. Le posticum ou opistodomos , qui étoit opposé au pronaos. Les ailes ou galeries latérales étoient des portiques formés par une colonnade double ou simple, qui, avec les colonnes de devant et celles de derrière, régnoit tout autour du temple ; on la nommoit pteroma. Enfin la cella ou secos , appelée aussi naos par les Grecs , étoit au milien des trois autres parties. Quelques temples Envoient que le pronaos ou le vestibule , comme on le voit dans la i. re fig. de la Y. planche, et dans la 1/ et 2. de la VIII. e D’autres temples, outre le vestibule de devant, avoient aussi le posticum , qui étoit un autre vestibule semblable qui étoit par derrière, comme on le voit dans d’autres figures de temples. Quelques temples n’avoient pour ainsi dire que la seule cella , comme sont les temples représentés dans les figures i. re et 2. de la Y. planche , et i. re et 2.* de la VIII.* D’autres enfin étoient entourés de galeries, qu’on nommoit pteroma , qui régnoient tout autour de la cella elles étoient formées, comme on vient de le dire, par un ou deux rangs de colonnes. Dans les planches Y, YI, YII , VIII et IX qui représentent les différens temples , la lettre À Indique toujours la cella , ou l’intérieur du temple; la lettre B le pronaos ; la lettre H le posticum; et la lettre P les galeries latérales ou pteroma. J’ai préféré, pour le temple à antes, la figure que Galiani en a donnée, à celles qu’en ont données Perrault, Barbaro , Rusconi et autres ; parce qu’elle m’a paru plus conforme au texte de Yitruve. Les autres suppriment, je ne sais pourquoi , le pronaos ensuite ils ont placé , dans le milieu du frontispice, deux colonnes , qui soutiennent un petit fronton , autre que celui qui termine tout le temple. Ce petit fronton n’a jamais existé que dans leur imagination. S’ils avoient été conséquents, ils auroient du mettre un pareilfronton au prostyle; puisque jTitrave dit que cette espèce de temple a toutes les parties du temple a antes , ,et le même entablement êpistylia quemadmodum et in antis . Il ne différé qu’en ce qu’il a, de plus , deux colonnes vis-à—vis des antes des coins à 1 exception de ces deux colonnes, ils dçvoient donner la même figure au prostyle; mais ils ont fait LIVRE III, Chap. i. îo3 tout le contraire ils ont représenté le prosiyle , à-peu-près comme celui de la 2.» fîg. de la planche V e . Les antes, d’où cette espèce de temple a pris sa dénomination , sont des espèces de colonnes carrées qui ont les mêmes proportions, bases ,. chapiteaux et autres ornemens , que les colonnes de l’ordre avec lesquelles On les emploie. Quelquefois ils terminent les murs latéraux des cella , qui se prolongent jusqu’à l’entrée du pronaos > comme est celui marqué D , dans la i. re figure de la planche Y\. D’autres terminent aussi les murs des cella , et ont place vis-à-vis une colonne qui forme l’entrée du pronaos, comme dans la fig. 2, lettre P. Presque toujours ils sont ainsi opposés aux colonnes d’où ils ont pris le nom d’ante ; parce que avri, contra > signifie contre , opposé, comme qui diroit opposé à la colonne. Lorsqu’ils terminent de cette façon les murs , ils ont la forme d’un gros pilier carré ils ont presque toujours ahlant de largeur par le haut que par le bas. Tel est celui des thermes de Dioclétiezz qui se trouve représenté dans la XYII. e planche des parallèles de l’architecture ancienne et moderne de M. Chambray , et ceux delà planche Y.* de notre traduction. D’autres sont quelquefois diminués par le haut comme les colonnes. Lorsque les antes ne terminent pas un mur , ils sont ordinairement engagés dedans , n’ayant de saillie que le tiers ou le quart, ou le cinquième ou le sixième de leur épaisseur ; alors nous les appelons aussi des pilastres tels sont ceux des figures t. Ie , planche YI.* , i. r * 2.*, planche YII.* Le mot epistyle, dont se sert Yitruve dans ce chapitre, et ailleurs, est composé des mots grecs ijn'quXoç -, qui signifient sur les colonnes. 11 l’emploie quelquefois pour signifier uniquement l’architrave et quelquefois tout l’entablement. Les proportions et les mesures du fronton , annoncées dans ce chapitre , et qu’on trouvera à la fin du troisième chapitre de ce livre , sont, que la pointe de l’angle , qui termine la hauteur du tympan, doit être élevée au-dessus de la corniche , de la neuvième partie de toute la largeur du fronton , tel est celui de la 3 . e fig. de la planche YlII. e , et ceux de tous les autres frontispices représentés dans les figures de cet ouvrage. Perrault a fait son temple à antes , d’ordre toscan, et d’après sa manière d’interpréter le passage du Ch. 7 , Liv. IY , où il est traité de cet ordre , qui dit stilliciclium tecti absoluii terliario respondeat. Il a fait un fronton , d’une hauteur disproportionnée. Moi qui ai suivi encore ici l’interprétation de M. Galiani qu’on trouvera ci-après , lorsqu’il sera parlé du 7/ chapitre du Liv. IY' S j’ai fait ce fronton semblable à ceux de tous les autres temples. ^ Yitruve dit, dans ce chapitre, que le temple périptère doit avoir six colonnes à son frontispice de devazzt , aulazit à celui de derrière , et onze de chaque côté en comptant celles des coins. Dans le troisième chapitre de ce livre , il dit, que les côtés des temples doivent être le double plus larges que les frontispices , et en d’autres termes qu’ils doivent avoir deux fois autant d’entre- colonnemens quoi inter colomnia sunt in fronte totidem bis inter colomnia fiant in laterïbus. C’est-à-dire que s’il y a six colonnes au frontispice , et par-conséquent cinq entre-colonnemens , il doit y avoir onze colonnes de chaque côté, et par-conséquent dix intervalles $ c’est-à-dire , deux fois autant qu’il y en, a au frontispice. ,o4 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. II nous cite ensuite pour exemple deux édifices de cette espèce le portique que Métellus fit construire autour du temple de Jupiter Stator , par Ilermodore ; et le temple de l’Honneur et de la Vertu, près du trophée de Marins , bâti par Mutius. L’épithète de Stator fut donnée à Jupiter, po'ur avoir arrêté les Romains qui fuyoient devant les Sahins. Ce temple lui fut alors voué par Romulus. Te Jupiter Stator . cujus templum à Romulo victis Sabinis . est coîlocatum. Cic. Mais il ne fut bâti que sous le consulat de Poslumius Metellus , d’ou le portique a sans doute pris son nom et de Marcus Atilius Regulus. Tite-Live , d’un autre côté , dit que ce temple a été dédié à Jupiter Stator , par Postume Megelîus Templum Jovi Statori vovet } si constitisset a fugâ Romana acies . vincisselque regiones Samnitium. Tellement qu’il faut croire qu’il* y avoit deux temples de Jupiter Stator, ou, ce qui est plus apparent, que le Jcopiste de Tite-Live a mis Megelîus au lieu de Metellus. Quoique l’architecte de ce temple soit nommé Hermodius , dans le texte , je l’ai nommé Her- raodore dans la traduction , parce que j’ai cru , avec tous les autres interprètes , que c’éloit une faute du copiste j car il n’est parlé nulle part d’un architecte nommé Hermodius , tandis que Her- modore est très-connu , tant par la construction du temple de Mars dans le cirque de Flaminius, que par la contestation qu’il eut avec un autre architecte pour la construction d’un grand arsenal ; cette contestation est remarquable, à cause du jugement qui intervint en faveur du compétiteur d’Herrnodore , parce qu’il étoit plus éloquent que lui. Cicéron rapporte cet exemple pour prouver qu’un excellent orateur parlera très-bien des choses qu’il entend médiocrement , qu’il en parlera même mieux que ne pourroit faire celui qui les possède parfaitement, et qui seroit un orateur médiocre. Mariana Monumenta , vulgairement les trophées de Marius , c’est ainsi qu’on appela le lieu oà on éleva des trophées en mémoire des victoires remportées par Marius sur Jugui’tha , les Cimbres et les Teutons. A Rome, on nomme présentement trophées de Marius, des anciens murs, qui existent encore près de l’église de S. Eusèbe , le long de la rue qui conduit de S. te Marie Majeure à l’église de la Sainte-Croix de Jérusalem , et cela parce qu’on y a trouvé quelques trophées, qu’on croit être ceux de Marius ; cependant rien n’est moins certain que ce soit ceux-là ; tellement qu’on ignore aussi où étoit ce temple de l’Honneur et de la Vertu. S. 1 Augustin en parle ; il dit que k première partie étoit dédiée à la Vertu , et l’autre à l’Honneur. Vitruve cite encore Mutius, comme architecte de ce temple, dans l’introduction du livre, où il dit A, C. Mutio , qui magna scientia confis us œdes Honoris et Virtutis Marianoe cellœ ... perfecit. " En jetant un coup d’œil sur la deuxième figure de la septième planche , on verra , que les temples qu’on appelle pseudodiptère', ou faux diptère , sont ainsi nommés , à cause qu’en dehors ils paraissent être diptère , c’est-à-dire avoir sur les côtés des ailes formées par des doubles colonnades , parce qu’ayant huit colonnes à leur frontispice, et la largeur de la Cella n’occupant que l’espace âes quatre colonnes du milieu , on croit qu’ils ont double rang de colonnes sur leurs côtés tandis qu’en effet ils ne les ont pas. On verra dans le chapitre suivant quTIermogène , en laissant subsister la colonnade extérieure qui fiysoit le tour du temple , imagina dé supprimer celles qui se trouvoient ! '* i ^ iV-J^-ÿA; frT^P g- T r?.vv., ^ ,+JW*»;^ »*»**•* ,-•** S' , '.K t ? 4"r SW* y^. >- >*>?***• ; k?feffï iSs&Sfr TJEMJPJLIE MK JD'" /'Tf/C to 5 MJ ’ÿffm ".'H, mmm 'tlsâi imi.'.'ii imiiiiimii i ! 1 . 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L’entre-colonnement du milieu étoit aussi plus grand que les autres , puisque le même auteur dit que l’architrave du milieu étoit d’une* grandeur si extraordinaire, qu’on feignit que la déesse l’avoit posé elle-même j l’architecte désespérant de pouvoir manier j une aussi grande pierre. r ..... f . différens genres 1 de temples il commence par ceux qiii étoient lès plus simples , èt qui conienoient >le moins de colonnes 5 il les nomme à mesure qü’un plus ; grand nombre de colonnes devient nécessaire à leur décoration ; et il termine par l’hypèlre , celui cpri en- contient le plus grand nombre'$ pnisqu’outre les deux rangs qui ornènt son pourtour, il se trouve 1 dans l’intérieur de sa Cella, qui doit être découverte , deux rangs de colonnes l’un au-dessus de l’autre pour former des galeries , - comme on peut* voir dans la 2. mC fig. de la VI. me planche. Entre les deux ordres de colonnes qui sont dans l’intérieur du temple , je n’ai mis que la seule architrave, parce que c’étoil l’usage des anciens en pareil cas, comme Vitruve lui-même nous l’apprend, Liv. V. Chap. 1. ' . La raison en est , que les ornemens d’architecture doivent être fondés sur quelque usage , et particulièrement sur la convenance. Or il est certain que toute corniche rappelle l’idée d’un toit, et conséquemment qu’elle ne doit avoir lieu qu’au plus hauf"étage. Elles n’ont été imaginées que pour servir d’appui aux avances des toits, destinées à écarter du mur ou des colonnes la chute des eaux ; elles sont en effet inutiles dans les lieux couverts , où elles ne font que dérober le jour des fenêtres qui sont au-dessus. Perrault rapporte pour exemple de cette suppression d’ornemens } le superbe édifice des tutelles de Bordeaux , 2 qu’on croit avoir été bâti peu de temps après le règne dh4uguste. Les colonnes ne soulenoient qu’une architrave , sur laquelle , au lieu d’un second ordre de colonnes , il se trouvoit des cariatides. Perrault donne une belle gravure de cet édifice , qui a été démoli, lorsqu’on a construit les fortifications des dehors de la citadelle, vers l’an 1680. Galiani en rapporte un autre exemple qui est de la plus haute antiquité. C’est celui d’un des temples de Peslum, dont nous avons déjà parlé ; ce temple est hypèlre 5 une grande partie de la colonnade intérieure subsiste encore ; elle soutenoit un autre ordre de colonnes , qui étoit au-dessus j mais , entre les deux, il n’y a que Parchitrave seule. INous avons vu que les temples prévoient leur dénomination de leur forme , ou de la quantité des colonnes qu’ils avoient à leur frontispice. Ils la prennent encore de la diversité des entre- colonnemens. 1 Pline , Liv. XXXYI. Chap. 1 4 . 2 Yftruve de Perrault. Liv. VL Chap. 4. * 4 L’ARCHITECTURE HE Y I T R U Y E. 106 Vitruve a expliqué , clans ce chapitre , les différens- noms qu’on a donnés à sept genres. de temple , à cause de leur différente forme; il va expliquer, dans Je chapitre suivant , les noms qu’on a donnés à cinq espèces de temples , à cause de la grandeur plus ou moins resserrée de leur entre- colonnemenl. Il n’explique nulle part, pourquoi on a donné tel nom à un temple , à cause du nombre des colonnes ; parce qu’il suffit d’avoir la moindre teinture de la langue grecque pour le comprendre ainsi on appelle un temple tetrast vie,, paijpe qu’il a 4 colonnes à son frontispice, un autre exastyle, parce qu’il eu a six, un autre oclaslyle, parce qu’il eu a huit, un autre décaslyle , parce qu’il en a dix , etc. ; Il nous reste à voir présentement , pourquoi Yitruve prescrit un de ces différens nombres de colonnes à chaque genre de temple , comme si c’ëtoit choses inséparables et dépendantes l’une de l’autre ainsi il assigne six colonnes au périptère 3 huit au diptère , dix à Yhypètre , etc. Je suis persuadé , quant à moi , que ces deux choses sont très-indépendantes l’une de l’autre ; car rien n’empêche Yhypètre d’être ociastyîe ou idécaslyle , le périptère d’être exastyle ou octaslyle. Ce n’est pas sans raison cependant que Yitruve a dit cela. Outre qu’il a voulu indiquer que c’étoit l’usage de mettre tel nombre de colonnes à tel genre de temple,, il avoit encore une raison par exemple le périptère ne peut être moins qu’exastyle, car s’il étoit tétrastyle voy. la fîg. 1 , planche VI , la Cella n’auroit de largeur que la longueur d’un entre-colonnement. La Ceîla du diptère n’en auroit pas davantage , s’il étoit exastyle au lieu d’être octastyle mais je répète que le périptère peut être octastyle , que le diptère peut aussi bien être décastyle , que l’hypètre octastyle , comme il l’est dans l’exemple cité par Vitruve , quoiqu’il lui prescrive le décaslyle. Le temple hypèlre de Pestum n’est aussi qu’exastyle. On pourroit ajouter aux différens genres de temples que l’auteur noinme dans ce chapitre, ceux dont il parle dans le 7 . rae chapitre du IV.™ livre tels que les temples pseudo- périptère , les templyioscans 3 et les temples ronds. Leurs proportions étant réglées par d’autres principes , que celles des temples dont il vient- de parler , il en a fait un article séparé. mvnm wvvwmvvmvui uv> K X \ 7 , . 1 C H A P I T II E I I. Des cinq especes de Temples. Ïl existe cinq espèces de temples , dont voici les difîerens noms i.° le Pycnos- tyle 1 , lorsque les colonnes sont fort près les unes des autres; 2. 0 le Systyle 2 , lorsqu’elles sont un peu plus séparées ; 3.° le Diastyle 3 , lorsqu’elles lç sont encore davantage ; 4 ° l'Aréoslyie 4, lorsqu’elles sont séparées plus qu’elles ne doivent l’être ; et l Eustyle 5, lorsqu’elles le sont par un juste intervalle. Un temple est pycnostyle , lorsque l’entre-colonnement a la longueur d’un diamètre et demi de la colonne; tel est le temple du divin Jules, et celui de Vénus dans le forum de César, et plusieurs autres. Un temple est systyle, quand l’entre - colonnement a la longueur de deux diamètres de colonne, et que les plinthes des bases sont égales à l’espace qui se trouve entre deux plinthes 6 . Tel est le temple de la Fortune équestre, auprès du théâtre de pierres, et plusieurs autres. Ces deux manières ont un grand défaut, puisque les mères de famille, lorsqu’elles vont au temple, pour aller faire leur prière, ne peuvent passer par les entre-colonnemens en se tenant par la main, et sont obligées de se suivre à la file. De plus, les colonnes ainsi serrées, obstruent presque les portes; elles empêchent de voir les statues des dieux et de se promener autour du temple. Un temple est diastyle, quand l’entre-colonnement a la longueur de trois diamètres de colonne, 7 comme au temple d’Apollon et de Diane; cette espèce de 1 C’est-à-dire, colonnes serrées. 2 Colonnes jointes. 3 Colonnes distantes. 4 Colonnes rares. 5 Colonnes bien placées. * Planche VI. mc fig. 2 . ** Planche VI. me fig. 1. 6 Vitruve dit, un peu plus bas, que la saillie des bases doit être égale au quart du diamètre l’entre-co- ïonnement, cest-à-dire, l’espace qui se trouve entre deux fûts, est de deux diamètres; qu’on ôte de cet espace, celles occupées par la saillie des deux bases qui font un demi - diamètre, le vide, entre les deux plinthes, sera d’un diamètre et demi, et sera par conséquent égal à la grandeur du plinthe ; qui contient le diamètre et deux quarts pour les saillies. *** Planche V. me fig. 2. 7 Il nomme ici Diastyle un entre-colonnement de 3 diamètres; dans le Chap. 3 du Liv. IV, il donne le même nom à un dorique qui a deux diamètres et trois quarts. 4. io8 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. *• temple a le défaut que l’intervalle des colonnes, étant fort grand, les architraves rompent très-souvent. * Quant au temple aréostyle **, l’intervalle des colonnes est si grand, qu’il est impossible de faire des architraves de pierre ou de marbre, comme dans les autres; on ne peut les faire qu’avec de longues poutres , ce qui fait que l’aspect de ces édifices paroît écrasé, bas et trop large. On a coutume, à l’exemple des Toscans; d’orner leurs frontispices i de sculptures en craie, ou en bronze; tels sont auprès du grand cirque, le temple de Cérès, et celui d’Hercule bâti par Pompée ; tel est aussi le Capitole. *** 11 me reste présentement à faire connoître les proportions de l’eustyle. Sans contredit c’est la meilleure de toutes les manières, la plus suivie et la plus commode; elle réunit la beauté et la force ; ses entre-colonnemens doivent avoir la longueur de deux diamètres de colonne et un quart, hormis l’entre-colonnement du milieu du frontispice de l’entrée, et celui du milieu du frontispice de lanière-temple, auxquels on donne trois diamètres de colonne ; celte manière en rend l’aspect agréable, l’entrée plus dégagée, et l’on n’est pas gêné pour se promener autour du temple. **** Voici les proportions qu’on doit suivre. Quand on met quatre colonnes dans le frontispice, on divise sa longueur en onze parties et demie, sans y comprendre la saillie des socles ni celles des bases; quand on en met six, on la diyise en dix-huit parties; quand on en met huit, on la divise en vingt-quatre parties et demie. La première de ces divisions s’appelle tétrastyle 2 , la seconde hexastyle 3, et la troisième octastyle 4. Que dans l’une ou l’autre, on prenne une de ces parties, ce sera le module qui sera toujours égal au diamètre d’une colonne ; tellement que chaque entre-colonnement aura deux modules et un quart, excepté les deux entre-colonnemens qui sont au milieu des deux frontispices, et qui auront trois modules ; la hauteur des colonnes sera de huit modules et demi ainsi avec cette distribution, on aura la juste mesure des entre-colon- nemens et de la hauteur des colonnes. 11 ne se trouve pas à Home de temple de cette espèce ; mais on en voit un en Asie t qui est le temple de Bac chus dans la ville de Teo, lequel a * Planche V."' 6 fi g. i . ** Planche VIII. me fig. i, O Par frontispice, il entend le fronton ou plutôt le timpan. Les anciens avoient coutume de sculpter , dans cette partie, un bas relief, qui représentait quelque fait mémorable de la divinité à laquelle le temple étoit dédié, ou la manière dont on y fiaisoit lés sacrifices. Tel est le fronton du temple de Diane d’Ephèse, dont la figure se trouve page io5. Planche Vil. ,ne fig. i et 3 . **** Planche Xll. we fig. 5. . 2 C’est-à-dire, à quatre colonnes. 3 A six colonnes. 4 A huit colonnes. LIVRE III, C h a p. il io 9 huit colonnes à son frontispice. C’est Hermogène i qui a trouvé toutes ces proportions ; c’est lui qui a inventé l’oclastyle et les temples pseudodiptères, en ôtant, au temple diptère, le rang des colonnes du milieu qui sont au nombre de trente-quatre, afin de diminuer l’ouvrage et la dépense. Il a augmenté l’espace destiné à se promener autour du temple , sans diminuer le nombre des colonnes qui sont en dehors et qui en rendent l’aspect agréable. Tellement qu’il n’a rien ôté au diptère de ce qu’il avoit de bon, et qui pourroit causer du regret; mais seulement ce qu’il avoit de superflu car on a inventé ces ailes de colonnes, qui sont autour des temples, pour leur donner plus de majesté, par l’effet que produit l’âpreté des enlre-colonne- mens ; et aussi, lorsqu’il survient une pluie, pour mettre à l’abri le peuple qui s’y trouve souvent réuni en grand nombre, et qui peut alors se réfugier sous le portique et dans le temple. Ce grand avantage, qu’on trouve dans le pseudodiptère , fait voir quel étoit le génie d’Hermogène, et avec quelle sagacité , quelle intelligence il diri- geoit les ouvrages qu’il a laissés à la postérité ; on peut les regarder comine la véritable source où il faut puiser les meilleurs principes de l’architecture. Dans le temple aréostyle ** , la grosseur des colonnes doit avoir la huitième partie de leur hauteur. Dans le diastyle ***, il faut diviser la hauteur de la colonne en huit parties et demie , et en donner une à la grosseur. Quant au systyle **** , on doit diviser la hauteur de la colonne en neuf parties et demie , pour en donner une à la grosseur. Dans le pycnostyle *****, il faut diviser la hauteur en dix parties, et en donner une à la grosseur. Dans l’eustyle ****** , on la divise en huit parties et demie, comme au diastyle , et l’on en donne une à la grosseur. Ces proportions observées , elles serviront pour donner aux entre-colonnemens celles qu’ils doivent avoir; plus les entre-colonnemens sont larges, plus il faut aussi grossir les colonnes; en effet, si dans un aréostyle , le diamètre des colonnes n’étoit que la neuvième ou la dixième partie de leur hauteur, elles paroîtroient trop minces et trop déliées , parce que lair, qui se trouve dans le large espace des entre-colonnemens, diminue et dérobe à la vue une partie de la grosseur de la tige de la colonne; au contraire, si dans le pycnostyle on faisoit la colonne grosse de la huitième partie de sa hauteur , des entre-colonnemens aussi étroits feroient paroître des colonnes, qui sont si près les unes des autres , tellement enflées , que cela auroit la plus mauvaise grâce c’est pourquoi on ne sauroit trop s'attacher à suivre et étudier les proportions , chaque manière ayant la sienne car il est encore nécessaire de grossir les colonnes des i Il en a parlé dans le chapitre précédent, Planche VI. me fig. i. * Planche Vll. me fig. i et 2. ***** Planche Vl. raé fig. 2. ** Planche V. rae fig. 1. ****** Planche VII. me fig. tel 2. *** Planche V.** fig. 2. IIO L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. angles dans une cinquantième partie de leur diamètre ; parce qu’il semble que l’air et le grand jour auquel elles sont plus exposées que celles du milieu, les mangent et les rendent plus petites ; du moins elles paroissent telles aux yeux , et il faut que l'art remédie à l’erreur de la vue. * La partie supérieure des colonnes doit aller en diminuant vers le gorgerin idans les proportions suivantes. Les colonnes ont-elles moins de quinze pieds de long? on divise le diamètre d’en bas en six parties, et on en donne cinq au diamètre d’en haut. Ont elles depuis quinze jusqu’à vingt pieds de long ? on divise alors le diamètre d’en bas, en six parties et demie, et on en donne cinq et demie à celui d’en haut ; ont-elles depuis vingt jusqu’à trente pieds de long? on divise le diamètre d’en bas en sept parties , et on en donne six à celui d en haut. Dans celles qui ont depuis trente jusqu’à quarante pieds de long, on divise le diamètre d’en bas en sept parties et demie, et on en donne six et demie à celui d’en haut ; et dans celles qui ont depuis quarante jusqu’à cinquante pieds de long, on divise le diamètre den bas en huit parties , et on en donne sept à celui d’en haut. Enfin s’il s’en trouve encore qui soient plus hautes, il faut les diminuer à proportion. Il est nécessaire de diminuer ainsi les colonnes , parce que l’œil, qui regarde d’en bas vers le haut, se trompe facilement sur les objets qui sont fort élevés. L’œil aime ce qui est beau, il faut donc le satisfaire par la justesse des proportions ; ainsi lorsqu’un objet paroîtra trop long à cause de son peu d’épaisseur, il faudra augmenter le module. On remédie par cet accroissement à l’erreur qu’occasionne l’éloignement ; sans cela, un ouvrage paroîtra toujours disproportionné et sera désagréable à la vue; c’est pour cela que, milieu de la colonne, on ajoute quelque chose à sa grosseur; les Grecs appellent ce renflement enlasis. ** Je mets , à la fin de ce livre , une figure qui fera comprendre la méthode qu’il faut employer pour le rendre doux et imperceptible, REMARQ UES. Dans le chapiire précédent, Vitruve parle des différentes formes des temples et du plus ou moins de colonnes qui se trouvoienl, soit aux divers frontispices, soit aux ailes. C’est ce qu’il appelle, dans ce premier chapitre, principia . . . œdium , les divers principes, les diverses règles des temples; et dans l’intro- duciion du , il dit , que , dans le troisième livre , il a traité des divers genres de temples et de leurs différentes espèces, de œdium. . . . generum varietate ... .et quot habeant ppecies. Il rend donc synonymes les deux mots généra et principia on voit donc que par genre de temple , il entend les différentes formes -dp temples définies dans le premier chapiire , taudis que * Planche X. me fig. 4. sert ici Vitruve ; c’est ce que nous nommons le gorgerin, i Tpa%>jXcç signifie le cou ou la gorge, d’où ** Planche X. me fig. 3. l'on a fait le mot latin Hyputruchtliuni dont se LIVRE III, C h a p. h. m par espèce de temple il entend les différentes manières d J espacer les colonnes. Dans le chapitre précédent, il a donc parlé des différens genres de temples; il distingue, dans celui-ci, leurs différentes espèces, par la gradation des enlre-colonnemens. Genre , en logique, désigne ce qui est commun à diverses espèces , et qui a sous soi plusieurs espèces différentes. Quoique plusieurs espèces de temples conviennent à différens genres , elles ne conviennent cependant pas indistinctement à tous les genres. Le pyenostyle , par exemple , ne convient pas pour le temple à antes , ni l’aréo- style pour le diptère et le pseudodiptère Pun seroit beaucoup trop étroit , et l’autre beaucoup trop large ; l’exécution en seroit presqu’hnpossible. Comme tous les autres traducteurs , j’ai rendu le mot œdes , dans ce chapitre , par celui de temple. Les anciens appeloient du nom de temple par excellence, celui qui éloit de fondation royale , et où se faisoient régulièrement les exercices de la religion ; œdes , ceux qui n’étoient pas consacrés ; œdicula , ceux qui étoient plus petits et qui étoient découverts; sctcella } ceux qui étoient petits et couverts ; et enfin d’autres fana , delubra , destinés à leurs mystères. Le mot templum signifia d’abord tout l’espace que nous pouvons apercevoir i. Dans la suite on le prit dans un sens plus étroit , et il se dit seulement de cette partie du ciel désignée par les augures enfin il exprima un lieu environné de murailles et destiné au culte de quelque dieu , et consacré par les augures. C’est pourquoi on clonnoit le nom de templa augusta à ceux qu’on avoit élevés à son honneur. Il y avoit cette différence entre les lieux que les anciens appeloient templa, et ceux qu’ils nommoient œdes , sacra , que ceux-ci étoient, à la vérité , destinés au culte de quelque dieu, mais qu’ils n’étoient point consacrés par les augures. Ménage , jaris cioilis amœni— tâtes , p. 3 g , prétend que le mot templum vient d’un mot grec qui veut dire positus. On faisoit vœu de bâtir des temples pour plusieurs raisons 2. Après le vœu fait , on marquoit les limites du temple 3 , ce qu’ils appeloient effari , ou tenninare templum 4. Lorsque ces temples étoient achevés, celui qui avoit fait le vœu, en faisoit aussi la dédicace. C’étoit ordinairement un consul ou un général d’armée. Cela , ne se pouvoit faire sans l’ordre du sénat , ou de la plus grande partie des tribuns du peuple 5 . Un pontife prononçoit la formule ordinaire de la dédicace 6, pendant que celui qui dédioit le temple tenoit la porte 7. Après quoi des augures venoient en faire la consécration , c’est ce qu’on appeloit inauguration. Tacite nous apprend qu’on mettoit ordinairement de l’argent monnoyé , ou en lingots , dans les fondemens des temples. Il n’étoit pas permis ou du moins cela arrivoit très-rarement de consacrer un même temple à deux divinités 8. Cette défense ne subsista pas toujours. Les dieux qu’on adora ensuite dans un même temple se nommèrent contubernales 9. Le fameux temple de Rome, nommé le Panthéon 10 , fut même dédié à tous les dieux, par Agrippa , gendre de l’empereur Auguste. Les lieux nommés fana chez 1 Plaut. Mil. 61 . 1. 5 . et Rud. 4 - 2. t. 4 - Templa Nepiuni. 2 Tite-Liv. , Liv. I. Chap. 3 . 3 Ibid. Chap. 9. 4 Id. Liv. V. Chap. 5 o. Yarr. de L. L. Liv. V. Chap. 7. 5 lite-Liv. Liv. IX. Chap. 36 . 6 Tacit. Ilist. Liv. IV. Chap. 53 . 7 Cicero pro domo, 46. Dans cette oraison, il nous fait la description des ce're'monies qui s’observoient dans ces circonstances. 8 Tite-Liv. Liv. II. Chap. 25 . Plut, vie de Marcellus. 9 Cic. ad Att. 11 , i 3 et 28. 10 Panthéon, signifie en grec tous les Dieux. Ce temple dont nous avons déjà parle' plusieurs fois , existe encore à Rome sous le nom de Sainte Marie de la Rotonde. 112 L’ARCHITECTURE DE V I T R D Y E. 1 Ascon. ad Divin. Gcer. ad Verr. i. 2 Vairon donne une étymologie assez singulière dn mot dclubrum. C’est, dif-ii, parce qu’on metîoit là statue du dieu au milieu du temple comme un grand chandelier candelabrum, d’où on a dit ddubrnn. Juvenal çn parle aussi , Sat. XIII. y. 6$. 3 Macrob. Satur. II. Chap. 4.. 4 Deut. Chap. 16. v. 21. Reg, Liv, I.. Chap. 1,4. n a 3 . Homer. Iliad. lay. V. y. 5o6. Vilruye les Romains, étoient en général toutes les maisons consacrées parles pontifes. On peut consulter les étymologies de Yossius sur le mot fanum. Delubrum étoit un endroit où ils mettoient la statue d’un ou de plusieurs dieux .1 y ou bien une ! fontaine qui étoit devant le temple, dans laquelle ils alloient se laver avant d’entrer dans le temple, cleluebant . Mais ce mot se prend pour toute sorte de maison sacrée 2. Le sacellurn, diminutif de sacrum , n’étoit autre chose qu’un lieu consacré et environné seulement d’un mur sans toit. On se servoit aussi de ce mot, pour exprimer toutes sortes de temples, lorsqu’ils étoient petits 3 . Enfin ce qu’ils appeloienl lucus , étoit des forêts consacrées à quelque dieu. On leur donnoit ce nom, à eause d’un grand nombre de feux qu’on y allumoit en l’honneur des dieux qui y étoient adorés 4. En expliquant les différentes manières d’espacer les colonnes des temples , Vilruve fait connoître les avantages et les inconvéniens de chacune. Dans les deux premières, elles sont trop serrées. Si elles ne sont d’un très grand module , deux personnes de front ne sauroient passèr entre elles, et l’espace étroit qu’elles laissent, vis-à-vis des portes, permet, à peine, à ceux qui sont dehors, de voir la statue du dieu. Les deux dernières ont le défaut contraire l’espace entre les colonnes est si grand , que les entablemens sont dans le cas de rompre s’ils sont en pierre ; on est obligé de les faire en bois avec de grosses poutres, et l’édifice paroît bas et écrasé. L’eustyle , inventé par Hermogène , lient un juste milieu entre les autres 5 il mérite la préférence, ’ à cause de ses belles proportions. Dans les premiers temps de l’architecture , oit suivoit en général les deux premières manières on laissoit très-peu d’intervalle entre les colonnes. Les entre-colonnemens du temple de Jupiter à Girgenti en Sicile , n’ont qn’un diamètre et demi , et ceux du grand temple de Pestum n’ont guère plus d’un diamètre car le diamètre des colonnes est de sept palmes et cinq huitièmes , et les entre-colonnemens ont huit palmes entiers ; cette variété d’ombres et de lumières, produite les unes parla multitude des colonnes, et les autres parles ouvertures des entre-colonnemens, avoit quelque chose de gracieux qui plaisoit aux anciens; c’est ce qu’on appelle l’âpreté des entre-colonnemens. Ceux qui se sont promenés entre les colonnes qui entourent la place de la Basilique du Vatican, peuvent s’en faire une idée. L’âpreté des entre- colonnemens , dit Vilruve , donne infiniment de majesté à l’édifice. Ut aspectus propter asperita- tem intercolumniorum , habet auctoritatem. Asperitcis est l’opposé de levitas y ce dernier mot signifie proprement le poli d’un mur sur lequel est répandue une lumière égale 5 l’autre exprime, au contraire ', l’inégalité du jour répandu sur une colonnade. Dans le cinquième chapitre du septième livre , Vilruve dit, en parlant de la peinture d’une scène, j où l’on avoit multiplié les ornemens càm aspectus ejus scænœ propter atem eblanâi- retur omnium visœ, etc. C’est pour louer l’effet produit par le rapprochement des colonnes que j T l ^i M COM; 1 serrtp re elfe dehors es cè, i est si préfet! t eu g* liamèîre iauiètreJ es entiej lesaéli i mie s’ CûloHD les euii sur lèf in sw* î ! 1 1 LIVRE I I I», C ii a p." u. Vitruve emploie la phrase, âpreté des entre-colonnemens. Celte façon de parler est assez significative pour représenter l’inégalité de superficie qu’un grand nombre de colonnes donne aux côtés- d’un temple, lorsqu’on le regarde par les angles. L’effet de cet aspect est de faire paroître les colonnes serrées l’une contre l’autre; cette manière plaisoit beaucoup aux anciens, parmi lesquels on trouve beaucoup moins de diasiyle et d’eustyle que de et de syslyle; la commodité seule leur fit rechercher des manières plus dégagées. Dans la décadence de l’art, on a donné dans l’exagération; on aimoit l’air, le jour et les déga-~ gemens ; on a multiplié les aréostyle ; on a même ajouté à cette manière jusqu’au point de s’approcher déjà du gothique , avant que les barbares l’eussent fait .connoître. La sage multiplication des colonnes sera toujours le plus grand agrément de l’architecture. Le célèbre Hermogène trouva la juste proportion de l’intervalle qu’il falloit laisser entr’elles ; il le fixa à deux diamètres et un quart, hormis pour les deux entre-colonnemens du milieu des deux frontispices, vis-à-vis des portes, qu’il fixa à trois diamètres; cette manière n’a aucun défaut ; elle convient au létrasiyle, à l’exastyle, à I’octastyle. Il indique la manière de diviser la largeur de ces trois sortes de temples, de façon que chaque division est égale au diamètre de la colonne qui sert de module. Le compte est facile à faire si le temple est tétrastyle , c’est-à-dire s’il a 4 colonnes au frontispice , on le divise en onze parties et demie, et le module est une de ces onze parties. En voici le compte Diamètre ou module. Epaisseur^des quatre colonnes . . . . .4 » Deux entre-colonnemens, de deux diamètres et un quart chacun ....... 4 \ L’entre-colonnement du milieu . . 3 > - — il 1 Dans l’exastyle, le module ou le diamètre de la colonne est une des 18 parties; dans l’octasiyïe, e’est une des 24 ~ , ce qu’on trouve en additionnant ensemble les diamètres et les entre-colonnemens y comme j’ai fait pour le tétrastyle. En suivant la meme règle , on trouvera également , que, dans un frontispice décastyle, le module est une des trente-une parties, et ainsi des autres, d’après le plus grand nombre des colonnes qui s’y trouvent. Voyez la 5. figure de la XII.° planche qui représente les entre-colonnemens et les divisions rapportées dans le texte. "V ilruve, comme On voit , se sert ici pour module , du diamètre entier de la colonne ; dans le 5. me chapitre du IV. e livre , où il traite de l’ordre dorique , il se sert pour module du ravon ou demi-diamètre de la colonne. Nous avons déjà observé dans nos remarques sur le a. chapitre du l. n livre, qu’aujourd’hui, pour éviter toute confusion, on n’emploie plus d’autre module , que le demirdiamèlre ou rayon de la colonne. Quoique les entre-colonnemens du milieu des deux frontispices soient de trois diamètres, qui est la grandeur du diasiyle , celle exception n’ôle pas au reste de l’édifice la dénomination d’eustyle. n4 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. La largeur de l’entre-colonnement du milieu contribue , de deux manières, à rendre Paspect du temple plus agréable. D’abord l’entrée du milieu n’est pas serrée comme dans les autres , où cet entre-colonnement est toujours ^beaucoup plus étroit que l’ouverture de la porte. Ensuite la largeur du temple , augmentée par un entre-colonnement plus grand , ajoute à la beauté de ses proportions, Ce qu’on peut remarquer au frontispice du temple de la Rotonde a Rome , ou l’entre-colonnément du milieu est plus grand que les autres. ^ ^ 1 ' u ~- Il me reste présentement à parler de la plus belle invèntion des architectes modernes , ou, pour mieux dire, de la'seule découverte qui ait 1 ajouté quelque beauté à leur art et qu’ils ne doivent pas aux anciens. Je parle de l’accouplement dès colonnes; idée heureuse qui n’étoit venue à aucun d’eux. ' i -'" r r - r Hermogène dans l’eustyle élargît l’entre-colonnernent du milieu , qui rendoil l’entrée des temples trop étroite, et dégageant le diptère d’un rang de colonnes , en fil le pseudodiptère. A son exemple le célèbre Perrault trouva le moyen d’élargir tous les entre-colonnemens , sans rien ôter à l’édifice de sa solidité. Ce que le premier lit en ôtant un rang de colonnes dans chaque aile, l’autre le fit dans chaque rang , en ôtant une colonne du milieu des deux autres colonnes ou elle étoit , pour la ranger contre une de ses voisines. Cette manière offre en quelque sorte l’âprëlé et le serrement des colonnes que les anciens aimoient, et le dégagement que les modernes cher- client , sans que la solidité souffre car les architraves des anciens, faites d’une seule pierre , por- toient d’une colonne à l’autre , et leurs extrémités ne posoient cpie sur la moitié de la colonne ; eeux-ci sont bien mieux affermis, puisqu’ils posent spr toute la colonne ; et les poutres étant doublées , ainsi que les colonnes , elles ont beaucoup plus de force pour soutenir les planchers. C’est avec le plus grand succès qu’il a exécuté, de celte ntanière , les deux portiques qui sont à la façade du Louvre. Les colonnes , qui ont plus de trois pieds et demi de diamètre, sont jointes deux à deux ; leurs entre-colonnemens sont de onze pieds ; cette distance est égale à celle qui se trouve entre les colonnes et leurs pilastres qui sont adosses au mur. On a été obligé de les faire de cette grandeur , à cause de la largeur des croisées , qui sont ornées de chambranles , de consoles et de frontons qui exigeoient cette distance entre les pilastres ; et ces grandes distances dans les portiques n’auroient pas été supportables , si les colonnes n’avoient été doublées. 1 i i La façade du Louvre est un des plus beaux morceaux d’architecture qui existe, et fera toujours infiniment d’honneur à Perrault. Une chose'assez intéressante , c’est qu’on a découvert, après la mort de cet habile architecte , une galerie semblable à celle du Louvre, dans les ruines de Palmyre, sauf que les colonnes n’y sont pas accouplées, i Vitruve , en parlant des temples aréostyles , dit qu’il faut ofner leur fronton de bas-relief, à la manière des Toscans ; il cite , pour exemple , plusieurs édifices ' tels sont , dit-il , près du grand cirque ', le temple de Gérés et celui d’Hercule , bâtis par Pompée ; tel est aussi le Capitole. Üti est ad circum maximum Cereris et Herculis Pompejani , item Capitolii i Volney, Voyage d’Egyple. > ; / LIVRE III, € h a p. ' ii. na 'f'Oaliam témoigne sa 'surprise sur la manière dont tous ;les traducteurs'ret= interprètes ont rendu ce passage , puisqu’ils appliquent l’épithète de Pompejani à Capitolii , et comprennent par-là que 1 l’ancienne ville de Po’mpeya près de Naples., à l’exemple de la ville de Rome, avoit aussi son Capitole. Le mot item qui se trouve entre Pompejani et Capitolii suffit .déjà pour séparer ces deux objets. Nous savons de plus que, près du grand Cirque;y il existoit un temple. d ? Hercule bâti par Pompée, preuve qu’il faut appliquer le. mot Pompejani à Jlerculis , et non; à Capitolii. Pline dit que le sculpteur Myron fit la statue d’Hcrcule , pour le temple que Pompée lui fit construire près du grand cirque. Fecit .... Herculem etiam qui est apud circum maximum in œde Pompei magni. Pline parle aussi du temple de Cérès , situé également près du grand cirque, et cité ici par Vitruve de Damophiîus et Gorgafus , tous deux peintres célèbres etsculpteurs è ! n craie qui ont travaillé à ce temple. Cereris œdem Romœ^ ad^ circum maxinium 'utroqpe genereartjs suœ . exçoluerunt i . Il confirme, donc ce qu’avance Vitruve , gue ]e 0 fronton de. ce, tçuiple épil.,oroé de b as-relief sculpté en craie 2. ,, .. 1 ; r , • ?. . ' . • • ! 1 ' . '' -p ; ^Les interprètes ne sont pas non plus biery d’accord sur le passage de ce chapitre , où il dit qu’Hermogène ôta du diptère les ^trente-huit colonnes ,qui formoient les rangs intérieurs. Dans quelques manuscrits , au lieu de 54 colonnes, on lit 38. Il est assez clair cependant qu’on doit lire 34, parce que c’est ce nombre, ; et pas davantage , qui forme le rang intérieur du diptère. Il est aisé de voir l’origine de cette erreur. Le nombre des colonnes étant marqué de celte manière , en chiffres romains, XXXVIII, le premier 1 après le X étant incliné V , le copiste l’aura pris pour un V; Cette différence dans le nombre des colonnes peut aussi venir, de ce que vis-à-vis des antes qui terminent les murs latéraux des Celia , an y auroit placé 4 colonnes , ce qui se faisoit quelquefois, comme on le >verra dans le 7.* chapitre du IV. e livre , et dans la fig. 1 et 2 de la VI. e planche marquée G S. Vitruve peut l’avoir compris comme cela ; alors ce seroit 38 colonnes qu’il faudroit lire. ' • i Revenons présentement aux différentes manières d’espacer les colonnes ; notre auteur qui , après en avoir tiré diverses éonséquences , établit en principe , qu’il faut donner aux colonnes de l’aréo- style , 8 diamètres de hauteur ; au diastyle J 8 et demi ; au systyle , g et demi ; au pycnostyle 10 ; et à l’eustyle , 8 et demi, comme au diastyle. - le père Laugier qui voudroit ramener l’arphitecture à la pureté de ses premiers principes , tous tirés de la nature , telle qu’elle étoit dans les siècles de Périclès et dans celui d’Alexandre , * condamne les piédestaux 1 c’est un grand défaut, dit - il , de » guinder les colonnes sur des piédestaux , au lieu de les faire porter immédiatement sur le pavé. » Les colonnes, continue-t-il, étant, si je puis parler ainsi, les jambes de l’édifice, il est absurde » de leur donner à elles-mêmes d’autres jambes. Les piédestaux dont je parle , n’ont été imaginés » que par misère. Quand on a eu des colonnes trop courtes , on a pris le parti de les monter » sur des çchasses , pour suppléer à leur défaut d’élévation. En un mot, les piédestaux ne sont » bons que pour porter une statue , et c’est manquer essentiellement de goût que de les destiner » à un autre usage ». Après avoir parlé des piédestaux, Vitruve parle, comme il est dans l’ordre , des bases des colonnes, et fait la description des deux espèces employées dans l’ordre ionique ; la première est la base attique ou atticurge, ainsi nommée parce qu’elle fut inventée à Athènes c’est pour la même raison sans doute , que dans le sixième chapitre du quatrième livre , il appelle porte attique , celle qui est propre à l’ordre corinthien. L’autre est la base ionique , qui appartient proprement à cet ordre dont elle porte le nom ; néanmoins, dans les édifices anciens comme dans les modernes, on n’emploie guère dans cet ordre que la base attique. Celle-ci réunit de si belles proportions , qu’il n’est pas étonnant qu’elle ait fait entièrement oublier l’autre. Galiani observe que les proportions de cette base sont toutes harmoniques d’apres les principes qu’il a indiqués , comme nous , dans les remarques sur le i. r Chap. du I. er Liv. Il promet de démontrer la chose dans un autre ouvrage , si toutefois il n’est pas prévenu par un autre. Comme j ignore s’il a tenu parole , je vais essayer de faire voir comment la base attique est faite d après les principes harmoniques , pour donner quelque idée au lecteur des rapports qui se trouvent entre l’architecture et la musique. ? Essai* sur l’architecture , Chap. 1. art. ?. Une * / LIVRE III, € K a p. ni. I2 lies interrompues par deux légers astragales , est horriblement défectueux. En bonnes règlesle » plus pesant doit toujours être au-dessous et le plus léger au-dessus. » Ici cet ordre naturel est renversé , et copséquemment la solidité en souffre. Cette base bien n loin d’avoir sa diminution par le haut, est au contraire diminuée par le bas. Plus étroite auprès » de sa plinthe , elle s’élargit monstrueusement du côté où elle se joint au fût de la colonne. » 1 C’est à cause de ces défauts qu’on lui substitue presque toujours la base attique. La manière de prescrire les grandeurs des membres d’architecture , en les déterminant par le double , le triple , etc., comme fait Vitruve , est, à mon avis , bien plus facile et plus certaine que celle dont nous avons coutume de nous servir aujourd’hui. Nous partageons le module en plusieurs petites parties que nous nommons minutes ; on en prend ce qu’il faut pour chaque membre ; cela est incommode , parce que souvent il faut subdiviser ces minutes en beaucoup cfautres particules. 1 Essai sur l'architecture, Chap. a. art. 3 . I Ni la 'SOli .1 , ’/l 1 %\ Md sailï 16 1 1 ne H Pmetid,! 1 1 Cette dl q êQS Ijü la tas; il netit;-1 la tj i - de ]>[. ipas dti i teat ! îoindre lit, il ai uec le a qae ci ie ouvei vUes d règles ,i base fc •olte af anne. fl liant p iertaic f î en pb* libre j ^ partit LIVRE III, C h a p. ni. * i3i » On se perd aisément dans toutes ces fractions, et la mémoire a bien de la peine à retenir toutes ces petites parties divisées en tant de nombres différens. L’autre manière est bien préférable ; l’esprit et l’œil s’accoutument aisément à donner à tous les membres des proportions qui correspondent entre elles ; l’une est le double , l’autre le triple , l’autre la moitié etc. On les donne plus précises et plus exactes ; on est moins dans Je cas de les oublier , et conséquemment d’altérer l’harmonie des proportions qui fait tout le charme de l’architecture. Avec la manière actuelle , l’œil saisit difficilement ces rapports réciproques de grandeur j on ne comprend pas qu’on ait assigné à un membre autant de parties de module , afin que sa grandeur corresponde avec celle d’un autre membre $ les uns par oubli , les autres par ignorance , s’écartent des justes mesures , et à la honte des architectes modernes , la belle harmonie des proportions n’existe pas dans leurs ouvrages. La position , ou plutôt la taille des colonnes d’un temple , n’étoit pas la meme pour tout l’édifie» suivant Yiiruve. Dans le deuxième chapitre de ce livre , il nous enseigne comme on doit atténueras colonnes depuis le tiers de leur hauteur jusqu’en haut. Les seules colonnes du milieu des deux frontispices doivent être posées à plomb sur leur centre , et leur rétrécissement doit être égal de tous côtés ; quant aux colonnes latérales , cette diminution doit être toute à l’extérieur , et la partie qui regarde l’intérieur, être absolument d’aplomb. Il nous reste à savoir s’il entend que le rétrécissement de cette partie extérieure soit seulement égale à celui que présente l’un des côtés des autres colonnes , ou si elle doit avoir toute la diminution prescrite dans le 2. me chapitre de ce livre , laquelle seroit le double. L’expression de Yiiruve n’est pas bien claire à cet égard ; mais puisqu’il conclut que ce rétrécissement produit un effet qui rend l’aspect de tout l’édifice très-agréable , on doit supposer qu’il doit être assez sensible , et parlant être aussi fort lui seul que le seroient réunis ensemble , les deux qui sont aux côtés des autres colonnes. Je le crois d’autant plus que cela lui donne une forme plus pyramidale, forme que les Egyptiens, les maîtres de toute l’antiquité pour l’architecture , ramenoient sans cesse dans toutes les parties de l’édifice , comme étant la base de toute solidité. Si les Grecs se sont par la suite écartés de cette forme, c’est lorsqu’ils ont cessé de suivre les principes de leurs maîtres ; mais dans les édifices des premiers temps de leur architecture , on reconnoît par tout celte forme. Le chapiteau ionique est la partie de tout l’ordre où il règne le plus d’invention et qui en marque le plus vivement le caractère. Un astragale , un ove, une écorce qui se replie en volute par les deux extrémités , et qui est surmontée d’un talon et d’un tailloir carré , en font toutes les richesses. La grande beaulé de ce chapiteau vient des deux volutes qui se contournent d’une manière infiniment gracieuse. L’ordre ionique, comme nous l’apprend Yiiruve, dans le i. er chapitre du livre suivant, fut employé pour la première fois au temple de Diane à Ephèse , bâti par Clé- siphon vers le temps des premières olympiades ; son chapiteau n’avoit alors que deux de ses faces parallèles ornées de volutes. Les deux autres faces ressembloient à une espèce de coussin ou d’oreiller en usage chez les anciens pulvinatus , ou à deux montants de balustre , réunis par une pomme intermédiaire qu’on nomme ceinlure ou baudrier. Cette diversité de faces n’avoit aucun inconvénient, tandis que les faces à volutes se représenloient de front mais au premier angle saillant, au premier retour du portique , le chapiteau de la colonne angulaire ne pouvoit manquer de présenter de front , sa face à balustre , d’où il résultoil deux inconvénients inévitables. Il falloit ou que les 17. V i32 L’ARCHITECTURE DE V I T R U Y E. chapiteaux de toute une rangée de colonnes présentassent de front leurs faces à baîustres , comme j on les voyoit au portail d’un temple près de l’église de S. 1 Nicolas in carccre à Rome, dont Raphaël j a donné le dessin , ce qui faisoit un très-mauvais elfet ; ou que les chapiteaux des deux colonnes angrdaires présentassent une face différente de tous les autres chapiteaux , ce qui se praliquoit ph s ordinairement, quoique cela ne pût manquer de grimacer d’une manière étrange. Les Grecs se sont servis long-temps de ce chapiteau, sans trouver le moyen d’obvier à ses inconvéniens. Dans la dernière époque de l’antiquité , on inventa d’en faire les quatre faces pareilles et toutes a volutes ; comme on peut le voir , entr’autres , au temple de la Concorde à Rome 1 , bâti sous le consulat de Furius Camille, après le rétablissement de la paix entre le peuple et le sénat ; ce temple fut consumé par un incendie , et rétabli par le sénat et le peuple Romain, comme le porte l’inscription qui existe encore dans la frise. Vitruve connoissoit certainement ce chapiteau , quoiqu’il n’en donne aucun détail , puisque les colonnes du temple de la Concorde existoient, de son temps , telles que nous les voyons aujourd’hui, et l’expression dont il se sert, Si pulvinata erunt, prouve qu’il connoissoit d’autres chapiteaux ioniques que ceux en forme d’oreiller. C’est donc une erreur de croire , comme quelques auteurs modernes l’ont cru, que Michel-Ange ou Scamozzi aient inventé le nouveau chapiteau ionique. Ce chapiteau ainsi perfectionné n’offre plus d’inconvénient , c’est pourquoi on le préfère à l’ancien , que les architectes modernes emploient très-rarement. Revenons présentement à l’ancien chapiteau ionique , puisque c’est celui dont parle Vitruve. Il est incroyable combien les amateurs d’architecture se sont donnés de peines pour parvenir à découvrir la manière de tracer la volute représentée dans la figure que Vitruve annonce à la fin de ce livre , et qui se trouve perdue avec toutes les autres. Les interprètes ont cherché par tous les moyens possibles de la remplacer quelques-uns même , comme Goldman et Talviati , ont écrit des traités entiers sur ce sujet, et tous, suivant moi , se sont écartés du vrai sens de Vitruve. Toutes leurs inventions pour tracer la volute sont très-belles, et on ne peut pas plus ingénieuses ; mais elles ne ressemblent pas à celle qu’enseigne l’auteur latin. La preuve évidente de ce que j’avance , ce sont toutes les corrections qu’ils sont obligés de faire au texte pour le forcer de dire comme eux ; iis le croyent falsifié , parce qu’ils ne le comprennent pas, et veulent néanmoins le forcer de dire la même chose qu’eux. Perrault qui a tant de droit à notre reconnoissance , à cause de ses soins pour interpréter Vitruve , est de ce nombre il prétend qu’au lieu de duocîevigesima , il faut lire duodecimci y qu’au lieu d ’unins et dimidiata , il faut lire unius dimidiatœ y qu’au lieu à’actionibus , il faut lire anconibus etc. J’ai déjà parlé dans mes noies de ces corrections , et j’en parlerai encore dans la suite de ces remarques. Toute leur erreur vient de ce qu’ils ont tracé des volutes diaprés les monumens antiques , ou d’après les règles de la geometrie , et d’avoir voulu y appliquer les paroles de Vitruve. Nous avons suivi la règle établie par Galiani qui est entièrement liree du texte , où il n’a pas changé une virgule , comme il le dit lui- meme. Comme lui , nous avons placé des lettres, dans la traduction, qui correspondent avec celles de la figure , et indiquent la façon de tracer la volute. Ceux qui voudront se donner la peine de comparer celte méthode avec les autres , pourront voir qui a mieux saisi le sens de l’auteur. J ai déjà place au bas de la traduction quelques notes nécessaires pour bien la comprendre j js 1 Voyez le plan de ce temple , planche fig. 2. ' 1 1 "B k ; Htct;; elles ^ lu’iltotï croire our puf nce iiî lé parfej ont jitruve, 1 aieuses; igés h . compKî it deè e il la, ü 1 [ans mes te le r es régi; de éu$ t avec peine k iieor.^ IIDpI^ LIVRE III, C h a p. in. ï33 vais traduire ici ce que Galiani ajoute sur la construction de la volute et sur le reste du chapiteau ionique , d’autant que j’ai adopté sa méthode.. Le vrai sens du texte, dit Galiani, est qu’en traçant chaque quart de cercle , in singulis tetran- torum actionibus , il faut diminuer chaque fois leur rayon , cl’un demi-diamètre de l’oeil de la volute, climidiatum oculi spatium minuatur.' Il est clair, d’après sa méthode, représentée dans la 4. e fig. de la XII. ° planche, que prenant pour centre le point 7 , pour tracer le quart du cercle fig. 1. Le point 1 s’approche du centre de l’œil h d’un demi-diamètre de l’œil. On trace le second quart 12 avec le centre 8 et avec le rayon 8,1, d’où il suit que le point 2 s’approche du centre h d’une quantité égale à une des huit parties qui divisent la hauteur de la volute , en traçant les deux quarts de cercle 2 , 5. 3 , 4. on approche le point 4 d’une autre partie. On approche encore le point 6 , d’une autre partie en traçant les deux quarts 4,5. 5,3. Alors il ne reste plus , en plaçant le centre au point 9 , qu’à tracer le demi-cercle 6,7 , qui termine la spirale de la volute directement sous le point de l’abaque , où on a commencé à tracer le premier quart de cercle , donicum in eumdem tetrantem qui est sub abaco veniat. f Cette opération facile est si conforme aux paroles du texte , qu’elle n’a pas besoin de justification , si je ne me trompe ; plus on l’examinera , plus elle paroîtra vraie , sur-tout si on la confronte avec les méthodes données par les autres interprètes. Par exemple Perrault pour expliquer ce passage à sa manière , veut qu’au lieu de lire actionibus , on lise anconibus il veut encore davantage comme ancon signifie une équerre , ou bien un angle droit , il prétend que ancon signifie ici la pointe de l’angle droit. Combien voilà de licences , pour pouvoir soutenir une idée mal conçue d’abord ! a r Nous avons vu que c’étoit sur la largeur de l’abaque qu’on régloit toutes les proportions du chapiteau ; c’est pourquoi Yitruve commence par déterminer sa mesure 5 comme il faut que sa saillie soit proportionnée à la grosseur de la colonne , et que plus celle-ci sera élevée , plus elle paroîtra mince par le haut , chose à laquelle on remédie en retranchant de l’atténuation du haut des colonnes , à mesure qu’elles sont plus élevées , comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent ; il faut par-conséquent augmenter aussi alors la largeur de l’abaque ; tellement qu’ayant donné à l’abaque des colonnes qui ont moins de quinze pieds , la grandeur d’un diamètre et une dix-huitième partie , il donne à celui des colonnes qui sont plus hautes , un diamètre et une neuvième partie , partant une dix-huitième partie de plus qu’aux autres. Par-conséquent toutes les proportions des différens membres du chapiteau sont augmentées et deviennent plus fortes à proportion de leur élévation. Il dit ensuite comme on doit poser les chapiteaux au-dessus des colonnes. Les expressions dont il se sert à cet égard , ont d’autant plus embarrassé les interprètes , qu’il emploie à peu près les mêmes dans le chapitre précédent, en parlant des stylobates , qu’il 11e faut pas placer à la file , non ad libellant. Il répète ici qu’il faut que les chapiteaux répondent à ces stylobates ; ce qui a fait croire à ceux qui, comme nous, ont pensé que'Yitruve entendoit par-là qu’il falloit faire un piédestal à chaque colonne , qu’on clevoit aussi avancer les entablemcns sur les colonnes, et les retirer dans les entre-colonnemens comme on le voit aux arcs de triomphes de Septime Sévère et i34 I/ARCHÏTECTURE DE V I T R U V E. de Constantin à Rome , et à celui de Trajan à Ancône. Ils n’ont pas fait attention que Yitruve ne parle ici des entablemens que par hasard; qu’il s’agit principalement des chapiteaux. Je crois, quant à moi, qu’il a entendu que la face des chapiteaux d e du profil fig 3. me planche XII ne soit pas placée directement avec la partie la plus extérieure de la tige de la colonne ; mais qu’elle fasse deux saillies égales des deux côtés de la colonne , et que les volutes répondent aux angles des stylobates. Je crois d’autant plus que c’est le sens de Yitruve , qu’il a parlé de l’astragale comme faisant partie de la colonne et non du chapiteau ; si l’astragale avoit tenu au chapiteau , son diamètre étant à-peu-près le même que celui du haut de la colonne , le chapiteau se plaçoit naturellement comme il devoit être ; mais puisque c’est l’ove qui doit poser immédiatement dessus et qu’elle doit faire une saillie assez forte en avant de la tige , il étoit nécessaire d’indiquer que celle saillie devoit être égale de chaque côté , et c’est ce que Yitruve a voulu dire par ces mots , in equedem modulant ; et par le mot capitulum, je crois qu’il entend la face du chapiteau, parce qu’il indique que la saillie de l’ove sur la face doit être égale à l’œil de la volute. Après avoir parlé des chapiteaux, Yitruve nous donne les proportions des épystiles ou entablemens. Nous avons vu que les architectes Grecs et Romains , persuadés que la beauté des édifices dépen- „doit sur-tout de la belle harmonie des proportions, mettoient la plus grande importance à les observer exactement ; non-coniens de cela , ils ont cherché à obvier à la diminution apparente qui résulte de l’éloignement des objets ; c’est pourquoi ils ont retranché quelque chose de l’atténuation des colonnes lorsqu’elles éloient très-élevées , et ont aussi augmenté alors la grosseur du chapiteau , pour que ces objets paroissent à la vue avoir la même grosseur qu’ils auroient s’ils n’éloient pas si élevés. Pour la même raison , à mesure que les colonnes sont plus hautes , iis augmentent la hauteur de l’architrave et des autres parties de l’entablement, puisque c’est sur elle qu’ils les régloient toutes , comme nous l’avons vu. Deux causes contribuent à ce qu’un objet éloigné paroisse plus petit à la vue qu’il n’est en effet; l’une est le rétrécissement de l’angle visuel ; l’autre est la masse intermédiaire de l’air , dont le volume augmente à mesure de la distance ; sa densité dérobe alors à l’oeil les contours et l’extrémité des objets , et les fait par-conséquent paroître plus petits. Suivant sa coutume , Perrault reprend encore ici Yitruve , et prétend que la diminution des objets dépend uniquement de l’angle visuel. Les personnes instruites connoîtront aisément qui raisonne le mieux , Perrault ou Yitruve ? L’entablament se compose de trois parties principales ; celle qui pose immédiatement Sur les chapiteaux des colonnes, se nomme en latin épistyle , composé des mots grecs c’est-à-dire sur les colonnes. C’est ce qu’on nomme maintenant l’architrave , mot moitié grec, moitié latin. Archi dans la composition des mots grecs signifie ce qui est le premier, le principal. Trabs signifie en latin une poutre , ce qui convient fort bien à la pièce de bois que représente aujourd’hui l’architrave , N et qui se met sur les colonnes , cette pièce étant la première et la principale , et celle qui soutient toutes les autres. Yitruve nous dit que la largeur du bas de l’architrave doit être égale au diamètre du haut de la colonne , et que sa largeur par en haut doit être, égale au diamètre du bas de la colonne. Je ne LIVRE III, C h a p. ni. i35 i anol^l' ^ 4 iSüs eti > celte I ? n qu’la ilès om li&ces j$ uce à le appa ,t en $i üevok irémiiéi tend fin visuel 1 puis comprendre quelle sera la saillie des diverses bandes de l’architrave^ lorsque les colonnes auront plus de 5o pieds d’élévation ; puisque d’après ce que Yilruve a dit tout à l’heure , leur grosseur en haut étant peu différente alors de celle qu’elles ont en bas , la partie supérieure de l’architrave sera aussi prèsqu’égaîe à l’inférieure , la première ne surpassant l’autre que d’une quantité égale à celle de l’atténuation de la colonne. Par les mots summum epistylium on doit entendre la partie supérieure de l’architrave, non compris la cymaise, qui doit, avoir la saillie qu’il indique immédiatement dans la phrase suivante. L’élargissement du haut de l’architrave doit être bien plus considérable que ne le dit ici Yilruve, étant d’abord produit par la saillie des parties supérieures sur les inférieures, et ensuite par l’inclinaison que doit avoir toute la face de l’entablement , comme nous l’avons vu vers la fin du chapitre , et de quoi nous parlerons tout-à-l’heure. Le fronton est la dernière pièce de l’édifice ; il représente le pignon du toit. Les anciens ne l’ont jamais employé que sur la largeur du bâtiment, conformément à l’objet qu’il représente, puisque tous leurs temples étoient terminés par deux frontons, l’un à l’entrée, l’autre à la sortie. Ils se seroient bien gardés , comme on a fait de nos jours , d’en construire sur la longueur du bâtiment, parce que le pignon du toit est toujours pris sur la largeur et jamais sur la longueur du bâtiment. Yilruve nous donne les proportions et la manière de construire le tympan , ou dedans du fronton , c’est-à- dire cette partie triangulaire qui se trouve enfermée par les deux corniches qui s’élèvent des deux cotés , et forment une pointe à leur réunion , et un triangle avec la corniche de l’entablement. Le tympan dans sa plus grande hauteur , c’est-à-dire depuis la corniche de l’entablement jusqu’à la pointe , sans y comprendre la corniche qui est au-dessus , doit avoir la neuvième partie de toute la longueur du larmier du frontispice , pris d’une extrémité de sa cymaise à l’autre, comme il est représenté dans la 3. e fig. de la YIII. È planche. Scamozzi a très-mal interprété ce passage; il trouve le fronton dont parle Yitruve , abaissé de trop de la moitié ; de sorte qu’au lieu d’une des neuf parties il voudroit en mettre deux. Cela vient de ce qu’il entend que Yitruve parle de la hauteur de tout le fronton y compris la corniche 3 tandis tqu’il ne parle que de celle du tympan sans la corniche ; si l’on ajoute l’épaisseur de celle-ci, toute la hauteur du fronton, depuis sa pointe , aura effectivement alors deux des neuf parties de la longueur du larmier. SurM st-à-^ latin- i’ lifie 1 farci 1 qui Vitruve est très-conséquent dans ses principes; il étoit nécessaire qu’il donnât la hauteur du tympan que rien n’indiquoit, c’est ce qu’il a fait. Quant à la corniche , il étoit très-inutile qu’il indiquât sa hauteur , puisque cette corniche est semblable à celle de l’entablement dont il a déjà fait connoître les proportions, sauf qu’elle doit avoir une cymaise ou gorge de plus , dont il donne aussi la proportion. C’est donc bien à tort que Scamozzi veut corriger ici Yitruve en disant qu’il faut lire deux neuvièmes au lieu d’un, pour que cette hauteur soit égale à celle du tympan y compris sa corniche. Je sms persuadé que cette cymaise ou gorge, dont Yitruve nous donne les proportions, est celle qui termine le fronton , sur les deux petits cotés du triangle que forme le frontispice ; il dit que les Grecs les appeloient êpitéthedes , c’est-à-dire mises au-dessus et au plus haut. Comme il ne dorme i3G . L ’ A U € H I T E C T U R E ÛE'YI T R U V E. pas les proportions des cymaises ou gorges posées horizontalement sur les énlablemens , telles que celles des côtés de l’édifice qui se joignent à celle-ci dans les angles , on pourroit croire qu’il veut qu’on leur donne la même hauteur qu’à celle-ci ; mais je crois plutôt que la hauteur des cymaises latérales se trouve naturellement réglée par celles du frontispice qu’il vient d’établir. Dans ce cas, il est clair, comme le montre la 5 . e fig. de la XIII. 6 planche, que la cymaise a du frontispice sera toujours plus haute que la cymaise latérale h 3 parce que la première est déterminée par l’hypo- thénuse , et l’autre par le côté du triangle qui est toujours plus petit, à moins qu’on ne veuille unir les cymaises inclinées avec les horizontales de la manière marquée c , qui fait qu’elles peuvent avoir, dans ce cas , la même hauteur l’une et l’autre ; mais je crois cpi’on n’en trouve aucun exemple dans les monumens antiques qui nous restent. Les acrotères sont de petits piédestaux placés sur la corniche aux extrémités et au milieu du fronton, ou au-dessus d’autres parties élevées d’un édifice , comme l’indique leur nom tiré du grec l; Ils servent de base aux statues ; on les a indiqués par les lettres a a b , dans la fig. 5 de la planche yill, ; voyez aussi les planches V. , VI. , VII. On diroit par les mots tympanum medium , que iVitruve entend qu’il faut donner aux acrotères des angles , une hauteur égale à celle de la plus grande hauteur du tympan qui est celle du milieu 5 mais comme cette hauteur seroit disproportionnée pour les acrotères , il faut entendre le mot medium comme indiquant le milieu entre le summum et Vimum 3 par-consequent la moitié de la hauteur du tympan. Vitruve veut que toutes les parties qui sont au-dessus des chapiteaux des colonnes , c’est-à-dire l’entablement et le fronton , soient inclinés en avant , la douzième partie de leur hauteur parce que des deux lignes qui partent de l’oeil lorsqu’on regarde un édifice , celle qui s’étend vers le haut sera beaucoup plus longue que celle qui louchera le bas , et fera que les objets élevés paroi- iront renversés en arriére. Perrault veut encore donner ici une leçon à Vitruve , mais très-mal à propos , suivant sa coutume, La véritable raison de ce raccourcissement des choses élevées a été, dit-il, expliquée ci-devant quand > on a parlé de la différente diminution du haut des colonnes suivant leur différente hauteur, qui est le rétrécissement de l’angle. Celle que Vitruve rapporte ici , qui est la longueur des lignes, n’est point vraie par ce que , quelques soient les lignes visuelles , tant qu’elles feront un même » angle ,t elles représenteront toujours à l’oeil une même grandeur ; > ce qui est vrai et Vitruve savoir comme lui , que la longueur plus ou moins grande des lignes visuelles cpii forment un angle, n’apporte aucun changement dans l’inclinaison de l’angle aussi ce n’est pas cela qu’il a voulu dite ici ; il entend que quand on regarde un édifice , sur-tout si c’est d’un peu près, les objets qui sont élevés paroissent renversés en arrière 2 ; et c’est pour obvier en quelque façon à ce mauvais effet, qu’il veut que tous les membres élevés soient un peu inclinés en avant , c’est-à-dire la douzième 1 d'xpCùTiîptOV signifie le faîte , le sommet, en ge'ne'ral les extrémités d’nn objet. 2} "Voici comme s’exprime "Vitruve, Cum steterimus contra frontps , quand on est vis-à-vis d’un e'difice ; ab oculo lineœ duœ si fuerint eUmaieiigeritimam operis parlent, altéra summam, quœsunmam teiigerit longior fict ; des deux lignes qui partent de l’œil, celle qui s ’éteud vers le haut sera beaucoup plus longue que celle qui touchera le bas; ce qui est très- vrai. Mais on voit qu’il ne dit pas ici un seul mot des angles continue en ces termes ita quo longior visas lineœ in superioremperlent ftf cedit ces parties supérieures e'tant plus éloigne'es de l’œil , resupimlt* j fucit speciem , fait que ces membres paroissent renversés en arrière. ji partie veut,! i eseimi! üeu ii du greeJ 5 de kj i meik celle lil •eroit èjr milieu • mes, t'jj ir liaul l s’-élenili îls étel LIVRE III, G. h AP. in. r i 3 7 partie de leur hauteur, la ligne visuelle étant, par ce moyen , un peu raccourcie, et la partie supérieure du frontispice avancée , ils paroissent moins renversés en arrière , comme la 5. e fig. de la X. e planche le fait voir. Le défaut auquel Yilruve veut ici remédier , n’est donc pas, comme Perrault l’a cru abusivement, que les membres les plus élevés paroissent plus petits en comparaison des autres , à cause de i’éloi- gnement ; chose dont il a déjà parlé plusieurs fois , à propos des architraves et de la diminution des colonnes , comme on l’a vu dans ce chapitre et à la fin du précédent. Il parle ici d’un inconvénient tout different , qui est, que les membres élevés paroissent renversés lorsqu’on les regarde d’en bas trop près du bâtiment, ou immédiatement dessous ; on y remédie en les inclinant sur le devant. Non seulement on obvie par-là à ce qu’ils paroissent renversés, mais en accourcissanl la ligne visuelle, comme on le voit dans la figure que je viens de citer, l’objet paroît plus grand, et toutes les parties supérieures étant inclinées , les parties saillantes ne cachent pas autant le parties enfoncées qui sont immédiatement au-dessus d’elles. Yilruve parle ensuite des cannelures des colonnes ; voyez la 3. e fig. de la XI. e planche. Celles dont il est ici question sont propres à l’ordre ionique et corinthien. Leur creux plus enfoncé forme un demi-cercle ; elles sont séparées les unes des autres par des intervalles. Striges en latin, signifie proprement les cannelures , et strias les intervalles. Il dit, dans ce passage , que la largeur des intervalles doit être égale à celle du gonflement ou bien entasi qui forme le ventre de la colonne. A la fin du chapitre précédent, il a dit également que le gonflement de la colonne entasi devoit être égal à l’intervalle des cannelures; il annonçoit une figure qui indiquoit cette grandeur; mais comme elle est perdue, nous devons avoir recours aux monumens antiques pour la préciser. Yoyez nos remarques à la fin du chapitre précédent. aut sa 4 -dire r vwvwaaa \ AA t'vww wvvmmvuU .jltW' Irnot ,,ii wM ,eàj^ jsfd àple ^ usa'*" i mot !d^ h 0^ 1 } 4i la ville fie Smyrne prit sa place et fut reçue au nombre des villes ioniennes , par une grâce particulière du roi Attalus et de la reine Arsinoé. Ces treize villes , après avoir chasse' les Cariens et les Lélegues , appelèrent ce pays Ionie, à cause d’ion leur conducteur. Ils y désignèrent des lieux qu’ils consacrèrent aux dieux immortels , et commencèrent à y bâtir des temples ; le premier fut celui qu'ils dédièrent à Apollon Pano- nien ; ils le construisirent dans le genre de ceux qu’ils avoient vus en Achaïe, et ils appelèrent ce genre dorique, parce qu’il y en avait de pareils bâtis dans les villes des Doriens; mais comme ils ne savoient pas bien quelle proportion il falloit donner aux colonnes qu’ils vouloient mettre à ce temple, ils cherchèrent le moyen de les faire assez fortes pour soutenir le faix de l’édifice, et de les rendre en meme temps agréables à la vue ; pour y parvenir , ils prirent la mesure du pied d’un homme , qui est la sixième partie de sa hauteur. C’est sur cette proportion qu’ils formèrent leurs colonnes; quelle que fût la grosseur de la tige , ils la firent six fois aussi haute, en comprenant le chapiteau c’est ainsi que la colonne dorique fut la première qu’on employât dans les édifices , ayant la proportion , la force et la beauté du corps de l’homme. * Voulant dans la suite élever un temple à Diane , et cherchant, par la meme méthode , quelque nouvelle manière qui fut aussi agréable , ils firent des colonnes qui avoient la délicatesse du corps d’une femme. Pour qu elles s’élevassent avec plus de grâce , ils donnèrent d’abord à leur diamètre la huitième partie de sa hauteur ; ensuite ils y mirent des bases faites en forme de cordes entortillées , pour imiter la chaussure , et taillèrent des volutes au chapiteau pour représenter cette partie des cheveux qui pend par boucles à droite et à gauche ; les cymaises et les guirlandes étoient comme des cheveux arrangés sur le front des colonnes; outre cela ils firent des cannelures i tout le long du tronc , comme si c’eût été les plis d’une robe. Ainsi ils inventèrent ces deux genres de colonnes , dont les unes imitoient la simplicité nue et négligée du corps de l'homme , et les autres la délicatesse de celui de la femme ornée de toutes ses parures. Le goût des architectes qui succédèrent à ceux - ci , se perfectionna ; ils préférèrent des proportions 2 plus délicates ; ils donnèrent donc à la colonne dorique , une hauteur égale à sept de ses diamètres , et huit et demi à bionique ; ils la nommèrent ainsi, parce que les Ioniens l’avoient inventée. * Planche XII. 1 Voyez les cannelures de la colonne corinthienne , PI. XIIl.™ q u ; son t j es xnèmes pour l’ordre ionique. * Planche XIII. 2 J’ai rendu ici le mot modulis par celui de proportion , parce que les proportions se mesurent et. se trouvent avec le module. Perrault l’a rendu par le mot module , auquel il ne peut adapter, malgré ce qu'il dit dans sa note , l’épithète de graciUoribiis , qui n’a aucun rapport avec le module, ou le diamètre de la colonne. 4* L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. * Le troisième genre que nous appelons l’ordre corinthien , imite la beauté d’une fille dans le jeune âge ; il a la délicatesse de ses membres , et convient bien mieux que tous les autres pour recevoir les ornemens qui peuvent ajouter aux charmes de la nature. Voici l’anecdote à laquelle on attribue l’invention de son chapiteau. Une jeune fille de Corinthe vint à mourir au moment où elle alloit se marier ; sa nourrice recueillit dans une corbeille plusieurs petits vases auxquels cette fille avoit été attachée pendant sa vie; pour les metlre à fabri des injures du temps et les conserver , elle couvrit la corbeille d’une tuile , et la posa ainsi sur son tombeau. Dans ce lieu se trouvoit, par hasard, la racine d’une plante d’acanthe. Au printemps elle poussa des feuilles et des tiges comme la corbeille étoit au milieu de la racine , elles s’élevèrent tout autour. La rencontre des coins de la tuile força leurs extrémités de se recourber , ce qui forma le commencement des volutes. Le sculpteur Callimaque, que les Athéniens appelèrent calatechnos i , à cause de ses talens et de l’adresse avec laquelle il tailloit le marbre , passant près de ce tombeau, vit le panier , et remarqua comme il étoit couronné par ces feuilles naissantes ; cette forme nouvelle lui plut beaucoup ; il limita dans les colonnes qu’il fit par la suite à Corinthe , et il établit, d’après ce modèle , les proportions et les règles de l’ordre Corinthien. ** Les proportions du chapiteau corinthien doivent être prises de la manière suivante il faut que le chapiteau avec l’abaque ait autant de hauteur que le bas de la colonne a d’épaisseur ; que la largeur de l’abaque soit telle que la diagonale qui est depuis un de ses angles jusqu’à l’autre , ait deux fois la hauteur du chapiteau ; cette extension donne la juste mesure aux quatre côtés de l’abaque; ensuite la courbure de ces côtés en dedans sera la neuvième partie du côté à prendre de l’extrémité d’un des angles à l’autre. Le bas du chapiteau sera de même largeur que le haut de la colonne sans le congé de l’astragale. L’épaisseur de l’abaque sera de la septième partie de tout le chapiteau ensuite on divise en trois parties la hauteur du chapiteau, non compris cette épaisseur de l’abaque on en donnera une à la feuille d’en bas, une autre à la seconde feuille , et le même espace restera pour les caulicoles d’où sortent d’autres feuilles qui s’étendent pour aller soutenir l’abaque. Il faut que des feuilles des cauli- coles , il sorte des volutes qui s’étendent vers les angles du chapiteau , et qu’il y ait encore d’autres volutes plus petites au-dessous de la rose qui est au milieu de la face de l’abaque. Ces roses, qu’on met aux quatre côtés, seront aussi grandes que l’épaisseur de l’abaque telles sont les proportions que doit avoir le chapiteau corinthien pour être bien fait. * * On met aussi sur ces mêmes colonnes d’autres chapiteaux qui * Planche XIII.™ ** Planche XIII.™ fig. 2 . 1 C’est à-dire le premier ouvrier. *** Planche XIII, 8 fig. 3. mi c Si pîteau, ; Ûe ^ fit les 1 racine,, ^strémifé Calliit; de l'if njnoiif rinl ii d'un jjlidi giide de L iontf je ai > [ent dï jês dfj ! jet fl e*l n coi* kf L I V R E I V , C h a p. i. 43 ont différens noms ; mais ils ne doivent point faire changer celui des colonnes, puisqu’elles ont les mêmes proportions ; si on leur a donné d’autres noms, c’est à cause de quelques parties qu’on a prises , soit des chapiteaux corinthiens, soit des ioniques, ou des doriques , dont on a assemblé les différentes proportions pour composer plusieurs espèces de chapiteaux qui n’ont d’autres agrémens qui les distinguent, si ce n’est celui d’offrir de nouvelles sculptures. REMARQUES. L’ordre que les Grecs employèrent le premier pour leurs temples , fut le dorique , comme l’observe Vitruve dans ce chapitre ; cet ordre , tel qu’ils le pratiquèrent dans ces anciens temps , n’étoit qu’une copie de quelque morceau de l’architecture égyptienne , que les colonies amenées en Grèce par Cécrops, leur avoient sans doute fait connoître. Ses proportions alors n’étoient pas les mêmes que celles qu’on lui donna ensuite , elles n’étoient fixées par aucune règle. La forme du chapiteau de sa colonne étoit toute différente de celle qu’il a aujourd’hui. Il nous reste plusieurs temples de cet ancien dorique , tels que ceux de Pestum } dans le royaume de Naples , celui de Girgenti en Sicile et plusieurs en Grèce. On ne peut douter que ce ne soit de cette ancienne architecture que Vitruve veuille parler , quand il dit , dans ce chapitre , que Dorus , fils d’Hélènes , bâtit un temple à Diane , dans la ville d’Argos , et qu’on ne connoissoit alors en Grèce que l’ordre auquel Dorus avoit donné son nom , c’est-à-dire l’ordre dorique ; il ajoute ensuite , que tous les temples qu’on éleva , vers celte époque ,. dans les autres villes de l’Achaïe , étoient semblables à celui d’Argos , quoique leurs vraies proportions n’avoient pas encore été fixées par des règles certaines. Ce qui se rapporte parfaitement à ce que Pline nous dit des premiers temps de l’ancienne architecture grecque , et à ce que nous font voir les anciens temples dont je viens de parler. On remarque en effet, que le nombre des diamètres qui forment la hauteur des colonnes, varie dans ces différens temples. Pline leur donne quatre diamètres 1 ; celles du temple de Corinthe n’en ont pas quatre y compris le chapiteau , et celles des temples de Pestum en ont à peine cinq. 11 paroît donc d’après ces monumens , et d’après ce que nous dit Vitruve, qu’il n’y eut d’autre architecture en Grèce que ce dorique massif, jusqu’à l’époque où elle envoya des colonies en Asie. Vitruve nous apprend que les habilans de plusieurs de ces villes grecques de l’Asie , voulant élever un temple à Apollon Panonien, le firent d’ordre dorique , comme ceux qu’ils avoient vus dans la Grèce. Mais ayant oublié les proportions qu’il falloit donner aux colonnes , par le plus heureux des hazards , ou par la combinaison la plus sage , ils les réglèrent d’après ce qu’il y a de plus parfait dans la nature j c’est-à-dire d’après celles de l’homme. La beauté produite par ces proportions répandit des grâces nouvelles sur tout leur ouvrage ; enhardis par ce premier succès, sans s’écarter du même principe , ils cherchèrent un nouveau genre de colonnes pour orner le temple qu’ils élevèrent à Diane , dans la ville d’Ephèse. Comme ils avoient donné aux premières colonnes 0 Pline, Ilist. Nat. Liv. XXXVI. Cbap. 56. ,44 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. les proportions du corps de l’homme , ils donnèrent à celles-ci les proportions du corps de la femme, et inventèrent ainsi un nouveau genre de colonne qui, cîu nom de leur pays, fut appelé ionique. f On reproche à Yitruve de n’avoir rien dit de l’ancien dorique, on voit que c’est à tort, et qu’il connoissoit cette ancienne architecture , puisqu’il fixe l’épocjue à laquelle on a perfectionné ses proportions , en donnant à la colonne dorique huit de ses diamètres. Cette époque comme nous venons de le voir, fut celle où les colonies grecques s’établirent eu Asie. Il fait , à 1 ' égard de cet établissement, un anachronisme assez considérable , quand il dit qu’Ion fils de Xutus , et petit-fils d’Hélènes , conduisit dans l’Asie mineure la colonie qui construisit le temple de Diane à Eplièse ; car ce ne fut pas Ion qui les y amena , elles ne s’y transportèrent que quatre cents ans après lui , sous la conduite de Nylée et des autres fils de Codrus , mécori- lens de leur frère Médon à qui la Pythie avoit adjugé le royaume d’Athènes 1. Suivant Yitruve , ce fut pour le temple de Diane à Ephèse que ces colonies grecques , établies en Asie , trouvèrent le chapiteau ionique , et qu’elles inventèrent une base pour les colonnes j car, dans les premiers temps, la colonne dorique n’avoit pas de base, comme on le voit encore dans les anciens monumens qui nous restent de cette architecture particulièrement dans les temples de Pestum , de Girgenti et d’Athènes ; et comme le dit lui-même Yitruve , les colonnes posoient immédiatement sur un socle ou sur un piédestal , tel qu’elles sont représentées dans la pl. XI. fig. 1 ; c’est pourquoi l’auteur latin nous dit que les Ioniens formèrent l’ordre ionique sur l’ordre dorique, eu embellissant celui-ci par l’agrandissement de sa colonne, et sur-tout en ajoutant une base ronde , qui pour cela fut sans doute appelée spira. Malgré tout ce que raconte Yitruve des heureuses inventions des Ioniens, il paroit, après les dernières découvertes qu’on vient de faire en Egypte , que les Grecs ont cherché mal à propos à s’attribuer ces inventions , puisqu’ils n’ont fait que copier quelque partie de l’architecture égyptienne 2. Mais ils ont eu la sage discrétion de choisir seulement trois genres de colonnes ; parmi toutes les variétés que leur offroient les colonnes égyptiennes, ils se bornèrent à ceux-là, et les employèrent chacune, suivant la convenance de leurs qualités, pour les divers édifices qu’ils construisirent. Continuons présentement à parler de l’ordre ionique. Le mot encarpi dont Yitruve se sert pour désigner les festons de fleurs ou de fruits qui ornent la volute ionique , a tourmenté beaucoup tous les interprètes ; Philander croit qu’il signifie une guirlande de fruits xaptcog en grec veut dire des fruits , il dit qu’en Italie ces guirlandes s’appellent des festons. Perrault a rendu ce mot par celui de gousse , croyant que c’etoit cet ornement du chapiteau ionique , formé de trois gousses de fèves qu’on voit sortir de l’angle où la volute rencontre l’ove. Yoyez la 3. e fig. de la XI. planche. Lune et 1 autre de ces opinions sont assez plausibles , puisque nous voyons de ces gousses et de semblables festons dans les chapiteaux antiques. Cependant Galiani croit , avec plus de vraisemblance , que encarpi signifie celte vignette cou-* tournée , formée de feuilles ou d’autres choses , dont les anciens ornoient le creux ou l’enfoncement 1 Pausanias, Liy. VIL Chap. 1, a , 3 et 4. 2 Voyages de Desnon , explication des Pl. LIX et LX. de LIVRE IV, C h a p. i. de la volute ; il a suivi ce sentiment, parce qu’il trouve cette phrase dans le texte êncarpis pré crinibus , expressions qui ne peuvent s’adapter ni aux gousses , ni aux festons ; si par feston on entend les guirlandes de fleurs et de fruits qui sont attachées aux yeux des volutes et pendent sur le gorgerin du chapiteau , ce qui n’a aucun rapport avec la chevelure. Yitruve rapporte , dans ce chapitre , l’histoire intéressante à laquelle nous devons l’origine de l’ordre corinthien. Son chapiteau est un chef-d’œuvre , et c’est sur-tout par cet endroit que l’ordre corinthien est sensiblement au-dessus de tous les autres. Il a une grâce parfaite ; il est de la plus grande richesse ; c’est un grand vase rond , couvert d’un tailloir recourbé sur les quatre faces. Le vase est couvert dans le bas , de deux rangs de feuilles dont les courbures ont une médiocre saillie ♦, du sein de ces feuilles sortent des tigettes ou caulicoles qui vont former de petites volutes sur les coins du tailloir et sur les quatre milieux. Tout est admirable dans cette composition ce vase qui sert de champ sur lequel les feuilles sont artistement disposées ; les courbures de ces feuilles dont la saillie va par gradation ; les tigettes qui s’élèvent naturellement , et dont la flexibilité semble se prêter au dessein de l’ouvrier qui les plie en volutes pour donner à la saillie du tailloir un appui des plus élégans. Il règne dans tout cet assortiment une douceur , une harmonie , un naturel, une variété, une grâce qu’en vain voudrois-je exprimer, et que le goût seul peut faire sentir. M. de Cordemoi condamne , avec raison , l’usage qui a prévalu parmi nos architectes de préférer pour le chapiteau corinthien , les feuilles de laurier et d’olivier aux feuilles d’acanthe , et de réserver ces dernières pour Je chapiteau composite. Je ne saurois comprendre sur quoi cet usage est fondé , si ce n’est sur un aveugle caprice. La feuille d’acanthe fournit naturellement tous les contours et toutes les courbures qui conviennent aux feuilles du chapiteau corinthien ; celle plante pousse avec ses feuilles des tiges tendres qui donnent très-naïvement les caulicoles du chapiteau , et dont ces caulicoles , avec les volutes qui les suivent , ont été originairement l’expression. Nous avons vu que la première idée du chapiteau corinthien est due au hazard qui fit découvrir au sculpteur Callimaque un vase , autour duquel une plante d’acanthe avoit négligemment élevé son feuillage et ses tiges. Pourquoi nous faisons-nous un plaisir de corrompre la plus heureuse idée qui fut jamais. Les petites feuilles de laurier ou d’olivier ne peuvent que forcément se prêter par leur assemblage à la composition du chapiteau corinthien. Les substituer aux grandes et larges feuilles d’acanthe , c’est quitter le naturel pour courir après le frivole $ c’est rendre une grande pensée par une expression foible et puérile. Vitruve ne dit pas qu’il faille écorner les quatre angles de l’abaque de ce chapiteau , comme on le fait ordinairement aujourd’hui , d’où j’ai cru qu’il parloit ici des abaques terminés par des angles aigus et en effet nous avons plusieurs exemples des chapiteaux ainsi terminés dans les monumens antiques , entre autres ceux du temple de Testa à Rome. Voyez la 2 . me fig. de la XIll. me planche. Vers la fin de ce chapitre , Yitruve parle des différens chapiteaux qu’on avoit coutume de placer sur les colonnes corinthiennes ; les ornemens seuls les distinguent du chapiteau corinthien d’où l’auteur latin conclut, malgré les divers noms qu’on leur donnoit, que cette différence ne suffisoit pas pour former un autre ordre , ce qui me fait croire , malgré l’opinion de Perrault , que ce n est pas de l’ordre que nous avons appelé composite , dont il parle ici $ on ne le connoissoit pas probablement alors. 11 parle donc de ces chapiteaux qui sont semblables et ont toutes les préparai L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. lions du chapiteau corinthien , qui n’en diffèrent que par la bizarrerie des emblèmes dont ils étoient ornés. C’étoient des symboles qui faisoient allusion à la divinité du temple ou à la destination de l’édifice. M. Jean-Baptiste Montano a publié un recueil considérable de dessins , qui représentent une infinité de ces chapiteaux antiques , remarquables par leurs bizarreries. Celui de la 3. me fig. de la XIII. me planche est du nombre ; il représente un des chapiteaux du temple de Jupiter tonnant au Capitole ; on le voit encore à Rome aujourd’hui. Dans les uns , ce sont des cornes d’abondance qui tiennent lieu de volutes , c’est pour un temple de Cérès 5 dans d’autres ce sont des aigles, c’est pour un temple de Jupiter ; pour un temple de Neptune ce sont des tridens qui remplacent les fleurs. Si l’on réfléchit bien aux paroles du texte , c’est de ces chapiteaux dont il parle, et rien de plus. Que diroit présentement Vitruve en voyant que non content d’avoir porté le nombre des ordres jusqu’à cinq, il se trouve, dans ces siècles derniers, des personnes qui cherchent à les mu bip à l’infini , osant appeler ordre nouveau , un soi-disant ordre espagnol, qui n’a d’autre distinction qu’une tête de lion au lieu de la fleur ou rose qu’on a coutume de sculpter au milieu de l’ahaqué; des cornes d’abondance et des globes dans la frise , parce que ce sont des symboles ou des attributs de la monarchie espagnole de même un soi-disant ordre françois , parce que dans le chapiteau il s’y trouve des palmes , des fleurs de lis et un coq ; n’cst-ce pas là confondre le genre avec l’espèce ? > C II A P I T R E I I Des ornemens i des Colonnes. près avoir fait connoître l’origine des différais genres de colonnes , je crois qu’il convient de parler de leurs ornemens , et faire voir comment on les a découverts. Dans tous les édifices , les parties supérieures sont faites en charpente; on leur donne différens noms , selon l’usage auquel elles sont destinées. On nomme poutre , la pièce de bois qui se met ou sur les colonnes ou sur les pilastres , ou enfin sur le faîte des murs. Les solives et les ais sont pour les planchers. Si l’espace des toits est fort large , on met sous le faîtage ** a a , un poinçon, en latin columen e d’où les colonnes ont pris leur nom , des traverses b b et des contre- fiches d d ; mais si l’espace n’est pas considérable , le seul faîtage suffit. Dans tous les toits se trouvent les forces a qui forment une saillie jusqu’à la gouttière; 1 Par ornement, Vitruve entend ici l’entablement, * Planche IV.™ fig. 3 . -»t / n • \ i r» » 1 • e t on les fait avancer autant qu’il faut pour couvrir les murailles. Ainsi chaque chose dans un édifice doit occuper la place qui lui convient d’après son usage. C’est pour imiter cet assemblage de plusieurs pièces de bois qui composent la charpente des maisons ordinaires , que les architectes ont inventé , pour les temples , la disposition des parties qu’ils exécutent en pierre ou en marbre. Dans les temps les plus reculés , les ouvriers avoient coutume de poser une extrémité des poutres sur les murs intérieurs , et l’autre sur les murs extérieurs , de manière qu elles passoient jusqu’en dehors. Ils remplissoient de maçonnerie l’espace qui étoit entre chaque poutre , et plaçoient par-dessus , la corniche et les frontispices qu’ils embellissoient de ce que l’art offre de plus délicat. Les bouts des poutres qui sor- toient du mur , étoient coupés à plomb , et comme cela sembloit choquer la vue , ils clouoient sur ces bouts des poutres coupés , de petits ais taillés de la façon que nous voyons les triglyphes ; ils les couvraient ensuite de cire bleue , pour cacher les coupures qui avoient mauvaise grâce. C’est de cette manière de couvrir les bouts des poutres qu’est venue la disposition des triglyphes et les intervalles des métopes , dans les ouvrages doriques. Dans d’autres édifices , quelques-uns ont ensuite laissé sortir, au-dessus des triglyphes , les bouts des forces , et ont contourné la partie qui faisoit saillie , de sorte que comme la disposition des poutres a fait imaginer celle des triglyphes , les saillies des forces ont aussi donné lieu à la disposition des mutules qui soutiennent les corniches ; et assez souvent, dans les ouvrages de pierre et de marbre, ces mutules sont taillées en penchant, pour représenter la pente des forces , qui doivent avoir cette position pour faire égoutter les eaux. On ne peut donc douter que l’idée des triglyphes et des mutules , dans l’ordre dorique , ne soit due à ces imitations , et non pas , comme quelques - uns l’ont cru mal-à-propos , à ce que les triglyphes représentent des fenêtres car on met des triglyphes dans les encoignures et sur le milieu des colonnes , lieu où il ne peut y avoir des fenêtres ; parce que s’il y avoit des ouvertures aux angles , ils ne pourroient être liés avec le reste de l’édifice ; et si , comme on le prétend, les triglyphes occupent la place où étoient les ouvertures des fenêtres , on pourroit dire par la même raison , que les denticules dans l’ordre ionique , sont les ouvertures des fenêtres , puisque les espaces qui sont entre les denticules , aussi bien cpie ceux qui sont entre les triglyphes , s’appellent métopes. Les Grecs appellent opes , l’espace où les poutres sont placées ; et nous autres, nous 19. 48 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. les appelons colombaria. C’est pour cela qu’on appelé métope , l’intervalle , qui est entre les deux opes. La cause qui fit imaginer de placer les triglyphes et les mutules dans l’ordre dorique , fit aussi placer les denticules dans l’ordre ionique ; comme les mutules représentent l’extrémité des forces , ainsi, dans l'ordre ionique , les denticules représentent la saillie du bout des chevrons. C’est pourquoi , dans les édifices des Grecs , on n’a jamais mis des denticules sous les mutules , parce que les chevrons ne peuvent pas être sous les forces et c’est une grande faute dans l imitation de les placer ainsi sous les forces et sous les pannes, tandis que , dans la vraie construction , ils sont posés au-dessus. Pour la même raison , les anciens n’ont jamais approuvé qu’on mît des mutules ni des denticules aux frontons. Ils n’y vouloient avoir qu’une simple corniche , parce que ni les forces ni les chevrons ne peuvent être placés dans un sens convenable sur les frontons , et leurs extrémités peuvent encore moins y former des saillies ; ces pièces de bois doivent être inclinées sur les deux côtés , et avoir leur pente vers les gouttières. Iis croyoient , avec raison , qu’en représentant une chose réelle , on ne pouvoit s’écarter de la vérité. En effet tous leurs ouvrages , même dans les plus petits détails , sont fondés sur la nature ; en elle ils ont trouvé toutes les beautés qui perfectionnent les arts ; ils en ont fait l’application et n’ont jamais approuvé que ce qu’ils pouvoient soutenir et expliquer par la raison et d’après la vérité. C est sur ces règles qu’ils établirent , dans chaque ordre , les rapports et les proportions qu ils nous ont laissés. J’ai déjà expliqué ces principes pour l’ordre ionique et corinthien , je vais continuer de le faire * en peu de mots, pour l’ordre dorique, et parler en même-temps de tout ce qui concerne la construction de cet ordre. REMARQUES. Dans ce chapitre et dans plusieurs autres endroits de son ouvrage , Yitruve entend par ornemens des colonnes , l’architrave , la frise et la corniche ; en françois , ces trois parties se nomment l’entablement j s’il entendoit la réalité de ces objets, on pourroît croire que c’est improprement qu’il appelle ornement des parties qui sont si essentielles dans les bâtimens , et pour lesquelles même on y place les colonnes quYsont destinées à les soutenir. Puisque par ornement on entend proprement des choses qui sont ajoutées aux membres essentiels , telles que les sculptures taillées dans les frises, les moulures des architraves , des corniches , des tailloirs , des bases , etc. ; mais il faut faire attention que ce n’est pas tant de l’objet même dont Yitruve parle ici , que de la représentation qu’elles en font , et dans ce sens on peut les appeler des ornemens. La nature , notre modèle universel, nous offre deux règles admirables dont elle ne s’écarte jamais ; 1 une de ne rien faire entrer d’inutile clans la composition des êtres $ et l’autre , de tout soumettre a la loi d un accord parfait et d’une unité bien marquée. C’est à l’aide de ces deux LIVRE IV, C h a v. n. 49 règles qu’elle parvient à établir par-tout un ordre invariable , et le Système d’une économie rigoureuse , au sein d’une intarissable profusion et d’une richesse infinie. Les premiers maîtres de l’art , dès les temps les plus reculés , suivirent celte combinaison de la nature ; ils ne voulurent rien d’inutile dans un édifice ; tout y étoit destiné à quelqu’objet ; tout néanmoins foruioit un accord parfait et un seul ensemble. N’oublions jamais ces régies , et ne nous en écartons pas ; elles sont les vrais guides de l’architecture. Ainsi ce que Yitruve appelle orne- mens , ne sont , comme il le dit lui-même , que la représentation des parties les plus essentielles d’un bâtiment qu’on exécute en pierre ou en marbre , pour représenter celles qui s’y trouvent naturellement en bois. Tellement donc que les diverses parties de l’entablement représentent le toit ; les modifions , les denticules , les triglyphes et les mutules , représentent les extrémités des différentes pièces de charpente. Nous voyons dans ce chapitre que c’étoit l’opinion des anciens ; toutes les pièces de bois qui composoient la charpente des toits chez les Romains , y sont nommées ; ce sont les mêmes que l’on emploie encore aujourd’hui en Italie pour le même usage , d’où l’on peut conclure que la manière de couvrir les maisons n’a pas changé dans ce pays. Celte manière diffère beaucoup de celle employée en France celle-ci n’a presqu’aucun rapport avec l’entablement. Au lieu de fermes qui soutiennent nos toits , les Italiens emploient ce qu’ils appellent chevalets cavalleto ; mais dans la longueur d’un bâtiment , ils mettent un bien plus grand nombre de chevalets que nous ne mettons de fermes. On n’emploie pas toujours le même nombre de pièces debois pour composer celte charpente ; lorsque les toits sont étroits , on en retranche plusieurs. Les chevalets des toits qui sont fort larges se composent des pièces suivantes * i.° d’une grande poutre posée de plat dans le fond , que les latins nomment transtrum les Italiens asticcinola , et nous autres poutre de traverse j 2. 0 de deux poutres qui s’élèvent diagonalement des deux côtés , s’unissent en pointe en se rencontrant dans le milieu , et forment un triangle avec la première 5 on les nomme caleri en latin , puntoni en italien , et forces en françois ; 3 .° de la pièce de bois du milieu qui tombe à plomb de celte pointe sur la poutre de traverse ; elle s’appelle columna en latin , monaco en italien , et poinçon en françois 5 4 .° de deux petites pièces de bois emmor- taisées dans le poinçon et les forces ; on les nomme en latin capreoli en italien razze y et en françois contre-fiches. s *- Tous les chevalets qui composent la charpente d’un long toit, sont ensuite unis ensemble par des poutres couchées de long sur le comble du toit. Ces poutres se nomment en latin columen , en italien cisinello, et en français faîtage. Ceci étoit pour les grands toits , si majora spatia sunt y dans les petits toits , si commocla , on n’y employoit pas autant de bois. Les chevalets étoient composés seulement du transtrum et canterii y c’est-à-dire de la poutre traversière et des forces, sans poinçon ni contre-fiches. Les autres parties telles que les pannes , les chevrons , les tuiles , etc. 1 , se trouvoient dans tous les toits , si grands et si petits qu’ils fussent. Cette interprétation du texte me paroît si naturelle que je ne puis comprendre comment Perrault a pu imaginer que Yitruve , * Planche gg_ 3 fi Les pannes , en latin templa , en italien paradossi. Les chevrons en latin asseres , en italien panconcelli. Les tuiles en latin tegulœ, en italien tegole. i5o L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. qui écrivoit à Rome , ait voulu décrire , dans ce passage , l’espèce, de toit qu’on emploie aujourd'hui en France. D’après cela je trouve très-inutile de faire aucuns commentaires sur l’étrange interprétation qu’il a donnée aux termes latins de cette phrase. Les triglyphes sont placés à l’endroit, où, dans les plus anciens temps, les poutres du plafond intérieur des temples avanç,oient en dehors, et repassoieni pareillement sur une poutre de bois, laquelle portoit immédiatement sur les colonnes. Suivant toutes les apparences, l’entablement portoit encore, du temps de Pindare , sur des colonnes de bois , ainsi que ce poète semble le faire entendre clairement dans çe qu’il appelle son Enigme, i Vitruve dit, daus ce chapitre , qu’on clouoit, comme un ornement, des triglyphes sur la partie saillante des poutres; mais ce n’est qu’une pure conjecture car, de son temps , il ne subsisteit plus de ces anciens temples , et il ne donne aucune raison de cette espèce d’ornement. Dans le triglyphe , se trouvent deux rainures , et deux demi-rainures, qu’on faisoit à l’extrémité des poutres, pour en rendre l’aspect plus agréable , puisqu’on les peignoit avec de la cire teinte en bleu , façon de peindre des anciens , dont il sera parlé dans le YIl e . livre. Il semble aussi qu’on faisoit } au bout des poutres 3 des entailles , afin de prévenir qu’elles ne se fendissent, que l’eau des pluies ne pénétrât les pores du bois et ne pourrît l’extrémité des poutres; réunie dans ces rainures , elle ne pouvoit y séjourner, elle couloit de suite par-dessous, et s’y rëu- nissoit en gouttes. Ce sont ces gouttes que les architectes ont imitées avec le marbre ; jamais les triglyphes n’ont représenté des fenêtres ; si quelques personnes l’ont cru , comme le dit Yiiruve, c’est qu’elles ont confondu les triglyphes avec les métopes. Ces deux parties composent les frises de l’ordre dorique. Les triglyphes , comme nous l’avons dit, représentent les extrémités des poutres et les métopes l’intervalle qui se trouve entre deux poutres et entre deux triglyphes c’est pourquoi Yiiruve appelle ici les métopes intertignium , et le triglyphe opa , parce que opa signifie en grec, le lit ou la place de la poutre , comme il l’explique très-clairement un peu après. L’intervalle entre deux poutres , appelé métope , étoit revêtu de maçonnerie, comme le remarque notre architecte Romain ; mais il paroit que , dans les plus anciens temps , cet espace resloit vuide ; ce qui donnoit du jour à l’entablement. C’est un passage d’Euripide qui me donne cette idée car au moment où Oresie et Pylade concertent ensemble sur les moyens d’entrer dans le temple de Diane , en Tauride, pour enlever la statue de cette déesse , Pylade propose à son ami de passer entre les triglyphes , à l’endroit où il y a ouverture , ainsi que je crois devoir l’interpréter, O'p a Ssy e'/çu TpiyXûCpccv , ottoi Ù^s[Jmq xaSrtiycti. ' \ 1 ’Qiyîvsiœ v, év ravpoiç . qi%. ii 3. j Suivant le véritable sens de ce passage, les métopes des plus anciens temples, dont Euripide nom i donne ici l’idée , étoient sans doute ouvertes , et offroient par-conséquent le seul chemin qu’il y eût pour entrer dans la nef ou cella de ce temple. On aura sans doute confondu ces ouvertures des j métopes avec les triglyphes ; c’est ce qui a probablement fait croire que ceux-ci représentoient des fenêtres. Voyez la 3. e fig. de la IV. e planche. i Nous ne voyons pas trop clairement quelle étoit l’espèce de contour sinuare dont les anciens t erobellissoieut l’extrémité des forces; je crois néanmoins que Yiiruve entend par-là, cette sinuosité i Pyth, 4 , y. 475 et 477. I.I LIVRE IV, C h a p. h. dont le contour agréable ressemble à une gorge droite, comme elle est représentée planche IV, fig. 5, lettre C. Le denticule dans l’ordre ionique représente, comme nous avons vu, l’extrémité des cbevrons qui ne peuvent jamais être plaçés sous les forces ; c’est pour cela que Vitruve loue les Grecs de ce qu’ils ne les employaient pas en meme temps que les mutules. Aujourd’hui, tout au contraire, personne n’oseroit en cela suivre l’exemple des Grecs ; parce que parmi les monnmens antiques qui nous sont restés, il se trouve plusieurs belles corniches qui toutes ont des denticules sous les modilîons, tellement que l’usage a prévalu sur la raison il en est de même pour celui de placer des modilîons et des denticules dans la corniche des frontons , parce que, comme je le crois, ces corniches auroient eu très-mauvaise grâce , si elles n’avoient pas ressemblé à celles qui formoient le tour du reste de l’édifice. Qu’auroit dit Vitruve s’il avoit vu construire des frontons sur la longueur du bâtiment , comme cela se pratique de nos jours. Puisque le fronton n’est que la représentation du pignon du toit , il doit être placé conformément à l’objet qu’il représente. Or , le pignon du toit est toujours sur la longueur du bâtiment. Que nos architectes réfléchissent un peu sur ce raisonnement , qui est de la plus grande simplicité , et il ne leur arrivera pas de placer , au milieu d’une longue façade, des frontons postiches qui ne signifient rien. Ils pensent donner plus d’agrément en interrompant ainsi l’uniformité ; mais qu’ils sachent que dans tous les arts , c’est pécher contre les règles que de mettre des inutilités. Puisque les frontons représentent les toits , ils doivent toujours couvrir la partie la plus élevée du bâtiment et ne jamais se trouver dans le milieu de leur hauteur , tel que le chétif fronton qui est au milieu du frontispice de la basilique du Vatican , au-dessus duquel se trouve un attique. Dans le plan de Michel Ange, le frontispice de cette église devoit être le même que celui de la rotonde ; cette idée étoit vraiment digne de ce grand homme; combien ne devons-nous pas regretter qu’on ne l’ait pas suivie, et que son plan n’ait pas été exécuté en entier ! C’est encore un grand défaut de faire des frontons qui ne soient pas triangulaires. Le toit se termine toujours en pointe plus ou moins aigue ; le fronton qui en est la représentation , doit imiter servilement cette forme donc , les frontons ceintrés sont contre nature donc , à plus forte raison , les frontons brisés sont détestables , puisqu’ils annoncent un toit enir’ouvert donc , à plus forte raison encore, les frontons à volute sont de toutes les déraisons la plus consommée. Pùen n’est plus absurde encore que de mettre des frontons les uns au-dessus des autres. Il est vrai qu’on remarque au-dessus du portique du Panthéon , les restes d’un fronton qui est inhérent aux murs de ce temple, et se trouve par-conséquent derrière le portique qu’Agrippa y ajouta; mais il est probable que ce sont les restes du frontispice qui étoit avant celui-ci. D’ailleurs si les archU tectes romains ont commis celte faute, ils n’en ont pas moins péché contre les règles, comme nous lavons déjà observé. Les siècles, où ils ont cultivé les arts , étoient déjà loin de ceux où la Grèce les avoit vu fleurir dans toute leur pureté. Un fronton en bas suppose un toit, un fronton en haut suppose encore un toit voilà donc deux toits l’un sur l’autre. Le portail de Saint Gervais a ce défaut qui dégrade beaucoup son mérite. 152 I/ARCHITECTURE DE VITRUVE. Quelque grande que soit la prévention en faveur de cet édifice , je ne crois pas , après la raison que je viens d’en donner, qu’aucun homme sensé puisse approuver le double fronton haut et bas que l’on y remarque. C’est bien pire encore quand le fronton se trouve au-dessous de l’entablement. En user de la sorte , c’est mettre le toit dans la maison , et le plancher au-dessus du toit. Cependant combien n’en trouve-t-on pas d’exemples l combien de portes, combien de fenêtres surmontées d’un ridicule fronton ! CHAPITRE III. De l'ordre Dorique . * Quelques architectes, parmi les anciens, crurent que l’ordre dorique ne con- venoit pas pour les temples, d’autant qu’il a quelque chose d’incommode et d’embarrassant dans ses proportions. Tarchesius et Pytheus étaient de ce sentiment ; l’on dit même qu’Hermogène, après avoir déjà préparé beaucoup de marbres pour élever à Racchus un temple d’ordre dorique , il changea de projet , et le fit ionique. Ce n’est pas que l’ordre dorique ne soit beau et majestueux ; mais la distribution des triglyphes et des plafonds gêne beaucoup , parce qu’il faut nécessairement que les tri- glyphes se rapportent sur le milieu des colonnes i , et que les métopes qui sont entre les triglyphes soient aussi longues que larges ; de plus, les triglyphes des colonnes des angles , se placent à l’extrémité et non sur le milieu des colonnes. Le triglyphe de l’angle ne peut être carré , mais il faut ajouter à sa longueur la moitié de la largeur d’un triglyphe 2 , ou si l’on veut que les métopes soient égales , il faut que le dernier entre-colonnement soit plus étroit que les autres , de la moitié de la longueur d’un triglyphe. Soit donc qu’on élargisse la métope , soit qu’on étrécisse l’en- tre-colonnement, il y a toujours du défaut. Yoilà pourquoi les anciens ne se sont point servis des proportions de l’ordre dorique dans les constructions des temples ; nous les mettons néanmoins ici dans leur rang, telles que nous les avons apprises de nos maîtres , afin que si quelqu’un veut s’en servir malgré les difficultés , il puisse bâtir * Planche XI. 1 La largeur du triglyphe est d’un module , celle de la colonne est de deux , par-conséquent , les triglyphes qui doivent correspondre avec le milieu des colonnes , occupent de chaque côté de la cathète qui les partage , le quart de la largeur pu du diapaètre de la colonne c’est ce que signifie les mots contra médius telrantes. 2 Ce n’est pas précisément, la largeur de la moitié d’un triglyphe. Voyez les remarques à la fin de ce chapitre. dei i LIVRE IV, C h a p. ni* ** i53 des temples d’ordre dorique dans les justes proportions , et avec toute la perfection dont cet ordre est susceptible. * On doit diviser en vingt-sept parties la face d’un temple d’ordre dorique , dans laquelle les colonnes sont placées, si l’on veut qu’elle soit tétrastyle ; et en quarante- deux pour être hexastyle lune de ces parties sera le module que les Grecs appellent emhates i , et ce module établi doit régler toutes les mesures de la distribution de l’édifice. ** Le diamètre des colonnes doit être de deux modules ; la hauteur, de quatorze ; compris le chapiteau , la hauteur du chapiteau d’un module ; la largeur , de deux modules et une sixième partie. Le chapiteau doit être divisé , selon sa hauteur , en trois parties , dont l’une est pour le plinthe avec sa cymaise , l’autre pour le quart de rond avec les annelets , et la troisième pour la gorge du. chapiteau. La diminution de la colonne doit être pareille à celle de la colonne ionique , telle [qu elle a été indiquée dans le troisième livre. La hauteur de l’architrave, avec sa plate-bande et les gouttes , doit être d’un module ; les gouttes, sous la plate-bande au droit des triglyphes avec la tringle , doivent pendre de la sixième partie d un module. Le dessous de l’architrave sera aussi large que le haut de la colonne sous le gorgerin 2 . Sur l'architrave seront placés les triglyphes avec leurs métopes ; ils doivent avoir un module et demi de haut, et un module de large. L’ordre qu’on doit suivre , dans la distribution des triglyphes , est de les placer de manière qu’il y en ait sur le milieu des colonnes angulaires, et qu’il s’en trouve aussi qui répondent au droit des colonnes du milieu; dans les entre-coionnemens, il doit y en avoir deux, et aux entre-colon- nemens du milieu , tant à l’entrée qu’à la sortie , trois, afin que ces intervalles soient assez larges pour qu’on puisse entrer aisément dans les temples. *** La largeur des triglyphes doit être divisée en six parties , dont les cinq sont pour le milieu , laissant deux demi-parties , l’une à droite et l’autre à gauche dans la partie du milieu , on tracera une règle que nous appelons fémur 3, et les Grecs * Planche XI. 10 fig. £. 1 Voyez l’explication de ce mot dans nos remarques sur le 2. me Chapitre du I. er livre. ** Planche XI.™ fig. i. 2 Le texte dit hypotracheüum. Voyez l’explication de ce naot, page i io. *** Planche XI. me fig. 3 Femuren latin et /xypoçen grec signifient la cuisse d’un homme. On nomme ainsi les trois parties du triglyphe , parce qu’elles sont droitescommejxois jambes ou cuisses. 20 ! i54 L’ARCHITECTURE DE Y I T R TJ V E mêros. A côté de cette règle , on creusera , à droite et à gauche , deux canaux enfoncés selon la came de l’équerre ; de chaque côté des canaux il y aura encore un fémur, et à leur côté il y aura des demi-canaux tournés en dehors. Les triglyphes placés , on fait les métopes entre les triglyphes ; il faut qu elles soient aussi hautes que longues ; et aux angles , il doit y avoir des demi-métopes, auxquelles on donne la largeur d’un demi-module. Par ce moyen, toutes les divisions des métopes, des entre - colonnemens et des plafonds se rapportent, et il ne s’y trouve plus d’inconvénient. Le chapiteau du triglyphe doit avoir de haut, la sixième partie d’un module. Sur ces chapiteaux on place le larmier; sa saillie doit être d’un demi-module et une sixième partie de module sa hauteur , y compris la cymaise dorique qui est au-dessous, et l’autre cymaise qui est par-dessus , doit être d un demi-module, et une sixième partie i. * On partage le plafond de la corniche pour y tracer des especes de chemins droits , au-dessus des triglyphes et des métopes, ainsi que les gouttes. On dispose les gouttes de manière qu’il s’en trouve six dans la longueur et trois dans la largeur. Un certain espace reste vide; les métopes étant plus grandes que les triglyphes , on doit le laisser uni ou y sculpter des foudres. Sous la corniche vers le bord, il faudra tailler un enfoncement en forme de scotie. Les autres membres, comme tympans, cymaises et corniches, sont semblables à ceux qu’on a décrits pour l’ordre ionique. ** Toutes ces mesures sont pour les ouvrages diastyles si au contraire, on fait un systile, et monotriglyphe, on doit diviser la face du temple en vingt-deux parties, si elle est tétrastyle, ou en trente-deux, si elle est hexastyle, et une de ces parties sera le module avec lequel on mesure tout l’ouvrage, comme on l’a déjà dit. Au-dessus de chaque entre-colonnement 2 il y aura seulement deux métopes et un triglyphe ; depuis le "dernier triglyphe jusqu’aux angles , il ne reste que 1 espace d un demi- triglyphe 3. L’entre-colonnement du milieu, qui est sous la pointe du frontispice, doit avoir l’étendue nécessaire pour contenir trois triglyphes et quatre métopes; par-là l entrée du temple est beaucoup plus large, et 1 aspect des statues des dieux a aussi plus de majesté. ^ x Voyez les remarques à la fin. chaque architrave. Voyez les remarques à la fin du * Planche XI." 56 fig. 3. chapitre. ** Planche XL™" fig. 4-. 3 Ce n’est pas. précisément la largeur d’un demi- 2 Le texte dit supra singula tpislylia , au-dessus de triglyphe voyez les remarques à la fin du chapitre» I LIVRE IV, C h a p. m. WsJ s soient l ¥\ ons i f! ' trouv- e parti; îdicj Jiquifil "»i,f ^estJ * g* r]les Ivl 3 COP o]’oà , 9'fi M ft serai _ issus i ;ljk f i det ii¥\ /ta £> i ;>. Sur les chapiteaux des triglyphes il faut mettre ,1a corniche qui doit avoir , comme on a dit, une cymaise dorique au-dessous , et une autre cymaise par-dessus ; cette corniche , y compris les cymaises , sera haute dam demi - module et une sixième partie i. On * tracera aussi sous la corniche , directement sur les triglyphes et les me'topes , des chemins droits , avec des rangées de gouttes et tous les autres objets qu on a prescrits pour le diastyie. ** Il faut faire vingt cannelures aux colonnes , lesquelles formeront vingt angles , si on veut seulement les avoir à pans ; mais si l’on veut que les cannelures soient creusées , il faudra les faire de la manière suivante. On tracera un carré dont le côté sera aussi grand que toute la cannelure , et ayant mis le centre du compas au milieu du carré , on tracera d’un angle de la cannelure à l’autre , une ligne courbe qui sera la forme de sa cavité ; c’est ainsi qu’on donne à la colonne dorique , la cannelure qui lui est particulière. Le renflement que doit avoir le milieu de la colonne ionique , et que j’ai indiqué dans le troisième livre , se fait également à celle-ci. J’ai décrit les proportions des colonnes corinthiennes , doriques et ioniques , et tout ce qui concerne l’extérieur des temples ; il me reste maintenant à montrer de quelle manière on doit distribuer et ordonner l'intérieur des Cella ou dedans des temples , ainsi que leurs vestibules. R E M A R Q U E S. L’ordre dorique offre des difficultés qu’on ne rencontre pas dans les autres. Le mélange alternatif des triglyphes et des métopes qui décorent sa frise , en rendent l’exécution extrêmement gênante. Les triglyphes doivent toujours avoir la forme d’un carré long , et les métopes celle d’un carré parfait. Un triglyphe doit toujours être placé au-dessus de chaque colonne ; tellement qu’on ne sait comment se tirer d’affaire dans les angles rentrans. On ne peut éviter l’un de ces deux inconvéniens, ou de plier un triglyphe en mutilant les deux métopes voisines , ou de joindre deux métopes ensemble sans aucun triglyphe intermédiaire. Jusqu’ici les ignorans n’ont point été arrêtés par ces deux difficultés , parce qu’ils n’ont point senti les inconvéniens dont je parle. JNous ne manquons pas d’édifices où l’ordre dorique est employé ; mais il n’en est aucun où l’on ne trouve ou des trigly- phes pliés, ou des demi-triglyphes , ou des métopes mutilées, ou des métopes beaucoup plus larges que hautes. Les proportions de l’ordre dorique données dans ce chapitre par Vitruve ne conviennent qu’aux temples car elles sont toutes différent^ pour les théâtres t comme il nous l’apprend dans le 0 Dans le texte on lit seulement un demi-module. J’ai ajouté une sixième partie pour les mêmes raisons qui me l’ont fait ajouter plus haut. Voyez nos remarques à la fin de ce chapitre. * Planche XI. me fig. 3. ** Planche XI. ,ae fig. 3. i56 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. chapitre du V. me livre. Aliam enim in deorum templis debent hctbere gravitatem y aliam in porticibus et cœteris operibus subtilitatem. Dans les temples, il ne se renconlroit guère d’angles rentrans , où l’on dut placer des triglyplies ; les quatre angles de l’intérieur des Cella des temples hypèlres pouvoient seuls en avoir , comme on le voit aux temples de Pestum. On n’en mettoit pas en dedans des portiques ; s’il y en avoit eu, c ? étoit manquer à la convenance ; puisque les triglyphes représentent l’extrémité des forces , iis rie doivent paraître qu’à l’extérieur. Les triglyphes se rencontrant rarement dans les angles rentrans des temples , Vitruve ne nous parle pas ici des inconvéniens qui en résultoient ; ils sont néanmoins bien plus grands que ceux qui résultent des triglyphes placés à l’extérieur contre les angles saillans. L’inconvénient venoit de l’ancien usage qui étoit de placer ces triglyphes non au-dessus des colonnes des coins, mais à l’extrémité des angles ; usage qui subsistoit probablement encore du temps de Vitruve , mais auquel on avoit déjà commencé à remédier en plaçant ce triglyphe , comme les autres, perpendiculairement au-dessus du milieu de la colonne , et ajoutant au-delà une partie de métope qui terminoit la frise , comme on le voit un peu plus loin dans ce chapitre. Cette correction a fait disparaître sans doute le plus grand des inconvéniens , qui dégoutoit les anciens d’employer l’ordre dorique pour les temples. Antoine Labacco , et autres , nous ont conservé des dessins de temples doriques avec les triglyphes placés sur les coins 5 dans ces dessins, la métope voisine de ces triglyphes n’est pas élargie, mais l’entre-colonnemcnt est rétréci. Parmi les temples de Pestum qui se sont conservés prèsqu’in- tacts jusqu’à présent , on remarque'des triglyphes qui sont également placés à l’extrémité des angles. Je ne puis comprendre pourquoi, sans aucune nécessité , les anciens éîargissoient ainsi la dernière métope pour placer , à l’extrémité de l’angle , le triglyphe , tandis que donnant à la métope sa vraie grandeur , le triglyphe serait naturellement tombé au milieu de la colonne et pourquoi d’un autre côté rétrécir le dernier entre-colonnement pour placer le triglyphe à l’extrémité de l’angle, tandis qu’il serait précisément tombé au milieu de la colonne , si l’entre-colonnement avoit eu sa juste grandeur. Le passage où Vitruve veut qu’on rétrécisse le dernier entre-colonnement de la largeur d’un demi triglyphe , ne se trouve pas de meme dans les anciennes éditions ; au lieu de latitudine , on lit altitudine } ce qui est une faute manifeste de copiste , comme l’a remarqué Philander et tous les autres. Nous n’avons fait aucune difficulté de substituer comme eux le mot latitudine / on ne peut douter que celte correction ne soit juste , parce qu’un peu plus haut, en parlant de ceux qui élargissent la dernière métope , il dit triglyphi dimidia latitudine ; à présent il dit que d autres , au lieu de toucher à la métope, rétrécissent l’entre - colonnemenl ; il est tout naturel que l’espace de ce rétrécissement doit être égal au premier , c’est-à-dire dimidia triglyphi latitudine. Il faut observer , toutes les fois qu’on trouve dans ce chapitre dimidia ou semitriglypho > qu’on ne doit pas entendre exactement la moitié d’un triglyphe , mais un à peu près ; parce que , dans le fait, il manque quelque chose à celte grandeur , pour qu’elle soit précisément égale à ua LIVRE IV, C h à p. m. 1S7 demi-triglyphe , ce qui vient de l’atténuation des colonnes , qui varie à proportion de leur hauteur , comme il le dit dans le 2 . me chapitre du III. rae livre. Viiruve se sert donc ici de la quantité la plus approximative pour en indiquer une qui est incertaine. Nous avons dit, d’après l’édition de Philander , que la face des temples doriques , s’ils étoient tétrastyles, c’est-à-dire à quatre colonnes, devoit être divisée en XXVII parties , ou contenir XXVII modules. Dans les éditions antérieures à la sienne , et dans les manuscrits qu’il dit avoir vus , il y en avoit XXVIII ; ce qui ne peut être qu’une faute de copiste , comme le prouve le calcul suivant ; qui fait voir clairement que la chose ne peut être autrement que nous ne l’avons dit. L’entre-co- lonnement du temple dont parle ici Yilruve est le diastyle. L’entre-colonnement du milieu a trois triglyphes et quatre métopes de chaque côté ; il y a deux entre-colonnemens qui ont chacun deux triglyphes et trois métopes ; par-conséquent il y a en tout onze triglyphes, dix métopes et deux demi-métopes; ceux-ci terminent la frise dans les angles, ce qui fait en tout vingt-sept modules. Yoyez la 4- me hg. de la XI. me planche. tes parties de métopes qui terminent les deux extrémités de la frise, loin d’être des demi-métopes, comme les nomme Yilruve , n’ont pas même un demi-module de large , à cause de la diminution des colonnes , comme nous l’avons déjà observé. Les mêmes éditions et manuscrits en parlant des temples doriques hexaslyles, disent qu’il faut diviser leur face en XLIY parties , au lieu de XLII que nous avons mises depuis la correction de Philander et des autres auteurs. Il est encore aisé de prouver par le calcul , combien celle correction est nécessaire, et que dans le nombre XL11 se trouve exactement le compte de tous les modules contenus dans la largeur des triglyphes et des métopes, comme on peut le voir dans la même figure. Ce qui prouve encore en faveur de notre opinion , c’est que Perrault nous apprend qu’il avoit , entre les mains, un manuscrit où. ces deux nombres étoient indiqués conformément à notre correction c’est- à-dire par XXYII et XLII. Comme nous l’avons déjà remarqué dans le 2 .e Chap. du I. er Liv., la proportion des édifices dépend de la correspondance de mesure que les parties qui le composent ont entr’elles ; elle se connaît et se règle par le module. Le module est une grandeur qu’on prend sur l’un ou l’autre des membres, ordinairement le diamètre ou le demi-diamètre de la colonne ; jusqu’à présent Yitruve s’est servi du diamètre ; mais iï se sert ici pour l’ordre dorique du demi-diamètre , et nous venons de voir comment le module d’un triglyphe fait juger de la grandeur d’un temple ainsi qu’il l’a dit dans le 2 . e Chap. du I. er Liv. Perrault a cru que les copistes avoient^fait une faute dans l’endroit où le texte dît que la largeur du chapiteau dorique doit être de deux modules et une sixième partie, latitudo duorum et modulé sextœ partis. Il a cru que , dans le manuscrit dont on s’étoit servi pour imprimer la première fois 1 Yilruve , après le mot moduli , il y avoit une S avec un point, qui signifioit, suivant lui , semîssis f et,qu’on avoit mal-à-propos interprété par sextœ partis. Le peu de largeur qu’on donne ici au chapiteau lui a sans doute fait supposer cette erreur ; mais il est plus naturel de croire que les propor- 58 L ’ A 11 C II ITEC T U 1\ E DE V I T R U Y E. {ions qu’on employa d’abord du temps de Yitruve, différoient de celles que les Romains employèrent ensuite , lorsqu’ils furent plus perfectionnés dans les arts. Je ne crois donc pas que le texte soit altéré ici. Dans la i. re fig. de la XL C planche , on voit un chapiteau qui n’a que deux modules et une sixième partie de large; on ne-peut pas dire cependant que cette grandeur soit si insuffisante, et fasse mauvais effet à la vue. La hauteur du chapiteau se divise en trois parties ; la partie supérieure est pour l’abaque et sa cymaise ; celle du milieu pour l’ove et les anneleis. On appelle armelets , annulis y ces petites moulures , qui sont ordinairement trois filets qui ressemblent à des anneaux , et nous voyons cependant des monumens antiques et des édifices modernes , où , au lieu de ces trois annelets , on a placé une gorge et un listel ou autres moulures semblables. Triglyphe est un mot grec composé de rpÿig trois et de y A ô et combien elles conviennent aux. différons temples , dont il a parlé , ce qui prouve évidemment que les Cella , dont il est ici question , sont celles des temples dont il a parlé dans le livre précédent. ,Par le mot latitudo , j’ai entendu la largeur de tout le temple et non celle de la Cella > comme d’autres l’avoient interprété; la phrase prouve assez que c’est de cette première largeur que Vitruve a voulu parler et non de l’autre car en dessinant les plans de ces temples avec leur Cella, il faut naturellement que la Cella seule soit un quart plus longue que la largeur de tout le temple. Nous avons vu au commencement de ce chapitre que la longueur du temple doit être double de sa largeur tellement qu’ayant assigné à la Cella une longueur égale à cette largeur , et un quart en sus , il suit qu’elle n’occupe que cinq huitièmes de la longueur du temple , et qu’il en reste trois en sus ces trois parties sont pour le pronaos ou vestibule , ou comme d’autres ont dit, pour traduire plus littéralement le mot pronaos > pour l’avant-temple. Beaucoup de temples n’avoient qu’un seul vestibule qui étoit toujours par devant, d’autres en avoient deux, c’est-à-dire un par devant et un autre par derrière ; par-conséquent ils avoient aussi alors deux portes. 11 est clair , d’après cela, que ne pouvant rien ôter ni ajouter, tant à la longueur du temple qu’a celle de la Cella j lorsqu’il n’y avoil qu’un vestibule , ce vestibule étoit le double plus long que ceux des temples qui en avoient deux ; parce que le même espace restoit toujours , on l’employoit tout entier par un seul vestibule et dans l’autre cas on le divisoit en deux , une moitié étoit pour le vestibule de devant et l’autre pour celui de derrière. Nous avons observé dans nos remarques sur le livre précédent, que dans les sept genres de temples dont parle Vitruve , trois seulement n’étoient pas entourés de colonnes. Ces trois genres sont le temple à antes , le prostyle , et l’amphiprostyle ; il ne peut être ici question de ces trois derniers genres dont il a déjà parlé ; il n’est pas question , non plus d’un genre nouveau. Tout prouve donc qu’il s’agit uniquement des Cella proprement dites , c’est-à-dire de la partie fermée par une muraille qui est au milieu des temples entourés de colonnes , décrits dans le troisième livre. Ce qui a sans doute induit Perrault en erreur, c’est que Vitruve se sert de l’expression cédés , lorsqu’il dit que quand celte partie a plus de 20 pieds de large , il faut placer deux colonnes entre les antes. Au lieu à’œdes il auroit dû dire Cella. Mais rien n’empêche qu’on n’emploie l’expression d’œdes en parlant de la Cella. Nous avons vu qu’on nommoit les temples œcles sacrœ lorsqu’ils avoient été consacrés. La Cella étoit vraiment la principale .partie du temple , parce que c’étoit là où se trouvoient les statues des dieux ; le reste comme les vestibules et les galeries n’étoient que des accessoires. 4 C’est donc de la Cella qu’il est ici question, et non d’une espèce particulière de temple comme l’a cru Perrault. Nous voyons clairement par une phrase du 2 . me chapitre du livre, que Pteroma signifie tout le circuit des portiques qui entourent le temple puisqu’il y est employé pour désigner les genres des temples entourés de colonnes tels que le périptère , le diptère et le pseudodiptère ; et si Ion veut réfléchir davantage sur les termes de cette phrase ainsi conçue Pteromatos enim ratio 21 . i64 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. et columnarum circum oedem dispositio , etc. On en sera encore convaincu davantage, puisqu e la seconde période , columnarum circa oedem dispositio , explique la première pteromatos ratio. Malgré tout cela , Perrault, qui s’est trompé dès le commencement de ce chapitre , parce qu’il n ’ a pas compris qu’il s’agissoit des Cella des temples décrits dans le III. me livre , a cru qu’il étoit ici question d’une espèce de temple particulière qui n’etoit pas entoure de portiques , mais qui avoit un vestibule en avant, formé par deux murailles terminées par des antes , entre lesquelles se trouvoient les deux colonnes dont parle Vitruve. Comme il n’a point entoure cette nouvelle espèce de temple de portiques, et qu’il voit cependant que Vitruve se sert ici de 1 expression pteroma , qui signifie , comme nous venons de le voir , le portique pour se tirer d affaire, il prétend que le mot pteroma signifie les murailles qui ferment les côtés du proizaos , et cela en dépit de Vitruve qui , dans le 7.™ chapitre de ce livre, appelle ces murs humeri ; il ajoute ensuite, qu’il ne peut comprendre comment , dans un pareil temple , il peut être question de portique • il comprend encore moins comment des colonnes peuvent séparer le vestibule du portique et pour sortir d’embarras , il rend le mot disjungere , par le mot français fermer parce que , dit-il , ce qui sépare 5 un espace d’avec un autre , peut être dit , le fermer et qu’un mur ferme la cour d’ane maison > quand il la sépare d’avec la rue. Ainsi , dit-il , les colonnes séparent ou ferment le vestibule » avec le dehors du temple ; mais les mots dehors du temple , ajoute-t-il , ne sont pas dans le texte. 11 n’auroil pas trouvé toutes ces difficultés, s’il avoit appliqué, comme cela devoit être, les paroles du texte de Vitruve dans ce chapitre, aux Cella des temples, entourés de colonnes dont il a donné la description dans le III. e Liv. Ce qui prouve encore en faveur de cette assertion , c’est que Vitruve indique dans ce chapitre les proportions de la longueur de la Cella , mais qu’il ne dit rien de leur largeur, ce qui étoit inutile, parce qu’elle occupe l’espace qui est entre les deux ailes des colonnes ou galeries latérales, largeur qu’il a déterminée dans le 2. e Ch. du Liv. III. 11 le dit expressément en parlant du pseudodiptère a Les murailles, du devant de la Cella , doivent répondre , n dit-il, » » aux quatre colonnes du milieu des frontispices , tant devant que derrière, n Les ailes ou galeries occupent donc entièrement les deux côtés latéraux du temple ; mais cette galerie ayant une égale largeur par-tout , et la Cella n’ayant de longueur que cinq huitièmes de la longueur de tout le temple , il suit qu’il reste un espace quelconque entre cette galerie et l’entrée de la Cella , qui est plus ou moins grand , suivant le genre et l’espèce du temple ; plus la galerie sera large , moins il restera de ces trois huitièmes. Par exemple il en restera moins , à proportion , dans un temple simple périptère, dont l’entre-colonnement sera de l’espèce eustyle je dis à proportion, parcs que la longueur du temple étant le double de sa largeur , plus les entre-colonnemens seront grands, et plus les galeries seront larges , plus le temple sera grand ainsi que la Cella. Mais il n’en est pas moins vrai que , dans le temple périptère dont je viens de parler , l’espace sera plus grand à proportion entre la Cella et la galerie de devant le temple que dans un temple diptère. En un mot, dans tous les temples, il reste toujours un espace entre la galerie et le devant de la Cella , pour compléter les trois huitièmes dont je viens de parler ; comme on peut le voir dans tous les plans de temples entourés de colonnes que j’ai fait graver. C’est dans cet espace que se trouve le vestibule ou pronaos dont parle ici Vitruve. Si ce vestibule a plus de 20 pieds de large, Ieiendue étant trop grande pour faire 1 architrave dune seule pièce, il la; fait soutenir par deux colonnes qui h divisent en trois. Les colonnes FF qui se trouvent entre les pilastres DD du temple à antes, fig. 1 de la planche V , peuvent en donner une idée. Ce sont ces deux dernières colonnes dont nous venons de parler , qui s’élevoient , comme on le voit, entre le pronaos et la galerie. Sur la même ligne que le centre de ces colonnes , régnoit une balustrade de marbre ou de bois qui séparoit ces 'deux parties ; nous l’avons représentée dans la 2. e fig. de la YI. e planche ; elles y sont indiquées GG. DD. Yitruve , toujours constant dans ses principes, saisit encore ici l’occasion de faire remarquer à l’architecte , au sujet des colonnes qui sont enfoncées dans un lieu obscur, que la perspective altère souvent les plus belles proportions ; il a fait une remarque dans le même genre , dans le 2 . 6 Chap. du III. livre. Vitruve termine ce chapitre en parlant des espèces de maçonnerie que l’on emplovoit dans la construction des murs des Cella. Perrault a très-mal compris deux endroits de ce passage. Le premier est celui où Yitruve s’exprime en ces termes media coagmenta medii lapides continentes , etc. Il n’est pas difficile de juger , dit Perrault, que Yitruve a mis medii et medios , pour mediocria et médiocres et moi je ne puis comprendre comment Perrault a pu imaginer cela , tandis qu’en laissant à ce mot sa signification naturelle qui veut dire le milieu , la phrase est claire comme le jourj le milieu de la pierre supérieure doit être placée sur l’assemblage des pierres du rang de dessous, tellement que le joint montant de ces deux pierres soit immédiatement à plomb sous le milieu de la première , et le joint montant des deux pierres supérieures perpendiculairement au-dessus. Toutes les pierres doivent être ainsi posées alternativement dans toute l’étendue du parement de la muraille. C’est ainsi que Pline parle de cette maçonnerie Liv. XXXYI, Ch. 22 , et son traducteur a rendu le passage tout comme nous. Dans le 3 . Chap. du 2. e Liv. on trouve une expression semblable medii lateres supra coagmenta collocati. Pourquoi Perrault dans cet endroit n’a-t-il pas aussi traduit medii par le mot médiocres ? Le second est au sujet du mot expressio, qui est sans doute tiré du mot exprimerez deux termes qui appartiennent proprement aux liquides. Dans le q X Chap. du YIII. e Liv. on lit ces mots expri- mantur aquœ. J’ai donc cru qu ’expressiones signifioit ici ces filets de chaux qui paroissent entre les joints montants et ceux des assises , le mortier comprimé entre les pierres formant naturellement des saillies , d’autant plus que le texte dit circum coagmenta , qui sont les jointures verticales , et cubilia , les jointures horizontales. Si ces filets sont proprement tirés et bien disposés , on peut dire avec raison qu’ils rendent l’aspect de l’édifice tracé d’une manière plus agréable. Graphicoteram clelec- tationem graphicotera est tiré du mot grec ypatpstv écrire , dessiner avec des lignes ou le simple trait, autrement délinéation. On pourroit donc appliquer l’épithète clelineata , à un bâtiment dont toutes les pierres auroient offert cet arrangement. Pline qui parle de cette manière de bâtir , dans le 22. c Chap. du XXXYI. livre , nous apprend que dans un temple de Cizicum , les joints des pierres étoient couverts de listels d’or. Perrault a cru que le mot expressiones signifioit des pierres taillées eu bossages Barbaro , avant lui, avoit cru la même chose ; mais comme ces paroles du texte circum cubilia ex coagmenta eminentes expressiones, sont absolument opposées à cette interprétation, il a préféré, suivant son usage , le mutiler et le bouleverser, pour le forcer de signifier ce qu’il vouloir , que de chercher à découvrir le vrai sens ; ainsi il prétend qu’il faut lire circum coagmenta et cubilia depressa. i66 L ’ A R C H I T E CT U II E DE Y I T R TJ Y E. CHAPITRE V. Quelle position il faut donner aux temples. I l faut, autant qu’on peut, placer les temples dans des lieux où la statue du dieu qui s’y trouve , regarde le couchant, afin que ceux qui vont sacrifier , soient tournés vers l’orient et la statue qui est dans le temple ; et qu’ils puissent, en adressant leurs voeux et leurs prières , voir en même-temps le temple et la partie du ciel qui est au levant ; tellement qu’au lever du soleil, les statues paroissent avec lui et semblent regarder ceux qui les prient et leur offrent des sacrifices. En un mot, il faut toujours que les autels soient tournés vers le levant. Si néanmoins on ne peut le faire commodément, alors on leur donne une position d’où l’on puisse voir une grande partie de la ville ; ou si le temple est près d’un fleuve , comme en Egypte , où ils sont bâtis sur le bord du ISiil, il faut qu’il regarde vers la rive du fleuve. On observe la même chose , si on le bâtit près clés grands chemins , car il doit être placé de manière que les passans puisse le contempler et le saluer en face. C H A P I T R E Y I. Proportions des portes des Temples . _/V van T de faire les portes d’un temple et leurs chambranles , il faut d’abord décider de quel genre on veut les avoir car il existe trois sortes de portes , qui sont la dorique , bionique et l’atticurge. * La porte dorique a les proportions suivantes la corniche supérieure qui est au-dessus de la partie du chambranle qui traverse le haut de la porte , doit être d’alignement avec le haut des chapiteaux des colonnes qui sont au frontispice. * Planche XI„ me fig. 5, LI,VRE IV, € h A p. vi. 1G7 Pour avoir la grandeur du vide de la porte , il faut partager la hauteur du temple , depuis le pave' jusqu’au plafond , en trois parties et demie ; on donne deux de ces parties à la hauteur de l’ouverture de la porte ; on divise ensuite cette hauteur en douze parties pour en donner cinq et demie à la largeur du bas de l’ouverture ; elle doit se rétrécir par en haut, et voilà la règle qu’on doit suivre à cet égard. Quand l’ouverture, depuis le bas jusqu’au haut, a moins de seize pieds, on doit rétrécir de la troisième partie de la largeur du chambranle ; de la quatrième, quand elle est de seize à vingt-cinq; de la huitième, quand elle est de vingt-cinq à trente; et ainsi plus elle sera grande , plus les jambages doivent approcher de la ligne à plomb. La largeur de là face du chambranle doit avoir la douzième partie de la hauteur de l’ouverture de la porte; on doit étrécie ce chambranle , par le haut!, de la quatorzième partie de sa largeur. Le chambranle qui traverse sera de la même largeur que le haut des jambages il faut faire la cymaise de la sixième partie du chambranle , et sa saillie doit être égale à sa hauteur. Cette cymaise doit être lesbienne avec un astragale. Sur la cymaise, qui est à la partie du chambranle qui traverse, il faut placer I hyperlhyron qui doit avoir la même largeur que le chambranle qui traverse ; et à cet hyper- thyron, il faut faire une cymaise dorique avec un astragale lesbien, qui aient l’un et l’autre peu de saillie ; enfin il faut poser la corniche plate avec sa cymaise , qui aura autant de saillie que le chambranle d’en haut a de largeur ; celui-ci doit avancer ses extrémités à droite et à gauche , autant que les pieds du chambranle ; et les cymaises doivent se joindre exactement. Quand on veut faire des portes ioniques, on observe, pour la hauteur du vide, les mêmes proportions que pour les portes doriques ; mais pour en avoir la largeur il faut diviser la hauteur en deux parties et demie, et en donner une et demie à la largeur d’en bas ; le rétrécissement du haut doit se faire comme aux portes doriques la largeur du chambranle sera de la quatorzième partie de la hauteur de l’ouverture de la porte ; la cymaise du chambranle sera de la sixième partie de sa largeur; le reste de cette largeur étant divisé en douze parties, 011 en donnera trois à la première face y comprenant son astragale ; quatre à la seconde, et cinq à la troisième ces faces, avec leur astragale, régneront aux trois côtés du chambranle. L’hyper- tbyron aura les mêmes proportions que celui de la porte dorique. Les consoles appelées protyrides 1 seront taillées à droite et à gauche, et descendront jusqu’au bas de la partie du chambranle qui traverse, sans comprendre le feuillage quelles ont au bas. Leur largeur, par le haut, doit avoir la troisième partie de celle du cham- I tanche XIl. ffie fig. 6. 1 C’est-à-dire., les devants de la porte. K/W *68 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. branle , et par le bas , il faut qu elles soient plus étroites d une quatrième partie que par le haut. * Voici présentement pour la menuiserie des portes. Il faut que les montans [ 6 ] où sont les gonds, soient forges de la douzième partie de la largeur de tout le vide de la porte ; que les panneaux [8], qui sont entre les montans, aient chacun trois de ces douze parties. On espace les travers de manière que, divisant toute la hauteur en cinq parties égales , deux de ces parties seront au-dessus , et trois par-dessous le travers du milieu [ 9 ]. Il y aura d’autres travers tant dans la partie d’en haut que dans celle d’en bas [99]. Le travers du milieu doit être aussi large que le tiers des panneaux [8] ; et sa cymaise, que la sixième partie de sa largeur. La largeur de chaque montant du milieu ne doit pas surpasser la moitié 1 de celle des travers. Les feuillures des panneaux [7] auront de large la moitié de la largeur de ces panneaux, et une sixième partie en sus enfin les montans qui font le second assemblage 2} contre les chambranles, auront la moitié du traversant. Quand la porte n’a qu’un battant, on ne change rien à sa hauteur , . mais ou ajoute à sa largeur celle de l’autre battant si c’est au contraire une porte brisée, qui ait quatre parties, c’est la hauteur qui devient plus grande à proportion de la largeur de ces parties. ** Les portes atiiques se font de la même manière que les doriques; la seule différence consiste dans des plates-bandes qu’on fait aux chambranles sous les cymaises ; voici leur mesure. Hors la cymaise 3, on divise le. reste du chambranle en sept parties ; on en donne deux à la plate-bande. Ces portes ne sont point non plus ornées de marqueteries; elles ne sont point aussi à deux battans, n’en ayant qu’un qui s’ouvre en dehors. * Planche XI. mo fig. 5. Planche Xlt. 1 ” 6 fig. 6 , et Planche XIIÏ. fig. 6. i Nous avons vu que les montans où sont les gonds, acapi cardinales , doivent occuper la douzième partie de la largeur du vide de la porte. Nous avons encore vu que le travers du milieu devoit être aussi large que ces montans, puisque la largeur de ce travers est' égale au tiers de celle des panneaux qui contient trois de ces douzièmes. Vitruve assigne ici à chaque montant du milieu une largeur ' égale à celle de la moitié du travers qui a la même largeur que les montans où sont les gonds. D’où il résulte que les battans étant fermés, ces deux mon- % tans joints ensemble paroîtront de la même largeur qu’un des montans où sont les gonds. 2 Les portes des temples étoient formées d’un double assemblage , comme je le ferai voir ; voilà pourquoi il y avoit ces autres montans , dont il indique la largeur , qui formoient avec l’épaisseur des autres morx- tans celle de toute la porte. ** Planche e fig. 6. 3 Quoiqu’il ne le dise pas , il est clair que cette cymaise doit occuper la sixième partie de la largeur du chambranle. Après LIVRE IV, Chap/vi. t% Après avoir expliqué les manières de bâtir les temples , selon 1 ordre dorique , ionique et corinthien , suivant les règles que j’ai trouvées les plus certaines, je vais traiter de ce qui appartient au toscan , et comme il le faut ordonner. REMARQUES . Les anciens employoient trois sortes de portes pour les temples. Les deux premières , la porte dorique et la porte ionique correspondoient aux deux ordres de colonnes grecques du même nom. On a dit que la porte attique correspondoit avec l’ordre corinthien , ce qui n’est pas absolument exact. L’ordre corinthien ne. forme proprement pas un ordre particulier, puisqu’il ne diffère de l’ordre ionique que par le chapiteau, comme nous l’avons vu dans le i. er Chap. de ce livre. On lui a donné le nom de chapiteau corinthien , parce qu’il a été inventé à Corinthe , comme on a nommé base attique celle qui a été inventée à Athènes. On aura de même nommé cette porte, porte attique parce qu’elle a été inventée dans celte ville. Il n’existoit donc que deux ordres de colonnes , et ils avoient chacun leur porte ; c’étoit le dorique et l’ionique mais l’on employoit quelquefois l’ordre ionique ave c le chapiteau corinthien , et d’autres fois avec le chapiteau ionique ; quelquefois avec la base attique et d’autres fois avec la base ionique. ”11 en étoit de même pour la porte ; on plaçoit quelquefois dans cet ordre la porte attique et d’autres fois la porte ionique. De la porte Dorique. Les portes doriques, un peu plus étroites par le haut que par le bas , telles que les décrit Vitruve , sont aussi anciennes que l’ordre même. La fermeture des portes dans quelques temples des plus anciens temps, tels que ceux de Girgenti en Sicile , et de Pesium dans le royaume de Naples , a été enlevée j mais on ne peut douter qu’elles n’étoient de ce genre , puisque dans un autre petit temple de Girgenti , auquel les habitans ont donné le nom de chapelle de Phalaris , et qui est d’une antiquité aussi haute que les premiers, la porte a cette espèce de fermeture. Je crois même que cette espèce de porte est plus ancienne que l’ordre dorique des plus anciens temps, puisqu’elle étoit en usage chez les Egyptiens , comme on peut s’en convaincre par la porte qu’on voit sur la table Isiaque et sur plusieurs pierres égyptiennes gravées. Pococlce , à cause de leur forme , les appelle portes pyramidales 1. La solidité étoit le motif qui leur faisoit donner cette forme ; car le poids et le fardeau de l’édifice ne portent pas seulement sur l’architrave de la porte , mais encore sur les deux montans des côtés placés de biais. Quoique cette espèce de* porte paroisse avoir été , pendant très long-temps, particulière aux temples doriques , comme on le diroit en voyant la porte du temple de Cori , faite de celte manière j quoique ce temple ne soit pas fort ancien , on les a aussi employées par la suite aux temples corinthiens , tel est celui de Tivoli. Dans des temps plus modernes , on a employé ces portes à des ouvrages de fortification et aux châteaux dont les murs vont en talus. Ce rétrécissement toutefois n est pas bien considérable ; il ne doit pas passer le tiers de la largeur du chambranle , et n’a 0 Descript. of ihe Tast. t. i, p. 107. 22 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. 170 jamais été égal aux deux tiers de cette largeur, comme Perrault l’a représenté dans toutes les portes de ses planches , soit parce qu’il a mal compris le texte , soit parce qu’il l’a mal expliqué à soa dessinateur. Il les a rétrécis d’un tiers de chaque côté , ce qui fait que toutes les portes doriques de ces planches , ont , on ne peut pas plus mauvaise grâce. Dans bien d’autres points elles n e sont pas non plus tracées conformément au texte. J’ai choisi pour les miennes, les dessins de Galiani qui a suivi exactement le texte et les y a rendus très- conformes. La hauteur de l’ouverture de la porte dorique se prenoit en partageant en trois parties et demie, l’espace qui se trouve entre le pavé et le plafond du portique. On donnoit deux de ces parties à la hauteur de l’ouverture de la porte , c’est-à-dire qu’elle avoil quatre septièmes de toute la hauteur jusqu’au plafond. Le plafond de l’intérieur du portique étoit de niveau avec celui formé par la saillie du larmier, au-dessus des métopes et des triglyphes , dont on a parle dans le 3. me Chap. de ce livre. Vitruve lui donne le même nom qu’au premier , il l’appelle lacunaria. Ce plafond n’etoit pas toujours plat j il formoit quelquefois une voûte qui s’élevoit au-dessus du niveau des plafonds du larmier. Comme on prenoit alors cette hauteur qui règle toutes les proportions de la porte depuis le pavé jusqu’au faîte de la voûte , les proportions des portes doriques varioient entre deux temples d’une même grandeur , quand le plafond du vestibule de l’une étoit plat , et l’autre en voûte ; telle est la porte du Panthéon à Rome aujourd’hui la Rotonde ; elle a été construite suivant les règles rapportées dans ce chapitre ; elle nous en offre toutes les proportions réglées par la hauteur prise depuis le pavé jusqu’au dessous du faîte de la voûte du vestibule. La hauteur de l’ouverture de la porte dorique n’occupoit que quatre septièmes de la hauteur jusqu’au plafond ; il restoit trois septièmes dont les deux tiers à-peu-près étoient occupés par le dessus du chambranle., par l’hyperthyron , la cymaise plate et la cymaise supérieure $ ces parties formoient ensemble ce que nous appelons un dessus de porte 5 celle qui étoit la plus élevée , que Vitruve nomme la corniche supérieure , corona summa , devoit être de niveau avec les chapiteaux des colonnes du frontispice. La distance de cette corniche avec le chambranle du haut de la porte paroit exorbitante. On ne peut cependant placer celte corniche autrement que d’alignement avec les chapiteaux premièrement , parce que le texte dit clairement ici œque librata sit capitula summis ; secondement , parce que la hauteur de l’hyperthyron de la corniche supérieure et des autres moulures sont indiquées par Vitruve , à l’exception d’une seule qu’il nomme corona plana, corniche pleine ou unie. Cette corniche doit donc occuper elle seule l’espace qui n’est pas occupé par les autres dans la hauteur qui est au-dessus de la porte , ainsi elle offre une grande superficie plate à laquelle la nouvelle épithète de plana que Vitruve emploie celle seule fois en parlant de cymaise , convient à merveille , comme on peut le voir dans la fig. 5 de la XI. me planche. Vitruve veut que la saillie de toutes les moulures soit égale à leur hauteur j mais il dit ici que celle de la cymaise plate doit être égale à la hauteur du chambranle du haut de la porte. 11 donne celte autre dimension a la saillie de celle corniche , parce qu’il seroit impossible de la faire égale à sa hauteur qui est trop considérable. Si l’on veut savoir pourquoi cette cymaise est si grande, et pourquoi tout ce dessus de port occupe un si grand espace dans la hauteur de l’édifice , il faut se reporter au temps de la plus ancienne architecture , lorsque la colonne dorique n’aYoit pas cinq diamètres de haut , comme celles des LIVRE IV, Cii a p. vi. i 7 i temples de Pestum. La hauteur de l'ouverture de la porte occupoit prohahiement alors , comme du temps de Vitruve , quatre septièmes de la hauteur du temple , prise depuis le pavé jusqu’au plafond 5 mais dans ces temples-là , l’architrave et la frise , c’est-à-dire la partie de l’entablement depuis les chapiteaux des colonnes jusqu’au plafond ' lacunaria occupoit deux septièmes de cette hauteur , tellement que tout le dessus de porte n’en occupoit alors qu’un septième. On a donné par la suite sept diamètres et demi de hauteur à la colonne dorique , et on n’a rien ajouté à la hauteur de l’architrave ni de la frise,, de sorte que ces deux parties n’ont ensemble qu’environ un diamètre et demi de haut , comme elles avoient dans les plus anciens temps. Avec cette différence qu’anciennement , la hauteur de la frise et de l’architrave occupoit deux septièmes de la hauteur depuis le pavé jusqu’au plafond , et qu’à présent ces parties n’en occupent plus qu’un et peu de chose en sus , d’où il résulte qu’il reste un espace bien plus considérable depuis le haut de la porte jusqu’à la cymaise supérieure , qui doit être de niveau avec les chapiteaux des colonnes ; et au lieu d’occuper un septième de la hauteur depuis le pavé jusqu’au plafond, cet èspsrce en occupe présentement près de deux. La corniche pleine , corona plana > devant occuper tout l’espace qui se trouve depuis la. cymaise de l’hyperthyron jusqu’à la corniche Supérieure qui est restée de niveau avec le haut des chapiteaux des colonnes, s’est trouvée par-là considérablement augmentée. Le dessus de la porte du petit temple de Girgenti qui est de la plus haute antiquité , offre toutes les proportions que je viens de décrire 3 la cymaise supérieure y est d’alignement avec les chapiteaux, mais la cymaise plate n’y est guère aussi forte que dans les portes doriques décrites par Vitruve. Le chambranle devoit aussi s’étrécir par le haut ; mais seulement de la quatorzième partie de sa largeur ; il étoit bordé d’une cymaise que Vitruve nomme lesbyenne et d’un astragale. Les interprètes ne s’accordent pas pour déterminer ce que c’étoit que cette cymaise lesbyenne. Vitruve, dans ce chapitre , nomme deux sortes de cymaise , la cymaise dorique et la cymaise lesbyenne. Baldi a cru qu’elles correspondoient aux deux moulures , nommées doucine droite et doucine renversée j mais il ne spécifie pas laquelle est la lesbyenne. Si je ne me trompe, Vitruve la détermine ici car autour du chambranle des portes , il ne peut y avoir que des doucines renversées et jamais de droite il est clair, d’après cela, que cymatium lesbium signifie une doucine renversée , et cymatium doricum une doucine droite. Philander a cru que la doucine dorique acquéroit le nom de lesbyenne, lorsqu’on y avoit taillé quelqu’ornement en sculpture. Celte cymaise ou doucine doit avoir , suivant le texte , la sixième partie de la largeur du chambranle. Perrault trouve cette largeur insuffisante et prétend qu’au lieu de VI qui se trouve dans l’original, il devroit y avoir III. Cette critique est très-inconséquente de sa part , puisque dans ce même chapitre en parlant de la cymaise du chambranle de la porte ionique , il convient avec Vitruve que la cymaise ne doit avoir que la sixième partie de sa largeur. Si la sixième partie convient a l’une , je ne vois pas pourquoi elle seroit insuffisante pour l’autre , vu l’analogie de leurs proportions. Comme Galiani , j’ai fait aux coins du chambranle de la porte dorique des retours en crosseites ou orillons. On en voit à beaucoup de chambranles dans les anciens édifices, entr’autres à ceux des feneires du dedans du temple de la Sibylle à Tivoli. Cependant je crois que la période de ce chapitre qui termine l’article de la porte dorique, a rapport à la grande cymaise plate dont il étoit 22 . \ 172 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. question alors, et non au chambranle , comment l’annoncent ces paroles du texte dextera ac sinistra projeclurœ , sic sunt faciendæ , uti crepidines excurranl et in ungue ipsa cymatia conjungantur. Le mot crepidines signifie le bord inférieur d’une chose , c’est le sens naturel qu’on donne à ce mot. Tous les grammairiens et les .interprètes en conviennent. Je ne sais pourquoi Baldi , le père d’Aquino , et Pbilander ont cru qu’il signifioit ici toute autre chose , c’est-à-dire le chambranle même , ou bien la cymaise qui règne tout autour , au point q ue le père d’Aquino conclut en ces termes imo ut castigatius loquar ipsœ eminentiœ , sive pro- jecturœ quarumcumque partium , crepidines vocantur. Aggetti , sporti. Je crois inutile de réfuter cette opinion. J’ai suivi l’interprétation de Galiani , qui entend par ce passage , qu’il faut que l’architrave du chambranle fasse à droite et à gauche les petites saillies indiquées 5 dans la 5“' fig. de la XI. me planche , d’autant plus que ces saillies se trouvent très-souvent aux portes des plus anciens édifices. Ces saillies doivent avancer autant que les pieds des chambranles. Excurrant extra crepidines. On a vu que les chambranles latéraux ne sont pas posés d’aplomb , mais un peu inclinés vers le centre de la porte d’abord à cause que l’ouverture de la porte est rétrécie par le haut ; ensuite parce que les chambranles eux-mêmes doivent s’amincir à mesure qu’ils s’élèvent ; tellement que la longueur de l’architrave y compris ces accroissemens , projecturœ fait à droite et à gauche , doit égaler celle de la partie inférieure de la porte , depuis l’extrémité latérale d’un des chambranles jusqu’à l’autre. La cymaise des chambranles à cause de ces saillies latérales de l’architrave , devoit former plusieurs contours , en suivant leur bord extérieur. On ne pouvoit donc les joindre dans les angles, de la manière ordinaire ; Vitruve pour indiquer la nouvelle espèce de jointure dont on doit se servir pour les unir ensemble , emploie les mots ad unguern ; c’est pourquoi je ne crois pas qu’il les emploie ici comme une expression générale qui signifie exactitude } perfection comme on le fait ordinairement ; mais je crois qu’ils ont ici un sens particulier qui signifie l’encastrement qui se fait dans les angles par entaille ou feuillure. * De la porte Ionique. La porte ionique étoit plus large à proportion de sa hauteur que la porte dorique. La largeur de la porte dorique contient cinq douzièmes et demi de sa hauteur 5 tandis que la largeur de la porte ionique en contient sept et demi, c’est-a-dire un et demi de large , sur deux et demi de haut, pour parler comme Vitruve. Nous 11e voyons pas que l’architrave , autrement dite la partie supérieure du chambranle de h porte ionique , devoit avancer ses extrémités à droite et à gauche , et former des saillies , projecturœ dextera ac siriistra. Cette espèce d’ornement ne se trouvoit pas à celte porte. Les consoles IL fig. 6. rae , planche XTI. étoient un équivalent qui les remplaçoit ; elles sont également placées a droite et a gauche de 1 architrave, dextera ac sinistra prœpendeant. Celle réflexion prouve beau- ✓ LIVRE IV, C h a p. vi. i 7 3 / coup en faveur de la manière dont nous avons interprété le passage où Vitruve parle de ces saillies formées par les extrémités de l’architrave à la porte dorique. Il seroit trop long d’entrer dans tous les détails qui concernent la menuiserie des portes anciennes , et de rapporter les diverses opinions des interprètes ils sont loin d’être d’accord à cet égard. Les ' personnes qui ne seront pas contentes de la manière dont nous avons traité ce sujet , pourront la confronter avec celle des autres , et choisir parmi toutes les interprétations , celle qui leur plaira davantage. On peut cependant être assuré que mon seul but a été de ch e/cher le vrai sens de l’auteur. Dans les figures de Perrault et des autres interprètes, on ne retrouve ni les parties ni les mesures qui sont indiquées dans l’ouvrage de Vitruve $ on les retrouvera toutes dans les miennes ; et l’on verra combien ma traduction est exacte, si on se donne la peine de la confronter avec le texte, et d’en suivre les détails sur les figures. Pour faciliter cette recherche, j’ai placé dans la traduction les renvois qui correspondent à chaque partie. ’ Mon interprétation diffère principalement des autres , en ce qu’au lieu du mot altitudine , j’ai substitué celui de latitudine , dans le passage où l’auteur dit , que les montans où sont les gonds, doivent être aussi larges que la douzième partie de toute la largeur du vuide de la porte , 1 tellement que c’est sur la largeur et non sur la hauteur que je règle les proportions de toute la menuiserie des portes. J’ai supposé qu’il y avoit infailliblement en cet endroit du texte une faute qui venoit de la simple transposition d’une lettre , ce que j’ai corrigé en effet si les proportions de ces portes se régloient d’après leur hauteur, elles auraient la plus mauvaise grâce il ne seroit pas même possible de les exécuter de celte manière. Voyez les dessins des portes qui sont réglées sur la hauteur dans l’édition de Perrault, malgré les nombreuses corrections qu’il a faites à la partie du texte qui en traite, où il suppose des fautes à l’infini. Les proportions de ces portes n’ont aucune grâce et elles ne ressemblent en rien aux portes antiques. Au contraire celles que j’ai fait graver dans les XI. e , Xll. e et XIII. e planches , offrent les proportions les plus belles ; et si on les confronte avec le texte , on les y trouvera très-conformes. Je n’y ai néanmoins fait d’autre changement que celui de substituer le mot latitudine , à celui à’altitudine. Elles sont dans le vrai *mût . o antique , comme on peut s’en convaincre en les comparant avec les portes de bronze du Panthéon, aujourd’hui la Rotonde. x Les portes des Grecs , dit M. r de Winkelmau , a ne s’ouvroienl pas , comme les nôtres , en dedans , mais en dehors voilà pourquoi les personnages des comédies de Plaute et de Térence 3 qui veulent sortir des maisons, donnent en dedans un signe à la porte ; comme un grand critique 4 nous l’a déjà fait observer car il faut se ressouvenir que les comédies de ces auteurs romains sont, pour la plus grande partie, imitées ou traduites du grec. La cause de ce signe qu’on donnoit en dedans des maisons , avant d’en sortir , étoit pour avertir ceux , qui , dans la rue , passoient le long des maisons, qu’ils eussent à éviter d’être heurtés par la porte qu’on voulait ouvrir. Dans les premiers 1 S en pi cardinales sint ex lalitudine îuminis totius duodecima parte. 4 > 7 ; v. 20. Bauh. 2 , 2 ; v. 56 , etc. 2 Remarques sur l’areh. des anc. p. 56 . iv T ... . . T - t ri n n. ... ». 1 4 Muret, var. iect. Liv. I. Chap. 17. Cons. lurneb. Anvers.’ 3 Ampbitr. 1, 2. v. 3 , 4. Art 4, 5 ; Cas. 2 , 1 ; v. i 5 . Cure. IV , Chap. i 5 . * L'ARCHITECTURE DE VI T R U V E. j 74 temps de la république , M. Valerius , frère de Publicola , obtint, comme une marque singulière d’honneur , la permission d’ouvrir sa porte en dehors , comme celles des Grecs ; et l’on assure i que c’étoit la seuls porte a Rome qui fût faite de cette manière. On voit cependant sur quelques prnes funéraires de marbre qui sont dans la Villa Mattéi 2 et dans la Villa Ludovisi, que la porte qui y marque l’entrée des Champs-Elysées, s’ouvre en dehors- et dans le Virgile du Vatican, la porte d’un temple y est faite comme celle de la boutique des marchands ou des artisans. D’ailleurs, des portes qui s’ouvrent ainsi en dehors, ne peuvent pas être forcées ni enfoncées aussi facilement que jes autres ; et comme elles ne prennent point de place dans les maisons, elles y gênent moins que pelles qui s’ouvrent en dedans. On trouve néanmoins des exemples de portes qui s’ouvrent en dedans; il y en a une pareille représentée sur un des plus beaux bas-reliefs de l’antiquité qui est dans la Villa Negroni. Ceux qui cherchent à épiloguer, prétendent et soutiennent que les portes de bronze de la Rotonde, p’ont pas été faites pour ce temple, mais qu’on les a enlevées d’ailleurs ; et c’est ce que Keyssler p’est laissé persuader aussi , sans dire pourquoi il v a une grille au-dessus de cette porte. Suivant eux, celle grille devroit aller jusqu’aux poutres d’en haut. .Les personnes qui ont, sous la main, les peintures d’Herculanum , verront sur le tableau* de la mort de Didon 5 une pareille porte , au haut de laquelle une pareille grille est attachée. Elle y sert pour donner du jour à l’intérieur de l’edifice, Ap maisons des particuliers, il y avoit , au-dessus de la porte , une plate-forme en saillie que les Italiens appellent ringhiera, et à laquelle les François ont donné le nom de balcon. Cette partie du bâtiment est appelée en grec çyôœtcv 4. Dans quelques temples il y avoit, pendu devant la porte, un épais rideau, lequel, dans le temple de Diane , à .Éphèse , se levoit du bas en haut. 5 Mais dans le temple de Jupiter à Elis , on le faisoit descendre du haut en bas. Pendant l’été , les portes des maisons éloient fermées avec du crêpe. 6 Nous remarquerons encore ici que les portes des anciens ne rouloient point sur des gonds ; mais qu’elles se mouvoient par le bas dans le seuil , et par le haut dans le linteau , sur ce que nous pommons un pivot de porte , ou crapaudine. Le montant de la porte mobile , placé le plus près du mur } portoit, à ses deux extrémités , une emboxture de bronze , qui y étoit encastre'e , et à laquelle étoit appliquée en dedans une pointe saillante pour l’arrêter et la fixer sur le bois. Cette emboîture étoit ordinairement formée en cylindre; mais on en trouve aussi de carrées, d’où, naissent, gur chaque côté des bandes de fer allongées, qui s’avancent et qui fortifient, dans toute leur longueur, les planches dont les portes éloient construites ; sur quoi je remarquerai que ces portes extrêmement épaisses étoient intérieurement creuses. Je crois que ce sont les doubles monlans de ces portes que Vilruve indique par ces mots ; scapi^qui surit ante secundum pagmentum , etc. I/enjboîture étoit établie, tant par le haut que par le bas , sur une plaque épaisse de bronze, ayant la forme d’un coin , soudée en plomb , et elle rouloit sur cette plaque , de manière que , quand l’emboîture présenioit un mamelon, il y avoit dans la plaque un creux ou renfoncement, dans 1 Dionis. Hal. Liv. V. Plut. vit. PuLli, a Dïontfaucon , Ant. expliq. t. Y. j». 1 32. £ 3 Plante » 3 . 4 Moscop. b Pausan. Liv. V. 6 Casaubon , in Yopisç, LIVRE IV, C h a p. y i. lequel ce mamelon rouloit, comme on le voit à la porte du Panthéon; et lorsque ce renfoncement se trouvoit dans l’emboîture , alors la plaque portoit le mamelon saillant qui s’ajustoit exactement dans l’ouverture de l’emboîture. Cette emboîlure avec la plaque se nommoit eardo. On en trouvé quelques-unes dans le cabinet du roi de Naples, à Porlici, dont le diamètre est d’un palme; ce qui fait juger de la grandeur que dévoient avoir les portes ; leur poids est de vingt , trente , jusqu’à quarante livres. Cette notice peut éclaircir plusieurs passages des anciens auteurs qu’on avoit peine à entendre , parce qu’on s’étoit fait une idée fausse ou obscure de celte partie des portes. Lorsque les portes des anciens étoient à deux battants {bivalvæ , alors chaque battant en particulier étoit ajusté comme je viens de le dire , sur des pivots , ainsi qu’on le voit au Panthéon à Rome ; mais lorsque les deux baltans pliés en deux formoient ce que nous nommons une porte brisée , qui né tourne que sur un des côtés , ils étoient ’liés ensemble , par le moyen de gonds de bronze , avec' pentures , dont les charnières étoient placées dans l’épaisseur du bois ; et quoiqu’apparents , on né' pouvoit voir les deux mamelons de ces gonds ; ils étoient couverts des deux côtés par les battâns de la porte. Ces observations sont prouvées clairement par un gond de cette espèce sur les deux côtés duquel on voit encore du bois que le temps a pétrifié. yitruve parle, dans ce chapitre, de ces diverses manières de partager les portes en un ou plusieurs battans. Les interprètes ont rendu différemment ce passage. Barbaro, par exemple , prétend que valvakt signifie une porte brisée, dont la moitié se replie sur l’autre , tandis que Ailruve dit absolument le contraire à la fin de ce chapitre, en parlant des portes attiques ; ces portes , dit-il, ne sont pas h deux baltans , elles n’en ont qu’un. Ipsaque forium ornamerita non fiunt bifora , sed valvata ; et ce qu’il dit , en parlant des portes qu’il appelle valvatœ , ne convient qu’aux portes qui n’ont qu’uri battant puisqu’il dit , qu’il ne faut rien changer à la hauteur de leurs montans , de leurs châssis' et de leurs panneaux etc. , qui est la même que dans les portes à deux battans ; altitudines itd manebunt. Mais ce battant occupant lui seul toute la largeur de l’ouverture de la porte , il fauf élargir les châssis et les panneaux , à proportion , et agrandir les travers parce qu’ils occupent là 5 largeur d’une extrémité à l’autre ; in latitudinem adjiciatur ampliùs foris latitudo . La 6, me fig. de’ la XIII. me planche fait voir la chose plus clairement encore. Si on suit le même raisonnement , il est aisé d’expliquer ce qui concerne les portes brisées quadri foris futura est c’est-à-dire parlagée en quatre parties , dont deux battans se pliaient î’un ! sur l’autre à droite et les deux autres à gauche. Ces portes ont toujours la même hauteur ; mais- la largeur étant partagée en quatre , la hauteur devient plus grande à proportion de la largeur de chaque ballant , qui est diminuée de la moitié ; c’est dans ce sens que l’auteur s’est servi de eetlé expression altitudo adjiciatur. On ne peut , me paroît-il , lui donner d’autre interprétation il ne' s’agit ici que de la menuiserie des portes ; partant il ne peut être question d’augmenter la hauteur' de leur ouverture , comme la plupart des interprètes l’ont cru. Si c’eût été d’ailleurs l’intention dé’ l’auteur , il falloit nécessairement qu’il indiquât les changemens qu’il falloit faire aux proportions di* chambranle , chose dont il ne dit cependant pas un mot. De la porte Attique. Nous ne parlerons pas beaucoup de la porte attique qui diffère , très-peu des autres. Le i&q$ cerostrota que Yitruve emploie en parlant de la menuiserie de ces portes , a beaucoup tourment , 7 0 L'ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. les interprètes. Pline emploie le même mot , en parlant des ouvrages en marqueterie que l’on faisoit avec la corne de buffle teinte de différentes couleurs i. Barbaro prétend avoir vu un manuscrit où , au lieu de ce mot , se trouvoil clathratœ , et il traduit ainsi ce passage on ne met pas de jalousies à ces sortes de portes. Mais il avoue que celte traduction ne lui plaît pas , et ü préfère conserver le mot cerostrota , qu’il interprète aussi par un ouvrage en marqueterie , exécuté avec des cornes teintes de diverses couleurs. Baldo prétend qu’il faut lire clostrata ou claustrata qui, suivant son idée, signifierait une porte à un seul battant , comme aussi, suivant lui, bifora signifierait une porte qui en aurait deux , et valvata une qui en auroit davantage. Les opinions des autres interprètes sont toutes dans le même genre , c’est-à-dire , qu’elles n’eclaircissent en rien ce passage ; c’est pourquoi je me dispense de les rapporter j ceux qui seront curieux de les connoître peuvent avoir recours à leurs ouvrages. J’ai rendu ce mot par ouvrage en marqueterie , comme Perrault et Barbaro , et d’après l’explication que Pline donne de ce mot. Je suis loin cependant d’assurer que cette interprétation soit exacte j je m’en suis servi en attendant qu’on en trouve une meilleure. Les temples carrés n’avoient en général point de fenêtres et ne recevoient de jour que par la porte , cela pour leur donner un air plus auguste en les éclairant par des lampes. Lucien 2 dit, d’une manière expresse , que les temples n’étoient éclairés que par la porte. Quelques temples ronds, tels que le Panthéon à Rome , recevoient le jour d’en haut par une ouverture circulaire , laquelle n’y a pas été percée par les Chrétiens, comme le prétendent quelques écrivains ignorans ; car le contraire est prouvé par le rebord ou î’enchassure curieuse de métal qu’on y voit encore actuellement, et qui n’est point un ouvrage des temps barbares. Lorsque, sous le pape Urbain YIIJ , on pratiqua un grand cloaque pour l’écoulement des immondices jusqu’au Tibre , on trouva à quinze palmes au- dessous du pavé intérieur de la Rotonde , une grande ouverture circulaire pour l’écoulement des eaux qui pouvoient se rassembler dans le temple par l’ouverture du comble ; ce temple n’étoit pas le seul qui prenoit ainsi le jour 5 celui de Mercure , que j’ai vu dans les ruines de Baya, dont la voûte parfaitement conservée est absolument semblable à celle du Panthéon, reçoit aussi le jour par une ouverture circulaire qui se trouve au sommet, pareille à celle du temple de Rome ; il y avoit cependant des temples ronds qui n’avoient pas cette ouverture. 1 Plin. Liv. XI. Chap. 37. nés, dit le Parthenos , qui subsiste encore en grande partie,'ne reccvoitle domo. p. ig 3 t opp. t. 3 , eâ. Reilz. Le temple de Minerve àÀthè- jour que par les portes. M. Chateaubriant , Itinéraire de Paris , etc. VVVVVtA'VVVVl VVVVVVVVVVVVVVA'VVWW t N CHAPITRE LIVRE IV, Chàp. vu. I 77 CHAPITRE VIL Des Temples h la manière Toscane. * O N divise, en six parties égales, la longueur de l’espace dans lequel on veut bâtir un temple à la manière Toscane on donne cinq de ces parties à la largeur, ensuite on partage encore toute la longueur en deux , pour employer la partie de derrière aux Cella, et celle de devant pour y placer les colonnes. La largeur doit se diviser en dix parties, dont il faut laisser trois à droite, et trois à gauche, qui seront pour les petites chapelles , ou pour les ailes , si l'on en fait. Les quatre autres seront pour la nef du milieu. L’espace qui forme le vestibule devant les Cella, doit être partagé de manière qu’on puisse placer les colonnes des angles d directement vis-à-vis des antes qui sont au bout des murs extérieurs c les deux colonnes du milieu, e qui sont vis-à-vis des murs / qui s’élèvent entre lesdites antes et le milieu du temple, se placent de façon qu’entre les antes f et ces colonnes de devant {e , il y en ait d autres de chaque côté placées au milieu et dans la même direction g . ** La grosseur des colonnes par en bas , doit être la septième partie de leur hauteur , et cette hauteur doit être la troisième partie de la largeur du temple. La colonne doit s’étrécir par le haut, de la quatrième partie de la grosseur qu’elle a par le bas. La hauteur des bases doit être égale à la moitié de la grosseur du bas des colonnes5 elle sont composées d’un socle circulaire, dont l’épaisseur occupe la moitié de leur hauteur ; d un tore qui pose dessus avec un listel ; et l’épaisseur de ces deux parties réunies, égale celle du socle. La hauteur du chapiteau aura la moitié de la grosseur de la colonne , et on fera l’abaque aussi large que toute cette grosseur i . La hauteur du chapiteau étant divisée en trois , il faut en donner une à la plinthe qui lui sert d’abaque, l’autre à l’échine, et la troisième à la gorge, y compris l’astragale et le listel, On mettra , sur les colonnes , des pièces de bois jointes ensemble , afin que la hauteur de cet assemblage soit d’un module proportionné à la grandeur de l’ouvrage, * Planche VIII. me fig. i. *** Planche X. me fig. i et 2. ** Planche X. m e fig. 1 ]] entend la grosseur du bas de la colonne, 23 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. 178 et qu’étant ainsi jointes, elles égalent la largeur du haut des colonnes. Cet assemblage fait par le moyen de chevilles et tenons en queue d'hironde , doit laisser , entre chaque pièce de bois, un vide large de deux doigts car si elles se touchoient, le défaut d’air feroit tellement échauffer le bois qu’il se pourriroit bientôt. Sur ces pièces de bois et sur les murs de la frise se placent les mutules; leur saillie doit égaler la quatrième partie de la largeur de la colonne, et l’on doit clouer des orne- mens à leurs extrémités. Au-dessus s’élève le fronton avec le reste du frontispice ; celui-ci soutiendra le faîtage, les forces et les pannes qui formeront un toit , dont l’écoulement aura sa pente de trois côtés. Il existe aussi beaucoup de temples auxquels on donne une forme circulaire. Ceux qui n ont que des colonnes et qui n’ont pas de Cella, s’appellent monoptères, et ceux qui en ont, se nomment périptères. *** Aux premiers qui n’ont point de Cella, il faut que le tribunal et les deux côtés des degrés occupent chacun la troisième partie du diamètre du temple. La hauteur des colonnes au-dessus de leurs piédestaux doit être égale au diamètre du temple pris en dehors. Leur grosseur est la dixième partie de toute la colonne , y compris la base du chapiteau ; la hauteur de l’architrave 1 est de la moitié du diamètre de la colonne ; la frise et la partie qui est au-dessus doivent avoir les proportions prescrites dans le troisième livre. ** Si le temple est périptère, * ** * on construit d’abord deux rangs de degrés sur lesquels on élève les piédestaux. Le mur de la Cella doit s’éloigner de ces piédestaux, environ la cinquième partie de tout le temple , laissant , au milieu , un espace pour la porte. Le diamètre de la Cella , non compris l’épaisseur du mur , doit être égale à la hauteur de la colonne, non compris le piédestal. Les colonnes qui sont autour du temple ont Jes mêmes proportions que celles du monoptère. La couverture du milieu du temple doit être proportionnée de manière que la coupole ait la hauteur de la moitié du temple , non compris le fleuron. La grandeur du fleuron qui est sous la pyramide , doit être égale à celle d un des chapiteaux des colonnes ; le reste selon les proportions qui ont été prescrites. Il existe encore d’autres espèces de temples qui ont, à la vérité , les mêmes propor- * Planche VIII.™ fig. 4. ** Planche IX;™ e fig. 1. *** Planche lX. me fig. 2, V Je ne crois pas qu’il prescrive ici la hauteur d’un demi-diamètre pour toutes les colonnes, quelque soit leur hauteur cette proportion est pour celles qui n’ont que i 5 pieds de haut , d’après ce qu’il enseigne dans le 2. m chapitre du lIl\ niB livre. Pour les autres qui ont plus de i 5 pieds, on doit augmenter l’épaisseur de l’architrave à proportion de la grandeur des colonnes, comme il l’enseigne dans le chapitre cité. **** Planche IX"-. fig. 2. lions que celles que nous avons enseignées ; mais ils diffèrent $ cause de la disposition , comme on le voit au temple de Castor dans le cirque de Flaminius, à celui de Vejovis qui est entre les deux bois sacrés , et à celui de Diane chasseresse qui offre une invention bien plus ingénieuse encore , puisqu’il a des colonnes ajoutées à droite et à gauche , aux côtés du pronaos. Les premiers temples qui furent exécutés de la manière dont est bâti le temple de Castor qui est au cirque, sont celui de Minerve dans la forteresse d’Athènes i , et celui de Pallas sur la montagne de Sunium dans l’Altique. D’ailleurs leurs proportions ne diffèrent pas des proportions ordinaires du reste des temples puisque leurs Cella sont deux fois aussi longues que larges, et qu’on a exactement suivi 2 pour les côtés , les mêmes proportions qu’on a observées pour le devant. Il y en a aussi quelques-uns, où l’on a disposé les colonnes à la manière Toscane , quoiqu’ils soient d’ordre corinthien ou ionique car aux temples où les murs s’avancent des deux côtés , terminés par des antes , pour faire un vestibule , on a placé , au lieu de ces antes , deux colonnes , vis-à-vis des murs de la Cella , et on a ainsi mêlé la manière Toscane avec celle des Grecs 3. D’autres ont éloigné davantage les murs des Cella , en les plaçant dans l’cntre- colonnement des ailes ; et ajoutant l’épaisseur du mur qui a été ôté , ils ont élargi considérablement le dedans du temple ; du reste ils ont conservé les mêmes rapports et proportions. Il paroît qu’on pourroit donner à ce nouveau genre de figure qu’ils ont inventé, le nom de pseudopériptère 4. On a introduit ces cliangemens pour la 1 Les ruines de ce temple existent encore. On en voit une belle description dans l’itinéraire de Paris à Jérusalem, par M. r de Chateaubriand. 2 La signification du mot exisona , qui se trouve ici dans le texte , est ignoré des grammairiens ; il paroit formé du grec ï. vu. X 83 Sculpteur Polyclète , el que Pausanias acheva ; on lux avoil donné le nom cle Tholus , à cause de ses voûtes le troisième de ces édifices se trouvoit à Sparte , et c’étoit dans ce temple qu’étoient placées les statues de Jupiter et de Ténus.' 1 Le quatrième éloit à Elis. 2. Le cinquième à Manlinée 3 ; il s’appeloit le commun foyer E tria ; il y avoil aussi, dans d’autres endroits, des édifices qui porioient le même nom , tel que celui de Rhodes 4 , et celui de Cannus 5 dans la Carie. Enfin le sixième éloit le trésor de Mynias à Orchomène 6 ; mais quoique sur les pierres gravées, où le corps d’Hector est traîné autour des murs de Troie , on voie des temples ronds , ce n’est pas une raison pour en conclure que ces temples avoient cette forme. Sur le vaisseau d’une grandeur extraordinaire que Ptolomée Philopator, roi d’Egypte, fit construire, il y avoil un temple rond , consacré à Vénus 7 ; et l’on sait que sur les vaisseaux des anciens ^ 8 il y avoit des tours rondes avec des toits en voûtes, ou des coupoles, ainsi que des tours carrées d’une forte maçonnerie g. L’ancien architecte San Gallo , dans son livre de dessins sur vélin , qui est dans la bibliothèque du palais Barberin , parle d’un temple rond de Delphes consacré à Apollon. On ne peut pas assurer que le temple que Périclès 10 fit construire à Eleusis , ait eu une forme circulaire ; mais quand il auroil été d’une forme carrée , il n est pas moins certain qu’il éloit couronné par une coupole , et une espèce de lanterne. On voit cette lanterne et une coupole sur le tambour d’un temple carré , représenté sur le plus grand sarcophage qu’on ait conservé de l’antiquité , qui se trouve à Rome dans la Villa Moirani, près de la porte de S. Sébastien. Le tambour ou dôme n’est donc point d’une invention moderne. Les temples ronds étoient plus communs chez les Romains que chez les Grecs quelques-uns dévoient cette forme à un motif allé- gorique, tel que le temple de Testa 11, bâti par Romulusj comme celui de Manlinée semble avoir dû le sien au foyer du feu. Un temple circulaire de la Thrace } dédié au soleil , avoit pour objet le symbole du disque de cet astre. 12 ✓ Les temples ronds s’appeloient monoplères, lorsque le toit étoit posé sur les colonnes, sans avoir de muraille qui formoit l’enceinte d’une Cella dans le milieu on les nommoit périptère, lorsqu’ils avoient cette Cella. Nous avons vu que le mot nTEpùv signifioit l’aile d’un oiseau , et que, par analogie, on a aussi donné ce nom aux rangs de colonnes qui enlouroient les temples , parce que s’étendant sur les côtés , ils étoient comme les ailes de l’édifice 5 la Cella , ou intérieur du temple en étoit comme le corps ainsi le mot monoplère signifie un temple, qui a seulement les ailes sans avoir Je corps , parce qu’il lui manque celte enceinte de murs qui forme la Cella et non parce que l’on suppose que ce temple n’a qu’une seule aile ou un rang de colonnes, qui tourne tout autour ces temples s’appefient périptère, et on se servoit de la même expression , pour désigner les temples ronds, 1 Id. Liv. II. 7 Athen. Deipnos, Liv. V. ' 2 Id. Lit. V. 8 Descjdpt. des pierres grave'es du cab. de Stosch, , par Winkelman 3 ld. Liv. VIII. 9 4 Exempt. Polib. Liv. XXVIII. 10 Plutarch. vit. Pe'ricl. 5 Appian. Mithridat. 11 Festus. V. Jtolunda œdes. 5 Pausan, , Liv. IX. n Macrob. Saturn. Lib. I,* r Chap. 18. r \ I/ARCHITECTURE DE YITRUVE. comme ïes temples quadrangulaires ; ce qu’on voit dans le i. er Chap. du III. e Liv. JJept signifie autour, ainsi péripière signifie entouré d’ailes. Le temple de Testa à Rome et celui de la Sybille à Tivoli, étoient des périptères ronds. Dans un temple monoptère , la plus grande partie du plan intérieur étoit remplie par les degrés, puisqu’ils occupoient tout autour une portion de rayon égale au tiers du diamètre. Dans le centre, au-dessus de tous ces degrés , s’élevoit une petite plate-forme , que Vilruve appelle le tribunal ; il occupoit le tiers du diamètre du plan du temple , tandis que les degrés de chaque côté occupoient les deux autres tiers. La fi gure du temple fait clairement voir que le tribunal ne pouvoit être autre chose que cette plate-forme , et l’expression de sur diamètre dont Yitruve se sert ensuite , a persuadé à M. de Galiani , que l’escalier étoit compris dans le diamètre même du temple , c’est-à-dire en-dedans des colonnes, comme on le voit dans la i. re fig. de la IX. me plane., et non-en dehors, comme on ? le voit dans la figure que Perrault en a donnée. J’ai dit dans ma traduction que la hauteur des colonnes , non compris celle des stylobates , devoit être égalé à la grandeur du diamètre du temple pris en dehors d’après la signification des mots ab extremis. Perrault rend tout autrement ce passage ; il prend , en dedans des colonnes , ce diamètre , qui sert de mesure à leur hauteur ; et dans celle hauteur il comprend aussi celle des j piédestaux. Si c’eût été cependant là l’intention de l’auteur, il n’auroit pas dit insuper stylobatis, J puais cum stylobatis. Ce qu’il dit ensuite prouve encore davantage que nous avons bien saisi son f intention. Le diamètre de la colonne doit être , dit-il, la dixième partie de sa hauteur, y compris sa base et son chapiteau , altitudinis suce cum capitulis et spiris decimce partis sans parler du ’ piédestal qu’il n’entend donc pas comprendre dans la hauteur qu’il assigne à la colonne. Perrault trouve encore que dix diamètres seroient trop pour la hauteur des colonnes , et qu’au lieu de decimce , il devroit y avoir nonce , parce que dans les proportions assignées dans le i. er Chap, de ce livre , à la colonne corinthienne , on lui donne neuf diamètres de haut il suppose que dans les premiers manuscrits, le nombre étoit marqué en chiffres romains IX, et que l’I , qui étoit devant X, auroit été elfacé. JNe seroit-il pas bien étrange, dit-il, que les colonnes des monoptères fussent moins massives que celles des autres temples qui ont des murailles qui aident les colonnes j à soutenir le toit ? celles-ci peuvent raisonnablement être plus grêles que celles des monoptères qui f portent toutes seules la coupole qui sert de couverture au temple cependant comme Galiani l’observe très-judicieusement à cet égard , il arrive trop fréquemment à Yitruve d’altérer les proportions particulières qu’il assigne à chaque ordre , afin dè suivre les proportions générales de quelque édi- \ fice , pour qu’on puisse croire que le texte soit ici altéré. Les temples ronds périptères, et les temples monoptères, avoient une couverture qui leur étoit particulière c’étoit une espèce de coupole formée par une voûte sphérique , que Yitruve nomme tholus. Celte espèce de couverture , étoit très-ancienne chez les Grecs , puisqu’il paroît que c etojt .celle du trésor de Mynias à Orchomène , bâti par Trophonius et Agamède 1. Homère parle aussi d’une espèce de bâtiment nommé tholus 2 , lorsqu’il dit que Télémaque fit sortir, hors du palais r Trophonius et Agamède e'toiept fils d’Erginus un des Argonautes. a Odysse'e, Liv. XXII. d’Ulysse LIVRE IV, Ch a p. vu. i85 d’Ulysse , les femmes qui avoient manqué au respect et à la fidélité qu'elles dévoient à Ulysse , et qu’il les enferma entre le tholus et le mur de la cour, Les scholies sur Homère qu’on attribue à Didyme d’Alexandrie , remarquent , à ce sujet , que le tholus étoit un petit bâtiment rond qui étoit dans la basse-cour, et dont le toit étoit terminé par une pyramide. On y enfermoit tous les ustensiles du ménage , tout ce qui servoit à la cuisine et au buffet. Nous avons aussi vu qu’à Athènes on ïiommoit tholus , 1 l’édifice où les Prytanes s’assembloient. C’étoit une espèce de rotonde qui fut ainsi nommée à cause de sa figure, du mot grec SoKia qui signifie une espèce de chapeau. Il ne nous reste aucun exemple d’ancien temple morioptère il en existe plusieurs , à la vérité , de périp- tère ; tels que le temple de Vesta à Rome , aujourd’hui de S. te Marie du Soleil, qui est vis-à-vis de l’église de S. te Marie in Cosmedin, celui de la Sibylle à Tivoli, et autres dans dilférens endroits mais ils sont détruits , au point qu’il ne reste plus rien de la coupole j ainsi on ne peut découvrir ce que c’est que la fleur et la pyramide dont parle Vilruve ainsi dans les deux figures de la IX. m * planche , nous les avons tracés comme nous'avons pu d’après le texte. Après avoir parlé des temples réguliers , Vilruve dit quelque chose de ceux pour lesquels on n’a pas suivi ces règles , ou dont on s’est écarté en quelque chose , soit en y ajoutant ou diminuant. Palladio , Serlio , Montano et autres, ont conservé , dans leurs dessins, les plans de plusieurs temples antiques dont les formes singulières ne ressemblent pas à celles décrites par notre auteur. i Pauaan., Lir. I.* r Cbap. 5. WVVW IWW\ WWWWWA'WVWVWW 4 ï86 L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. CHAPITRE VIII. Comment les Autels des 'Dieux doivent être placés. Les autels doivent être tourne's vers l'orient ; mais il faut les élever moins haut que les statues des dieux qui sont dans les temples, afin que , selon la qualité de chaque divinité , elles soient plus ou moins au-dessus de ceux qui leur font des prières ou des sacrifices. Ces différentes hauteurs se combinent de la manière suivante les autels de Jupiter et des autres dieux du ciel doivent être très-élevés. Au contraire ceux de Vesta , des dieux de la terre et de la mer doivent être fort bas. Ces mêmes principes règlent aussi la forme et la situation des autels qu’on place dans lintérieur des temples. J'ai expliqué dans ce livre la manière dont on devait construire les édifices sacrés dans le suivant, je traiterai de la distribution des édifices publics. REMARQUES. On sait que les autels des anciens varioient dans leur hauteur ; ceux des divinités célestes étoient les plus élevés j on les appeloit spécialement altaria 1. Ceux des divinités terrestres étoient très- bas et s’appeloient arœ ; et Ton creusoit des fosses pour sacrifier aux dieux infernaux 2. i Yirgil. Eclog. 65. etibid. Serrius. 2 Ovid. Métam. Liy. VII, v. a43. L’ARCHITECTURE D E V I T R U y E. LIVRE CINQUIÈME. INTRODUCTION. Les ouvrages un peu considérables , s’ils sont bien écrits et s’ils contiennent de bons principes , attirent presque toujours une grande réputation à leur auteur. J’au- rois peut-être pu prétendre à cette gloire ! Les connoissances que j’ai acquises par mes longues études , me fournissoient assez de matières pour augmenter ce traité la chose n'est cependant pas aussi aisée pour moi qu’on pourroit le croire ; car , faire un traité d’architecture, écrire une histoire et composer un poëme , sont des choses bien différentes. L’histoire intéresse par elle-même ; elle amuse le lecteur , puisqu’elle l’entretient toujours dans l’attente de nouveaux événemens. Dans un poème la mesure et la cadence des vers , les ornemens d’un langage particulier à la poésie, les entretiens des différentes personnes que bon y introduit , remplissent l’esprit dune douce sensation dont on ne se lasse pas , quelque long que soit l’ouvrage. Il n’en est r de même d’un traité d’architecture ; les termes dont on est obligé de se servir , sont, pour la plupart, si peu connus , et si éloignés de l’usage ordinaire, qu’il est impossible de donner à son style toute la clarté qu’on __1 • • 1 • . T 1 r , ' • V C I aesireroit cie sorte longs que celui qui voudroit expliquer des préceptes , déjà fort vagues , par raisonnemens , hérissés de termes tirés d’une langue étrangère , ne produir de oit souvent que de la confusion dans l’esprit des lecteurs , qui demandent dans ces sortes de matières peu de mots et beaucoup de clarté. 24. i88 Introduction. Lors donc que je devrai me servir de termes peu connus pour expliquer les mesures des édifices , je serai le plus bref qu’il me sera possible , pour ne point trop gêner l’esprit de ceux qui étudient cette science , ' et pour qu’ils les retiennent plus aisément. Je sens d’ailleurs , combien les affaires publiques et particulières occupent tout le monde en cette ville ; ce qui me persuade plus encore , que le style concis est le seul qui convienne à mon ouvrage , si je veux qu’on le lise et qu’on puisse en saisir les idées , dans les intervalles de loisir. G est pour la même raison que Pythagore et ses partisans se servirent des quantités cubiques pour enseigner leurs principes. Ils réduisirent les vers qui contiennent toute leur doctrine à deux cents seize , qui est un nombre cubique , et chaque sentence étoit contenue dans trois vers. Le cube est un corps composé de six faces , qui font un carré par leur égale largeur ; lorsque le cube est jeté , si on n’y touche plus , il demeure immobile sur le côté qu’il s’est arrêté , comme font les dés jetés par des joueurs. Il paroit qu ils ont saisi cette similitude qui se trouve entre ce nombre de vers et la figure cubique; celui-ci s’arrêtant toujours sur un côté , et ceux-ci offrant continuellement des repos qui impriment chaque pensée dans la mémoire. Les poètes comiques Grecs , pour procurer aux acteurs quelques repos après de longs récits , partageoient aussi leurs pièces de théâtre , en plusieurs parties , en introduisant des choeurs qui prôduisoient le même effet que la figure cubique. Puisque les anciens ont suivi cette méthode pour se conformer à l’ordre établi dans la nature , et voyant que je devois écrire sur une matière obscure et inconnue à la plus grande partie des lecteurs, j’ai jugé , que, pour être intelligible , je devois abréger mes écrits , séparer mes matières , et réunir dans le même livre toutes celles qui sont d'un même genre , afin que l’on n’ait pas la peine de les aller chercher en plusieurs endroits. ; Dans les troisième et quatrième livres , j’ai traité , ô César, de la construction des temples je vais expliquer dans celui-ci , quelle doit être la disposition des édifices publics , et en premier lieu , de quelle manière on doit construire le forum , parce que c’est le lieu où les magistrats règlent lqs affaires publiques et celles des particuliers. REMARQUES . Dans le i.* r chapitre du livre 3 nous avons vu que les Platoniciens regardoient le nombre dix comme un nombre parfait ; mais que les mathématiciens , et avec eux les Pythagoriciens, regardoient le nombre six comme le plus parfait, et par-conséquent le nombre 216; parce que 6, multiplié par lui-même fait le nombre carré 56 , qui, multiplié par son côté 6 , fait le nombre cubique 216. C’est pourquoi les Pythagoriciens avoient réduit à 216 les vers qui contenoient toute leur doctrine- LIVRE V C h a p. i. 189 CHAPITRE PREMIER. Du Forum 1. * T à E Forum, chez les Grecs, est carré; tout autour régnent des doubles et amples portiques , dont les colonnes sont très-serrées les unes contre les autres ; elles soutiennent des architraves de pierre ou de marbre avec des galeries en haut. Il n’en est pas de même dans les villes d’Italie , parce que l’ancien usage est de faire voir, au peuple dans ces places les combats des gladiateurs. Pour de semblables spectacles, il faut que les entre-colonnemens qui sont tout autour, soient beaucoup plus larges ensuite que , sous les portiques , on puisse placer les bureaux des banquiers , et que les galeries au-dessus aient l’espace nécessaire pour faire le trafic en public. La grandeur de ces places doit être proportionnée au nombre des habitans , 'de crainte quelle ne soit trop petite , si beaucoup de personnes y ont à faire, où quelle ne paroisse trop vaste, si la ville n’est pas assez peuplée. On détermine sa largeur , en divisant la longueur en trois parties , dont on lui en donne deux par-là , la forme est plus longue que large ; ce qui est bien plus commode pour y donner des spectacles. Les colonnes du second étage doivent être moins grandes d’une quatrième partie que celles du premier ; parce que celles d’en bas étant plus chargées , doivent être plus fortes en cela nous imitons la nature de qui il faut que l’art se rapproche autant qu’il est possible. Toutes les productions qui sortent de la terre , et s’élèvent perpendiculairement à son sol, comme les arbres , entre autres les sapins , les cyprès, les pins , sont beaucoup plus gros vers les racines ; à mesure qu’ils croissent et qu’ils s’élèvent , la nature les atténue insensiblement jusqu’à la cime d’après cela , les architectes ont établi pour règle , que les parties les plus élevées dans les édifices , seroient plus petites et plus minces que celles d’en bas. On doit exposer les basiliques , qui sont sur le forum , dans l'aspect , où elles recevront le plus de chaleur , afin que les négocians puissent s’y réunir pendant ï On appeloit ainsi chez les anciens la place publi- * Planches XIY et XV. que , ou celle du marché. l9 o L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Oiiver , sans y éprouver les rigueurs de la saison. Leur largeur doit être au moins de la troisième partie de leur longueur , ou de la moitié tout au plus ; à moins que la nature du lieu ne le permette pas , et force de changer cette proportion. Si l’espace étoit beaucoup plus long qu’il ne doit être , on devroit alors placer les calcidi- ques aux extrémités , comme on le voit dans la Basilique Julienne à Aquilée. La hauteur des colonnes de la Basilique doit être égale à la largeur des portiques. La largeur du portique doit avoir le tiers de l’espace du milieu. Les colonnes d’en haut , comme on l’a déjà dit , seront plus petites que celles d’en bas. La cloison entre les colonnes du rang supérieur doit s’élever jusqu’aux trois quarts de la hauteur de ces colonnes, alin que ceux qui se promènent sur cette galerie , ne soient pas vus des gens qui trafiquent en bas. Les proportions de l’architrave , de la frise, et de la corniche , se règlent sur celles des colonnes,, comme nous l’avons expliqué dans le troisième livre. - son! F Cette sorte de Basilique sera au moins aussi majestueuse et aussi belle que celle de la colonie julienne de Fano , construite d après mes dessins et sous ma direction; pour laquelle j'ai observé les proportions suivantes. La voûte du milieu , entre les deux rangs de colonnes , est longue de cent vingt pieds, et large de soixante; le portique qui règne tout autour, a, entre le mur et les colonnes, la largeur de vingt pieds; les colonnes, y compris leurs chapiteaux , ont cinquante pieds de hauteur et cinq de diamètre. Derrière ces colonnes se trouvent des pilastres hauts de vingt pieds, larges de deux pieds et demi, et épais d’un pied et demi, pour soutenir les poutres qui portent les planchers des galeries. Sur ces pilastres il s’en élève d’autres, hauts de dix-huit pieds, larges de deux, et épais d’un , qui soutiennent les poutres qui portent les forces et tout le toit des portiques , dont le faîte ne s’élève pas jusqu’à la voûte. Les espaces qui sont entre les poutres posées sur les pilastres, et celles qui sont sur les colonnes, sont laissées pour donner du jour par les entre-colonnemens. Les colonnes à droite et à gauche dans la largeur de la grande voûte , sont de chaque côté au nombre de quatre ; dans la longueur adjacente à la place publique , il s’en trouve huit, y compris celles des coins et dans le côté opposé , y compris aussi celles des coins , il n’y en a que six ; parce que de ce côté , on a supprimé les deux du milieu , pour qu elles n’empêchent point la vue du vestibule du temple d’Auguste , qui est placé au centre du mur de cette face, vis-à-vis du milieu de la place publique et du temple de Jupiter i ; dans ce temple d’Auguste , se trouve un tribunal qui forme une i La longueur et la largeur de l'édifice étant près- le voit dans la XIV. me planche. Ils sont tous égaux hormis crite ainsi que la grosseur des colonnes , il suit qu’on les deux qui sont au milieu des petits côtés, a aussi Ja. largei^r des entre -colonnemens , comme on Cftl c’f! et! des] •e taire espèce de demi-cercle ; il a quarante-six pieds de front et n’en a que quinze de profondeur, afin que les gens qui sont dans la Basilique pour trafiquer , n’incommodent point les plaideurs qui sont devant les juges. Un assemblage composé de trois poutres de deux pieds d épaisseur chacune , posé sur les colonnes , règne tout autour de la Basilique ; les parties de cet assemblage qui sont sur les trois colonnes de l’intérieur , se retournent directement à la troisième, vers les antes du vestibule du temple , et vont rejoindre le demi-cercle , tant à droite qu à gauche. Sur ces poutres assemblées , s’élèvent , perpendiculairement aux chapiteaux , des piles hautes de trois pieds , et larges de quatre dans tous les sens elles soutiennent un autre assemblage de charpente bien travaillé , composé de deux poutres qui ont deux pieds d’épaisseur, sur lesquelles sont posées les poutres de traverse et les contre- fiches , qui correspondent dans la frise sur les pilastres ou murs du vestibule du temple elles soutiennent le faîtage du toit le long de la basilique , et un autre qui la traverse au milieu et s’étend jusques sur le vestibule du temple. L’aspect de ce double étage de frontispices formés par les toits latéraux et par celui de la grande voûte qui s élève au-dessus, est des plus agréables. D’ailleurs on diminue, par-là , le travail et la dépense , puisqu’on supprime la partie de l’entablement qui est au- dessus de farchitrave , les balustrades , et le second rang de colonnes. Cependant ces hautes colonnes dont la tige s’élève jusqu’aux poutres de la voûte , ajoutent beaucoup à la majesté et à la magnificence de l’ouvrage. REMARQUES. Les premiers essais de l’architecture, chez les Grecs , furent consacrés aux temples de leurs dieux ; c est pour les temples que cet art fut inventé ; ce fut pour eux qu’il se perfectionna. Les colonnes et les autres décorations qui en font la principale beauté , furent long-temps réservées à ces sortes d édifices. Mais la Grèce étant devenue opulente , après avoir triomphé des innombrables armées des Perses, et reconquis , pour ainsi dire , sa liberté , toutes les villes à l’envi, et sur-tout Athènes , firent éclater leurs richesses dans tous les édifices publics. Les colonnes et les autres ornemens cîe 1 architecture qu’ils avoient employés avec tant de succès à décorer les temples, furent dès lors employés a décorer aussi les autres édifices. Le forum 3 c’est-à-dire la place du marché où ils lenoient les assemblées dans lesquelles ils disculoient les intérêts de la patrie , cpii leur étoit devenue plus chère , après l’avoir sauvée des Perses , furent les premiers endroits qu’ils cherchèrent a embellir la grande étendue de ces places olfroit à leur génie un bien plus vaste champ pour faire éclater toute la magnificence de l’architecture. Les temples d’ailleurs ne formoient qu’un seul édifice. Dans le forum , se trouvoient réunis la basilique , des temples , le trésor public , la maison 193 L'ARCHITECTURE UE Y I T R U V E. de ville , les prisons ; celle variélé permelloit à l’architecte d’étaler les divers genres de beautés réunies dans son art. Chez les anciens, I e forum éloit ce que sont aujourd’hui, parmi nous, nos places publiques; avec la différence qu’il éloit ordinairement entouré de galeries portées par des colonnes , comme elles sont décrites dans ce chapitre ; le fond de ces galeries éloit occupé par des boutiques rangées les unes contre les autres , tel qu’on le voit dans les XIV.* 2 et XV. me planches , et tel qu’est aujourd’hui le palais royal à Paris. L’on y vendoit toutes sortes de marchandises. Ainsi lorsque Vilruve dit qu’on doit laisser un espace suffisant pour placer les bureaux des banquiers , il n’entend pas qu’il ne s’y irouvoit autre chose que des bureaux de banquiers , il les cite pour un exemple, comme s’il avoit dit , pour placer les bureaux des banquiers et des autres commerçans. Dan» les petites villes , il est probable qu’il n’y avoit que deux ou trois boutiques dans le forum , où l’on irouvoit réunis toutes les choses nécessaires k la vie. Mais dans le forum d’une grande ville, tel que celui dont parle Vilruve , il y avoit une boutique pour chaque espèce de marchandise -, par exemple , à Rome on irouvoit 1 ’argentarium , le boarium , Volitorium 3 le piscarium 3 le piscatorium 3 le pistorium 3 le suarium 3 et autres. Deux rangs de colonnes élevés l’un sur l’autre , régnoient tout autour des forum, tant en Grèce qu’en Italie. Vilruve veut que les colonnes du rang supérieur soient le quart moindres que celles . du rang inférieur. Galiani trouve qu’on ne voit pas clairement dans le texte , si c’est la hauteur ou l’épaisseur de la colonne , qu’on doit diminuer d’un quart ; je crois que ce doit être l’un et \ l’autre , puisque , comme l’observent Philander et Galiani lui-même , la hauteur de la colonne est toujours relative à son épaisseur qui lui sert de module. Parlant si les colonnes du rang supérieur sont du même ordre que celles du rang inférieur, et qu’elles soient le quart moins épaisses, elles j seront aussi un quart moins grandes , et vice versa. Mais comme l’usage est de faire les colonnes du second rang , d’un ordre plus délicat , si la diminution est faite à la hauteur , ces colonnes seront plus du quart plus minces que les autres. L’on peut d’autant moins douter que ce ne soit à la hauteur que Vilruve entend que cette diminution soit faite , qu’il dit expressément, dans le j . . LIVRE V , C il a p. i. ic3 grosses que les inférieuresmais que si ces parties sont fort élevées , et que par là elles parois- sent, à la vue , beaucoup plus minces qu’elles ne doivent être , à cause de leur grandé élévation , il entend qu’a lors un architecte sache , avec adresse , les diminuer un peu moins , ou y ajouter quelque chose , afin qu’elles paroissent avoir les proportions requises. De tous les édiiices placés sur le forum , les basiliques étoient les plus considérables ; elles étoient destinées à deux usages , comme on le voit clairement dans ce chapitre ; d’abord pour le commerce ; c’étoit là que les négocians avoiem coutume de s’assembler , comme ils Je font aujourd’hui dans les lieux nommés bourse qui se trouvent dans les villes les plus commerçantes ensuite c’étoit là que l’on rendoit la justice ; l’endroit nommé le tribunal y étoit spécialement destiné. Par la description que Vitruve fait de ces sortes d’édifices , on voit* qu’ils ressembloient parfaitement aux premières églises du Christianisme , qui , pour cela , furent aussi appelées basiliques , et servirent de modèle à la plupart des églises qu’on bâtit par la suite. Elles diffèrent des temples des anciens , en ce que les colonnes sont en dedans , au lieu que les temples les avoient en dehors, faisant comme une enceinte autour de la Cellct ou dedans du temple , qui étoit un lieu obscur, où le jour n’entroit ordinairement que par la porte. Dans les proportions que Vitruve assigne aux basiliques , en général, il dit , cpie leur largeur doit avoir , au moins , la troisième partie de leur longueur , ou la moitié tout au plus. Par celte largeur, il entend sans doute, celle de la grande nef, sans y comprendre celle des portiques latéraux ; autrement il auroit transgressé lui-même cette règle dans la basilique de Fanum dont il dirigea la construction. La largeur de la nef' de cette basilique est de 60 palmes ; ce qui fait précisément la moitié de sa longueur qui est de 120 palmes tandis que toute la largeur , y compris les colonnes et les portiques latéraux , est de 110 pieds , ce qui excède de beaucoup la moitié de la longueur , qui n’a pas plus de 170 pieds. Près de la basilique , se trouvoient deux salles nommées chalcidiques ; Vitruve conseille de les placer aux deux extrémités de ce bâtiment , si l’emplacement oii on doit le bâtir qui est un des cotés du forum , présente un espace plus que suffisant pour sa longueur. On ne commît pas trop bien à quel usage ces chalcidiques étoient destinées. Ce nom étoit composé du mot chalcos > qui signifie en grec de l’airain , et du mot clicê , qui signifie justice , roü %akxoû xc Six^g. Plusieurs savans , suivant Philander , ont cru que c’étoit le lieu où l’on frappoit la monnoie chez les Romains ; il est plus apparent que c’étoit celui où l’on tenoit la justice pour juger de leur poids et de leur valeur , puisque les Romains se servirent clans le commencement, pour les achats, de métal de cuivre estimé au poids, avant d’employer les mon- noies frappées au coin, d’où les monnoies ont conservé les noms qui marquoient les anciens poids, tels que l’as chez les Romains , le talent et la mine chez les Grecs , le sicle chez les Hébreux , la livre tournois en France , et la livre sterling en Angleterre , comme^ nous l’avons déjà observé en parlant du a. e Chap. du IH. e Liv. Les anciens as des Romains étoient de cuivre , ils pesoient une livre; on les nommoit libralis , as et libella y il s’en trouvoit pesant deux livres; on les nora- moit alors dupondias . On frappa , pour la première fois , l’argent à Rome l’an 484 de sa fondation. L’on commença à monnoyer l’or et le cuivre sous Servius Tullius, c’est-à-dire environ fio ans plus tard. Pline, H. JN. Liv. XXXIII, Ch. 3. 25 194 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. Nous avons encoTe vu que , lorsqu’il s’agissoit de somme considérable , on avoit coutume de p ese y l’ae , et les parties dans lesquelles on la divisoit ; d’où, les Romains disoient peser , penclere pou,, payer, apporter les billets ou registres du reçu du pesé, pour dire du payé expensas ferre. P] u „ sieurs mots latins qui regardent la monnoie , tirent leur origine de cette façon de peser l’argent. Il est donc très-probable que, dans les clialcidiques , se trouvoit un magistrat pour juger du poids et de la valeur des monnoies. Comme nous avons dans plusieurs villes de Hollande et des Pays-Bas W des bâlimens nommés le poids public, où les marchandises sont pesée* pur des gens sermeniés. dus, Quelques-uns prétendent qu’on donnoit le nom de chalcicîica à une sorte de bâtiment inventé ! à Chalcis dans l’isle d’Eubée ; d’autres qu’il signifîoit une salle d’airain. v j inteI Nous voyons effectivement que le plus célèbre des temples de Minerve à Sparte, se nommoit chah oi cioecos , des deux mots grecs %a,KyJç., airain , et olxog, maison. Presque tous les auteurs latins et grecs ' bl ont parlé de ce temple. 1 Tite-Live assure qu’on l’a nommé ainsi parce qu’il étoit tout de cuivre, i Pausanias dit la même chose , et c’est en parlant du temple cl’Apollon , à Delphes , qu’on disoit » 202 L’ architecture de VIÏRUYE. spectateurs assis ; ce cpii pourroit faire croire que ces prologues ne sont point de Plaute. On éleva dans la suite des théâtres en différentes occasions ; tel fut celui d’Emilius Scaurus qui étoit d’u ne extrême magnificence 5 il contenoil , dit Pline , quatre-vingt mille personnes 1. Pompée est ] e premier qui , dans son second consulat , fit faire un théâtre de pierre de taille , qui contenoit quarante mille placés. Dans la suite on éleva à Rome plusieurs théâtres permanens dont les pfi]]. cipaux furent ceux de Marcellus et de Ealbus , qui étoient de marbre. On voit combien les théâtres des anciens étoient différons des nôtres ; tous ces gradins construits en briques , couverts de marbre ou de pierre , et surmontés de portiques , formoient une masse énorme qui demandoit les fondemens les mieux appuyés. Vitruve dit qu’il est aisé de les construire sur une montagne , parce que des couches de roches ou de pierres dures les composent la plupart ; mais si l’on est obligé , dit-il , de les bâtir dans un terrain plat et marécageux , il recommande qu’on ait soin , pour rendre le fond du terrain solide , d’employer les moyens qu’il indique dans le i. er Chap. du troisième livre. Moyens qui furent employés pour les fondemens du temple de la Diane d’Ephèse. Le comte de Maffei 2 en parlant de l’amphithéâtre de Pola , que mal-à-propos il prend pour un théâtre , observe qu’il se trouve immédiatement au pied d’une colline , qu’on s’est adroitement servi de sa pente pour y construire les gradins , et que les anciens avoient coutume de choisir des lieux semblables quand ils bâtissoient de tels édifices , afin d’épargner une grande partie des fraix de construction en effet , le grand cirque à Rome remplissoit le fond de la vallée entre les monts Palatin et Aventin , et les gradins, des deux côtés, s’élevoient sur la pente de ces deux montagnes. Pour faciliter l’intelligence de tout ce que l’auteur dit des théâtres , dans ce livre, 5 e vais donner une idée générale de ces édifices dans la description suivante. Il convient, en la lisant , d’avoir les planches XVI et XVII sous les yeux. Le plan du théâtre , comme nous l’avons déjà observé , avoit à-peu-près la figure d’un demi- cercle ; celle de l’amphithéâtre étoit circulaire ou elliptique , ou, pour mieux dire, c’étoit déni théâtres unis ensemble , comme l’indique son nom ; mais notre auteur ne parle pas de cette sorte d’édifice , qui n’existoit probablement pas encore de son temps, ou c’est un oubli de sa part, comme il a fait pour le cirque et pour beaucoup d’autres objets. La partie inférieure du théâtre qui formoit une place en demi-cercle au milieu de tous les gradins , s’appeloit Y orchestrée , du mot grec cp%yça'i sauter, parce que c’étoit là que s’exécutoient les danses. Les Romains lui laissèrent le même nom, quoique cet espace , chez eux, ne fût pas destiné pour les danses. Il étoit occupé par les sièges des sénateurs , des magistrats , des vestales et des autres personnes de distinction. Tout autour de la, courbure du demi-cercle , s’élevoient les gradins appelés gf'adationes sur lesquels s’asseyoient les spectateui's. Les sièges ou gradins des chevaliers , etoient garnis de coussins 3 5 les autres étoient assis sur la pierre nue. Le même usage etoit chez les Grecs 5 de là vient le bon mot d’Arislippe quelqu’un lui demandant à 1 Plin. Hist. nat. Liv. XXXVT. Chap. i5. . 3 Juven, Sat. lit. t* i53. 2 Tratialo de "U anfiteaiiï. LIYllE V, C h a p. ni. servoit la culture de l’esprit? il répondit à empêcher qu’au théâtre une pierre ne soit pas sur une pierre. Dans les théâtres fort grands et élevés , ces gradins éloient interrompus par une ou deux précinctions , suivant la proportion ou grandeur du théâtre ; on les appeloit en grec diazomata , et en latin prœcinctiones. Plusieurs ont traduit ce mot en françois par palier , parce qu’ils font le même effet entre les gradins , que les paliers entre les degrés d.’un escalier. Je suis persuadé que par ces mots pro rata parte ad altitudines , l’auteur n’entend pas, comme quelques-uns l’ont cru , que la grandeur des précinctions devoit varier suivant que le théâtre étoit plus ou moins grand , plus ou moins élevé; parce que la grandeur des précinctions doit toujours être la même dans les grands et dans les petits théâtres , comme nous le voyons dans le septième chapitre de ce livre , où il dit expressément sunt enim res quas in pusillo et in magno theatro necesse est eadem magnitude fieri propter usum uti gradus diazomata ce dernier mot, comme nous l’avons vu , signifie la même chose en grec que prœcinctiones en latin. C’est donc le nombre des précinctions et non leur grandeur particulière qui doit être proportionnée avec la hauteur des théâtres ; tellement que dans un théâtre médiocre il n’y aura qu’une précinction , dans un autre qui sera plus grand il y en aura deux , et dans les grands théâtres il y en aura trois. La hauteur des précinctions dépendoit de celle des gradins , puisqu’une corde tendue, depuis le haut jusqu’en bas , devoit loucher l’angle de tous les degrés. Parlant il falloit que les gradins et les précinctions fussent proportionnés ensemble. Si cependant on prend à la lettre l’expression latine , ils ne le seroient pas ; puisqu’elle semble dire , que la hauteur des précinctions doit égaler leur largeur , et d’un autre côté , à la fin du 6. me Chap. de ce livre , l’auteur fixe la proportion des gradins à deux pieds et demi de large et un pied six doigts de haut pour les plus petits. Ainsi il n’y aucun rapport entre la proportion des gradins et des précinctions , et il seroit impossible qu’une ligne droite tirée du bas en haut touchât l’angle de tous ces degrés. Pour ne pas mettre l’auteur en contradiction avec lui-même , il faut supposer , d’après la raison qu’il dit immédiatement après , qu’il a entendu que la hauteur des précinctions ne devoit pas surpasser leur largeur , sans vouloir pour cela déterminer précisément leur hauteur. Quelle que fût l’étendue des théâtres , la partie au-dessus des degrés étoit toujours terminée par une espèce d’esplanade ou palier , sur lequel s’élevoit un portique ; c’étoit là où se plaçoient les femmes , et ceux qui étoient en deuil 1 . Chaque partie du théâtre avoit son entrée et sa sortie distincte l’une de l’autre ; plusieurs corridors conduisoient de plein pied à l’orchestre ; leurs ouvertures ou portes de ce côté s’appeloient vomitoria 2 , parce que la multitude du peuple sembloit être vomie par ces portes 3. e- Pour monter parmi ces degrés ou sièges , on les avoit coupés de distance en distance par des 1 Calp. B. Chap. v. 2C. 2 Macrob. saturna. 6. Chap, 4. 3 Yirgil..georg, liv. II. v. 462. L’ARCHITECTURE DE YITRUYE. 204 chemins qui formoient autant de petits escaliers appelés scalaria ; chacun avoit sa destination p ar _ ticulière , c’est-à-dire que l’un conduisoit jusqu’à la première précinclion , un autre jusqu’à la seconde , si le théâtre avoit trois précinctions , un autre y conduisoit aussi ; finalement un autre encore conduisoit dans le portique supérieur. L’espace , entre deux chemins, s’appeloit cunei coins 1 , à cause de leur forme , et ces coins étoient destinés pour les personnes d’un rang différent 2 ; c’est pour cela que dans Apulée , on trouve excuneare 3 pour dire chasser une personne de sa place. Les parties du théâtre étoient la scène ou proscenium et le postscenium . La scène ou proscenium étoit le lieu où les acteurs représentoient 5 il s’élendoit d’un côté du théâtre à ,1’autre ; partant il occupoit le diamètre en entier. Au lieu de celte toile , qui , aujourd’hui , couvre le théâtre , avant le commencement de la pièce, et qu’on lève aussitôt qu’elle commence , chez les anciens c’étoit une tapisserie qui, pendant la représentation de la pièce , étoit à terre 3 , et que l’on élevoit lorsqu’elle étoit jouée ; ce qui étoit tout simple , parce que leurs théâtres n’avoient pas de toits. Le postscenium étoit le derrière du théâtre , où se passoit ce qui ne pouvoit convenablement se passer sur la scène. Le fond du théâtre étoit rempli par une superbe façade d’architecture, Perrault et d’autres interprètes ajoutent deux autres parties au théâtre le pupitre, pulpitum , et la scène , scena 3 parce qu’ils n’ont pas compris que ces deux mots indiquoient la même chose que le proscenium , comme nous le ferons voir dans nos remarques sur le \ I. mc Chap, de ce livre. Cette courte description des théâtres suffit pour commencer à comprendre ce que l’auteur dit d’abord dans ce chapitre. A mesure qu’il décrira les différentes parties de ces édifices , dans les chapitres suivans , nous tâcherons de développer ses idées , et de les expliquer. On aura remarqué combien les théâtres des anciens différoient des nôtres ; leur étendue sur-tout étoit nien plus considérable. Le théâtre qu’on a découvert dans les ruines d’Herculanum près de Naples, a 75 pieds de diamètre ; celui de Marcellus à Rome avoit 366 pieds de diamètre et pouvoit contenir trente mille spectateurs. On est étonné , que, dans un aussi grand espace , qui étoit entièrement découvert , la voix des acteurs étoit entendue de tous les spectateurs. Ce n’est aussi qu’après avoir étudié , avec la plus grande attention , comment le son se propage , comme il est possible de l’arrêter en le concentrant et de l’augmenter par l’effet de la résonnance , que les anciens sont parvenus à rendre la voix si sonore dans leur théâtre. Vitruve compare l’effet du son qui s’étend dans l’air , à celui que produit un caillou jeté dans une eau paisible ; il fait naître autour du centre qu’il a mis en mouvement , un petit cercle-, qui ensuite s’étend , se multiplie , et deyient toujours plus grand , s’il n’est arrêté par la rive qui contient l’eau. Cette comparaison'n’est pas bien exacte. Quand l’agitation commuaiquée à l’air par la collision d’un corps frappé par un autre, parvient jusqu’à l’organe auditif, elle y produit une sensation qu’on 1 Juren. Sat. 6. v. 61. 3 Horat. Ep. I. t. 189. 2 Suet. v. Aug. Chap. 44 - v LIVRE V, Ch ap. ïiï. 20S Il bruit II faut supposer , il est vrai , quelque soit la nature du bruit ou du son , que son véhicule n’est autre chose que l’air même premièrement , parce que l’air est le seul corps intermédiaire de l’existence duquel on soit parfaitement assuré , entre le corps sonore et l’organe auditif i, faut nas multiplier les êtres sans nécessité ; que l’air suffit pour expliquer la formation du son * et de plus, parce que l’expérience nous apprend quun corps sonore ne rend pas de son dans un lieu tout-à-fait privé d’air. Mais l’agitation que produit le son dans l’air ne se communique point par des ondes , comme l’agitaiion de l’eau. Celles-ci se font sur la superficie d’un corps fluide à la vérité comme l’air; mais beaucoup lus dense et plus pesant , presque incompressible et très-peu élastique ; elles ne paraissent que sur P np s’étendent crue sur sa superficie un autre fluide qui est l’air se trouve au-dessus. Celui-ci à cause de son extrême raréfaction, qui obéit a la moindre impulsion, et dont 1 équilibré, sans cesse rompu, cherche sans cesse à se rétablir, ne gêne pas plus l’impulsion donnée aux ondes que ne feroit le vuide. Le son au contraire , se transmet par les vibrations de l’air qui est un corps singulièrement élastique, qui remplit tout, étant serré contre tous les corps , et tellement entassé, qu’il est impossible que tes impulsions qu’il souffre soient vaines et sans effet. Ses vibrations nous transmettent dans un même moment tes sons dans tous tes sens , horizontalement, verticalement , etc. Il n’est pas plus difficile à l’air de transmettre à l’oreille, sans confusion , mille agitations à la fois, qu’une seule. Il est possible, cependant , d’augmenter le son en l’arrêtant, et 1e concentrant , en passant par un tube , comme un porte-voix il s’augmente et devient plus fort* Le son des instrumens, la voix de l’homme , font plus d effet et sont bien plus sonoies dans un appartement qu’en plein air. Les salles d’une forme circulaire , sur-tout couvertes d’une voûte concave , sont tes plus propres pour cela. 11 paroît qu’elles rassemblent le son , 1e grossissent et le réfléchissent, à-peu-près comme il arrive aux rayons de lumière rassemblés dans un miroir concave. Il existe des rotondes , tels que le tambour du dôme de S. 1 Pierre du Vatican, au-dessus de la grande corniche ; celte qui forme le temple de Mercure dans tes ruines de Baya ; cette voûte en Sicile , près de Siracuse, qu’on nomme l’Oreille de Denis le tyran. La voix de quelqu’un qui parte, même fort bas , contre 1e mur d’une de ces rotondes , est entendue tout autour , meme a 1 extré- miié opposée , aussi distinctement que si l’oreille étoit placée devant la bouche qui parte. 11 paroît donc que tes enceintes circulaires sont plus propres que les'autres pour augmenter le son de la voix , et que c’est pour cela que tes anciens ont préféré cette forme pour le plan de leurs théâtres. 3 o6 L’ARCHITECTURE DE V I T R U Y E. "I CHAPITRE IV. De lHarmonie i. L A musique harmonique est une science obscure et difficile , sur-tout pour ceux qui ne savent pas la langue grecque. Nous ne pouvons cependant expliquer ici, ce qu’il est nécessaire d'en savoir , sans nous servir d’une quantité de mots grecs , parce qu’il y a beaucoup de choses , que notre langue , faute de termes propres , ne peut signifier. Je ferai cependant mon possible pour rendre d’une manière intelligible , ce qu’en a écrit Aristoxène ; je rapporterai même sa table , et déterminerai, avec exactitude , la différence des sons , afin que ceux qui y voudront apporter un peu d’attention, comprennent aisément ce que j’en dirai. > La voix change ses inflexions ; les unes sont graves , et les autres aiguës elle a en outre deux sortes de mouvemens ; l’un se fait quand elle est continue et toujours égale , l'autre quand elle procède par des intervalles séparés. Le mouvement que fait la voix continue , ne s’arrête nulle part ; il n’est borné par aucuns termes ; ses deux extrémités sont insensibles à l’ouïe ; il n’y a que les seuls intervalles du milieu qui s'entendent, comme il arrive quand on prononce les mots , sol , lux , flos, nox car alors on ne discerne point, ni d’où elle part, ni où elle se termine ; l’oreille ne s’aperçoit d’aucune inflexion , ni qu’elle passe du grave à l’aigu , ni de l’aigu au grave. Tout le contraire arrive dans les mouvemens qu elle fait par des intervalles séparés car quand la voix fait des inflexions différentes , elle devient alors tantôt haute , tantôt basse ; elle s’arrête à un certain son déterminé ; puis elle passe à un autre ; et ainsi parcourant souvent divers intervalles , elle paroît inégale à l’oreille , comme il arrive lorsqu’on chante et que la voix se réfléchit par diverses modulations. En effet ; quand elle parcourt différens intervalles , ses sons sont tellement marqués et déterminés , qu’il est aisé de connoitre d'où elle vient, par où elle commence , et où elle finit ; tandis que les sons du milieu sont obscurcis , parce qu’il n’y a pas d intervalles 2 . j Pour bien comprendre ce chapitre , il faut lire 2 Tous les musiciens distinguent ces deux mouve- auparavant l’explication de la table d’Aristoxène, qui se mens de la voix l’un continu et égal ; l’autre , par des trouve à la fin» intervalles séparés le mouvement coniinu et égal de la J i LIVRE V, C h A p. iv. îtoj Il existe trois genres de chant les Grecs appellent le premier énarmonique i, le second chromatique 2 , et le troisième diatonique 3. La modulation énârmo- nique doit son origine à l’art; aussi préfère*t-on sa grave mélodie à celle des autres genres. Le genre chromatique , par les douces nuances de ses sons serrés * est le plus agréable. Enfin le diatonique , qui doit tout à la nature , est le plus facile de tous, à cause de la distance des intervalles. Ces trois genres forment les trois différentes dispositions du telracorde 4 , puis- que le tétracorde de l enarmonique se compose d’un diton h et de deux dièses 6 , Le dièse est la quatrième partie d’un ton , ainsi deux dièses font un demi-ton. Dans le chromatique ; il y a deux demi-tons , et le troisième est un intervalle de trois i demi-tons 7 . Dans le diatonique, il y a deux tons de suite, et le troisième qui est ; un demi-ton termine l’intervalle du tétracorde. Ainsi tous les tétracordes , dans chacun des trois genres, sont composés de deux tons et d’un demi-ton B. Mais si l’on considère comment chaque genre, pris sépâ- ? voix , c’est quand on parle simplement sans chanter ; î on l’appelle ainsi , parce que la voix ne passe pas à différens tons , et ne forme aucune cadence au con- r traire!, quand on chante elle passe par différens tons ; ou , comme dit l’auteur , effectus distantes. 1 C’est-à-dire tempéré. 2 Coloré. 3 Tendu. 4 La voix modifie les sons qu’elle rend , elle les élève vers l’aigu ou les fait descendre au grave. La distance d’un son à un autre s’appelle intervalle. L’intervalle principal, celui qui règle tous les autres, s’appelle ton. Les tons mineurs sont le demi-ton , et le dièse , qui est le quart de tons Les tons majeurs sont le trie— miton , c’est-à-dire un ton et demi ; le diton , c’est-à- dire deux tons, etc. Ce principe établi , on verra tout à l’heure que tous les tétracordes , dans chacun des trois genres, contenoient toujours un intervalle de deux tons et demi ; ou , si l’on veut , ils étoient composés d’un demi-ton et de deux tons , comme dans le diatonique, ou de deux demi-tons et d’un triemiton, comme dans le chromatique •, ou finalement de deux dièses et d’un diton, comme dans l’énarmonique. C’est donc dans la disposition des demi-sons des tétracordes , qu’existe la variété dont il est ici parlé. 5 Diton dans la musique grecque est un intervalle composé de deux tons , c’est-à-dire une tierce majeure. 6 Aristoxène divisoit le ton en deux parties égales* en trois ou en quatre de cette dernière division résul- toit le dièse énarmonique mineur ou quart de ton , qui est celui dont parle ici Vitruve; de la seconde le dièse mineur chromatique , ou le tiers d’un ton ; et de la troisième le dièse majeur, qui faisoit juste,un demi-ton. Le dièse chez les modernes n’est pas proprement comme' chez les anciens , un intervalle de musique , mais un signe de cet intervalle qui marque qu’il faut élever le son de la note devant laquelle il se trouve au-desSus de celui qu’elle devroit avoir naturellement ; sans cependant 1 faire changer de degré ni même de nom. 7 En parlant des genres diatonique et énarmonique ,- Vitruve nomme les tons ou les intervalles, en commençant par les bas et allant vers les hauts, comme dans la? table, ou bien par les aigus et descendant aux gravés. 8 Dans tous les tétracordes , les deux cordes extrêmes’ formoient un accord de quarte la consonnancé de’ quarte est produite par un intervalle de deux tons et demi, par-conséquent tous les tétracordes, dans chacun 1 des trois genres , contenoient toujours un intervalle de' deux tons et demi ou si l’on veut ils étoient composés 1 d’un demi-ton et de deux tons ; comme dans le diatonique , ou de deux demi-tons , et d’un triemiton', comme' dans le chromatique ou finalement de deux dièses ét d’un diton comme dans l’énarmonique. 2q8 L’ARCHITECTURE DE VIT RU VE. rément, se termine , on verra qu’ils le font tous par des intervalles différens. La nature qui a déterminé le ton , le demi-ton , et le tétracorde qu’exprime la voix humaine , a fixé leur mesure , la quantité des intervalles , et établi le mode et la qualité des distances les ouvriers qui font des instrumens de musique , suivent ces règles établies par la nature , pour leur donner des justes mesures. Dans chacun de ces genres, il y a dix - huit sons, appelés pôiyyoi par les Grecs ; de ces sons il y en a huit qui ne varient point et sont toujours stables dans les trois genres. Les dix autres varient selon les modulations i. Les stables sont ceux qui placés entre les mobiles , unissent les tétracordes les uns aux autres, et qui, dans tous les genres occupent toujours la même place. On les appelle Proslambanomenos, Hypate-hipaton, Hypate-meson , Mesé , Neté-sinemmenon, Paramesé, JSété-diezeug- menon, Neté-hyperbolœon. Les mobiles sont ceux , qui, placés dans les tétracordes, entre deux immobiles , changent de place , selon les lieux , et les différens genres ; ils s’appellent Parhypaté - hypaton , Lichanos - hypalon , Parypaté - meson , Licanos- meson, Trité-synemmenon , Paraneté - synemmenon , Trité-diezeugmenon, Trité- hyperbolœon, Paraneté - hyperbolœon. Ces sons mobiles, dans chaque espèce de genres, avoient différentes valeurs, parce que les intervalles et les étendues varioient. Ainsi, la parhypaté , qui, dans l'énar- monique , est distante de Xhypaté d’un dièse , se change dans le chromatique , et a l’intervalle d’un demi-ton ; et dans le diatonique aussi d’un demi-ton 2 . Celle qu’on appelle lichanos est distante de 1 liypate d un demi-ton dans l’énarmonique ; dans le chromatique elle avance jusqu’à deux demi-tons ; et dans le diatonique , elle avance jusqu’à trois tellement que ces dix sons transposés et placés diversement dans chaque genre , produisent trois modulations différentes, Il existe cinq espèces de tétracordes ; le premier qui est le plus grave , s’appelle en grec Hypaton 3 le second , parce qu’il est au milieu , s’appelle Meson 4 le troisième s’appelle Synemmenon,, c’est-à-dire joint aux autres le quatrième s’appelle 1 Quoique Vitruve mette ceux-ci généralement au yiombre de dix , ils n’étoient quelquefois qu’au nombre de neuf et même de huit; parce que deux sons voisins quelquefois se confondoient et quelquefois se séparoient. 2 On lisoit dans les premières éditions , in diatono çpro tonum ; comme Perrault et Galiani , j’ai suivi la ©Direction de Meibomius , qui lit , in diatono quoque Jieinitonîunh 3 L’épithète d’Hypaton, qui signifie supérieur , ne convient pas présentement à ce tétracorde qui contient les sons les plus bas ; mais les anciens le nommoient ainsi, parce que la disposition de l’échelle qui contenoit leurs sons, étoit toute contraire à celle qui contient les nôtres les sons graves dans la leur étant placés en haut comme on le voit dans la table à la fin de ce livre. 4 C’est-à-dire moyen. Diezeugmenon 2°9 LIVRE V; C h A p. it. Diezeugmenon i; c’est-à-dire disjoint le cinquième , qui est le plus aigu, s’appelle pour cela HypcrbolcBon 2 . Les consonnances que la voix humaine peut exprimer , et que les Grecs appellent symphonies , sont au nombre de six , savoir la quarte , la quinte , l’octave , la quarte redoublée , la quinte redoublée , et la double octave. On leur a donné ces noms , à cause du nombre des sons où la voix s’arrête en changeant ses inflexions ; comme lorsqu’elle passe de son premier ton au quatrième , on l’appelle quarte si elle passe au cinquième on l’appelle quinte si elle passe au huitième , on l’appelle octave si elle passe au huitième et demi, on l’appelle quarte sur l’octave si elle passe au neuvième et demi , on l’appelle quinte sur l’octave si elle passe au quinzième , on l'appelle double octave car dans la musique vocale , comme dans l’instrumentale , on ne peut tirer aucune consonnance du premier ton au second , ni au troisième, ni au sixième , ni au septième on les peut seulement tirer comme nous l’avons dit plus haut, à la quarte , à la quinte, et consécutivement jusqu’à la double octave qui est toute l’étendue que la voix peut avoir sans trop se forcer l’union de ces différens sons forme les accords que les Grecs appellent QQôyyoï. 3 REMARQUES. L’épithète d’harmonique , que Yiiruve ajouie au mot musique , la première fois qu’il l’emploie au commencement de ce chapitre , indique qu’il traitera seulement de la musique harmonique qui est différente de la rhytbmique , de la métrique , de l’organique, de la poétique et de l’hipo- critique , qui contiennent les préceptes de la danse , de la récitation , du jeu des instrumens , des vers et des gestes des pantomimes , de même que l’harmonique contient les préceptes du chant; les six objets que nous venons de citer étoient le sujet de six espèces de musique , selon la division de Porphyre sur l’harmonie de Ptolomée. Revenons présentement à l’harmonie. Toute celte science consiste principalement dans la comparaison des sons du grave à l’aigu de sorte que , comme le nombre des sons est infini , l’on peut dire , dans le même sens , que celte science est infinie dans son objet. On ne connoît point de bornes précises à l’étendue des sons du grave à l’aigu , et quelque petit que puisse être l’intervalle qui est entre deux sons , on le concevra toujours divisible par un troisième son ; mais la nature et l’art ont limité celte infinité dans la pratique de la musique. On trouve bientôt , dans les instrumens , les bornes des sons praticables , tant au grave qu’à l’aigu. Alton gez ou raccourcissez jusqu’à un certain point une corde sonore , elle n’aura plus de son. L’on ne peut pas non plus augmenter ou diminuer à volonté la capacité d’une flûte ou d’un 00 Ce tétracorde se nommoit en grec diezeugmenon, 2 C’est-à-dire extrême, e’est-à dire séparé , parce qu’il n’étoit pas lié au tétra- 3 L a ta bl e d’Aristoxène se trouve à la fin des recorde synemmenon, comme celui ci l’étoit au tétracorde marques de ce chapitre, meson , et ce dernier à l’Hypaton. a 7 210 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. tuyau d’orgue , ni sa longueur; il y a des bornes, passé lesquelles, ni l’un ni l’autre ne résonne plus. L'inspiration a aussi sa mesure et ses loix trop foible elle ne rend point de son , trop forte elle ne produit qu’un cri perçant qu’il est impossible d’apprécier. Enfin il est constaté par mille expériences que tous les sons possibles sont renfermés dans une certaine latitude , passé laquelle , ou trop graves ou trop aigus , ils ne sont plus apperçus , ou deviennent inappréciables à l’oreille. D’un autre côté , l’on voit par la génération harmonique des sons , qu’il n’y en a , dans leur infinité possible , qu’un très-petit nombre qui puissent être admis dans le système harmonieux , car tous ceux qui ne forment pas des consonnanoes avec les sons fondamentaux , ou qui ne naissent pas , médiatement ou immédiatement des différences de ces consonnances , doivent être proscrits du système. On appelle donc système , la somme de tous les sons qui peuvent être employés dans la musique ; on appeloit encore système , une méthode de calcul qui déterminoit leurs rapports , c’est dans ce dernier sens , que les anciens distinguoient le système pythagoricien et le système aris- toxénien ; il ne sera ici question que du second , qui est le seul dont parle Yitruve. Les pythagoriciens fixoient tous les intervalles , tant consonnans que dissonans , par le calcul des rapports. Les aristoxéniens , au contraire , disoient s’en tenir au jugement de l’oreille. Leur dispute comme l’observe Jean-Jacques Rousseau n’étoit dans le fond qu’une dispute de mots , puisqu’ils rendoient tous deux les mêmes idées , mais avec des termes différens. Les anciens avoient formé des tables ou modèles , qui présentoient à l’oeil l’étendue générale de tous les sons d’un système; ils nommoient ces tables, diagrame 3 c’est ce que nous appelons aujourd’hui échelle , gamme , clavier. Celle qui représentoit le système d’Arisloxène , que Yitruve avoit placé dans son ouvrage , est perdue , elle ne se trouve pas non plus dans les trois livres des élémens de la musique harmonique d’Aristoxène , qui est le seul ouvrage de ce célèbre philosophe , disciple d’Aristote , qui soit parvenu jusqu’à nous ; quoique , d’après ce que dit Suidas , il avoit écrit quatre cents cinquante- trois volumes. Tous les interprètes ont cherché de suppléer à celte table , par une autre qu’ils ont composée sur son système. Je donne ici celle de M. Galiani. Pour bien comprendre cette table , ou diagramme , il faut savoir , avant tout , que par son , sonitus 3 pôcyyoi , on* entend la position d’un son, ou, pour parler comme lès modernes , la position d’une note. Les anciens Grecs avoient donné aux différens sons , ou plutôt aux cordes de leurs lyres , comme on le verra tout—à-l’heure , les noms suivans ; j’y joins leur signification françoise proslcimbanomenos 3 ajoutée Hypaté 3 supérieure ; Parhypaté 3 près de la supérieure ; ' Lichanos 3 éloignée ou indexte ; JMese 3 moyenne; P arcanes e 3 près de la moyenne; Trite, troisième ; Paranete 3 près de la dernière ; Nete 3 la dernière. La musique moderne a abandonné tous ces noms ; elle y a suppléé d’abord par les premières lettres de l’alphabet, et ensuite par les notes dont nous nous servons aujourd’hui. Ainsi on appelle le premier A mi la 3 ou simplement la j le second B fa si 3 ou si ; le troisième C sol ut 3 ou > LIVRE V, C h a p. iy. 211 •K ut j le quatrième D la re , ou re y le cinquième E si mi, ou mi; le sixième F ut fa, ou fa y le septième G re sol , ou sol. Ensuite on commence d’autres octaves, en haut ou en bas, avec les mêmes notes. La position des sons ou des notes, variant continuellement du grave à l’aigu, et de l’aigu. au grave , dans la musique ancienne comme dans la moderne , on entend par intervalle , la différence d’un son à un autre , entre le grave et l’aigu ; c’est - à - dire tout l’espace que l’mi des deux auroit à parcourir pour arriver à l’unisson de l’autre. Souvent la distance d’un son à un autre n’est pas d’un ton entier , mais d’un demi-ton ou d’un quart de ton ; pour indiquer cela , on se sert de ce signe X , qui signifie un dièse proprement dit , qui équivaut à un intervalle d’un quart de ton ensuite de cet autre signe ^ qui indique le demi-ton que nous appelons très-improprement le dièse. Les lettres a , b , c , d , etc., placées à côté de chaque nom ancien , font connoitre les notes modernes qui correspondent aux anciens termes grecs ; et la colonne des lettres majuscules , avec celle des noms des notes modernes , qui sont mises à côté de la table , font connoitre les notes que ces lettres indiquent. Celte table forme le recueil complet de tous les sons que les anciens employoient dans les trois dilférens genres. Les anciens divisoient l’échelle , qui contenoit tous les sons dont ils se servoient , en plusieurs tétracordes , composés chacun de quatre sons ou cordes , qui formoient l’accord de leur lyre ou C3 , thare. Chacune des cordes ne rendoit qu’un son , ainsi le terme de corde ou de son , en parlant de la musique des anciens , signifie la même chose , parce qu’ils ne touchoient pas les cordes pour leur donner des sons dilférens comme nous faisons. Chaque son avoit sa corde , comme il l’a encore aujourd’hui dans la harpe , le forlé-piano , etc. Voici les noms de ces tétracordes le plus grave de tous, et qui se trouvoit placé un ton au- dessus de la corde proslambanomenos, s’appeloit le tétracorde-hypaton , ou des principales ; le second en montant , lequel étoit toujours conjoint au premier , s’appeloit le tétracorde-meson ou des moyennes ; le troisième , quand il étoit conjoint au second et séparé du quatrième , s’appeloit le tétracorde-synemmenon ou des conjointes ; mais quand il étoit séparé du second , et conjoint au quatrième , alors ce troisième lélracorde prenoit le nom de diezeugmenon ou des divisées ; enfin le quatrième s’appeloit le tétracorde-hyperbolœon ou des excellentes. L’Arétin ajouta à ce système , un cinquième télracorde que Meibomius prétend qu’il ne fit que rétablir. Quoiqu’il en soit, les systèmes particuliers des tétracordes firent enfin place à celui de l’octave qui les fournit tous. Celui-ci est composé de huit sons comme l’autre l’étoit seulement de quatre. Les anciens distinguoient en outre trois dilférens genres , qui sont le diatonique , le chromatique et l’enharmonique, nommé simplement harmonique par Vitruve. Par genre, les anciens entendoieut la division et la disposition du tétracorde , considéré dans les intervalles des quatre sons qui le composent. La bonne constitution de l’accord du tétracorde , c’est-à-dire, l’établissement d’un genre régulier, dépendoit des trois règles suivantes tirées d’Aristoxène , et rapportées par Vitruve dans ce chapitre. La première étoit , que les deux cordes extrêmes du tétracorde dévoient toujours rester immobiles , afin que leur intervalle fût toujours celui d’une quarte juste ou du diatessaron. Quant aux deux cordes moyennes , elles varioient à la vérité j mais l’intervalle de la lichanos à la mèse ne 2 7 . DES TETRA CO R DE S. 212 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. devoit jamais passer deux tons , ni diminuer au-delà d’un ton j de sorte qu’on avoit précisément l’espace d’un ton pour varier l’accord de la lichanos , et c’est la seconde règle. La troisième éloit que l’intervalle de la parypate ou seconde corde à l’hypate, n’excédât jamais celui de la meme parypate à la lichanos. Comme en général cet accord pouvoit se diversifier de trois façons , cela constituoit les trois principaux genres dont parle Vilruve , savoir le diatonique , le chromatique et 1 enharmonique. Ces deux derniers genres, où les deux premiers intervalles faisoient toujours ensemble une somme moindre que le troisième intervalle , s’appeloient , à cause de cela j genres serrés ou épais. Chaque genre avoit son échelle particulière. Pour faciliter l’intelligence de tout ceci, j’ai cru devoir employer les signes , ou caractères , dont on se sert pour écrire aujourd’hui la musique , et auxquels nous sommes accoutumés. On trouvera donc ci-dessous indiqués , avec les notes modernes , tous les sons ou cordes , tels qu’ils etoient divisés et disposés dans les trois genres des anciens. Les notes blanches indiqueront les extrêmes de chaque tétracorde qui sont les sons immobiles qui ne changent point et sont toujours les mêmes dans tous les genres. Les noires indiqueront les sons mobiles qui varient selon les différens genres. /mmàtimm,' ifnzmmeww / Quoique Yitruve dise qu’il y a dix-huit sons dans chacun des trois genres , ce n’est que dans ! le seul genre enharmonique qu’on trouve vraiment dix-huit sons différens , comme on le voit dans i la table placée à la fin des remarques de ce chapitre. Car dans le genre chromatique , on n’en trouve que dix-sept 5 puisque le son de la paramèse du tétracorde - diezeugmenon est le même que celui de la paranete du télracorde-synemmenon. Dans le genre diatonique , il y a seulement seize sons -, parce que celui de la trite et de la paranete du télracorde-diezeugmenon , sont les mêmes que ceux de la paranete et de la nete du tétracorde - synemmenon. Malgré cela, Vitruve a raison de dire que , dans chaque genre , il y a dix-huit sons ; car ceux-ci , quoique répétés deux fois dans le même genre , doivent toujours faire nombre , puisque dans chaque télracorde où ils se trouvent , ils ont des rapports différens avec les sons qui les composent. Nous avons vu , tout-à-l’heure 3 que , nonobstant que le genre enharmonique procède par deux dièses et un diton , le chromatique par deux demi - tons et un triemiton et le diatonique par un demi ton et deux tons ; que cependant dans tous les trois genres , ces trois intervalles de chaque télracorde égaloient ensemble un intervalle de deux tons et demi , ce qui forme la consonnance de quarte. Il est clair , ensuite , que si les trois genres commencent par la même corde ou son , qui est la proslambanomène , ou si l’on veut , l’hypaie-hypalon , un même son , par-conséquent , doit commencer toute quarte ou tous les télracordes de chaque genre , le son qui termine un tétracorde étant celui qui commence le suivant. * Les tétracordes n’étant qu’au nombre de cinq , il semble qu’il ne devroit y avoir que six cordes immobiles ; cependant il s’en trouve huit, comme le dit l’auteur , et comme on peut le voir dans la table, parce que le tétracorde diezeugmenon , c’est-à-dire des séparées ne commence pas par la nete 3 ou dernière corde du télracorde synemmenon , comme les autres télracordes ; mais par une corde particulière , nommée paramese , qui forme la septième corde immobile. La huitième est la proslambanomène, la première de toutes et la surnuméraire ou ajoutée, comme son nom le signifie , laquelle n’entre dans aucun des tétracordes. Dans la table à la fin des remarques de ce chapitre , on a désigné toutes les cordes immobiles avec des lettres majuscules, comme Proslambanomène 3 Hypate, etc. Dans la table avec les signes de la musique moderne , elles le sont par des notes blanches. Il faut encore remarquer que , quoique les sons n’eussent que neuf noms différens comme nous l’avons vu dans la table citée , ils étoient cependant au nombre de dix-huit dans chaque lélra— corde ; et cela , parce que les sons du deuxième tétracorde avoient les mêmes noms que ceux du premier ; et ceux des trois derniers avoient les mêmes noms entre eux , tellement que pour les distinguer on ajouloit, au nom de chaque son , celui de leur tétracorde aiusi l’on disoit l’hypate- liypalon , c’est-à-dire du tétracorde hypaton , hypate-meson , c’est-à-dire du télracorde meson. On disoit de même la trite du synemmenon , la trite du diezeugmenon , et la trite de l’hyperbolæon. Mous observerons enfin que les huit sons consians ou immobiles , ont , dans tous les trois genres , un nom et une valeur commune ; et les dix autres , qui sont les mobiles , ont des noms communs, mais des valeurs différentes par exemple, la tierce de l’hypate-hypaton , s’appelle dans les trois genres , lichanos - hypaion cependant sa valeur diffère dans chacun , puisque la lichanos est un demi-ton plus haut que celui de l’enharmonique , et la lichanos du diatonique est L'ARCHITECTURE DE VITE EVE. 2l4 encore un demi-ion pins haut que celle du chromatique. Il résultoit de cela , que quelques tons qui se trouvoient dans un genre , ne se trouvoient pas dans un autre , et que réunissant ensemble tous les sons dont les anciens se servoient dans les trois genres , au lieu de dix—huit, ils en avoient vingt-cinq ? différons l’un de Pautre , répandus dans les trois genres, comme Pindiquent les lettres majuscules placées en marge de la table ciiée. Les anciens, comme nous le voyons à la fin de ce chapitre , comploient six consonnances. i.° Le diatessaron , que nous nommons la quarte ; 2 .° la diapente , que nous nommons la quinte ; 5.° Ic diapason , que nous nommons Poctave ; 4-° le diapason avec le diatessaron que nous nommons la quarte redoublée ; 5.° le diapason avec la diapente que nous nommons la quinte redoublée ; 6.° le disdiapason que nous nommons la double octave. Si l’on examine bien la chose , il n’existe cependant que trois consonnances , qui sont la quarte , la quinte et l’octave ; parce que les trois autres sont du même genre , et ont les mêmes valeurs que les premières ^ comme leurs noms le démontrent. Elles ne different de ceux-ci que parce que les sons forment un octave plus aigus. Nous avons introduit dans la musique moderne , des sons très-aigus , ce qui a rendu notre échelle beaucoup plus étendue que celle des anciens , en lui donnant plus de deux octaves , et par- conséquent plus de six consonnances ; mais l’échelle des anciens, n’ayant que deux octaves, Yitruve a raison de dire qu’il n’y avoit que six consonnances , parce que dans celte échelle , il ne pouvoit y en avoir davantage. Dans ce chapitre et dans le suivant , nous avons conservé beaucoup de termes grecs , parce que notre musique diffère trop de celle des anciens , pour que nous y puissions trouver des exemples et des termes qui nous donnent des idées exactes de tous les objets qui faisoient, chez eux , partie de cette science. Si Yitruve s’excuse d’avoir employé des termes grecs , parce qu’ils n’avoient pas d’équivalent en latin , quoique la musique latine fût la même que la grecque, son excuse sera bien plus valable pour nous , dont la musique est si différente. Ce n’est pas que les latins , ni nous , nous manquassions d’expressions pour rendre les mots grecs ; car on les trouve tous traduits en italien dans Barbaro et autres ; mais Yitruve enlendoit, ainsi que nous , que ces termes , devenus techniques, étoient alors tellement propres et identiques à l’art , que pour être entendus , lorsqu’on en parloit , il falîoit s’en servir tels qu’ils étoient , et non en les traduisant. Encore aujourd’hui dans tous les arts que nous avons appris des Grecs , nous avons conservé presque tous les termes techniques de leur langue. Ainsi un géomètre dira un cube et non un dé. Quoique y-tëoq en grec signifie en françois un dé à jouer. C’est à ceux qui enseignent les arts à expliquer ces termes. Par exemple , nous avons dit que ce que les anciens appeloient diagramme nous l’appelons gamme ou échelle , et qu’ils avoient des échelles pour chacun des trois genres. 1 en p LIVRE V, Chap. i n5- ARISTOXÈNE. GENERA. A / la . ut re la Y la Xk ut g DIÀTONICUM. hemitonium. tonus, tonus. A Proslambanomenos. b Hypate hypaton. c Parhypate hypaton. d Lichanos hypaton. e Hypate meson. f Parhypate meson. g Lichanos meson. A MeSE. ££a Trite synemmenon. ef B PARAMESE CHROMATICUM. hemitonium. hemiton. trihemiton. a Proslambanomenos. c Paranete E {syn. re ^ D Nete syn. > § b Hypate hypaton. c Parhypate hypaton. ££ c Lichanos hypaton, \ - e Hypate meson. f Parhypate meson. ^[f Lichanos meson. _ a Mese. ^ a Trite synemmenon. B Parames. HARMONICUM. diesis. diesis. ditonus. A Proslambanomenos. b Hypate hypaton. X b Parhypate hypaton. c Lichanos hypaton. e Hypate meson. X e Parhypate meson. f Lychanos meson. c Trite diez. b Paranete synemm. E q X E X mi g F fa " i J - g G s °/ A g la ^ d Paranete die- zeug. e -l e Nete diez. f Trite hyperbolœon. g Paranete hyperbolœon. A Nete hyperbolœon. I l n Nete sy~ nemm. c Trite diez. Paranete diez. - a Mese. X a Trite synemmenon. Paranete synemmenon. 1 b Paramese. Xb Trite. c Paranete diez. e-, e Nete diez. f Trite hyperbolœon. Paranete hyperbolœon. A Nete hyperbolœon. . d Nete syn. / e —- e Nete die, X e Trite hyperbolœon. f Paranete hyperbolœon. A Nete hyperbolœon. L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. \ ât6 CHAPITRE Y. Des Vases du Théâtre, Suivant ces principes et les règles de mathématiques, on fait des vases d'airain proportionnel à la grandeur du théâtre ; c’est-à-dire qu’on les fabrique de façon qu’en les frappant, ils rendent l’un le son de la quarte , l’autre celui de la quinte, et ainsi jusqu’à la double octave. On les place ensuite dans les petites cases pratiquées entre les sièges du théâtre; en observant les règles établies par la musique i, et de manière qu’ils ne touchent pas le mur , mais qu’il règne un espace vuide tout autour et au - dessus ; il faut aussi qu’ils soient inclinés, ayant le côté , qui regarde la scène, élevé par un soutien qui ne peut avoir moins d’un demi-pied de haut. On laisse devant ces petites cases, perpendiculairement, au degré d’en-bas , des ouvertures longues de deux pieds , et hautes d’un demi-pied. Voici la règle dont on se sert pour déterminer la place où il faut les faire. Si le théâtre n’est pas bien grand , au milieu de sa hauteur 2 on trace une ligne, autour de laquelle on dispose les voûtes des treize petites cases qu’on sépare par douze intervalles égaux. Les vases dont nous avons parlé plus haut, qui sonnent la neté-hyperbolæon , se placent dans les premières cases à l une et à f autre extrémités. Les secondes cases , à côté des premières seront pour les vases qui sont accordés à la quarte avec les premiers , et qui sonnent la neté - diezeug- menon. Les troisièmes seront pour ceux qui sont accordés à la quarte 3 qui forme la paramèse. Les quatrièmes seront pour ceux qui sont accordés à la * Planche XVII. me fig. 3 et 4- 1 C’est-à-dire que celui qui sera placé dans la deuxième case , rendra un ton qui sera la quarte de celui qui sera placé dans la première ; teïui de la troisième case rendra un ton qui sera la quinte du deuxième, et ainsi de suite , comme on le verra tout-à-l’heure, 2 Il faut faire attention que par le mot Théâtre les Romains entendoient proprement la masse de tous les degrés sur lesquels les spectateurs étoient assis, et qui > formoicnt plusieurs demi-cercles ; la place où les acteurs récitoient leur rôle , se nommoit pulpitum , scena ou proscenium. Ainsi lorsque Yitruve dit qu’il faut tracer un ligne au milieu de la hauteur du théâtre , media altitu- dinis transversa regis designetur , c’est-à-dire , en traduisant littéralement , qu’il faut établir un plan qui traverse le milieu de la hauteur du théâtre , il entend qu’il faut tracer au milieu de la hauteur de toute la masse des degrés , une ligne qui suive le contour du demi-cercl que forment les degrés, dans toute son étendue. 3 11 faut entendre que c’est avec les seconds que ces troisièmes vases sont accordés à la quarte. quarte LIVRE V , C h a p. y. 217 1 •f b* quarte et qui sonnent la nele-synemmenon. Les cinquièmes seront pour ceux qui sont à la quarte et qui sonnent la mese. Les sixièmes seront pour ceux qui sont à la quarte et qui forment 1 hypate - meson enfin il y en aura une au milieu dans laquelle sera le vase accordé à la quarte qui sonne l’hypate-hypaton. La disposition de ces vases fait que la voix qui vient de la scène comme d’un centre , s’étend en rond, résonne dans la cavité des vases et devient plus sonore et plus harmonieuse à cause des consonnances que forment ces différens accords. Mais si cest un théâtre ample et fort grand , on divise alors sa hauteur en quatre parties , pour y faire trois rangs de petites cases ; le premier pour le genre enharmonique , le second pour le genre chromatique et le troisième pour le genre diatonique. Le premier rang, commençant par en bas, sera destiné aux tons enharmoniques ; on le dispose d’après les règles que nous venons de prescrire pour les petits théâtres. Quant au rang du milieu , voici comme on le dispose on placera d’abord aux deux extrémités, dans les coins, les vases qui sonnent l’hyperbolæon du chromatique ; dans les deux cases suivantes , ceux qui sont accordés à la quarte et qui sonnent le diezeugmenon du chromatique; dans les troisièmes, ceux qui sont accordés à la quarte et qui sonnent le synemmenon du chromatique ; dans les quatrièmes , ceux qui sont accordés à la quarte et qui sonnent le meson du chromatique ; dans les cinquièmes, ceux qui sont à la quarte et qui sonnent 1 hypaton du chromatique ; dans les sixièmes, ceux qui sonnent la paramèse, qui , par une même conson- nance , sont accordés à la quinte avec l’hyperbolæon et à la quarte du meson du chromatique. On ne place rien dans la case du milieu , parce que les tons qu’on vient de nommer, sont les seuls dans le genre chromatique , dont on puisse tirer des consonnances. Dans la division ou le rang des cases d’en-haut, on placera dans les premières, qui sont aux extrémités , les vases qui sonnent 1 hyperbolæon du diatonique ; dans les secondes , ceux qui sont à la quarte et qui sonnent le diezeugmenon du diatonique ; dans les troisièmes, ceux qui sont à la quarte et qui sonnent le synemmenon du diatonique ; dans les quatrièmes , ceux qui sont à la quarte et qui sonnent le meson du diatonique ; dans les cinquièmes, ceux qui sont à la quarte et qui sonnent l’hypaton du diatonique ; dans les sixièmes, ceux qui sont à la quarte et qui sonnent la proslambanomenos. Le vase de la case du milieu sonnera la mese , qui est accordée à l’octave de la proslambanomenos et à la quinte de l’hypaton diatonique. Si l’on veut mieux et plus aisément comprendre ceci , il faut jeter un coup-d’œil sur la table diagrammatique qui se trouve à la fin de ce livre , dans laquelle Aris- loxène , avec un travail infini et la plus grande intelligence , est parvenu à réunir 28 218 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. tous les accords et les consonnances qui peuvent entrer dans les modulations de la h musique ; si l’on fait attention aux règles qu elle contient, à l’effet que produit la i'L voix et à ce qui peut la rendre plus agréable, il sera aisé de donner aux théâtres ;U toute la perfection possible. On dira , peut-être , que dans tous les théâtres qu’on élève tous les ans à Rome, on ne remarque pas qu’on ait employé aucuns de ces moyens. On se trompe en cela , puisque si on réfléchit que tous nos théâtres publics sont entièrement faits de bois et couverts de planches , on trouvera qu’ils résonnent naturellement; comme les musiciens nous le font assez connoître , lorsqu’ils veulent entonner des tons aigus car ils se tournent alors vers les portes de la scène , ce qui contribue à rendre leur voix plus sonore ; mais chaque fois qu’on bâtit un théâtre avec des matériaux solides , c’est-à-dire , où l’on emploie le ciment avec les pierres de tailles, le marbre , ou d’autres matières qui ne produisent aucune résonnance , il est indispensable , alors , d’observer toutes les règles que je viens de prescrire. Si l’on nous demande l’exemple d’un théâtre où ces choses sont pratiquées , nous ne pouvons le montrer dans Rome ; mais il en existe dans plusieurs endroits de l’Italie , et dans beaucoup de villes de la Grèce. INous savons de plus , que Lucius Murmuras, après avoir détruit le théâtre de Corinthe , transporta à Rome les vases d’airain qui s’y trouvoient, et qu’il les consacra avec les autres dépouilles dans le temple J dc la Lune. Plusieurs architectes très-habiles , qui ont construit des théâtres dans de petites villes qui n’avoient pas de moyens sufiisans, se sont aussi servis de vases de poterie, qu’ils ont choisi bien sonores , et les ont disposés de la manière indiquée , ce qui a produit le meilleur effet. REMARQUES. Les premiers théâtres dans la Grèce étoient de charpente , elle n’en ent pas d’autre jusqu’au temps de Craterus ; mais un jour que ce poète faisoit jouer une de ses pièces , la partie du théâtre où les spectateurs étoient assis , se trouvant trop chargée-, se rompit et fondit lout-à-coup. Cet accident engagea les Athéniens à élever des théâtres plus solides , comme nous le voyons dans ce, livre ; ils en firent construire qui ne le cédoient en magnificence à aucun édifice public, pas même aux temples des dieux. On a déjà vu qu’à Rome aussi, les théâtres ne se bâtissoient anciennement que de bois , et ne servoient que pendant quelques jours. Lucius Mummius fut le premier qui rendit ces théâtres de bois plus splendides , en enrichissant les jeux qu’on fit à son triomphe , des débris du théâtre de Corinthe. Ensuite Scaurus éleva le sien avec une telle magnificence , que la description du théâtre paroît appartenir à l’histoire des fées. Le théâtre suspendu et brisé de Scribonius Curion , moins magnifique que celui-ci , mais bien plus étonnant , par le Vf •>*' J* jldlf .lélti' 0 ;lal 1 , j ami é ' twa îiilffl fi* j j 1 il- LIVRE V, Chap. y. 219 ï genre d’industrie qu’il offroit , étoit de bois , et composé de deux hémicycles de gradins , aussi considérables que ceux des deux autres théâtres ; ces deux parties se tournoient à volonté , par le moyen d’un pivot qui les supportoit ; de plus , elles s’éloignoient et s’approchoient comme on le jugeoit à propos. Les fêtes et spectacles que Curion donnoit avant le repas , étant terminés , crainte que ceux qui étoient sur les deux théâtres ne se moquassent les uns des autres , il fit t tourner les faces de ces deux théâtres , et ensuite les remettre de front l’un vis-à-vis de l’autre 1. Pompée bâtit, le premier, un magnifique théâtre de pierre et de marbre, à l’imitation de celui de Mitylène, dont il rapporta le plan. Nous voyons dans ce chapitre que c’étoit le seul qui existoit du temps de Yitruve. Marcellus en construisit un autre, dans la neuvième région de Home, et ce fut Auguste qui le consacra. Les théâtres de pierres se multiplièrent bientôt ; on en comptoit jusqu’à quatre dans le seul camp de Flaminius. Trajan en éleva un des plus superbes qu’Adrien fit ruiner. '[ Ces théâtres de pierres n’étoient pas favorables à la voix, comme le dit Vitruve dans ce chapitre; elle ne pouvoit y retentir comme dans ceux faits de bois , qui étoient entièrement revêtus de plan- ^ ffi. ches ; ce qui formoit une caisse immense qui produisoit , en grand , un effet semblable à celui que produit la caisse d’un violon , ou d’un autre instrument de ce genre. Pour obvier à ce défaut des théâtres de pierres , les anciens employoient un moyen très-ingénieux , dont nous avons perdu l’usage. Nous retrouvons , dans ce chapitre , tous les détails de cette industrie on pratiquoit de petites cases sous les gradins, ou sièges; elles aVoient une ouverture dans le plan vertical des sièges , en face de la scène ; on y plaçoit des vases de bronze faits en forme de doche , et de différentes grandeurs , cependant proportionnés les uns avec les autres, afin de rendre les dilférens tons du grave à l’aigu. On verra leur forme , et la manière de les placer, dans la troisième et quatrième figures de la XVII e pl. Vitruve nous apprend dans ce chapitre que tous les théâtres , même faits de pierres , n’avoient ! pas toujours des vases de cette espèce. Je ne sache pas qu’on en ait trouvé , non plus que les cases f qui les contenoient , dans les théâtres d’Herculanum ni de Pompeia qu’on vient de découvrir. ^ 1 Les petits théâtres n’avoient qu’un seul rang de vases , qui rendoient les sons du genre enharmo- nique , et qui formoientwdes accords de quarte , les Tins avec les autf%s ; mais, dans les grands ^ théâtres , il y en avoit trois rangs , un pour chaque genre , et qui formoient les mêmes accords. uslq Mut x Ü* 0^ [ jdI 1 Ces vases étoient uniquement là , pour augmenter le son de la voix , en la faisant retentir, et non pour être frappés avec des marteaux , comme Cesarini et le père Kirker l’ont cru mal-à-propos. On plaçoit les vases qui rendoient les sons les plus aigus', vers les extrémités des coins du théâtre, et ceux qui rendoient les tons graves, au milieu. Le retentissement se faisant sentir avec plus de force dans le milieu où la voix est ramassée , il convenoit de donner cette situation avantageuse aux vases qui étoient pour les sons graves qui ne se portent pas loin avec la même force que les aigus. Dans les trois rangs y le deuxième étoit accordé à la quarte avec le premier , et ainsi des autres. i { 1 Pline ,Liv. XXXVI, Ch. x5. 28. 220 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Le père Kirker , dans son traité intitulé De arte magna consoni et dissoni , se vante d’avoir corrigé une faute dans le texte , où Vitruve dit, que le quatrième vase accordé à la quarte, sonnera la neté synemmenon. Reperd hoc loco , dit-il , insignem errorem , qui cum musicis prœceptis consistere non potest , estque diatessaron ad netem synemmenon. S’il avoit bien compris le texte, il n’y auroit pas trouvé de faute , ni ajouté , mal - à - propos , qu’il falloil supprimer le mot dia- tessaron , sans cependant se donner la peine de le remplacer par un autre , ou de donner quelque raison pour sa prétendue correction. Perrault soupçonne ici la même erreur , et d’après Meibomius , il substitue le mot diapente , à celui de diatessaron , et traduit, comme si l’auteur avoit voulu dire , que la nelé-synemmenon s’ac- cordoit à la quinte avec la neté-liyperbolæon. Ils prétendent tous deux que la même erreur s’est encore glissée , deux autres fois , dans les cas absolument semblables , où Yiiruve parle des rangs des vases destinés aux sons chromatiques et diatoniques qu’on plaçoit dans les grands théâtres; ils veulent qu’on les corrige de même, en lisant diapente, au lieu de diatessaron celte même expression, constamment répétée dans les mêmes circonstances , auroit cependant dû'les persuader du contraire. Ce n’est pas qu’ils eussent tort de dire que la nelé-hyperbolæon s’accorde à la quinte avec la nelé-hyperbolæon ; mais l’auteur ne parle pas de cela , et a voulu dire toute autre chose en examinant bien le sens du texte, on trouvera qu’il n’a rien que de très-naturel , comme je vais le démontrer. 11 faut considérer les cinq létracordes , dont se servoient les anciens , comme divisés en deux parties ; l’une contenoit les trois premiers, c’est-à-dire l’hypate, le meson et le synemmenon ; l’autre le diezeugmenon , et l’hyperbolæon. D’après cela , l’auteur nomme d’abord les trois sons de nelé- hyperbolæon, nelé-diezeugmenon et paramèse , en ajoutant qu’ils s’accordoient entre eux à la quarte, comme ils le font en effet. Il nomme ensuite les sons des deux autres tétracordes, comme détachés, et n’ayant aucuns rapports avec ceux-ci ; tellement que , quand il dit que la neté - synemmenon s’accorde à la quarte , il n’entend pas que c’est avec les sons dont il a déjà parlé ; mais avec celui qu’il va nommer ensuite, c’est-à-dire avec la mese , qui s’accorde aussi à la quarte avec l’hypate. Yoilà, comme l’auteur a eu raison de le dire diatessaron ad neten synemmenon. Et si ces critiques avoient un peu réfléchi , ils ne se seroient pas avisés de toucher ici au texte, en substituant le mot diapente à celui de diatessaron. Nous reviendrons sur cet objet en parlant de la distribution des vases pour les deux autres genres. Yoici comme les tons du genre enharmonique étoient distribués dans les petits théâtres , qui a’avoient qu’un seul rang de vases. 2 te H tel f es te! cy- o I 4 O a S w h ¥ a, ÏN , H N 1 § O a > tel g H CB tel S te H tel i a CS a CS a o a H CB El ffl K} tel î> H tel i w 3 H tel a I *i tel Ü> H tel i es Co i tel CB tel ' 5S tel H tel i CS es a o a > tel n» K tel CB tel S! tel H tel i 8 CS ta CS ! CS a o a 3 tel H •F § es te* o* o o a iitro il ïfliokp St en n - 0as îen'iu LIVRE V, C ii A p. y. 221 Dans les grands théâtres , on plaçoit trois rangs de vases , pour les trois genres ; ceux du rang d’en bas, destinés à rendre les sons du genre enharmonique , étoient distribués de la même manière que nous ayons vu qu’ils l’étoient dans les petits théâtres ; ceux du rang du milieu étoient pour les sons du genre chromatique , et ceux du rang d’en haut, pour ceux du genre diatonique. L’auteur, en parlant des vases qui composent le second rang , soit pour la brièveté, ou par oubli, néglige de nommer quels étoient les sons qui dévoient rendre parmi ceux qui composent le genre chromatique ; il se contente de nommer les tétracordes d’où ils étoient tirés. Il est aisé cependant de connoîlre aussi les sons , parce qu’il en spécifie quelques-uns , et l’on trouve les autres par les intervalles de quarte , de quinte et d’octave dont il exprime la distance de ceux qui sont spécifiés. Par exemple il dit que le vase de la sixième case de ce rang sonnoit la paramèse , et qu’il étoit accordé avec celui qui sonnoit l’hyperbolæon dans la première , et à la quarte "avec lé meson or la quinte de la paramèse dans l’hyperbolæon , est la trite , et sa quarte dans le meson est la lichanos. D’après cela , puisque tous les autres sons s’accordoient entre eux , à la quarte , il est aisé de les trouver tous , par le moyen de la table. Les premiers vases dévoient donc sonner la trite- hyperbolæon qui est la quinte de la paramèse; les seconds la trite - diezeugmenon , et formoient, entre eux , un accord de quarte ; les troisièmes sonnoient la paranèle-synemmenon ; les quatrièmes la lichanos-meson ; les cinquièmes la lichanos-hypaton ; ces trois derniers s’accordoient à la quarte entre eux et avec la lichanos-meson , qui est la quarte de la paramèse fixée par l’auteur. Perrault, Kirker et Meibomius lisent encore diapente où l’auteur dit diatessaron ad chromaticum diezeugmenon; par-là ils forment une échelle toute différente de la nôtre. Je crois inutile d’ajouter quelque chose , pour la réfuter , à ce que j’ai dit tout-à-l’heure , dans la même circonstance , en parlant des vases du premier rang. La disposition des vases du deuxième rang , pour le genre chromatique, étoit comme il suit, 6 6 H >— • O 6 3. O I a H "7 N • c§ a O a hd P >-S p a o r* CD I a cd o ET* £0 P O en I S CD CO O a CD et » Ci O en ? a s. O a TJ ► pi ► g bd os bd *•0 Pi g bd en ba p a o 'T i a § a o CT* P £3 O f » *-! P £3 fl> a CO I O- es*. ta ! s a o a H ’-s h* • CD $ o s o* o s* o a En parlant des sons du genre diatonique , employés pour le troisième rang de vases , l’auteur se borne encore , cette fois , à nommer seulement les tétracordes et non les cordes mais comme il spécifie pour la sixième case la proslambanomene, et pour celle du milieu la meson , qui fait l’octave de la proslambanomene, et la quinte avec une des cordes du tétracorde hypaton , on comprend aisément que celle-ci ne peut être autre que la lichanos-hypaton , qui forme un accord de quinte avec la meson. 222 L ARCHITECTURE DE V I T R U V E. D’après cela , puisque tous les autres sons doivent s’accorder à la quarte avec quelques-uns de ceux-ci, on trouvera facilement, avec un peu d’intelligence et le secours de la table , que ces autres sons doivent être ceux de la paranète-hyperbolaeon, et de la paranèle-diezeugmenon , qui s’accordent entre elles à Ja quarte , et avec la meson qui est spécifiée ensuite ceux de la paranète-synemmenon , de la lichanos-meson et de la lichanos-hypalon , qui s’accordent entre elles aussi à la quarte et avee la lichanos dont l’auteur fixe lui-même le ton en l’appelant la quinte de la mese. On a vu la disposition des vases dans les rangs qui contiennent les sons des genres enharmoniques et chromatiques voici celle du genre diatonique. 4 3 •a •n P •-S P S CD r- CD à Cfc 3 - O §* O » *0 fi? P D CD CD I B- CD ta CD Psi Cfq ’T » »-s P CS CD a CD o cr sa a O O a* W a O en 4 a ? a *0 £ o en ï> g td ï» Z O g fcd Z a a en a a o on a ï> g a z o g a z a o tr sa a o en I t a O a o ET 63 a o ►0 63 "S 63 a CD 63 63 a CD O, N . CD ta CD S CD a o a p ’-S P 3 CD r-p CD t CD >* O O §* a CHAPITRE VI. Zte la construction du Théâtre. On dessine le plan du théâtre de la manière suivante. Après avoir tracé le circuit de la partie inférieure, on place un centre dans le milieu a et l’on décrit tout autour un cercle FFF on inscrit, dans ce cercle , quatre triangles équilatéraux, et disposés par intervalles égaux , i de manière que l’extrémité de leurs angles touche sa circonférence. C’est ainsi que les astronomes divisent le cercle pour placer les douze signes célestes , d’après le rapport qui se trouve entre la musique et les constellations. ** Planches XVI et XVII. gles marquent sur cette circonférence douze points qui i C’est-à-dire que les pointes des angles de ces trian- la divisent en douze parties égales. ^ Le côté gg de ces triangles qui est le plus près de la scène , dans l'endroit où .il fait une section dans ce cercle, marque l’étendue de la façade qui termine la scène. On tirera ensuite une autre ligne parallèle bb à celle-ci, qui, passant par le centre, a séparera le pupitre du proscenium, G i de l’emplacement de l’orchestre A. Ainsi le pupitre sera bien plus étendu que celui des Grecs 2 , ce qui est nécessaire ; puisque chez nous, tous ceux qui représentent, le font sur la scène, l’orchestre étant réservé pour les sièges des sénateurs. Le pupitre ne doit pas avoir plus de cinq pieds de hauteur , afin que ceux qui sont dans Y orchestre puissent voir tous les gestes des acteurs. * On divise les amas de degrés 3 où sont placés les spectateurs au théâtre, dans tous les endroits où les angles eee des triangles touchent la circonférence du cercle; ces angles dirigent l’alignement des escaliers qui séparent ces amas jusqu’à la première précinction , G au-dessus de laquelle d’autres escaliers sépareront les amas des degrés supérieurs , se dirigeant alternativement sur le milieu des amas d’en bas ; les angles dans le plan d’en bas , qui désignent les escaliers , sont au nombre de sept ; les cinq autres désignent les parties qui composent la scène celui du milieu doit être vis-à-vis de la porte royale H les deux qui sont auprès , l’un à droite , l’autre à gauche , doivent correspondre aux portes des étrangers II les deux autres seront en face des passage's LL qui sont dans les coins. La hauteur des degrés, sur lesquels sont placés les sièges des spectateurs, ne peut avoir moins d’un pied et un palme 4 , ni plus d’un pied et six doigts leur largeur ne peut avoir plus de deux pieds et demi ni moins de deux pieds. REMARQUES. L’auteur nous apprend dans ce chapitre de quelle manière les anciens traçoient les plans de leurs théâtres. Ils décrivoient d’abord un cercle qui marquoit le fond du théâtre , ou l’orchestre c’est-à-dire l’espace qui est entouré par les degrés. J’ai entendu du moins comme cela les expres- 1 Le proscenium ou le pupitre du proscenium étoit la même chose. Par pupitre on entendoit l’échafaud ou la masse de maçonnerie sur laquelle la scène étoit élevée. Ainsi c’est comme si Vitruve avoit dit l’échafaud du proscenium. 2 En jetant un coup-d’œil sur la planche XVI qui représente le théâtre des Romains , et sur la XVII e qui représente celui des Grecs, on verra d’abord combien le pupitre du théâtre romain étoit plus large que celui des Grecs, et, au contraire, combien l’orchestre grec étoit plus grand que celui des Romains. * Planches XVI. e et XVII.» 3 En latin cunei. Voyez l’explication de ce mot dans nos remarques à la fin de ce chapitre. 4 Un pied et un palme des anciens romains faisoient un peu moins que quatorze pouces de France , et un pied sis doigts un peu plus de quinze. 224 L ’ A R C H I T E C T U R E DE Y I T R U V E. sions perimetros imi. Perrault et Galiani leur ont donné le même sens , au lieu que Philander , Barbaro et autres ont cru , irès-mal-à-propos , que ce cercle devoit contenir toute l’étendue du plan du théâtre prise en dehors ; aussi n’ont-ils pu parvenir à en tracer la figure , ou celles qu’ils en ont tracées , d’après ce principe , sont si opposées avec le reste du texte , qu’il est inutile de prendre la peine de les réfuter. On divisoit ensuite la circonférence de ce cercle en douze parties égales par le moyen de quatre triangles ou de trois carrés pour les théâtres grecs comme les astronomes , dit Yitruve , ont coutume de tracer les douze signes du zodiaque suivant le rapport qu’il y a entre la musique et les constellations. On voit que l’auteur en revient encore aux principes des pythagoriciens. Dans le i. er chapitre du I. er livre , nous avons vu que ces philosophes prétendoient que les mouvemens des corps célestes formoient une harmonie. Pour comprendre donc comment ils trouvoient un rapport entre la musique et une circonférence divisée en douze parties égales , comme le zodiaque , soit par le moyen de quatre triangles équilatéraux , soit par le moyen de trois carrés qu’on employoit pour former le théâtre des Grecs , il suffit de connoître ce passage de Plolomée le soleil , dit-il , en parcourant le zodiaque , forme trois carrés , parce qu’il y a autant de consonnances de quarte. Il forme aussi quatre triangles, parce que c’est le nombre des consonnances de quinte. 1 Le côté d’un de ces triangles marquoit le fond de la scène , dont le devant s’avançoit chez les Latins jusqu’au centre du cercle qu’on avoit tracé d’abord par conséquent le devant de la scène étoit aussi étendu que le diamètre de ce cercle. La partie que nous appelons aujourd’hui proprement théâtre, c’est-à-dire, celle destinée aux acteurs, se divisoit en deux, le proscenium et le postscenium. La plupart des interprètes ont cru , comme nous l’avons déjà observé , que par les mots scena et pulpitum que Yitruve emploie quelquefois, il entendoit autre chose que le proscenium y mais ils se sont trompés , ces trois mots étant synonymes j’ai fait voir dans les notes sur ce chapitre , que ces mots signifioient toujours la même chose que le proscenium, a J’en ai été sur-tout convaincu en voyant les ruines des théâtres d’Herculanum et de Pompeia près de Naples. Ils ont été ensevelis tous deux sous les laves du Yésuve. Les couches qui couvrent le premier , ont plus de quatre-vingt pieds d’épaisseur. On est parvenu par des excavations à découvrir une grande partie de ce théâtre. Pour parvenir dans le vaste souterrain , sous lequel on le voit aujourd’hui , il faut suivre de longues galeries qu’on a creusées dans les laves. Mais on ne peut le voir tout entier , parce qu’on a été obligé délaisser, de distance en distance, des piles pour soutenir l’énorme masse qui s’élève sur sa voûte. Ensuite on a dû remplir une partie des excavations , parcequ’on craignoit pour la ville de Portici qui est bâtie en partie au-dessus précaution d’autant plus nécessaire , que ce terrain , situé au pied du mont Yésuve, est sujet à être ébranlé par des fréquens tremblemens de terre. Les ingénieurs de Naples qui ont dirigé ces fouilles , ont eu l’attention de faire exécuter un petit modèle, en relief, de ce théâtre, et l’ont placé dans le souterrain. Il représente exactement toutes les parties qu’on en a découvertes, et en facilite la recherche aux observateurs. Quant à doit particulièrement l’c'le'vation de la scène , c’est-à-dire , la hauteur depuis le p&ve' de l’orchestre jusqu’à celui de la sçène. 1 Harmonie , liv. III , Ch. 9. Çî Sauf cependant que par le mgt pulpitum > il paroît qu’on enten- celui LIVRE V, G h a p. ti. o 2 celui de Pompeia , les cendres du Yésuve qui l’ont enseveli comme tout le reste de celte ville , ne le couvre pas au-dessus du faîte de ses murailles ; lorsque je l’ai vu, il étoit presqu’enlièrement découvert ; toutes ses parties étant en plein jour , on n’est pas gêné comme dans celui d’Hcrcu- lanum j on le voit tout entier au premier coup-d’oeil. Dans l’un et l’autre de ces deux théâtres , j’ai remarqué toutes les parties dont parle Vitruve , entre autres le -proscenium , et je n’en ai rencontré aucune autre, à laquelle on pût donner le nom de pulpïtum ou de scena. Les angles des triangles tracés dans le cercle indiquoient la place des escaliers qui séparoient les amas de degrés sur lesquels les spectateurs étoient assis. Les escaliers , qui tendoient droit au centre du théâtre , donnoient une forme de coin à tout cet amas de degrés qui étoient compris entre les précinctions et les escaliers , à cause que d’une base large , ils aboient en étrécissant, d’où on les a nommés en latin cunei. Nous n’avons pas de terme propre en françois pour rendre celte expression latine ; parce que nous ne nous servons plus de pareils théâtres. Cette division de sièges ou de degrés servoient, comme nous l’avons déjà observé , pour séparer les différées ordres de citoyens. Un de ces coins étoit occupé par les magistrats , d’où on l’appeloit bulenticos y un autre par les jeunes gens , d’où on le nommoit ephebeos y un autre par les chevaliers , d’autres enfin par le peuple. C’est de-là que sont venues ces expressions cuneaio et discunectto , pour dire que Quelqu’un étoit admis dans sa place au théâtre , ou qu’il en étoit chassé. Nous avons déjà observé qu’une grande façade décorée de colonnes et d’autres ornemens d’architecture , occupe le fond de la scène des théâtres anciens 1. Dans le milieu de cette façade se trouve une grande porte qu’on nomme la porte royale j aux deux côtés de celle - ci , il y en a deux plus petites nommées portes des étrangers. L’usage des jeux scéniques est venu à Rome de la Grèce. Les pièces de théâtre latines sont presque toutes traduites ou imitées du grec , aussi retrouve-t-on, dans les théâtres romains, toutes les parties qui composent celui des grecs. On leur a même laissé les noms qu’elles avoient dans cette langue. Hormis la grandeur de l’orchestre et celle de la scène, tout le reste est semblable , et a bien plus de rapport aux usages des Grecs qu’à ceux des Romains. * Dans le dixième chapitre du VI. e livre, nous verrons que, dans les maisons grecques , il y avoit dans le milieu , un grand bâtiment occupé par le propriétaire , et sur les côtés deux plus petits destinés à loger les étrangers , ayant chacun leur porte particulière , ce qu’on peut voir dans la XX. c planche. Comme dans la plupart des pièces de théâtre , le principal personnage est censé avoir son habitation sur la scène, il convenoit, suivant l’usage des Grecs , que celles destinées aux étrangers s’y trouvassent aussi ; puisque ceux-ci interviennent souvent dans les pièces c’est pourquoi la grande porte du milieu représentoit la principale entrée de la maison du maître ; et les deux petites sur les côtés, celles des étrangers. Je ne sais , dit Galiani , où M. r Boindin a été trouver que la seule porte à gauche étoit destinée aux étrangerset que l’autre l’éâoit à d’autres personnages. 2 Outre l’entrée du maître de la maison , et celles des étrangers, qui étoient logés chez lui^ il y avoit, pour 1 On a trouvé les ruines de cette façade , et la plupart des colonnes qui s’y trouvoient, en déterrant le théâtre d’Herculanum. 2 Discours sur les théâtres antiques. Mém. de l’acad. des insc. et belles lettres. T. 1. 29 2^6 L’ARCHITECTURE DE V I T II TJ V E. paroître sur la scène , deux autres issues aux deux extrémités de la façade du fond ; l’une étoit pour les personnages qu’on suppose venir du forum ou des autres quartiers de la ville , et l’autre pour ceux qu’on suppose venir de la campagne. CHAPITRE VIL Du Portique et dautres parties du Théâtre , La couverture du portique D qu’on e'iève au-dessus du dernier gradin, doit être de niveau avec celle qui termine le haut de la scène ; parce que le son de la voix se répandant d’une manière égale , s’élève jusqu’au dernier, degré et parvient jusqu’au toit ; il se perdroit bientôt, si, parvenu à cette hauteur , elle se trouvoit moins élevée que celle de la scène. ** On prend ensuite la sixième partie du diamètre AF de l’orchestre qu’on porte sur les degrés inférieurs, et on coupe à plomb de cette mesure, tant aux extrémités que dans le circuit, pour y percer les entrées ; et dans l’endroit où l’on aura fait cette coupure, on placera les chambranles des portes qui, comme cela, seront assez élevées. *** Il faut que la scène GG soit deux fois aussi longue que le diamètre de l'orchestre. i Le piédestal, posé sur le pupitre, doit avoir de hauteur, y compris sa base et sa corniche , la douzième partie du diamètre de l’orchestre. Sur ce piédestal,, on pose les colonnes , qui , avec leurs chapiteaux et leurs bases, auront la quatrième partie de ce diamètre. Les architraves et les autres ornemens auront ensemble la cinquième partie de la grandeur des colonnes. Là dessus il y aura un autre piédestal qui, avec la base et sa corniche , n’aura que la moitié du piédestal d’en bas. Les colonnes , qu’on posera sur ce piédestal , seront moins hautes du quart que celles d’en bas. * Les architraves et les autres ornemens de ces colonnes seront de la cinquième partie de la colonne et si l’on met un troisième ordre de colonnes sur la scène , il faudra que le piédestal d’en haut soit de la moitié du piédestal du Planche XVI. me pitre, que, par le diamètre de l’orchestre, il entend le ** Planche XVl. me demi-diamètre du cercle , sur lequel on a tracé le plan *** Planche XVI. me fig. 3. du théâtre. i On verra dans les remarques à la fin de ce cha- Planches XYI. mc et XVII. me %!• r , lüle,J LIVRE V, Ch A p. r i i. •'! rp milieu. Les colonnes du dernier ordre doivent être plus courtes de la quatrième partie que celles du second , et il faut que leurs architraves avec la corniche et les autres ornemens réunis , soient de la cinquième partie de la colonne , comme les autres. Il ne faut cependant pas croire que ces proportions et ces règles produiront toujours les mêmes effets , et conviendront également à tous les théâtres ; mais l’architecte doit connoître ces proportions et étudier ces règles pour savoir les appliquer suivant la nature des lieux , et la grandeur de l’édifice. Il y a beaucoup de choses que l’usage , auquel elles sont destinées , oblige de faire de la même grandeur dans les petits théâtres , comme dans les grands. Tels sont les sièges , les précinctions , les balustrades , les passages, les escaliers, le pupitre , les tribunes et autres choses semblables , que leur destination particulière empêche d’assujétir à la proportion générale. On peut également, lorsqu’on n’a pas de pièces de marbre ou de charpente , ou d’autres matières d une grandeur suffisante, retrancher ou ajouter un peu à l’ouvrage , pourvu qu’on le fasse avec intelligence et discrétion ; ce qui exige dans l’architecte beaucoup d’expériences , d’habiliié et de talent. La scène doit être dégagée et disposée de manière qu’au milieu, il y ait une porte ornée comme celle d’un palais royal ; H * à droite et à gauche deux autres portes pour les étrangers II; i à côté de celles-ci les espaces K destinés aux décorations. Les Grecs appellent cet endroit periactous 2 à cause qu’on y place les machines M triangulaires qui tournent à volonté. Chacune de ces machines a trois différentes espèces de décorations, qui procurent des changemens en tournant leurs différentes faces , soit lorsqu’on change de pièce , soit lorsqu’on fait paroître les dieux accompagnés de leur tonnerre. Au-delà sont les galeries LL qui conduisent sur la scène ; on suppose que par l’une on vient de la ville , et par l’autre de la campagne. REMARQUES. Nous avons remarqué qu’on pénéiroit dans l’orchestre et sur les précinctions , par plusieurs issues qu on appeloit vomitoires > vomitorium y parce qu’elles sembloient vomir la foule du peuple qui enlroit par-là sur l’orchestre , et les précinctions , pour aller se placer ensuite sur les degrés. j ^ Il falloit naturellement que les degrés fussent interrompus , par une coupure , dans les endroits u taot i 1 toit »? »***’! * Planches XVI. me et XVII. me 1 Voyez le io. me Chap. du Vl. me Liv., et les remar= ques qui sont à là fin. 2 C’est-à-dire que l’on fait tourner. 29. 228 L'ARCHITECTURE DE VIT R U VE. où se irouvoient les portes des issues. Vitruve dit qu’il faut avancer cette coupure dans les degrés, de la longueur de la sixième partie du diamètre de l’orchestre. Orchestra inter gradus irnos quam diametron habuerit. * Par diamètre , on entend littéralement une mesure qui passe par le milieu ainsi par le diamètre de l’orchestre , Vitruve entend une ligne qui passe par son milieu ; et comme il n’occupe que la moitié du cercle e , F , a , b , g , g , b , e , FF , qui a servi à tracer le théâtre , ce ne peut être que le demi-diamètre de ce cercle a , e , et non le diamètre b , a , b ; d’ailleurs une coupure de la sixième partie de ce dernier diamètre seroit disproportionnée. Comme Galiani, j’ai placé ces portes , ou vomitoires , au milieu de chaque amas de degrés en F ; et non dans la place des escaliers , scalæ en e , comme Perrault l’a fait en dépit de la raison et du bon sens car le peuple , comme nous l’avons dit , entroit dans l’orchestre par ces portes, et ensuite montoit. par les escaliers , pour aller se placer et s’asseoir sur les degrés ; ce qui lui eût été impossible de faire avec les escaliers du premier rang, placés immédiatement au-dessus des portes , comme ils le sont dans les dessins du traducteur françois , où ils semblent conduire les gens pour se précipiter. Le meme auteur ayant aussi oublié de placer des portes ou vomitoires sur les précinctions , les spectateurs suivant lui dévoient d’abord monter au portique d’en haut par les escaliers 5,4, 5. Plane. XVII , fig. l et 2 ; et descendre ensuite par les escaliers dans les gradins. Quelle incommodité pour le beau-sexe qui se plaçoit dans cette galerie , et pourquoi faire monter et descendre aussi inutilement lès spectateurs ? "Vitruve s’est d’abord principalement attaché à donner les principes d’après lesquels on devoit construire la partie du théâtre occupée par les spectateurs ; c’est-à-dire l’hémicycle des gradins sur lesquels on éloit assis. ïl s’attache ensuite à décrire la partie destinée aux acteurs , que nous nommons la scène c’est la portion du théâtre des anciens sur laquelle les savans sont le moins d’accord , et sur laquelle il leur reste encore bien des recherches à faire. De tous les monûmens antiques dont la conservation eût été si utile pour l’intelligence des auteurs anciens , et qui ont été renversés par la main destructive du temps , et plus encore par celle de la barbarie et de l’ignorance , nous devons sur-tout regretter la perte des théâtres. 11 est vrai que dans le midi de la France , en Allemagne et sur-tout en Italie , il n’y a pas de petite contrée où l’on ne trouve les ruines de quelque théâtre , sur lesquelles les savans ont plusieurs fois exercé leurs lalens , mais il faut convenir que presque toutes leurs recherches ont eu pour objet l’hémicycle de degrés occupés par les sièges des spectateurs la chose la plus aisée à comprendre , puisque celte partie ressemble en tout à l’amphithéâtre , dont plusieurs sont encore sur pied en grande partie. Il éloit bien plus intéressant de connoître la situation de la scène et de tout ce qui la concerne,' cet objet étoit bien plus digne de leurs recherches ; ils auroient pu , peut-être , parvenir à en tracer un plan exact , en comparant les découvertes qu’ils auroient faites parmi les restes épars des différentes ruines de théâtres qui existent encore. Les difficultés les auront sans doute dégoûtés * Planche SVI. me LIVRE V , C H A P. VIL je ne connois , à cet égard , que le célèbre Clerisseau , arcbitecie françois , qui ait des droits à l a reconnoissance des amateurs des beaux-arts , pour ses recherches sur le proscenium du théâtre d’Orange. Il les a poursuivies avec un courage unique, sans être rebuté par les peines , ni les fatigues, ni sur-tout par le spectacle affreux que les prisons , qui occupent ce monument , renouveloient sans cesse à sa vue. On ne peut assez apprécier le mérite de ce travail rebutant et difficile ; son résultat a été des plus»utiles et des plus curieux. Il laisse cependant encore beaucoup à desirer. Galiani , qui a fait imprimer sa traduction de Vitruve en 1768 , dit avoir vu les plans de plusieurs théâtres qui avoient été engloutis et qu’on avoit déterrés ; mais que dans la plupart, la scène ne se trouvoit pas dessinée , ou , ce qui étoit pire encore , qu’on l’avoit ajoutée d’après le caprice de quelque architecte. Depuis lors , on a découvert le théâtre de Pompeia , que j’ai vu en 179a ; j’y ai remarqué le proscenium , tel que le décrit Vitruve , et tel qu’il est représenté dans les planches de l’édition de Perrault et de Galiani ; j’aurois désiré le dessiner sur les lieux et en prendre les dimensions • mais cela étoit défendu. Les fouilles que l’on continue dans cet endroit produiront peut-être un jour de nouvelles lumières en attendant je tâcherai d’expliquer cette partie de l’ancien théâtre , telle que nous la connoissons. Les anciens avoient , comme nous , des décorations versatiles ; c’étoit des triangles suspendus , faciles à tourner , et portant des rideaux où. éloient peints différents objets suivant les trois genres de pièces, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Tous les interprètes , avant Galiani, avoient placé ces décorations derrière les trois portes qui sont dans la façade qui termine la scène, c’est-à-dire derrière la porte royale et les deux portes des étrangers. Us n’auroient pas commis cette erreur , comme l’observe le traducteur italien , s’ils avoient bien réfléchi sur les paroles tlu texte, et fait altënlion sur-tout à l’ordre que l’auteur suit en décrivant cette partie de la scène. On voit en effet qu’il commence par le milieu , et continue ensuite à décrire , i’un après l’autre, les objets qui se suivent sur les côtés à droite et à gauche. Mecliœ vcilvœ ornatus habeant aulœ regiœ , dit-il} la porte du milieu aura la magnificence de celle d’un palais royal. Il continue ensuite en disant dextra ac sinistrci hospitalia. Voilà donc qu’il parle immédiatement après ces deux objets qui étoient aux deux côtés de celle-ci , c’est-à-dire des portes des étrangers. Il continue toujours, et dit secundum ea , c’est-à-dire ensuite de celle-ci, à côté de celle-ci. Spatia ad ornatus comparata , se trouve l’espace où l’on place les décorations. 11 continue encore en disant secundum ea c’est-à-dire après cet espace , en suivant toujours la même ligue sur les côtés à droite et à gauche , versurœ sunt procurrentes , etc. , sont les deux galeries qui conduisent en dehors et qui forment deux chemins pour les acteurs ; l’un qu’on suppose venir de la ville et l’autre de la * campagne. L’auteur comme nous voyons se sert deux fois du mot secundum si cette expression , comme on l’a cru jusqu’à présent , avoit pu signifier , la première fois qu’il l’emploie , le derrière et non le côté des portes , elle auroil du signifier la même chose la seconde lois , et dans ce cas il n’étoit plus possible de placer les galeries. * De plus , les portes de celle façade représenloient, comme nous avons vu , les portes de véri- 2 3o L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. tables habitations ; ne seroit-il pas souverainement ridicule d’aller placer dedans , des décorations qui représentant tantôt un bois, tantôt des habitations , et d’autres fois des rochers , auroient empêché l’entrée de la maison du maître , et celle du logement des étrangers ? On dira peut-être qu’il n’y avoit pas beaucoup plus de convenance à placer sur les côtés de la scène, les décorations qui représentent des bois , des rochers on des maisons , tandis que le milieu est occupé par la façade d’un palais j’en conviens ; mais il faut avouer cependant , que cela ne répugne pas autant que de placer ces décorations sous des portes. On sait que ces décorations chez les anciens servoient plutôt à indiquer le genre de spectacle qu’à représenter 3 comme elles le font aujourd’hui , le lieu ou la scène se passe , tel que la vue d’une ville , l’appartement d’un palais , une forêt t etc. Il n’y a pas long - temps qu’on est parvenu , avec le secours de 1 la perspective , à faire que le théâtre représente aussi exactement tous les changemens de scène. Même encore à présent , dans les théâtres de petites villes d’Italie , le fond de la scène ne change jamais , et représente toujours des habitations ; c’est pourquoi on l’appelle il domo , tiré de domus , tandis que les décorations sur les côtés changent et représentent , suivant les circonstances , ou des les de la bois , ou des maisons , ou d’autres objets. Un passage de l’Electre de Sophocle vient encore à l’appui de notre opinion. Dans la première scène du premier acte, le gouverneur d’Oreste lui dit cette ville qui est à notre droite , c’est l’ancienne ville d’ que vous voyez à votre î gauche , c’est le célèbre temple de Junon. et ce palais , c’est le malheureux palais des fils de Pélops. Il indique absolument le lieu de toutes les parties de la scène , comme nous avons cru devoir les placer d’après le texte de Yilruve. Le palais est au milieu. La ville et le temple de Junon sont représentés sur les décorations ? l’une à droite et l’autre à gauche, ainsi sur les côtés de la scène, CHAPITRE VIII Des trois espèces de Scènes et des Théâtres Grecs. N ous avons trois différentes espèces de scène , savoir la tragique ; la comique; et la satirique. Leurs décorations ne se ressemblent pas ; la scène tragique est ornée de colonnes , de frontispices , de statues et autres ornemens qui conviennent aux palais des rois, La scène comique représente des maisons particulières avec leurs balcons , leurs fenêtres , disposées comme le sont les habitations ordinaires. La scène satirique enfin représente des arbres, des rochers , des montagnes , des lieux agrestes elle imite , en un mot, des situations champêtres. ! i JlftC li ! i Ifk U LIVRE V, C h a p, vin. sSi ' Dans les théâtres grecs, tout n'est pas exactement fait comme dans les nôtres; d’abord, au lieu de quatre triangles, qui font la distribution du théâtre des Latins', et qu’on inscrit dans le cercle tracé sur la terre , ils mettent trois carrés dont les angles touchent la circonférence du cercle ; le côté [ hh ] de ces carrés, qui est lé plus proche de la scène , et fait une section dans le cercle, termine le devant de la scène; on trace ensuite une autre ligne [gg] parallèle à celle-ci et qui touche l’extrémité du cercle , pour terminer le fond de la scène on tire encore une autre ligne [bb] parallèle aux deux autres, qui passe par le centre de l’orchestre, vis-à-vis du proscenium, et où cette ligne coupe la circonférence; à droite et à gauche, on marque les points [bb] on place ensuite le compas dans le point [b] à droite , et avec l’intervalle gauche [bb] on trace la portion du cercle [b i ] jusqu'au côté droit du proscenium. On place également le compas dans le point [$] à gauche, et avec l’intervalle droit [bb] on trace une autre portion de cercle [b 2 ] jusqu’au côté gauche du proscenium. Par le moyen des trois centres que nous venons de décrire , les Grecs ont un orchestre plus spacieux; leur scène est plus éloignée , et leur pupitre, qu'ils appellent logeion , plus étroit. C'est pourquoi , chez eux, il n’y a que les seuls acteurs des tragédies et des comédies qui jouent sur la scène; tous les autres sont dans l’orchestre. Delà vient que les Grecs appellent leurs acteurs, les uns scéniques et les autres thyméiéens. Le logeion ne doit pas avoir moins de dix pieds de hauteur ni plus de douze. Les escaliers qui séparent les amas de degrés jusqu’à la première précinction , seront dirigés sur les angles des carrés, [ eee ] * et on dirigera sur le milieu de ces amas de degrés, les escaliers de ceux qui seront au-dessus de la précinction si l’on en fait encore dautres au-dessus de ceux-ci, on dirigera les escaliers de la même manière. Après avoir soigneusement combiné tout ceci, il faut s’appliquer à choisir un local où la voix s’arrête doucement et où l’écho n’occasionne aucune confusion lorsqu’elle parvient à l’oreille car, dans plusieurs endroits , les mouvemens de la voix sont naturellement interrompus. Tels sont les lieux dissonans que les Grecs appellent cathe- chondes , les circonsonnans qu’ils appellent périchondes , les résonnans qu’ils appellent antechondes , et les consonnans qu’ils appellent synechondes. Les endroits dissonnans sont ceux dans lesquels les premières syllabes s’étant élevées jusqu’en haut, sont repoussées par quelques corps solides , de sorte qu’en retom- * Planche XVI. me et XVIl. iai! ** Planche XVlI, Ine L’A îi C H I T E C T U R E DE V I T R U Y E. bant, elles étouffent celles qui les suivent. Les circonsonnans sont ceux dans lesquels la voix étant renfermée, se perd en tournoyant et ne paroît pas bien articulée ; les résonnans sont ceux où quelques corps durs produisent une réflexion qui imite la voix, tellement que les dernières syllabes sont répétées; les consonnans enfin sont ceux qui aident à la voix, augmentent sa force à mesure quelle s’élève, la conduisent nette et distincte jusqu’aux oreilles. Ainsi, dès qu’on met tout le soin et le discernement nécessaire pour le choix d’un lieu propre, la voix produira l’effet convenable dans le théâtre. Quant à la forme des théâtres , la différence consiste en ce que ceux, à l’usage des Grecs , sont tracés par le moyen des carrés; et que ceux, à l’usage des Latins, le sont par le moyen des triangles. Ceux qui veulent construire, avec toute la perfection possible, des théâtres, n’ont qu’à suivre ces principes. REMARQUES . Les anciens n’avoient pas multiplié, comme nous, les changemens de décorations dans leurs théâtres; ils n’en avoient que de trois espèces* La première représentoit des palais , et ofFrôit toutes " les richesses de l’architecture ; elle étoit destinée pour la tragédie. La seconde représentoit des habitations privées; c’étoit pour la comédie. La troisième représentoit des forêts, des rochers, des lieux agrestes, pour les scènes satiriques; genre de pièce dramatique, qui est absolument abandonnée et presqu’oûbliée présentement. De tous les ouvrages que les anciens ont composés en ce genre, il ne nous reste plus que le Cyclope d’Euripide. 11 paroît que les pièces satiriques étoient pleines de libertés brutales et grossières, comme il s’en trouve en effet dans le Cyclope. / II faut remarquer que chez les anciens, le lieu où se passoit la scène étoit toujours censé être un lieu public , et jamais un lieu fermé ; parce que , d’après les règles établies pour le théâtre , la comédie, et surtout la tragédie, doit représenter une action publique et visible. Ce n’est que dans une profonde ignorance des règles , qu’on a établi la coutume de mettre la scène dans lès chambres et dans les cabinets, comme le remarque très-bien le traducteur françois de la poétique d’Aristote. Le lieu de la scène, dans presque toutes les pièces de Sophocle et d’Euripide, est dans une place publique, vis-à-vis d’un palais. La grande façade, qui remplissait le fond du théâtreconvenoit donc à presque toutes ces pièces. Si quelqu’objet particulier , comme un temple, une statue , un tombeau, etc. , devoit se trouver sur le théâtre, on le plaçoit parmi les décorations mobiles sur le côté ce qui se voit clairement par les pièces des auteurs grecs que je viens de citer. L I Y R E V, C h A p. y i ii. a33 im ifs,fcH d ^ .5 cba s* 11 La principale différence qu'il y avoit dans la distribution des théâtres grecs, et ceux des Latins , c’est que la scène ou proscenium, de ces derniers étoit bien plus étendue qu’elle ne Fétoit dans les premiers} et qu’en revanche l’orchestre occupoit un plus petit espace} parce que, dans les théâtres latins , c’éloit en grande partie aux dépens de l’orchestre que le proscenium s’avançoit aussi fort. Nous avons vu que l’orchestre droit son nom du mot grec ôpXio'xai qui signifie sauter, parce que chez les Grecs , c’étoit là que s’exécutoient les danses , que se tenoit le chœur , et les autres accessoires du drame. Le proscenium qui , comme on peut le voir sur le plan , étoit très-étroit dans leurs théâtres, étoit réservé pour les acteurs qui récitoient. II paroît même qu’en avant du proscenium dans le milieu , il y avoit une tribune qui * s’avançoit vers le milieu a de l’orchestre qui s’appe- loit le thymélé , destinée particulièrement à placer l’acteur au moment où il récitoit son rôle ; étant ainsi placé en avant de la scène , presqu’au milieu des spectateurs , il en étoit bien plus aisément entendu. Yitruve nous parle bien de certains acteurs , qui , chez les Grecs , s’appeloient les thymé- léens} mais il ne nous dit rien de l’espèce de tribune qui s’appeloit le thymélé. On peut en voir le dessin dans le plan du théâtre que M. l’abbé Barthélemy a joint au voyage du jeune Anacharsis. Le pupitre, c’est-à-dire la scène, étoit beaucoup plus élevée chez les Grecs que chez les Romains, parce que chez les premiers il n’y avoit point de spectateurs dans l’orchestre } ainsi les Grecs éle- voient leur scène jusqu’à douze pieds , tandis que l’orchestre des théâtres romains étant occupé par les personnages les plus respectables qui se trouvoient au spectacle , ils n’élevoient pas leur scène au-delà de cinq pieds , pour que tous ceux qui étoient dans l’orchestre pussent voir tout ce qui' se passoit sur la scène. Nous venons d’observer , d’après les règles qu’Aristote rapporte dans sa poétique , et d’après l’exemple des meilleurs poètes grecs , qu’ils plaçoient toujours la scène dans un lieu public 5 la tragédie , sur-tout , étant la représentation d’une action publique et visible , qui se passe entre des personnages illustres , et de la plus grande élévation ; il n’est ni vraisemblable , ni possible , que cette action se passe en public , sans qu’il y ait beaucoup de gens , autres que les acteurs , qui y soient intéressés , et dont la fortune dépende de celle des premiers personnages. Aussi toutes les tragédies des poètes grecs sont-elles toujours accompagnées d’un chœur composé de différens ordres de citoyens , soit de prêtres , de vierges , d’enfans , etc. Ils étoient censés être le public présent et intéressé à l’action. C’étoit au chœur que les acteurs s’adressoient lorsqu’ils paroissoient interroger le public c’éloit le chœur qui leur répondoit , et se trouvant placés , comme nous le dirons loul-à-l’heure , dans l’orchestre au milieu des spectateurs , ceux-ci se trouvoient , pour ainsi dire , ne faire qu’un avec lui j ils s’identilioient bien davantage avec la scène qui étoit représentée. Le chœur se plaçoit dans l’orchestre , dès le commencement de la pièce , et y restoit jnsqu’à la fin. Il en faisoit tellement partie que , sans le chœur , il n’y auroit plus eu de tragédie. Sa j^rincipale fonction étoit de marquer , par ses chants , les intervalles des actes, pendant que les acteurs , que la nécessité de l’action avoit fait sortir de la scène , étoient absens. Un autre motif rendoit le chœur encore plus nécessaire au théâtre des Grecs } on sait que les jeux et les spectacles tenoient chez eux intimement à la religion. On donnoit les spectacles les jours des fêtes qu’on célébroit en l’hon- Planche 3o L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. neur des dieux. La plupart représentoient des actions qu’on atlribuoient aux dieux et aux héros. Le but de ces pièces étoit d’inculquer dans l’esprit des spectateurs les maximes et les principes de leur religion. C’est pour cela qu’Aristote dit , que la tragédie n’a été inventée que pour l’instruction des hommes ; il falloit donc qu’elle répondît à ce dessein. L’ancienne tragédie atteignoit parfaitement le but de son institution par le moyen des chœurs , comme on le voit dans les pièces de Sophocle et d’Euripide. Ces poêles se conforment toujours à l’esprit de la religion qui régnoit dans leur pays ; et quand ils font avancer , à leurs acteurs , des choses contraires à cet esprit , comme cela arrive souvent , et comme il le faut meme , le chœur ne manque jamais de les corriger par des réflexions pleines de sagesse et de piété ; et c’est ce qu’on ne sauroit bien faire dans les tragédies où il n’y a point de chœur car lorsque les acteurs , emportés par la passion , parlent et agissent selon les maximes du monde , qui sont ordinairement opposés aux règles de la religion , il n’y a personne qui les corrige ; ces maximes pernicieuses se forlifient dans l’esprit des spectateurs , qui eu sont déjà prévenus , et y nourrissent les passions , au lieu de les éteindre ; et quand il n’y auroit que celle seule raison , elle dcvroit suffire pour qu’on rétablisse le chœur , comme Racine l’a fait dans ses deux dernières tragédies , Esther et Alhalie. Les personnages qui composoient ce chœur , si nécessaires aux drames des anciens , étoient très- nombreux ; ils occupoient l’orchestre, y restoient pendant toute la pièce, et récitoient leurs chants, tels qu’on les voit dans les tragédies des auteurs grecs. Il n’y avoit que les acteurs principaux qui paroissoient sur le proscenium , d’où ils récitoient leurs rôles. L’orchestre et le proscenium étant les seules parties du théâtre grec , qui différassent de celui des Romains, Vilruve indique , dans ce chapitre, les principes d’après lesquels dévoient opérer les architectes grecs, lorsqu’ils Iraçoient les plans de leurs théâtres. Après avoir dit qu’au lieu des quatre triangles employés par les Latins , pour tracer leur théâtre * , les Grecs employoient trois carrés , et que le côté de ces carrés hh , qui étoit le plus près de la scène , en marquoit le devant 3 il ajoute qu’on traçoit ensuite une autre ligne gg parallèle à ce côté , qui marquoit le fond de la scène. Il est bon de remarquer ici la différence que cela apportoit entre le théâtre grec et celui des Romains. ** Le fond de la scène , dans le théâtre romain , étoit terminé par le côté du triangle gg tracé dans Je cercle , et le devant l’étoit par le diamètre bb de ce cercle tandis que dans le théâtre grec *** , le fond de la scène étoit terminé par la ligne gg tracée hors du cercle, et le devant l’éloit par le côté du carré hh tracé dans le cercle tellement que la ligne qui marquoit le fond de la scène dans le théâtre romain , marquoit à-peu-près le devant de la scène chez les Grecs ; ce qui rendoit leur orchestre bien plus étendu. Yoici comme Yitruve veut qu’on trace les côtés de l’orchestre depuis les degrés bb jusqu’à la ligne qui marque le devant de la scène 12, on trace, dit-il, une troisième ligne bb parallèle aux deux autres, cpii passe par le centre de l’orchestre, vis-à-vis du proscenium , et où cette ligne coupe la circonférence à droite et à gauche , on marque les points bb ; on place ensuite Je compas dans le point b à droite , et avec l’intervalle gauche bb , on trace la portion du cercle 61 jusqu’au côté droit du proscenium j on fait la même chose de l’autre côté. * Planche Planche J 1 î reliai ; j Es s P e d g. Celle interprétation est de Galiani; il la trouve si naturelle, qu’après une simple lecture du texte confrontée avec la ligure citée , tout Je monde , dit-il , sera étonné que tous les autres avant lui , sans en excepter , ajouie-l-il , rinlelligent Perrault , aient pu lui donner une autre interprétation , en formant des figures composées d’une quantité de cercles qui ne produisent rien de nouveau , puisque ces figures seroient toujours telles , quand même on n’auroit pas tracé ces cercles. Voici, suivant lui, ce qui a fait équivoquer les autres interprètes sur le vrai sens de l’auteur. Ils îont lu, comme il est elfectivement prescrit, qu’il falloit placer le compas dans le point à droite, et. décrire ensuite un cercle avec l’intervalle gauche vers la partie droite du proscenium ils ont cru que l’intervalle gauche étoit le demi-diamètre du grand cercle , et qu’avec ce demi-diamètre, il falloir décrire un demi-cercle sur le même côté droit , où ils avoienl placé leur centre ; mais comme ces deux demi-cercles , qu’ils ont ainsi tracés à droite et à gauche , sont absolument inutiles , Galiani a cherché et découvert la nouvelle forme qu’il donne à cette partie du théâtre grec , en interprétant le texte de la manière suivante lorsque l’auteur dit , circino collocato in dextra , il entend la droite des spectateurs, comme il entend leur gauche , lorsqu’il dit intervallo sinistro et cela parce que ces deux points qu’il nomme , sont à l’extrémité des sièges ou gradins , sur lesquels les spectateurs sont assis au contraire lorsqu’il dit ensuite qu’on doit tracer le cercle vers la partie droite du proscenium , on doit entendre la droite des acteurs qui correspond à la gauche des spectateurs ; et cela parce qu’elle se termine en joignant le proscenium. Après avoir distingué ces deux espèces de droite et de gauche , on trouve cette construction simple et naturelle , ainsi que l’interprétation qu’il donne à ce passage. CHAPITRE IX. Des Portiques qui sont derrière la Scène et des Promenoirs. I l faut construire, derrière la scène , un portique , afin que s’il survient une pluie pendant le spectacle , le peuple puisse s’y mettre à l’abri en sortant du théâtre ; il faut qu’il soit assez spacieux pour que les directeurs des choeurs puissent les y exercer commodément. Tels sont les portiques de Pompée ; tels sont à Athènes les portiques dEumenes , le temple de Bacchus, et l’Odéon 1 qu’on rencontre à gauche en sortant du théâtre. Cet Odéon à Athènes fut décoré de colonnes de pierre par Péri- clès , qui le fit couvrir avec les mâts et les antennes des navires pris sur les Perses; mais cet édifice ayant été brûlé pendant la guerre de Mithridate , il fut rebâti par 1 C’est-à-dire place destinée pour chanti 3o. * Planches XYl ." 16 et XYII." 236 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. le roi Ariobarsane. Le strdlegeum i de Smyrne est encore de ce genre et à Traites on remarque, des deux côtés du stade, des portiques semblables à ceux des théâtres en un mot dans toutes les villes qui ont eu des architectes habiles, on voit, près des théâtres, des portiques et promenoirs qui sont construits de cette manière, c’est-à-dire qui sont doubles , ayant les colonnes extérieures d’ordre dorique , ainsi que les architraves et les corniches , et réunissent toutes les proportions qui sont propres à cet ordre. Il paroît que la largeur du portique doit être telle , que la distance, depuis le bas des colonnes de dehors jusqu’à celles du milieu, égale la hauteur des colonnes de dehors , et qu’il ait une distance égale à celle-ci , depuis les colonnes du milieu jusqu’au mur qui enferme les portiques des promenoirs. Les colonnes du milieu sont plus hautes d’un cinquième que les colonnes extérieures , mais elles sont d’ordre corinthien ou ionique. ' torp W e Ces colonnes doivent avoir d’autres proportions que celles que nous avons données aux colonnes des temples car celles-ci doivent avoir plus de gravité ; et celles des portiques plus de délicatesse. Tellement que si les colonnes sont d’ordre dorique, il faut partager toute leur hauteur , y compris le chapiteau , en quinze parties , dont l’une sera le module sur lequel on réglera tout l’ouvrage , en donnant deux de ces modules à ! épaisseur du bas de la colonne, cinq et demi à Feutre-colonnement , et quatorze à la colonne sous le chapiteau. La hauteur du chapiteau sera d’un module, et la largeur de deux et une sixième partie. On suivra , pour le reste de l’ouvrage , les mesures que nous avons indiquées pour les temples dans le quatrième livre. iliien’ Si ce sont des colonnes ioniques , on divise alors sa tige , non compris le chapiteau ni la base , en huit parties et demie , pour en donner une à la grosseur de la colonne la base avec sa plinthe aura un diamètre et demi de large la forme du chapiteau sera telle qu elle est décrite dans le troisième livre. Si les colonnes sont corinthiennes , leurs tiges et leurs bases seront semblables à celles des colonnes ioniques, et leurs chapiteaux se feront d’après les règles qui sont prescrites dans le quatrième iivre. Les piédestaux auront aussi des saillies inégales en forme d’escabeaux, comme on l’a expliqué dans le troisième livre. L’architrave , la corniche et tous les autres! membres seront proportionnés sur les colonnes, d’après les règles qu’on a données * dans les livres précédens. I L’espace qui reste découvert au milieu des portiques , doit être orné d’une plantation d’arbres verds; les promenades qui se font dans ces lieux découverts, sont très- i C’est-à-dire l’arsenal. LIVRE V , Chap. i x. salutaires ; premièrement pour les yeux, parce que l’air devenu plus subtile, et purifie par la verdure , s’insinue aisément dans le corps , dont le mouvement a fait ouvrir les pores ; les humeurs grossières se dissipent ; la vue s’éclaircit et devient plus pénétrante. Secondement, la chaleur qu’occasionne l’exercice, consume et attire hors du corps les humeurs et généralement tout ce qui s’y trouve superflu et à charge à la nature ; cette vérité se prouve par les eaux qui sont à couvert et les sources souterraines , d’où il ne s’élève aucune vapeur ; tandis qu’au contraire , le soleil attire beaucoup d’humidité , dont il forme les nuages , de celles qui sont dans des endroits découverts et exposées à l’air. S’il est donc prouvé que , dans les lieux découverts * les mauvaises humeurs sont attirées hors du corps , comme les vapeurs le sont hors de la terre, on ne peut douter de la nécessité d’établir , dans toutes les villes , des lieux spacieux, agréables , et qui soient à découvert pour servir à la promenade. Voici ce qu’on fait pour que ces allées soient toujours sèches et jamais boueuses ; on creuse et on vuide le terrain par-dessous , aussi profond qu’il est possible ; on construit ensuite , à droite et à gauche , des égouts , et dans le mur de ces aqueducs , qui est du côté de l’allée , on place des tuyaux inclinés vers l’égout, comme les pendentifs d’un frontispice. Cela achevé , on remplit avec du charbon le reste de l’espace qu’on a vuidé , et l’on finit par le couvrir de sable pour applanir l'allée i tellement qu’au moyen de la porosité naturelle du charbon , et des tuyaux inclinés , l’humidité sera épuisée ou conduite dans les égouts , et l’ailée sera toujours sèche, L’intention de nos ancêtres étoit encore que ces plantations fussent une ressource, en cas de nécessité, pour les citoyens. On sait que, pendant un siège , il n’y a rien dont on manque plutôt, que de bois ; de toutes les provisions , c’est la plus difficile à faire. En effet il est aisé de- s’approvisionner de sel en temps ; de remplir de bled les greniers publics , et ceux des particuliers ; et, en cas de disette , les herbages , la viande et les légumes peuvent y suppléer de même, si les eaux viennent à manquer , on peut faire des puits , ou recueillir les eaux de pluie mais le bois , si nécessaire pour faire cuire les alimens, est de toutes les provisions la plus difficile * à faire , parce qu’il faut employer bien du temps pour en amasser une quantité suffisante. Dans des besoins pressans , on peut couper les arbres de ces promenoirs et en distribuer à chacun sa part. Ainsi l’on tire de ces promenoirs deux grands avantages ; ils entretiennent la santé pendant la paix , et sont une ressource pour le bois en temps de guerre 5 il seroit à propos qu il s’en trouvât dans toutes les villes , non seulement derrière les théâtres , mais encore près de tous les temples. Il me semble que j’ai suffisamment expliqué ces objets ; nous allons donc passer à la description des bains. *38 I/ARCHITKTURE DE V I T R U V E. REMARQUE S. Iæs théâtres des anciens étant découverts , on élevoit, par derrière , des portiques , où le peuple pouvait se mettre à l’abri, quand il survenoit des pluies pendant les jeux. Le milieu de ces portiques étoit occupé par une plantation d’arbres, qui servoit de promenade en tout temps, et où l’on se réunissoit sur-tout, en attendant le spectacle. Le dessin que Perrault donne de ces portiques et promenoirs , diffère beaucoup de celui qu’en donne Galiani et que nous avons adopté. Dans le plan de Perrault, le double portique de colonnes se trouve placé en dehors d’un mur qui les sépare des allées d’arbres qui forment le promenoir; au contraire dans le nôtre , le mur est en dehors , et il renferme les portiques et les promenoirs. Yoici les raisons qui ont fait adopter ce plan à Galiani l’auteur s’exprime ainsi parietes qui circumclu- dunt porticus ambuîationes. S’il avoit voulu s’exprimer dans le sens que lui prête Perrault, il auroit dit, hypœthras ambuîationes, d’autant plus qu’il dit un peu après , media vero spatia quæ erunt sub divo inter porticus il dit inter porticus 3 tandis que, pour parler dans le sens de Perrault, il auroit dû dire inter parietes. Perrault ayant placé ce mur dans l’intérieur , a dû changer plusieurs choses dans la suite du texte pour le mettre d’accord avec son plan. En plaçant ce mur à l’extérieur, comme Galiani et nous l’avons fait, tous ces changemens deviennent inutiles; le reste du texte est parfaitement d’accord avec le nôtre. Ces portiques , comme on l’a vu , formoient un genre d’édifice différent des autres ; quelques- unes de ses dimensions , il est vrai , étoient réglées sur celles des temples ; mais la plupart Péioient par des règles particulières , comme l’observe Vilruve. De toutes ces particularités , la plus remarquable étoit cet assemblage de colonnes ^de différées ordres dans le même portique ; à droite , il en avoit de doriques, à gauche d’ioniques ou corinthiennes ; les unes étoient plus hautes , les autres plus basses. .Nous voyons, dans le'texte, que les colonnes ioniques ou corinthiennes de l’intérieur, doivent être plus hautes , d’une cinquième partie , que les colonnes doriques de l’extérieur. Cette différence d’une cinquième partie donneroit, aux colonnes de l’intérieur, une hauteur excessive en comparaison des autres ; c’est pourquoi Perrault a raison de dire qu’il faut lire XY au lieu de Y, ce qui au lieu d’une cinquième partie feroit seulement la quinzième ; et qu’on doit croire que, du nombre quinze, le caractère X étoit effacé dans la copie , et qu’il n’étoit resté que le Y. Vitruve cite dans ce chapitre les principaux portiques de la Grèce ; il parle entre autres de l’Odéon que Périclès fit bâtir à Athènes c’étoit là où on disputoit des prix de musique , d’où lui vient son nom dérivé du grec qui signifie chanson. Plutarque fait la description de çet édifice le dedans, dit-il, étoit occupé par plusieurs rangs de sièges ou gradins , et porté par une infinité de colonnes, mais la couverture étoit un seul comble rond , qui se courboit tout autour , et se terminoit en pointe. On dit, ajoute-t-il , que la tente ou pavillon du roi Xercès lui servit de modèle. 11 rapporte ensuite la plaisanterie que le poète Cratinus fait de Périclès dans sa comédie des Thraciens , où se moquant de la tête de ce grand personnage , qui étoit pointue , il dit qu’elle fut le modèle sur lequel il fit construire la coupole de l’Odéon» LIVRE V, C ii a p. x. 2 3 9 Perrault traduit le passage où Vilruve parle de l’Odéon , comme s’il entendoit qu’on dut en Taire un auprès de tous les théâtres . Galiam , suivant moi , a bien mieux saisi le sens de l’auleur , en ûiilt; citant cet édifice comme un exemple c’est-à-dire que l’Odéon étoit près du théâtre d’Athènes, det* comme auprès des autres éloient les portiques -, ou pour mieux dire l’Odéon servoit de portique ai* tps, tt théâtre d’Athènes. Nous pouvons tirer de-là , une preuve de plus en faveur de la figure que Ga- liani a donnée à ce portique , puisque Plutarque dit positivement que dans l’Odéon , les colonnes éloient dans l’intérieur de l’édifice. ! Jîil C kt errai vatia çi ; de P. CHAPITRE X. De quelle maniéré il faut disposer les bains, et quelles sont leurs parties. DH. et dW de^. ht ter * Il faut, avant tout, choisir la situation la plus chaude possible, c’est-à-dire , qui ne soit exposée ni au nord, ni au nord-est. Les places où sont les bains chauds et les bains tièdes , doivent avoir leurs fenêtres au couchant d'hiver ; ou si remplacement ne le permet pas , il les faut tourner vers le midi ; parce que le temps où l’on a coutume de se baigner, est principalement depuis le midi jusqu’au soir il faut aussi faire en sorte que le bain chaud pour les hommes et celui pour les femmes, soient près l’un de l’autre , et qu’ils tirent le jour du même côté, pour qu’on puisse échauffer l’eau dans les vases de ces deux bains avec le même fourneau. On mettra sur le fourneau trois vases d’airain ; l’un sera pour l’eau chaude, l’autre pour l’eau tiède , et le troisième pour l’eau froide ; il faut placer et disposer ces vases de manière que de celui qui contient l’eau tiède , il aille dans le vase qui contient l’eau chaude , autant d’eau qu’on en aura tiré de chaude ; et qu’il entre la même quantité du vase qui contient la froide, dans celui qui contient la tiède. Par-là le même feu échauffera tous les fourneaux. ** Le pavé des étuves se fait de la manière suivante. Il faut premièrement faire un pavé avec des carreaux d’un pied et demi , qui soit incliné vers le fourneau , de sorte que si l’on y jette une balle , elle n’y puisse demeurer , mais qu’elle retourne * Planches XY.™ et XYIII. m ** Planche XY. me L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. 24° vers l’entre'e du fourneau par ce moyen , la llamme se répand plus facilement sous le pave' on e'iève sur le pavé des piles avec des briques de huit pouces , qu’on espace et arrange de manière qu elles puissent soutenir des carreaux de deux pieds. Ces piles auront deux pieds de hauteur , et seront maçonnées avec de l’argile, mêlée avec de la bourre ; elles porteront, comme on a dit, des carreaux de deux pieds sur lesquels sera le pavé. Quant aux voûtes des bains , le mieux est de les maçonner en pierre ; mais si elles sont en charpente , il faut les garnir et lambriser de poterie de la manière suivante. On fait des tringles ou des arcs de fer qu’on attache à la charpente avec des crampons de la même matière , placés près les uns des autres , de façon que les carreaux de poteries puissent se poser sur deux arcs ou tringles de fer sans les déborder tellement que tout le lambris ne forme qu’une seule voûte , soutenue par du fer; on étend au-dessus de ce lambris un enduit d’argile mêlée avec de la bourre, et par-dessous, sur le côté opposé qui regarde le pavé, on en met un autre composé de chaux et de ciment qu’on recouvre de stuc ou de quelque autre enduit. Il convient qu’au-dessus des bains chauds , il y ait une double voûte , pour que la vapeur qui pénètre se dissipe dans l’intervalle qui les sépare et ne pourrisse pas aussi vite la charpente. On doit proportionner la grandeur du bain , d’après la population , et lui donner les dimensions que voici la largeur, non compris le reposoir qui est autour de la baignoire et de la loge , doit avoir un tiers moins que la longueur. Le bain doit être éclairé par en haut, afin que l’ombre de ceux qui sont à l’entour n’intercepte pas la lumière. Il faut que l’espace qui entoure le bain , soit assez large pour contenir ceux qui attendent que les premiers venus qui sont dans le bain , en sortent. La loge depuis le mur jusqu’à la cloison ne peut avoir moins de six pieds de large, parce que le degré inférieur et le coussin en emportent deux. Le laconicum et son étuve pour faire suer, doivent être auprès de la chambre tiède ; 1 la largeur du laconicum doit égaler sa hauteur jusqu’à l’endroit où commence la convexité de sa voûte qui forme un hémisphère au milieu de cette voûte , on doit laisser une ouverture pour y suspendre avec des chaînes un bouclier d’airain , par le moyen duquel en le baissant ou haussant , on pourra augmenter ou diminuer la chaleur qui fait transpirer. Il faut qu’il forme une rotonde, pour que la vapeur chaude $e répande également dans le milieu et tout autour. 1 Voyez nos remarques à la fin du chapitre suivant, REMARQUES. LIVRE V, C h a p. x. 241 REMARQUES. L'USAGE clés bains , si répandu chez la plupart des nations , étoit sur-tout très-fréquent chez les anciens. Les Grecs s’en servoient beaucoup , ainsi que les Romains , pour entretenir la propreté , parce qu’ils portoient des chemises de laine , le linge étant alors fort rare. Outre les bains des particuliers , il y avoit plusieurs bains publics dans Rome. Yilruve décrit dans ce chapitre les édifices qui y éloient destinés ; on connoît encore l’emplacement de plusieurs qui existoient de son temps , entre autres les thermes de Paul Emile , sur les ruines desquels est aujourd’hui bâti le palais Cera. Mais par la suite les empereurs en firent élever dont rien n’égala la magnificence ; tels furent les thermes de Néron , de Titus , de Dioclétien , dont les ruines existent encore en grande partie. Ces superbes édifices éloient non-seulement destinés aux bains , mais encore à tous les exercices du corps , et à l’élude de toutes les sciences ; ils renfermoient de plus de grandes places , de grandes galeries , des portiques ornés de peintures et des statues grecques , des allées d’arbres , et des espèces de bois pour la promenade , des jardins , des fontaines et toutes sortes de magnificences et d’agrémens. Les thermes de Dioclétien étoient les plus magnifiques et les plus célèbres de tous ; ils occupoient un terrain immense , qui renferme aujourd’hui le couvent des Chartreux , l’église S. 1 Bernard , les gre'niers de la chambre apostolique , la place de Termini ; ce qui forme une enceinte de 1200 pas. Une grande partie des bâlimens subsistent encore ; la grande salle a été convertie en une superbe église nommée Sainte Marie des Anges , qui est celle des Chartreux. Dans une autre partie des édifices, on a placé les greniei’s de la chambre apostolique , etc. Le nombre des statues qu’on a trouvées dans ces thermes , les incrustations des salles , les grandes colonnes , dont les Chartreux se sont servis pour orner leur église , et les ruines qu’on voit encore , ne permettent pas de douter des richesses qu’ils renfermoient , non plus que de leur magnificence. On voit par-là combien les anciens étoient recherchés dans leurs bains ; ils en avoient de plusieurs espèces ; outre ceux d’eau chaude et d’eau tiède , ils prenoient encore des bains secs , en entrant dans des étuves, ou chambres chaudes destinées à exciter la transpiration ; ces sortes de bains sont encore fort en vogue en Russie. Dans les environs de Naples , près de Pouzzole , j’ai vu les étuves , dites de b.* Janvier , dont on continue à faire usage pour se faire suer , à la manière des anciens. Cicéron et Celse appeloient cette sorte de bain asseum, pour le distinguer du bain d’eau chaude qu’ils nomment calidam lavationem 3 qui est celui que Yilruve désigne ici sous le nom de caldarium. Comme il n’existe plus d’édifices semblables à ceux des anciens pour contenir ces différens bains, ce chapitre, où Yilruve en fait la description , étoit assez difficile à expliquer; aussi les interprètes ont peu d’accord dans la manière de le rendre. Nous voyons que l’eau destinée pour les bains , étoit chauffée par un fourneau nommé liypo- eauste , placé sous les salles des bains ; il échauffoit aussi , à ce qu’il paroît , la chambre chaude ou l’étuve à faire suer , et même les autres places , par des tuyaux qui circuloient sous le pave. 3i L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. 242 Celle eau , à ce que dit Yitruve , étoit contenue dans trois vases ; un pour l’eau chaude , n n pour l’eau tiède , et l’autre pour l’eau froide. Galiani trouve que ces trois vases ne dévoient pas suffire pour contenir l’eau d’un bain public , ce qui lui fait croire que par là , l’auteur entend trois différentes especes de vases, dont il y auroit eu un certain nombre pour chaque sorte d’eau. 11 ne connoissoit pas , sans doute , la capacité des vases que les anciens employoient à cet usage ; j’en ai vu plusieurs dans différens endroits de Rome , entre autres dans la cour du monastère des Bénédictins près de la basilique de S. 1 Paul, hors des murs et dans les jardins de la Yiila Borghese j on avoil ajouté à ceux-ci des pieds et des piédestaux , pour en faire, de très-beaux vases qui déco- roient , avec d’autres ornemens , le tour d’une des belles fontaines de ce jardin. Ces vases ont au moins six pieds de diamètre ; ils conienoient autant d’eau tiède et d’eau chaude qu’il en faut pour un très-grand bain ; ils ont assez la forme de ceux qui sont représentés dans la peinture trouvée dans les thermes de Titus , qui est gravée à la fin de ce livre. Il n’est pas aisé de retrouver comment ces vases étoient disposés , pour que , comme le veut Yitruve, de celui qui contient l’eau tiède, il aille, dans celui qui contient l’eau chaude, autant d’eau qu’on en aura tiré de chaude, et qu’il entre la même quantité du vase qui contient la froide, dans celui qui contient la tiède. Cesarianus et Caporali ont représenté ces trois vases placés les uns sur les autres. Celui qui contient l’eau froide en haut ; celui qui contient la tiède au milieu , et celui qui contient la chaude sur le fourneau. Quand même tout iroit bien de cette façon , il s’y Irouveroit toujours un grand inconvénient, comme l’observé très-bien Perrault ; c’est qu’il est impossible que la chaleur, qui monte très-vîte, ne se communique bientôt , en passant du vase inférieur qui est immédiatement sur le feu , dans celui du milieu et dans celui d’en haut , et que l’eau n’y devienne même plus chaude que dans celui d’en bas. Pour éviter cet inconvénient , Perrault a imaginé de placer ces trois vases l’un derrière l’autre sur un même niveau ; et pour faire communiquer l’eau de l’un à l’autre , comme le veut Vitruve , il place deux siphons dont l’un conduit l’eau froide dans la tiède, et l’autre l’eau tiède dans la chaude. Galiani, peu satisfait de ces deux moyens , en imagine un troisième beaucoup plus simple , où il n’emploie le secours d’aucun instrument. Il place le dessus des trois vases de niveau , comme on le voit dans la 3. Bl£ fîg. de la XY.“* planche. Celui qui contient l’eau chaude est immédiatement posé sur le fourneau; celui qui contient l’eau tiede est un peu plus loin , et participe un peu de la chaleur , au moyen d’un réverbère ; finalement celui qui contient l’eau froide est le plus en arrière , posé sur une masse de maçonnerie , où il ne peut ressentir aucune impression de la chaleur. Des tubes placés au fond des vases , font communiquer l’eau de l’un à l’autre ; tandis que d’autres tuyaux conduisent l’eau de chaque vase dans la baignoire , d’où , par le moyen des robinets , on en pouvoil tirer à volonté. Finalement il place un autre conduit au niveau de l’embouchure du vase où est l’eau froide , lequel y amène l’eau pour le remplir à mesure qu’il se vuide. Galiani observe que toutes les figures qu’on avoit imaginées , avant la sienne , exigeoient toutes le secours’ de quelqu’un , pour faire passer l’eau fjoide dans la tiède, et la tiède dans l’eau chaude ; tandis qu’on voit clairement, par les expressions Æ AüS HTf O m' fjei^tubie antique tieke mes tiiimes uhe tittus 5 LIVRE V, C h A p. x. 243 de Vitruvé , que Cetle opération se doit faire d’elle-même , sans le secours de personne. lia collo- canda , uli ex tepidario in caldarium > quantum aquœ caldœ exierit, influât de frigidaria in tepidarium ad eumdem modum ; or , dit-il, on voit clairement, dans la manière que j’ai inventée ci-dessus , que les trois vases étant de niveau , aussitôt que l’eau diminue dans l’un , l’autre lui en fournit de suite , autant qu’il en est sorti et comme les dessous des vases ne sont pas exactement de niveau , le froid étant un peu plus élevé que le tiède , et celui-ci un peu plus haut que le chaud , on conçoit aisément que, lorsque l’eau tiède diminue , l’eau froide y entrera plutôt que l’eau chaude , dont le fond est plus bas si l’on suppose sur-tout qu’on a placé des soupapes au bout des tubes de communication qui empêcheroient l’eau de sortir. \ Galiarii, dans sa traduction , a placé , à la fin de ce livre , une gravure qui représente les bains des anciens ; il l’a fait graver d’après une peinture antique qui a été trouvée à Rome dans les thermes de Titus dans celte peinture que j’ai aussi fait graver , on voit les trois vases situés l’un au-dessus de l’autre , sur trois degrés , de manière que le fond du deuxième se trouve plus élevé que l’embouchure du premier, et le fond du troisième, plus élevé que l’embouchure du second; tellement qu’il est aisé de voir comment le vase supérieur verse son eau dans le vase inférieur. Je ne serois pas éloigné , dit Galiani , d’adopter cetle disposition des vases , si je ne çroyois que le peintre les a placés ainsi par pure fantaisie , pour mieux exprimer comment l’eau passe d’un vase dans un autre , ce qui étoit très-difficile à rendre en peinture ou bien que du temps de Titus , ou du moins dans ses thermes , ils étoient placés de cetle manière car il est impossible , dit-il, d’y rapporter aucune parole du texte de Yitruve. C’esi pourquoi il a imaginé la manière que j’ai rapportée tout-à-l’heure , qu’il soumet au discernement des lecteurs éclairés. On doit convenir , cependant , que cette peinture trouvée dans les thermes de Titus , est d’un grand secours pour expliquer ce que Yitruve rapporte clans ce chapitre sur les bains des anciens. La chambre chaude , ou l’étuve pour faire suer , s’y trouve représentée avec tous ses détails , telle que Tilruve l’a décrite. 11 nomme suspensurœ caldarium , et ensuite suspensio , le pavé de cetle chambre ou étuve ; parce qu’il étoit supporté par quelques petits piliers , dont il fait immédiatement la description , et qu’on voit représentés dans cette peinture des thermes de Titus. Ce vuide , qui se trouvoit sous le pavé , étoit échauffé par un fourneau nommé hypocauste ; ce qui procuroit dans la chambre qui étoit par-dessus, une partie de la chaleur nécessaire pour faire suer. Dans le deuxième volume des nouvelles littéraires de Florence de l’an 1741 , on lit dans une lettre , écrite de Rome 1 , que lorsqu’on démolit une partie de la petite église de S. Etienne in piscipola , pour l’agrandir , M. Palazzi , homme très-instruit , et versé sur-tout dans les connoissances qui concernent l’antiquité , remarqua , sous les fondemens , un pavé formé avec des tuiles cassées ; il étoit soutenu par plusieurs petits piliers isolés , formant dans tous les sens des lignes droites , ayant chacun la grosseur d’un palme carré, faits avec des briques qui avoient exactement celte mesure, et qu’on avoit placées l’une sur l’autre, sans y mettre de la chaux , mais seulement de l’argile ; la distance de l’un à l’autre étoit d’un palme et demi, et leur hauteur de trois palmes ils soulenoient 1 Page 180. 3i. L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. 44 des carreaux de terre cuite , qui avoient près de trois palmes carrés ; ce qui formoit un pavé très- régulier , sur lequel étoit le pavé formé avec la mastique composé de tuiles pilées et de plâtre, semblable à l’enduit qui couvre les murs de la piscine admirable qu’on voit au cap de Miscéne près de Naples. Il est aisé de voir que ce pavé étoit celui d’une étuve ou d’une chambre chaude, comme celle que décrit ici "Vitruve; elle faisoit sans doute partie de quelque palestre ou de thermes. Cependant l’auteur de la lettre n’est pas de ce sentiment ; il la termine en disant que M. Palazzi est persuadé que cette fabrique est celle d’une piscine ou d’un réservoir d’eau. Outre ces tuyaux de chaleur, qui étoient sous le pavé des étuves pour faire transpirer , il y avoit encore le laconicum qui servoit à l’échauffer davantage, en augmentant la chaleur de différens degrés, suivant le désir des personnes qui s’y trouvoient. Ce laconicum n’étoit autre chose qu’une petite rotonde terminée en coupole qui convroit une ouverture pratiquée dans le pavé de l’étuve , pour y laisser passer la flamme de l’hypocauste , ou du fourneau. On augmenloit, par-là , la chaleur dans l’étuve , autant qu’on le jugeoit à propos , par le moyen d’un bouclier d’airain , qu’on élevoit ou baissoit avec une chaîne , à laquelle il étoit attaché. Le laconicum ressembîoit assez à certains poêles modernes, et produisoit le même effet, puisque, au lieu de la clef ou tiroir avec le secours desquels nous augmentons ou diminuons la chaleur des nôtres, les anciens se servoient d’une espèce de bouclier. Avant Galiani, tous les interprètes avoient fait du laconicum 3 une chambre assez spacieuse , différente de l’étuve, mais destinée au même usage. La peinture trouvée dans les thermes de Titus, et l’examen plus particulier que ce traducteur italien a fait du texte , l’ont persuadé que ses prédécesseurs avoient pris la'partie pour le tout. Voici comme il s’exprime à cet égard * Vitruve, dans le chapitre suivant , met l’étuve pour faire transpirer , au nombre des parties qui composent la palestre concamerata suclatio longitudine duplex , quam latitudine. En dedans de cette étuve se trouvoit, d’un côté , le laconicum , o , plane. XVIII et de l’autre , le bain d’eau chaude o 3 quæ habeat in versuris ex una parte laconicum . ex adverso laconici caldam lavationem . Si donc le laconicum se trouve sur un des côtés de l’étuve , il est clair qu’il n’est pas l’étuve, mais qu’il en fait partie d’ailleurs si ce laconicum étoit l’étuve, à quoi auroit servi la chambre pour faire suer, concamera sudatio , ou plutôt à quoi auroit servi deux étuves? 11 est certain, ajoute Galiani , que le passage du dixième chapitre est obscur; mais que ces expressions du chapitre suivant laconicum ad eumdern modum , uti suprd scriptum est cornpositum , prouve que l’auteur n’a décrit dans ce passage du X. e chapitre, que le seul laconicum , malgré ces expressions dont il se sert, laconicum suclalionesque , qu’il a employées sans doute pour celles-ci laconicum in sudationibus , qui eussent été beaucoup plus claires. La manière dont est représentée dans la peinture tirée des thermes de Titus, la place destinée aux bains d’eaù chaude caldam lavationem , ainsi que les remarques faites par moi-même dans les ruines des différents thermes, m’ont engagé à donner une nouvelle figure de cette place, qui diffère assez de celles qu’en ont données mes prédécesseurs, mais qui me paroît plus conforme au sens du texte. L I Y R E V, C ii a p. x. 245 Tous ceux qui ont figuré ces bains avant moi, du moins que je sache , ont représenté la baignoire enfoncée au milieu du pavé , de manière que pour y descendre, ils ont placé quatre petits escaliers dans les coins. Au contraire dans la peinture trouvée dans les thermes de Titus , la baignoire forme une cuve élevée au-dessus du pavé ; par-dessous se trouve l’hypocauste qui entretient une chaleur douce dans la place , afin que ceux qui entrent ou sortent du bain , n’éprouvent aucun froid. J’ai vu , à Rome , plusieurs de ces baignoires qui avoient été tirées hors des anciens thermes ; il s’en trouve deux entre autres , formées chacune d’un seul morceau de granit d’Egypte , qui servent présentement de bassin aux deux fontaines qui sont sur la place Farnèse ; elles ont 17 pieds 4 pouces de longueur et 4 pieds deux pouces de profondeur ; elles sont ovales et ressemblent à celle qui est représentée dans la peinture que je viens de citer. Je ne veux pas dire par-là que les baignoires des anciens étoient toutes formées d’une seule pierre , et qu’elles n’étoient pas plus grandes que celles-ci, qui ne seroient certainement pas suffisantes pour un bain public , comme celui dont il s’agit , qui devoit être très- spacieux , puisque Vitruve veut qu’il soit proportionné au nombre des habitans ; et d’ailleurs on sait qu’il y avoit des bains si grands qu’on y pouvoit nager, et qu’on nommoit pour celle raison colymbe - thrœ. Mais je dis que ces bains, si spacieux qu’ils fussent, étoient toujours élevéscomme celui que représente la peinture que j’ai citée ; soit qu’ils fussent faits de bois ou maçonnés. Pour faire comprendre présentement qu’elle étoit la construction de la salle où l’on prenoit les bains, ainsi que les expressions dont "Vitruve se sert pour désigner les différentes parties qui la corn- posoient , je remarquerai d’abord que c’est à celte salle qu’il donne particulièrement le nom de bal- neum ; tandis qu’il appelle les autres, l’une tepidarium, frigidarium , etc.; il dit que-sa longueur , non compris le reposoir qui est autour de la baignoire et de la loge prceter scalam labri et alvei, doit avoir un tiers moins que sa longueur ; du moins c’est ainsi que j’ai interprété ce passage, parce que je crois , avec tous les autres interprètes , que labrum signifie les bords de la baignoire qui contenoit l’eau pour s’y laver ; elle est indiquée fig. a dans la XV. e planche. Que schola tiré du mot grec ç%o\y signifie, comme dans cette langue , un lieu où l’on demeure sans agir et sans travailler du corps , et qui éloit l’endroit dans les bains où ceux qui vouîoient se baigner , altendoient qu’il y eût place dans l’eau ; je l’ai rendu comme Perrault par le mot reposoir, en supposant, d’après la peinture des thermes de Titus, que c’étoit des espèces de gradins, et d’après les expressions de Vitruve , qu’ils s’élendoient autour de la baignoire et de la loge. J’ai indiqué ces gradins C. C. fig. citée. Je n’ai pas cru qu ’alveus vouloit dire ici autre chose qu’une loge ou une niche , suivant sa vraie signification ; parce que dans la peinture des thermes de Titus , on voit , en effet, plusieurs loges ou niches , dans les salles destinées aux bains c’étoit sans doute là où l’on alloil se déshabiller; il régnoil autour un reposoir ou banc, schola , sur lequel étoit un coussin avec un degré par-dessous; par-devant, étoit une espèce de cloison , pluteum , faite dans Je genre de celles que j’ai indiquées , en interprétant le mot pluteum dans mes remarques , à la fin du premier chapitre de ce livre ; cette loge est marquée dd dans la figure e. / 246 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE XL De quelle maniéré il faut construire les Palestres et les Xystes. *^uoique les palestres ne soient pas en usage clans l’Italie , il me semble cependant cpi’il convient de décrire ici la forme de ces édifices, et de faire connoître comment les Grecs les construisent. Il faut faire clans les palestres des péristyles carrés ou oblongs , qui aient deux stades de tour ; c’est ce que les Grecs appellent diavlon i. Trois de ces portiques doivent être simples , et le quatrième , qui regarde le midi, doit être double , afin que le vent ne puisse pousser la pluie jusqu’au fond. Le long des trois portiques simples , on bâtit de grandes salles , 2 où sont des sièges , sur lesquels peuvent s’asseoir les philosophes , les rhéteurs et les autres gens de lettres pour y discuter des sciences. Le long du double portique , doivent se trouver les pièces suivantes on place au centre , lephebeum ; c’est une très-grande salle avec des sièges , qui doit être un tiers plus longue qu elle n’est large ; à sa droite est le coriceum , 3 et immédiatement après le conisterium 4 ; ensuite près de cette place , clans l’angle du portique , est le bain cl’eau froide que les Grecs nomment latron 5 ; à gauche de l'e- phebeum est letœoiesium 6. Ensuite près de ce dernier est la chambre froide, d’où l’on va par un passage au prognigeum 7 qui est dans l’autre angle du portique à côté ; mais en dedans , vis-à-vis de la chambre froide , est l’étuve voûtée pour faire suer ; elle doit être deux fois plus longue que large en dedans de cette étuve , se trouve d’un côté le laconicum , construit comme nous l’avons expliqué plus haut, et de l’autre côté le bain d’eau chaude. Il faut distribuer les portiques en dedans de la palestre, d’après les règles que nous avons déjà enseignées. * Planche XVIII. me 4 Le magasin fie la poussière. 1 C’est-à-dire long comme une flûte. 5 C’est-à-dire le lavoir. 2 Exedræ, 6 C’est-à-dire le lieu où l’on conserve l’huile. 3 C’est-à-dire le jeu de paume. Yoyez l’explication 7 C'est-à-dire le fourneau, à la fin de ce chapitre, LIVRE V ; C h a p. xi H 7 On fait , en dehors, trois portiques ; l’un pour sortir de la palestre , et les deux autres à droite et à gauche sont pour les stades celui de ces portiques qui regarde le septentrion , doit être double , et fort large 1 autre sera simple , mais construit de façon qu’il se trouvera , tant le long du mur que le long des colonnes , des chemins élevés qui auront au moins dix pieds de large ; entre les deux , se trouvera un chemin bas qui sera enfoncé d’un pied et demi , dans lequel on descendra par deux petits escaliers ce chemin enfoncé aura , dans le fond , au moins douzè pieds de large. Par ce moyen, ceux qui se promèneront habillés , tout autour, sur les chemins élevés , ne seront pas dérangés par ceux qui s’exerceront dans le bas. Les Grecs appellent ce portique Ws i , il couvre un stade où les athlètes peuvent s’exercer pendant l'hiver. Voici ensuite comme on fait les xistes on plante , entre les deux portiques , des bosquets , ou des platanes , en laissant entre les arbres , d’espace en espace , des allées, avec des places pour se reposer, faites en srnalte 2 . A côté du xiste, et du portique double , on laisse une allée découverte , que les Grecs appellent peri- dromidas 3 qui sont nos xistes découverts , dans lesquels les athlètes en sortant du xiste couvert, viennent s'exercer pendant l’hiver quand il fait beau. Derrière ce xiste, on doit construire im stade qui soit assez ample pour que beaucoup de monde puisse s’y placer et voir à l’aise les exercices de la lutte. Telles sont les règles qu’on doit suivre pour construire f comme il faut, les différons édifices qui se trouvent dans l’enceinte des villes. REMARQUE S. On sait quelle importance les Grecs allacboieni à la célébration des jeux Olympiques; on les croyoit institués par Hercule ; ils furent rétablis par iphitus , et ils avoienl lieu de 4 en 4 ans , ou pour parler exactement, de 5o mois en 5o mois , ce qui faisoit une olympiade , et c’étoit par les olympiades quon compioil chez eux le temps. S’ilexisloit une guerre entre quelques peuples de la Grèce, lors de la célébration de ces jeux , on suspendoit, pendant ce temps-là , toutes hostilités pour les reprendre après. Rien n’étoit plus glorieux que d’y être proclamé vainqueur. Cicéron , dans son plaidoyer pour i Ce mot grec signifie un lieu uni aplani. L’auteur 2 Voyez l’explication de ce mot à la fin de ce cha- entend ici le xiste proprement dit qui étoit couvert , tan- pitre. dis que celui dont il parle ensuite étoit découvert et 3 C’est-à-dire , fait pour courir tout autour, différent de celui-ci. Voyez les remarques à la fin du chapitre , ainsi que la planche XVlIL me et son explication. 48 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Flaccus, et ailleurs , remarque que le consulat dans son ancienne splendeur, et le triomphe dans toute sa majesté , n’avoient rien de plus grand à Rome , que la couronne olympique en Grèce. On proclamoit le vainqueur en présence de toute la Grèce assemblée ; on lui élevoit des statues, non seulement à Olympie , mais encore dans sa ville natale , qui partageoit la gloire de sou triomphe. On sent combien la jeunesse grecque étoit jalouse de cet honneur , et comme elle devoit s’exercer pour devenir habile dans ces sortes de jeux. Dans les villes, des édifices publics étoient destinés à ces exercices ; de ce nombre étoient les palestres dont Y'itruve fait la description dans ce chapitre. Ces jeux consistoient en neuf exercices, qu’on ïrommoit gymnastiques, de yvfxvàq , nu, parce qu’on étoit nu, ou presque nu, pour s’y livrer. C’éloit la lutte , le pugilat, le pancrace, la course, le saut, le disque , l’oplomachie. On les appeloit aussi jeux palestriques , parcequ’on s’y exerçoit dans les palestres dont nous parlons, lesquelles tiroient elles-mêmes leur nom du mot grec ftaXaiçTpcc qui signifie lutte ou combat. Si l’on veut avoir une connoissance exacte de ces jeux ou combats si célèbres dans l’antiquité , il faut lire les savantes dissertations que Burette a faites sur la gymnastique des anciens; elles sont imprimées dans le troisième volume des mémoires de l’académie des inscriptions et belles- lettres. J’y renvoyé donc le lecteur. La palestre , chez les Grecs , étoit un édifice public pour toutes sortes d’exercices tant de l’esprit que du corps. Il étoit composé d’une place entourée de colonnes qui avoit deux stades de tour. Le stade étoit un espace de 125 pas qui faisoit environ go de nos toises. Le mot est dérivé du verbe qru , qui signifie s’arrêter , parce qu’on dit qu’Hercule couroit , tout d’une haleine , cet espace au bout duquel il s’arrêloit. En dehors des portiques formés par ces colonnes, se trouvoient plusieurs autrés places ou salles. Trois côtés étoient occupés par les salles où les philosophes et les sa- vans alloient discuter des sciences. Pausanias, en faisant la description de la palestre, ou lieux d’exercices de la ville d’Elis, dit , 1 , que dans ce même gymnase , ou lieu d’exercice, les Eléens ont leur sénat, où les savans viennent donner des preuves de leur capacité , soit par des discours faits sur-le-champ , soit dans tout autre genre de littérature ce qui se rapporte , à ce que dit Yitruve. On retrouve également dans celle description que fait Pausanias du gymnase d’Elis , presque toutes les pièces qui composoient la palestre dont on vient de parler. ^ Le mot execlra } que Yitruve employé ici pour désigner ces salies où les savans se réunissoient , est grec. Les auteurs ne sont pas d’accord sur sa juste signification. Alexander ab Alexandro , croit que c’étoit une galerie ouverte en manière de loges. Accurse le prend pour une galerie entourée de fenêtres ; il signifie néanmoins, à la lettre, une figure qui a six côtés, comme un cube. Dans ce cas ce devoit être une salle couverte qui auroit six côtés et quatre murailles , le plafond et le pavé. Il paroît au contraire, d’après ce que Yitruve dit dans le chapitre 5. mc du YI. me livre, et dans le g. me du YIÏ. me livre où il parle encore des exèdres, que c’étoit des lieux fort ouverts , exposés aux rayons du soleil et de la lune; ce,qui sembleroit appuyer l’opinion d’Alexander ab Alexandro. O hiv- "VI. me » Cliap. 23 , D’après » *49 D’après cela les places dévoient être très-éclairées , soit qu’elles eussent beaucoup de grandes fenêtres , soit qu’elles ne fussent fermées que de trois côtés , ayant l’autre ouvert , porté par des colonnes , comme on voit qu’éloient faites celles qu’on nomme encore communément aujourd’hui les exedres y dans l’enceinte des thermes de Dioclétien à Rome. Le long de l’autre portique de la palestre se trouvoient des places destinées à d’autres usages. Le milieu étoit occupé par V ephebeum ; c’étoit là où l’on apprenoil aux jeunes gens qui sortoient de l’adolescence , les premiers principes de la gymnastie. On appeloil ainsi cet endroit, parce que par spy£ov on entendoit en Grèce ceux qui avoient atteint la puberté qui commence à i4 ans. A droite de l’ephebeum , se trouvoit le coriceum. Comme Perrault et Galiani , j’ai suivi le sentiment de Baldus , qui fait dériver ce mot du grec %opùxtov qui signifie une balle ou ballon. Nous C savons que le jeu de paume étoit en usage chez les anciens $ comme nous ne voyons pas que l’auteur assigne , pour ce jeu , un autre emplacement que celui-ci dans la palestre , nous devons croire qu’il y étoit destiné, d’autant qu’il y convient parfaitement, étant d’une étendue convenable., plus longue que large. D’autres interprètes font dériver ce mot de qui signifie en grec une jeune fille , et d’après cela , ils ont fait du coriceum un lieu d’sxercice pour les jeunes filles , sans réfléchir qu’en Grèce il étoit interdit aux femmes de s’approcher des lieux où la jeunesse s’exerçoit à ces sortes de jeux. Immédiatement après , du même côté , étoit le conisterium y c’est-à-dire le lieu où l’on conserve la poussière du mot grec %6viç , parce que c’étoit là que les lutteurs en alloient prendre , pour n jeter sur leurs adversaires , dont le corps étoit couvert d’huile , afin d’avoir plus de prise. A gauche de Y ephebeum, étoit Yelœotesium y lieu où l’on conservoit l’huile tÀcucv et où s’alloient oindre ceux qui s’exerçoient , non seulement pour rendre leurs membres plus glissans et moins capables de donner prise , mais encore pour les rendre plus souples , et plus propres aux exercices. Outre l’huile dont nous venons de parler , il y en avoit d’autres , qu’on employoit après la lutte , sur les membres qui avoient été froissés , et d’autres encore qu’on prenoit avant d’entrer dans le bain. Près de Yelœotesium , ajoute Vitruve , étoit la chambre froide , frigidarium y c’est ainsi du moins que j’ai interprété ce mot, qui ne peut signifier le bain d’eau froide , dont il a déjà parlé , en lui assignant une autre place en F , et le nommant lavatioi Ce devoit être une place près d l’étuve et du bain d’eau chaude , où se tenoient , pendant quelque temps , les personnes qui en sortoient, pour se réfroidir peu-à-peu, avant de se trouver en plein air. Nous lisons dans Pétrone , itaque intravimus balneum y et sudore calefacti momento temporis ad frigidam , ou bien fri- gidariam y eximus. \ Galiani croit que le frigidarium dont il est parlé dans ce chapitre , est la même chose que le tepidarium dont il est parlé dans le chapitre précédent. On l’appeloit, dit-il , tepidarium y à cause qu’on y jouissoit d’une chaleur tempérée , produite par le réverbère de l’étuve qui étoit à côté et on l’appeloit aussi frigidarium y parce que les personnes qui y enlroient, en sortant de l’étuve, 32 a5o L ’ARCHITECTURE DE VITRUVE. commençoient à s’y refroidir. Ce qui le persuade de cela , c’est que dans le chapitre précédent, il place le laconicum et J’éluve pour faire suer, à côté du tepidarium . Laconicum , siidationescjue sunt conjungendæ tepidaria tandis que dans celui-ci , il ne nomme pas le tepidarium ; mais il place le laconicum , et l’étuve auprès du frigidarium. Proximè autem introrsus e regione frigidariî collocetur concamerata sudatio. D’après cela il croit que le tepidarium et le frigidarium n’éioient qu’une même chose. Si cependant , ajoute-t-il, on oppose à mon opinion la peinture trouvé dans les thermes de Titus , où l’on voit que le tepidarium et le frigidarium forment deux places differentes , et ce qu’en ont écrit au contraire Mercuriale, l’Aluisio , le Baccio et autres ; j répondrai que Vitruve ne parle ici que de la palestre des Grecs dans laquelle il n’y avoit pas, à beaucoup près , autant de pièces que dans les thermes, qui par la suite , furent, en quelque manière à Rome, ce qu’étoient les palestres chez les Grecs ; mais à cause de l’énorme population •t du luxe de cette ville, ces édifices étoient bien plus vastes, au point qu’ils paroissoient une provinc. Vitruve dit que de cette chambre froide on alloit, par un passage, au prognigeum , qui ne peut être autre chose que l’endroit où l’on faisoit du feu pour échauffer les chambres et les bains ; du moins doit-on le croire, prognigeum étant le synonime à’hypocausis , et de prcefumium. Sur un des côtés de la palestre en dehors , se trouvoit un grand espace planté d’arbres, que les Romains appeloient le xiste , xystus ou xystum y quoique ce mot fut dérivé du grec , il ne signi- fioit cependant pas exactement la même chose dans cette langue qu’en latin , puisque le xiste proprement dit, chez les Grecs, étoit un porlique couvert, sous lequel étoit un stade 1 où les Athlètes s’exerçoient à la course ou à la lutte; il occupoit, suivant Vitruve, un des côtés du xiste dont je viens de parler , et c’est celui dont il parle dans le io. me Chap. du VI. me Liv. , à propos des mots latins dérivés du grec, auxquels on a donné à Rome une signification différente que celle qu’ils ont dans celte langue. Les Grecs, dit-il, appellent xystos , un large portique, où les athlètes s’exercent pendant l’hiver, tandis que nous autres , nous appelons xystus des allées découvertes pour se promener , que les Grecs nomment peridrcmidas tellement que dans le chapitre que nous expliquons présentement, Vitruve parle d’abord du xiste des Grecs , ensuite de celui des Romains , comme il le dit lui-même. Voyez nos remarques à la fin du io. me Chap. du VI. m * Liv. ; et quant à ce pavé fait en smalte dont il parle ici , voyez ce que nous en avons dit, dans nos remarques à la fin du 4. me Chap. du II. me Liv. 11 appelle ici cette sorte de pavé signinum opus. Il en parle encore dans le I. er Chap. du VIL Liv. Pausanias fait la description du gymnase d’Elis qui ressemble tant à la palestre et au xiste dont parle Vitruve , que je crois devoir la rapporter, pour qu’on puisse les comparer ensemble , et voir en quoi elle m’a servi pour interpréter l’auteur latin. s’endurcir au travail, neitoyoit tous les jours ce lieu , et en arrachoit les ronces et les épines. Cette grande enceinte est partagée en plusieurs pièces, dont l’une est destinée à l’exercice de la » course ; on la nomme le lieu sacré. Dans une autre , on s’exerce à la course et au pentathle_ n Près de la grande enceinte , il y en a une plus petite qui est contiguë , et qui, à cause de sa î figure carrée , se nomme Tétragone. C’est là que les jeunes athlètes s’exercent au pugilat. 11 y a une troisième enceinte qui parce que le terrain en est plus doux et plus mou , s’appelle » Maltho ; ce lieu est ouvert aux enfans pendant tout le temps que durent les jeux à Olympie. Dans le même gymnase , ou lieu d’exercice , les Eléens ont leur sénat , où les savans vien- ï> nent donner des preuves de leur capacité , soit par des discours faits sur le champ , soit dans w tout autre genre de littérature. » Le gymnase a une autre issue qui conduit à la place publique , et à un endroit où les direc- l teurs des jeux tiennent conseil. » La place publique n’est point faite comme celles des villes d’Ionie , ni même des villes voisines; » elle est bâtie à l’ancienne mode. Les portiques en sont distans les uns des autres et séparés par » des rues de traverse. Les Eléens appellent cette place l’Hippodrome , parce qu’en effet ils y dressent leurs chevaux. Le portique le plus exposé au midi , est d’une architecture dorique ; trois rangs de colonnes le partage en trois , etc. 2 . » Ce xiste étoit orné d’une infinité de statues , dont Pausanias fait la description ; je n’en parle pas , pour ne pas sortir de mon sujet. CHAPITRE XII. » Des Ports et de la Maçonnerie qui se fait dans leau. J e ne puis m’empêcher de parler ici de l’utilité des ports de mer , et par quel art on parvient à y mettre les vaisseaux à l’abri des tempêtes. Si la nature les a formés elle-même ; s’ils ont des rochers ou des promontoires qui s’avancent dans la mer, formant naturellement une courbe ou un coude dans le milieu, il sera bien aisé de les faire , puisqu’il n’y aura plus qu’à construire tout autour des portiques ou des arsenaux pour la construction des navires , et des passages pour aller du port dans les marchés , et élever, de chaque côté , des tours, d’où, au moyen des machines, on puisse tendre des chaînes de l’une à l’autre. I»; Ayste dérivé 25a L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. Dans le cas que l’emplacement ne soit pas de lui-même propre à mettre les vaisseaux à l’abri des tempêtes , voici ce qu'on peut faire, pourvu qu’il n’y ait pas de rivière qui l’empêche, et qu’il y ait seulement une plage convenable c’est de bâtir du côté opposé un mole qui s’avance dans la mer et qui enferme le port. Voici comme on construit ces moles qui s’avancent dans la mer il faut d’abord faire venir de cette poudre i qui se trouve dans la contrée qui s’étend depuis Cume jusqu’au promontoire de Minerve ; on en fait du mortier, en y mêlant un tiers de chaux ; ensuite, dans l’endroit où l’on veut bâtir le mole , on enfonce dans la mer , une enceinte de pieux de bois de chêne , qu’on lie fortement les uns aux autres , en les affermissant bien dans le fond. Après cela on égalise et on nettoye , comme il faut, la plage par-dessous l’eau entre les pieux , pour y jeter le mortier dont on a parlé plus haut, et l’entasser avec des pierres, jusqu’à ce qu’on ait rempli de cette maçonnerie toute l’enceinte destinée au mole. On ne peut employer ce moyen que dans les lieux où la nature le favorise tels sont ceux dont nous venons de parler. Mais si l’agitation de la mer y est si grande qu’on ne puisse suffisamment y arrêter ces pieux destinés à former l’enceinte du mole, il faut alors bâtir sur la terre même , au bord de la mer , un massif dont la plus grande partie sera inclinée vers la mer et le reste mis de niveau. On bâtira ensuite, tant du côté de l’eau que des deux côtés du massif, des rebords d’environ un pied et demi, jusqu’à la hauteur de la partie du massif qui est de niveau , dont on vient de parler , et on emplira de sable le creux du talus jusqu’au haut des rebords. On bâtira alors sur cette esplanade une pile de maçonnerie , d’une grandeur suffisante ; et après l’avoir laissé sécher au moins pendant deux mois , on abattra les rebords qui soutiennent le sable , qui, étant emporté par les vagues, laissera tomber et glisser la masse dans l’eau par ce moyen on pourra s’avancer peu-à-peu dans la mer % autant qu’il sera nécessaire. Dans les endroits où il ne se trouve pas de cette poudre , voici comme il faut diriger l’ouvrage on enfoncera dans la mer un double rang de pieux , autour de 1 espace qu’on aura choisi ; ensuite on liera et joindra ces pieux les uns aux autres avec des chaînes et des ais , et on emplira l’intervalle entre les deux rangs , avec de l’argile, mise dans des sacs faits de joncs de marais, après les avoir bien battus pour les affermir ; puis avec des machines hydrauliques faites en limaçon, et par des roues, i La pouzzolane dont il est parlé dans le 6. mc Ghap. du Liv. 253 L I V 1\ E Y, C h a p. xii. ou par des tympans , i on vuidera l'eau qui est entre ces deux digues; cet espace étant desséché, on creusera le fondement jusqu’au solide , si c’est de la terre , et on les bâtira de libage, joint avec de la chaux et du sable , les faisant plus larges que le mur qu’ils doivent porter. Si le lieu n’est pas ferme , on y enfoncera des pilotis de bois d’aune demi-brûlé , ou d’olivier ou de chêne , dont les intervalles seront remplis de charbons , comme on l’a dit en parlant des fondemens des théâtres et des autres murailles. Là dessus , on élevera le mur de pierres de taille ; celles qu’on posera en boutisse , seront les plus longues qu’il sera possible , afin que celles qui sont entre les boutisses soient plus fermement liées on emplira le dedans du mur avec du mortier et du moellon ou en maçonnerie ; ce qui formera une masse assez solide pour soutenir même une tour , si on la bâtissoit dessus. Quand on aura achevé tout cela , il faut observer , en bâtissant les arsenaux pour les navires, de les tourner vers le septentrion car la chaleur qu’occasionne l’aspect du midi, engendre et entretient les vers et autres insectes qui carient le bois ; sur tout il ne faut pas les couvrir de bois , crainte d’incendie. On ne peut guère déterminer leur grandeur ; mais il faut qu’ils soient capables de contenir au large les plus grands vaisseaux et qu’on puisse les y faire entrer facilement. J’ai traité , dans ce livre , de tout ce qui m’a paru le plus nécessaire et le plus utile pour perfectionner la construction des édifices publics dans les villes. Dans le suivant, je traiterai de l’utilité et des proportions des bâtimens que font construire les particuliers pour leur usage. REMARQUES . Nous ne pouvons pas comparer les porls de mer des anciens avec les nôtres. Pour bien comprendre ce que dit Aitruve de leur construction , il faut se reporter aux temps où il écrivoit. N’ayant point alors de boussole , on ne pouvoit guère naviguer que sur les côtes ; aussi ne se servoit-on que de petits bâtimens plats et-à rames , qui n’avoient besoin que de très-peu de profondeur ; presque toutes les rades étoient pour eux des porls et lorsqu’ils n’en trouvaient pas de naturels dans les lieux où ils avoient besoin d’en avoir , ils en formoient bientôt au moyen d’une simple jetée ou mole. Ainsi dans ce chapitre , qui a pour objet les ports de mer des anciens , ^ itruve ne parle que de la construction de ces moles ; de celle des arsenaux pour y construire les navires , et meme pour les y enfermer , puisqu’ils étoient assez légers pour pouvoir être tirés a terre à volonté. Il ajoute qu’ils étoient entourés de portiques , qu’il y avoit des passages pour se rendre au marché , et qu’on élevoit des tours, d’où on tendoit des chaînes pour les fermer du côté de la mer. x Il décrit ces machines dans les 9, e , ïi. me et Chap. du X. me Lir. 254 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. Dans les plans et les descriptions que Labacco et. Lucatelli nous ont laissés du port construit à Oslie , près de l’embouchure du Tibre , par l’empereur Claude , et achevé , suivant quelques-uns , par Trajan , on voit qu’il étoit entouré de portiques , de magasins ou arsenaux, comme ceux dont parle ici Vitruve. C’est aux recherches de ces deux savans que nous devons les connoissances que nous avons sur ce port des anciens , dont il reste si peu de vestiges , qu’il a fallu toute leur intelligence et leur» lumières pour pouvoir en former les plans et la description qu’ils nous en ont donnés 1. Ce port si célèbre autrefois, qu’on appeloil Ostie , pour marquer qu’il étoit la porte du Tibre , ou de Rome , n’est presque plus d’aucune utilité aujourd’hui $ n’ayant pas assez de profondeur , on n’a jamais pu en tirer aucun parti pour nos gros navires qui prennent beaucoup trop d’eau , et en aucuns temps on n’auroit pu s’en servir pour des navires semblables il en est de même des ports d’Anxur aujourd’hui Terracine , de Miscène , et autres ports célèbres de l’antiquité. Les vaisseaux des anciens , comme nous l’avons dit, étant infiniment plus petits que les nôtres , et prenant très-peu d’eau , la nature leur offroit une infinité de ports que sa main seule avoit formés * lesquels pourroient à peine servir présentement pour les chaloupes de nos pêcheurs. Si la nature n’en avoit pas creusé elle-même, dans les lieux où on en désiroit , il, étoit facile à l’art, ;ii e comme nous l’avons vu, d’y suppléer 5 une simple jetée ou mole suifisoit. Vitruve enseigne dans çe chapitre quelles étoient les trois manières de faire ces jetées. Il faut faire attention qu’elles n conviennent qu’aux ports de la mer Méditerranée , où le flux et le reflux ne se font pas sentir. Par exemple, en parlant d’un emplacement où l’on peut construire un port , lorsqu’il n’y en a pas de naturel, Vitruve dit si toutefois il n’y a pas de rivière qui l'empêche. Ceci ne convient qu’aux ports de la Méditerranée , parce que leS rivières sur-tout celles d’Italie qui viennent presque toutes des montagnes de l’Appennin qui sont la plupart volcaniques , composées de cendres , de pierres ponces , de terres et autres matières légères qu’elles charient auroient bientôt rempli de limon , de cendres volcaniques et de sable, un port qui seroit à son embouchure , si elle la trouvoit rétrécie et en partie fermée par des moles construits en arcs , ou placés en face comme ceux dont parle Vitruve. Il n’en est pas de même de ceux de l’Océan 5 l’agitation du flux et du reflux de la mer empêche que la vase et les immondices des rivières ne comblent les ports ; et le reflux qui Fait monter l’eau très-haut dans les ports , donne lieu à l’art de se servir avantageusement de c© secours de la nature , en retenant l’eau qui est montée pendant le reflux dans les écluses et dans les barres que l’on ouvre quand la mer est descendue, et qui, par sa chute impétueuse, achève de pousser hors du port ce que le reflux a commencé à ébranler. , i'tis t iflljU sut Les deux premiers moyens qu’indique Vitruve pour faire les jetées ou moles , ne peuvent être exécutés ainsi qu’en Italie , puisqu’on emploie pour cela la pouzzolane , qui ne se trouve même que dans certaines contrées de ce pays , comme nous l’avons déjà observé dans nos remarques sur le 6. me Chap. du II."’e Liv. , en parlant des qualités de cette poudre. Sa principale qualité, c’est que le mortier qu’on en fait , étant jeté dans l’eau , s’y durcit et acquiert la solidité de la pierre. Dans les environs de Came et de Pouzzole et sur - tout de Baia, j’ai vu dans la mer beaucoup de subs- tructions d’anciens ouvrages des Romains , faits avec de la pouzzolane $ entre autres les piliers d’un { Ant Etrusques, tome YI. rac , première Dissertation. t LIVRE V, Chap. xii. *5S pont qui traversoit la Baye, et conduisoit de Baia à Pouzzole. La partie de ces ruines , qui étoit dans l’eau , étoit parfaitement conservée. Suivant le premier moyen indiqué par Vitruve , on enfonçoit dans la mer deux rangs de pieux qui formoient une enceinte à laquelle on donnoit la forme que le mole devoit avoir ensuite , sans épuiser l’eau , on emplissoit l’intervalle qui étoit entre les deux rangs de pieux avec des pierres et du mortier de Pouzzolane , qui, étant plus pesante que l’eau, la faisoit sortir; et par la propriété qu’avoit ce mortier de sécher et endurcir dans l’eau , formoit comme une masse fusible jetée dans un mole. Ce mole formoit une espèce d’arc dont une des extrémités tenoit à la côte , s’avançoit dans la tner , formoit une courbe et un angle pour présenter ensuite sa plus grande étendue en face du rivage. Du moins est-ce ainsi que Galiani a interprété les expressions d’arcœ stipitibus dont s sert Vitruve. Voici ses réflexions à cet égard il semble , dit-il, d’après ce que nous apprend Vitruve, qu’ou doive seulement lier , avec des chaînes , toute l’enceinte de pieux ; mais comme nous nous servons aussi d’ais terminés en queue d’hironde , pour unir ces pieux les uns aux autres , au moyen des rainures qu’on y creuse pour y recevoir ces tenons , Perrault, qui a cru cet usage antique , s’est persuadé qu’ici, area, signifioit un poteau dans les deux côtés desquels on avoit creusé des rainures propres à recevoir le tenon d’une autre pièce de bois. Malgré toute l’érudition qu’il étale dans une très - longue note , pour adapter les paroles du texte au sens qu’il leur a donné , on n’y trouve, ajoute Galiani , que du verbiage. 11 me semble en effet très-clair, continue le traducteur italien, qu’une fois qu’on donne à area l’épithète d* inclus a , il ne peut signifier autre chose que la totalité de l’arc , formé par les pieux, c’est-à-dire toute l’enceinte même. L’expression de dimittere arcam , ne doit pas apporter une difficulté ; il s’en sert probablement au lieu de dimittere stipites , quibus fiunt arcæ . La seconde manière de faire une jetée ou mole , dont parle Vitruve , avoit lieu dans les endroits où la mer trop agitée ne permettoit pas d’y enfoncer des pieux. On bâtissoit une masse sur le rivage, dont plus de la moitié posoit sur un amas de sable soutenu par un petit mur, qu’on abattoit, lorsque la maçonnerie étoit sèche ; la mer alors emportoit le sable , et la masse , qui se trouvoit dessus , lomboit dans l’eau. Virgile décrit cette manière de faire .des moles dans le g. me Liv. de l’Enéide. Qualis in Eüboico Baiarum littore quondam Saxea pila cadit magnis quam molibus antè Constructam jaciunt porito sic ilia ruinam Prona trahit , penituaque vadis illisa recumbit. * Telle aux rives de Baie, antique enfant d’Eubée , Dans le golfe de Cume avec fracas tombée , Une masse de roc qu’unit un dur ciment Ébranle au loin la rive en son noir fondement. !7. _ Trad, de ^56 1/ARCHITECTURE DE V I T R U Y E. Il paroit d’après ce qu’ajoute Yitruve , qu’on s’avanroit peu à peu dans la mer ; sans doute en y jetant de nouvelles masses. Tri ctcjuam poterit esse progressas. Et l’on voit que les anciens ne faisoient pas leurs jetées, comme nous les faisons aujourd’hui, en jetant dans la mer des gros quartiers de pierres les uns sur les autres; ils n’avoient pas remarqué sans doute, comme les moules et les huitres en s’attachant aux pierres roulées sur le rivage , les attachent et les lient les unes aux autres; ce qui en fait des masses d’une solidité inébranlable, supérieure peut-être à celle des rochers produits par la nature. Les anciens employoient le troisième moyen indiqué par Yitruve , lorsqu’ils ne pouvoient se procurer de la pouzzolane; les autres matériaux n’ayant pas, comme elle, la propriété de se sécher dans l’eau , on fabriquoit des batardeaux ou digues qui entouroient l’espace dans lequel on vouloir élever le mole ; ils étoient composés d'un double rang de pieux et d’ais; on en remplissoit ensuite l’intervalle avec des paquets d’argile ou terre grasse enveloppée dans des sacs ou cabas faits de joncs de marais. Ces joncs entrelacés empêchoient l’argile, qui étoit dedans , de se dissoudre trop vite dans l’eau. On avoit par-là le temps nécessaire pour battre et pétrir ces paquets , après que les batardeaux en étoient remplis ce qui étoit nécessaire non seulement pour résister aux vagues et au courant , mais encore pour empêcher les eaux extérieures d’entrer dans l’enceinte , tandis qu’on épuisoit celle qui étoit dedans avec les machines hidrauliques. Quand l’eau étoit entièrement épuisée, on construisoit , dans cette enceinte , le mole à sec , comme on l’auroit fait sur la terre. Le mot merones que Vitruve emploie ici , en parlant de l’argile qu’il faut jeter entre les deux rangs de pieux , a beaucoup embarrassé les interprètes ; voici comme il s’exprime inter destinaias creta meronibus ex ulva palustri factis calcetur quelques-uns , au lieu de meronibus , ont lu peronibus , d’autres beronibus ; mais la véritable signification de ce mot est très-incertaine ; c’est le sens seulement qui indique qu’il doit signifier des sacs ou choses semblables. J’ai donc suivi le sentiment des meilleurs interprètes , et j’ai traduit comme eux ces expressions meronibus ex ulva palustri } par des sacs faits de joncs de marais. Ce jonc ou plante de marais que les anciens appellent ulva, est demeurée inconnue aux botanistes; "Virgile en parle dans les II.* et le VI. livre de l’Enéide , comme d’une plante aquatique. Ce doit être cette espèce de joncs très-communs dans les marais , dont on se sert en Italie , pour rempailler les chaises , et mettre autour des bouteilles ; il s’appelle en italien sala j c’est le mot dont Galiani se sert dans sa traduction pour rendre celui d ’ulva. M. Delille le traduit comme nous par joncs de marais. WVWVVVWWVVVVmMMW LIVRE VI. L’ARCHITECTURE D E Y I T R U Y E. LIVRE SIXIÈME. INTRODUCTION. Ije philosophe Aristippe , disciple de Socrate , jeté sur les côtes de l’isle de Rhodes après avoir fait naufrage , remarque des figures de géométrie , tracées sur le sahle i ; il s’écrie , en s’adressant à ses compagnons , soyons pleins d’espérance ! j’aperçois des traces d’hommes ! aussitôt il se rend à la ville ; il entre dans le gymnase 2 ; il y dispute de philosophie , et l’admiration qu’il inspire, fait qu’on lui prodigue des présens qui le mettent à même, ainsi que ses compagnons , de se procurer des habits , et tout ce qui est nécessaire à la vie. Ceux-ci voulant ensuite retourner dans leur patrie , lui demandèrent ce qu’il vouloit faire dire chez lui ? il les chargea de recommander à ses enfans de s’appliquer de bonne heure à acquérir des biens qu'ils pussent sauver avec eux , s’ils faisoient naufrage ; puisqu’il avoit reconnu qu’on ne devoit s’assurer dans la vie , que sur ce qui est indépendant des vicissitudes de la fortune , des changemens qui surviennent dans les gouvernemens et des malheurs de la guerre. 1 Gallien rapporte aussi cette histoire d’Aristippe, mais il dit que c’est près de Syracuse qu’il fit naufrage. A C’est ici le seul endroit de l’ouvrage , où l’auteur emploie le mot gymnase , quoique dans le 22. me chapitre du livre précédent ; il dit, en décrivant la palestre, que les exèdres, c’est-à-dire les salles où les philosophes 7 les rhéteurs et les autres savans alloient discuter des sciences , en faisoient partie. Il est probable que le mot nasium étoit synonyme de palestru. 258 Introduction. Théophraste, en soutenant ce principe que la science est préférable aux richesses, ajoute qu’il n’y a que le savant seul qui n’est pas étranger hors de son pays ; que s’il vient à perdre ses amis , il en retrouve par-tout ; qu’il est citoyen dans toutes les villes , et qui! ne doit jamais craindre les revers de la fortune qu’au contraire, celui qui met toute sa confiance dans les avantages de la fortune , et croit par-là être à l’abri de tout accident fâcheux , reconnoîtra enfin , s’il ne possède aucun talent, que le cours de la vie se fait dans un chemin peu ferme, où il est impossible de ne pas tomber. Epicure pensoit de -même , quand il disoit , que ce qu'on peut attendre de la fortune est peu de chose pour le sage , qui ne doit fonder ses espérances que sur la grandeur et sur la force de son esprit. La plupart des philosophes ont dit la même chose , ainsi que les poètes qui, dans leurs anciennes comédies grecques, ont fait réciter, sur la scène, ces mêmes sentences qu’ils avoient mises en vers tels furent Euchrates, Chionides , Aristophanes , et sur-tout Alexis qui dit. que les Athéniens méritent d’être loués , pour avoir corrigé cette loi commune à toute la Grèce , qui oblige les enfans de nourrir leurs pères , en ordonnant que ceux-là seuls y seroient contraints, dont les parens auroient eu soin de les faire instruire dans quelque art car tous les biens que nous recevons de la fortune , elle peut les reprendre aussi aisément qu elle nous les a donnés ; au lieu que les sciences que nous axons acquises, étant comme attachées à nos âmes, leur possession nous est tellement assurée que nous ne saurions les perdre qu’avec la vie. J’ai donc infiniment de grâces à rendre aux auteurs de mes jours , qui , persuadés de la justice de cette loi des Athéniens , m’ont fait étudier un art qui demande tant de connoissances , où les lettres sont nécessaires , et qui , comme un cercle , renferme toutes les autres sciences. C’est donc aux soins de mes parens , aux leçons des maîtres qui ont augmenté la masse de mes connoissances , à l’étude que j’ai faite de la théorie , à la pratique , et à mon goût pour la lecture , que mon aine doit tous les biens qu’elle possède , ce qui me procure l’avantage de n avoir besoin de rien , et de ne rien désirer ; ce qui est la principale de toutes les richesses. Bien des gens, peut-être, mépriseront cette façon de penser, eux qui n’accordent la sagesse qu’à ceux qui possèdent beaucoup d argent, et leur admiration qu à ceux qui se sont faits une réputation en réunissant les richesses aux grandeurs. Quant à moi, ô César , les richesses n’ont jamais été le but que je me suis pro- idrfrc ipj î se Les ;r IBJDOX tonfi liai .consul -des r •test 1 ;inn I N T R O D U C T 1 O K s5 posé , en me livrant à mon art; j’ai toujours préféré rester dans la médiocrité, avec une bonne réputation, que d’être dans l’abondance, avec une mauvaise il est vrai que, jusqu à présent, la renommée a fait bien peu de chose pour moi; mais j espère que quand mes livres paroitront, iis me feront connoître , même à la postérité. Il n’est pas étonnant qu’on ne me connoisse pas davantage les autres architectes sollicitent et se donnent beaucoup de mouvement pour être employés. Quant à moi , j’ai appris de mes maîtres, qu il faut qu un architecte attende qu on le prie de prendre la conduite d’un ouvrage , et qu’il ne peut , sans rougir , faire une demande qui le fait paroître intéressé , puisqu’on ne sollicite pas les gens pour leur faire du bien , mais pour en recevoir. Dans le fond , que croyons-nous que doit penser celui que nous prions de vouloir nous confier une partie de son bien , pour l’employer à une si grande dépense , sinon que nous lui faisons une telle demande pour nous enrichir à ses dépens ? c’est pourquoi les anciens ne confioient jamais d’entreprise à un af chi- i itej tecte sans s’être informés auparavant de sa naissance , et s’il avoit reçu une bonne ïE'ii 3H !i il s 1 ÜJ'Oïl I éducation ils prêter oient celui qui étoit modeste , à celui qui vouloit paroître fort capable. Les artistes alors n’enseignoient leur art qu’à leurs enfans, ou à leurs parens ; s il ils s appliquoient sur-tout à en faire d’honnêtes gens , auxquels on pouvoit , sans crainte , confier ses richesses ; mais aujourd’hui que je vois qu’une science si noble l et si importante est traitée par des gens si peu entendus , qui ignorent non-seule- y ment les règles de l’architecture , mais même celles de la maçonnerie, je ne puis ' assez louer le père de famille qui se fie sur ses propres connoissances , et dirige lui** ' même la construction des édifices qu’il fait bâtir puisqu'il faut qu’il confie ses ou- . vrages à des ignorans , il préfère les conduire lui-même et les faire à sa fantaisie , il puisque c'est lui qui en fait la dépense. dif i fl j 5 s* Nous ne voyons pas en effet que personne s’avise chez lui de se mêler d’autres métiers ; on se fie sur la capacité du cordonnier , du foulon et des autres ouvriers qui exercent des arts faciles , et non pas sur celle de l’architecte pourquoi ? parce qu’on reconnoît tous les jours , que ceux qui professent l'architecture , ne connois- sent pas cet art. Ces raisons m’ont déterminé à composer un traité complet de l’architecture , où toutes les règles se trouvent réunies , et j’ose me flatter que cet ouvrage pourra plaire à beaucoup de monde. ù ü'à 1 ai Après avoir enseigné , dans le cinquième livre , les règles qu’il faut suivre dans la construction des édifices publics, j’expliquerai dans celui-ci comment il faut distribuer et proportionner les maisons des particuliers. 33. 260 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE PREMIER. * Comment il faut situer les édifices dans les dijférens climats. Pour bien disposer les habitations, il faut d’abord faire attention au pays et au climat dans lequel on les veut bâtir car on doit les construire en Egypte autrement qu’en Espagne; autrement dans le royaume de Pont, qu’à Rome ; et de même dans les autres pays ; parce qu’une partie de la terre se trouve près du cours du soleil ; qu’une autre partie en est très - éloignée ; et que la partie la plus tempérée se trouve au milieu de ces deux extrémités. L’aspect du ciel variant dans les diverses parties de la terre , à cause du rapport qu elles ont avec le cercle du zodiaque et le cours du soleil, la température y varie également. C’est donc d’après elle qu’il faut régler la construction des édifices dans les différens pays et les différens climats. Dans les pays septentrionaux , il faut voûter les habitations , bien les crépir ; faire les ouvertures 1 petites , et les tourner vers les parties du monde, où règne la chaleur. Dans les contrées méridionales , qui sont exposées aux ardeurs du soleil brûlant, il faut au contraire faire de grandes ouvertures, et les tourner vers le septentrion et le nord-est. C’est ainsi que fart corrige les inconvéniens qu’occasionne la nature ; et qu'on sait, par une bonne exposition , se procurer , dans tous les pays, une température qui convient au climat. Pour y parvenir , il faut examiner la nature de chaque chose , et sur-tout celle du corps humain , parmi les. différens peuples. Dans les endroits où le soleil n’attire pas beaucoup de vapeurs , le corps de l’homme conserve un tempérament modéré ; dans ceux qu’il brûle , par la proximité de son cours , il consume l’humidité qui entretient le bon tempérament au contraire dans les pays froids , et éloignés du midi , la chaleur n est pas assez forte pour épuiser l'humidité , et lair y contenant beaucoup de vapeurs , remplit le corps d’humeurs , le rend plus massif , et fait sur - tout grossir la voix. C’est pourquoi les peuples que produit le nord , ont la taille si forte , la peau blanche, les cheveux plats et roux , les yeux bleus et ont beaucoup de sang à cause de la- i Il entend par-là celle* des portes et des fenêtre*. I LIVRE VI, C h à p. i. 26] u bondance de l’humeur et du froid de l’air. Ceux au contraire qui habitent vers l'équateur , près du cours du soleil, sont de petite taille , ont la peau basanée , les cheveux crépus , les yeux noirs , les jambes foibles , et peu de sang dans les veines , à cause de l’ardeur du soleil cela fait que , quoiqu’ils soient plus timides dans les combats , ils supportent aisément les chaleurs et les fièvres auxquelles ils sont accoutumés. Au lieu que ceux qui naissent vers le nord , craignent les fièvres et en sont affaiblis ; mais comme ils ont beaucoup de sang , ils sont plus forts au métier des armes et ne craignent pas de le verser dans les combats. Le son de la voix n’est pas non plus le même par-tout ; il varie de ton , suivant les différens peuples , parce qu’aux extrémités de la terre , à l’orient et à l’occident, où le globe paroît en équilibre , la partie supérieure et inférieure du ciel, semble séparée par un cercle placé de niveau , que les mathématiciens appellent l’horizon. Si l’on se pénètre bien de cette vérité , et qu’on tire une ligne depuis le bord septentrional de l’horizon , jusqu’au centre de l’axe du méridien , ou de l’équateur, et que de ce point on trace une autre ligne oblique jusqu’au pôle, qui est derrière les étoiles septentrionales, on verra clairement que ces lignes formeront, sur le globe , la figure d’un triangle , semblable à celui de cet instrument appelé sambuque par les Grecs, Il suit de-là que les peuples qui habitent l espace le plus près de la pointe inférieure de ce triangle , c’est-à-dire sous l’équateur , et vers le midi, à cause du peu d élévation du pôle , ont le ton de la voix mince et aigu , comme celui que rendent les tubes , qui , dans 1 instrument sont les plus près de l’angle. Les autres peuples à mesure qu’ils s’élèvent vers le pôle, les Grecs , qui sont dans le milieu , ont la voix moins haute. Enfin ceux qui habitent depuis ce milieu jusqu’à l’extrémité du nord, sous le pôle , ont le son de la voix plus bas et plus grave. If 5s k 8 idf-f! i i]M nï F** On voit par-là, comment l’obliquité du zodiaque , et les consonnances que forment les diverses influences du soleil, produisent l’harmonie qui compose le monde. Les peuples donc , qui habitent le milieu entre 1 équateur et le pôle , ont, en parlant, un ton de voix moyen, semblable aux tons de musique qui occupent le milieu dans le diagramme 1. Ceux ensuite qui approchent du septentrion , parce qu’ils ont le pôle plus élevé , ont le ton de la voix bas comme l’hypate ou la proslambanomenos , à cause que 1 humidité remplit les conduits de la voix 5 et pour la même raison , les peuples qu on rencontre depuis la région moyenne , en s’avançant vers le midi, ont le ton de la voix mince et aigu , semblable à celui de la parallèle. {* Voyez les remarques à la fin du 4- me Chap. du V. me Liv. 262 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. Celte vérité' que les endroits humides grossissent la voix , et que ceux qui sont chauds la rendent plus aigue , peut se prouver par celte expérience. Qu’on prenne deux vases de terre cuits dans le même fourneau , d’un même poids , et qui rende le même ton ; qu’on en plonge un ensuite dans l’eau, et qu’a- près l’en avoir retiré , on les frappe tous les deux on trouvera une grande différence dans les sons qu’ils rendront l’un et l’autre et qu’ils ne sont plus du même poids. Il en est de même pour les hommes, quoiqu’ils naissent tous avec la même ligure , et sous le même ciel les uns , à cause de la grande chaleur du climat, auront la voix aigue ; d’autres l’auront plus grave , à causé qu’une grande humidité est répandue dans le leur. Cette subtilité de l’air , et la chaleur qui règne dans les pays méridionaux , fait aussi que les habitans y ont l’esprit plus vif, et plus pénétrant ; tandis que les peuples du nord, assoupis par l’air épais qu’ils respirent, et par les vapeurs humides dont il est imprégné , ont l’esprit beaucoup plus lourd. Les serpens nous font voir cela bien clairement ; pendant la saison des chaleurs qui épuisent l’humidité froide qui est dans leur corps , ils sont fort agiles et pendant l’hiver, engourdis par le froid , ils deviennent mornes et assoupis. Il ne faut donc pas s’étonner , si la chaleur aiguise l’esprit et si le froid l’émousse. Les peuples du midi, malgré leur esprit pénétrant, leur vivacité et toute leur intelligence , restent sans vigueur quand il s’agit de faire quelque action de bravoure , parce que l’ardeur du soleil les énerve et leur ôte la force du courage ; d'un autre côté , ceux qui naissent dans les pays froids, quoique plus propres aux armes , et que pleins de valeur , ils s’exposent sans crainte à toutes sortes de dangers, comme ils attaquent sans intelligence et sans précaution , ils échouent souvent dans leurs entreprises. La nature ayant donc elle-même partagé l’univers en plusieurs climats, d’une température si opposée , qui rendent les nations si différentes les unes des autres , elle a voulu que le peuple romain occupât le centre, et qu’il’fût placé au milieu de tous ces peuples , entre les deux extrémités du monde ce qui fait que la valeur et l’intelligence sont le partage des peuples d’Italie , parce qu’ils sont également pourvus des forces du corps et de celles de l’esprit. C’est ainsi que la planète de Jupiter parcourt un espace tempéré, entre celui de Mars, qui est très-chaud, et celui de Saturne f qui est très-froid. De même les peuples d’Italie , placés entre le nord et le midi, jouissent d’un climat tempéré, et de tout ce qu’il y a de plus estimable dans ces deux extrémités du monde 5 par leur prudence , ils surmontent la force des barbares ; et par leur valeur , la ruse et l’adresse des habitans du midi. Le ciel mit la ville du peuple romain dans le meilleur et le plus tempéré de tous les climats , afin qu’il pût conquérir l’empire de l’univers. LIVRE VI, C h a p. i. 263 ' S’il esl vrai que la variété qu’on remarque dans les diverses contrées , dépend de l’aspect du ciel, dont 1 influence cause des effets si différens sur la structure du corps et les qualités des peuples qui les habitent, on ne peut douter qu’il ne soit de la plus grande importance d’approprier les édifices aux climats des divers peuples ; ce qui est bien aisé, puisque la nature elle-même nous montre la règle qu’il faut suivre. C’est pourquoi j’ai fait tout mon possible pour expliquer les propriétés naturelles de chaque endroit, et de quelle manière il faut disposer les édifices, suivant les aspects du ciel et la nature des peuples. Je vais présentement indiquer, en peu de mots , la distribution, les mesures , et les proportions qu’il faut donner en général et en particulier à ces édifices. RE 31 ARQUE S. Quelque mauvais que soient les raisonnemens et la physique de Aitruve pour expliquer l’influence des climats sur Je corps humain , il n’en est pas moins vrai qu’un architecte doit différemment construire les édifices dans les diverses contrées , suivant le climat et la nature du pays ; et quoique l’auteur ne parle ici qu’en général , il arrive souvent que dans un très-petit espace , le climat , ou plutôt la température de l’air , n’y est pas par-tout la même. Les montagnes et les diverses expositions , causent cette variété. L’architecte doit alors savoir appliquer , à ces cas particuliers , les règles générales qu’on lui donne dans ce chapitre. Vilruve revient encore ici aux. principes de Pythagore , qui prétend qu’une harmonie générale compose et fait mouvoir le monde. Pour démontrer , d’après ce principe , comment la voix de l’homme n’est pas la même dans les différens climats, il se sert d’une comparaison plus ingénieuse qu’exacte. Il suppose un triangle , placé dans le globe , semblable à l’instrument de musique appelé sambuque } qui est composé de plusieurs tuyaux inégaux qui vont toujours en augmentant, ce qui forme un triangle. Le dieu Pan dans ses statues, est toujours représenté tenant en main cet instrument. L’embarras où se trouvoil l’auteur , pour expliquer, en aussi peu de mots, comment tout dans le monde se réduit aux principes de la musique , rend l’interprétation de ce passage assez difficile. Jucundus que Perrault a suivi , l’a rendu d’une manière , et Barbaro , dont Galiani a adopté l’interprétation , le rend d’une autre. J’ai préféré celle de ce dernier , qui me paroît plus conforme au texte. L’explication suivante la fera comprendre aisément pour peu qu’on connoisse la sphère. Soit i’horison du monde B bb du bord septentrional B ; on tire la ligne B À au centre de l’axe du méridien ou de l’équateur A 5 et de ce point A , on tire par en haut une autre ligne i64 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. oblique , jusqu’au pôle C. Ensuite , quoique l’auteur ne le dise pas , on tire encore une autre ligne du point C jusqu’au B , ce qui forme le triangle ABC, semblable à l’instrument de musique nommé sambuque. Cela posé , voici son raisonnement. Les peuples qui ont le pôle peu élevé, comme ceux , par exemple , qui , dans la figure , occupent l’espace B r , ont le ton de la voix semblable à celui du tuyau de la flûte sambuque e e, qui est égale à l’élévation du pôle B 1 . Ceux qui ont le pôle plus élevé , comme seroit B 2 , ont le ton du tuyau qui est égal à l’élévation du pôle B 2 . Ceux qui ont le pôle encore plus élevé comme B 3, ont le ton du tuyau g g , qui est égal à l’élévation du pôle B 3. Il en est de même pour les autres. Nous ne nous arrêterons pas davantage sur celte hypothèse de Pythagore , par laquelle il veut prouver que tout ce qui se fait dans le monde, est l’effet d’une harmonie générale. C’est une idée des plus ingénieuses des anciens. L’auteur pour complimenter le peuple Romain sur ce que les dieux l’ont placé dans le plus heureux climat de l’univers , compare cette situation à celle de la planète de Jupiter , qui parcourt , suivant lui , un orbite tempéré entre celui de Mars qui est très-chaud, et celui de Saturne qui est très-froid. On voit qu’il suit, en cela , le système qui porta par la suite le nom de Ptolomée , qui place, comme on sait la terre au centre de l’univers , et fait tourner autour d’elle toutes les planètes, en les supposant s’éloigner de ce centre dans l’ordre suivant. La Lune , la plus près d’elle ensuite Mercure , Yénus, le Soleil , Mars , Jupiter, et Saturne le plus loin ainsi Mars étant très-près du Soleil , on jugeoit qu’il devoit avoir très-chaud. 11 n’en est pas de même , suivant le système des Pythagoriciens et de Géante de Samos que Copernic renouvela. Ils placent Mars beaucoup plus loin du Soleil qu’ils n’y placent la terre , tellement que , par rapport à la terre , Mars seroit dans la classe des planètes les plus froides. CHAPITRE II Comme on doit régler les proportions des édifices d’après la nature des lieux. I_j ’architecte doit avoir soin sur-tout que les proportions des différentes parties de l’édifice se rapportent entre elles pour former un bel ensemble. Quand il aura déterminé , d’après les règles , cette proportion, et qu’il aura trouvé les mesures par le calcul , rien ne fera paroître davantage son génie, s’il sait adroitement en ôter ou y ajouter quelque chose, suivant que la nature du lieu, l’usage et la beauté le demandent , et sans que ces retranchemens , ou additions , paroissent rien déranger aux proportions, ni que la vue en soit offensée. En effet, les objets paroissent tout autrement, lorsqu’ils sont sous nos yeux , que quand ils sont élevés fort haut ; et ce qui est dans un lieu enfermé , produit un tout autre effet que quand il est à découvert. Il faut, pour bien réussir en cela, être doué d’un grand jugement car la vue ne nous rend pas toujours les objets tels qu’ils sont, et ses jugemens nous trompent souvent ; comme on l’éprouve dans la peinture, où des colonnes , des mutules et des statues paroissent saillantes et avancées hors du tableau , que pourtant l’on sait être une superficie plate et unie. De même les rames des navires , quoique droites, paroissent rompues dans l’eau , il n’y a que la partie , qui est dehors , qui paroît droite , telle qu elle l’est effectivement ; et cela parce que la partie qui est enfoncée dans l’eau , devant renvoyer son image au travers du fluide transparent jusqu’à la superficie de l’eau , ce mouvement fait qu’elles paroissent rompues. Soit que nous voyions les choses par l’émission que les objets font des images , ou par les rayons que nos yeux répandent sur les objets , comme les physiciens le prétendent , il n’en est pas moins vrai que les jugemens de nos yeux sont souvent très-faux. Si donc ce qui est vrai paroît quelquefois faux, et si les choses semblent souvent être autrement quelles ne sont, je ne crois pas qu’on puisse douter de la nécessité d’ajouter ou de diminuer en changeant un peu les proportions, quand la nature des lieux le demande, pourvu toutefois qu’on ne touche point aux choses essentielles ; mais il faut pour cela beaucoup d’intelligence, et bien connoître les règles de l’art. On doit donc d’abord établir la proportion suivant les règles, afin de voir préci- 34 - 266 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. sèment de combien on peut s’en écarter ; ensuite on trace le plan , en long et en large, de tout l’ouvrage qu’on entreprend, et de toutes ses parties. La chose faite, on s’occupe de leur donner les proportions qui conviennent et qui produisent cette beauté d’aspect, qui fait qu’en voyant l’édifice, on s’aperçoit aisément qu’on y a bien observé l’eurythmie , dont je vais parler présentement, et enseigner par quel moyen on peut y parvenir. Je commence par les cours des maisons , et je vais expliquer comme on doit les faire. REMARQUES. L’auteur nous avertit sagement dans ce chapitre , qu’il n’est pas aussi nécessaire de trouver les exactes proportions des diverses parties de l’édifice que de faire en sorte qu’étant chacune dans leur place , elles paroissent telles qu’elles doivent être. Là manière dont la chose est située , son élévation et d’autres causes semblables, altèrent souvent l’apparence ; c’est pour cela , cô'mïne nous l’avons vu , qu’on doit faire les colonnes des angles, un cinquantième plus grosses que celles qui sont à leurs côtés, afin qu’elles paroissent égales à celles-là et les colonnes qui sont dans un lieu fermé , plus minces que celles qui sont dans un lieu ouvert. Voyez le &. me Chap. du III. me Liv. Les raisons que Vitruve nous donne pour expliquer les causes des erreurs de notre vue , ne sont pas toutes conformes à celles de notre physique moderne. Pa*r exemple lorsqu’il dit qu’une rame à demi enfoncée dans l’eau , paroît rompue , à cause dù mouvement que doit faire la partie qui est dans l’eau, pour renvoyer son image jusqu’à la superficie , il se trompe. Le pli qu’offre ces rames , vient de la raréfaction que souffrent les rayons visuels en passant obliquement d’un milieu plus dense, telle qu’est l’eau, dans un qui l’est moins, comme est l’air. CHAPITRÉ I I I. Des Cours des Maisons. * O n distingue cinq espèces de cours ; on les appelle, à cause de leur figure, ou Toscanes , ou Corinthiennes , ou Tétrastyles 1 , ou découvertes , ou voûtées. Les cours Toscanes sont celles dans lesquelles les deux poutres CC. CC. traversent leur largeur en soutenant les poutres de traverses DD. DD. et les conduits des noues EB. EB. qui sont entre les angles E des murs et les croix que font les poutres. La * Planches XXI. rae et XXII. 1 C’est-à-dire à quatre colonnes. ; ri Haï .ailles J iiéjalt ïtas pi toile- iils prs ^pob 'aetciTx 'SIC 10, 'las sur. sur ’^set K '71 269 LIVRE VI, Chap. iii. bâlimens qui les entourent sont très-peu élevés ; ils n’ont que le rez-de-chaussée ; dans les murs de la galerie , sont les portes des appartenons. On y voit aussi quelques petites ouvertures assez élevées qui éloient les fenêtres , qui ne ressembloient pas aux nôtres. Il paroît que les Romains dans l’intérieur de leurs maisons , préféroient l’obscurité à la lumière , sans doute pour éviter la chaleur. Ils ne prenoient non plus jamais le jour sur la rue ; mais toutes leurs fenêtres éloient dans l’intérieur ainsi ces toits avancés garantissoient de la pluie les portes et les fenêtres , et empê- choient les rayons du soleil de pénétrer dans les appartenons. Les gravures de Galiani nous donnent une idée assez exacte de ces cours des anciens. Il les représente très-petites , sans savoir précisément ce qu’éloit le compluvium, y il le représente au milieu de la cour , comme étant l’espace où tomboit l’eau des pluies ; niais il n’indique pas l’enfoncement. Perrault, au contraire , représente ces cours entourées de grands bâtimens , ayant un étage au- dessus du rez-de-chaussée, avec de grandes croisées, tant dans le bas que dans le haut, semblables à celles de nos plus grands hôtels. On ne voit rien qui ressemble à cela dans les bâtimens qui ont été découverts jusqu’à présent à Pompeia. Il est vrai qu’on n’a encore découvert qu’une rue et un quartier , qui se trouvoient l’un et l’autre aux extrémités de la ville , et faisoient presque partie des faubourgs. Ce n’est pas là où se trouvent ordinairement les grands édifices. II se peut que quand on dirigera les fouilles vers le centre de cette ancienne ville , on découvrira des édifices plus considérables. Mais d’après la hauteur , que Vilruve assigne, dans le chapitre suivant , aux galeries qui entourent les cours , je suis persuadé que les cours des plus grandes maisons ne seront pas beaucoup plus vastes que celles des maisons des faubourgs. Puisque la hauteur de ces galeries jusqu’au faîte du toit doit égaler toute la longueur de la cour > on sent que cette hauteur pouvoit devenir excessive si les cours avoient été un peu grandes , et qu’il seroit même impossible de faire des galeries aussi hautes j d’ailleurs la plus grande longueur qu’il assigne aux cours est 100 pieds. Je vais présentement rendre compte des interprétations que j’ai données aux mots qu’emploie Vitruve , pour désigner les différens .objets qui enlroient dans la construction des cours des anciens. Je commence par la cour Toscane, qui devoil avoir cette forme. Voyez la T. re fig. de la XXI, rae planche. La pente du toit BBBB devoit former une saillie considérable en avant du mur , comme on le verra dans le chapitre suivant. C’est pour cela qu’on le faisoit soutenir par quatre poutres. Les deux plus courtes CC , CC , traversoient la largeur 5 trabes in atrii latitudine trcijecta les deux autres qui éloient plus longues, DDDD, traversoient la longueur 5 il les nomme interpensiva; elles s’appuyoient sur les deux premières. Ensuite les noues , ou égouts des noues colliquiæ FB , FB éloient soutenues par les chevrons , et ceux-ci par des pièces de bois nommées coyaux , qui posoient sur les angles EE du mur , et sur la croix formée par les poutres. D’autres chevrons appuyés Sur le mur et sur les quatre poutres, soulenoienl le toit qui regnoit tout autour et venoit verser ses eaux dans le réceptacle compluvium ou impluvium K } qui étoit au milieu de la cour. 11 est étonnant comment M. r Galiani a pu aussi bien interpréter ce passage , sans avoir vu les cours anciennes qu’on a découvertes depuis à Pompeia ; il n’a pourtant pas indiqué 1 enfoncement du compluvium qu’il ne pouvoit connoître j et comme au-dessus du compluvium , il n’y avoit pas de \ 27 ° L’ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. toit , il a cru que ce mot signifîoit la partie de la cour qui étoit découverte. Le reste de sa figure est si conforme aux cours des anciens que j’ai vues à Pompeia, que je n’y ai rien changé. Barbaro a cru que le mot interpensipa signifîoit une pièce de bois dont une des extrémités étoit appuyée sur l’angle des murs , et l’autre sur l’angle que formoient les poutres en se croisant ; et cela parce qu’il s’est imaginé que les mots interpensipa et colliquice signifioient une même chose. S’il avoit examiné le texte avec un peu plus d’attention , il auroit vu qu’ils indiquoient deux choses très-différentes. Le premier , comme nous venons de le dire , signifîoit les deux poutres qui traversoient la longueur de la cour DD, et l’autre les conduits des noues , fig. 1, pl. XXL D’un autre côté, Perrault, qui suit ici l’interprétation de Phiîander, croit qu’interpensipa signifîoit des potences ou plutôt des soutiens posés diagonalement , dont l’extrémité inférieure étoit enfoncée dans l’angle des murs , et la supérieure portoit les poutres dans l’endroit où elles se croisoienl. Son explication tirée aux cheveux , et les corrections ou plutôt les changemens qu’il fait encore ici au texte, suivant sa coutume , prouve combien il s’éloigne du vrai sens de l’auteur. Malgré l’autorité de ces deux savans , Galiani croit que par interpensipa , on doit entendre , comme Baldus l’a entendu , les deux poutres qui étoient posées sur les deux premières , et formoient avec elles un carré long. Si l’on analyse le mot interpensipa , on verra qu’il signifie proprement une poutre qui pend dans le milieu entre les deux autres ; on pourroit l’appeler , s’il m’est permis d’employer cette expression nouvelle , poutre interpensive. Ce que dit l’auteur un peu plus loin , en parlant des cours tétraslyles , prouve que nous avons saisi la vraie signification de ce mot. Des colonnes doivent être placées pour soutenir les pioulres, dans l’endroit où elles se croisent, ce qui produit, dil-il , deux avantages l’un , que les poutres qui traversent la largeur , auront moins de fatigue , et seront moins sujettes à plier , quand même la cour seroit un peu large neque ipsœ trabes magnum impetum coguntur habere. Par trabes , comme nous l’avons vu tout-à-l’heure , il entend proprement les poutres qui traversent la longueur de la cour ; et quoiqu’en dise Perrault , par im- petus il entend la longueur de la poutre , et non la charge qui seroit dessus. En effet, des poutres supportées par des colonnes , ne fatiguent pas autant dans leur longueur , non coguntur habere magnum impetum. Ce qu’il dit ensuite , en parlant des cours couvertes ou voûtées prouve encore davantage que c’est le sens qu’il faut donner à ce mot. On peut les faire ainsi, dit - il , quand la longueur de la portée ou la distance le permet, ubi non sunt impetus magni. L’autre avantage , c’est que le poids de ces poutres , n’est pas augmenté par celui de celles qui traversent neque ab inter- pensipis onerantur. Ces colonnes étant placées par-dessous , immédiatement dans l’endroit où elles ge croisent , les empêchent de plier. \ Dans les GOurs corinthiennes , il faut nécessairement faire porter ces poutres tout autour par des colonnes ; parce qu’étant beaucoup plus étendues que les cours toscanes , il seroit impossible de trouver des poutres assez longues , pour les faire d’une seule pièce ; si même on en trouvoit , on ne pourroit les employer, à cause qu’elles éprouveroient trop de fatigue et plieroient infailliblement, Yoye? la XXIX mc planche. J’ai donné aux cours découvertes , dont parle Vitruve , une figure toute nouvelle , et qui me paroît„ plus conforme au texte , que celles qu’on leur a données jusqu’à présent. L’auteur dit, LIVRE VI, Chap, iv. 271 displu viatœ autem sunt , in quibus deliquiœ arcam sustinentes stillicidia rÿiciunt ; on a remarqué que les trois cours dont on a parlé jusqu’à présent, sont eu partie couvertes. Pour ne pas m’écarter du texte et donner au mot displuviata toute son expression , je snppose que cette cour est entièrement découverte , et que la pente des toits , au lieu de verser les eaux dans la cour, les verse de l’autre cote , c’est-a-dire , en dehors. Le mot stillicidium signifie ici , comme toutes les autres fois que l’emploie , la pente du toit qui est favorable à l’écoulement des eaux. Dans le premier chapitre du second livre, il appelle les toits des cabanes des premiers hommes stillicidia ; et dans le septième chapitre du quatrième livre, en parlant de la forme que doit avoir le toit d’un temple toscan , il dit stillicidium , tecti tertiario respondere debet. Pline appelle aussi stillicidia Pépaisseur du feuillage des arbres, quand elle est capable de mettre à couvert de la pluie, parce que Peau s’écoule de l’extrémité des branches, comme de dessus la pente d’un toit. J’ai donc représenté cette cour entièrement découverte , sans aucun auvent et au contraire des autres, lapente des toits n’est pas dirigée vers la cour, mais en dehors, du coté opposé’, comme l’indiquent ces expressions , stillicidia rejiciunt y par là rien n’empêchoit la lumière de pénétrer dans les salles à manger , non obstant luminibus tricliniorum. Si l’on fait bien attention au texte , et si l’on se rappelle l’interprétation qu’on vient de donner au mot impetus , on verra clairement que les cours voûtées testudinatum , étoient entièrement couvertes, et non entourées de portiques voûtés, et découvertes dans le milieu, comme Perrault l’a cru ; parce que , d’après les expressions de l’auteur, on ne pouvoit faire des cours couvertes qu’autant qu’elles éloient peu spacieuses , ubi non sunt impetus magni / et qu’on avoit besoin d’agrandir, par ce moyen, la partie supérieure de l’habitation, qui étoit augmentée de tout l’espace qui se trouvoit au-dessus de la cour. Galiani observe en outre qu’il devoit naturellement y avoir une espèce de cour entièrement couverte , et qu’il auroil été étonnant que Vitruve ne l’anroit pas mise au nombre des cinq dont il parle dans ce chapitre; elle ne s’y trouveroit pas en effet * si la cour voûtée étoit telle que Perrault la représenté; et si elle étoit 4elle, ajoute Galiani, elle ne mëriteroit pas de faire une espèce séparée , puisqu’elle ne diffère pas assez de la cour corinthienne , n’y ayant entre elles d’autre différence , sinon que la couverture des portiques de l’une étoit portée par des voûtes, et celle de l’autre par des poutres. » CHAPITRE IV. Des Cours , de leurs galeries , des Cabinets délude et des Péristyles. * Les diverses dispositions de la longueur et de la largeui des cours, forment trois genres différens. Le premier, c’est quand on divise la longueur en cinq parties pour en donner trois à la largeur. La seconde , c’est quand on la divise en trois pour en donner deux à la largeur. La troisième , c’est lorsqu’ayant tracé un carré équilatéral dont un côté lait la largeur de la cour, on prend la diagonale de ce carré pour la longueur i. La hauteur jusqu'au dessous des poutres doit avoir un quart moins que la longueur ; dans ce quart qui reste, on distribue l’épaisseur des plafonds et la hauteur du toit au-dessus des poutres. La largeur des galeries 2 qui sont à droite et à gauche, doit égaler le tiers de la longueur de la cour 3, quand elle est de trente à quarante pieds ; mais quand la longueur est de quarante à cinquante pieds, on la divise en trois parties et demie; line de ces parties sera pour les galeries ; quand elle est de cinquante à soixante, les galeries en auront la quatrième partie; quand elle est de soixante à quatre-vingts, on la divise en quatre et demie, et l’on en donnera une à la largeur des galeries; si enfin, la longueur est de quatre-vingts à cent pieds, la cinquième partie sera justement la largeur des galeries. Les poutres de cette galerie doivent être posées assez haut pour égaler la hauteur à la largeur 4. * Planches XXI.”* et XXII.”* 1 La deuxième figure de la XXI.™ 8 planche représente une cour dont la longueur contient trois parties-, et la largeur deux. La XXIL ra * planche représente une cour longue de cinq parties et large de trois. Les figures i et 3 de la XXI.” e planche sont celles qui ont la largeur du côté d’un carré et qui sont aussi longues que sa diagonale. 2 Dans nos remarques sur le premier chap. du Ill. me livre, nous avons observé que les anciens appeloient ailes, les galeries, portiques ou colonnades qui étoient aux deux côtés des temples , c’est pourquoi j’ai rendu ici le mot ah , par celui de galerie. 3 La raison nous dit que celte troisième ou quatrième partie de la longueur qui est attribuée à la largeur de* galeries , ne doit pas s’entendre pour chacune des galeries , mais pour les deux prises ensemble ; partant on en doit donner la moitié à chacune , de manière que chaque galerie n’a que la sixième partie de la longueur de la cour. 4 - Pour concilier la hauteur qu’il assigne ici aux galeries , avec celle qu’il a assignée un peu auparavant pour les cours, il faut croire que ces galeries, dont la hauteur égale la largeur, sont seulement pour les cours qui ont plus de 80 pieds de long , et qu’il les cite compte faisant exception. j LITRE TI, C h a p, iy, ^ II faut donner au cabinet d’étude i les deux tiers de la largeur de la cour, quand elle est de vingt pieds ; quand elle est de trente à quarante, on ne lui en donne que la moitié; et quand elle est de quarante à cinquante , on divise cette largeur en cinq parties, et on en donne deux au cabinet d’étude. Les petites cours ne peuvent avoir les mêmes proportions que les grandes , parce que si l’on suivait les proportions des grandes cours pour les petites, les cabinets d étude et les galeries des cours ne seroient d’aucun usage et si au contraire on se servoil des proportions des petites cours pour les grandes, les galeries et les cabinets d’étude seroient trop vastes. C’est pourquoi j’ai cru devoir rapporter les règles générales qui établissent l’exacte grandeur quelles doivent avoir pour 1 usage auquel elles sont destinées, et pour quelles parois- sent agréables à la vue. La hauteur du cabinet d’étude, jusqu’au dessous des poutres, doit surpasser d’un huitième la largeur on élève ensuite le plafond, en ajoutant à cette hauteur le sixième de la largeur 2 . Les ouvertures, du côté de la cour, auront les deux tiers de la largeur des cabinets, s’ils sont petits ; s’ils sont grands, elles seront de la moitié. La hauteur des statues avec leurs ornemens sera proportionnée à la largeur des galeries. Pour la largeur et la hauteur des portes, on suit les proportions doriques quand elles sont doriques, et les proportions ioniques quand elles sont ioniques , et toutes les règles que nous avons établies dans le quatrième livre pour la construction des portes. La largeur de l’ouverture , au-dessus du réceptacle d’eau, ne peut être ^moindre du quart, ni plus du tiers de la largeur de la cour. La longueur doit être à proportion et suivant celle de la cour. * Planche IX 1 * 1 '. 1 J’ai traduit tablinum par cabinet d’étude. C’étoit probablement ce que nous nommons les archives, où l’on conservoit les registres de recette et de dépense , tabulœ , comme dans la pinacotheca on conservoit les tableaux, G’étoit là où l’onécrivoit suivant les deux manières des anciens ; d’abord sur des tablettes enduites de cire, parce qu’ils traçoient ainsi leurs premières idées ; ensuite sur des feuilles de vélin ou de papier sur lesquelles ils les transcrivoient après. Cet endroit devoit contenir plusieurs bureaux ou tables pour écrire. Cependant comme tablinum est dérivé de tabula , qui signifie aussi une planche , il se peut qu’on appeloit tablinum x une chambre entièrement planchéiée. Encore aujourd’hui en Italie, o* appelle tablino , une allée pour passer dans la cour d’un logis. 2 Si par lacunaria on n'entend pas ici le plafond d’une voûte cintrée que l’auteur désigne dans le chapitre suivant par ces expressions, curva acunaria ad circûnim delumbala , il faut absolument supposer avec Perrault qu’il y a une faute du copiste, et lire VI au lieu de III ; on aura facilement fait cette faute en écrivant le six de cette façon VI en supposant que l’auteur ne veut qu’un enfoncement ordinaire dans le plafond , il est évident qu’en le faisant du tiers de la largeur de la galerie , il seroit plus d’une fois plus grand qu’il ne doit être. 36 L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 274 Les péristyles 1 doivent être un tiers plus longs en travers qu’ils ne sont, en avant ; leurs colonnes seront aussi hautes que les portiques sont larges les entre- colonnemens ne peuvent avoir moins de trois diamètres de colonnes , ni plus de quatre, si ce n’est qu’on veuille faire à ces péristyles des colonnes d’ordre dorique ; en ce cas il faut régler les mesures , et distribuer les triglyphes, comme je l ai prescrit dans le quatrième livre. RE MJ R Q UES. On a mal à propos séparé ce chapitre de celui qui précède , parce que traitant le même sujet, c’est-à-dire , des cours, ils n’en devroient faire qu’un. Le premier qui a fait cette division et qui a induit tous les autres en erreur , s’est imaginé que le mot atrium , que l’auteur emploie dans ce chapitre pour désigner les cours des maisons, n’étoit pas le synonyme de cavum œdium qu’il emploie dans le chapitre précédent pour exprimer le même objet mais que atrium étoit le synonyme de vestibulum. D’après cela , ils ont fait de Yatriurn une espèce de vestibule. Ils auroient vu combien ils étoient dans l’erreur , s’ils avoient fait attention à ce que dit l’auteur dans le io. m * Chap. de ce liv. , où l’on voit clairement que Vatrium et le vestibulum étoient deux choses toutes différentes; comme nous le remarquerons alors; et s’ils avoient réfléchi, ils auroient vu que l’auteur, après avoir distingué dans le chapitre précédent, les cinq espèces de cours, continue ensuite à donner leurs proportions, et que ce sont ces proportions qu’on trouve décrites dans ce Chap. IY, quùm nùmroit pas dû séparer de l’autre. Il étoit cependant aisé de voir que atrium cl cavum œdium signifioient la même chose. Dans le chapitre précédent on lit cava œdium tus- canica sunt in quïbus trabes in atrii ïatitudine trajectœ , etc. ; Dans le 8. mB Chap. de ce Liv., en parlant de cette partie de la maison , dans laquelle tout le monde pouvoit entrer sans être invité, il dit d’abord vestibula > cava œdium , peristylia, etc., et un peu après, en parlant des maisons de la noblesse il dit qu’elles doivent avoir vestibula regalia , alla atrict et peristylia. En un mot, partout dans son ouvrage , on voit que les mots atrium et vestibulum signifient deux choses différentes , et au contraire que le mot atrium est le synonyme de cavum œdium. Joconde , ayant reconnu cette vérité, n’a fait qu’un seul chapitre de celui-ci et du précédent, dans son édition .Yitruye. 1 Outre la cour dont il a déjà parlé , les maisons de la ville en avoient encore une t autre beaucoup plus grande, appelée le péristjie , c’est-à-dire, entourée de colonnes. Les logemens des maîtres se trouvoient tout autour, comme on le voit dans la XVIlI." ie planche , et comme on le comprendra mieux encore en lisant la description de toute la maison, dans le chapitre suivant. Ces péristyles ressembloient parfaitement aux cloîtres des abbayes et des couvens des religieux ; usage qu’ils avoient pris de la manière de bâtir des Romains, et qu’ils ont conservé jusqu’à notre temps. LIVRE VI ? C h A p. T. 275 CHAPITRE V. Des Salles à manger , des Salons, des Exedres , et des Galeries de tableaux. Les salles à manger doivent être deux fois plus longues que larges. Quant à la hauteur , la règle générale , pour toutes les chambres qui sont plus longues que larges, est de joindre la longueur à la largeur , et de prendre la moitié de ces grandeurs réunies pour la donner à la hauteur; mais si les salles et les salons sont carrés , on fera la hauteur égale à la grandeur et demie d’un des côtés. Les galeries de tableaux et les exedres 1, doivent être grandes et spacieuses. Pour bien proportionner la longueur et la largeur des salons corinthiens et des salons tétrastyles qu’on nomme aussi salons égyptiens , il faut suivre les règles que nous venons de prescrire pour les salles à manger on doit seulement les faire plus spacieuses, à cause des colonnes qui s’y trouvent. Les salons corinthiens et les salons égyptiens diffèrent , en ce que les corinthiens n’ont qu’un ordre de colonnes posé sur un socle ou même sur le pavé, et ne soutiennent que l’architrave et la corniche faite en menuiserie ou en stuc , sur lesquelles s’élève ensuite le plafond qui forme une voûte concave et cintrée, tandis que les salons égyptiens ont des architraves sur les colonnes , et sur les architraves un assemblage de charpente qui va jusqu’aux murs d’alentour ; il porte un pavé , et forme une galerie découverte qui tourne tout autour ; ensuite sur l’architrave à plomb des colonnes d’en bas, s’élève un second ordre de colonnes , un quart plus petites que les premières , sur lesquelles il y a des architraves , et les autres parties de l’entablement sur lesquelles posent les ornemens du plafond. Entre les colonnes d’en haut, on place les fenêtres , ce qui fait qu’ils ressemblent bien plus à une basilique qu'à une salle à manger corinthienne. R E 31 J R Q U E S. J’aurois pu 5 en traduisant , rendre le mot triclinium que l’auteur emploie au commencement de ce chapitre , par celui de incline , comme j’ai rendu le mot exœdra par exèdre , puisque ces expressions latines francisées, sont employées présentement dans les ouvrages qui traitent des sciences. * Planche XlX. me des salles où se l'éunissoient les savans et les philosophes , 1 Les exèdres comme nous l’avons dit dans nos re- pour parler des sciences, marques sur le 2. me Chap. du V. me Liv. étoient de granit; ilt/ ft \ 276- L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. On les trouve entre autres , avec leur explication , dans l’excellent dictionnaire des sciences et des arts , que M. Lunier a fait imprimer en i8o5 j mais l’auteur , employant ici ce mot pour désigner une salle à manger, tandis qu’il l’emploie ailleurs ponr désigner la table et les trois lits sur lesquels éloient placés les convives , j’ai cru devoir le rendre par salle a manger , pour éviter toute ambiguité. Le mot triclinium est composé des mots grecs rpaç trois , et jcA ivy lit ; parce que les Grecs et les Romains avoient coutume de s’asseoir ou plutôt de s’étendre sur des lits pour manger , et qu’il y en avoit ordinairement trois autour de la table. On meltoit, sur les lits, des maielals plus ou moins précieux, suivant la richesse du maître de la maison. Il y avoit, sur chaque lit , trois convives et rarement quatre 1 il n’étoit pas honnête d’y en admettre davantage 2 ils avoient la partie supérieure du corps appuyée sur le coude 3 , et le reste étendu ; de manière que le premier convive avoit les pieds derrière le dos du second , et que la tête de celui-ci éloit vis-à-vis le milieu du corps du premier , avec un coussin entre deux les autres convives étoient rangés de même. Aux .pieds des lits étoient assis ceux qu’on appeloit les parasites 4 , les amis familiers et sans conséquence 5 , et les enfans 6 . Quoique Vitruve , comme nous venons de l’obseryer , se serve ici du mot triclinium 3 pour désigner la salle à manger , on voit , d’après ce qui précède , que ce mot signifioit proprement la table , avec les trois lits , sur lesquels les convives éloient assis ou plutôt couchés. Vitruve l’a entendu dans ce sens au dixième chapitre de ce livre, où, en parlant des grandes salles à manger des Grecs , il ne les appelle point triclinia mais œcos 7 ; il dit qu’elles éloient si grandes , qu’elles pouvoient contenir quatre iriclines , quatuor triclinia ; mais ici , dans ce cinquième chapitre , on ne peut pas douter que Vitruve n’ait entendu par triclinium la salle même où on dressoit uri table à trois lits. Outre les proportions des salles à manger ou iriclines , Vitruve nous donne encore , dans ce chapitre , celles des pinacotées > qui correspondent à nos galeries de tableaux , des exèdres ou salles de conversations , et des deux espèces à’cecus que j’ai rendu par le mot salon. • Perrault a cru que Vitruve distinguoil jusqu’à trois espèces à’œcus 3 c’est-à-dire le corinthien , le tétrastyle et l’égyptien ; s’il avoit cependant bien réfléchi sur les paroles du texte , il auroit bien vu qu’il n’en distinguoit que deux. Eci corinihii tetrastylique s quique œgyptii vocantur d’après ccs expressions , il faut que les salons létrastyles soient la même chose que les salons corinthiens , ou la même chose que les égyptiens. Barbaro étoit du premier avis , et Galiani, avec bien plus de raison , étoit du second ; puisqu’un peu après on voit, dans le texte , la différence qu’il y avoit entre les salons corinthiens et les égyptiens , et il ne fait plus aucune mention des létrastyles ce qui prouve que ce salon étoit la même chose qu’un des deux autres. 1 Virgile AEneid. L. I. V. 699. 5 Plaut. stich. , Act. III, Sce. 6. 2 Ilor. lib. I. Sat. v. 86. 6 Suet. vita Terentii. 3 Cicer. in Pis. C. 27. 7 On les appeloient œcos , c’est-à-dire des maisons , et cela 4 4 Horat. sat. a lib. II. Sat. 8, Ep. I, Y. 28. eause de leur grandeur. L I Y R E VI, C h a p. v. 277 Les salons égyptiens , dont il est parlé dans ce chapitre , ressemblent beaucoup à ce que nous appelons une chambre italienne. L essentiel de ce genre d édifice consiste a ne prendre le jour que d’en haut, et à avoir l’exhaussement de deux étages; ce qui procure trois grands avantages le premier, c’est que cette pièce peut être dégagée des quatre côtés, et répondre à quatre appartenions ; le second , qu’on y respire un air très-frais en ete ; le troisième , que le jour qui vient des quatre côtés , et par en haut, n’eblouit pas autant , et laisse, tout a l’entour, l’espace vuide pour y placér des tableaux et autres ornemens dont on le veut decorer espace qui est ordinairement occupé en grande partie par les fenêtres. INous voyons clairement , dans ce chapitre , comme nous l’avons déjà observé dans nos remarques sur le 1." Chap. du 111 . m ' Liv. , qu’entre deux ordres de colonnes , les anciens supprimoient quelquefois la frise et la corniche , n’y mettant que la seule architrave. Quoiqu’on voie fort peu d’exemples de cette manière , dans les édifices anciens qui subsistent encore , on peut dire néanmoins qu’elle est appuyée sur la raison , qui veut que les ornemens d’architecture soient fondés sur quelqu’usage. L’usage des corniches étant de défendre les murs et les colonnes des injures du temps , elles sont inutiles dans les lieux qui sont couverts; elles seroient même nuisibles dans un appartement tel que le salon égyptien décrit dans ce chapitre , où elles ne feroient qu’intercepter le jour d’en haut, le seul qu’elle puisse recevoir. Je suis donc persuadé , avec Perrault et Galiani, que , malgré que le mot epistylium signifie par fois tout l’entablement , ici il ne signifie autre chose que l’architrave. On peut encore ajouter, en faveur de cette opinion , comme l’observe Galiani , que l’auteur s’est servi , un peu auparavant, de ces expressions , en par^ lant des salons corinthiens; mais là, après le mot epistylia , il ajoute celui de coronas supraque hcibeant epistylia coronas y s’il avoit aussi voulu avoir la même chose au-dessus du premier ordre de colonnes du salon égyptien, en en parlant, il n’auroit pas négligé de citer la corniche. Perrault , à celte occasion , rapporte l’exemple d’un ancien édifice qui exisloit encore de son temps , auprès de Bordeaux , nommé les Tuteles 3 dont il donne la figure ; elle représente une colonnade d’ordre corinthien, au-dessus de laquelle règne un atlique ; entre l’attique et les chapiteaux des colonnes, il n’y a que l’architrave. Cet édifice ancien, l’un des plus beaux qui nous étoient restés des Romains, en deçà des Alpes , a été détruit , comme nous l’avons dit , vers l’an 1680 , lorsqu’on a construit les nouvelles fortifications uuttwuvuuiwuutiM 0 > 278 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. > ' ' 1 . CHAPITRE V I, Des Salons à la maniéré des Grecs. * O n fait encore des salles d’une autre manière que celles qu’on voit en Italie ; les Grecs les nomment cyzicènes 1. Ces salles sont tournées vers le septentrion , de sorte qu’ elles ont, le plus souvent, vue sur les jardins ; et leurs portes sont dans le milieu. Ces salles doivent être assez larges, pour contenir deux tables à trois lits, en face l’une de l’autre , avec l’espace nécessaire tout à l’entour pour le service. Elles doivent avoir à droite et à gauche des fenêtres, qui s’ouvrent comme des portes , afin que de dessus les lits 2 , on puisse voir dans les jardins. La hauteur de ces salles doit surpasser leur largeur de la moitié. 1 . Il faut proportionner tous ces genres d’édifices , suivant la situation du lieu , et i de manière qu’il n’en résulte aucun inconvénient. Il sera aisé de prendre le jour , si les murs voisins , par leur hauteur , n’interceptent pas la lumière ; si néannoins cela arrivoit à cause du peu d’espace , ou pour toute autre raison , il faut alors avec beaucoup d’intelligence et d’adresse, ajouter ou diminuer les proportions que nous avons prescrites , de manière cependant que l’ouvrage conserve toute sa beauté, et paroisse avoir ses véritables proportions. REMARQUES. Toutes les proportions des salles cyzicènes , ne sont pas indiquées dans ce chapitre cependant d’après la hauteur qui leur est assignée , laquelle doit égaler une fois et demie leur largeur , on pour- roit supposer qu’elles étoient carrées , puisque nous avons vu , un peu auparavant, qu’on prescrivoit cette hauteur aux salles carrées si cependant elles avoient été telles , il éloit inutile de répéter quelle devoit être leur hauteur. 11 est donc plus probable qu’elles étoient deux fois aussi longues que larges, parce que cette forme est la* plus convenable pour placer, comme l’auteur le prescrit, * Planche XIX.™ * i Suivant Perrault on appelle ces salles cyzicènes, parce que la ville de Cyzique, située dans l’isle du même nom , qui se trouve dans la mer de Propontide, est for* renommée pour la magnificence de ses bâtinaens , qu 1 étoient tous de marbre , jusqu’aux murailles de la ville. 2 Dans la plupart des exemplaires , au lieu de lectis, on lit de tçctis ce qui n’a aucun sens. J’ai donc suivi la correction de Philander, étant tout naturel de croire que- fauteur aura écrit de leciis , LIVRE' VI, C h a p. VII. 2 79 deux triclines en face l’une de l’autre. Les triclines, comme nous l’avons dit , consistoient en une petite table ronde , entourée de trois côtés par de petits lits , dont chacun pouvoit contenir trois personnes , qui mangeoient étant couchées dessus. Je suis d’autant plus persuadé que ces salles dévoient avoir ces dimensions , que ce sont celles que Vitruve , au commencement du 5. me chapitre de ce livre , assigne aux salles destinées aux triclines. Ces salles avoient de grandes et hautes fenêtres qui descendoient jusqu’à terre ; elles ressembloient probablement à nos portes vitrées. 'llf CHAPITRE VII. iùtusj ir \ï 0 l Lafe De laspect quil convient de donner a chaque partie de lédifice. Nous allons maintenant expliquer les qualité's que doivent avoir les diffe'rens genres d édifices , suivant l’usage auquel ils sont destinés , et vers quel aspect du ciel il convient de les tourner. Les salles à manger d’hiver, et les bains , auront la vue sur le couchant d’hiver; parce que ces places ont besoin de la clarté du soir ; et que le soleil, parvenu à l’occident, renvoie directement ses rayons sur elles , et y répand , vers le soir , ylfmtiï une chaleur assez douce i. Il faut tourner les chambres à coucher et les biblio- iifwf thèques vers l’orient ; parce que leur usage demande la lumière du matin ; ensuite site" j es h vres se gâtent moins dans ces bibliothèques que dans celles qui regardent le midi ou le couchant , lesquelles sont sujettes aux vers et à l’humidité , produits et entretenus par le souffle des vents humides ; ce qui fait moisir les livres. D eur I" g**! Les salles à manger , dont on se sert au printemps et pendant l’automne , doivent recevoir le jour de l’orient ; parce qu’en tenant les fenêtres fermées , jusqu’à ce que la chaleur du soleil soit passée à l’occident, ces appartenons restent tempérés pendant les heures qu’on a coutume de s’en servir. Les salles d’été regarderont le septentrion , parce que , dans cette situation , on n’est pas , comme dans les autres, suffoqué par la chaleur , pendant le solstice d été ; opposée au cours du soleil, on respire toujours , dans ces lieux , un air frais , sain et agréable. tl^ 0 On sait que les anciens se baignoient et faisoient leur principal repas vers le soir. Celte exposition convient egalement pour les galeries de tableaux , pour les atte- liers où l’on fait les tapisseries, et pour ceux des peintres. La lumière qu’ils reçoivent, toujours égale en tout temps , fait que les couleurs n’y changent jamais. \ CHAPITRE VIII. Des formes que doivent avoir les Biaisons , d'après la condition de ceux qui les habitent. * A près avoir-observé quel est l’aspect du ciel le plus favorable à chaque partie de l'habitation, il faut déterminer la manière dont on devra construire les pièces qui sont seulement pour loger le maître de la maison , et celles qui doivent être communes aux étrangers ; puisqu’il n’y a que les personnes invitées qui entrent dans les appartemens particuliers du maître , tels que les chambres à coucher , les salles à manger , les bains et autres de ce genre tandis que tout le monde a droit d’entrer, sans être invité , dans celles qui sont publiques, tels que les vestibules , les cours , les péristyles et autres endroits qui sont destinés à des usages communs. Les gens d’une condition médiocre n’ont pas besoin d’un magnifique vestibule, ni d’un bureau, ni d’une cour , parce qu’ils vont ordinairement faire la cour aux autres , et qu’on ne vient pas la leur faire chez eux. Ceux qui cultivent des biens de campagne , doivent avoir, à l’entrée de leur maison, des étables , des boutiques ; et au-dedans , des caves , des greniers , des celliers et d’autres commodités de ce genre, plus convenables pour conserver les fruits de la terre , que pour procurer l’élégance et la beauté à l’édifice. Les banquiers et les partisans ont besoin d’appartemens plus commodes et plus beaux, et sur-tout bien fermés pour être en sûreté contre les voleurs. Les avocats et les gens de lettres veulent des habitations plus élégantes et plus spacieuses encore , à cause des assemblées qui se font chez eux. La noblesse enfin, qui occupe les grandes charges de l’état et de la magistrature, devant donner audience * Planche XIX. m * au L I y R E VI, C II a P. vm. 281 au public, doit avoir des vestibules magnifiques, de grandes cours, 1 des péristyles spacieux , des jardins plantés d’arbres , avec de longues promenades; il faut que tout chez elle soit beau et majestueux. Elle doit avoir en outre des bibliothèques , des cabinets de tableaux et des basiliques dont lu magnificence égale celles qui font partie des édifices publics parce qu’il se fait souvent dans ces maisons des assemblées pour les affaires d'état , et pour juger et arbitrer les différens des particuliers. Les édifices étant disposés de cette manière , selon les différentes conditions des personnes , on aura satisfait à ce qu’exigent les règles de la bienséance dont on a parlé dans le premier livre. On n’y pourra rien critiquer , puisque , dans chaque habitation , tout sera commode et perfectionné d’après les règles. Ceci ne doit pas seulement régler la construction des édifices qui se font en ville ; mais aussi celle de ceux qui se font à la campagne , avec celle seule différence que les maisons de la ville ont la cour contre la porte , au lieu que dans les maisons de campagne , on rencontre d'abord le péristyle, ensuite la cour entourée de portiques avec leurs trottoirs, qui ont la vue sur les palestres et sur les promenades. Après avoir enseigné brièvement, et le mieux que j’ai pu , suivant ma promesse, la manière de construire les maisons de la ville , il me reste à expliquer comment on doit disposer celles de la campagne, pour y trouver toutes les commodités qu’exige leur destination. REMARQUES. A Rome , les juges et les arbitres éloient toujours pris parmi les citoyens les pins distingués. Lorsqu’ils survenoit un différent entre des particuliers , le demandeur prioit le prêteur de lui donner un tribunal ou un juge s’il lui donnoit un juge , c’étoil , ou un juge proprement dit, ou un arbitre? s’il lui donnoit un tribunal , e’étoit celui des commissaires qu’on appcloit recuperaiores , ou celui des centumvirs. Ce fut d’abord parmi les sénateurs , qu’on prit les juges , pour les affaires des particuliers. Mais l’an 63i de la fondation de Rome, le tribun Sempronius Gracchus publia une loi, qui ôtoit aux sénateurs le pouvoir de juger ,'et le transportoit à l’ordre des chevaliers. Cependant quelque temps après , le droit de juger fut commun aux uns et aux autres. Ces juges s’assembloient quelquefois dans les basiliques qui faisoienl partie des édifices publics , dont Vilruve a décrit la construction et la forme dans le I. er Chap. du Y. me Liv. Mais on conçoit que dans le temps de la grande richesse, de Rome, il étoit impossible de rendre dans les basiliques publiques tous les jugemens qu’en- traînoit la quantité de différens qui survenoient entre les citoyens qui formoientson immense population* 1 L’auteur se sert ici des mots alla atria , parce que , cour devoit être grande et spacieuse , à moins qu’on ne comme nous l’avons vu, la hauteur étant proportionnée veuille lire lata au lieu de alla, comme on le fait. Com- , à la largeur , et celle-ci à la longueur , il suffisoit. d’in- munément. diguer l’une de ces quantités pour faire connoître que la 36 282 L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. Les juges et les arbitres rendoient donc celte justice chez eux. Le luxe ayant été porté à nn point incroyable dans celle ville , la noblesse , c’est-à-dire, les sénateurs et les chevaliers , auxquels étoit réservé le droit de juger , firent construire chez eux des basiliques , à l’instar de celles qui faisoient partie des édifices publics. Voilà pourquoi Vitruve , dans ce chapitre, veut qu’une basilique, avec ses accessoires , se trouve au nombre des édifices qui composoient l’habitation de la noblesse romaine. CHAPITRE IX Des Maisons de campagne. ,ic r 0 i r idoi'i TJ ouk bien situer une maison de campagne , il faut d’abord examiner l’exposition la plus saine , d’après les principes que nous avons établis dans le premier livre , pour choisir l’emplacement des murs d’une ville ; quand on l’aura trouvée , il faut y bâtir la maison. On doit proportionner sa grandeur aux terres qui en dépendent, et aux fruits qu’on y recueille. On détermine le nombre des cours et leur étendue d’après la quantité de bétail et des charrues qui seront nécessaires. On place la cuisine dans l’endroit de celle cour , où la chaleur se fait le plus sentir , contre laquelle on bâtira l’étable pour les bœufs. Il faut que des crèches on voie la cheminée et le soleil levant; par ce moyen , les bœufs , voyant habituellement la lumière et le feu, ne deviendront pas hérissés. Ce qui est tellement vrai que les laboureurs, quoiqu’igno- rant les effets des divers aspects du ciel, croient cependant qu’011 ne peut tourner les étables que vers l’orient. Ces étables ne peuvent avoir moins de dix pieds de large , ni plus de quinze. On règle la longueur , de manière que chaque couple de bœufs puissent occuper au moins sept pieds. i ïur ’ i 1 Bits? I, êftl'îS , do il ' kds’ KljlOJ i 'ïiffirD i km 4 'loin * iit* Les bains seront encore contigus à la cuisine ; par-là, le lavoir à l’usage des gens de la basse-cour , ne sera pas éloigné. Le pressoir à l'huile doit aussi être près de la cuisine , pour rendre plus aisé , le travail nécessaire à la préparation des olives. Contre le pressoir sera le cellier , dont les fenêtres tireront le jour du septentrion; car si elles le liroient d’un autre côté , la chaleur du soleil feroit troubler le vin et affoibliroit sa qualité. Ko- , I 1 L’endroit où l’on conserve les huiles demande , au contraire , l’exposition la plus chaude , celle du midi ; parce qu’il faut éviter que l’huile ne se gèle , et faire qu’une IX. 283 LIVRE VI, C h a p. chaleur douce l'entretienne toujours liquide. On doit proportionner la grandeur de ces celliers à la quantité' de fruits qu’on recueille , et au nombre de vases nécessaires ; si ces vases sont de la grande jauge , ils doivent avoir dans le milieu un dia. mètre de quatre pieds i. Si le pressoir n’est pas vis-à-vis, et qu’il serre avec un levier et- des poids , il faut que l’emplacement ait au moins quarante pieds de long, pour qu’on puisse y travailler à son aise ; il ne peut non plus avoir moins de seize pieds de large , pour que l’espace ne'cessaire à la manutention soit libre tout autour • si l’on vouloit cependant y placer deux pressoirs , il faudroit alors que remplacement ait vingt-quatre pieds de large. On doit donner aux bergeries et aux e'tables pour les chèvres, une grandeur suffisante , pour que chacune de ces bêtes n’ait pas moins de quatre pieds et demi de place , ni plus de six. Les greniers seront élevés et tournés vers le septentrion ou la bise , afin que la fraîcheur du vent empêche les grains de s'échauffer , et les conserve plus long-temps car les autres aspects engendrent les chalans et autres insectes qui gâtent les bleds. Les écuries pour les chevaux , sur-tout à la campagne , doivent être bâties dans les endroits les plus chauds, pourvu qu’ils ne regardent pas vers la cheminée , parce que les chevaux qui sont près du feu deviennent hérissés. Il convient "assi que les étables qui sont en dehors de la cuisine, aient leur entrée et tirent le jour du côté de l’orient, cela fait que les bœufs qu’on y met pendant 1 hiver, paroissent beaucoup plus beaux quand ils sortent le matin, lorsque le temps le permet, pour aller paître. Les granges , les fenils, les magasins de paille et les moulins , doivent être bâtis assez loin de la maison pour éviter le danger du feu. Si, de l’habitation , on veut faire une maison agréable, il faut suivre les propor- i Pour bien comprendre cette phrase latine , et nu- rherum doliorum .... quœ cum sint cullearia , il faut savoir que les Romains conservoient le vin et l’huile dans des vases de terre , qu’ils appeloient dolium. J’en ai vu plusieurs dans les ruines de Pompeia , près de Naples ; ils étoient encore dans la cave où on les avoit trouvés. Il y avoit des dolium de plusieurs grandeurs suivant la capacité des mesures qu'ils employoient pour les choses liquides. La plus grande des mesures romaines s’appeloit culeus , elle contenoit vingt amphores. L’amphore qui étoit la mesure principale contenoit quatre-wng/ livres pesant, ce qui faisoit deux urnes l’urne contenoit quatre conges. Le conge six septiers , le septier deux hemines ou demi septier ; le demi septier contenoit deux mesures qu’on nommoit quartam; chaque quartame contenoit deux cya- et demi ; ces cyathes contenoient autant de vin qu’on en pouvoit boire d’un seul trait. Pline, Liv. XXI, Ghap. dernier. Ainsi par le mot culeana , Vitruve entend que ces vases, doliorum' contenoient la plus grande mesure en usage chez les Romains pour les choses liquides. 36 . 284 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. lions que nous ayons indiquées ci - dessus pour les bâtimens de la ville , pourvu qu’on note rien de ce qui est nécessaire au ménage des champs. Il faut avoir soin que tous les édifices soient bien éclairés ; ce qui n’est pas difficile à la campagne , où il n'y a pas d’autres murs assez près pour ôter le jour mais en ville il n’en est pas de même ; les murs i des maisons voisines sont souvent assez près et assez élevés pour causer de l’obscurité voici le moyen qu’on emploie alors pour connoître si l’on aura assez de jour. On tend une corde depuis le haut du mur qui peut ôter le jour , jusqu’à l’endroit qui doit le recevoir ; si, en regardant en haut le long de cette corde , on voit à découvert un grand espace du ciel, on sera assuré que rien n’empêchera la lumière dans cette place mais si l’on voit que les poutres , ou le haut des fenêtres , ou le haut des planchers ôtent le passage à la lumière , il faut alors faire les ouvertures plus grandes , ou prendre le jour au-dessus des obstacles qu’il rencontre. En un mot, il faut disposer les choses de manière qu’on place les fenêtres du côté où l’on puisse découvrir le ciel; ce qui est de la plus grande importance pour les salles à manger, et autres de ce genre , et sur-tout pour les passages et les escaliers qui ont besoin d être très-éclairés , à cause que plusieurs personnes quelquefois chargées se rencontrent souvent l une devant l’autre dans ces endroits. Je crois avoir expliqué assez clairement la manière dont nous construisons nos édifices en Italie , pour être compris de ceux qui voudront en bâtir. Et pour qu’on n’ignore pas non plus la manière dont les Grecs construisent les leurs , je vais la faire connoître en peu de mots. R E M ARQUES. La maison de campagne , dont Vilruve décrit la construction , dans ce chapitre , est uniquement destinée au ménage des champs ; c’est ce que nous nommons proprement une ferme , et non pas une maison d’agrément. Il l’observe lui-même , après sa description , en ajoutant , si l’on veut y joindre une habitation agréable , il faut la construire d’après les principes que nous avons établis pour la construction des maisons de la ville. Si l’on veut connoître ces maisons d’agrément, que les Romains batissoient à la campagne , il faut lire les descriptions que Yarron et Pline le jeune en ont données. Rien n’est plus intéressant que celle du Laurentum de Pline le jeune , qui fait le *»,{ ees 1 1 -' i ' Cummunium panetum . Voici encore une nouvelle preuve , pour nous convaincre que paries commuais n’é- toit pas un mur mitoyen enü’e deux propriétés contiguës ; mais le mur extérieur qui régncit le long de la rue , et qui étoit censé public , comme nous l’avons remarqué dans nos observations sur le 5. me Chap. du I. er Liv. et celles sur le 8. me Chap. du ll. me bet * L IVIÎ E VI, C h a p. ix. 2 35 sujet de la 6. rao lettre du V. me livre du recueil que nous en avons. On voit combien les Romains s’attachoient à choisir une situation agréable et saine pour bâtir ces maisons ; combien ils recher- choient les agrémens de la campagne et les beautés de la nature. Ils y alloient chercher celte tranquillité et ce doux repos , dont ils ne pouvoient jouir au milieu des tracasseries de la ville de Rome. Ils cherchoient à réunir , dans ces séjours champêtres , une partie des voluptés orientales , dont ils avoient pris le goût en Asie , pendant les longs séjours qu’y firent leurs armées. Ce n’est donc pas ces demeures agréables que fauteur décrit dans ce chapitre -, il ne s’agit que de constructions rurales, à l’usage de l’agriculture. Par exemple lorsqu’il parle des bains, il n’entend pas des bains à l’usage des maîtres , mais de ceux pour les domestiques et autres besoins ruraux , l’usage des bains étant généralement répandu dans toutes les classes de la société , chez les anciens. Nous voyons dans la lettre de Pline , citée un peu plus haut , que , dans sa maison de campagne , il s’y irouvoit des bains pour les maîtres , semblables à ceux dojat Vitruve prescrit les règles de leur construction dans le io. me Chap. du V. me Liv. Tous les riches de Rome en avoient également, saris doute , dans leurs maisons de campagne. Dans celle de Pline , dont nous parlons , il y avoit un bain d’eau froide , un autre d’eau chaude , un bain sec , ou salle pour suer avec une étuve , sudatio , une autre plus tiède tepidarium ; une chambre pour se déshabiller en un mot toutes les salles que Vitruve indique pour les bains publics dans le io. me Chap. du V. 6 Liv. Ceux qui voudront connoître plus en détail ce qui concerne les constructions rurales des anciens , doivent avoir recours à l’ouvrage de Varron et à celui de Columelle , intitulés l’un et l’autre de re rusticâ. Dans ces deux traités de l’agriculture des anciens , qui sont parvenus jusqu’à nous , ils pourront acquérir une connoissance plus parfaite des moyens qu’ils employoient pour conserver , dans ces bâtimens , les diverses productions de la terre ; sur-tout pour éloigner des greniers, le charençon et autres insectes qui rongent le bled. Galiani nous apprend à cet égard qu’un certain M. Barthélémy Intieri , a publié une petite cîis-^- serlalion très-savante , sur la vraie manière de préparer toute espèce de grains , particulièrement le bled , pour les conserver intacts très long-temps , et cela au moyen d’une nouvelle étuve très-ingénieusement construite , qui entretient un certain degré de chaleur , qui oie toute hnmidiié et tout principe de putréfaction, et fait mourir les insectes. Il y a joint le plan de cette étuve , gravé d’après le dessin de M. Galiani. Ce dernier ajoute que M. du Hamel, dans son Traité sur la conservation dès grains , a voulu enlever à l’auteur italien , l’honneur de cette découverte si la dissertation d’Inlieri, dit-il, n’a pas été publiée avant celle de du Hamel, il n’en est pas moins vrai que bien des années auparavant , les dessins et les modèles de son étuve étaient répandus dans le monde , et que le plan de l’étuve qui se trouve dans l’ouvrage de du Hamel, n’est qu’une copie très-exacié de celle d’Intieri. Dans mes remarques sur ce chapitre , je me suis contenté d’expliquer les passages de l’auteur , qm m’ont-pai u obscurs, sans parler des moyens qu’on a employés de nos jours pour perfectionner les constructions rurales. L’ouvrage que M. de Perlhuis vient de publier, intitulé Traité de l’architecture rurale, qui est comme la suite du nouveau cours complet d’agriculture , ne laisse rien à desirer à cet égard. 286 L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE X. Comment les Grecs distribuent leurs habitations . * Les Grecs ne bâtissent pas comme nous ,* ils n’ont pas de cours ; mais de la première porte on entre dans un corridor ou passage qui n’est pas fort large ; d’un côté sont les écuries ; de l’autre les loges du portier , et à l’extrémité se trouve la porte de l’intérieur. Ce passage entre les deux portes s’appelle en grec thirorion i. De-là on entre dans le péristyle qui a,des portiques dé trois côtés seulement, parce que du côté qui regarde le midi, il y a deux antes, fort éloignées l’une de l’autre, qui soutiennent une poutre qui forme une pièce dont l’enfoncement égale les deux tiers de l’espace qui est entre les deux antes; les uns la nomment prostas 2 , et les autres parastas 3. Dans la partie intérieure de cette pièce , sont situées les grandes salies, où se tiennent les mères de famille avec les femmes qui filent la laine. A droite et à gauche du prostade , on trouve les chambres à coucher , avec leurs antichambres." Autour des portiques sont les salles à manger , d’autres chambres à coucher, et celles où habitent les servantes et femmes de chambre. Toute cette partie de la maison s’appelle Gynécée 4. L’autre partie beaucoup plus étendue joint à celle-ci ; ses péristyles sont plus spacieux ; ils ont quatre portiques, d’une hauteur égale de chaque côté , hormis celui qui regarde le midi, dont les colonnes sont quatre fois plus élevées, et qu’on appelle pour cela péristyle Rhodien. Cette partie de la maison a des entrées magnifiques ; les portes en sont très-belles ; les portiques des péristyles sont enduits et ornés de stuc ; et leurs plafonds , travaillés en bois , offrent divers compartimens , ou panneaux, enfoncés. Le long du portique qui regarde le septentrion, on trouve les salles à manger nommées cyzicènes , et les cabinets de tableaux ; à l’orient sont les bibliothèques ; à l’occident les salles de conversations , et au midi de grandes salles carrées, si vastes et si spacieuses , qu elles peuvent contenir , à l'aise , quatre tables à trois lits , avec tout l’espace nécessaire pour ceux qui font le service de la table, et pour les jeux. Les salles sont réservées aux festins que se donnent les hommes *, parce qu’il n’est pas d’usage chez eux d’admettre à leur table les mères de * Planche XX. rae 3 Ce qui est à x C’est-à-dire qui appartient à celui qui garde la porte, 4 Appartement des femmes. £ 3 Ce qui est auprès. LIVRE VI, Chap. x. 287 famille. Ce péristyle et cette partie de la maison s’appelle andronitide , 1 parce que les hommes y vivent séparés des femmes. Ils élèvent, en outre , à droite et à gauche , d’autres maisons plus petites qui ont leurs portes particulières ; des salles à manger , des chambres , et des chambres à coucher fort commodes , où ils logent les étrangers qui arrivent chez eux ; parce qu’ils ne les reçoivent pas dans le péristyle , mais dans ces quartiers qui leur sont destinés. Lorsque les Grecs vivoient plus délicatement dans le temps de leur opulence , les voyageurs qui survenoient, trouvoient réunies, dans ces appartemens , toutes les délicatesses possibles , tant pour la table que pour le logement. Ils les invi- toient à souper le premier jour ; ensuite ils leur envoyoient toutes les choses nécessaires qui viennent de la campagne comme des poulets , des œufs , des légumes et des fruits. De-là vient que les peintres appellent xenia 2 , les peintures qui représentent ces présens qu’on envoie à ses hôtes. Ainsi ceux qui voyagent sont logés dans ces appartemens comme s ils étoient chez eux ; ils y vivent en leur particulier et y jouissent d’une liberté entière. Entre l’habitation du maître et celle des étrangers, il y a des passages nommés mesaulœ 3, parce qu’ils sont effectivement placés entre . deux palais ; nous appelions ces passages andronas , et il est étonnant que ce mot qui est grec , ne signifie pas , en cette langue, la même chose qu’en latin car les Grecs appellent andronas , les salles où les hommes donnent leurs festins , et où les femmes ne sont pas admises. Nous nous servons encore de quantité de noms grecs avec le même abus , comme de xistus , de prothyrus , de telamones et de plusieurs autre's. Le xistos 4 des Grecs est un large portique, où les athlètes s’exercent pendant l’hiver; et nous autres , nous appelons xistes des allées découvertes pour se promener , que les Grecs nom- 1 .Pour les hommes. 2 Choses destinées aux étrangers. 3 Le mot latin aula signifie une grande salle , mais le mot grec âv/.y signifioit dans son origine , la cour d’une maison, comme Athénée l’explique par le témoignage d'Homère la cour d’une maison, dit-il , est appelée ainsi à cause qu’elle est exposée au vent , en- sorte que le mot aide vient du mot au qui signifie souffler qu’ensuite les palais des rois , furent appelés aidas , parce qu’ils avoient des cours grandes et spacieuses , et par cette raison plus exposées au vent que les cours des maisons particulières ; et peut-être aussi parce que le vent y repaît les courtisans. Perrault croit que notre langue a suivi cette même étymologie car nous appelons la cour , l’endroit où le roi réside avec ses princes et ses officiers , à moins qu’on ne veuille dire qu’elle est prise du mot latin cuiia , qui , selon Festus, étoit dit à cura ; comme étant le lieu où l’on traitoit les affaires publiques. Locus ubi magistratas pullicas curas gerebant. 4 Nous avons vu la description du xiste à la fin du 2 . me Chap. du V. me livre. On voit le plan du xiste couvert et de celui qui est découvert dans la XVHLe planche. a88 L ’ A R C II ITECTÜRE DE V I T R U V E. ment peridromidas x. De même les Grees appellent prothyra 2 , les vestibules qui sont devant les portes tandis que prothyra signifie , parmi nous, la chose que les Grecs nomment diatyra 3. Nous nommons aussi telamones 4 , les figures d'hommes qui soutiennent les mutules ou les corniches ; nom qui n’a aucune origine dans fhistoire ; les Grecs appellent ces figures allantes. Les historiens représentent Atlas soutenant le ciel ; parce qu'il a le premier enseigné aux hommes , quel étoit le cours du soleil et de la lune , le lever et le coucher des étoiles , et tous les mouvemens du ciel; son grand génie lui avoit découvert toutes ces choses. En reconnoissance de cela , les peintres et les sculpteurs le représentoient soutenant le ciel sur ses épaules. C’est aussi pour la même raison qu’on a placé ses filles Atlantides , au nombre des étoiles les Grecs les nomment les Pleyades 5, et nous autres les Vergiles 6. Mon dessein toutefois n’est pas de changer les noms établis par l’usage , ni de réformer la langue j ai seulement voulu apprendre aux curieux les différentes significations de ces mots, Nous avons fait connoître les plans et la manière de construire les édifices tant en Italie que dans la Grèce ; nous avons prescrit les rapports qui doivent se trouver entre leurs diverses proportions, Nous n'avons donc plus rien à dire sur ce qu’il convient de faire pour leur donner une forme agréable ; il nous reste présentement à parler de la solidité de leur construction , et des moyens qu’on emploie pour les faire subsister long-temps dans un bon état. REMARQUES. La différence qui existent entre les mœurs grecques et romaines , cause celle que nous voyons dans la manière de distribuer les habitations de ces deux peuples. La principale , c’est que chez les Grecs, le quartier des femmes est absolument séparé de celui des hommes , ce qui fait , pour ainsi dire , deux maisons placées à côté l’une de l’autre. Les Grecs , dit Cornélius Nepos 7 , regardent comme qui sont parmi nous dans les règles de la bienséance qui se fît un déshonneur de mener sa femme au festin ? ï Promenoirs. Çsj et 3 Par Aidûvpov en grec et par prothyra en latin * en entend une avant-porte , ou une barrière. 4 Souffrans. 3 Qui montrent le temps propre à la navigation, 6 Qui annoncent le printemps. contraire à l’honnêteté , plusieurs usages y a-t-il , par exemple , quelque Romain N’est-il pas d’usage que les dames 7 Conira ea pleraque nostris moribus sunt dccora quœ apnd illos tur- pia pulantur ; quem enim Itomanorum pudet, vxorem ducere in conddum r aut cujus materfamilias non primum locum tenet adium , nique in cele- britate tersatur ? quart mulib fit aliter in Gracia; nam neque in conddum adhibetur, nisi propinquorum ; neque scdcl ni si in interiore parte adium , quœ ginteconitis appeüaiur ; quo nemo accedit, ni’si prnpinqud cognation çonjuncius , romaines LIVRE VI, C h a p. x. 289 » romaines occupent le premier appariement et le plus apparent du logis , et qu’elles reçoivent et > fréquentent compagnie ? > Chez les Grecs, c’est tout le contraire; leurs femmes ne se rencontrent jamais à aucuns festins, ï> si ce n est chez leurs parens ; dans leur maison elles habitent toujours l’appartement le plus retiré, qui s’appelle pour cette raison l'appartement çles femmes l’entrée en est absolument interdite y aux hommes , excepté aux plus proches parens. » Le péristyle qui eloit dans l’intérieur du gynécée , ou appartement des femmes , avoit des galeries, portées par des colonnes, seulement de trois côtés. Le fond étoit occupé par une grande loge, prostas , ouverte par devant , au fond de laquelle étoit l’ouvroir , où les femmes filoient la laine. Leurs chambres a coucher avec les antichambres occupoient les deux côtés de celte loge. Perrault place d un cote la chambre à coucher , thalamus , et de l’autre côté , l’antichambre ou cabinet , amphithalamus. Galiani, que j’ai suivi, trouve cet arrangement trop incommode , pour croire que les choses etoient ainsi; il a préféré placer, de chaque côté, une chambre avec son antichambre, comme on les voit représentées dans la XX. rae planche. Nous avons placé le quartier qu’habitoient les hommes , à côté de celui des femmes , et non comme on le voit dans les plans de Perrault, où, pour pénétrer dans l’appartement des hommes, il falloit traverser celui des femmes. Il a probablement suivi en cela ceux de Barbaro , ce qui est absolument contraire à toutes les notions que nous avons sur les moeurs grecques ; puisque , comme nous l’avons vu tout-à-l’heure dans un passage de Cornélius Nepos , les femmes, dans leur maison, habitent toujours l’appartement le plus retiré. Xénophon , dans son économie ; Plutarque , dans ses apophihegmes , et Diogène Laërce , dans sa vie de Diogène le Cynique , disent la même chose. Nous voyons de plus' que les Grecs confioient à des portiers la garde de l’appartement de leurs femmes , et qu’ils avoient ordre de n’y laisser entrer personne. Aussi Yitruve assigne-t-il un logement au portier , à l’entrée du quartier des femmes. Il se peut, cependant, que les maisons grecques étoient autrement distribuées ; il est possible , par exemple , que le quartier , ou l’appartement des femmes , étoit plus reculé , et que pour y parvenir , il falloit traverser celui des hommes ; mais en le plaçant sur le côté , dans notre plan , nous avons cru nous rapprocher davantage du texte. Nous voyons clairement dans ce chapitre , malgré ce que dit Perrault et d’autres traducteurs , que par les mots atrium et vestibulum , Vilruve entend deux choses toutes différentes. En effet, nous lisons au commencement, que les Grecs n’avoient pas de cour atriis Grceci non utuntur. Ensuite, dans la description qu’il fait de leurs maisons , il nomme positivement les vestibules vestibula egregia et januas } etc. Ainsi donc le vestibula étoit autre chose que Vatria , puisqu’il dit que , dans les maisons grecques, il n’y avoit pas ftatria mais qu’il y avoit le vestibula . Le vestibule étoit un espace quelquefois découvert, mais toujours situé en dehors, devant la porte de la maison ; au contraire l ’atrium , ou la cour , étoit toujours en dedans de la maison. Ces entrées ou vestibules du quartier des hommes étoient plus grands et plus magnifiques qu’à 3 ? L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 290 celui des femmes. Les autres pièces de l'habitation étoient à proportion. La modestie régnoit dans . celle des femmes , la grandeur et la magnificence étoient réservées pour celle des hommes ; la salle où ils donnoient leurs festins étoit sur-tout très-spacieuse ; elle pouvoit contenir quatre inclines , c’est-à-dire quatre tables à trois lits , et il restoit un espace suffisant pour le service de la table, et pour y donner des jeux et des spectacles , pour réjouir ces riches voluptueux, pendant qu’étendus sur leurs lits , ils jouissoient des plaisirs de la table. Cet usage existoit aussi chez les Romains Juvenal nous apprend que , durant leurs repas, ils regardoient des danses lascives , des pantomimes, ou des combats de gladiateurs 1 ; d’autres se contentoient de la lecture d’un livre 2 , de faire jouer quelques scènes de comédie 5 , ou d’entendre des vers récités par quelques poêles 4. Le plus souvent ils avoient un concert durant leurs repas 5. Les Chinois font encore représenter des comédies pendant les festins qu’ils se donnent 6. Le même usage a aussi existé parmi nous Olivier de la Marche fait la description des spectacles très- singuliers , conformes aux mœurs d’alors , qui furent représentés devant Charles le Hardi , duc de Bourgogne, et toute sa cour, pendant un festin qu’il^donnoit l’an i453 , dans la ville de Bruges 7.- Outre ces deux bâlimens , l’un pour le logement des hommes , et l’autre pour celui des femmes , les Grecs en avoient encore d’autres à côté de ceux-ci pour loger les voyageurs. L’hospitalité , dans les premiers temps , étoit fort pratiquée. Ce n’étoit pas seulement une vertu , mais un devoir de l’exercer envers tout le monde ; il n’y avoit rien de plus sacré. Née de la commisération naturelle , on la trouve chez les peuples que la civilisation n’a pas absolument corrompus ; elle existe encore en Ecosse , dans une grande partie de l’orient, et sur-tout en Pologne. Qu’un voyageur se présente chez un seigneur polonois , celui-ci le reçoit , lui donne tout ce dont il a besoin ; ce n’est ni politesse ni honnêteté , il n’exige aucune reconnoissance ; il est persuadé qu’il n’a rempli qu’un devoir. Nous voyons dans Homère, combien, dans les anciens temps, les Grecs exerçoient l’hospitalité. L’opulence dont ils jouirent, après avoir repoussé les armées des Perses, qui vouïoient envahir leurs provinces; celte opulence accrue encore par leur commerce répandu chez toutes les nations connues, n’étouffa pas chez eux ce sentiment qui leur avoit été transmis par leurs ancêtres. Ainsi la sainte hospitalité , éteinte par-tout où la police et les institutions sociales ont fait des progrès , a subsisté dans les plus beaux jours de la Grèce , dans les temps de sa plus grande richesse ; et ce pieux devoir s’exerçoit avec la plus grande magnificence , en un mot , d’une manière digne d’un peuple aussi riche. Les Grecs ne la négligèrent pas non plus dans leurs malheurs, c’est-à-dire, après le triomphe de Paul Emile , et la défaite des Perses , lorsqu’ils passèrent sous la domination des Romains c’est ce que Yitruve a certainement entendu par cette phrase Lorsque les Grecs , dit-il , vivoient plus délicatement dans le temps de leur opulence 8 , les voyageurs qui arrivoient chez eux , trouvoient en abondance, dans les maisons qui leur étoient destinées, tout ce qui étoit nécessaire, tant pour le logement que pour la nourriture. 1 Juven. S. XI. 2 Plut, sympos. 7 , quest. 8. 3 Juven. S. XI. Hin. jun. L. I. ep. i5. L. III. ep. 1. L. VI. ep. 3i. 4 Pers. Sat. I. 5 Sue'ton. Vita Terentii. 6 Abrégé Je l’histoire ge'ne'raîe des voyages , tome VII. Liv. IV. Chap. 6, 7 Oliv. de la Marc. Chap. 2g. 8 Fuerunt Grœci delicatiores > et ob fortunam opulenliores. % LIVRE VI, C h A p. xi. 29 ï Perrault n’a pas bien compris ce passage; il a cru qu’il signifioit que les plus riches des Grecs avoient des appariemens de reserve pour les étrangers , tandis que Viiruve veut uniquement parler du temps de l’opulence de la Grèce. Nous avons déjà vu , dans le 7. me Chap. du V.™ Liv. , que dans la façade d’architecture qui ter- minoit la scène des théâtres anciens , il y avoit deux portes qui représentoient celles qui servoient d’entrée aux logemens des étrangers , dans les bâlimens qui leur étoient destinés à côté de l’habitation principale. L’usage des Grecs étoit que quand il survenoit des voyageurs , le maître de la maison les faisoit souper avec lui le jour de leur arrivée ; il les conduisoit ensuite dans ces appartemens séparés , où il leur envoyoit toutes les provisions nécessaires pour y vivre indépendans , à leur particulier. Vitruve nous apprend que les peintures, qui représentoient ces objets , qu’on envoyoit en présens à ses hôtes , c’est-à-dire des fruits , des légumes , des gibiers , etc. , s’appeloient xenia > du mot grec , qui signifie étranger. Ce genre de peinture , en général, 11’étoit pas des plus estimés. Cependant un certain Pyreicus, ou, suivant d’autres, Pirricus , s’y est rendu très - célèbre , par la délicatesse de son pinceau. Yoici comme Pline en parle dans le jo. me Chap. du XXXV. me Liv. L’art de Pyreicus étoit de représenter les objets dont on fait le moins de cas il peignoit des boutiques de barbiers , de cordonniers , de petits ânes , des vivres , et choses semblables , d’où il acquit le nom de thyparographos , c’est-à-dire peintre d’objets mesquins 1. CHAPITRE XI. X % .. De la Solidité des Édifices . Les édifices qui sont au-dessus du rez-de-chaussée , auront toute la solidité nécessaire pour durer long-temps , si l’on construit leurs fondemens , d’après les règles que nous avons rapportées dans le livre précédent pour construire ceux des murs des villes et des théâtres ; mais s’ils ont des souterrains voûtés , il faudra faire les fondemens plus larges que les murs de l’édifice qu’on doit élever au - dessus. Les murs , les pilastres et les colonnes doiv ent poser bien perpendiculairement au milieu de celles qui sont par - dessous ; tellement que le solide réponde toujours au solide car si le poids des ^niirs ou des colonnes portait à faux , elles ne pour- roient résister long - temps. Il est encore bon de mettre des poteaux au - dessus de i Pyreicus acte paucis poslferenâus.. . . tonsirinas , sutrinasque pinxii et asellos , et obsonia, ac simili a ob hoc eognominalus thyparographos. 3 7 . L*ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. 292 chaque linteau des portes ou fenêtres, au droit de l’un et de l’autre jambage 1, afin d’empêcher que les linteaux , et les solives qui sont chargées de la maçonnerie qu’elles soutiennent, après avoir plié à l’endroit du vuide , ne causent la ruine du mur en se rompant ; ces poteaux mis dessus , et bien arrêtés , empêcheront que les linteaux ne s enfoncent. On peut encore alléger le poids du mur , au moyen d’une voûte faite avec des pierres taillées en coins , bien divisées , et correspondant toutes à un même centre ; cette arcade formée avec des coins couvrant le linteau et les solives aux bouts desquels elle est appuyée , les empêchera d’abord de plier en supportant le poids du mur; et si ensuite elles venoient à se gâter par vétusté, on pourroit les remplacer, sans qu’il fût nécessaire d’étayer. Dans les édifices qui sont bâtis sur des piliers , joints par des arcades formées de pierres taillées en coins , qui correspondent à un même centre , il faut également avoir soin de faire les piliers des extrémités beaucoup plus épais , afin qu’ils puissent résister à l’effort des pierres taillées en coins , qui , se pressant l’une l’autre vers le centre , à cause du poids des murs qui sont dessus , pourroient pousser les impostes les pilastres des angles étant beaucoup plus larges , donneront plus de fermeté à l’ouvrage , en tenant les pierres taillées en coins bien serrées. Il ne suffit pas d’avoir suivi exactement tout ce que nous venons de prescrire , il faut encore avoir soin que toute la maçonnerie soit bien d aplomb, et quelle ne penche d’aucun côté. On doit sur-tout avoir le plus grand soin de bien faire les murs des souterrains , parce que ia terre qu’ils soutiennent peut causer une infinité d’inconvéniens. L état de la terre varie suivant les saisons , et n’a pas toujours le même poids qu elle a pendant l’été. En hiver elle s’enfle et devient plus pesante , à cause des pluies qui la pénètrent ce qui fait qu elle presse et qu elle rompt la maçonnerie. Pour remédier à cet inconvénient , il faut d abord donner au mur une épaisseur proportionnée à la terre qu’il soutient * ensuite il faut faire 2 en dehors , sur le devant, des éperons et arc boutans EB , qui seront bâtis en même temps que le mur , et séparés les uns des autres’ par une distance qui égale la hauteur du mur qui soutient ia terre ; et les faire de la même épaisseur que ce mur. Il faut / 1 Ces poteaux doivent être placés diagonalement au - dessus de la porte ; une de leurs extrémités s’appuie sur le jambage, et les autres forment un angle en se réunissant au - dessus du milieu de la porte , comine font deux chevrons à la pointe d’un toit. Voyez nos remarques à la lin de ce chapitre. * Planche I. re , fig. 3 . ^ 2 In frontîbus. V oyez la fin des remarques qui suivent ce chapitre. LIVRE VI, C h A p. xi. s 9 3 qu’ils avancent dans la terre par le pied, autant que le mur même a de hauteur; qu ils aillent en diminuant .par degrés depuis le bas , cependant en conservant autant de saillie sur le haut, que le mur a d épaisseur. Puis en-dedans, il faudra joindre au mur et opposer à la terre des dentelures HH en forme de se le ; chaque dentelure doit avoir la même épaisseur que le mur , et s’éloigner autant du mur, que la terre, que celui-ci soutient, est haute. Enfin dans les angles  après s être éloigné de l’angle intérieur , d’un espace égal à la hauteur du mur qui soutient la terre , on fera une marque ac. ac. de chaque côté , et de l’une de ces marques* à l’autre , on fera une muraille diagonale cc du milieu de laquelle d il en partira une autre d a qui ira joindre l’angle du mur. Par ce moyen , les dentelures avec celte diagonale , empêcheront que la terre ne presse et ne pousse le mur avec autant de force. J’ai enseigné tout ce qu’il falloit pour faire bâtir , afin qu’on puisse éviter toute espèce de faute , et prendre toutes les précautions nécessaires , sur - tout pour les premiers ouvrages. Les toits et la charpente qu’on doit renouveler de temps en temps , n’exigent pas autant de soins ; puisque s’il s’y trouvoit des défauts , on peut aisément les réparer tels sont les moyens qu'on doit employer pour rendis solides les parties de l’édifice qui paroissent le moins susceptibles de l’être. Il n’est pas au pouvoir de l’architecte de choisir les différens matériaux nécessaires pour bâtir nous avons déjà observé , dans le livre précédent i , qu’ils ne sont pas les mêmes par tout ensuite il dépend de celui qui fait bâtir , d’employer la brique , le moëlon , ou la pierre de taille. Trois objets , dans tous les ouvrages , déterminent nos jugemens , la délicatesse et le fini du travail, la magnificence et la disposition. Quand on voit un ouvrage où l’on a employé tout ce que la fortune d’une personne opulente peut fournir , on loue la dépense si l’on remarque qu’il est d’un travail délicat et achevé , on estime 1 artiste qui l’a fait ; mais s’il est recommandable par sa beauté, et l’harmonie de ses proportions , alors on en admire f architecte. Ce dernier doit cependant savoir que , pour bien réussir, il ne faut pas négliger les avis que les moindres artistes et ceux-mêmes qui ne sont pas de sa profession peuvent lui donner car ce ne sont pas les seuls architectes, mais généralement tout i Dans le i2. e chapitre du livTe précédent, en parlant des fabriques qui doivent être sous l’eau , il en dit quelques mots; mais il en parle bien plus au long V dans le second livre. Ce qui /ait croire à Galiani , qu’il y auroit ici une faute dans le texte. 2 nous mettent toujours le plein sur le vuide. Si l’on veut » faire des dèmes, qu’on les fasse autrement qu’ils ne sont. Un ar- » chitecte donnera idée de son génie , s’il invente une manière de les » construire , qui en conserve les agrémens , en évitant le défaut iu- » supportable du porte-à-faux. Si la chose n’est pas possible , il vaut » beaucoup mieux n’en pas faire. Essais sur l'Arch ., chap. I,** , art. a. L’ARCHITECTURE DE VITRÜVE. zg" Un inconvénient qu’on rencontre quelquefois en bâtissant , c’est qu’on ne peut pas toujours le faire en plat terrain. L’Italie sur-tout, qui est traversée dans toute sa longueur , et presque composée de» montagnes de l’Apennin , n’offre presque par-tout que les pentes de ces montagnes , pour y asse’oir les fondemens des édifices. Si l’on en excepte les villes qui sont dans la belle plaine de la Lombardie , la plupart des autres sont bâties au milieu des montagnes. On sait que l’ancienne ville de Borne étoit assise sur sept de ces montagnes. Pour construire les maisons à mi-côte , on sent qu’il falloil commencer par niveler le terrain; ce qu’on faisoit en coupant dans la pente de la montagne , et en jetant les terres plus bas ensuite on soutenoit ces terres avec une muraille et des arcs-boutans ou éperons. Yitruve se sert des mots grecs cintecides et erismœ > pour désigner ces sortes d’appuis ; ils viennent du verbe spi qui signifie appuyer , résister , pousser contre. On employoit ces espèces d’arcs-bouians , tels qu’ils sont décrits par "Yitruve et représentés dans la i. TC plane, fig. 5. BB. pour soutenir les terres jetées en avant, où étoit le frontispice, in frontibus. Ensuite, du côté opposé par derrière, pour soutenir les terres de la montagne, dont la côte étoit coupée verticalement , on employoit les dentelures en forme de scie qui se trouvoient effectivement en dedans de l’édifice ; c’est pourquoi Vilruve en en parlant, se sert de l’expression intror- sus ; elles'sont indiquées clans la même figure par les lettres. Hoc ,. Nous reviendrons encore sur cet objet dans nos remarques sur le chapitre 4- me du YH. me livre. Quoique Vitruve ne dise pas bien positivement qu’il faut se servir de ces deux espèces d’arcs-bou- tans , de la manière que je viens d’indiquer , je crois cette explication meilleure que celle qui fait soutenir la muraille en dedans et en dehors par des arcs-boutans , comme Perrault l’a cru. Je crois avec lui qu’il s’est glissé quelque faute dans ce passage ; par exemple , lorsqu’on lit qu’il faut que la distance entre chaque arc-boutant , égale la hauteur du fondement, cela est contraire à la raison , qui nous dit que plus un mur a de hauteur , plus il a besoin d’être appuyé par un grand nombre d’arcs-boutans ; Perrault a voulu rétablir le texte, mais je n’ai pas trouvé sa correc- “ lion assez heureuse pour l’adopter. /VVVXX / LIVRE VU D E V I T R U Y E. LIVRE SEPTIÈME. INTRODUCTION. Les anciens qui ont écrit les productions de leur génie pour les transmettre à la postérité , ne pouvoient rien faire de plus sage ni de plus utile ; par-là non seulement leurs belles découvertes sont parvenues jusqu’à nous ; mais ensuite chaque siècle ayant ajouté quelque chose à la masse de nos connoissances , les arts et les sciences sont parvenus au point de perfection où nous les voyons aujourd’hui. On ne sauroit donc avoir assez de reconnoissance pour ceux qui, loin de nous priver par leur silence , envieux des connoissances qu’ils possédoient en tout genre , ont eu l’attention de nous les faire connoître par leurs écrits. S’ils n’en avoient pas usé ainsi , nous eussions ignoré les événemens qui se sont passés à Troie ; nous ne connoîirions pas les opinions de Thalès, de Démoerite 7 d’Anaxagoras , de Xéno- phanes , et des autres physiciens sur tout ce qui existe dans la nature. Saurions- nous quels éloient les principes d’après lesquels Socrate , Platon , Aristote , Zénon, Epicure et autres philosophes vouloient que nous réglassions nos moeurs et notre conduite ? enfin nous n’aurions jamais entendu parler des actions de Crésus , d’Alexandre , de Darius ni des autres rois, si nos ancêtres n’avoient pris soin d écrire des livres pour conserver la mémoire de ces événemens , et les taire connoître à la postérité. 38 L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. *98 Si ces grands hommes méritent notre reconnoissance , combien an contraire ne devons-nous pas mépriser ceux qui ont pillé leurs écrits , pour les publier comme s’ils en étoient les auteurs ? ceux qui cherchent ainsi à briller aux dépens des autres , et qu’une coupable envie porte h s’attribuer une gloire qui ne leur est pas due , sont non-seulement très-repréhensibles, mais ils mériteroient encore d être punis. On sait que les anciens ne laissèrent jamais une pareille faute impunie ; et je crois qu’on ne sera pas fâché de connoîlrc quelques-uns des jugemens qu’ils rendirent à cet égard. Les rois Àtlaliques qui aimoient beaucoup les belles - lettres , érigèrent une excellente bibliothèque publique dans la ville de Pergame. A la même époque le roi Ptolomée , animé du même zèle , pour le progrès des sciences , en forma une semblable à Alexandrie. ISon content d’y avoir réuni, avec tous les soins possibles , une infinité de livres , il chercha encore à l’augmenter , et voulut qu elle fût comme une pépinière , qui de voit produire de nouveaux ouvrages. Il fonda , à cet effet, des jeux , en l’honneur des Muses et d’Apollon , comme on en avoit fondé pour les Athlètes , et il proposa des récompenses et des distinctions pour tous les écrivains qui remporteroient le prix. Ces jeux ainsi établis , il fallut choisir des juges parmi les gens de lettres ; le roi en trouva d’abord six dans la ville ; mais il eut plus de peine à découvrir quelqu’un capable d’être le septième. Pour se tirer d’embarras , il s’adressa à ceux qui avoient soin de sa bibliothèque , et leur demanda s’ils ne con- noissoient personne qui fût propre pour cela ? Ils lui proposèrent un certain Aristophane qui étoit sans cesse occupé à lire, avec la plus grande attention, les livres de la bibliothèque. Ainsi les juges ayant pris place au milieu des jeux , sur leurs sièges, Aristophane y fut appelé et placé avec les autres. Les poètes ouvrirent la lice , et lurent chacun leurs ouvrages ; le peuple , par ses applaudissemens, lit connoître aux juges ceux auxquels il donnoit la préférence. Ceux- ci étant priés de dire leur avis , les six décernèrent le premier prix à celui qu’ils remarquèrent avoir plu davantage au peuple , et le second à celui qui le suivoit. Aristophane étant aussi prié de dire son sentiment, il donna le premier prix à celui que le peuple avoit le moins applaudi. Ce jugement ayant excité l’indignation du roi et de toute F as semblée , Aristophane se leva, et demanda qu’on lui permît de parler. Après qu'on eut fait silence , il déclara que de tous ceux qui s étoient présentés , il n y en avoit qu’un seul qui fût poète ; que tout ce que les autres avoient récité , ils 1 avoient dérobé ; qu il croyoit qu’on avoit établi les juges pour récompenser les auteurs, et non pas ceux qui pilloient les ouvrages. Tandis que le peuple admiroit cette réponse, Introduction, LIVRE VIL et que le roi indécis , ne savoit encore que penser , Aristophane fit apporter, de diverses armoires , plusieurs livres , dans lesquels il se souvenoit d’avoir lu ce qu’on venoit de réciter , et l’ayant montré dans ces livres , il obligea ces poètes d’avouer leurs larcins. Alors le roi leur fit faire leur procès, et on les condamna comme des voleurs. Pour Aristophane , il le combla de présens magnifiques , et lui conféra l’intendance de sa bibliothèque. Quelques années après , Zoïie , qui se faisoit appeler le fléau d Homère , vint de Macédoine à Alexandrie , et présenta, au roi , les livres qu’il avoit composés contre l’Iliade et l’Odyssée. Ptolomée, indigné de ce qu’on attaquoit si insolemment le père des poètes, et que l’on maltraitoit ainsi, après sa mort, celui, que tous les gens de lettres reconnoissoient pour leur maître , celui dont les écrits faisoient l’admiration de l’univers , se retira en colère , et ne lui lit aucune réponse. Zoïie ayant attendu très long-temps dans le royaume , se sentant à la lin pressé par la misère , fit supplier le roi de vouloir lui faire donner quelque chose ; on rapporte que lé roi lui lit répondre que puisqu’Homère, qui étoit mort depuis mille ans, avoit nourri plusieurs milliers de personnes; à plus forte raison , Zoïie devoit bien avoir l’industrie non-seulement de se nourrir lui-même, mais plusieurs autres encore , lui qui pré- tendoit le surpasser en talent. On raconte diversement sa mort ; les uns disent que Ptolomée le lit mourir en croix ; d’autres qu’il fut lapidé ; d’autres qu’il fut brûlé vif à vSmirne ; et tous s’accordent à dire qu’il fut puni comme parricide. Quelle que soit la peine qu’on lui ait fait subir , il méritoit ce châtiment ; certes il en étoit bien digne celui qui s’avisa de critiquer un auteur , qui ne pouvoit plus se faire entendre , ni expliquer le véritable sens des pensées répandues dans ses. écrits. Quant à moi , ô César , quoique je publie cet ouvrage sous mon nom , je ne cherche pas à cacher , où j’ai pris une partie de ce qu’il contient, ni à critiquer les inventions des autres pour faire valoir les miennes. Au contraire, j’ai la plus grande reconnoissance pour tous les écrivains qui, dans les différens âges , ont employé leurs talens et leurs soins à recueillir ce qu’on avoit composé dans le genre de littérature qu’ils cultivoient. Ce sont comme des sources abondantes dans lesquelles nous pouvons aller puiser , et profitant du travail des autres , il nous est plus aisé de composer de nouveaux ouvrages. J’avoue franchement qu’ils m’ont ouvert la route , et facilité l’exécution du plan que j’avois formé , ayant trouvé une infinité de choses toutes préparées. L’un des premiers c’est Agatharque qui faisoit les décorations pour le théâtre d Athènes, lorsqu’Es chyle y faisoit connoître la bonne tragédie. Il composa le premier traité 38 . / 3oo L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. qui parut sur l’art de les peindre ; Démocri le et Anaxagore en composèrent ensuite un autre d’après le sien. Ils nous apprirent par quel artifice on pouvoit , selon le point de vue et celui de distance , si bien imiter la disposition naturelle des lignes qui sortent des yeux en s’élargissant, qu’on parvenoit à faire illusion , et à représenter , sur la scène, de véritables édifices ; quoique peints sur une surface droite et unie, les uns paraissent près, et les autres éloignés. Après ces écrivains , Silenus publia un traité sur les proportions de l’ordre dorique ; Theodorus écrivit sur le temple de Junon, d’ordre dorique, qui est à Samos ; Ctésiphon et Métagène sur celui de Diane , d’ordre ionique , qui est à Ephèse , Pliileos i sur celui de Minerve , d'ordre ionique , qui est à Priène ; Ictinus et Carpion sur un autre temple de Minerve, aussi d’ordre ionique, qui est à Athènes dans la forteresse ; Theodorus Phocéen sur la coupole qui est à Delphes ; Philorr sur les proportions des temples, et sur l'arsenal qui étoit au port du Pyrée ; Iler- inogène , sur le temple de Diane , qui est pseudodiptère et d’ordre ionique , qu’on voit à Magnésie 2 , et sur celui de Bac chu s qui est monoptère, dans l'isle de Théos ; Angelius sur les proportions de l’ordre corinthien, et sur le temple d’Esculape, d’ordre ionique, situé dans le pays des Trallicns, qu’il a bâti, dit-on, de ses propres mains. Nous avons enfin Satyrus et Phyteus , qui ont écrit sur le Mausolée auquel ils ont travaillé avec le plus grand succès ce chef-d’œuvre a mérité l’approbation de tous les siècles , qui n’ont cessé de louer et d’admirer le génie de ceux qui avoient conçu l'idée d’un tel ouvrage. Lcoehares , Briaxes , Scopas , Praxitèle, et selon quelques- uns, Timothée, travaillèrent, à l’envi l’un de l’autre, pour orner cet édifice. Chacun d eux entreprit une des faces , et l’on trouva leur ouvrage si parfait , qu’il fut mis au nombre des sept merveilles du monde. Il existe encore beaucoup d’artistes moins célèbres qui ont écrit sur les proportions tels que Nexaris , Théocides , Demophilos , Pollis , Leonides , Silanion , Melampus , Sarnacus , et Euphranor. Beaucoup d'autres ont écrit sur les mécaniques comme Cliades, Architas , Archimède, Ctésibius , Nymphodorus, Pliilon de Bysance , Di philos , Democles , Charidas , Polyidos , Phyros, et Agesistratos. J’ai pris dans leurs ouvrages tout ce que j’y ai trouvé d'utile , pour le réunir et en former ce recueil , d’autant que j’ai remarqué que les Grecs ont composé beau- 1 Dans le premier chapitre du premier livre , il écrit différemment le nom de l'architecte de ce temple de Minerve. Il écrit Pythius ; mais on doit croire que dans l’un ou l’autre endroit, il y a une faute de copiste. a Yitruve se sert de l’ancien nom de cette ville ; car de son temps elle s’appeloit Demétriade, parce que Demétrius-Poliorcèle l’avoit rebâtie et augmentée considérablement. Introduction, LIVRE VIL 3oi coup de livres sur ce sujet, tandis que nos auteurs en ont écrit fort peu. Puisque Fussitius est le premier , parmi nous , qui ait publié un bon ouvrage sur ces matières. Il est vrai que dans les neuf livres que Terentius Varro a écrits sur les sciences , il s’en trouve un qui traite de l'architecture. Publius Septimius en a aussi écrit deux ; mais hors ceux-ci , je ne crois pas que nous ayons , jusqu’à présent, d’autres écrivains qui aient travaillé dans ce genre. Ce n’est pas qu’il y ait eu autrefois de très-* grands architectes , parmi les citoyens romains , qui auroient pu écrire fort pertinemment sur cette science de ce nombre sont les architectes Antislates, Calleschros, Antimachides , et Porinos. Ils avoient jeté à Athènes les fondemens du temple que Pisistralc faisoit bâtir à Jupiter Olympien , et qui demeura imparfait, après sa mort i à cause des troubles qui survinrent dans la république ; deux cents ans après, le roi Antiochus promit de faire la dépense nécessaire pour l’achever, Ce fut encore un citoyen romain , nommé Cossutius , qui montra tout le talent possible dans le plan qu’il fit pour sa vaste nef , pour la distribution des colonnes qui l’entourent, en formant un diptère , et pour l’architrave et les autres parties de l’entablement. Cet ouvrage si célèbre doit ctre compté parmi ce qu’il y a de plus beau dans l’univers. Nous ne connoissons en effet que quatre temples bâtis en marbre , qui ont rendu célèbres les endroits où ils se trouvent. Leur plan en est si parfait qu’on les a même admirés dans rassemblée des dieux. Le premier est le temple de Diane à Ephèse , d’ordre ionique , commencé par Ctésiphon de Gnose , et par son fils Metagène , et achevé par Demétrius servant de ! Diane, et par Péonius d Ephèse. Le second est celui que le même Peonius et Daphnis Milésien bâtirent à Apollon dans la ville de Milet, où ils ont aussi suivi les proportions de l’ordre ionique. Le troisième est le temple de Cérès et de Proserpine à Eleusis , construit par Ictinus 5 il donna à la nef qui est d’ordre dorique, sans colonne à l’extérieur , une grandeur extraordinaire, pour laisser un plus grand espace à l’usage des sacrifices. Par la suite, dans le temps que Demétrius de Phalère commandoit à Athènes, Phiîon fit ce temple prostyle, en plaçant des colonnes sur le devant du frontispice , ce qui rendit cet édifice beaucoup plus majestueux , et procura aussi une place plus convenable à ceux qui n’étoient pas encore initiés aux mystères des sacrifices de ces déesses. Le oua- trième enfin est le temple de Jupiter Olympien , que Cossutius construisit à Athènes 1 comme nous l’avons dit , et où il a réuni tout ce que l’ordre corinthien a de plus magnifique , et observé la belle harmonie de scs proportions. x Dans le latin on lit Asiy , qui signifie en grec pour la désigner. Les Romains les ont imités en disant une ville ; parce que le* Athéniens appeîoient leur v ille, urls, au lieu de Rome, la ville par excellence , et disoient .simplement Asty I/ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 3Q3 Cependant on ne trouve pas que Cossutius ait rien écrit sur ce sujet ; ce n’est pas le seul ouvrage qui nous manque ne devons-nous pas regretter de n’en avoir aucun de Gains Mutius , qui a étalé toute la science de son art , dans la construction des temples de l’Honneur et de la Vertu , que Marins fit bâtir ; on voit avec quelle exactitude , il en a suivi les règles, pour proportionner la nef, les colonnes et les architraves. Ce temple i pourvoit être mis au nombre des ouvrages les plus magnifiques, s’il étoit bâti en marbre , et si la richesse de la matière répondoit à la perfection du travail, * Puisque les grands architectes que nous avons eus autrefois, ainsi que les modernes, qui sont en assez grand nombre , ont si peu e'crit sur leur art, en comparaison des Grecs , j’ai cru que je ne pouvois mieux faire que d’entreprendre cet ouvrage , où j’ai séparé chaque objet, pour traiter de chacun eh particulier dans l’un des livres qui le composent. Tellement, qu’après avoir prescrit la manière dont il faut bâtir les édifices des particuliers, dans le sixième livre, je vais dans le suivant 3 qui est le septième, traiter des différentes façons de faire les enduits, et faire voir comment ils contribuent en même temps à l’embellissement et à la solidité des édifices. REMARQUES Vitruve commence ce livre par l’éloge des lettres , et rend hommage aux savans , qui , avee leur secours , nous ont transmis les événemens passés , et les découvertes qu’on avoit faites de leur temps. Il cite les artistes et les premiers poètes qui ont commencé à faire fleurir les arts et les belles-lettres dans la Grèce , où les siècles de la belle littérature furent aussi ceux qui produisirent les plus fameux artistes. Il parle d’abord d’Homère qu’il appelle le père des poêles. Il fleurissoit environ cent ans avant la première olympiade ; si l’on excepte peut-être Hésiode , qui , suivant quelques-uns, écrivait trente ans avant lui; nous ne connoissons aucun autre ouvrage grec plus ancien que les siens. Rien ne peut être comparé à sa poésie ; il s’essaya dans le genre épique , le chef- d’eeuvre de l’esprit humain , et prenant un vol d’aigle , s’élança au plus haut degré où peuvent atteindre les forces humaines , en composant son immortelle Iliade. En vain les plus grands génies ont cherché à l’imiter ; et la Grèce , qui, pac la suite , nous donna encore tant d’excellents poètes , en d’autres genres , ne produisit plus rien de semblable tellement que le plus ancien de ses poètes fut aussi le meilleur. Ce qui fait dire à Velleius Pater" oulus , qu’il ria eu personne avant lui qu’il ait pu imiter ni personne après lui qui ait pu le suivre 2 . 1 R ^ parlé de ,ce temple , quil cite comme peiip- 2 Neque anle ilium quem ille tmitaretur ; neque post ilium qui euv 1ère dans le i. cr Chap. du 111, e Ifiv. Voyez les remar- imilail posset, imenlus nsi, ques qui sont à la fin, Introduction, LIVRE VIL 3 o 3 Les beaux-arts , et sur-tout l’architecture , étoient déjà connus dans le temps d’Homère j il noùÿ apprend , qu’avant le siège de Troie , la ville d’Orchestre éloit célèbre à cause du temple de Neptune , qui s’y trouvoit , et que Minerve en avoit un magnifique à Athènes i. Nous voyons dans 1 * 3 Pline que le temple de 'Diane en Aulide , fut bâti plusieurs siècles avant la guerre de Troie 2.. Homère parle aussi de plusieurs palais qui existaient en Grèce avant cette guerre. Les Grecs , comme nous l’avons déjà observé , d’après les savantes découvertes de M. Desnon S ,- avoient appris l’architecture des Egyptiens. Les colonies égyptiennes que Cécrops , et ensuite Danaiis, amenèrent en Grèce, en faisant connoître le culte de leurs dieux, y firent aussi connoître cet art,' qui, chez eux , y étoit entièrement consacré 4 . Nous voyons effectivement que peu après le temps de Cécrops, Deucalion fit bâtir un temple, en l’honneur de Jupiter Pbixius , c’est-à-dire de Jupiter, par le moyen de qui il s’étoit sauvé des eaux du déluge. Ce temple subsista environ neuf-cents- cinquante ans , jusqu’à la cinquantième olympiade 5 étant tombé en ruine , Pisistrate entreprit d’en, bâtir un autre , sous le nom de Jupiter Olympien , qui est celui dont parle Vitruve dans l’introduction de ce livre. L’histoire parle ensuite de deux célèbres architectes , Trophonius et Agamède, qui étoient l’un et l’autre fils d’Erginus , postérieur à Hercule et à Thésée , d’une génération ; ils avoient bâti le temple de Neptune' Hippius , éloigné d’un stade de Mantinée. Pausanias 5 nous apprend que l’empereur Adrien fit enfermer cet ancien temple dans un nouveau qu’il fit bâtir. 4 Les Grecs ne sont donc pas les inventeurs de l’architecture j ils la doivent aux Egyptiens , auxquels ils doivent également les autres arts. Nous savons par les témoignages de l’antiquité , et Hérodote sur-tout nous l’assure , que la plupart des noms des dieux ont été portés d’Egypte en Grèce , avec leur culte. Aussi Homère, avant de composer ses poèmes, parcourut-il l’Egypte, pour s’instruire plus particulièrement de la théologie mythologique , et apprendre des prêtres égyptiens quantité de choses inconnues en Grèce , sur la généalogie , les dignités et lès emplois de leurs dieux. Ce qui fait dire au savant Huet évêque d’Avranche , qu’IIomère , qui avoit visité les Egyptiens , rapporta de chez eux , cet esprit fabuleux qui lui fit inventer, non seulement les admirables poèmes qu’il nous a laissés , mais encore mille nouveautés dans la généalogie , les dignités et les emplois des divinités grecques ; et ce fut là qu’il se perfectionna dans la poésie qui y a toujours été soigneu- > sement cultivée 6. » Ainsi ce n’est pas seulement à cause de son ancienneté que Yitruve cite Homère le premier j c’étoit encore parce que les anciens ne regardoient pas les événemens qui se sont passés à Troie , comme une simple histoire, mais comme le fond de leur théologie. C’est pourquoi les livres d’Homère , où ces événemens sont rapportés, étoient en grande vénération ; on estimoit son histoire , on admiroit sa poésie, et ses livres étoient réputés sacrés 5 aussi Yitruve les nomme avant de parler des ouvrages qui traitent de la philosophie et de la morale , avant de citer l’histoire de Crésus , d’Alexandre et de Darius , et si l’on a infligé à Zoïle , surnommé le fléau d’Homère , ce châtiment dont il parle ,>> 1 Iliade, IJv. VI. 4 Idem. î Pline, Liy. XVI, Ch. 14. 5 Liv. VIII, Ch. 10. 3 Voyage dans la haute et basse Égypte , t. III. Descript. de 6 Traité de l’origine des romans , p. 16. la 5 g c et 60. e plane , édit, in-12. t 3o4 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. pour avoir écrit contre ce poêle , c’est parce qu’il avoit tourné en ridicule un ouvrage qui iraiioit de la religion. La plupart des tragédies, chez les Grecs, représentant les actions des dieux, étoient aussi regardées comme des ouvrages sacrés. L’origine de ces spectacles , cliez eux , étoit due aux fêtes de Bacclius. La partie de ces fêtes , qui se célébroient dans les temples , consistant en choeurs , c’est-à-dire en chants graves et monotones , étoit nécessairement triste ; Thespis essaya d’introduire dans ces chœurs, un personnage qui récitoit quelqu’un des exploits de Bacchus ; ce qui fit un épisode , c’est-à-dire un morceau étranger dans le chœur. Eschyle essaya d’ajouter un second personnage qui forme un dialogue avec le premier. Les beaux jours de la Grèce commençoient alors à paroître ; vainqueurs des Perses , dans les •journées de Salamine et de Platée , on vit les Grecs assemblés en Elide pour les grands jeux , écouter Hérodote cjui avoit quitté la Carie pour venir leur lire son histoire c’étoit dans la 77.° olympiade. Eschyle donna alors sa première tragédie régulière ; et les beaux-arts virent naître Ageladas d’Argos , maître de Phidias ; Onalus qui fit la statue de Gelon , Agenor , et Glaucias d’Epiie. Agalharque qui faisoit les décorations pour le théâtre sur lequel Eschyle faisoit représenter ses tragédies, composa, suivant Yitruve , le premier traité de perspective. Perrault a très-mal saisi ce passage de Vin uve , suivant sa coutume; lorsqu’il ne comprend pas. bien , il suppose une faute dans le texte , et se sert ici d’une correction que Barbaro a faite dans son édition latine. Au lieu de tragœdiam scenam , il lit tragicam scencim. Barbaro a certainement reconnu son erreur par la suite, puisque, dans sa traduction italienne, il a remis le mot tragœdiam. Perrault seul met tragicam au lieu de tragœdiam y par-là il fait Eschyle peintre de décoration. On sait qu’Esehyle réforma la tragédie, et introduisit le bon goût dans ce genre de poésie à Athènes; mais qu’il ne fut jamais peintre de décoration. D’après cela , le véritable sens de celte phrase , est que Iorsqu’Eschyle faisoit représenter ses tragédies à Athènes, Æschylo docente tragœdiam , Agalharque en peignoit les scènes , scenam fecit Agatarchus. La clarté de ce passage est plus que suffisante pour convaincre ceux qui ont voulu douter si les anciens connoissoient l’art de la perspective. En effet Agalharque, Démocrite et Anaxogore , sont ici. cités comme ayant composé des traités de perspective ; puisque Vilruve dit qu’ils enseignoient la manière de représenter , sur la scène , des véritables édifices , qui , quoique peints sur une superficie plate* et unie, c’est-à-dire sur la toile, paroissoient les uns près , et les autres éloignés; et cela en imitant la disposition naturelle des lignes qui répondent toutes à un même point, lineas rations naturali resjrondere , que nous nommons le point de vue, ou le point de perspective; et radiorum extensionem , et selon le point de distance. Il est vrai que les règles de la perspective 11e sont pas observées bien exactement, dans les peintures anciennes qui se sont conservées et qui sont parvenues jusqu’à nous , hormis le morceau de peinture à fresque qu’on a trouvé dans les ruines de Yilîeya , et qui se trouve à Parme dans une des salles de l’académie , ou l’on voit qtr’on a observé les règles de la perspective. Dans tous les autres morceaux de peinture antique que j’ai vus à Rome, à Naples, à Portici , où on en a réunis une infinité , qu’on a tirés des ruines d’Kerculanum et de Pompeia , je n’en ai remarqué aucun qui ' \ik Ii l CD Épb îflusir f te 9 d 5t îij Ni tjtll -I N 3o5 Introduction, L I V K E V I I. qui indiquât que le peintre connoissoit la perspective. Je dois cependant observer que tous ces morceaux étoient peints sur des murailles , d’où On les a sciés ; et que , d’après le rapport de Pline * ceux qui peignoient dans ce genre n’étoient pas les meilleurs des peintres. Ces peintures prouvent , il est vrai , que ceux qui les ont faites ignoroient cet art ; mais non pas que l’art étoit inconnu de leur temps. J’ose dire que , même à présent , où l’on connoît certainement ces règles , il y a une infinité de tableaux où on ne les a pas suivies , et qui sont remplis de fautes contre la perspective ; on n’en peut pas conclure cependant que cet art est généralement ignoré , mais que les peintres qui les ont dessinés sont des ignorans 1 . La perspective , qui, suivant la remarque d’un grand maître 2 , est la première chose qu’un jeûne peintre doit apprendre , pour savoir mettre chaque chose à sa place , et pour lui donner la juste mesure qu’elle doit avoir, dans le lieu où elle est , étoit donc connu dans la Grèce , à celte époque , où les arts sembloient annoncer les rapides progrès qu’ils alloient faire , où les malheurs mêmes de la Grèce servirent à leurs progrès. Après les ravages des Perses , il fallut rebâtir Athènes. Phidias , sous le gouvernement de Périclès , dirigea la construction des nouveaux édifices , et les décora de chefs-d’œuvres de sculptures, sortis de ses mains et de celles de ses élèves. Tout devint grand alors à Athènes , et le pas qui fut franchi, dut paroître étonnant , lorsqu’on compara les ouvrages d’Ageladas à ceux de Phidias, c’est-à-dire ceux du maître et ceux de l’élève. 11 en étoit de même pour les lettres ; ce même temps vit paroître Euripide , Sophocle , Euphorion et Aristophane. On croyoit qu’Eschyle avoit porté la tragédié à sa perfection , lorsque Sophocle fit eonnoître un genre nouveau ; il sut émouvoir, non par des paroles , mais par des images sentimentales , qui pénètrent jusqu’à l’ame ; il fit voir dans l’art de Melpomène , des beautés inconnues jusqu’alors , et un talent supérieur à tous ceux qui avoient , avant lui , parcouru cette carrière. Les plus heureuses circonstances firent fleurir alors les arts dans la Grèce 5 l’esprit humain s’y développa tout entier ; chaque olympiade vit éclore de nouveaux prodiges. L’histoire nous a conservé les noms des plus célèbres sculpteurs de ce temps ; outre Léocharès , Braxis, Scopas et Praxitèle dont parle Vitruve , Polyclète et Myron dont il a parlé dans le i. er chapitre du I. er livre, florissoient à la même époque. Les malheurs qu’éprouva Athènes pendant la guerre du Péloponèse > furent aussi funestes aux arts; mais Thrasybule lui [rendit sa liberté et la délivra du joug des Lacédémoniens. L’art, dont le destin fut toujours lié à celui d’Athènes , parut renaître alors , et les élèves des grands maîtres précédens , Cænacus , Numides, Dinomede et Patrocle , selon le témoignage de Pline , se signalèrent dans la qô .™ 9 olympiade 3. Peu après la guerre du Péloponèse , Epaminondas changea tout le système des états de la Grèce; il fit prendre à Thèbes sa patrie , la prépondérance. Vainqueur à Leuctres des Lacédémoniens, qui, 1 Discours de M. Sallier sur la perspective des anciens , tome II 2 Le'onard de Vinci, traite’ de la peinture , Chap, I.** des me'm. de l’acad. des insc. et belles-lettres. 3 Pline, Liv, XXXIV , Chap. 8. / 39 3 o 6 L’ARCHITECTURE DE V I T R TJ Y E. » depuis trente ans, étoient les maîtres de la Grèce, la crainte qu’il inspiroit occasionna la réconciliation de Sparte avec Athènes, qui se liguèrent ensemble contre les Thébains , dans la io2. ra * olympiade. Pline place à celle époque , le temps des célèbres sculpteurs Polyclès , Cephisodoie et Hypatodore 1. Xénophon et Platon étoient alors dans la force dê leur génie. Thèbes et Sparte recommencèrent une guerre à laquelle toutes les villes de la Grèce prirent part ; Epaminondas la termina par la bataille de Mantinée , où il remporta la victoire , et* termina sa glorieuse carrière. Ses dernières paroles , en expirant, furent pour conseiller aux Thébains de faire la paix , quoiqu’au moment de leur triomphe ; ils suivirent son conseil elle fut conclue la seconde année de la 104. me olympiade. La tranquillité générale succéda aux troubles dans la Grèce. Pline place à cette époque le temps de la réputation de Praxitèle de Zeuxis, de Pamphile, d’Euphranor et d’autres artistes. Ce que Praxitèle étoit dans la sculpture , Pamphile , Euphranor , Zeuxis, Nicias et Pharrasius le furent dans la peinture cet art ne fut porté à sa perfection que par ces maîtres, car Quiniilien nous apprend que Zeuxis et Apollodore son maître } passent pour être les premiers qui aient introduit les lumières et les ombres dans leurs tableaux 2. Ménandre, l’ami d’Epicure , parut sur la scène comique ; il répandit dans ses pièces le sel attique, sans s’écarter des lois de la bienséance , et fît voir l’affinité qui régnoit entre la poésie et l’art auquel Apelles et Lysippe imprimoienl alors le caractère des grâces; et Démosthène se montra le plus grand orateur du siècle dont nous parlons , et de tous les âges. Enfin l’époque de la plus haute élégance et de la plus grande délicatesse de l’art, fut sous Alexandre-le-Grand , après la 106. me olympiade. /Les Grecs, tranquilles sous son empire, s’adonnèrent aux plaisirs et aux beaux-arts. Outre Lysippe qui avoit seul le droit de jeter le portrait d’Alexandre en fonte, Apelles de le peindre, et Pyrgoteles celui de le graver en pierre fine , 3 on distingua encore, parmi les sculpteurs, Agesandre , Poly- dore et Athénodore, auteurs du Laocoon; et parmi les peintres , Aristide, Protogène et Nycomaque. Parmi les architectes , on distingue Dinocrate dont Vilruve nous a donné l’histoire, au commencement du deuxième livre. Ce fut lui qui traça le plan et fit le modèle de la ville d’Alexandrie 4* Le. temple de Diane d’Ephèse , ruiné par l’incendiaire d’Erostrate , fut reconstruit , et ce célèbre architecte y mit la dernière main. Alexandre-îe-Grand mourut la première année de la n 4 - me olympiade ses généraux se partagèrent son empire. L’Egypte, l’ancienne patrie des arts, échut à Ptolomée. Il fit bâtir le Phare d’Alexandrie , qui passa pour une des sept merveilles du monde ; et son fils Ptolomée-Philadelpbe fonda à Alexandrie celte fameuse bibliothèque dont il est parié dans cette introduction. Au rapport d’Aulu- sippo duccret œra forlis Alexandri Vulium simulantia. Horat. epist, I> Lib. II. Plin. Lib. XXXV, Ch. 10. 4 Pline, Liv. Y. Chap. 10. / 1 Pline , Liv. XXXIV, Cliap. 8 . 2 Quint, inst. oral. , Liv. Xîl , Chap. 10. 3 Edich- teluit ne tjuis se prœter Appellent pingeret, aut nlius Ly~ Introduction, LIVRE VI I. elle, elle contenoit sept cent mille volumes 1 . Gallien nous apprend que Plolomée et ses suc- i -i •_ vi • cesseurs achetoieut très-cher tous les manuscrits qu’ils pouvoient se procurer , pour augmenter cette bibliothèque. Les soins en furent d’abord confiés au célèbre Démétrius de Phalère qui s’éloit réfugié en Egypte. Ce grand homme avoit acquis beaucoup d’autorité à Athènes, sous Alexandre , et aussi-tôt après la mort de ce conquérant , il en fut regardé comme le souverain. Il la gouverna pendant dix ans , et y fit construire un grand nombre d’édifices. C’est à cette époque que Philon embellit le temple de Cérès à Eleusis, en plaçant des colonnes sur le devant, pour le faire prostyle , comme "Vitruve nous l’apprend dans ce livré. Les Athéniens , pour honorer la vertu de Démétrius, lui élevèrent 36o statues d’airain , ce qui n’empêcha pas ses ennemis de le faire condamner à mort ; mais il échappa à cette sentence, en se retirant d’abord chez Cassandre , ensuite chez Plolomée. C’est par ses conseils que Plolomée fit traduire d’hebreu en grec , par des Juifs que lui envoya Éléazar , les livres de la loi de Moyse ; c’est ce^ qu’on nomme la Version des septante. d’édifices. C’est à cette époque que Philon em- Dans le même temps , les rois de Pergame , Atlale et Eumènes , accueillirent l’art dans leur patrie. Ces deux rois qui se sont immortalisés par leur sagesse et leur amour pour leurs sujets, fondèrent une bibliothèque comme celle d’Alexandrie. Ce qui excita la jalousie des Egyptiens, au point que Ptolomée-Philadelphe défendit l’exportation du papyrus ou du papier d’Egypte ; il excita par-là l’industrie des Pergaméniens ,, qui trouvèrent l’art de préparer des peaux de mouton pour écrire dessus; on les a nommées parchemin , parce que cette invention eut lieu à Pergame. une bibliothèque comme celle d’Alexandrie. Ce qui excita la jalousie des Égyptiens Plutarque nous apprend dans la vie de Marc-Antoine , que la bibliothèque des rois de Pergame contenoit deux cents mille volumes. , J’ai cru qu’il convenoit de donner celte petite histoire chronologique des progrès des arts dans la"Grèce , pour faciliter l’intelligence de ce que Vitruve nous dit de ceux qui ont écrit, sur les arts, des ouvrages desquels il s’est servi. Toutes les époques que je rapporte se trouvent fixées dans le XXXIV. livre de l’histoire de Pline. Les ouvrages d’architecture que Vitruve cite dans cette introduction , sont présentement perdus. La publication de son traité , qui réunit tout ce qui se trouvoit de mieux dans les autres , est sans doute cause qu’on les a négligés , et qu’ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Les anciens préféraient sans doute le sien à tous les autres. En parlant d’architecture ils n’en citent presque pas d’autres. 2 Ou en a trouvé un grand nombre de manuscrits , qu’on conserve encore dans les bibliothèques les plus célèbres ; 5 tandis qu’on n’en a trouvé aucun des autres auteurs. Je crois donc que nous devons un peu nous consoler de la perte de leurs ouvrages. Vitruve ayant traité de tout ce qui concerne la construction des bâtimens , va parler dans ce septième livre , des moyens de les embellir il commence par les enduits. 1 Liv. VI, Cha. ult. Eijsèbe , Àmien Marcelin en parle aussi. 3 Voyez en le catalogue au commencement de cet ouvrage. a Pline entr’autres, Liv. XXXV et XXXVI. x 3o8 L'ARCHITECTURE DE YITRUVE. CHAPITRE PREMIER. De la Rudération. J E commencerai par la rudération, i qui est le principal de tous les enduits , afin qu’on ait la plus grande attention de le faire bien solide. Quand la rudération se fait pour un payé qui doit être au rez-de-chaussée , on examine si le sol est bien ferme par tout ; alors on étend la première couche de cailloux et ensuite la rudération. Mais si le local est entièrement , ou même en partie de terre rapportée , il faut avoir grand soin de bien l’affermir , en le battant avec la hie. On doit prendre garde ensuite que sous les planchers des étages , il ne se rencontre de ces murs qui ne s’élèvent pas jusqu’au haut de l’édifice , mais seulement jusqu’au plancher; s’il s’en trouvoit de cette sorte , il faut qu’il soit un peu plus bas , pour éviter qu il ne le touche ; autrement le plancher venant à sécher , et s’abaissant un peu alors, la partie qui seroit appuyée sur le mur , ne participant pas à ce mouvement, il se feroit certainement des crevasses à droite et à gauche dans le pavé. On nuit aussi beaucoup à l’ouvrage , si, avec des planches de chêne , on en mêle d’autres de chêne commun, parce que le chêne commun qui reçoit l’humidité se dejette et fait fendre le pavé. Si cependant on n’avoit point de chêne verd , et qu'on fût obligé de se servir de chêne commun , il faudroit rendre les planches fort minces ; afin qu’étant ainsi affaiblies , on pût les arrêter plus aisément avec des doux , on les attachera en outre sur les solives , avec des doux de chaque côté , pour empêcher qu’en se tourmentant, elles ne s’élèvent par les bords. Nous ne parlerons pas du cercus, du hêtre, ni du farnia , parce qu’aucun de ces bois ne peut durer long-temps. Le plancher étant achevé , il faudra le couvrir de fougère , si l’on en a , ou bien de paille , pour empêcher la chaux de gâter le bois. Ensuite on étendra par-dessus, un lit de cailloux qui seront au moins gros à pouvoir remplir la paume de la main; et sur ces cailloux on jetera la rudération dans laquelle on mettra une partie de chaux pour trois de cailloux, si on la fait avec de nouvelles pierres car si elles sont prises de vieilles démolitions , on mettra deux parties de chaux pour cinq de i La rudération , comme on le verra , étoit un mélange de pierres concassées avee de la chaux. 1 -s, a f, * parti % ! Mér [ 4lnc ki LIVRE VII, G h a p. i. 309 cailloux. On affermira l’enduit de la rudération , en le faisant battre long-temps par un nombre d’hommes suffisant, de sorte qu’après l’avoir été assez, il n’ait pas moins de neuf pouces d'épaisseur ; là dessus on fera le noyau ; celui-ci n’aura pas moins de six pouces d’épaisseur ; il est composé de tuileaux concassés avec lesquels on mêlera une partie de chaux sur deux de ce ciment. Sur ce noyau , on posera le pavé bien dressé avec la règle , soit qu’il soit fait de carreaux, ou bien en mosaïque. Quand cela sera achevé , et qu’on aura couvert de pavés toute la superficie , on le polira avec le grés , de manière que les pièces taillées en losange , en triangle, en carré , ou en exagone , n’offrent rien de raboteux, et qu elles soient parfaitement unies dans leurs jointures. Dans les pavés en mosaïque , il faut égaliser et polir tous les angles 5 parce que s ils netoient pas égaux , louviage ne paroitioit pas comme il faut lorsqu’il sera poli. On doit de même dresser bien exactement les pavés de brique en forme d’épi de bled , comme on les fait à Tivoly , de manière qu’ils n’offrent ni creux ni bosses, mais qu’ils soient bien polis , pour qu’on puisse les placer à la règle. Lorsqu’on aura rendu le pavé très-uni à force de le polir , on cassera de la poudre de marbre et l’on jetera par-dessus une composition faite de chaux et de sable. Il faut prendre beaucoup plus de précaution pour les pavés qui sont à découvert , à cause que la charpente qui soutient ces pavés , s’enfle et se tourmente d abord par l’humidité ; elle se dessèche et se rétrécit ensuite ; ce qui fait entr ouvrir le pavé. Les gelées et les bruines qui surviennent, achèvent bientôt de les gâler. Tellement que si l’on veut un pavé qui résiste aux injures de l’air , et subsiste long-temps , sans défaut, on doit le faire de cette manière. Quand le premier plancher sera achevé , on étendra par-dessus en travers un second rang d ais, que l’on arrêtera aussi avec des doux, ce qui formera un double plancher ; on fera ensuite la matière de la rudération , composée de nouveau cailloux mêlés avec une troisième partie de tuileaux pilés , ajoutant , à cinq parties de cette- mixtion , deux parties de chaux. La couche de cailloux étant faite , on étendra dessus la matière de la rudération , laquelle étant bien battue , aura encore au moins l’épaisseur d’un pied. IHous avons dit comme on devoit faire le noyau sur cette rudération on mettra par - dessus de grands carreaux épais de deux doigts , et posés de manière qu’ils soient élevés dans le milieu , pour ménager une pente de deux doigts sur dix pieds d étendue Si l’on fait bien cet ouvrage , et qu’on le polisse comme il doit l’être , il subsistera long-temps sans défaut. Pour empêcher que la gelée ne pénètre par les joints des carreaux et ne pourrisse les planchers , il convient d’imbiber tous 3io L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. les ans avant l’hiver , les carreaux de lie d’huile , et de les en imprégner autant qu’il sera possible. » On empêche par-là l’humidité de pénétrer. Veut-on mieux faire encore ? qu’on couvre toute la rudération avec des carreaux de briques qui auront deux pieds , et qu’on joindra avec de la chaux ; ces carreaux auront tout autour des rainures enfoncées de l’épaisseur d’un doigt, qu’on remplira de chaux détrempée avec de l huile , pour bien boucher les jointures ; lorsqu’elle s’y sera durcie , on la frottera au-dessus avec le grés. Cette chaux s’attachera fortement aux rainures, et venant à durcir, empêchera l’eau et toute espèce d’humidité de pénétrer par les jointures. Sur ces carreaux ainsi assemblés, on étendra le noyau , qu’on aura bien battu avec la liie on pavera ensuite par - dessus , soit avec de grands carreaux , soit avec de pavés de briques placés en forme d’épis de bled , en observant de leur donner la pente indiquée ci-dessus. Si I on fait cet ouvrage, comme je viens de le dire , il subsistera long-temps sans se gâter. REMARQUES. Les anciens étoient bien plus curieux que nous ne le sommes pour former de bons payés, On vient de voir , dans Vilruve , tous les travaux préparatoires et toutes les précautions qu’ils prenoient avant de les placer. Beaucoup de ces pavés se sont parfaitement conservés. On en a trouvé plusieurs très-entiers , particulièrement dans les ruines des anciens édifices de Rome , de Palestrine , de Naples , de Pompeia , d’Hercuîanum ; on en a trouvé dans toute l’Italie , et même daus les autres parties de l’Europe 1 et de l’Asie , où il existe des ruines d’édifices romains. Les pavés sont ordinairement les parties les plus intactes ; ce qui prouve leur grande solidité. Tous ceux que j’ai vus ont été construits , d’après les règles rapportées par Vilruve dans ce chapitre ; on voit par-dessous les différentes couches dont il parle. Les Romains avoient , parmi leurs esclaves , des ouvriers appelés pavimentarii , 2 qui exécu- toient les détails de tous ces ouvrages. La première opération étoit d’étendre sur le sol, après s’être assuré de sa solidité , une couche de cailloux ou de petites pierres brisées , de manière à pouvoir tenir dans la paume de la main. Celte première couche se metloit à sec , sans le mélange d’aucun mortier. Cela s’appeloit statuminare , et statuminalio. Sur cette première couche on en jeloit une seconde aussi de pierres concassées , mais mêlées avec de la chaux on appeloit cela ruderare parce que , comme le remarque l’auteur anonime qui a composé l’abrégé de Vilruve , rudus est majores lapides contusi calce misii , c’est-à-dire , a la rudération est un mélange de grosses pierres n concassées avec la chaux. » Quand on prenoit , pour la rudération , des pierres ou des cailloux nouvellement tirés de la carrière , ou des éclats de pierres de taille, cela se nommoitVwtfMS novum ; et lorsqu’on la composoit de fragmens^ de pierres tirées des débris d’un vieux mur , on disoit redi- j M. r Coxe , dans ses lettres sur la Suisse , parle d’un superbe Tranche. Lett. XXX. me payé en mosaïque, trouve' dans les ruines de l’ancienne ville d’A- 2 Vulpii Tabula Antiana, p. 16. LIVRE VII, C h a p. i. 3n vivum. Ce£ vieilles pierres, tirées depuis long-temps, étant beaucoup plus* sèches, ou plutôt plus poreuses , exigeoient une plus grande quantité de chaux , c’est pourquoi Yilruve veut qu’on mêle avec ces cailloux deux parties de cliaux sur cinq de pierres ; tandis qu’avec de nouvelles pierres , il n’exige qu’une partie de chaux sur trois de pierres. Perrault s’est trompé , et a confondu le statumen avec le rudus j d’où il a très-mal-à-propos fait entrer de la chaux dans la composition du statumen. Son erreur vient de ce que Yilruve , vers la fin de ce chapitre , immédiatement après avoir rapporté comment l’on composoit la rudération , dit statuminatione facta 3 rudus inducatur ; ce qu’il traduit ainsi Celte couche étant faite , on mettra la matière de la rudération ». Tellement que Perrault a cru que cette compo- ' sition, dans laquelle il entroit de la chaux, n’étoit pas celle de la rudération, mais celle du statumen , Pour peu qu’on réfléchisse cependant, on voit très-clairement que la matière, dont l’auteur rapporte la composition , ne peut être autre que celle de la rudération y mais comme la rudération s’étend toujours sur une couche de cailloux statumen 3 il suppose que cette couche de cailloux a été faite d’avance ; voilà pourquoi , après avoir indiqué la composition de la rudération , il dit statuminatione facta , rudus inducatur. L’essentiel pour la rudération est d’être bien battue 5 Yilruve recommande de le faire faire par un nombre d’hommes suffisant , et il emploie pour cela cette expression decuriis inductis. Dans le 3 . 1316 chapitre de ce livre, il dit également decuria homirium inducta. Ce qui est une expression générale , qui signifie une quantité d’hommes indéterminée ; proportionnée d’après l’ouvrage, et d’après l’espace où on peut les employer. Barbaro et Perrault ont entendu par-là des hommes disposés dix à dix , mais ils se sont trompés. * On ne pratique plus pour les pavés la rudéralion , en-deça des Alpes; et comme l’observe Perrault, nous n’avons point même de mot françois pour signifier ruderatio. C’est pourquoi il a dû retenir le mot latin. Il n’en est pas de même en Italie , où on l’emploie encore pour les pavés des grandes salles , et cela de la même manière que Yilruve vient de l’enseigner dans ce chapitre ; la première couche statumen se fait de même avec des pierres concassées sans chaux ni mortier; on la nomme en italien riccio , c’est-à-dire hérissée . La seconde , qui est la rudéralion , se nomme le smalte , smalto } dont nous avons déjà parlé. Les pierres concassées se joignent tellement avec la chaux, lorsque la rudération ou le smalte est bien sec , qu’elles ne forment, pour ainsi dire, qu’un même corps, qui acquiert une grande solidité; et, lorsqu’il est bien égalisé , prend le plus beau poli. Les Italiens ayant sans doute remarqué cela , ont formé des pavés avec la rudération seule , sans la couvrir avec des carreaux ou de la mosaïque , comme Yitruve le dit ici. _ * Yoici comme ils s’y prennent après avoir formé le smalte , ou la rudération , comme Yitruve l’enseigne , sauf que j’y ai vu employer de la pouzzolane , on la bat avec la liie jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement sèche ; alors on la frotte avec des grés , et ensuite avec d’autres pierres plus douces, jusqu’à ce que le smalte soit bien poli. Celte manière de pavé fait le., plus bel effet; on cliroit qu’un seul morceau de marbre forme tout le pavé de la salle. Un autre avantage , pour le climat de l’Italie , c’est qu’elle procure la plus grande fraîcheur. Plusieurs salles du palais de Milan , » 3l2 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. comme nous l’avons déjà dit, sont ainsi pavées. Celles de l’arsénal de Venise, et du palais du Doge, celles du palais du T. à Manloue , de la Villa Borghèse à Rome , le sont également. On rend ces pavés encore plus beaux , en séparant les éclats de marbre , suivant leur couleur ; on en forme alors différens dessins , tels que des étoiles , des compartimens , etc. Les plus beaux pavés que j’aie vus en ce genre, sont ceux de la Villa Borghèse à Rome ; il faut que ces pavés soient bien solides , puisqu’à Boulogne , plusieurs loges , qui sont le long des rues , sont uniquement pavées comme cela ; ils restent très-intacts , quoique foulés continuellement par le public ; ce que j’ai remarqué moi-même. Nous avons déjà parlé des deux premières couches que les anciens metloient sous leurs pavés la troisième s’appeloit le noyau , nucléus ; elle étoit composée de tuileaux concassés et réduits eu grains , à-peu-près de la grosseur d’un pois , et liés avec de la chaux. C’est ainsi qu’est fait le ciment des différens pavés antiques , que j’ai vus à Pompeia , à Herculanum , dans la Villa Adrienne à Tivoli ; soit qu’ils fussent en mosaïque ou autrement, ce ciment acquiert à la longue une soli-. dilé semblable à celle du marbre ; on le taille dè même, et il prend comme lui le plus beau poli. J’en ai vu faire à Naples des tabatières et d’autres ouvrages , on ne peut pas plus jolis. X’étoil sur celte dernière couche qu’on posoit le pavé qui étoit ou en brique ou en mosaïque , ou en tout autre ouvrage dont nous allons parler. Nous avons vu combien les anciens cherchoient à rendre leurs pavés solides , et les moyens qu’ils employoient pour cela. Us n’éloient pas moins recherchés pour les rendre élégans et agréables à la vue. C’éloit chez eux un luxe généralement répandu. Tous les pavés que j’ai vus à Pompeia , sont de la plus grande élégance ; il y en a de carreaux de marbre blanc ; mais la plupart sont en mosaïque , et représentent de très-jolis dessins. Les plus petites maisons , celles des marchands , des artistes, ont des chambres pavées en mosaïque. f' ;; û Je ' y fit* ijüétoi ; .îinats - 3 et I iiin di 1 ijiAîces jim, o qu’on a Ls et de a Je, T i, tt . L 1 V RE VII, C h a'p. i. 3i3 Les anciens arrângeoient encore leurs pavés d’une autre manière , nommée spicatum opus ; parce que les briques en sont posées comme les grains de bled dans l’épi. Il paroit , d’après ce que dit Vilruve , qu’elle étoit sur-tout en usage à Tivoli ; elle est encore pratiquée en Italie, où on la nomme a spinadi pesce , à cause de la ressemblance de celte espèce d’ouvrage avec les arêtes de poisson. Ce sont des carreaux oblongs , ou des briques qu’on pose verticalement sur leur côté étroit, de manière qu’elles forment un angle entr’elles. Les rues de Sienne, et de toutes les villes des états d’Urbain , sont pavées de pareilles briques. Nos menuisiers exécutent, souvent cette espèce d’ouvrage dans leurs parquets. Il est étonnant , combien l’on a trouvé de pavés anciens , exécutés en mosaïque 1 ; on croireit que , formés avec d’aussi petites pierres , ils dévoient plus aisément se désunir et par-conséquent être détruits les premiers 2 5 on en a trouvé cependant une infinité , parfaitement intacts , à Her- culanum et Pompeia ; on est parvenu à les enlever par grandes pièces , et on les a placés dans le muséum de Porlici ; ils servent de pavés aux salles , où l’on a réuni toutes les antiquités trouvées dans ces deux villes anciennes. A Rome, on a pavé de même plusieurs salles du muséum Clémentin au Vatican , avec des mosaïques qu’on a détachées dans les anciens édifices de Tivoly , de Palestine , l’ancienne Preneste des Romains et de Rome même. On distingue sur-tout celui de la grande salle de ce muséum, nommé la Rotonde. Tous les fragmens de mosaïque y sont réunis avec beaucoup d’art 5 tellement que dans ce nouveau muséum , nous marchons encore sur les pavés des anciens, et nous avons le plaisir d’admirer les jolis dessins dont ils les embellissoient ; ils sont parfaitement conservés , ainsi que les couleurs des différentes pierres et émaux dont ils étoient formés. L’invention des pavés , dit Pline , nous vient originairement des Grecs ; ils employoient beau- coup de pavés de couleur qu’ils peignoient avec le plus grand soin. Ces pavés perdirent leur vogue dès que la mosaïque fut connue. Sosus , à ce qu’on dit , excelloit à faire ces sortes de pavés $ > il fit le superbe pavé de la salle du théâtre de Pergame , appelé par les Grecs Àsaratos œcos 5 » parce que ce pavé étoit fait avec un amas de petits coquillages et de petites briques peintes de diverses couleurs. On y admire sur-tout une colombe qui boit ; elle est si artistement faite que » sa tête porte ombre sur l’eau. On y voit d’autres pigeons qui se grattent et se pavanent au soleil, » sur le bord d’une coupe 4. Je crois , continue Pline , que les pavés de Mauritanie que nous » employons aujourd’hui, ont conservé leur première forme , comme aussi ceux que nous faisons pour paver nos maisons j puisque les uns et les autres sont sciés et battus d’où leur est venu » le nom de pavé 5. Les pavés faits de petites pierres taillées et carrées furent inventés et em- 1 Leur nombre est bien plus considérable que celui des autres paves. 2 Mosaïque , vient du mot latin mushum ouvrage fait en compartiment , dont on a fait par corruption , Musdium et ensuite Mosaicum. 3 C’est-à-dire qui n’a pas e'té balaye' on lui donnoit ce nom, pareequ’on voyoit si industrieusenaent reprc'sente'es, sur ce pave', les miettes et les salete's qui tombent de la table , qu’il sembloit que ces objets lussent rc'els, et que les valets n’avoient pas eu soin de les balayer. 4 On voit à Rome , dans le muse'um d’antiquité' qui est au capi- tole , une mosaïque ancienne qui repre'sente quatre tourterelles, sur le bord d’un vase ; elles ont les attitudes dont parle Pline. Il paroit que c’est une copie de celles qui e'toient sur le pave' du the'âtre de Pergame dont parle cet auteur. 5 Du mot latin patire , qui signifie battre , frapper, consolider, ce qu’on faisoit à ces sortes de pave's pour les enfoncer dans l’enduit. Lo 34 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. ployés la première fois pour le temple de Jupiter , au Capitole, au commencement de la troisièm© » guerre punique. Quoique les pavés fussent déjà très-communs à Rome avant la guerre que nous D eûmes contre les Balaves et les Teutons, on éloit déjà très-recherché alors pour les rendre agréa- blés ; mais on voit par ce que dit Lucilianus , que ces pavés éloient faits en mosaïque. Nous » devons encore aux Grecs l’invention des plates-formes qui se font au-dessus des maisons ; ils » avoient coutume de couvrir ainsi les leurs. Ce moyen réussit à merveille et convient beaucoup » dans les pays chauds ; mais il est rempli d’inconvénients dans les pays où il neige beaucoup pen- > dant l’hiver. Pour bien faire ces plaies-formes , il faut, avant tout, faire un double plancher d’ais, n les uns couchés de long, et les autres de travers, et bien clouer ces ais à leurs extrémités , crainte » qu’ils ne se déjetlent et ne se tordent. Puis il faut prendre les deux tiers de plâtre ou de moëlon > de pierres nouvellement brisées ; y ajouter un tiers de tuileaux concassés et pulvérisés ; on joindra » à tout cela la cinquième partie de chaux ensuite on fera une couche de ce ciment, qui aura » la hauteur d’un pied et qu’il faudra battre très-fort avec la hie , pour bien l’entasser. Cela fait, » on étend par-dessus* le noyau, qui est une autre couche de ciment , de l’épaisseur de six pouces, » sur laquelle on place, les grands carreaux de pierres plates , qui ont au moins deux pouces d’épais- seur , et qu’il faut enfoncer à la profondeur d’un doigt au moins dans celle dernière couche de p ciment. Pour leur donner la pente nécessaire , on doit avoir soin de hausser le niveau de deux » doigts de dix pieds en dix pieds. Après cela, il faut l’applanif , ôter l’écume du mortier, et le n rendre bien uni avec le polissoir. On doit avoir eu la plus grande attention de faire le plancher de bon bois de chêne , dont les ais ne soient pas dans le cas de tordre car ils gâteraient tout l’ouvrage. Pour éviter cet inconvénient, on a trouvé qu’il étoit bon de les couvrir de fougère n ou de paille , pour empêcher que la chaux n’y pénètre trop tôt. 11 faut aussi de toute nécessité » les couvrir d’un lit de cailloux ronds. On emploie les mêmes procédés pour les pavés faits en n arêtes de poissons 1 . D Je ne veux cependant pas publier de parler d’uné espèce de pavé très-joli, employé par les Grecs après avoir bien battu et foulé la place qu’ils veulent paver , ils étendent dessus un » lit de tuileaux concassés, sur lequel ils jettent une couche fort épaisse de charbons pilés; puis ils n lui donnent le dernier ciment, qui est un mortier fait de chaux , de sable et de cendre enfin » ils mettent par-dessus , avec le niveau, l’équerre et la règle, des carreaux de pierre, qui ont » un demi - pied de large ; ils prétendent que c’est le vrai pavé qu’on emploie à Pise ; en effet, D quand le polissoir a passé dessus , il semble que tout ce pavé soit noir. Quant aux pavés à la » mosaïque , il paraît qu’on commença à les employer du temps de Sylla , qui fit paver, de petites d pièces rapportées à la mosaïque , le temple de la fortune à Prénesie ; on a porté la recherche » pour les pavés jusqu’à faire des pavés de verre 2 . Une partie de ce pavé en mosaïque , qui étoit dans le temple de la fortune à Preneste , aujourd’hui Palestrine , se conserve à Rome dans le palais Barberini , cpii appartient au prince de Pales- trine , où on l’y a fait conduire après l’avoir enlevé on regarde cette mosaïque comme un des plus beaux monumens de l’antiquité. Elle est composée de petits fragmens de marbre ; on y voit plusieurs figures d’animaux et de plantes ; une tente avec des soldats, une galère , des pretres qui 2 Pline. Hist. Nat. Liv. XXXVI, Chap. 26. S 1 O pus spicata testacea , forment un chœur de musique , des personnages occupés à des travaux rustiques , des tours , des obélisques , des temples , des cabanes et des barques. On voit que Pline a entièrement tiré de Yilruve tout ce qu’il dit sur la construction des pavés ;si ce n’est qu’il rapporte l’époque de l’invention de plusieurs de ces pavés , ou plutôt le temps ou l’on en a introduit l’usage à Home. Dans tout ce chapitre de Yitruve , on voit clairement qu’il l’a entièrement consacré à traiter des différens pavés , et qu’il n’a pas voulu parler d’autre chose. On ne peut donc douter que Je mot ' rucleratio qu’il emploie , n’indique particulièrement cet enduit qui se faisoit sous les pavés , et non pas celui qui se faisoit sur les murs, comme Perrault semble l’avoir compris , suivant ce qu’il dit ^dans la première note qu’il a mise au commencement de ce chapitre. Ce seroit plutôt le mot expo- litiones qui comprendroit l’un et l’autre des enduits. X CHAPITRE'! I. Comment on doit préparer la chaux pour faire le stuc. Auprès avoir soigneusement examiné tout ce qui concerne les pavés , je vais indiquer de quelle manière on doit traiter les ouvrages en sluc. Le principal est de choisir les meilleures pierres possibles, pour faire la chaux * et de laisser détremper celle-ci long-temps axant de l’employer ; alin que les morceaux qui auront été moins cuits que les autres dans la fournaise , puissent avoir le loisir de s’imprégner , et de se dissoudre comme ceux-ci • car si l’on employoit la chaux en sortant de la fournaise , sans la détremper , il se formeroit sur l’ouvrage des espèces de pustules , occasionnées par les petits morceaux qid s’éteignent plus tard que le reste de la chaux ; ils rompent l’enduit et en gâtent tout le poli. Pour connoître si la chaux est bien éteinte ,~et suffisamment détrempée, il la faut découper avec le hoyau, comme on fait le bois avec une cognée. Si le hoyau rencontre de petites pierres , c’est une marque qu elle n’est pas encore bien éteinte et si en le tirant dehors , le fer en sort clair et net, cela signifie que la chaux est maigre et pas assez abreuvée ; au lieu que si la chaux est grasse et assez gluante pour s’attacher au fer de cet outil, on sera assuré qu elle est parfaitement détrempée. Alors il faut préparer les instrumens nécessaires pour enduire les voûtes des chambres dont les planchers ne forment point un plafond horizontal. 3i6 L’ARCHITECTURE DE VITRÜYE, RE MARQUE S. Par les mois albarium opus , on entend le stuc et toute espèce d’enduit de couleur blanche , qu’on étend sur les murs pour les crépir en le polissant. Tectorium opus sont des termes plus généraux , sous lesquels on comprend toute espèce d’enduits. Nous avons déjà observé , dans nos remarques sur le 2, me chapitre du Y. ma livre , que albarium et album opus y ne pouvoient signifier le blanchissage qui se fait avec la brosse imbibée d’eau de chaux , comme Philander l’a cru ; mais qu’il signifioit le stuc car premièrement dans le blanchissage qui se fait avec l’eau de chaux , il ne peut survenir de ces espèces de pustules dont parle Vitruve , lorsqu’il dit cum fuerit inducta habens latentes calculos 3 pustulas amittit. Secondement , dans le 2. me chapitre du V. me livre , il dit qu’on droit des corniches avec ce qu’il y nomme opéré albario } ce que nous avons observé alors. Finalement, on remarque qu’en parlant des voûtes, des étuves, dans le io. me chapitre du V. me livre , il dit primum testa cum calce trullissetur , deinde opéré albario , sive tectorio poliatur ce qui fait clairement* voir que cet opéré albario étoit une matière qui avoit quelque consistance , c’est-à-dire que c’étoit un enduit propre à couvrir la première^couche qui étoit faite avec des briques concassées, dont celui-ci devoit remplir toutes les fentes et cavités. 11 seroit difficile de connoître en quoi cet enduit différoit de celui nommé marmoratum. Il se peut que ces mots étoient synonymes et qu’ils signifioient tous deux du stuc à moins que marmoratum ne signifiât proprement le stuc qui se faisoit avec la poudre de marbre ; et albarium opus y celui qui se faisoit avec le plâtre. Usus gypsi in albariis , dit Plin. , Liv. XXXVI, Chap. 5 g. ÉS,1 s creva i, o iS, 13 L’outil dont les anciens se servoient pour préparer le mortier , et que Vitruve nomme ascia , n’est autre chose que le hoyau , dont nous nous servons encore aujourd’hui, pour le même usage; comme l’a très-bien démontré M. le chanoine Mozzocchi dans son traité de dedicatione sub as- cia , imprimé à Naples en 1739 , particulièrement dans la note î 52 , à la page lo 3 et suiv., où il explique, avec une clarté et une érudition admirable, les différens enduits dont les anciens se servoient. j'i rete I te Les anciens faisoient les couvertures ou plafonds de leurs chambres de deux manières les unes étoient voûtées, et se nommoient cameræ et concamerationes. Les autres avoient des plafonds horizontaux , faits en bois , et se nommoient lacunaria et contignationes. Comme il n’y avoit que les plafonds voûtés qui étoient couverts d’enduit, et que ceux faits en bois ne l’étoient pas , voilà pourquoi Vitruve dit à la fin de ce chapitre, qu’on préparera les inslrumens nécessaires pour appliquer le stuc sur les voûtes des chambres , dont les planchers ne formeront pas des plafonds horizontaux H W LIVRE VII, C h a p, ni. 3i 7 CHAPITRE III. Des Enduits. C^uand on veut former une voûte au-dessus d’une chambre , voici comme on doit la faire ôn place parallèlement des soliveaux . à la distance de deux pieds les uns des autres ; les meilleurs sont ceux faits de bois de cyprès , parce que le sapin se corrompt trop vite. On dispose ces soliveaux en forme de cintre , au moyen des liens qu’on fait tenir en les attachant avec des doux de fer , qu’on enfonce fortement dans le plancher , ou dans le toit. On doit faire aussi les liens d’un bois qui ne soit pas sujet à se gâter par le temps , la vermoulure, et l'humidité. Il faut employer le buis, le genévrier , l’olivier , l’yeuse , le cyprès, et autres bois semblables , hormis le chêne commun, qui est trop sujet à se tordre , ce qui occasionne des crevasses dans tous les ouvrages où l’on s’en sert. Après avoir arrêté les soliveaux , on y attache , avec des cordes faites de joncs d’Espagne , des cannes Grecques , battues et écachées , afin qu’on puisse aisément les plier - selon la courbure de la voûté. On étendra , par - dessus la voûte , une couche de chaux mêlée avec du sable, pour retenir l’eau qui pourroit tomber des planchers ou des toits. Quand on n’a pas assez de cannes grecques , on prend de petits joncs de marais qu’on lie ensemble avec des cordes faites de mêmes joncs pour en faire des fascines d une longueur convenable et de la grosseur la plus égale qu’on pourra , en observant de laisser au moins la distance de deux pieds entre chaque lien. On attache ces fascines, comnje on vient de le dire , avec des cordes faites de joncs d’Espagne, en les nouant sur dçs chevilles de bois fichées dans les soliveaux. Tout le reste se fait comme on la dit plus haut. Les voûtes étant ainsi préparées , on commence à les crépir par dessous, avec le premier enduit , composé de chaux et de gravier ; on l égalise ensuite avec du mortier fait de chaux et de sable; et on les polit*enfin avec une composition de chaux et de craie, ou de marbre. Les voûtes étant polies , on fera , à leur naissance , des corniches aussi légères qu’il sera possible ; le poids de celles qui sont massives 3i8 L’ARCHITECTURE DE Y I T R U V E. occasionne trop souvent leur chûte. Il ne faut pas mêler de plâtre dans leur composition ; il ne doit y avoir que du marbre réduit en poudre , crainte que l’ouvrage ne se sèche inégalement car le plâtre se sèche et s’endurcit plus vite que le marbre. Nous ne devons pas imiter non plus , dans nos plafonds , les corniches saillantes des anciens ; leur poids les rend trop dangereuses. Nous avons deux sortes de corniches ; les unes unies , et les autres taillées de culpture. Dans les places où l’on fait du feu , et où l’on allume beaucoup de lumières , on doit les faire unies , pour qu’on puisse essuyer aisément la suie qui s’y attache. Mais dans les apparlemens d’été et dans les exèdres i , où rien ne produit de la fumée ou de la suie , on les peut faire taillées. La plus grande beauté de ces sortes d’ouvrages consiste sur-tout dans leur extrême blancheur. Il faut donc éviter que la moindre fumée , même celle des appartenons voisins , ne viennent les souiller. Après avoir achevé ces corniches , il faudra jeter , sur les murailles , un enduit composé de chaux et de gravier , qu’on fera le plus rude qu’il sera possible ; et avant que cet enduit ne soit tout à fait sec , on aura soin d ébaucher les moulures avec le mortier de chaux et de sable , en traçant celles qui traversent avec la règle et le niveau; celles qui montent avec l’aplomb , et les angles avec l'équerre , alin qu’elles se répondent exactement. Les encadremens faits de cette manière , embellissent beaucoup les peintures qui sont sur l’enduit. A mesure que l’enduit séchera , on étendra une seconde et une troisième couche ; plus ces couches seront épaisses, plus l’enduit sera solide et subsistera long-temps. Lorsqu’on aura appliqué trois couches de mortier sur le premier enduit, on étendra sur celles-ci , celles qui sont faites avec la poudre de marbre ; ce stuc doit être tellement corroyé et pétri , qu’il ne s’attache pas à la truelle ; il faut que son fer s’en retire bien net. On mettra sur cette première couche de stuc, composée de poudre de marbre , à gros grains , avant qu elle soit sèche , une seconde couche dont le grain sera plus fin. Après avoir rendu celle-ci bien unie , on étendra la troisième composée d’une poudre de marbre très-fine. Les murs étant ainsi couverts de trois couches de mortier de sable , et d’autant de celles de sluç , ils ne seront sujets ni à se fendre ni à se gâter d’aucune manière. Si ces couches sont bien battues et repoussées , et ensuite bien polies , la blancheur et la dureté du marbre rendront les couleurs qu’on couchera dessus , et qui s’imbiberont dedans , on ne i Nous avons vu que c’étoit des salles où l’on se réunissoit pour y faire la conversation. LIVRE VII, C h A r. in. 3 i9 peut pas plus vives et très-éclatantes. Les couleurs qu’on applique à fresque sur le stuc., ne se ternissent pas, et conservent toujours leur éclat. La chaux ayant perdu toute son humidité dans la fournaise , devient aride et poreuse ; ce qui fait qu elle s’imprégne. Aussitôt des couleurs et autres matières qu elle touche , s’amalgament avec elles ; et de ces matières premières, qui se communiquent leurs diverses qualités , il se forme un corps solide , qui, en séchant, conserve toutes celles des principes qui le composent. Tellement que les couleurs qu’on applique sur un enduit bien préparé , ne se ternissent jamais en vieillissant, et ne s’effacent même pas , quand on les lave, à moins qu on ne les eût appliquées sur le stuc quand il étoit déjà trop sec et l’enduit fait sur le mur, d’après les règles que nous venons de prescrire, sera solide , brillant et de longue durée. Au lieu que si l’on ne mettoit qu’une couche de mortier de sable et une de marbre , ce mince enduit se romproit aisément, et ne pourroit jamais, à cause de son peu d épaisseur , recevoir un poli bien brillant. De même un miroir fait d’une lame d’argent trop déliée, reluit foiblement, et rend les images d’une manière incertaine au contraire s’il est fort solide , il sera très-clair et représentera les images distinctement, parce qu’il aura pu recevoir le plus beau poli. Ainsi les enduits qui sont minces , sont sujets à se gerser , et perdent incontinent tout leur lustre tandis que ceux, que plusieurs couches de mortier , de sable et de marbre, ont rendus assez épais pour recevoir un beau poli , à force d’être bien repoussés et battus , demeurent si luisans , qu’on peut toujours s’y voir comme dans un miroir. Les ouvrages des stucaleurs grecs sont extrêmement durs , parce qu’outre les moyens que nous venons d’indiquer , ils font encore battre avec des bâtons , et corroyer par un nombre d hommes suffisant, le sable et la chaux mêlés ensemble, dans un grand mortier , et né l’emploient qu’après l’avoir bien préparé. Il y en a aussi plusieurs parmi eux qui scient sur de vieux murs, des morceaux d’enduit, et s’en servent au lieu de brique , pour former les reliefs des moulures autour des encadremens. t Les enduits qu’on fait sur des cloisons de bois exigent d’autres précautions les pièces montantes , et celles qui traversent, font nécessairement fendre l’enduit , parce qu’étant humectées, lorsqu’on les couvre de terre grasse , elles se retirent en séchant. Voici comme il faut faire pour éviter cet inconvénient quand la cloison sera couverte de terre grasse, on attachera sur toute son étendue , avec des clous à tête, des cannes à côté les unes des autres, sur lesquelles on mettra de la terre grasse, 320 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. et ensuite un autre rang de cannes qui seront droites , si l’on a mis les premières en travers ; on enduira, comme on l’a dit 'tout à l’heure , d’abord avec le mortier de sable , et après, avec le stuc. Ce double rang de cannes posées en sens contraire les unes des autres , et arretées par tout, empêchera l’ouvrage de se rompre et de se fendre. REMARQUES. Il faut remarquer avant tout, que le revêtement des murs de grands édifices publics , chez, les anciens, se faisoit avec le même soin et la même propreté , soit qu’on voulût les enduire ou non j’en ai vu plusieurs dont l’enduit étoit tombé , et la muraille paroissoit aussi propre que si elle avoit été faite pour rester à nud. L’enduit des murailles se faisoit avec beaucoup plus de soin qu’on ne le fait aujourd’hui car on en mettoit jusqu’à sept couches différentes, comme nous venons de le voir. Appliquer le premier enduit s’appeloit trullisare le mortier qu’on employoit pour cela , étoit composé de chaux mêlée de cailloux, ou de briques concassées. Appliquer le second s’appeloit ctrenct dirigere. Celui-là se faisoit avec de la chaux- mêlée de sable. Excepté pour les endroits humides ; alors on y mêloit de la tuile pilée , et il ressembloit au premier. Appliquer le troisième , destiné à recevoir un plus beau lustre que les autres , s’appeloit creta aut marmora polire y il étoit composé de chaux , ou de chaux mêlée avec du sable , ou de la poudre de marbre , ou de plâtre ou d’autres matériaux semblables. C’est ce que nous nommons le stuc. Les anciens employoient souvent celui composé avec le plâtre , comme nous faisons encore aujourd’hui , c’est-à-dire avec le gypse ou sulfate de chaux , qui est une substance minérale composée de chaux et d’acide sulfurique et appelée pierre à plâtre. Cette substance se trouve abondamment dans plusieurs endroits de l’Italie et de la France la montagne de Montmartre près de Paris en est toute formée. Les stucateurs , pour s’en servir , lui donnent une demi-cuisson j ils la pulvérisent ensuite, et en forment un mortier , en l’imprégnant d’eau. Il est étonnant, comme il s’endurcit vite , et il n’est plus possible, après cela , de l’amollir en le mouillant. Comme ce stuc sèche bien plus vite que celui composé de poudre de marbre , Yitruve recommande de ne les pas mêler ensemble , parce qu’alors il s’y formeroit certainement des crevasses. On mettoit trois couches de ce stuc composé de marbre pulvérisé , sur les trois autres faites avec le mortier de sable ou de gravier. La première de Ces couches avoit le grain beaucoup plus gros que celui de la seconde, et le grain de la troisième, qui étoit destinée à recevoir le plus beau poli , n’étoit qu’une poudre extrêmement fine, comme Yitruve le dit dans ce chapitre et le confirme dans le 6.* de ce livre, où il s’exprime en ces termes eæ autern excretæ cissulœ tusoe tribus generibus seponnntur et quæ pars grandior fuerit quemadmodum suprà scriptum est , arenato primùm cum calce inducitur, deinde sequens , ac tertio quæ subtilior fuerit , etc. C’est-à-dire , il y a trois sortes de poudre de marbre. La plus grosse, comme on l’a dit, sert à faire la première couche que l’on met sur le mortier de chaux et de sable j la moyenne se met ensuite , et la plus déliée se met la dernière , etc. » C’est la seule qu’on emploie aujourd’hui ; les stucateurs l’appliquent immédiatement sur l’enduit composé de sable et de chaux. Cette manière est bien plus expéditive que celle des anciens ; mais notre stuc n’a guère la solidité du leur. Chacune des sept couches qu’ils met- toient, LIVRE VII, C h a p. ni. 3 2I toiellt, étoient bien battues et bien repoussées, et le tout étoit enfin couvert de marbre pilé et passé au tamis. Un pareil revêtement n’avoit cependant pas au-delà ,d’un doigt d’épaisseur. Les murs enduits de celte sorte acquéroient une dureté , une blancheur et un poli qui les rendoient luisans comme des miroirs ; j’ai vu des dessus de table faits avec des morceaux d’enduit qu’on avoit sciés de ces murs. Il n’est pas même possible d’abattre le revêtement des murs et des piliers de ce qu’on appelle le sette sale des bains de Titus à Rome , et de la piscina mirabile proche de Bayes -, le revêtement en étant aussi dur que le fer, et aussi poli qu’un miroir. Aux bâtimens communs , et aux tombeaux, dont le côté intérieur du mur n’est pas fait avec la même propreté , le revêtement a deux doigts d’épaisseur. Vitruve , en enseignant comme on doit enduire l’intérieur des édifices , suit le même ordre qu’il a suivi dès le commencement de son ouvrage j c’est - à - dire, celui que suit l’ouvrier qui construit l’édifice. Il a commencé par enseigner comme on devoit faire les fondemeus, ensuite comme on devoit poser les stylobates , les bases, les colonnes , leurs chapiteaux , les enlablemens , etc. , parce que lorsqu’on élève un bâtiment, c’est par le bas que l’on commence. Mais pour enduire l’intérieur d’une salle, c’est au contraire par le haut qu’on commence. Aussi Vitruve enseigne-t-il d’abord comme on doit enduire les plafonds. On a déjà parlé des plafonds horisontaux dont la plupart avoit des comparli- mens ou panneaux enfoncés, comme est aujourd’hui le plafond de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, qui est doré comme l’étoient beaucoup de plafonds des anciens , ce que j’ai observé entr’autres dans les ruines du palais des empereurs à Rome, où l’or s’est conservé malgré l’humidité du lieu. Dans ce chapitre , Vitruve enseigne comment on doit former la voûte d’un plafond. On place , dit - il, parallèlement , directi des soliveaux à la distance de deux pieds les uns des autres. Le mot directi qu’il emploie ici , en parlant d’une voûte , ne peut signifier droit ou direct il signifie certainement parallèle , comme le texte même nous le fait comprendre clairement peu après en ces termes. Hique asseres cum ad formant circinationis fuerint distributi , c’est-à-dire qu’on doit distribuer ces mêmes soliveaux , en forme de cintre. Galiani trouve que Perrault en entendant par ad formam circinationis seulement une voûte en demi-cercle, a donné à ces mots une interprétation trop resserrée. 11 croit que , par ces expressions , l’auteur entend en général toute spèce de cintre. D’après cela , on voit qu’on disposoit ces soliveaux en forme de cintre , en les attachant avec des liens catenas qu’onj faisoit tenir avec des clous de fer, enfoncés fortement dans le plancher ou dans le toit. Vitruve nomme catenas , ce que nos charpentiers appellent des liens. Ce sont des morceaux de bois qui ont un tenon à chaque bout, et qui, étant chevillés, entretiennent la charpente en tirant ; de même que les esselières et les jambettes entretiennent en résistant ; ils servent ici à attacher les soliveaux aux solives du plancher, ou aux chevrons du toit. Quoique l’auteur ne le dise pas expressément, il est aisé de comprendre que ces liens doivent être de différentes grandeurs, conformes à la distance qui se trouve entre la courbe du cintre et le plancher ou le toit. Vitruve continue, en disant les soliveaux étant arrêtés, on y attachera avec des cordes faites de joncs d’Espagne , des cannes grecques, battues et écachées , afin qu’on puisse aisément les plier selon la courbure de la voûte. Si l’on n’a pas assez, ajoute-t-il plus bas , des cannes grecques, on 322 L’ARCHITECTURE DE VITRTJVE. prendra des petits joncs de marais qu’on liera ensemble pour en faire des fascines d’une longueur convenable , et d’une grosseur la plus égale qu’il se pourra , etc. Le contour ou cintre de la voûte se faisoit donc avec des cannes qu’on avoit soin d’écacher , pour les plier à volonté , ou avec des fascines faites de joncs de marais , qu’on lioil sur les soliveaux avec des cordes faites avec le sparte ou joncs d^Espagne. Par canne grecque , l’auteur entend, certainement la grosse canne qui croît abondamment en Grèce et en Italie , sur tout aux environs de Rome. Cette canne est aussi connue en France ; mais elle ne croît ni aussi haute ni aussi grosse dans les provinces du nord. Le jonc de marais qu’il veut qu’on emploie en défaut de cannes, est connu de tout le monde, puisqu’il croît dans toute l’Europe ; il ressemble à la canne , mais est beaucoup plus mince et plus petit , puisque la canne a près d’un pouce de diamètre et souvent 25 à 3o pieds de hauteur. Perrault et Balde , en parlant de ces fascines de joncs , voudroient qu’au lieu de mataxœ tomicœ , on lût maxatœ tomicœ , et malgré que tous les manuscrits fussent d’accord sur ce passage, Phi- ïander l’avoit déjà corrigé, et vouloit qu’on lût mataxœ et tomicœ. Galiani , que nous avons suivi , a trouvé la vraie interprétation du texte sans y rien changer , en prenant le mot tomicœ au génitif, régi par alligationibus ainsi par mectaxœ il entend les fascines faites de joncs , et par tomicœ , leurs liens faits du même jonc. Le sens est donc que ces fascines mataxœ , se lioient avec du jonc qu’on avoit soin de tordre, temperentur alligationibus tomicœ 9 etc. , en observant qu’on dit tomica , œ , et tomice , es. En Italie on cloue encore des cannes sur les plafonds et les cloisons pour appliquer l’enduit par dessus. Le sparte, ou jonc des montagnes d’Espagne, dont Yitruve veut qu’on fasse les cordes qui doivent lier les cannes ou fascines aux solives , est très-connu. La Grèce , Rome , Carthage , l’Europe et l’Afrique, en ont fait un usage constant et journalier. Les anciens fabriquoient avec ce végétal, non seulement des cordages , mais des nattes , des panniers , des chaussures , etc. Les marins nomment sparton un cordage fait avec ce jonc. M. r de Gavoty, de Berthe , qui a résidé long-temps en Espagne , avoit établi , il y a quelques années , à Paris, une manufacture de sparte , dans laquelle on exécutoit presque tous les ouvrages qui se font dans le pays même où celte plante croît. Il se fait à Paris une grande consommation de tapis de sparterie , auxquels on donne différentes couleurs; ils sont communément verts, et imitent le gazon'; c’est sans doute ce qui a fait imaginer d’en envelopper les pots de Heurs qu’on place dans les apparlemens sur les consoles et les cheminées. La décoration des chambres que j’ai vues dans les ruines des bains de Titus à Rome , et de Pompeia près de Naples, ressemble parfaitement à ce que Vitruve nous dit dans ce chapitre. Sous la voûte des chambres règne une petite corniche en stuc * qui s’avance en saillie de deux ou trois doigts ; elle est unie , ou bien ornée de feuillages. Cette corniche coupe la partie supérieure de / / LIVRE VII, C h a p. m. 3s3 la porta, laquelle , suivant les règles de l'architecture , doit avoir,trois cinquièmes de la hauteur de la chambre j et de cette manière la chambre se trouve coupée en deux parties. La partie supérieure qui sert comme de frise à la partie d’en bas, est à celle-ci comme deux sont à trois. L’espace aü-dessus et au-dessous de la corniche , est partagé en compariimens ou panneaux , lesquels sont plus hauts que larges , et ont ordinairement la largeur de la porte , laquelle forme elle-même un de ces compartimens ; il y en a d’autres plus petits , ronds ou carrés dans lesquels sont peints des figures , des paysages. Dans un de ces compartimens j long de deux pieds environ et haut de trois pouces , étoient peints très en petit, dès gladiateurs sur un fond noir. Le dessin des figures étoit de la plus grande beauté. Au-dessus de la corniche se trouve la même division ; mais de manière cependant que les compartimens en sont plus larges que longs ; on y avoit aussi peint des paysages , des marines, ou sujets semblables. On voit une muraille divisée et décorée de cette manière dans la galerie des tableaux tirés d’Her- culanum , qui sont à Porlici. C’est un morceau d’environ dix-huit pieds de long sur treize de large. Celte muraille a , comme nous l’avons dit , des panneaux au-dessous et au-dessus de la corniche , laquelle est enrichie de feuillage. Des trois compartimens d’en bas , celui du milieu est plus large que celui des deux côtés. Le premier est encadré en jaune, et les autres en rouge. Entre ces panneaux , on voit des paysages sur des fonds rouges ou jaunes. Àu-clessus de la corniche , il y a quatre autres panneaux , dont deux tombent sur le panneau du milieu d’en bas; sur l’un est représenté un amas de médailles sur une table , avec du papier , des tablettes , une écriloire et une plume ; sur l’autre on voit des poissons et d’autres comestibles. Les anciens avoient deux manières de peindre sur les murs, l’une à fresque , udo tectorio , l’autre à sec , in cirido. La première s’appelle à fresque , parce que l’on peint sur l’enduit fraîchement appliqué , et lorsqu’il, conserve encore toute son humidité. Les couleurs sont uniquement détrempées avec l’eau ou avec de l’eau de chaux ; celle-ci sert pour le blanc ; et, comme le dit très-bien l’auteur, celte peinture est la plus solide de toutes , et celle qui dure le plus long-temps , parce que les couleurs pénétrant dans l’enduit , s’amalgament tellement avec lui qu’elles ne font plus qu’un même corps. Au contraire les peintures à sec , c’est-à-dire celles qui se font en appliquant les couleurs sur le mur lorsqu’il est entièrement séché , ne subsistent pas, long-temps , parce que ces couleurs ne pénètrent pas dans l’enduit, et restent seulement attachées à sa superficie , au moyen de la colle dans laquelle elles sont détrempées; la moindre humidité les ternit , ou les fait tomber. D’après ce que dit le texte, les stucateurs Grecs faisoient des enduits beaucoup plus durs et plus solides que ceux des stucateurs Romains , parce qu’ils avoient soin de les fouler et corroyer davantage. Il paroît aussi qu’au lieu de brique, pour former le relief des moulures, ils employoient des morceaux d’enduits qu’ils enlevoient de dessus des vieux murs , en les sciant du moins c’est ainsi que Galiani a interprété ce passage de Yitruve. Perrault , au contraire , a cru qu’il a voulu donner une preuve de la dureté des enduits faits par les Grecs, dont il venoit de parler ; c’est pourquoi il a traduit ainsi Von se sert , dit-il , des morceaux d’enduits qu’on arrache des vieilles mu - railles , peur en faire des tables , etc. » Barbaro, d’un autre côté, croit qu’on arrachoit ce* L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. 34 morceaux d’enduits pour en former des panneaux sur lesquels on peignoit , après les avoir incrustés dans les nouveaux murs. L’erreur de ces deux interprètes vient de ce que l’un s’est persuadé que le mot abacus signifioit une table , sans doute à manger ou à écrire ; et l’autre , une table sur laquelle on pouvoit peindre. Galiani réfute ces deux opinions , et tient que le vrai sens de ce passage est, que les anciens Grecs tailloient hors des vieilles murailles des morceaux d’enduits en forme de brique, c’est ainsi qu’il interprète ici le mot abacus , pour les employer dans les nouveaux murs, et en former le relief expressiones des moulures des encadremens speculorum . Nous voyons encore dans ce chapitre , comment les anciens appliquoient l’enduit sur les murs d cloisons formés par des entrelacs, dont il a parlé dans le 8. e Chap. du II. 0 Liv. ; voyez la fig. de la IV. e planche et l’explication qui est à côté. On cloue un double rang de cannes, l’un perpendiculaire , l’autre horisontal sur toute l’étendue de la cloison, et l’on applique l’enduit par-dessus. C’est encore ainsi qu’on le pratique en Italie pour les cloisons. Vilruve dit qu’on doit clouer les cannes avec des clous qu’il nomme muscarii , c’est-à-dire clous à mouches. Il est assez singulier que les clous qu’on emploie encore aujourd’hui en Italie s’appellent muscarclini qui signifie la même chose en italien. On les a probablement nommés ainsi, à cause de la ressemblance que les têtes de ces clous ont avec le corps de la mouche. CHAPITRE IV. Des Enduits qui se font dans les lieux humides . J’ai enseigné la manière de faire les enduits dans les lieux qui sont secs ; je vais indiquer présentement les moyens qu’on doit employer pour les faire dans ceux qui sont humides , afin qu’ils durent long-temps sans se gâter. D’abord on doit enduire le bas des appartenons qui sont au rez-de-chaussée , à la hauteur de trois pieds , avec un mortier composé de chaux et de tuiles concassées, pour éviter que cette partie de mur ne souffre de l’humidité mais si l’humidité y étoit continuelle , il faudroit construire en dedans , à une distance suffisante du premier , un autre mur plus étroit, laissant, entre les deux murs, un canal qui soit plus bas que le pavé de l’appartement, et qui ait des ouvertures libres dans un lieu découvert. Le petit mur étant élevé à hauteur doit avoir aussi des soupiraux car si 1 humidité ne s’écouloit point par les conduits d'en bas , et ne se pouvoit évaporer par les soupiraux d’en haut , cette construction d’un nouveau mur ne l’empêcheroit pas de nuire au bâtiment que l’on construit. Cela étant achevé , on étendra sur le petit mur* l’enduit fait de chaux et de tuiles concassées ; ensuite on le dressera avec le mortier de sable , et on polira avec le stuc. L’emplacement ne permet-il pas d’élever ce petit u 0 f; j;b !r> jtfc b Ï0 u mi iicttr; M If J] îifflt muséum de Portici, on distingue parmi les tableaux de ce genre , celui qui représente l’exploit de Thésée en Crète , vainqueur du Minautaure qu’il a terrassé à ses pieds ; autour de lui sont représentés quatre jeunes athéniens ou athéniennes qui semblent lui rendre grâce de leur délivrance. Vilruve trouve souverainement ridicule qu’on abandonne des genres de peintures aussi sages et aussi raisonnables qui nous rendent la vérité telle qu’elle est , pour représenter des fantaisies qui n’existent pas , qui n’ont jamais existé et qui n’existeront jamais. C’est ce genre que nous avons nommé le grotesque , ou dessin arabesque. ' Malgré tout ce qu’il dit , le goût pour ces sortes de peintures existoit avant lui 3 elles plaisoient de son temps , et il n’a pu persuader à la postérité de les rejeter ? en montrant combien elles sont ridicules. Comme je l’ai déjà dit, beaucoup de peintures antiques , qu’on a découvertes , étoient de ce genre. Raphaël a fait revivre ce goût qui subsiste encore aujourd’hui, sur-tout en Italie. La composition de ces dessins , fruits d’une imagination vive , doit naturellement plaire aux Italiens. CHAPITRE VI. Comment on doit préparer le marbre pour faire le stuc . rw\ A ous les pays ne produisent pas le même marbre. Dans quelques endroits on le trouve par bloc , remplis de petits grains luisans et transparens comme du sel ; ce marbre pilé et broyé est celui qui convient le plus pour faire les enduits et les corniches. Dans bien des pays cependant on ne peut s’en procurer de semblable; on se sert alors des éclats qui tombent de tous les marbres, lorsqu’on les travaille ; on les pile dans un mortier de fer; ensuite on les sasse pour en faire trois sortes de poudre. Celle dont le grain sera le plus gros , après l’avoir mêlée avec de la chaux , servira, comme on l’a déjà dit, à faire la première couche de l’enduit ; celle d’un grain plus fin sera pour la seconde couche ; et la plus déliée sera pour la troisième* On prépare ainsi toutes ces couches , et l’on polit bien l’enduit pour recevoir les couleurs , afin qu elles aient beaucoup d’éclat voici les différentes espèces qu’on emploie , et la manière de les préparer. \ïrp jfit ^ ;iji f' H**P jljïW» ji silices avec ! prem Ûtnce/' I Jules à * pp° siseprtî ire,loL h» il h poit[ il prépi a I LIVRE VII, C h a p. vu. 333 REMARQUES. Outre le plâtre , le sable et la chaux , les anciens faisaient aussi entrer la poudre de marbre dans la composition des enduits , comme on le fait encore aujourd’hui en Italie. L’auteur remarque , à la fin du chapitre précédent , en parlant des matériaux qui entrent dans cette composition , qu’il a déjà parlé de la chaux , par - conséquent , que , dans le chapitre suivant , il traitera uniquement de la préparation du marbre. Il a effectivement traité de la chaux dans le' 5. me chapitre du II. iaet livre ; livre qu’il a consacré en entier à expliquer les matériaux qu’on emploie pour la construction des édifices. Dans le présent chapitre, il entend parler uniquement de la poudre de marbre qu’on mêle avec la chaux , au lieu de sable , pour faire les enduits car il ne parle en aucun endroit du marbre , ni de la manière de le tailler , à moins qu’il ne l’ait compris sous la dénomination générale de pierre de taille. La première espèce de marbre dont il parle dans ce chapitre , et celle à laquelle il donne la préférence, pour faire les enduits, c’est le marbre blanc à gros grains, qui est mêlé, je particules brillantes , comme des grains de sel , et qu’on appelle pour cela en Italie marmo sçtlino. Il y a grande apparence que c’est celui que les anciens appeloient le marbre pentélicien. ,Quand on ne peut se procurer de ce marbre , il dit qu’on doit se servir des éclats qui tombent des pièces de marbre , lorsqu’on les taille , et les réduire en poudre dans un mortier de fer, pour les employer. Comme il ne donne la préférence à aucune des autres espèces de marbre , il paroît que lorsqu’on ne pouvoit se procurer la première espèce , dont il a parlé , qui est toujours préférable , les autre» étant préparées de la manière qu’il a indiquée , elles sont toutes également bonnes. CHAPITRE VIL - Des Couleurs naturelles. v Plusieurs couleurs sont des productions naturelles qu’on trouve dans certains endroits d’où on les tire de la terre beaucoup d’autres sont Iouvrage de l’art , compose'es de différentes choses qu’on mêle et qu’on amalgame ensemble , pour qu elles produisent le même effet que les couleurs naturelles, lorsqu’on les emploie. Nous allons premièrement faire connoître les couleurs naturelles qui se tirent de la terre. Parmi ces couleurs nous avons d’abord celle que les Grecs appellent ocre i. O» i Du mot cc%pôq qui signifie pâle , parce que cette couleur est le jaune pâle. A 334 L ’ A II C H I TE CTü II E DE V I T R U Y E. îa trouve dans beaucoup de pays , particulièrement en Italie ; mais la meilleure se tiroit de l’Attique , où il ne s’en trouve plus aujourdhui ; parce que quand on employoit beaucoup de monde pour extraire les mines d’argent qui sont à Athènes, si dans les fouilles qu’on faisoit en creusant des galeries souterraines, pour chercher ce minéral, on venoit à rencontrer quelques veines de cette terre jaune, on la suivoit et on l’extrayoit jusqu’à la frn, comme si c’eut été de l’argent ; aussi le sil i étoiî alors en abondance , et l’on en faisoit les plus beaux ouvrages. Les terres rouges se tirent en abondance dans beaucoup d’endroits ; mais celle d'une excellente qualité est très-rare; on en trouve cependant dans le royaume de Pont, à Synope , en Egypte, en Espagne, dans les isles Baléares, comme aussi dans l’isle de Lemnos, dont le Sénat et le peuple Romain ont laissé les revenus aux Athéniens. La couleur parætonienne 2 tire son nom du lieu où on la trouve; la Meline 3 tire de même le sien de l’isle de Mélos l une des cyclades où on trouve ce minéral en abondance. La terre verte se trouve également dans beaucoup d’endroits, mais la meilleure vient de Smyrne. Les Grecs l’appellent Theodation , à cause que Théo do- tus étoit propriétaire du fond où l’on en trouva la première fois. L’orpiment que les Grecs appellent Arsenicon , se tire du royaume de Pont. On trouve des mines de Minium dans beaucoup d’endroits; mais la meilleure est aussi dans le royaume de Pont, près du fleuve Hypanis. Il y en a également, dis-je , dans quelques autres endroits, comme entre les confins de la Magnésie , et le pays d’Ephèse, d’où on la tire toute préparée, tellement qu’on n’a pas besoin de la broyer ni de la passer , puisqu’elle est aussi fine que si on l’avoit broyée pendant long-temps. RE M ARQUE S. L’auteur , comme nous venons de voir, distingue deux sortes de couleurs , savoir les couleurs naturelles , et les couleurs artificielles ; la seule différence qui existe entre ces deux espèces de couleurs , c’est que dans les premières , le mélange des oxides minéraux avec les parties terreuses s’est fait naturellement ; au lieu que dans les autres , c’est l’art qui a imité ce mélange ; mais elles ne 6ont jamais aussi bien amalgamées ensemble que dans les premières. Dans ce chapitre et dans les deux suivans , Yilruve traite des couleurs naturelles , ou pour mieux dire, minérales. Dans le dixième, et ceux qui suivent, il traitera des couleurs artificielles. Ceux qui ï Sil, c’est, ainsi qu’on appeloit l’ocre en latin. Voyez 3 Il paroit, suivant le même auteur, que c’étoit aussi les remarques à la fin de ce chapitre. une espèce de blanc. Voyez nos remarques à la fin du a D’après ce que dit Pline, il paroit que cette cou- chapitre, leur étoit blanche, • jpreniK I dans ; >DÎ 1 L chose U ijans 1 y est-il dit ; or , on sait que le minium artificiel se fait avec du blanc de céruse en le brûlant. Dans ma traduction j’ai toujours rendu le mot sandaraca par le mot françois minium , et le mot latin minium par celui de cinabre. • > • • * - l • ' • f Ji J • * Celui de cinabre. Galiani observe que c’est d’après un passage de Pline qu’il a avancé que le cinnabaris des anciens étoit ce que nous nommons le sang de dragon chose que Dupinet, ancien traducteur de Pline , avoit déjà remarquée long - temps avant lui. Sic enim appeîlant illi indici saniem draconis elisi eîephantorum morientium pondéré permisto utriusque sanguine. C’est en parlant du cinnabaris que le naturaliste latin s’exprime ainsi. Yoici comme je traduis ct passage Il y en a qui appellent inde , le sang que rendent les dragons qui sont écrasés par le poids des éléphans qui tombent morts , après qu’ils en ont sucé le sang qui se trouve mêlé avee le leur. Dans le fait, ajoute Pline , il n’y a pas de couleur qui approche plus, par sa vivacité , de la couleur du sang que le cinnabaris 3 appelé présentement sang de dragon 1. » Ce que dit ici Pline des dragons et des éléphans , est une fable probablement accréditée de son temps. On sait que le sang de dragon est une résine qui découle d’une plante de la famille des aloës. Mais en faisant abstraction de celte fable , nous voyons clairement, par ce que dit Pline , que le cinnabaris des anciens n’éloit pas notre cinabre , et que c’éloit vraiment la résine appelée le sang de dragon. > Le cinabre , dont parle Yitru’ve dans ce chapitre , est le cinabre naturel , ou la mine de mercure , qui n’est autre chose qu’un mercure naturellement minéralisé avec le souffre 3 il nous dit qu’on a trouvé la première de ces mines auprès d’Ephèse , et nous apprend quels procédés on employoit de son temps pour en tirer le mercure. Nous voyons qu’on avoit déjà remarqué alors, combien ce minéral se volalilisoit aisément par la chaleur , puisqu’on employoit ce moyen pour l’extraire hors des matières hétérogènes avec lesquelles il est mêlé , quand on le trouve dans la terre. On connois» soit aussi la propriété qu’il a de s’attacher fortement, et même de pénétrer plusieurs métaux, puisque Vitruve observe que , sans lui , on ne peut dorer ni sur l’argent , ni sur le cuivre. Plusieurs statues anciennes de bronze , furent dorées , comme on le voit encore par l’or qui s’est conservé sur la statue équestre de Marc-Aurèle qui est au capitole sur les quatre chevaux de Yenisc sur l’Hercule du capitole et les débris des quatre chevaux et du char , placés au fronton du théâtre d’Herculanum. 1 Pline. Liv. XXXIII , Chap. 38. f omü B Wtt ,.d $ LIVRE VII, C h A. p. ix. 339 C’est sur la propriété que le mercure a , de s’attacher aux métaux , qu’est fondé l’art de dorer d’or moulu , qui ne consiste qu’à amalgamer l’or avec le mercure , à appliquer cet amalgame sur de l’argent , ou sur du cuivre jaune , et ensuite à mettre la pièce au feu. Le feu fait évaporer le mercure , et l’or reste étroitement attaché à l’argent. Mais , d’après ce que dit Pline , il paroît que les anciens n’employoient pas tolit-à-fait ce moyen. Us doroient avec des feuilles, après avoir enduit le métal de mercure , ou après l’avoir avivé avec un outil 1. Nous voyons encore , dans ce chapitre , que les anciens avoient déjà remarqué le rapport de la gravité d’un corps , à celle d’un autre , de même volume , ce que les physiciens nomment gravité spécifique, puisque Yilruve observe qu’une pierre du poids de cent livres surnagera au-dessus du mercure, tandis qu’un grain d’or du poids d’un scrupule , s’y enfoncera incontinent et cela, parce que l’or seul se trouve avoir une gravité spécifique supérieure à celle du mercure. Pline observe la même chose 2. CHAPITRE IX. De la préparation du Cinabre. R evenons présentement à la préparation du cinabre. Quand les mottes sont bien séchées , on les pile avec des marteaux de fer et on les broyé ; ensuite par plusieurs lotions et codions , on en retire la couleur. Ces extractions , et sur-tout celle du vif-argent, font perdre au-cinabre une partie de la force qu’il auroit naturellement; ce qui fait que cette couleur est très-délicate et se ternit aisément, à moins qu’on ne l’emploie pour peindre sur les murs des chambres fermées et couvertes car dans les endroits ouverts tels que les péristyles, les exèdres *, et autres semblables , où les rayons lumineux du soleil et de la lune peuvent pénétrer , les parties colorées qui en sont atteintes , perdent leur éclat et se noircissent ; on a plusieurs fois éprouvé cet inconvénient ; entr’autres , le secrétaire Fabrius , qui voulant décorer, avec toute 1 élégance possible, la maison qu’il possédoit sur le mont Aventin, lit peindre , en cinabre , tous les murs des galeries. Au bout de trente jours tout fut gâté la couleur changea en plusieurs endroits , ce qui le contraignit de les faire peindre une seconde fois avec d’autres couleurs. 1 Pline. Lir. XXXIII, Chap. 3a. a Idem. * Nous avons vu dans le 5 . rae Chap. du Liv. YI, que les exèdres étoient des lieux d’assemblées dont le devant étoit ouvert. 43 . L' f ARCHITECTURE DE VITRUVE, 34 o Des personnes plus adroites ont trouvé le moyen de conserver au cinabre sa belle couleur ; voici comment quand le mur est entièrement peint et la couleur parfaitement sèche , on étend par-dessus , avec une brosse , une couche de cire punique fondue dans un peu d huile ensuite , avec un réchaud plein de charbon allumé , qu’on tient fort près de la muraille , on réchauffe ainsi que la cire , afin de liquéfier celle-ci. Après cela , on l’unit par-tout en la polissant avec des linges bien nets , comme quand .on cire des statues de marbre. Les grecs appellent cette opération xaüçiç 1. La couche de cire dont je viens de parler, empêche la lumière du soleil et celle de la lune de ternir et de manger la couleur. La préparation du cinabre se faisoit autrefois à Ephèse ; on a transféré cette fabrique à Rome parce qu’on a trouvé, en Espagne , des veines de ce minéral, qu’on transporte plus aisément en cette ville , où des fermiers ont entrepris de le purifier au profit du public. Ils ont leur attelier entre le temple de Flore et celui de Quirinus. On fait un cinabre artificiel avec de la chaux. Ceux qui voudront éprouver s’il est d’une bonne qualité , doivent prendre une lame de fer , sur laquelle ils mettront du cinabre ; ils la feront chauffer dans le feu jusqu a ce qu elle soit rouge quand ils la verront commencer à changer de couleur , dans le feu , et devenir noire , 011 l’en ôtera ; et si , étant refroidie , elle reprend son ancienne couleur , c’est une preuve que le cinabre est pur si au contraire elle reste noire, cela indique qu’il est altéré. Voilà , autant que je puis me rappeler , tout ce qui concerne le cinabre. La chrysocolle vient de la Macédoine ; les endroits d’où on la lire sont près des mines de cuivre. Les noms du cinabre 2 et de 1 indigo , indiquent les pays qui les produisent. Il E M ARQUES. Le cinabre , qui est une des plus belles couleurs rouges qui existent , a l’inconvénient de se ternir , lorsqu’on ne prend pas certaines précautions ; sur-tout quand on l’emploie au grand air. Ce n’est pas , comme dit -\itruve , parce qu’il a perdu sa force naturelle , par toutes les extractions qu’on a faites en le préparant , mais c’est parce qu’il se décompose ; et c’est le désagrément qu’on éprouve presque toujours avec les couleurs composées , comme est le cinabre. 1 C’est-à-dire brûlure. minium en latin, et voyez nos remarques à la fin du 2 Qu’on se rappelle que le cinabre s’appeloit chapitre. t LIVRE VII, C II a 1. IX. 341 Quoiqu’on en distingue deux? sortes , le naturel et l’artificiel, le premier n’est pas moins composé que l’autre , puisque l’un est minéralisé avec le souffre par la nature , et l’autre l’est par l’art. Les anciens qui peignoient presque tous les murs intérieurs de leurs édifices , et dbnt certaines parties telles que les galeries , les portiques , les vestibules , les exèdres , se trouvoient ouvertes des côtés où les colonnes seules soutenoienl la couverture , avoient éprouvé combien cette couleur étoit sujette à changer dans ces sortes d’endroits, sur-tout lorsqu’elle étoit exposée aux rayons du soleil. ^ On sera peut-être surpris de voir que Yitruve mette les exèdres au nombre des salles dont l’intérieur étoit exposé aux rayons du soleil; tandis que dans le livre VI , chapitre 4, il en parle comme étant des salles couvertes et entourées de murailles. La conséquence qu’on doit tirer de là , c’est que toutes les exèdres ne se ressembloient pas ; que les unes étoient ouvertes , et les autres entourées de murailles ; ou , ce qui est beaucoup plus probable , qu’elles étoient ouvertes seulement d’un côté , qui étoit occupé par plusieurs fenêtres , ou soutenues par des colonnes , comme paroissoit être la partie des thermes de Dioclétien , qu’on nomme encore aujourd’hui les exèdres dans l’un ou l’autre de ces cas , une partie des peintures sur les murailles , étoit exposée aux rayons du soleil, ce qui ternissoit la couleur. Pour obvier à cet inconvénient , Yitruve nous donne la recette du vernis qu’employoient les anciens avec la manière de l’appliquer. Ce vernis , dit-il , étoit composé de cire punique , fondue dans un peu d’huile. La cire punique n’est autre chose que la cire blanche, dont la meilleure venoit probablement de Carthage. Pline , dans le XXXIll.™ Liv. Chap. 4o , rapporte tout ce que dit ici Yitruve à cet égard-; mais il donne plus de détail Il faut faire attention, dit-il, que les rayons » du soleil et de la lune affoiblissent fort le lustre du cinabre. Pour obvier à cela , il faut , dès » que la peinture sera sèche, la vernisser de cire blanche, fondue avec de l’huile , et enduire de » ce vernis , avec un pinceau , le dessus de la peinture. Il faut en outre la chauffer avec du » charbon de noix de galle , jusqu’à faire suer la muraille. Cela fait, il convient encore de la bien » frotter avec une bougie , et l’essuyer après, avec du linge bien net, pour la rendre luisante comme y, du marbre. Postea çanclelis subigatur ac deincle Unteis puris sicut et marmora nitescant . Ces expressions sont plus claires que celles de Yitruve , qui dit postea cum canclela linteisque puris subigat. Il confond par là , l’opération faite avec la bougie , et celle qu’on faisoit avec le linge. Le cinabre est la huitième couleur naturelle dont parle Vitruve. Il dit un mot du cinabre factice , et parle ensuite de la chrysocoile^, qui est la neuvième couleur qu’il nomme. Le nom de cette dernière couleur est composé des mots grecs %pv veines des mines , pendant tout l’hiver , et jusqu’au mois de Juin alors on détourne l’eau , et on laisse sécher , pendant les mois de Juin et Juillet , celle qui est restée dedans ; ensuite on > en extrait la chrysocolle , de sorte qu’à proprement parler celte couleur n’est autre chose qu’une 3 mine pourrie î. » Vilruve ne nous dit pas quelle étoit la couleur de la chrysocolle , mais il paroit que c’étoit verdâtre , c’est-à-dire verd de pomme. Pline dit que cette pierre, dans son état naturel , ne donne aucune couleur , mais qu’elle prend aisément celle qu’on lui donne , au moyen de l’alun , et de la plante de pastel ; qu’ainsi préparée elle rend une couleur semblable au verd. Pingiturcjue , dit-il , cmtequam pingat , et il ajoute un peu plus bas, colorem in herba segetis læti virentis qnam simïllime reddat. 2 Vitruve dit aussi la même chose , dans le i4. e Chap. de ce livre Ceux , dit-il , qui ne veulent pas employer la chrysocolle , parce qu’elle coûte trop cher , mê- 3 lent, avec la terre d’azur, le suc d’une plante nommée le pastel, et en font un fort beau verd. Dioscoidde et Isidore disent que sa couleur est le verd de porreau , prœsinus , ce que nous nommons présentement'le verd pomme. Quant au borax , connu aujourd’hui dans le commerce et qu’on croit être la même chose que la chrysocolle des anciens, nous n’avons que des notions très-incertaines sur son origine , ainsi que sur la manière de l’extraire et de le purifier. Quelques-uns le regardent comme un produit de l’art qui se fait à la Chine , en mettant dans une fosse , de la graisse , de l’argile et clu fumier par couches successives , en arrosant ce mélange avec de l’eau , et en le laissant séjourner dans la fosse pendant plusieurs années. D’autres soutiennent que le borax est aussi un produit de la nature, et qu’on le trouve dans la terre du Thibet, dans le lac Neibal, dans quelques cavernes de la Perse, dans l’isle de Ceylan et dans la grande Tartarie. On appelle plus particulièrement Tincal , la soude boratée qui vient de Perse ; elle est verdâtre et couverte d’un enduit gras. Vilruve nous dit que de son temps , on tiroit la chrysocolle de la Macédoine. Que les noms du minium , c’est-à-jdire le cinabre et celui de l’indigo, faisoient connaître le pays qui les pro- duisoit. On ne voit pas trop de quel pays il entend parler, en disant que le nom de minium, c’est-à- dire notre cinabre, fait connoître le pays d’où on le tire. Je . ne puis croire, dit Galiani, que son nom dérive de celui de la rivière du Minho en Espagne j puisque Vilruve nous apprend lui- même qu’on trouva cette couleur, la première fois , dans les environs d’Ëphèse ; il est plus probable , ajoute-t-il , que ce sera la couleur qui aura donné son nom au fleuve ; à moins qu’on ait seulement commencé à donner à cette couleur , le nom de minium, lorsqu’on en aura découvert des mines près de cette rivière en Espagne, d’où il nous apprend qu’on la faisoit venir de son temps. Quant à l’indigo, indicum, en latin, il lire son nom de l’Inde, d’où les anciens le faisoient venir ; il donnoit ce bleu foncé qui est presque noir. Pline, en parlant de celte couleur , dit il vient des Indes , où il se fait avec le limon qui s’amasse autour de l’écume qui reste attachée i Pline , lir, XXXIII, Chap. a 6, a Pline, Ljv. XXXIII, Chap. a6. t 343 LIVRE VII, C h a p. x. » à des roseaux. Cette couleur paroît noire en la broyant; mais en la détrempant, elle rend un bleu purpurin , qui est de la plus grande beaute. > Ex India venit, arundinum spumas adhe — rescente limo eum teritur nigrum at in diluendo misturam purpuras cæruleique mirabilem reddit. Pline. Liv. XXXV. Chap. 26. On tire à présent ce beau bleu de l’Amérique ; il se fait avec une plante nommée indigo , qui croît dans la province de Guatimala. On fait aussi un bleu > à-peu- près semblable, et par les mêmes procédés, avec la plante nommée la guède ou le pastel. CHAPITRE X. Du noir artificiel. Nous allons présentement parler des différentes matières dont on parvient à décomposer et changer la nature , pour en faire des couleurs. Nous commencerons par le noir de fumée , qu’on emploie beaucoup , et qui est nécessaire dans beaucoup d’ouvrages. Je vais faire connoître les moyens qu’on emploie pour préparer cette couleur. On construit une petite étuve 1 dont o n enduit' l’intérieur avec du st 11c, qu’ona soin de bien polir. On bâtit, par-devant, un petit fourneau qui a un conduit qui entre dans l’étuve. Il faut que la porte , qui est à l’ouverture , puisse se fermer exactement , pour que la flamme ne puisse sortir du fourneau par cet endroit. On fait brûler de la résine dans le fourneau ; la force du feu pousse la fumée dans l’étuve , qui laisse sa suie attachée aux parois et à la couverture. On ramasse cette suie , qu’on détrempe avec de la gomme pour faire l’encre à écrire. Ceux qui peignent les murailles s’en servent avec de la colle. Si on n’avoit pas tout ce qui est nécessaire pour faire cette couleur , et qu’on eût besoin de noir, on pourra, pour ne pas retarder l’ouvrage , en faire de la manière suivante on allume des sarmens ou des éclats de bois de pin résineux ; et quand ils sont réduits en charbon , on les éteint. Ce charbon broyé avec de la colle , donne un assez beau noir ; on s en sert pour peindre sur les murailles. La lie de vin desséchée , et brûlée ensuite dans un fourneau , produit aussi, étant broyée avec de la colle, un fort beau noir, principalement si la lie est de bon vin; ûlors la couleur noire qu'on en tire, approche de celle de l’indigo. 1 Celte étuve s’appelle en laiia laconicum ; voyez nos remarques à la fin du chapitre. 344 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. REMARQUES. Nous avons déjà parlé du laconicum , dans nos remarques sur 1 io. Cbap, du Y. e Liv. Les anciens se servoient de celte machine, pour* faire le noir de fumée* Il paroît qu’elle ressembloit assez à nos étuves sans être, toutefois , la même chose; elle étoit maçonnée, et faite en forme d’une petite tour ronde , voûtée en cul de four. Nous avons vu que dans les bains, elle servoit au même usage que dans nos étuves. Yoilà pourquoi je n’ai pas fait de difficulté de rendre ici ce mot par celui d’étuve. Les anciens employoient beaucoup, à ce qu’il paroît, le noir de fumée; c’éloit la base de leur encre pour éciâre ; mais ils ne pouvoient s’en servir que pour peindre à sec, en le mêlant avec la colle car il seroit impossible de s’en servir dans la peinture à fresque; pour celle-ci, il faut absolument des noirs faits avec du charbon. Nous voyons que les anciens connoissoient aussi la gomme et la colle , et qu’ils les employoient comme nous dans leurs peintures à sec. Là gomme est un suc végétal concret, qui suinte naturellement par les gerçures de l’écorce de certains arbres. La colle se fait avec les nerfs, les cartilages, les rognures de peau etc. , qu’on fait macérer, bouillir et dissoudre dans l’eau sur le feu , jusqu’à ce que tout devienne liquide après quoi on passe la matière avec un gros linge ou tamis; quand ce suc est assez épaissi, on le verse sur des pierres plates , ou dans des moules , pour le couper par morceaux. Ensuite on met ces morceaux sur des réseaux de corde, pour les faire sécher. Quoique Yitruve ne parle pas du noir naturel , les anciens en connaissoient cependant un, comme Pline nous l’apprend. On met , dit-il, le noir au nombre des couleurs artificielles, On 3 en tire cependant de deux espèces de terre. » 1 i Airamcntum quoque inter jacliiios erit quamquam est et terme géminée originis. Pline , Lit. XXXV, Chap. a5. g t' CHAPITRE XI. LIVRE VII, C h a p. xi. 3jS CHAPITRE XI. Du bleu d’Azur et de b Ocre bmlée. Ce fut à Alexandrie qu’on découvrit la première fois l’art de composer le bien d’azur ; Veslorius en a depuis établi une fabrique à Pouzzole. Il est assez curieux de voir comment avec les ingrédiens qui entrent dans sa composition , on parvient à faire cette couleur. On broie du sable avec de la fleur de nitre , aussi fin que de la farine ; on les mêle avec de la limaille de cuivre de cypre qu’on a limé avec de grosses limes ; on arrose le tout d’un peu d’eau pour en faire une pâte, dont on fait plusieurs boules avec les mains , et on les laisse sécher ensuite on remplit, de ces boules , un pot de terre qu’on met dans la fournaise ; là , le cuivre et le sable étant échauffés , et desséchés par la force du feu , se communiquent réciproquement ce qui se liquélie de l’un et de l’autre ; ils perdent leurs qualités naturelles pour ne former qu’un même corps qui devient le bleu d’azur. La terre jaune brûlée qu’on emploie pour peindre sur les murs , se prépare de cette manière on fait rougir , dans le feu , un morceau de bon ocre jaune , on L’éteint ensuite dans du vinaigre, ce qui lui donne une couleur de pourpre. RE M ARQUE S. C’est sans doute pour imiter l’azur naturel , ou lapis lazulé, qu’on a composé le bleu d’azur artificiel, dont il est parlé dans ce chapitre. Le lapis lazulé est une pierre précieuse couleur bleue; elle est souvent parsemée des taches d’or, produites par des parcelles pyriteuses ; elle vient de la Perse ou de la JNatolie ; elle étoit connue des anciens. Pline en parle dans le XXX'VIl . 6 Liv., où il traite des pierres précieuses ; mais il paroît qu’ils n\en ont jamais extrait aucune couleur. Quant à nous , nous nous sommes long-temps servis du beau bleu tiré de cette pierre ; o n l’appeloit Outre mer, parcequ’on î’apportoit d’orient. Nos anciens peintres l’employoient beaucoup dans leurs tableaux; mais ces tableaux ayant vieilli, il dérange actuellement l’harmonie de leurs couleurs, parce que lui seul a résisté, et n’est pas altéré .comme les autres couleurs. On l’imite grossièrement en suivant le pxpcédé qu’indique Yitruve. 44 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 346 Il est encore parlé , dans ce chapitre , d’une autre couleur , nommée usta en latin. Nous avon s déjà observé dans nos remarques sur le chapitre 7 , de ce livre, qu’on appeloit , en latin, s il, la couleur que nous nommons ocre jaune; par conséquent Pusta, qui se faisoit , comme dit Vi- iruve , avec le sil brûlé , éloit la même chose que notre ocre brûlée. Il suit de-là , que la couleur que Yilrnve nomme cerussa usta dans le j2. e chapitre de ce livre , que Pline appelle simplement usta, dans le 20. me Chap. de son XXXY. e livre, n’étoit pas l’ocre brûlée; mais e’étoit la couleur que nous nommons aujourd’hui le minium , connue des anciens sous le nom de sandaraque , puisqu’on la faisoit , comme Yitruve et Pline nous l’apprennent , avec de la ceruse brûlée. La manière de composer le minium usta qui se fait avec la ceruse brûlée , dit Pline u fut découverte par hazard , lors de l’incendie du Pirée. Les dames Athéniennes trouvèrent que le v feu avoit changé en minium , toute la ceruse qu’elles avoient laissée dans les boëles où elles metloienl leur fard et leurs parfums. » Usta casu reperta incendio Piræei cerussa in arcis cre- mata il confirme la chose et ne laisse plus aucun doute dans le 22 e chapitre du même livre, où il s’exprime ainsi Fit et adulterina Sandaracha et cerussa in fornace coda. Yitruve dit la même chose dans le chapitre suivant. CHAPITRE XII. Du Blanc de Ceruse, du Vert -de- Gris et du Minium. Ïl convient encore de faire connoître ici , comment se fait le blanc de ceruse , et le vert-de-gris que nous appelons eruca. Les Rhodiens mettent du sarment dans le fond d’un tonneau sur lequel ils versent du vinaigre ; ils arrangent ensuite des lames de plomb sur le sarment ; alors ils couvrent les tonneaux et bouchent bien toutes les ouvertures. Après un certain temps , ils ouvrent ces tonneaux et trouvent le plomb changé en ceruse. Le vert-de-gris se fait de la même manière, si ce n’est, qu’au lieu des lames de plomb , on met des lames de cuivre. Si I on met de la ceruse dans une fournaise , la force du feu change sa couleur et devient du minium. On a découvert cela par hazard dans les incendies. L’expérience a prouvé que ce minium étoit préférable à celui qu’on trouve naturellement dans les mines. / LIVRE VII, C h a p. xm . RE M ARQUE S. •xr _ •Gv Les anciens préparoient la ceruse et le vert-de-gris , comme nous les préparons encore au jour-' d’hui. Vilruve appelle celte dernière couleur, œrugine , c’est-à-dire rouille de cuivre. Il ajoute nous Rappelons eruca je ne sais pourquoi il lui donne ces deux noms qui se ressemblent si fort. C étoit sans doute pour abréger, que les peintres de Home disoient erucci au lieu d’cerugine .c car il n est pas probable, qu on auroit donne au vert-de-gris , le nom à? erucci qui signifie une chenille , parce que cette couleur ressemble beaucoup à celle de la chenille verte qui est la plus commune de toutes. La fin de ce chapitre nous prouve clairement, que la couleur connue des anciens, sous le nom de sandaraque , etoit vraiment celle que nous nommons aujourd’hui minium , comme je l’ai observé dans mes remarques sur les chapitres précédents. CHAPITRE XIII. De la Couleur Pourpre. N ous parlerons présentement de la pourpre , la couleur par excellence , la plus précieuse et la plus belle de toutes celles qui existent ; on la lire d’un coquillage marin , qu’on regarde lui-même comme une production des plus admirables de la nature en effet , la teinture pourpre qu’on en tire , n’est pas la même partout ; ses teintes varient à mesure que les climats qui la produisent sont plus ou moins éloignés du cours du soleil. Celle qui vient du royaume de Pont , et de i la Gaule , est très-foncée, et presque noire , parce que ces contrées s’approchent du septentrion ; celle qui vient des pays qui sont entre le couchant et le septentrion , est pâle; mais vers l’orient, et l’occident équinoxial, elle tire sur le violet; enfin elle est parfaitement rouge dans les pays méridionaux. L’isle de Rhodes en produit cependant qui est aussi rouge que celle qui vient des régions les plus rapprochées de la ligne. Quand on a recueilli une certaine quantité de ces coquillages , on les coupe tout autour avec un couteau , pour faire écouler la liqueur pourprée qu’ils contiennent ; on achève de f exprimer en les pilant dans des mortiers. Cette teinture s’appelle oslrum , parce qu’en effet on la tire des huitres qu’on trouve dans la mer. Elle a le défaut de se dessécher aisément , à cause de la quantité de sel qu elle contient ; mais on obvie à cet inconvénient en la mêlant avec du miel. 44 - 348 0 . • L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. REMARQUES. La teinture pourpre qui étoit si précieuse et si renommée chez les anciens , se liroit d’un petit poisson à coquille que Vilruve appelle ostrum , et que nous nommons la pourpre. Pline dit que c’est d’une veine blanche , que les pourpres ont au milieu du cou , qu’on tire cette riche couleur de rose purpurine, dont on se sert pour teindre les draps les plus fins. Il y a , ajoute-t-il, deux » sortes de coquillages qui la produisent l’espèce qu’on estime le moins , a la forme d’une » trompe ; son bec est rond , et un peu incisé sur le côté ; ce qui le rend très-propre pour cor- ner ; aussi l’appelle-l-on buccin ou cornet de mer. L’autre , qu’on appelle proprement la pour- R pre , jette en avant son bec ; il a la forme d’un tuyau , il est cavé , et se reploie plusieurs R fois d un côté pour y mettre la langue. Ce coquillage a la forme d’une poire sur laquelle s’élè- » vent sept pointes disposées comme celle d’une massue ce qu’on ne trouve pas au buccin quoi- R qu’ils aient l’un et l’autre autant de retours qu’ils ont d’années. Le buccin se lient toujours R attaché aux rochers et aux écueils c’est aussi là où on va les chercher. » t On doit au hazard , dit-on , l’invention de cette précieuse teinture; le chien d’un berger, pressé par la faim, ayant brisé, sur le bord de la mer, un de ces coquillages, pour le manger, le sang .qui en sortit lui teignit la gueule d’une couleur si belle, qu’elle ravit d’admiration ceux qui la virent on chercha les moyens de se la procurer, et on réussit à l’appliquer sur les étoffes. Les lynens excellèrent dans l’art de teindre en pourpre ; mais on ignore quelle méthode ils employoient. J’ai vu, sur les côtes de la Méditerranée , des coquillages nommés buccins ou cornet de mer, absolument semblables à celui dont Pline fait la description ; comme ils n’éloient pas vivans , je n’ai pu essayer si l’on pouvoir en tirer la pourpre , et personne n’a pu me donner des renseigne- mens à cet égard. Il existe encore aujourd’hui, dans les Indes , quelques coquillages qui répandent et jettent, surtout par la bouche, une écume d’un rouge très-vif. Le père Charlevoix rapporte que dans les isles Antilles , on trouve un petit poisson appelé bougan , semblable à Ja limace ; l’intérieur de son corps contient une couleur rouge très-écïatante ; l’écurne qu’il répand, quand on l’écrase, est delà meme couleur cependant rien de tout ceci ne peut être la pourpre des anciens. Cette teinture n’est plus en usage depuis plusieurs siècles; mais nous devons être d’autant moins sensibles à celte perte, que cette couleur donnoit une odeur forte et un coup-d’œil qui seroit d’autant moins agréable pour nous , que les anciens n’estimoient que les couleurs foncées, et que la pourpre dont ils faisoient le plus de cas, étoit celle qui approchoit le plus du sang de bœuf. Ajoutons à cela qu’elle étoit d’un prix exorbitant, et que notre pourpre moderne, ainsi que le carmin qu’on fabrique à beaucoup moins de fraix , au moyen de la cochenille , est d’un éclat bien supérieur à l’ancienne. l Pline, IX, Giiap. 3G. LIVRE VII, C h A P. siv. 349 Vilruve dit, à la fin de ce chapitre, que pour conserver la couleur pourpre qui étoit sujette à se dessécher ^ à cause des parties salines qu’elle contenoit , il falloit la mêler avec du miel. Plutarque - rapporte dans la vie d’Alexandre, qu’a la prise de Suse , il se trouva, parmi le butin, le poids de cinq mille talens de pourpre , qui ayant été faite , cent quatre-vingt-dix ans auparavant, avoit conservé la beauté de sa couleur ; parce que, dit-il , la rouge étoit faite avec du miel, et la blanche avec de l’huile. On est très-embarrassé de savoir ce que c’étoit que cette pourpre blanche qu’on conservoit avec de l’huile. Mercurial, pour expliquer la chose, dit que les anciens avoient deux manières de conserver la liqueur pourprée. La première étoit de mettre, dans du miel, la chair pilée des pourpres avec son suc qui faisoit une masse rouge; la seconde en séparant de la chair la veine blanche , qui , suivant ce que dit Pline , contenoit la liqueur pourprée. C’est celle-là , dit-il , que Plutarque appelle la pourpre blanche , qui , étant plongée dans l’huile , s’y conservoit comme l’autre dans le miel. C H A P I T Pi E XIV. Des autres couleurs artificielles. On compose encore des couleurs pourpres en teignant la craie avec le suc des racines de la garance et de l’hysgine. On tire aussi d’autres couleurs de différentes fleurs , par exemple lorsque les teinturiers veulent imiter l’ocre jaune de l’Attique, ils mettent des violettes sèches dans un vase plein d’eau , qu’ils font bouillir sur le feu ; quand elle est bien imprégnée de la teinture des violettes , ils la passent dans un linge , et i expriment avec les mains dans un mortier , où ils la mêlent avec de la craie Eretrienne , et les broyant bien ensemble, ils en font une couleur pareille à l’ocre jaune de l’Attique. Ils font de la même manière une couleur de pourpre fort belle , on mêlant du lait avec la teinture tirée du vaccinium. Ceux qui ne veulent pas employer la chrysocolle , parce qu elle coûte trop cher , teignent de la terre d’azur avec le jus de la plante nommée le pastel, et font un fort beau vert. Tout cela s’appelle couleurs artificielles. Quand on n’a pas d'indigo , on peut l imiter en teignant la craie sélinusienne ou l’annuaire avec le verre que les Grecs appellent yalon. J’ai expliqué, dans ce livre , tout ce qu’il est nécessaire de savoir sur les diverses qualités des couleurs ; et par quels moyens on les rend belles et durables dans la peinture. Dans les sept livres qui précèdent, j’ai recueilli tout ce qui peut conlii- 35o L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. buer à la perfection des édifices , et à les rendre commodes. Dans le huitième , je traiterai de tout ce qui concerne les eaux ; comment on en peut trouver dans les endroits qui en manquent ; comment il la faut conduire , et par quels signes on peut connoître si elles sont bonnes. R E M A R Q U E S. Les anciens possédoient, comme nous , Fart de composer plusieurs couleurs artificielles, en teignant certaines espèces de craies. Nos stils de grains, les laques roses se composent encore de cette manière aujourd'hui. Yiiruve , au commencement de ce chapitre , n’indique pas quelle étoit l’espèce de craie, qu’on teignoit avec le suc de la racine de la garance, ou de l’hysgine ; comme elle n’entroit dans la composition que pour donner du corps à la couleur, on la choisissoit certainement très-légère, ne donnant par elle-même presqu’aucune couleur ; mais propre à recevoir toutes celles dont elle étoit imprégnée. Il est probable qu’on se servoit de la terre Eréirienne , qu’il nomme un peu plus bas, en parlant du jaune qu’on faisoit avec des fleurs de violettes desséchées. Dans la composition de nos stils de grains , et de nos laques , nous nous servons du blanc de Bougival , appelé aussi blanc d’Espagne , petit blanc, et quelquefois blanc de Paris. C’est une espèce de craie ou marne blanche très-friable 3 qui vient aux environs de Troyes , en Champagne ^ qu’on lave plusieurs fois; on la laisse rasseoir ensuite on en fait des pains , ou petits bâtons qu’on laisse bien sécher. C’est de ce blanc qu’on teint avec de la cochenille , qu’est fait la laque rouge. Au lieu de cochenille , les anciens employoient le suc de la racine de la garance qu’on emploie encore quelquefois aujourd’hui , pour teindre en rouge. Celle plante , haute de quatre à cinq pieds , se cultive présentement en Flandre , et dans le Brabant ; elle s’appelle rubia en latin ; elle est encore connue sous la dénomination de rubia tinctorum. Nous ne connoissons pas quelle est l’autre plante que Yiiruve appelle Hysginum suivant le texte même de cetauteur, qui me semble ici être très-clair, la teinture qu’elle donnoit devoit être aussi un rouge de pourpre; puisque venant de traiter assez amplement, dans tout le chapitre qui précède, de la véritable couleur pourpre qu’on extrait d’un coquillage, et qu’il nomme ostro , il achève, au commencement de celui-ci, cette matière en enseignant comme on composoit une pourpre artificielle , au moyen des racines de la garance et de Vhysgine. On sait, comme l’observe très- bien Galiani , que ce n’est pas Yiiruve qui a divisé par chapitre , les livres de son ouvrage cette division a été probablement faite long-temps après lui, et assez mal, puisque la division des chapitres ne suit pas celle des matières ce qui est arrivé ici , où l’on a mis au commencement de ce quatorzième chapitre , ce qui devoit finir le treizième qui traitoit des couleurs pourpres. Cela aura induit en erreur , et fait croire que Fauteur allait parler des couleurs différentes de celle dont il parloit dans le chapitre précédent. On Fa été également par le litre de ce quatorzième chapitre qui est intitulé de purpureis coloribus , comme s’il n’y étoit traité que des cotdeurs pourprées ; tandis qu’on y parle de toutes autres couleurs , comme du jaune, du vert, de l’azur. Perrault à donné dans cette erreur; il a cm que le mot latin purpureus signifioit du violet qui LIVRE VII, C h A p. x iv. 351 tient* du pourpre; cette couleur se compose comme on sait, de rouge et de bleu. Il éloit incontestable que la racine de garance donnoit le rouge de là il a cru que celle de l’hysgine donnoit le bleu, ayant besoin de cette teinte pour fabriquer le violet, dont il croyoit qu’il éloil ici question rien n’est plus contraire cependant à ce que Pline nous dit de l’hysgine. Parmi les couleurs , dit le naturaliste Romain , que les propriétaires sont obligés de fournir , à leurs dépens , aux entrepreneurs , lorsqu’ils ^veulent qu’on les emploie dans les ouvrages faits par marché, on distingue d’aborl la plus belle pourpre , purpurissimum qui est certainement celle dont les dames com- posoient le fard qui servoit à leur toilette ensuite , parmi les autres couleurs pourpres, il vante beaucoup celle de Pouzzole , et la préfère aux autres parcequ’elle éloit composée avec l’hysgine et la racine de garance. Quare puteolamen potiùs laudalur quod hisgino maxime inficialur , rubiamque cogitiir sorbere. l D’après cela, on voit à n’en pas douter, que l’hysgine donnoit une teinture rouge. Rien ne nous indique d’ailleurs ce que c’étoit que cette plante , non plus que le nom qu’on lui a donné aujourd’hui. Earbaro dit que l’hysgine, le vacciniet et la hyacinthe sont la même plante sous dif- férens noms ; il adopte en cela ce qu’Hermolaüs et Philander avoient avancé avant lui. Baldus rapporte différentes opinions à cet égard, et avoue qu’il est très-embarrassé de décider celle qu’on doit choisir. Galiani remarque qu’il n’y auroit pas d’impossibilité que l’hysgine fût le bois de Brésil , d’où on extrait, comme tout le monde le sait, une très-belle teinture rouge semblable au carmin. Les sucs de différentes fleurs procuroient aussi, aux anciens, plusieurs belles couleurs. On sait qu’à la Chine et aux Indes , pour peindre les toiles de coton et les satins , on n’emploie que les sucs des herbes et des fleurs. Les teinturiers , pour imiter la couleur de l’ocre jaune , faisoient dessécher des fleurs de violettes dont ils faisoient une forte infusion; elle leur donnoit une teinte semblable à la couleur de l’ocre, qui, étant une couleur opaque, ne pouvoit servir pour la teinture. Pline nous apprend qu’on imitoit encore l’ocre jaune , en faisant brûler de la terre rouge ou sanguine , dans une marmite neuvefermée hermétiquement. Ex ea fit ochra 3 exusta rubrica in ollis novis luto circum litis. 2 Encore aujourd’hui, comme le blanc de ceruse brûlé dans la fournaise produit du minium, de même en faisant brûler de nouveau le minium, on produit un fort beau jaune que nous nommons massicot. Nous voyons qu’on faisoit aussi une couleur pourpre en trempant et mêlant dans du lait, une plante qu’il appelle vaccinium. Les auteurs ne commissent pas trop quelle est cette plante ; Dios- coride, Mattiole et autres, disent que sa fleur étoit couleur de pourpre. D’après ce que dit Yirgile, elle éloil certainement très foncée vaccinia nigra leguntur. On en distinguoit deux espèces, l’une qui croissoit en Italie , et, une autre dans les Gaules ; cette dernière se nommoit aussi l’hyacinthe. En Italie, dit Pline, on seme le vaccinium pour chasser aux oiseaux; mais parce que celui, des ! 1 Pline. Liv. XXXV , Chap. 16. 2 Pline, liv. XXXV , Chap. 16. 35 a L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Gaules est de couleur pourpre , on s’en sert pour teindre les gros draps à l’usage des vaîe^é i. Il dit encore dans un autre chapitre La hyacinthe croît très-bien dans la Gaule j on s'en sert pour teindre et imiter la couleur de l’hysgine 2. COULEURS DONT PARLE YITRUVE. COULEURS N A TU RE L LE S. NOMS LATINS. 1 .SU . . . 2. Rubrica . . 3. Parœtonium 4 . Melinium 5. Creta viridis 6. Auri pigmentum 7. Sandarctca . 8 . Minium . q. Chrisocolla . 10. Indicum . . . NOMS FRANÇOIS. L’ocre jaune. La sanguine ou la craie rouge. Le blanc minéral. La terre yerte ou le vert de montagne. L’orpiment. Le minium. Le cinabre. La chrysocolle ou le borax. L’indigo. COULEURS ARTIFICIELLES, 1. Atramentum 2. Ceruleo . 3. Usta . . . 4. Cerusa . 5 . Ærugine . . 6 . Sandaraca . y. Ostro . Le noir de fumée. La terre d’azur. L’ocre brûlée. Le blanc de ceruse» Le vert de gris. Le minium. La pourpre. x Pline. Liv. XVI. Ch. 3x. 3 Pline, Liv. XXI, Ch, 97. Hyacinthus in Gallid maxime pm&nit. Hoc ibi fuco hysginum iingunt. LIVRE VIII. L’ARCHITECTURE D E VITRUVE. i r ' vr . . ir ' A LIVRE HUITIÈME. 4 INTRODUCTION. Thalès de Milet , l’un des sept sages , soutenoit que l’eau étoit le principe de toutes choses. Héraclite disoit que c’étoit le feu. Les prêtres mages admettoient deux principes , l’eau et le feu. Euripide , disciple d’Anaxagore, que les Athéniens appeloient le philosophe du théâtre , croyoit que l’air et la terre , fécondés par les pluies du ciel , avoient produit les hommes et tous les animaux qui sont dans le monde • que tout ce qui a été procréé , retourne et se change en ces mêmes principes , lorsque le temps les force de se dissoudre tellement que ce qui vient de l’air , retourne dans l’air ; que rien ne périt , mais change seulement ses propriétés dans la dissolution , et les reprend ensuite pour devenir ce qu il étoit auparavant. Pythagore , Empedocle , Epicharmé, avec d’autres physiciens et philosophes , établissent quatre principes savoir , l’air , le feu , l’eau et la terre , qui mêlés et combinés de diverses manières , suivant la nature de chacun de ces éle'mens, composent l’essence de tout ce qui existe. Nous voyons , en effet, que non - seulement ils produisent tout ce qui prend naissance , mais encore qu’ils nourrissent, augmentent et conservent tout. Les animaux ne sauroient vivre sans l’air quils insinuent et font circuler sans cesse dans leurs corps par la respiration. Dun autre 45 354 Introduction. côté, un corps où la chaleur ne se trouve pas dans une juste proportion, manquera d’esprits vitaux ; -il sera d une foible complexion , et les alimens qu’il prendra, n’y trouvant pas de degré de coxion nécessaire, ne pourront le nourrir. Sans la nourriture terrestre , qui entretient toutes les parties de notre corps , il ne pourroit subsister , puisqu’il seroit privé du plus solide de ses principes. Enfin tous les animaux seroient secs et privés de sang, s’ils n’avoient l’élément liquide qui entretient en eux l’humidité. La divine Providence n’a donc pas voulu que des choses qui sont si nécessaires à tous les hommes , fussent rares et difficiles à trouver , comme le sont les perles , l’or , l’argent et autres choses semblables, qui ne peuvent satisfaire les besoins de notre corps et les* désirs qu’inspire la nature; mais elle a , au contraire , répandu, avec profusion , par tout l’univers , et a mis à la portée de tout le monde , ces objets dont on ne se peut passer dans la vie. Le corps manque -t-il d’esprits vitaux i J l'air , destiné à les réparer , est toujours prêt à les seconder de même la chaleur du soleil et du feu ne manque jamais de secourir et d’aider celle qui nous est naturelle et qui entretient notre vie. Les fruits de la terre nous offrent une nourriture toujours abondante , et qui surpasse tous nos désirs ; ils nourrissent , ils alimentent les animaux qui s’en rassasient sans cesse. L’eau enfin, qui non-seulement sert de boisson , mais qui sert encore à une infinité d’usages qui la rendent d’autant plus agréable qu elle est la chose qui coûte le moins. Les prêtres Egyptiens prétendent que tout ne subsiste que par la vertu de cet élément ; ils couvrent le vase à mettre de l’eau , le portent dans le temple avec un respect religieux , et se prosternant à terre , les mains élevées au ciel, ils rendent grâce à la bonté divine de nous avoir accordé ce bienfait. REMARQUES . On retrouve, dans celte introduction, à-peu-près tout ce qui a été dit dans le 2 . me chapitre du II. rae livre , où l’auteur cherche à appuyer par l’opinion des philosophes , les raisonnemens qu’il contient sur les divers matériaux qu’on emploie pour la construction des édifices ; particulièrement dans le g.™ 6 Chap. où il traite des arbres. Tout ce qu’il dit dans ce deuxième livre , facilitera beaucoup l’intelligence de cette introduction. Il commence dans les deux endroits , par citer l’opinion de Thalès , qui prétendoit que l’eau étoit le principe de toutes choses ensuite il cite celle d’Heraclite qui disoit que c’étoit le feu. Dans cette introduction, il cite cependant celle des prêtres mages dont il n’avoit pas parlé dans le 2. me Chap, du II. me Liv. En parlant ici des prêtres mages, il dit sacerdotes magorum les prêtres des mages mais tout le monde comprend qu’il a voulu dire les prêtres mages, sacerdotes magi , c’est-à-dire les prêtres des Perses , parce que, comme nous 1 të,. , jiSie > pgles tiiik ÿle ^ temple ijjii rendi ; »1 ré; ms renr me estij ï bois, f étoit Noce l.'iep! L Êst b ür il l V 11 E TII1, C n A >. II. 36ï près sous le cours du soleil , sont presque de'poumies d’eau , et n’ont que fort peu de fontaines et de rivières , on en doit conclure que les meilleures sources sont cellès dont lés"eaux s écoulent vers le septentrion , ou l’Aquilon; à moins qu elles ne passent par quelqu’endroit sulphureux , alumineux ou bitumineux ; alors elles changent de qualité, et les eaux de ces fontaines, soit qu’elles fussent chaudes ou froides, ont toujours une mauvaise odeur, et un goût désagréable car il ne faut pas croire qu’il y ait des eaux qui soient chaudes de leur propre nature celles qui le sont, ne s’échauffent qu’en passant par quelqu’endroit brûlant la preuve en est, que ces eaux , qui sortent bouillantes des veines de la terre , ne conservent pas long-temps leur chaleur, et deviennent bientôt froides. Si cependant elles étoient naturellement chaudes , elles ne se refroidiroient jamais , et conserveroient cette chaleur , comme elles conservent leur goût, leur odeur et leur couleur ; parce que la nature subtile de cet élément , se mêle et s’imprégne fortement des matières qui causent ces effets. RE M ARQUE S. L’auteur, dans ce chapitre, répète à-peu-près ce qu’il a déjà dit dans le sixième du premier livre , sur les causes qui produisent les vents. L’air , comme on sait } est un fluide compres- 6Îble-qui se dilate par le chaud , et se condense par le froid. Quand une partie de l’atmosphère s’échauffe, ou se refroidit, il se fait un mouvement de translation de l’air, par laquelle une partie assez considérable est poussée d’un lieu dans un autre , avec plus ou moins de vitesse ; c’est ce qu’on nomme le vent. Vitruve a donc raison de dire que la chaleur du soleil occasionne dans l’air chargé de beaucoup d’humidité , l’expansibilité de ce fluide , qui pousse celui d’alentour , qui n’est pas raréfié mais l’attraction qu’il attribue à la raréfaction de l’air n’existe pas. Si dans quelque partie de l’atmosphère , la chaleur du soleil occasionne l’expansibiliié de Pair, et que dans une autre partie , il se trouve condensé, l’air qui se trouve entre eux, poussé par celui qui se raréfie, se portera vers celui qui se condense tellement que toute l’impulsion de l’air raréfié agit vers l’endroit où la condensation se fait ; parce que l’espace qu’occupoit l’air avant d’être condensé , devenant moins rempli par la condensation, donne place à celui qui est poussé par l’air raréfié ; ce qui paroît une attraction , quoiqu’en effet cela détermine seulement le lieu vers lequel l’impulsion se fait. Presque tous les corps liquides, exposés à la chaleur de l’air , se décomposent ; alors les parties les plus volatiles se dégagent des plus pesantes , et s’élèvent peu-à-peu dans l’atmosphère. L’évaporation de l’eau est la plus abondante de toutes. De ce fluide, répandu sur toute la surface du globe , qui occupe la vaste étendue des mers , il s’élève sans cesse une quantité de vapeurs. L’hydrogène , le plus léger de tous les fluides pondérables , qui l’est treize fois plus que l’air que nous respironsest une des parties constituantes de l’eau. Dès que la chaleur agit sur celle-ci , et en décompose une partie, l’hydrogène se dégage plus léger que l’air atmosphérique , il s’élève et 40 36a L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. emporte quelques parcelles d’eau ; celte évaporation continuelle et abondante forme les nuages que nous voyons dans les airs. Il est tout simple, qu’à mesure que les climats se rapprochent du cours du soleil, l’action de sa chaleur a plus de force , est plus continuelle par conséquent l’évaporation est plus considérable, et le sol de ces climats en devient plus sec. Vitruve apporte pour preuve de cela , que les vents méridionaux sont très-humides et amènent beaucoup de pluie, parce que le soleil a pompé beaucoup de vapeurs dans celte partie ; et pour la raison contraire , les vents du nord il'amènent que la sécheresse ; ce qui est çn partie vrai, sur tout pour la Grèce et l’Italie ; parce- que pour ces pays, les vents du midi viennent de la mer; mais il n’en est pas moins vrai, que les vents du nord sont aussi très-pluvieux dans les pays qui ont la mer au septentrion, et qu’au contraire le vent du midi y sera très-sec , s’il y vient du côté de la terre. On sait, comme l’observe très-bien Yilruve , que les hautes montagnes arrêtent les nuages ; que pour cette raison il pleut davantage sur les montagnes et dans le voisinage des montagnes que sur les plaines. Nous voyons en effet qne les fleuves et les rivières ont toujours leurs sources dans les montagnes les plus élevées au-dessus du niveau de la mer , et qu’elles descendent ensuite vers elle. Il étoit aisé à Vitruve d’après ce qu’il avoit dit d’abord de faire ce dernier raisonnement , qui a pour base la vérité. Au lieu de cela, pour appuyer ce qu’il a d’abord avancé , que le soleil attire toute l’humidité du midi, que les vents poussent ensuite vers le nord , il dit que le plus grands fleuves'viennent du nord; ce qui n’est pas exact. Parmi ceux qu’il cite, plusieurs même ont leur source au midi , et leurs eaux coulent vers le nord tels sont le Rhin et le Nil. La description qu’il fait du cours des fleuves , exige encore d’autres observations il dit, par exemple., que le Tigre et l’Euphrate sont dans la Syrie , tandis que ces deux fleuves passent au milieu, de l’Assyrie , fort loin de la Syrie ; c’est pourquoi j’ai lu Assyrie au lieu de Syrie. Les auciens géographes ont souvent confondu ces deux pays. La description qu’il fait du cours du Nil est très-intéressante. Si on la confronte avec les caries modernes les plus exactes , on verra qu’il connoissoit le cours de ce fleuve jusqm’à sa source , à-peu- près comme nous le connoissons aujourd’hui. I ici* ecn to une Ce fleuve commence effectivement au mont Atlas , et comme les barbares , d ? après ce que rapporte Strabon , appeloient cette montagne Dyris , on aura probablement donné aussi le nom de % ris à la partie du Nil qui s’étend depuis sa source 3 et prend son cours vers l’occident, jusqu’au lac qui s’appeloit alors Eptabole 3 et aujourd’hui Dcimbea. Sorti de ce lac , il s’avance en tournant vers le midi jusqu’à ce qu’il entre dans le marais de Caloe. Cette partie du fleuve s’appeloit le Nigir. Les cartes modernes n’indiquent pas ce marais si on les suppose exactes , il faut croire que cette omission vient de ce que c’est le fleuve même qui produit ces marécages , où il doit couler pendant long-temps au travers de ses propres sables , tellement qu’on aura négligé d’indiquer ces marais ^ les regardant comme un accessoire qui sembloit faire partie du fleuve. Cellarius, qui ne connoissoit certainement pas ce passage de Vitruve , place mal-à-propos ce marais à la source du fleuve Astasobas , dont nous allons parler. Vitruve dit que ces marais entourent le royaume de Méroe 1 dans l’Ethiopie méridionale. Plusieurs auteurs, parmi lesquels se trouve Pomponius Mêla, r* ï Cambyse avait bâti une ville dans cette partie'de il lui donna le nom de sa sœur Meïoë qui y mourut. Ce aom a passe' à tout le pars. "IVOl SI l tdrso ' / LIVRE VIII, C * A u 364 ant cru que ce royaume étoit uue isle formée par le Nil ; ils le divisent pour cela eu deux branches, dont ils appelent l’une Astaboras et l’autre Astape 1, L’Aslaboras et PAstape ne sont pas deux branches du Nil qui forment une isle, mais deux rivières différentes du Nil dont celui-ci s’approche dans son cours , comme le remarque très-bien ici Vitruve il s'approche , dit-il, par divers contours ? etc., il dit se circumagens et non pas se dividens.. Nous voyons en effet sur les caries r que le cours du Nil est très-tortueux lorsqu’il passe auprès des rivières Astasobas et Astaboras; mais on ne voit pas qu’il s’y divise en deux branches pour former une jsle. Les anciens géographes , qui ont parlé de ces deux rivières, écrivent tous de même , le nom de l’Astaboras , cependant avec cette petite différence que les uns écrivent Astaboras , d’autres Astaborras , d’autres enfin Astabores. Quant à l’Astape dont, Strabon écrit comme nous le nom, d’autres écrivent Astosabas , Astapus et Astapes. Yoyez Pline , Strabon , Pomponius Mêla, Ptolémée, Solinus , etc. Galiani avoue qu’il est très-surpris que les commentateurs de Pomponius Mêla , ainsi que le géographe Cellarius avent ignoré ce passage , où Yitruve dit que le Nil s’approche des deux rivières , l’Astape et l’Astaboras ; il l’est encore davantage , ajoute-t-il, qu’il n’ait pas été connu de Delisle , qui n’en dit pas un mot dans la dissertation qu’il prononça le i 4 Novembre 1708, à l’académie des sciences , dont le but étoit de déterminer la situation du royaume de Méroë, Sans se donner autant de peine, sans former autant de conjectures et d’argumens , il auroit trouvé , d’après ce que dit ici Yitruve, la vraie situation de ce royaume; et, quoiqu’en dise Pomponins Mêla, il auroit prouvé que le Nil par ses contours, en faisoit une péninsule et non pas une isle. Galiani observe encore que Perrault, qui avoit sous les yeux ce passage si clair de Yitruve , n’a pas laissé de trar duire que le Nil s J élant divisé en deux bras , nommés VAstasobam et VAstaboram etc. Vitruve ajoute que le Nil forme les cataractes, l’isle Eléphantine , passe à sienne, dans la Thébaïde, et dans le reste de l’Egypte. C’est de celte dernière partie du cours du Nil que [Desnon nous a donné une description on ne peut pas plus inléresssanle, dans'le voyage d’Egypte qu’il vient de publier. CHAPITRE III. Des qualités particulières de certaines eaux de fontaines. Nous avons plusieurs fontaines chaudes, dont les eaux sont fort agréables à boire; celle qui s’écoule de la fontaine de Camæne , 2 et celle qui sort de la fontaine Martiale, ne sont pas meilleures voici comme la chaleur se communique aux eaux. Lorsqu’un feu ardent s allume sous la terre dans l’alun, le bitume ou le sou- 2 Voyez les remarques à la fin de ce chapitre. 46 . 1 Powp. Mêla , Liv. I. Chap, 9. L’ARCHITECTURE DE YITRÜYE. 364 fre , il échauffe tout ce qui l’environne, et fait élever une vapeur brûlante qui se porte vers la superficie de la terre. S’il se trouve au-dessus quelques fontaines d’eau douce, cette vapeur les échauffe dans leurs conduits souterrains, d’où elles s’écoulent cependant sans prendre de mauvais goût. On rencontre au contraire des fontaines d’eau froide qui ont l’odeur et le goût très-désagréables cela vient de ce qu’elles ont passé sous terre par quelqu’endroit brûlant; elles coulent ensuite encore pendant très-longtemps cachées dans des canaux souterrains , tellement qu elles ne sortent de terre qu entièrement refroidies ; mais elles retiennent dans leur goût, leur odeur et leur couleur, tout ce quelles ont contracté de mauvais telles sont les eaux de l’Albuia sur le chemin de Tivoli ; telles sont encore les fontaines d eau froide près dArdée, 1 et celles de plusieurs autres fontaines d’eaux froides , qui ont comme celle-ci une odeur sulphureuse. Les eaux, quoique froides, semblent bouillonner, comme si elles étoient chaudes, parce que passant dans les profondeurs de la terre , par quelqu’endroit brûlant , le choc qu’occasionne la rencontre de l’eau et du feu excite une certaine commotion qui fait élever précipitamment quantité d’air fixe 2 qu elles retenoient et qui sortant à plusieurs reprises , cause ce bouillonnement. di f flou il an ban tondu t sflàf ils fl 0 po U les [les p! . *{ H ml LIVRE VIII, Ch à P. 3CS appelé Xante i, la rivière qui arrose leurs campagnes les vaches qui naissent le long de ses rives étant toujours rousses, et les moutons bruns 2 . On rencontre aussi des eaux dont l’usage est aussi pernicieux que mortel, à cause des sucs venimeux que contient la terre sur laquelle elles coulent telle étoit, à ce qu’on dit, celte fontaine de Terracine, appelle'e la fontaine de Neptune ; ceux qui buvoient par mégarde de son eau, mouroient sur le champ, c’est pourquoi on la combla autrefois tel étoit aussi un lac près de Cichros, dans la Thrace; non - seulement ceux qui buvoient de ses eaux mouroient, mais même ceux qui s’y alloient laver. Il existe encore, dans la Thessalie , une fontaine ombragée par un arbre qui porte des fleurs de couleur pourpre; aucun troupeau ne veut boire de ses eaux, elles animaux, de toutes espèces, n’osent en approcher. On voit de même en Macédoine, près du tombeau d’Euripide, deux ruisseaux qui coulent, l’un à droite et l’autre à gauche du monument, et réunissent ensuite leurs eaux. L’eau d'un de ces ruisseaux est si bonne, que tous les voyageurs s’arrêtent pour s’y rafraîchir ; mais personne n’approche de celle qui coule de l’autre côté, parce qu elle a la réputation d’être très-pernicieuse. Dans la partie de l’Arcadie nommée Nonacris, certaines montagnes distillent une eau très-froide, que les Grecs appellent stygos hydor 3 ; aucun vase , soit d’argent, soit de cuivre ou de fer, ne peut la retenir, parce qu elle saute dehors et se disperse ; on ne peut la retenir et la conserver que dans la corne du pied d un mulet. Antipater fit porter, dit-on, de cette eau, par son fils Iolas, dans la province où se trouvoit Alexandre, et elle servit de poison à ce roi. Dans les Alpes, au royaume de Gottus, il y a encore une eau qui fait mourir subitement tous ceux qui en goûtent. Au pays des Falisques, près du chemin qui conduit à Naples, dans un bois qui se trouve au milieu d’un champ appelé Cornetus, il sort une fontaine dans laquelle on voit des os de serpents, de lézards et d’autres bêtes vénimeuses. 1 BavSoç en grec signifie la couleur jaune, blonde ou rousse. a 2 Il est assez difficile de décider quelle est cette couleur nommée en latin leucophœus. Pline dit que ce mélange de la rubrique, du sil jaune et de la meline dont on composoit la couche qu’on appliquoit sur le bois , pour dorer , • fait le leucophœum. La difficulté est dans la signification du mot grec Cpaioç que les grammairiens rendent par le mot latin fuscus ; ils disent Fusais est color suhniger , c’est-à-dire brun , sans spécifier quel brun ils entendent. Les auteurs latins se sont mieux expliqués, en parlant de la couleur des visages hâlés, et de celle des vins qui na sont ni tout - à - fait blancs , ni tout-à- fait rouges ; ils la nomment fusais color c’est dans ce sens qu’Ovide dit fuscantur corpora campo , et que le vin de Falerne est appelé fuscum par Martial. Il suit de là, que la couleur nommée fuscus par les anciens, ressemble à celle des visages hâlés , ou à celle de ces vins d'Es pagne ou du midi de l’Italie qui sont d’un jaune foncé ressemblant assez à celui du visage halé des habitans de ces contrées. 3 C’est-à-dire , eau de tristesse. kl 36 9 L’ARCHITECTURE DE V I T R Ü V E. On trouve encore plusieurs sources dont les eaux sont aigres, comme celles du Lynceste, celles du Velino, en Italie i , celles qui sont près de Théano, dans la Campanie, et dans plusieurs autres endroits. Toutes ces eaux, quand on les boit, ont la vertu de dissoudre les pierres qui sont dans la vessie. Il paroit que cela vient de ce que ces eaux s'imprégnent des substances âcres et acides qu’elles rencontrent sous la terre ; ce qui fait, quand on les boit, qu elles dissipent tout ce qui se trouve endurci et coagulé dans notre corps. Pour comprendre comment les acides peuvent dissoudre les corps endurcis , on n’a qu’à laisser tremper quelque temps un oeuf dans du vinaigre, et on verra sa coquille s’amollir et se fondre. Il en est de même du plomb, qui s’éclate si difficilement, et qui est très-pesant mis avec du vinaigre dans un vase bouché bien exactement, il se dissout et se change en ceruse. Le cuivre , qui est encore plus dur, se dissout par la même opération , et devient du verd de gris les perles, et même les cailloux que le fer ni le feu ne peuvent rompre, se cassent et tombent en»éclats*, quand après les avoir échauffés, on les arrose avec du vinaigre. Il est aisé de juger, d’après cela, que les acides qui agissent sur ces corps, produiront le même effet pour guérir ceux qui souffrent de la pierre. Il est d’autres fontaines dont les eaux paroissent mêlées avec du vin ; on en voit une de ce genre en Paphlagonie ; ses eaux enivrent sans y mettre cette liqueur. À Equicole , en Italie, et au pays des Medulles 2 , dans les Alpes, certaines eaux font enfler la gorge de ceux qui en boivent. Dans les campagnes de Clitor., ville très- connue de f Arcadie, on remarque une caverne d’où s’écoule une fontaine qui fait haïr le vin à ceux qui boivent de ses eaux. On a gravé auprès, sur du marbre, une épigramme, en vers grecs, qui porte quelle n’est pas propre pour s’y baigner, et qu elle est ennemie de la vigne ; parce que c’est dans cette fontaine que Mélampus, après avoir sacrifié, purifia les filles de Pretus, pour les guérir de leur folie; il leur remit, en effet, l’esprit dans l'état où il étoit avant leur démence. Voici cette épigramme " ;. , Près des antres obscurs d’où coule ce ruisseau , Si la chaleur t’invite à mener ton troupeau, J Berger, tu peux y boire, et dans^-leurs promenades, Suivre parmi ces prés les errantes INayades; 1 Avec Perrault et Galiani , j’ai suivi ici la correction de Budeus qui lit , in Italica Velino f campana Theano, au lieu de in llalica vircna. Il paroit que Vitruve cite ici ces deux eaux, en môme - temps, parce qu’au rapport de Pline , elles avoient l’une et l’autre la propriété de rompre la pierre dans le corps par leur acidité ; in Œnaria insula calculosis mederi. Et guet eocatur acidula ah Theano sidicino. . . Idem contingit in Velino lacu po- taniihus. Liv. XXXI , Chap. 5 . 2 Les habitans des Alpes , sur-tout dans les vallées qui sont au midi, sont très-sujets aux goitres ; ces excroissances y parviennent souvent à un énorme volume. f jin U’ S0M iSuse, lents, s'y lu i les y i t; ' P TOJÛ jîlîlonf ^ le coi ^ étoii i^'a; [Meurs 1 r LIVRE VIII» C H À P, 1 * in,' 1 370 Mais ne l’y baigne pas ces eaux, par un “poison Qui." fait haïr le vin, corrompent la raison. Fuis donc celte liqueur ^ si contraire à la vigne, Que Mélampe infecta de celle humeur maligne, ; Qui des filles de Prête avoit troublé les sens, Lorsqu’il passa d’Argos en ces lieux déplaisans. Il se trouve de même, dans l’île de Chio, une fontaine qui fait perdre l’esprit à ceux qui vont imprudemment s’y désaltérer. On a placé une épigramme qui avertit que son eau, fort agréable à boire, rend l’esprit dur comme une pierre. Voici cette épigramme Si l’on boit celte eau fraîche et pure, Elle charme vos sens d’abord ; Mais elle rend l’ame plus dure Que le rocher dont elle sort, A Suse, capitale du royaume de Perse, il y a une petite fontaine qui fait tomber les dents. On y lit aussi une épigramme qui annonce que cette eau est fort bonne pour s’y baigner ; mais qu elle fait tomber les dents de ceux qui en boivent 1 . Voici les vers de cette épigramme Passants, l’eau que tu vois, est une eau qu’il faut craindre ' ' Tu peux, il est vrai, sans danger T’en rafraîchir les mains et même t’y plonger ; Mais si dans son cristal ta soif alloit s’éteindre, Tu sentirois bientôt ses effets malfaisans , A la bouche fatale , elle enlève les dents. REMARQUE S. Nous voyons que les anciens connoissoient comme nous l’usage des eaux minérales. L’auteur parle d’abord des fontaines dont l’eau sort chaude de la terre, et qui sont néanmoins très-agréables à boire; il les compare, pour la bonté, aux eaux de deux fontaines de Rome, qu’on sera peut-être curieux de connoîire. L’une étoit la fontaine de Camoene ; elle existe encore près de cette ville, hors la porte de St;-Sél>asiien ; elle se trouvoit autrefois dans un bois qui s’appeloit Casmoene, qui lui a donné son 110m, ainsi qu’à la porte de la ville, qui s’appeloit d’abord la porte Camoene, ensuite Capène, et enfin de i On m’a assuré , que , dans la Picardie , il se de ceux qui en boivent, trouve plusieurs fontaines dont l’eau fait tomber les dents 47 * 3ti L*ARCHITECTURE-DE YITRUVE. On sait qnc Numa Pompilius se retiroit souvent dans ce bois , où se trouvoit une grotte d’où sortoit la fontaine dont nous parlons. Lucus erat , dit Tite Live, L. ï., quern medium ex opaco specu fons perenni rigabat aqua. Il persuada aux Romains qu’il avoit, dans cette grotte, des fréquents entretiens avec la nymphe Égérie, qui en étoit la nayade, Ce fut là qu 5 il composa le premier code de législation qui servit à adoucir les mœurs de ce peuple grossier, à lui inspirer l’esprit de société , le respect pour les dieux,, et des sentimens patriotiques qui l’ont rendu d’abord respectable à ses voisins , et ensuite à tout l’univers. D’après cela , les Romains regardoient celte fontaine comme sacrée. Tout contribuoit à la rendre agréable ; l’aménité de son site, la limpidité de ses eaux, enfin le bosquet toujours verd qui l’ombragçoit j non content de la voir ainsi décorée par la nature, ils y joignirent les ornemens de l’art. Ils la firent couvrir d’une voûte spacieuse, sous laquelle ils pratiquèrent des niches pour y placer les statues des muses. La nymphe Egérie y eut aussi la sienne, de même que Numa. Cette voûte existe encore, ainsi que la statue de Numa, qui est cependant très-mutilée. Près de là, se trouve un petit bois, reste, sans doute, de celui de Camène, composé d’arbres toujours verds, comme chênes verds , lauriers de différentes espèces, arbousiers, etc. Juvenal, accompagnant son ami Ambricius, qui partoit pour Cume, après avoir passé la porte Capèue, dit . In vallem Egeriæ descendimus , et spelunccis Dissimiles yVeris , quanto prœstantius esset , Numen aquæ , viridi si margine cîauderet undas ’ Herba , nec ingenuum violarent marmora tophum? C’est-à-dire Nous descendîmes ensemble, dans celte vallée d’Egérie, près de ces grottes qui ne sont rien moins que naturelles. Ah ! que les Nayades qui régnent dans ces eaux , en qu’il convient, quand on aura y un e pente raisonnable, depuis la source jusqu’aux murailles de la ville, de construire des regards, D distants l’un de l’autre de la longueur de quatre mille pieds, afin que, si l’on devoit réparer quelque chose dans les tuyaux, on ne obligé de fouiller tout le long de la conduite, jj et qu’on trouve aisément l’endroit où est le mal. On ne doit pas, ajoute-t-il, faire ses regards, » Castella , sur les pentes ni dans les enfoncemens, etc. > D’après celaj j’ai cru comme Perrault, que je devois rendre le mot castellum par celui de regard. Cependant, au commencement de ce chapitre, par le mot castellum , notre auteur n’entend pas précisément un regard , comme nous' venons de le définir ; il entend un édifice qui contient des réservoirs élevés pour recevoir l’eau, qu’y amenoieni les aqueducs, èt pouvoir ensuite faire commodément la disiribuiion nécessaire, comme il est indiqué par la lettre L, fig. 5 , plane. XXIII. Contre ce château, ou regard, on construisoit trois réservoirs ou réceptacles d’eau ; les deux qui Ctoient sur les côtés s’élèvoient davantage, et celui du milieu étoit plus bas ; les tuyaux marqués j j , 2, 3 , versent également l’eau du premier réservoir dans les trois autres, et les deux tuyaux marqués 4 et 5, versent dans le réservoir du milieu, l’eau qui est surabondant dans les deux i. i troi? faille d’Italie font une lieue de France, réservoirs, vu. 384 LITRE. TIU, Ch» à; p. réservoirs j l’un envoyoit l’eau dans ' les- bains, 1 autre aux maisons des particuliers , et celui du milieu l’envoyoit aux lavoirs et aux fontaines jaillissantes» tels ëtoient> les- grands regards, c’est-à- dire , les réservoirs principaux qu’on- faisoit pour chaque aqueduc , contre les murs de la ville. Celui de YAqua Claudia existe encore à Rome , près de la porte Majeure ; mais ' comme nous l’apprend Frontin , il se trouvoit, dans l’intérieur même de la ville , plusieurs regards particuliers qui servoient pour subdiviser et distribuer l’eau des trois premiers canaux. ' L’un des réservoirs de côté envoyoit ses eaux , à ce que dit Vilruve, aux bains publics, et l’autre aux maisons des particuliers; et ce qui. étoit de trop dans ces deux réservoirs, tomboit dans’ celui du milieu, qui envoyoit les siennes dans les lavoirs, de sorte, ajoute-t-il, que l’eau nécessaire au public ne manquera pas, et les conduits des particuliers ne pourront en détourner le cours. Frontin rapporte un sénatus-consulte, qui défendoit aux particuliers de prendre l’eau ailleurs que du château., sans doute pour les obliger de payer la taxe , à laquelle on les imposoit pour cet objet, et qu’on employoit , comme nous l’apprend Vilruve , à entretenir les aqueducs publics. Nous avons déjà remarqué que , dans l’ancienne Rome, les ouvrages se faisoient par entreprise * il y avoit donc des entrepreneurs chargés d’entretenir les eaux et les aqueducs ; c’étoit à eux qu’on remettoit le produit de celle taxe. Frontin, que nous avons déjà cité, nous apprend qu’anciennement, c’est-à-dire , quand Rome n’avoit pas celle grande abondance d’eau qu’on y introduisit par la suite , au moyen d’une quantité d’aqueducs , toute l’eau qui entroit dans la ville , étoit d’abord réservée pour le service public. Il n’étoit permis aux particuliers de détourner pour leur usage propre que celle qui tomboit, c’est-à-dire, celle qui étoit de trop pour l’usage commun. Apud antiques omnis aqua in publicos usus erogabaturlegeque cautum ita fuit , ne quis privatus aliam ducat , quam quoe ex lacu humum accedit. .... Quœ ex lacu abun- davit eam nos caducam vocamus. Tellement que l’eau servoit d’abord pour les bains et pour les lavoirs publics ; ensuite, celle qui tomboit étoit distribuée entre les particuliers , qui payoient pour cela une certaine redevance. Eratque vectigalis statuta merces quœ in publicum penderetur. Ce fut d’abord le peuple qui choisissoit les entrepreneurs qui dévoient avoir soin des eaux. Tute - lam autem singularum aquarum locari solitum invenio , positumque redemtoribus necessitatem certum numerum circa ductus extra urbem , et certum in urbe servorum opificum habendi 1 . Auguste, et, après lui, tous les empereurs s’attribuèrent cette entreprise, s’emparèrent de la taxe imposée pour cet objet, et entretinrent à leurs dépens, ou à celui du public, les eaux et les aqueducs. Comme Perrault, j’ai cru que le mot lacus signifioit un lavoir, c’est-à-dire, des fontaines, oit le peuple alloit laver les draps, et chercher toute l’eau dont il avoit besoin. Au mot lacus , l’auteur ajoute, et salientes comme Perrault, j’ai rendu cette expression par fontaines jaillissantes. Galiani dit qu’il est tenté de croire que lacus signifioit le bassin qui reçoit l’eau, et que salientes signifioit la fontaine avec le tuyau qui répandoil l’eau, soit horizontalement , soit en la fusant jaillir dans ce bassin. Il ajoute qu’on devroit examiner si Nardini ne s’est pas trompé , \ 0 Frontin , L. II. 49 385 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. r~ lorsqu’il avance que beaucoup de ces endroits de Rome, nommés lacus , étoient de véritables lacs, produits par les eaux de pluies ou de fontaine. Je ne puis cependant croire, ajoute-t-il, que la police de Rome auroit toléré de semblables cloaques au milieu de la ville ; je crois plutôt qu’on doit entendre par-là une espèce de lac artificiel, c’est-à-dire, le bassin de la fontaine. v. * i ' Après avoir décrit le château ou regard qui dislribuoit l’eau, pour les divers besoins des habi-, tans, l’auteur observe , cjue s’il se rencontre des montagnes entre la source de la fontaine et la ville, qu’il faut les percer en formant un souterrain ; que si ces montagnes sont formées de terre ou de sable , on doit construire des deux côtés du souterrain, dans toute sa longueur , deux murailles , pour soutenir les terres, et y faire des puits de 4 o toises en 4 o toises , 1 uti inter duos 1 sint actus 1. . L’aqueduc dont j’ai déjà parlé qui amenoit l’eau dans la piscine merveilleuse , au cap Mi- sène , traverse plusieurs montagnes qu’on a dû percer ; cet aqueduc a vingt milles de long ; il amenoit l’eau dans celte piscine , qui servoit de réservoir d’eau douce pour la flotte romaine. On voit qu’il a été dirigé' d’après les principes que Vitruve rapporte dans ce chapitre ; il ne sert plus présentement, et se trouve même détruit en partie;, mais dans plusieurs, endroits, entre-autres, lorsqu’il forme des souterrains au travers des montagnes, ces parties sont intactes, ce que j’ai vu moi-même; il a quatre pieds de haut sur deux et demi de large; les parois intérieures des murs sont en opus reticulatum. La piscine elle-même est un des monumens les plus admirables, et des mieux conservés que nous ont laissés les Romains. C’est un grand édifice cape, long d’environ cent quatre-vingts pieds, sur cent vingt-huit de largeur, porté par quarante-dmit pilastres, placés sur quatre lignes; il est construit dans l’intérieur de, la montagne qu’on a, creusée à cet effet. Dans le chapitre i. er du I. er livre, l’auteur, voulant montrer que l’architecte doit connoître la philosophie, ou pour mieux dire, là physique, dit, que saris son secours , il ne pourroit obvier à' l’effort des vents qui s’engendrent dans l’eaulorsqu’elle’est enfermée. C’est pour faciliter l’échappée K de ces vents qu’il veut qu’on fasse de 120 pieds en 320 pieds des soupiraux; il appelle ces soupiraux des puits, puteos , parce qu’ils sont enfoncés dans la terre en forme de puits , jusqu’à l’aqueduc , qui forme une voûte souterraine. Un peu après , quand il dit que l’aqueduc doit être porté sur des arcades , il appelle ces soupiraux des colonnes, columnaria , parce qu’en effet elles ressemblent à des colonnes. Voyez planche XXIlI, f fig. 5 , lettres C et D. j; - ’ Pour indiquer la distance qu’il doit y avoir entre chacun de ces soupiraux , l’auteur emploie le mot actus. On sait que Yactus chez les Romains, étoit une longueur de 120 pieds. Je crois avec Perrault et Galiani, qu’après le mot actus , il y avoit un nombre ainsi marqué H, cpii manque dans les manuscrits, tellement qu’il fauclroit lire, uti inter duos scilicet puteos sint actus II. C’est-à-dire qu’entre chaque puits, il y avoit, comme nous l’avons dit, quarante toises car s’il n’y avoit qu’un actus, ce seroit environ 20 de nos toises; espace bien court et qui mullipheroit très-inutilement les soupiraux le long de l’aqueduc, au point'que sur une lieue, il faudroit 100 1 L 'aclus chez les Romains 'toit une longueur de no pieds comme on Je verra ci-après. LIVRE VIII, C b k p, , , 36 puits. Ce qui prouve encore plus en faveur de cette correction , c’est que Fauteur dit, sint actus au pluriel ; il entend donc qu’il devoit y avoir plusieurs actus , autrement au .lieu de sint , il auroit dû mettre sit. t r • r ' * ' t; . Les anciens employoient, de même que nous, des tuyaux de plomb oUjde poterie pour conr duire les eaux 5 ils indiquoient les divers ; palib res des tuyaux , par. le, nombre de doigts que conte- noit la largeur de la lame de plomb avant d’être tournée pour former un tube, c’est-à-dire, par sa circonférence. On sait que la circonférence est égale à trois diamètres, plus , une septième partie du diamètre, c’est-à-dire , comme 22 est à 7; par conséquent, il est aisé d’après le nombre de doigts que ! Yitruve assigne à la circonférence de chaque espèce de tuyaux, de connoître leur diamètre. ^ , Nous lisons dans Frontin , articles 24 et a 5 , que le doigt étoit la quantité qui servoit à régler la proportion qui se trouvoit entre les mesures qu’on employoit pour l’eau 3 mais que c’éloit le diamètre , qu’on divisoit en plusieurs doigts et non la circonférence. On ajoute qu’Agrippa , et suivant d’autres , Yitruve introduisit l’usage de mesurer l’eau, d’après un certain module, appelé quina - rius. Ceux qui en attribuent l’invention à Agrippa, disent qu’on appelle ce module quinarius , parce qu’il étoit divisé en cinq modules très-petits , qui n’étoient pas plus gros qu’un tuyau de plume; que c’étoit d’après ce petit module qu’on dislribuoit l’eau à Rome, lorsqu’elle y étoit encore rare, avant qu’on y eût introduit les fontaines dont nous avons parlé. Ceux , au contraire , qui font Yitruve auteur de cette espèce de mesure , disent qu’on l’appeloit ainsi, parce qu’il conte- noit la largeur de cinq doigts, qui étoit celle que Ailruve assigne à la plus petite des lames de plomb dont on devoit former des tuyaux. D’après cette dernière réflexion, Galiani est porté à croire que c’est plutôt Yitruve qu’Agrippa qui a introduit l’usage du module nommé quinarius. Un des grands avantages qu’offrent les tuyaux pour la conduite des eaux, c’est qu’y étant enfermées, on peut les faire descendre dans le fond des vallées, et ensuite remonter sur la côte opposée ce qu’on ne peut faire avec des aqueducs, qu’il faut toujours maintenir de niveau ou en pente; tellement que quand ils doivent traverser des vallées , il n’y a d’autre moyen que de les faire porter par des arcades. Une précaution qu’on doit avoir à l’égard des buses, c’est d’éviter dans tous les détours verticaux ou horizontaux, de former des angles trop aigus; il faut de plus renforcer tous ces coudes, afin qu’ils résistent au choc de l’eau qu’on détourne dans cet endroit. C’est pour cela que Yitruve exige qu’on ne fasse pas remonter tout de suite l’eau qu’on aura conduit par des buses au fond d’une vallée , parce que l’angle ou le coude ne pourroit résister au choc de l’eau ; il veut qu’on la conduise à peu près horizontalement dans un certain espace, avant de la faire remonter; ç’est ce qu’il appelle un ventre. } Il seroit assez curieux de connoître ce qu’il entend par les pierres qu’il nomme saxi rubri , pierres rouges , et qu’il veut qu’on emploie pour former les coudes, lorsqu’on se buses de poterie. Il est probable que c’est celle terre pétrifiée, ou tuf , dont la couleur est quelquefois d’un noir grisâtre , et quelquefois rosacée , qui se trouve en abondance dans les environs de Rome 49 - L'ARCHITECTURE DE' VITRUVE. 3*7 ou comme le soupçonne Galiani, celte autre pierre d’une couleur rouge de feu, qui se trouve dans les environs de Sienne , et qui est aussi dure que la pierre de touche. Nous avons vu qu’on préféroit à Rome les tuyaux de poterie à ceux de plomb , pour conduire les eaux. Dans un climat comme celui où se trouve la ville de Rome, les tuyaux de poterie n’avoient pas l’inconvénient, qu’ils ont souvent dans les nôtres, de se briser par la gelée, lorsqu’ils ne sont pas enfoncés bien profondément dans la terre. N’ayant pas cet inconvénient, il est tout simple qu’on leur donnoit la préférence, puisqu’ils coùtoient moins ; qu ? il étoit plus aise de les réparer, et enfin, qu’ils n’engendroient pas, comme ceux de plomb, la ceruse que les anciens croyoient vénimeuse. Nous avons vu dans le 12. chapitre du VII. e livre, que la ceruse se fait avec le plomb , par l’intermède de l’acide. Il sembleroit donc que l’eau, qui séjourne dans ce métal, ne suffiroit pas pour en extraire la ceruse cependant comme on ne peut nier que, dans toutes les eaux, il ne se trouve quelques parties acides ou salines, nous devons adopter le senti* ment de Titruve. La ceruse , toutefois , n’est pas en elle-même aussi dangereuse qit’il le croit ce n’est que ltf préparation des matières premières qui nuit souvent aux ouvriers. Les diverses opérations qu’exige la connexion du plomb avec les acides pour produire la ceruse, J le transport des matières, et le battage font naître une poussière fine, qui couvre les ouvriers, pénètre dans les poumons par le nez et par la bouche; ce qui leur cause des maladies le plus souvent mortelles. Les manufacturiers en Angleterre, ont trouvé le moyen de parer à cet inconvénient. Pour ne rien laisser à desirer sur les moyens de procurer de l’eau aux habitations, l’auteur, après avoir indiqué tout ce qu’il faut faire pour amener l’eau courante, indiqué ce qu’on doit faire lorsqu’on ne peut avoir celle-ci; c’est-à-dire, qu’il enseigne comme on doit enfoncer les puits,, et construire des citernes. Nous voyons par ce qu’il nous dit, qu’on connaissoit de son temps, l’effet du mauvais air, qui se fixe très-souvent au fond des puits, et qu’on connoissoit également le moyen d’y remédier en approfondissant d’autres puits à côté, et les faisant communiquer avec le premier par des galeries souterraines, pour établir la circulation de Pair. C’est le moyen qu’on emploie depuis des siècles dans les minières de notre pays. Nous voyons qu’il étoit en usage dans les treizième et quatorzième siècles. Les Liégeois, qui ont toujours eu une correspondance très-active avec Rome, avoient sans doute rapporté dans leur patrie, ce qu’ils voyoient pratiquer dans les minières d’Italie, où on avoit probablement toujours suivi le moyen indiqué par Vitruve. L’expérience qu’il conseille pour s’assurer si l’air est mauvais au fond du puits, est immanquable ; on l’emploie encore tous les jours. U » faut y descendre, dit-il, une lampe allumée; si elle ne s’éteint pas, on peut y descendre sans » danger; mais si la force de la vapeur la fait éteindre, il faut creuser, à côté, deux nouveaux puits. Lorsque nos ouvriers mineurs voyent leur lumière s’éteindre , ou prête à s’éteindre dans les puits ou les galeries souterraines, ils jugent alors que l’air y est malsain, et ils éprouvent eux- mêmes, s’ils y restent encore quelque temps, qu’il n’est plus respirable; ils ne peuvent résister, ils tombent en foiblesse et périssent si on ne les transporte bien vîte hors de la minière. II est éton*- nant quun homme aussi instruit que l’étoit Perrault , ignorât tout cela; il ne peut concevoir qu’après avoir creusé un puits, on ait besoin d’y descendre une lampe , pour s’assurer si on peut y descendre soi-même sans danger que cette lampe, en s’éteignant, fasse connoîlre si les vapeurs * 388 LIVRE VIII, CrH AP. VII . sont dangereuses; et que le remède soit de creuser deux autres puits pour exhaler les vapeurs du premier. Car , dit-il , les deux nouveaux puits auront aussi leurs vapeurs dangereuses. Pour concevoir, » ajoute-t-il, que ces nouveaux puits diminuent la .vapeur du premier, il faudroit supposer qu’il n’y » avoit dans la terre qu’une certaine quantité de vapeur dans le premier puits , qui , étant partagée » entre les deux autres, doit diminuer la quantité de celui-ci. » Ce n’est pas , comme le croit Perrault , une vapeur qui se trouve sous la terre ; mais un air qui n’est pas respirable , qui se fixe au fond des puits et y devient stagnant ; on l’évite en établissant un courant d’air au moyen d’un autre puits qu’on fait communiquer avec celui-ci par une galerie. Vilruve ne dit cependant pas ici le point essentiel ; c’est qu’il faut que l’ouverture de ce dernier puits soit plus élevée -quenelle de -l’autre, pour prendre une colonne d’air moins dilaté, et par conséquent plus pesant, qui, par son poids, force l’air, qui est dans l’autre puits, de sortir, et le remplace continuellement , ce qui établit la circulation. Vilruve est encore plus dans l’erreur, lorsqu’il veut qu’on fasse deux autres puits à côté du premier; un seul suffit pour établir cette circulation. Les mots latins signinis operibus ne signifient pas proprement une citerne, mais cette espèce d’ouvrage fait avec des cailloux , ce qui s’appelle en Italie le smalte dont nous avons déjà parlé. ÎPai rendu ces expressions par le mot citerne , parce que c’est ainsi qu’on nomme les réservoirs qui reçoivent les eaux qui tombent des toits. Gaiiani est étonné de ce que Vitruve n’exige qu’une seüle couche de chaux et de cailloux concassés pour l’enduit des citernes, tandis que dans le i. cr chapitre du VII. livre, il en exige beaucoup plus pour le pavé des maisons ; il croit que Vitruve n’a voulu parler ici que de la première couche dite statumen , et tout au plus de la seconde dite rudus , et qu’il a négligé de parler des autres. Nous voyons que tout l’intérieur de la citerne dont nous avons parlé , où l’on conservoit l’eau douce pour la flotte romaine au cap Misène , appelée la piscine admirable , étoit couvert d’un dernier enduit, composé de chaux et de tuiles concassées c’est celui que l’auteur nomme la trulisation. L’ARCHITECTURE DE Y I T R U y E. LIVRE NEUVIÈME. I N T R O ,D U C T I O N. . î ; ; Les anciens Grecs accordèrent les plus grands honneurs aux Athlètes qui s etoient rendus célèbres et qui avoient remporté le prix aux jeux olympiques , Pithiens, Isthmiques et Néméens; non contens de les combler de louanges , dans les assemblées publiques , où ils paroissoient portant des palmes et des couronnes, ils voulurent encore qu’ils retournassent dans leur patrie, sur des chars de triomphe , et que la république leur assignât des pensions pour le reste de leur vie. Ka-t-on pas lieu de s’étonner qu’on n’ait pas rendu les mêmes honneurs , et de plus grands encore , à ceux dont les écrits ont été si utiles à tous les siècles et à tous les peuples? Cela, certes, eût été bien plus juste, puisque les exercices des Athlètes ne servent qu’à rendre leur corps plus fort et plus robuste ; tandis que l’étude de ceux qui composent des livres, perfectionne non - seulement leur esprit, mais dispose encore celui des autres à apprendre les sciences. En effet, quel bien Milon de Crotone a-t-il fait aux hommes , pour n’avoir jamais été vaincu? Et qu’ont fait tant d’autres , qui ont remporté de pareilles victoires ? si ce n’est d’avoir acquis pendant ,1e cours de leur vie , beaucoup de gloire et de réputation parmi leurs concitoyens î Au lieu que les leçons de Pylhagore, de Démocrile, de Platon , d’Aristote et des autres grands hommes, lues et mises en pratique, devinrent d’abord un fruit utile pour leurs concitoyens , et ensuite pour tous les peuples , de quelque nation Jî corn fi, cel] lITOTl Ès les Il l’adres î Wt qu ’tloses e Ont tonj ïws de f prouver ’ Siffle 1 ' PNcij ^ème -, ! *loit $ Introduction. 3 9 ° qu’ils fussent; car, c’est à ceux qui, dès leur tendre jeunesse, ont orné leur esprit d’une bonne doctrine et des excellens principes de la sagesse, qu’il appartient de régir les villes par de bonnes lois, sans lesquelles il est impossible que les états puissent subsister. Si les grands hommes sont les premiers bienfaiteurs de l’humanité , par les ouvrages qu’ils publient, je crois qu’ils méritent, non - seulement d’être honorés par des palmes et des couronnes, mais qu’on doit encore leur décerner des’ triomphes , et les mettre ail rang des dieux. Je me propose de rapporter quelques exemples des découvertes les plus utiles à la vie humaine et à la société, que des auteurs anciens nous ont transmises dans leurs écrits ; on avouera qu’ils méritoient autant d’honneur que de reconnoissance. t Je commencerai par une découverte de Platon ; de toutes celles qu’il a démontrées, celle-ci est la plus utile ; voici comme il l’explique. REMARQUES. Aristote , dans la XXX. c section de ses problèmes , examine quelles sont les raisons pour lesquelles les anciens honoroient plutôt les athlètes que les savans ; il en rapporte deux la première est qu’on estime et qu’on admire les choses qui se font par la puissance humaine , et non pas celles que la puissance humaine trouve faites. Or, dit-il, la victoire d’un athlète est l’ouvrage de la force et de l’adresse du corps ; au lieu que toute l’intelligence d’un philosophe ou des mathématiciens n’aboutit qu’à trouver ce qui existe déjà sans elle, puisque les plus belles spéculations se, font sur des choses existantes avant la spéculation. Par exemple, les trois angles de toutes sortes de triangles auroient toujours été égaux,, à deux droits, quand personne n’y auroic-jamais pensé. La seconde raison , c’est que tout le monde peut juger de la force du corps. Il n’y a personne qui ne puisse dire quel est celui qui surpasse les autres à la course, à la lutte et dans les autres exercices de ce genre. Il n’en est pas de même des productions de l’esprit les personnes qui ont assez de lalens et de lumières pour les juger, sont en trop petit nombre. Les trois premiers chapitres de ce livre , devroient faire partie de î’fntroduction , puisqu’ils contiennent trois découvertes faites par d’anciens philosophes , que l’auteur rapporte comme exemples, pour prouver l’avantage de la philosophie. Le premier chapitre en contient une de Platon , le second une de Pythagore , et le troisième , enfin , une d’Archimède. Elles n’ont aucun rapport avec l’objet principal de ce livre, qui traite de la gnomonique. Ensuite , la manière dont l’auteur termine le troisième chapitre, prouve évidemment que c’étoit seulement là que finissoil l’introduction, et que devoit commencer le livre. Cependant, à l’exemple de Galiani, je n’ai rien voulu changer à l’ancienne division des chapitres; mais , comme lui, je me suis abstenu d’y mettre des titres pour les distinguer des autres. i L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE PREMIER. Y eut-on doubler la grandeur d’une pièce de terre qui soit carrée, de manière que ce double soit aussi un carre' ? Il faut se servir de lignes, parce qu’on ne peut le faire par la multiplication des nombres. Voici comme cela se démontre Si l’on veut qu’une surface carrée T qui a , par exemple, dix pieds de long et autant de large, et qui fait par conséquent cent pieds de surface, soit doublée, et qu elle contienne deux cents pieds, en conservant toujours la figure carrée, on doit chercher quelle doit être la grandeur des côtés de ce carré, pour que la multiplication de ces côtés produise les deux cents pieds, que doit avoir la superficie, ce qu’il est impossible de trouver par les nombres car si l’on fait les côtés de i4 pieds, leur multiplication fera 196 ; si on les fait de i5, ils produiront 225; de sorte que cela ne pouvant s’expliquer par les nombres, il faut dans ce carré, qui a dix pieds de long, et dix de large, tirer une ligne diagonale, d’un angle à l’autre, pour le diviser en deux triangles égaux, qui aient chacun cinquante pieds de surface ; et sur la longueur de cette diagpnale, on décrit un autre carré. Il se trouvera alors que le grand carré aura quatre triangles égaux et pareils , tant pour la grandeur que pour le nombre de pieds, aux deux petits triangles de cinquante pieds chacun, qui ont pour base la diagonale du petit carré. C’est ainsi que Platon explique la manière de doubler le carré, en se servant de lignes, comme on le voit clairement par la figure. REMARQUES. . On voit par la figure ici jointe, que le carré ABEF, tracé sur la diagonale AB, est double du petit carré AC BD, dans lequel on a tiré celte diagonale. Il est reconnu engéomélrie, qu’en multipliant par elles-mêmes, les quantités qui divisent la longueur d’un des côtés du carré, on aura l’étendue de sa superficie ; il est encore reconnu, par conséquent, que le côté AC du carré, est incommensurable avec sa diagonale AB. 11 est donc impossible d’indiquer avec des nombres, la longueur de la diagonale d’un carré dont on connoît le côté. C’est ce que Vitruve entend quand il dit qu’on ne peut trouver un nombre qui, multiplié par lui-même, donne un carré qui soit le double d’un autre , qui a été produit par un nombre donné. La démonstration qu’il en donne ici, est plutôt pratique que géométrique. En géométrie, la démonstration de celte proposition ou problème, dépend et se fait de la même manière que celle de la célèbre proposition d’Euclide, qui est la 47 . de son I. er livre, dont il sera parle dans le chapitre surfant parce que le carré de l’hypothénuse AB, LIVRE IX;' Ch A'p; n. 3 92 qui est ici la diagonale du petit carré, est égale aux deux carrés des cotés AC, CB; ici les deux côtés étant égaux , c’est la même chose que si l’on disoit que ce carré est le double de celui dans lequel se trouve la diagonale. ês.\ é s. ^.carres. p. carré s. CHAPITRE II. ythàgore a, de même, inventé la manière de tracer un angle droit sans employer l’équerre dont se servent les ouvriers. Par là , il a perfectionné cet instrument qu’ils avoient tant de peine à fabriquer. Il a démontré les règles qu’on devoit suivre , et enseigné la véritable méthode de les faire très-exactes. Voici comment. ’llJÊ arrti lit f J y On prend trois règles, l’une de trois pieds , l’autre de quatre et la troisième de cinq ; on les dispose de manière que leurs extrémités se joignent et qu elles composent ainsi un triangle qui formera une équerre parfaite. Si l’on trace sur la longueur .de ces trois règles , autant de carrés , on verra que celui dont le côté sera de trois pieds , aura neuf pieds de superficie ; celui dont le côté en aura quatre , sera de seize pieds de superficie ; et celui dont le côté aura cinq pieds , sera de vingt-cinq de plus , si on réunit le nombre des pieds que contiennent les superficies des deux carrés , dont l’un a trois et l’autre quatre pieds de chaque côté, on trouvera qu’il sera égal à celui que contient la superficie du carré qui a cinq pieds de chaque côté. On dit qu’après avoir fait cette découverte, Pythagore en rendit grâce aux Muses , et qu’il leur fit un sacrifice , parce qu’il ne doutoit pas que cette invention ne lui eut été inspirée par ces déesses. no L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Cette de'couver te est très-utile dans beaucoup de circonstances , principalement pour mesurer ; elle est aussi d’un grand usage dans la construction des édifices sur-tout pour régler la hauteur des degrés des escaliers puisqu’on divise en trois toute la hauteur AB, depuis-le rez-de-chaussée jusqu’au premier étage, on donne cinq de ces parties au limon de l’escalier AC, ce qui fait précisément la longueur de sa pente. Avec une grandeur égale à chacune des trois parties qui divisent la hauteur , qui se trouve entre le premier étage et le rez-de-chaussée, du point B, où la perpendiculaire de cette hauteur le joint, on mesure quatre parties BC, et à l’extrémité on place les premiers degrés, qui, par ce moyen , seront également bien proportionnés , ainsi que l’escalier. On verra la description de tout cela dans la figure suivante. RE M ARQUE S. Tout ce que fauteur avance dans ce chapitre , se trouve démontré dans la 47 . me et la 48. m * proposition du I. er Liv. d’Euclide , où l’on voit que le carré de l’hypoihénuse , c’est-à-dire, celui q*u’on trace sur le côté d’un triangle, opposé à l’angle droit, est égal aux deux autres carrés tracés sur les deux autres côtés ; et cela est vrai de tous les triangles rectangles. Celui de Pythagore a cela de particulier^ que les côtés du sien sont comme de nombre à nombre. LIVRE IX, C n a p," ni. Vi Cicéron dit que Pylhagore avoit coutume d’immoler un bœuf, toutes les fois qu’il découvroit quelque chose de nouveau dans la géométrie ; mais Athénée rapporte qu’il en immola cent pour avoir découvert la proposition dont il s’agit. Galiani reproche à Perrault de n’avoir pas assez respecté le texte, dans ce chapitre, et d’y avoir fait trop légèrement plusieurs corrections. Par exemple ce traducteur françois veut qu’on lise, scapis scalarum , tandis que, dans tous les manuscrits , on lit scalis scaporum. Scapus signifie un fût de colonne, un trône , un poteau ; ainsi scapis scalarum , comme il veut qu’on lise, signifieroit le poteau qui sert de noyau ou de vis à un escalier rond. Perrault dit ensuite cc les » degrés des escaliers qui sont carrés oblongs, et qui ont des rampes droites, sont appuyés sur des poteaux inclinés suivant la pente des rampes les charpentiers appellent ces poteaux les limons de l’échelle. J’ai cru, ajoute-t-il, que Yilruve les a voulu signifier par scapi scalarum » car je crois avoir eu raison de corriger cet endroit, en mettant scapi scalarum , au lieu de scala scaporum , parce qu’il est vrai de dire que les escaliers ont des poteaux , et non pas que r les poteaux ont des escaliers. Yoici comme il auroit pu et dû faire la construction erit in scalis inclinatio scaporum. Rien ne répugne donc à laisser le texte tel qu’il est, pour signifier le limon de l’escalier, qui est une pièce de bois posée obliquement, et qui sert à porter les marches, ou un ouvrage en pierre , ou en maçonnerie destinée au môme usage. Ce limon est , en quelque manière, le régulateur de l’escalier ; on ne peut douter que ce ne soit de cette pièce que Yi- truve veut parler ici, et il éloit très - inutile de toucher au texte. D’après tout ce qu’on vient de lire, on voit que , chez les anciens, la longueur de la base d’un escalier étoit, à sa hauteur , comme 4 est 3 ; cette proportion étoit pour les escaliers des maisons car ceux des temples avoient une proportion toute différente , comme nous Pavons vu dans le 3. me Chap. du III. me livre. Aujourd’hui, en général, on fait la base de l’escalier le double plus grande que sa hauteur. CHAPITRE III. X Armi une infinité de découvertes admirables qu’a faites Archimède ; on distingue, sur-tout, celle que je vais rapporter, où il montre une grande intelligence d’esprit. Hiéron, s’étant placé sur le trône de Syracuse , et tout lui ayant heureusement réussi dans cette entreprise, résolut d’offrir une couronne d’or aux dieux immortels dans un de leurs temples ; il convint avec un ouvrier de lui payer une somme considérable pour la façon, et lui donna l’or au poids. L’artiste livra son ouvrage le jour qu’il l’avoit promis au roi, qui le trouva parfaitement bien exécuté ; et la couronne ayant été pesée, parut avoir le poids de l’or qu’il 5o. 3 9 5 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE; avoit donné. Par la suite, ayant quelqu’indice i que l’ouvrier avoit ôté une partie de 1 or qu’il avoit remplacé par autant d’argent , le roi fut très-offensé de cette tromperie ; mais ne pouvant trouver le moyen de convaincre l’ouvrier du vol qu’il avoit fait, il pria Archimède d’en occuper son esprit. Un jour qu’Archimède, tout occupé de cette affaire , se mettoit au hain, il s’aperçut par hasard qu’à mesure qu’il s’enfonçoit dans le hain , l’eau s’en alloit par dessus les bords 2 ; cette découverte lui fit connoître la raison de ce qu’il cherchoit, et sans tarder davantage , il sortit tout joyeux du hain , et courant tout nud vers sa maison, il se mit à crier qu’il avoit trouvé ce qu’il cherchoit , disant en grec ssupputa 3. On dit qu après cette première découverte, il fit faire deux masses de même poids qu avoit la couronne, lune d’or et l’autre d’argent. Il plongea dans un vase plein d’eau la masse d’argent, qui, à mesure qu’elle s’enfonçoit, fit sortir une quantité d’eau, égale à sa' capacité; l’ayant ensuite ôtée , il remit autant d’eau dans le vase qu’il en étoit sorti, le remplissant jusqu’au hord , comme auparavant ; ayant mesuré Jfeau qui étoit sortie, il connut la quantité d'eau qui répond à une masse d’argent d’un certain poids après cette expérience, il plongea de même la- masse d’or dans le même vase rempli d’eau ; l’ayant retirée, il mesura l’eau comme devant , et trouva que la masse d’or n’avoit pas fait sortir autant d’eau , et que le moins répondoit à celui qu’avoit le volume de la masse d’or comparé avec celui de la masse d’argent, qui étoit de même poids ; ensuite il remplit encore le vase et y plongea la couronne , qui fit sortir plus d’eau que la masse d’or, d’égal poids , n’en avoit fait sortir. Calculant enfin combien cette quantité surpassoit celle que la masse avoit fait sortir, il connut ce qu’il y avoit d’argent mêlé avec l’or, et fit voir clairement ce que 1 ouvrier en avoit volé. ... N . - - Quand on porte ses réflexions sur les pensées ingénieuses d’Architas de Tarente; et d’Eratosthène de Cirène , on voit combien ils ont fait de découvertes utiles aux hommes, dans les mathématiques ; quoiqu’elles soient toutes intéressantes , il en est une pour laquelle ils se sont, sur-tout, attirés notre admiration chacun cherchoit à résoudre le problème qu’Apollon avoit proposé dans sa réponse aux 1 Philander et Perrault ont cru que le mot indicium dérivoit à'index , dont on s’est quelquefois servi pour désigner la pierre de touche , qu’on emploie pour éprouver les métaux. Le dernier d’après cela a traduit dans ce sens ce passage de Vilruve. Galiani que j’ai suivi n’a pas adopté leur opinion ; il trouve que la signification qu’ils ont donnée à ce mot , répugne au sens de Fauteur ; si en effet , dit-il , le roi Hiéron avoit connu , par la pierre de touche indicium , le vol qu’on lui avoit fait , en mettant de l’argent avec For , il n’auroit pas dû avoir recours à Archimède. Galiani croit donc que indicium signifie ici , que ce roi eut des indices par une dénonciation ou autrement. 2 Il appelle ici solium , les bords de la baignoire J qu il a appelés labrnm dans le Chap. io du Liv. V. 3 C’est-à-dire , je Fai trouvé , je Fai trouvé. LIVRE IX, C h a p. in. 3 9 6 habitans de Delos; elle portoit qu’on fît un cube qui fût le double de celui de son autel ; que si on parvenoit à le faire , les habitans de l’isle seroient délivrés des maux que leur avoit attirés la colère des dieux. Àrchitas parvint à le faire au moyen des hémicylindres i , et Eratosthène par l'invention d’une machine appelée Misolabe 2 . Combien ne devoient-ils pas aimer les sciences, ceux qui ont fait de pareilles découvertes ! car rien ne satisfait plus l’esprit, qui, naturellement porté à pénétrer la vérité, cherche à connoître l’effet de chaque chose. Parmi tous les livres , je ne puis m’empêcher d’admirer ceux où Démocrite traite de la nature, et son commentaire qu’il- a intitulé Chirotoneton 3 , où il a marqué et cacheté avec son anneau et de la cire rouge, tout ce qu’il connoissoit par sa propre expérience. Les ouvrages de ces grands hommes resteront et seront utiles à jamais, non- seulement pour la morale, mais encore pour tout ce qu’il y a dé plus important; au lieu que la bravoure qui illustre les Athlètes, périt, en peu de temps, avec la force de leur corps. On peut même ajouter que, ni ce qu’ils ont pu faire par eux-mêmes, tandis qu’ils étoient dans la vigueur de l’âge, ou par ceux qui sont venus après eux, ni par les préceptes qu’ils ont donnés cle leur art, ils n’ont jamais pu procurer aucun avantage à la vie humaine, comparable à ceux qu elle reçoit des inventions des savants. Quoiqu’il n’y ait aucune coutume ou loi qui décerne de grands honneurs aux écrivains célèbres, cependant leur aine, accoutumée à méditer les objets sublimes, prend son essor avec le secours de la mémoire; elle s’élève. , pour ainsi dire , jusqu’aux eieux , d’où elle aperçoit tout ce qu’il y a de plus élevé ; ils les transmettent à la postérité, dans leurs écrits, et dans les figures qu’ils en laissent. Parmi les amateurs des belles-lettres, en est-il un seul qui n’ait limage d’Ennius gravée dans lame, comme si c’éloit celle d’un dieu? Ceux qui aiment les vers d’Accrus sont toujours avec cet auteur, qui s’est si bien dépeint dans ses ouvrages de même, combien ne sera-1-il pas agréable à ceux qui 1 viendront après nous, de s’entretenir, avec Lucrèce, des secrets de la nature, comme s’il étoit présent, et, avec Cicéron, de la rhétorique, ou, avec Varron, des propriétés de la langue latine? Tous ceux qui cultivent les belles-lettres ne confèrent-iis pas avec les sages de la Grèce, comme s’ils leur communiquoient leurs plus secrettes pensées ? Les conseils de ces anciens philosophes, quoiqu’ab- 1 C’est-à-dire demi - cylindres. ' * proportionnelles. Voyez les remarques à la fin du chapitre.. 2 C’est-à-dire qui sert à prendre deux moyennes 3 C’est-à-dire , choisi. % L’ARCHITECTURE D È Y I T R U Y E, sens, leur plaisent davantage ; et ils les trouvent plus solides que ceux qu’ils pourroient apprendre en conférant avec tous les philosophès de leur temps. C’est pourquoi, ô César ! appuyé de l’autorité de ces grands hommes et conduit par leurs conseils, j’ai écrit mes sept premiers livres, qui traitent des édifices, et le huitième, qui concerne les eaux. Dans celui-ci, j’expliquerai les règles de la gnomonique, et, comme on est parvenu aies établir, d’après l’ombre produite par l’interposition du gnomon aux rayons du soleil ; j’enseignerai encore dans quelle proportion cette ombre augmente pendant un certain espace de temps, et comme elle diminue ensuite. REMARQUES. Archilas de Tarenie ,’ célèbre philosophe pythagoricien , florissoit vers fan 4o8 avant Eratoslhène de Cirène, en Afrique, éloit un savant critique ; il fut disciple d’Ariston et de Callimaque , et bibliothécaire d’Alexandrie , sous Ptolomée Evergéte , roi d’Egypte ; il mourut ig4 ans avant , à 81 ans; il s’éloit appliqué à tous les genres de sciences, et trouva, le premier, la manière de mesurer la grandeur de la terre ; ce qui lui lit donner le surnom de cosmographe et arpenteur de l’univers. Selon Yitruve, on doit, à ces deux philosophes, la solution du problème de la duplication du cube. Cette découverte a été très-célèbre dans la haute antiquité. Les Grecs, qui aimoient le merveilleux , ont arrangé deux fables, pour la rendre plus intéressante ; elles sont toutes deux rapportées dans la lettre d’Eratosthène à Ptolomée, qui est parvenue jusqu’à nous. Nous venons de voir la première dans Vilruve, qui prétend qu’on a trouvé celle solution à l’occasion de l’oracle rendu par Apollon. Dans la seconde, on dit qu’ayant demandé à Glaucus quelle forme il vouloit qu’on donnât à son tombeau? Il répondit qu’il falloit faire un cube dont le solide fût double d’un autre cube, dont chaque face eût cent pieds de superficie. On crut d’abord parvenir à le faire, en cherchant à doubler les faces mais il arrivoit, qu’au lieu de les doubler, on les quadruploit ; ce qui produisoit un cube dont le solide* étoit huit fois aussi fort que celui qu’on vouloit seulement doubler. On proposa la question à plusieurs géomètres , qui ne purent la résoudre ; il n’y eut qu’un certain Hypocrate de Chio qui, après avoir réfléchi à la nature relative des cubes, reconnut que tout le problème se réduisoit à trouver deux moyennes proportionnelles, entre deux lignes droites, dont l’une fût le double plus grande que l’autre ; parce qu’en formant un cube sur la première des deux moyennes proportionnelles, celui-ci seroil au cube donné, en raison triple des côtés, comme la première de ces quatre lignes proportionnelles est à la dernière, c’est-à-dire, le double. .•Si nous en croyons les Grecs sur leur parole , voilà comme fut trouvée la solution de ce fameux problème. Il est plus probable cependant que les' Egyptiens la leur avoit fait connoître avec le reste de la géométrie ; mais il paroît qu’on la perdit par la suite , puisqu’elle fut le sujet des recherches de plusieurs savants , parmi lesquels on compte Platon, Archimède, Ménechme, Philon, Héron, LIVRE IX, C h a p. IV. 3 9 8 Pappus , Apollonius, etc. Ils parvinrent, par différentes méthodes, à la retrouver; mais c’est Descartes qui nous a appris, par un moyen aussi ingénieux que facile 3 le moyen de trouver les deux moyennes proportionnelles. Philander et Barbaro ont cherché à expliquer les méthodes d’Eratosthène et d’Architas , dont parle notre auteur ; mais ils l’ont fait d^une manière si obscure, qu’à peine peut-on les comprendre, sur-tout pour celle d’Eratosthène. Galiani y a suppléé; en suivant leur méthode, il a très - bien démontré et résolu ce problème. CHAPITRE IV. De la sphère et des planètes. Les inventions de la gnomonique semblent venir d’un esprit divin. Comme elles sont admirables pour ceux qui les considèrent avec attention ! On voit, par exemple, l’ombre d’un gnomon, pendant l’équinoxe, avoir une grandeur différente à Athènes, à Alexandrie, à Rome, à Plaisance i et dans les autres endroits de la terre; de là vient que la manière de tracer les cadrans, diffère quand on change d’un lieu à un autre car c’est d’après la grandeur des ombres équinoxiales, qu'on décrit les analèmes , au moyen desquelles on tire , suivant la situation des lieux et l’ombre des gnomons , les lignes qui indiquent les heures. On appelle analèmes 2 , les règles qu’on a établies d’après les observations, pour bien tracer le cours du soleil, selon l’accourcissement qui arrive aux ombres, depuis le solstice d hiver ; elles servent, à l’aide d’un compas conduit avec art, à décrire tous les effets que cet astre produit dans le monde. Par le monde, on entend tout ce que comprend la nature même, le ciel et les étoiles. 1 U est assez étonnant qu’il cite ici la ville de Plaisance, qui n’étoitpas une capitale comme Rome et Athènes , mais une ancienne colonie Romaine. Il est probable que l’auteur y avoit fait quelque séjour pendant lequel il aura fait des observations sur l’ombre du gnomon. 2 Du grec ctvxXïppcc, qui signifie hauteur, parceque ces règles servent à trouver la hauteur du soleil, a une heure quelconque, par une opération graphique. C est pourquoi on appeloit analèmes des espèces de cadrans qui montroient la hauteur que le soleil avoit tous les jours à midi ; par la grandeur des ombres du gnomon, ils n’indiquoient pas les heures, mais seulement les mois et les signes. Depuis on y joignit des cadrans horaires, par là , ils marquoient ensemble et les mois par la longueur des ombres , et les heures par leur inclinaison ce qui étoit nécessaire pour les cadrans d’alors , parce que, comme nous le verrons tout-à-l’heure, les Romains divisoient le jour en douze heures et les nuits également tellement que pendant une partie de l’année , c’étoit les heures du jour qui étoient plus longues que celles de la nuit ; et pendant l’autre , c’étoit le contraire. L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. 399 Le ciel tourne continuellement autour de la terre et de la mer, appuyé sur les deux extrémités de son axe. Dans ces deux endroits, la puissance qui gouverne la nature, a forme' et place' ces deux pivots comme deux centres, dont l’un va de la terre et de la mer, se rendre au haut du monde, auprès des e'toiles septentrionales l’autre est à l’opposite, sous la terre, vers le midi. Autour de ces pivots, comme autour de deux centres, elle a mis ce qu’on appelle en grec les pôles 1, c’est-à- dire , de petits moyeux 2 pareils à ceux d’une roue , ou de même qu’à un tour sur lesquels le ciel tourne sans cesse. La terre et la mer sont .placées naturellement au milieu, pour servir de centre; et la nature a disposé le tout, de manière que le plus élevé des pôles se trouve vers la région septentrionale, et l’autre, du côté du midi, est caché sous la terre. De plus, entre ces deux pôles, il se trouve comme une espèce de ceinture, qui traverse obliquement et s’incline vers le midi ; elle se compose de douze signes qui sont naturellement représentés par la disposition des étoiles, divisées en douze parties égales. Ces étoiles, avec le reste des astres qui luisent au firmament, tournent autour de la terre et de la mer, et suivent, dans leurs cours, la circonférence du ciel. Ces étoiles, de toute nécessité, sont alternativement visibles et invisibles, pendant un certain temps, puisqu’il y a toujours six signes qui tournent dans le ciel, sur lhorison ; tandis que les six autres , qui sont sous la terre , ne se voient point. Six de ces signes se trouvent toujours sur l horison , par la raison que voici autant le dernier signe se cache et s’abaisse sous la terre, emporté par le mouvement circulaire du ciel, autant le signe opposé , entraîné par le même mouvement, s’élève des lieux où il étoit caché , pour reparoîlre à nos yeux ainsi le même moteur les fait passer sans cesse de l’orient à l’occident. Les douze signes qui occupent chacun la douzième partie du ciel, ont donc perpétuellement leur cours d’orient en occident, tandis quau-dessous d’eux, par un mouvement contraire , la Lime, Mercure, Vénus , le Soleil même, Mars , Jupiter et Saturne , s’avancent comme s’ils montoient par des degrés du couchant au levant, chacun , par un cours particulier , sur des orbites de différente grandeur car la 1 C’est-à-dire les essieux, 2 Ce passage est assez obscur , d’autant que par orbiculos , il paroitroit qu’il auroit peut-être voulu entendre les cercles polaires, dans lesquels sont les pôles de l’écliptique , et autour desquels, tourne par conséquent le ciel particulier des planètes; mais en examinant bien les choses , jl/paroît que , par orbiculos , il a tout simplement entendu deux anneaux ou deux espèces de moyeux dans lesquels il suppose que tournent les extrémités de l’axe du monde. Aulugele dit , qu’outre les cinq cercles ordinaires , savoir l’équinoxial , les deux tropiques et les deux cercles polaires , M." Varro en mettoit encore deux autres plus petits qui touchent im- jxiédiatement l’axe qui les traverse. ' Lune V LIVRE IX, C h a p, iy. ^ 00 Lune fait son cours en vingt-huit jours, et un peu plus d’une heure , et fait ainsi le tour du ciel, à prendre du point d'un signe, jusqu’au même point i ce qui fait le mois lunaire. Le Soleil, dans l’espace d’un mois, parcourt un signe , qui est la douzième partie du ciel ; et passant ainsi en douze mois par l’intervalle des douze signes , il revient au point du signe d’où il éloit parti ; et il ne fait qu’une fois en douze mois , le circuit que la lune fait treize fois 2 . La planète de Mercure et celle de Venus, très-rapprochées des rayons du Soleil, 3 dans leur révolution forment un cercle autour de lui , dont il est le centre ; elles retardent quelquefois leur marche, et restent en arrière , faisant des espèces de stations à cause du genre particulier de leur circonvallation ce qui se voit clairement, lorsque la planète de Vénus suivant le Soleil , paroît encore très-luisante , après son coucher , quand on lappelle vesperrugo 4 ; ou lorsqu’elle le précède et se lève avant le jour , quand on la nomme Lucifer 5 de là vient aussi que ces deux planètes restent quelquefois plusieurs jours à parcourir un signe , et d’autres fois passent très- vite dans un autre. Quoiqu’elles ne mettent pas un temps égal , pour parcourir chaque signe , celui de leur circonvallation l'est toujours , d’autant que si elles sont arrêtées au commencement dans quelques signes , elles s’avancent ensuite plus vite dans les autres , lorsqu’elles sont délivrées de ce qui les arrêtoit. Mercure fait sa révolution de manière qu’en trois cents soixante jours , il parcourt tous les signes et parvient au point d’où il étoit parti pour commencer sa course ; le temps de sa route est également distribué, de sorte qu’il reste environ trente jours dans chaque signe. Lorsque la planète de Vénus n’est pas empêchée par les rayons du Soleil , elle ne reste que trente jours à parcourir l’espace d’un signe ; cependant, alors, et chaque fois qu elle s’y arrête moins de quarante jours , elle rétablit ce temps ensuite , en retardant davantage dans un autre signe ; tellement qu elle accomplit son cours , et 1 En astronomie , on distingue la révolution périodique , et la révolution synodique cette dernière est relative à la conjonction des planètes avec le Soleil. Ainsi, par exemple la révolution synodique de la Lune , est l’intervalle qui se trouve entre deux conjonctions successives de la Lune et du Soleil ; mais ici , l’auteur entend la révolution périodique , c’est-à-dire celle qui se termine au même point où elle a commencé. 2 Le mois lunaire étant de 28 jours environ, il est clair qu’il s’en trouve treize , dans une année composée de 364- jours. 3 On sait que Vénus ne s’éloigne jamais du Soleil plus de 4^ degrés et Mercure plus de 28. 4 C’est-à-dire l’étoile du soir. 5 C’est-à-dire l’étoile du matin. 5i L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. retourne toujours au même signe où elle a commencé son chemin , au bout de quatre cents quatre - vingt cinq jours. Celle de Mars fait son cours en six cents quatre-vingt trois jours, ou environ-, elle passe dans tous les signes, et revient à celui d’où elle étoit partie d'abord; elle l’accomplit toujours dans le même nombre de journées , parce que si elle a été un peu plus vite dans certains signes , elle s’arrête dans d’autres. Jupiter, par un mouvement qui est aussi opposé à celui du ciel, mais plus lent, reste environ trois cents soixante jours dans chaque signe; il reste onze ans et trois cents vingt-trois jours avant de revenir au signe dans lequel il se trouvoit douze ans auparavant. Enfin Saturne reste trente un mois et quelques jours à parcourir un signe .et revient , après vingt-neuf ans et cent soixante jours environ, au même signe où il étoit d’abord. Cette planète étant, pour ainsi dire, à l’extrémité du ciel, elle décrit un cercle beaucoup plus grand, ce qui fait que son mouvement paroît plus lent. Quand les planètes qui décrivent leur circuit au-dessus du soleil, sont en trine aspect, i avec lui, elles n’avancent plus; elles s’arrêtent, ou même reculent en arrière, jusqu’à ce que le soleil, changeant cet aspect, passe dans un autre signe. Il y en a qui croient que le soleil, étant alors fort éloigné de ces planètes, n’éclaire pas assez cette partie de leur route, et qu elles doivent s arrêter , ne pouvant se conduire dans l’obscurité. Ce n est cependant pas là notre opinion. 11 est trop visible que la lumière du Soleil s’étend par tout l’univers, pour qu’on puisse croire qu elle soit affoi- biie , et comme obscurcie par l’éloignement car nous ne cessons pas de la voir, lorsque ces étoiles font ce mouvement rétrograde, ou qu’elles s’arrêtent. Si nous pouvons donc voir la lumière du Soleil qui se trouve si éloignée., comment peut-on croire que les planètes , ces êtres divins, restent arrêtées dans Fobscurité, parcequ’elles ne peuvent apercevoir cette lumière ? il me paroît plus vraisemblable d attribuer cela à la chaleur qui attire tout à elle; nous voyons quelle fait élever les fruits de la terre ; qu’elle fait monter, jusqu’aux nues , les vapeurs des fontaines , quand il se forme un i Comme je l’ai déjà dit, les astronomes distinguent quatre aspects , pour les planètes , savoir trine, qua- drai, sextile et diamétral. Quand une planète est séparée d’une autre , par l’espace de quatre signes , qui font justement le tiers des douze qui composent tout le cercle du zodiaque , Us appellent cela trine aspect quand elles sont séparées par trois signes qui en font le quart, ils appellent cela quadrat aspect quand elles sont séparées par deux signes qui en font le sixième , ils appellent cela sextile aspect et quand elles sont séparées par six signes, qui font la moitié du zodiaque, ils appellent cela diamétral aspect cm opposition, are-en? ciel la puissante ardeur du soleil, lorsqu’il envoie ses rayons en triangle, attire, de même, à lui, les étoiles qui le suivent, arrête celles qui le précèdent, et modérant leur course, les empêche de s avancer, et les oblige au contraire de reculer pour rentrer dans le signe d’un autre triangle. On demandera, peut-être , pourquoi le Soleil, par sa chaleur , retient plutôt les planètes éloignées, comme quand elles sont dans le cinquième signe, que celles qui sont plus près dans les second et le troisième signes? voici comme je répondrai à cela. Les rayons du Soleil divergeant en ligne droite dans le ciel, forment des triangles équilatéraux, dont les côtés s'étendent jusqu’au cinquième signe; là seul, ils peuvent produire un effet; en-deçà , ou au-delà, ils n’en ont aucun; s’ils n’étoient fixés par ces triangles, quand ils se répandent circulairement dans tout le monde, ils brûleroient tout ce qui seroit près de lui. C’est ce qu’a très-bien remarqué Euripide, poète grec , quand il dit dans sa tragédie de Phaéton, que, qui est éloigné du Soleil, ressent plus ardemment sa chaleur, et quelle est plus tempérée à mesure qu’on s’en approche. Voici comme il s’exprime De loin sa chaleur est brûlante , De près elle est moins violente. Si la raison et l’autorité de cet ancien poète démontrent que les choses sont ainsi, je ne crois pas qu’on puisse avoir une autre opinion que celle que je viens de faire connoître. La planète de Jupiter faisant son circuit entre Mars et Saturne, le fait plus grand que celui de Mars et plus petit que celui de Saturne. Il en est de même des autres étoiles; plus elles s’éloignent du dernier ciel, et plus elles s’approchent de la terre, moins elles paroissent employer de temps pour achever leur cours; puisque celles qui font leur cours dans un plus petit cercle, devancent et passent plusieurs fois sous celles qui sont plus élevées ; de même que, si sur la roue d’un potier, on place sept fourmis, dans autant de cannelures creusées autour du centre de cette roue, qui formeront de plus grands cercles en s’éloignant de ce centre, et que les fourmis soient obligées de marcher en rond, pendant que la roue va d un mouvement contraire à celui quelles font en s’avançant; il est certain que, malgré le mouvement contraire de la roue , elles ne laisseront pas de poursuivre leur chemin, et que celle qui marchera le plus près du centre, aura bien plutôt achevé son tour que celle qui le fera dans la dernière cannelure , quoique l’une marchât aussi vite que l’autre ; parce que l ime a un bien plus grand cercle à parcourir que 1 autre. De même les astres qui vont L’ARCHITECTURE DE VITRUYE. ! 4o3 contre le cours universel du ciel, achèvent chacun leur circuit particulier; mais ce cours universel qui se fait en un jour ne cesse de les transporter en arrière vers le lieu d’où ils viennent. Il y a quelques étoiles qui sont tempérées, d’autres sont chaudes, et d’autres sont froides ; cela vient de ce que tout feu pousse *sa flamme vers le haut. C’est par cette raison que le Soleil enflamme et brûle, par ses rayons, tout cet espace appelé ÂEther, qui se trouve au-dessus de lui, et dans lequel la planète de Mars fait son cours aussi ; l’ardeur du Soleil la rend elle-même très-brûlante. Celle de Saturne, au contraire , qui touche aux extrémités du ciel, qui sont gelées, est extrêmement froide. Je viens de faire connoître tout ce que m’ont appris mes maîtres, sur le cercle des douze signes; sur les sept planètes, sur leur mouvement et leur cours contraire à celui des autres astres, sur la manière , et le temps qu elles mettent à passer d’un signe dans un autre, et comme elles achèvent leur circuit. Je dirai présentement, comme je l’ai encore appris des anciens, pourquoi la lumière de la Lune a son croissant ainsi que son déclin. Bérose, i venu du pays des Chaidéens, publia le système qu’il avoit répandu dans toute l’Asie ; il enseignoit que la Lune étoit une boule, dont une moitié est éclatante de lumière, et l’autre de couleur bleue lorsque dans son cours, elle se rencontre sous le globe du' Soleil, attirée alors par ses rayons, et par la force de sa chaleur, elle retourne vers lui sa partie brillante, à cause de la sympathie que ces deux lu mières ont enlr’elles; attirée directement ainsi sous le Soleil, elle tourne sa partie éclatante vers le haut; l’autre qui ne l’est pas reste invisible parce qu’elle a la même couleur que l’air quand donc elle se trouve perpendiculairement sous les rayons du Soleil, toute sa lumière se trouve répandue sur sa partie supérieure, et on l’appelle, dans cet état, première Lune. Quand elle s’avance ensuite vers la partie orientale du ciel, elle ressent moins l’ardeur du Soleil, et l’extrémité de sa partie éclatante paroît à ceux qui sont sur la terre, comme une petite ligne de lumière ; on l’appelle alors la seconde Lune. Quelques jours après, quand elle s’éloigne davantage , on l’appelle troisième Lune, et enfin quatrième Lune au septième jour, le Soleil se trouvant à l’occident, et la Lune entre l’Orient et l'Occident, c’est-à-dire au milieu du ciel ; elle tourne alors vers la terre la moitié de sa partie éclatante, parce que la moitié du ciel la sépare du Soleil* enfin quand la majeure partie du ciel se trouve entre le Soleil et la Lune ; que le Soleil passant à l’Occident, regarde par derrière le globe de la Lune qui est à l’Orient, comme elle est éloignée alors du Soleil, autant qu elle le i Voyez les remarques à la fin du Chap. Vïl de ce livre. ' LIVRE IX, C h a. p. îx. 4°4 peut-être , elle montre, en entier , la partie éclatante de son globe ce qui arrive le quatrième jour. Diminuant ensuite de jour en jour , elle accomplit le mois lunaire , en tournant sur elle-même , et s’avançant vers le Soleil, elle passe de nouveau sous son disque, et achève tout cela dans l’espace d’un mois. Le mathématicien Aristarque de Samos , a une autre opinion, qu’il fonde sur d’excellentes raisons, tirées des sciences qu’il possédoit. La voici. Il est certain, dit-il, que la Lune n’a d’elle-même aucune lumière; mais comme un miroir , elle reçoit celle du Soleil parmi les sept planètes, c’est elle qui fait son cours le plus près de la terre et en moins de temps ; chaque mois, elle passe sous le Soleil; le premier jour elle se trouve cachée sous son disque, et reste obscurcie; dans cet état de conjonction avec le Soleil, on la nomme nouvelle Lune le jour suivant, on la nomme seconde Lune, parce qu’alors elle s’éloigne un peu du Soleil qui commence à éclairer l’extrémité de son disque; le troisième jour, s éloignant davantage, cette lumière commence à croître, et ainsi s’éloignant tous les jours jusqu’au septième , la moitié du ciel, environ , la sépare du Solçil, quand il se couche à l oc- cident, et il éclaire seulement la partie de cette planète qui est tournée vers lui. Le quatorzième jour, lorsqu elle lui est diamétralement opposée, c’est la pleine Lune ; elle se lève alors quand le Soleil se couche, parce que tout l’espace des ci eux se trouve entre eux ; ainsi elle a le Soleil en face , et tout son disque reçoit ses rayons qui le rendent brillant de lumière. Le dix-septième jour, quand le Soleil se lève, elle se trouve près du couchant. Le vingt-unième jour, au lever du Soleil, la Lune est à peu-près, au milieu du ciel; la partie qui regarde le Soleil, est éclairée, le reste demeure obscur ainsi continuant sa course, elle se trouve le vingt-huitième jour sous le Soleil, et alors elle achève le mois. % Il me reste à expliquer comment le Soleil qui passe chaque mois dans un signe , augmente ou diminue et les jours et les heures. R E M A R Q U E S. Tout ce qu’on vient de lire sur la sphère , et le mouvement des planètes , est bien informe ; le faux y défigure par-tout le vrai. C’étoit les lumières du temps; on éloit très-ignorant alors, en fait de géographie, et de sphère. Les uns croyoient que la terre éloit un corps plat ; les autres un cylindre ; les autres enfin un tirnpan. Vitruve partageoit une de ces erreurs ; on voit que ses idées sur le globe terrestre n’étoient pas justes; il ignoroit sur-tout les trois différentes positions de la sphère , qui sont la sphère horizontale, la sphère verticale, et la sphère oblique; car il considère la sphère, comme si on devoit toujours la placer obliquement ; parce que c’est la position qu’elle doit avoir à Home ; il croit qu’elle ne doit pas en avoir d’autre, pour toutes les parties de la terre. L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. / f o5 A l’ordre qu’il suit en nommant les planètes, on reconnoît qu’il adopte les principes qui furent par la suite la base du système de Ptolemée , qui fait de la terre le centre immobile de Punivers. Ce fut cependant plus de cent cinquante ans après 1 que Ptolemée publia son livre intitulé ^ de la grande construction clés planètes , qui contient les principes du système qui a porté son nom ; mais il n’en étoit pas l’auteuril existoit long-temps avant lui ; il a seulement rassemblé dans son ouvrage , ce qu’Arislole et Possidonius avoient pensé sur l’arrangement du monde , en y ajoutant toutefois quelques réflexions qui étoient de lui. U est donc assez curieux de trouver dansYitruve, un traité d’astronomie écrit long-temps avant que Ptolemée n’ait publié le sien. Celui-ci en rédigeant son ouvrage , avoit rectifié tous les calculs et perfectionné l’ouvrage de ses prédécesseurs. 11 paroît que du temps de Vitruve , on n’avoit pas encore calculé, d’une manière bien exacte , le temps que les planètes employent à parcourir leur orbite, ou du moins , que Vitruve ne s’en éloit pas assuré ou que ses copistes auroieut fait plusieurs fautes ce qui est le plus apparent, puisque, dans le texte , on voit que Vitruve se contredit souvent. Je vais indiquer et tâcher de rectifier ces erreurs. Dans toutes les éditions publiées avant celle de Galiani , on lit que la planète de Jupiter reste 565 jours dans chaque signe. Il lui faudroit donc d’après ce compte , douze ans et vingt-deux jours pour accomplir son cours. Cependant le même texte porte qüe cette planète n’y emploie que onze ans et 323 jours. Par conséquent il faut donc qu J il y ait ici une erreur , Galiani l’a corrigée en partie , en lisant que la planète de Jupiter reste seulement 56o jours dans chaque signe. 11 a suivi en cela le manuscrit du Vatican, que j’ai également adopté, parce qu’il est plus probable que c’étoit ainsi qu’il fall oit lire. En effet, dit Galiani, si la planète de Jupiter reste 56o jours pour parcourir chaque signe il lui faudra onze ans et 3t6 jours pour achever toute sa circonvallation , ce qui est conforme au calcul de Ptolemée. Il est vrai qu’on lit aussi dans le même manuscrit, que , pour cette circonvallation , il lui faut onze ans et 3s3 jours y mais le mécompte n’est que de sept jours, tandis que si l’on suivoit la manière de lire qui a clé suivie dans toutes les autres éditions où on lit que cette planète reste 365 jours dans chaque signe ; il lui faudroit , pour accomplir son tour , douze ans et 22 jours ce qui se rapporte beaucoup moins avec le calcul de Ptolemée et celui de Vitruve qui porte le tout à onze ans et 323 jours. Il conviendroit de corriger de même le calcul de l’auteur , pour la planète de Mercure. Suivant Ptolemée, elle emploie 124 jours environ à faire son cercle ^ et Vitruve dit qu’elle en emploie 36o. Peut-être l’auteur aura-t-il écrit de cette manière CXXIV , des copistes ignorants auront lu CCCLX. 11 aura de même écrit clenos dies, et ils auront lu trecenos clies. Le passage où l’auteur parle de la circonvallation de la planète de Vénus , a paru très-obscur aux interprètes. Perrault n’en a pas du tout saisi le sens ; il a traduit comme si l’auteur avoit entendu que cette planète ne devoit rester que 3o jours dans chaque signe , et que quand elle devoit demeurer 4o jours empêchée par les rayons du Soleil , elle regagnoit le nombre de jours qu’elle avoit lardé dans ce signe , en s’avançant plus vite dans les autres l’auteur n’a pas voulu dire cela ; il entend, au contraire , que le moins de temps que peut rester la planète dans un signe c’est 3o 1 Vitruve e'crivoit sous le règne d’Auguste, et Ptolemée sous celui de Marc-Aurèle. LIVRE IX, C H A p. IX. 4o6 jours ce qui n’arrivoit, suivant l’opinion d’alors, que quand elle n’étoit pas empêchée par les rayons du soleil ; qu’autrement elle devoit y rester 4o jours, et que quand elle y restoil moins de 4o jours, connue Vitruve l’a certainement entendu, elle retardoit sa marche dans les autres signes, puisqu’il lui falloil nécessairement 485 jours pour achever son orbite. Si on suppose qu’elle reste 4o jours dans chaque signe, il lui faudra 480 jours pour les parcourir tous les douze, parce que la multiplié par 4o , produit 480. Dans le compte de Vitruve, il ne se trouve que 5 jours de trop; ce simple calcul auroit suffi pour prouver à Perrault son erreur. Une note qu’il met sur ce passage est encore bien moins concevable que sa traduction, a Vitruve , dit-il a dû entendre plus de 4o jours , parce que le chemin que Vénus fait dans les douze signes, n’iroit qu’à 4oo jours, supposé que n’étant a point empêchée , elle ne demeurât que 4o jours dans chaque signe » cependant en bonne arithmétique, douze fois 4o font bien 48o ; tellement qu’il n’y a , comme je viens de le dire, que 5 jours d’erreur, dans le compte de Vitruve , en donnant à ce passage le sens que je viens de lui donner. On ne peut toutefois être assuré qu’on a bien choisi entre les diverses leçons de ce passage , comme l’observe très-bien Galiani; puisqu’on ne peut s’appuyer sur aucune autorité. JNous voyons en effet que 'Vitruve dit, que Vénus fait sa circonvallation en 485 jours. Ptolemée dit qu’elle la fait en 5^5 jours, et d’après les observations modernes, elle n’en emploie que 224. L’opinion de Vitruve , qui attribue aux rayons du Soleil la cause des stations ou rétrogradations des planètes, est rapportée par Pline , qui en parle comme s’il en étoit le premier auteur. Voici comme il l’explique stellœ solis radio percussœ inhibentur rectum agere cursum et igneci vi levantur in sublime. Comme nous l’avons remarqué, Pline étoit postérieur de beaucoup à Vitruve ; nous avons vu même qu’il avoit souvent compilé notre auteur ainsi cette opinion n’est pas de lui; dans de fond elle n’est pas bien ingénieuse ; mais en supposant la terre dans le centre , et faisant tourner les planètes autour d’elle , il falloit bien se contenter de ces mauvaises raisons pour expliquer ces stations et rétrogradations apparentes des planètes de Mercure et de Vénus-. Dans l’hypothèse de Copernic , où le Soleil est le centre de l’univers , toutes les difficultés disparoissent. Si nous voyons en effet passer la planète de Vénus sous quatre signes , et qu’ensuite nous la voyons s’arrêter ou reculer, sous ces signes, ce n’est pas qu’elle ne tienne une route uniforme mais cette diversité d’apparence vient de ce qu’elle tourne autour du Soleil, et que la terre y tourne aussi; mais Vénus plus vile et la terre plus lentement; d’où suit la diversité des aspects et une apparence d’irrégularité. Ce chapitre et les trois suivants contiennent un petit traité d’astronomie qui est d’autant plus intéressant que nous y retrouvons les principes du système de Ptolemée, et nous voyons qu’ils ëtoient connus à Rome long-temps avant que le philosophe d’Alexandrie n’eût publié son traité; il nous fait connoître en partie jusqu’où les anciens avoient porté alors cette science je dis en partie, car les opinions sur l’ordre des cieux , sur le mouvement des planètes, étoient partagées comme elles l’ont été de notre temps. 11 y avoit alors plusieurs systèmes comme aujourd’hui long-temps; avant Vitruve, les Pythagoriciens, ensuite Philolaüs , Aristarque et Cléanthe de Samos avoient enseigné que le ciel étoit en repos , et que c’étoit la terre qui étoit transportée autour du Soleil , L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 4°7 c selon la ligne oblique du Zodiaque, tout en tournant journellement sur son axe. w i Vitruve avoit donc adopté un système comme on feroit présentement. Je suppose qu’il a suivi ce qu J ü a trouvé dans Arislote , Hypocrate et Possidonius , sans se donner la peine de vérifier leur calcul. Son ouvrage , dans le fond , n’est pas un traité d’astronomie , il ne parle ici de celte science ,, qu’autant qu’elle est nécessaire pour expliquer tout ce qui a rapport à la gnomonique. Il seroit assez intéressant sans doute, de développer à la lin de ces chapitres les principes de l’astronomie moderne_, à mesure que Vitruve développe ceux qu’on suivoit de son temps ; mais cela nous meneroit trop loin , et nous écarteroit de notre but qui est uniquement d’expliquer Aitruve et non pas de faire un traité d’astronomie. Ceux qui voudront faire cette comparaison , doivent avoir recours aux savants ouvrages de M. de la Lande. On trouvera également de quoi satisfaire sa curiosité dans le quatrième volume du spectacle de la nature de M. Pluche , et dans le livre si intéressant de la pluralité des mondes par M. de Fontenelle, où il a su mettre à la portée de tous les lecteurs, les matières les plus abstraites , et revêtir de la clarté et des agréments du style un sujet aussi ingrat. Quant à moi je me contenterai d’expliquer, comme je l’ai déjà fait, les passages que le commun des lecteurs auroit peine à comprendre, ce qui arrive, sur-tout, lorsqu’il est question des usages anciens, qui sont contraires aux nôtres. Par exemple la plupart des lecteurs ne comprendront pas ce qu’entend l’auteur, lorsqu’à la fin de ce chapitre, il s’exprime en ces termes je dirai présence lement , comment le Soleil qui passe chaque mois dans un signe , augmente et diminue les jours ce et les heures. Ceux qui pensent que les anciens divisoient les jours comme nous, ne pourront s’imaginer comment le Soleil dans son cours peut diminuer les heures, qui, chez nous, sent toujours égales5 mais elles ne l’étoieul pas chez les anciens ; ils divisoient le jour en douze heures , et également la nuit tellement que quand les jours étoient plus longs, les heures l’étoient également5 ainsi à mesure que les jours augmenloient, les heures du jour s’allongeoient à proportion , et celles de nuit s’accoureissoient de même. Depuis l’équinoxe de septembre jusqu’à celle de mars, l’heure de jour étoit plus petite que celle de nuit; et depuis l’équinoxe de mars jusqu’à celle de septembre, elle étoit plus grande. Au solstice d’hiverl’heure de jour à Rome n’avoit guère que 40 de nos minutes ^ tandis qu’alors l’heure de nuit en avoit 90. Pendant le solstice d’été c’étoit le contraire toutes les horloges, dont nous verrons la description dans les chapitres suivants , sont construites d’après ces principes. On sent qu’il étoit assez difficile de tracer un cadran solaire, propre à marquer de celte manière les heures , pendant tout le cours de l.’année , et qu*il n’étoit pas plus aisé de construire une horloge dans le même genre. Nous verrons dans le g erae chapitre de ce livre , comme cela se praliquoii. C’est sans doute à cause de la difficulté qu’cntraînoil leur exécution , et des connoissances qu’elle exigeoit, que cette partie étoit attribuée aux architectes. L’augmentation et la diminution des jours est l’effet naturel produit par le cours du Soleil; mais connoître exactement la longueur que les heures doivent avoir chaque jour de l’année, comme nous venons de dire, que les anciens divisoient le jour , et faire des cadrans et des horloges dans ce sens, cela demandoit une grande intelligence , qui n’est plus nécessaire aujourd’hui, puisque chez nous, toutes lés heures sont toujours égales, ï Plut, de jade in orbe Lun$, CHAPITRE''V. I LIVRE IX; Chap; Y. 4o 8 CHAPITRE V. Du cours que le Soleil fait dans les douze 'signes du Zodiaque . ^ijànd le Soleil passe à la huitième partie du signe du Bélier , il produit l’équinoxe du printemps alors il passe la queue du Taureau , et s’avance ensuite vers les Pléyades , au-delà desquelles paroît la moitié de devant du Taureau ; il a ainsi parcouru plus de la moitié du ciel , en s'avançant vers le Septentrion , sortant du Taureau , pour entrer par les Gémeaux ; au lever des Pléyades , il s’élève davantage sur la terre , et les jours croissent de plus en plus. Alors s’avançant depuis les Gémeaux jusqu’à l’Ecrevisse, celui des signes qui occupe le moins d’espace quand il parvient à sa huitième partie , il marque le Solstice d’été , et continuant son cours , il va jusqu’à la tête et jusqu’à la poitrine du Lion, qui sont des parties attribuées à l’Ecrevisse. Depuis la poitrine du Lion et les extrémités de l’Ecrevisse, achevant de passer le Lion, il diminue les jours en diminuant les arcs qu’il fait sur l’horison, et revient à faire les jours égaux à ceux qu’il faisoit étant dans les Gémeaux. Ensuite passant du Lion dans la Vierge, il s’avance jusqu’au repli que forme son habit ; les arcs qu il fait alors sur l horison, deviennent encore plus petits, et les jours sont pareils à ceux qu’il faisoit, tandis qu’il étoit dans le Taureau; De là passant par le repli de la robe de la Vierge, qui occupe le commencement de la balance, il marque l’équinoxe d’automne , faisant des arcs égaux à ceux qu’il faisoit étant dans le signe du Bélier. Après cela il entre dans le Scorpion. Lorsque les Pléyades se couchent, il diminue les jours en s’approchant des parties méridionales , et les rend encore plus courts quand il sort du Scorpion et qu’il touche les cuisses du Sagittaire. Dès qu il commence à entrer dans les cuisses du Sagittaire , partie du ciel qui appartient aussi au Capricorne, il occupe sa huitième partie c’est alors qu il parcourt le plus petit espace du ciel; et Ion appelle ces jours brama, à cause de leur brièveté. Après avoir passé du Capricorne dans le Verseau, il fait croître les jours et les rend égaux à ceux du Sagittaire. Du Verseau, il entre dans les Poissons, tandis que le vent Favonius souffle, et égale les jours à ceux du Scorpion. Ainsi le Soleil en parcourant les signes, allonge, pendant un certain temps , les jours et les heures, et ensuite les accourcit. 52 -H 4o 9 L ’architecture de yitruve. Il reste à parler des autres constellations, qui sont à droite et à gauche du Zodiaque , et qui sont placées et représentées dans les régions méridionales et septentrionales du ciel. REMARQUES. Columelle rapporte la raison pour laquelle les anciens ne plaçoient pas les solstices et les équinoxes , au commencement des signes, mais à leur huitième partie cela se faisoit, dit-il, parce qu’Eudoxe , Meton et les autres anciens astronomes,, avoient cru que c’éloit à la huitième partie des signes qu’étoient les points des équinoxes et des solstices, et qu’on avoit établi de leur temps des fêtes, pour ces époques de l’année, fêtes qu’on célébroit encore; quoique, dans la vérité, les équinoxes et les solstices aient lieu au commencement des signes , comme Hipparcus Ea enseigné depuis. Pline place les Pléyacles dans la queue du Taureau; ce qui est contre l’usage des astronomes, qui n’attribuent les étoiles de la constellation du Taureau qu’à la moitié de son corps , c’est-à-dire à la partie de devant quand même on entendroit par la queue du Taureau, l’extrémité de la constellation, il n’est pas vrai que les Pléyades soient dans cette extrémité; mais entre celte extrémité et la tête , comme Vitruve le dit. Nous avons vu que les anciens appeloient le solstice d’hiver bruma , à cause de la brièveté des jours, à cette époque de l’année. On voit dans Yossius, les diverses étymologies de ce mot ; celle qui le fait dériver du mot brevis , lui paroît mériter la préférence; de brevis on aura fait brevissima , ensuite brevimas , breumas, brumas et enfin bruma. C’est ainsi que du mot exterrimus , on a dit extremus , ensuite extemus et enfin extimus. \b >. tète I 1 And ijüfhi linot 1 ation jbche lit le CHAPITRE VL lJuSj k; 3 ji Des Constellations Septentrionales . 1 i k constellation septentrionale que les Grecs nomment Arctos 'i ou bien Hélice 2 a, auprès Telle, son gardien; la Vierge n’en est pas éloignée; à son épaule droite, se trouve une étoile fort brillante que les Latins appellent provindemiam et les Grecs protrygeton 3 ; elle se fait remarquer, parce qu’elle est plus éclatante que les autres. Vis-à-vis de celle-ci, il y a une autre étoile qui se trouve entre les genoux du gardien de l’Ourse appellé Arctur ; près de là, directement à la tête de l’Ourse, le long itymi jf iHfclion h'obal ail. L H ; 4va ?i Pour irait t 1 C’est-à-dire l’ourse; £2 C’est-à-dire tournoyante. 3 C’est-à-dire qui donne le* vendanges. 1 L I V Pi E IX, C h à a / v. vï, ^10 clés pieds des Gémeaux, est le chartier, dont les pieds sont au-dessus de la corne gauche du Taureau. Cette constellation a une étoile qu’on nomme la main du chartier; et sur son épaule gauche, sont les chevreaux et la chèvre. Au-dessus des signes du Belier et du Taureau , se trouve la constellation de Perséc ; parmi les étoiles qui la composent, celles qui sont à droite, passent au-dessus des Pléyades, et celles qui sont à gauche au-dessus de la tête du Belier. Persée s’appuie de la main droite sur Cassiopée, tenant de la gauche, qui est au-dessus du chartier, la tête de la Gorgone par le sommet du front, et la posant sous les pieds d’Andromède. Les poissons sont près d’Andromède; le long de son ventre, et du dos du cheval, vers l’extrémité du ventre de celui-ci, se trouve une étoile fort brillante, qui fait aussi l’extrémité de’ la tête d’Andromède. Andromède tient la main droite au-dessus de la constellation de Cassiopée , et la gauche sur le poisson septentrional. Le Verseau est au-dessus de la tête du cheval dont les oreilles i se dirigent vers les genoux du Verseau au milieu de la constellation du Verseau, est une étoile qui fait aussi partie de celle du Capricorne 2 . Au- dessus du Capricorne se trouve l’aigle et le dauphin, et auprès d’eux, la flèche. Le cygne est placé à côté ; son aile droite touche la main et le sceptre de Céphée ; l’aile gauche s’étend sur Cassiopée , et sa queue couvre les pieds du cheval. .3 Ensuite vient le Sagittaire, le Scorpion et les Balances; au-dessus d’eux, est le serpent qui 1 Jusqu’à présent on a lu Equi unguia, ; cependant les pieds du cheval ne touchent pas les genoux du Verseau ; ils sont tournés du côté contraire et touchent les ailes du cygne. Philander et Perrault ont cru qu’au lieu d 'Aquarii gcnua , il falloit lire avis pennas. L’idée n’étoit pas mauvaise ; mais Galiani trouve, avec raison , cette correction un peu forcée ; il propose celle-ci il est plus probable , dit-il, qu’au lieu d’unguia , il faut lire auriculœ. Les oreilles du cheval se dirigent en effet vers les genoux du Verseau ; ensuite , le mot attingere , dont se sert ici Vitruve , ne signifie pas toucher comme les ongles du cheval touchent les ailes du cygne ; fl signifie s’étendre pour atteindre , comme font les oreilles du cheval vers les genoux du Verseau. 2 Pour traduire le texte dans l’état où nous l’avons , il faudroit dire que l’étoile du milieu de Cassiopée est dédiée au Capricorne , ce qui est impossible , puisque ces deux constellations sont trop éloignées l’une de l’autre ; mais comme le remarque très-bien Galiani , l’étoile qui est au milieu du Verseau , fait partie du Capricorne ; cette étoile est commune aux deux signes. D’après cela , on voit donc qu’au lieu de Cassiopeæ , il faut lire aquarii. Philander a remarqué l’erreur ; mais il ne l’a pas corrigée. Perrault, pour la corriger et con^ server le mot Cassiopeæ , a cru qu’au lieu de Cassiopeæ media est dedicata Capricorno, supra in altitudine aquila et delphinus il falloit lire., Cassiopea media est, scilieet Ce- phei et Andromedæ dedicata est' Capricorno supra in altitudine aquila sien/’ et Delphinus. Combien voilà de corrections , tandis qu’une seule suffisoit. 3 Pour expliquer ce qu’on vient de lire sur la constellation du cygne , qui n’est pas conforme à ce que nous voyons sur les cartes célesles modernes , il faut supposer que du temps de Vitruve on représentoit cette constellation tout autrement qu aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on plaçoit son aile gauche où l’on place présentement sa queue , et sa queue où l’on place l’aile gauche ; comme cela , l’aile gauche seroit étendue vers Cassiopée et la queue couvriroit les pieds du cheval. 52 . L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. 4n touche du bout, de sa tête, la couronne. Le serpentaire tient, par le milieu du corps, le serpent dans ses mains, et pose le pied gauche sur la tête du Scorpion. Près de sa tête se trouve cette constellation appelée l’homme à genoux, i On distingue aisément le haut de la tête de ces deux constellations, parce que les étoiles qui les forment sont luisantes. Le pied de l’homme à genoux s’appuie sur la tête du serpent qui est entre les ourses qu’on appelle les sept trions. On voit le dauphin se courber un peu 2 , et vis-à-vis du bec du cygne, on voit la lyre la couronne est placée entre les épaules du gardien de l’ourse et celles de l’homme à genoux. Les deux ourses sont placées dans le cercle Arctique, de manière que leurs dos se touchent ; la poitrine de l’une est tournée d’un côté, celle de l’autre l’est du côté opposé. Les Grecs appellent la petite, Cinosura 3, et la grande Elice 4 leurs têtes regardent chacune d’un côté opposé; l’une tourne sa queue vers la tête de l’autre, ce qui fait qu elles élèvent toutes deux leur queue. L’étoile qu’on nomme polaire est celle qui brille si fort dans la queue de la petite ourse 5i Le serpent comme on l’a dit, s’étend fort loin entre les queues des deux ourses ; il tourne autour de la tête de la grande qui est près de lui, ensuite il se replie et se jette aussi autour de celle de la petite, et s’étend encore le long de ses pieds, et ses replis se réfléchissent depuis la tête de la petite ourse jusqu’à la grande, proche de son museau et de sa tempe droite. Les pieds de Céphée sont aussi au-dessus de la queue de la petite ourse. Près de là, au-dessus du Belier, on voit les étoiles qui composent un triangle qui a deux côtés égaux. La petite ourse et Céphée ont beaucoup d’étoiles communes à elles deux., J’ai parlé d’abord des constellations qui sont à droite de l’orient entre le Zodiaque et les étoiles septentrionales; je vais présentement parler de celles qui sont à gauche de l’orient dans les régions méridionales. 1 Cette constellation est celle d’Hercule, qui, comme le remarque très-bien Hyginus , est appuyé sur le genou droit , et a le pied gauche sur la tète du serpent. 2 Philander dont Perrault a suivi l’opinion , croit qu’au lieu de ces mots penve per eos, il faut lire equi parai per os. Il est vrai que le dauphin se trouve près de la bouche du petit cheval ; mais comme Vitruve ne parle pas de cetle constellation , qu’on n’avoit peut- être pas encore reconnue de son temps Galiani avoue qu’il n’a osé changer le texte , d’autant que rien ire répugné à ce qu’il reste tel qu’il est. 3 C’est-à-dire queue de chien, 4 C’est-à-dire tournoyante. 5 Galiani a fait ici une correction que j’ai adoptée; on lisoit avant lui dans toutes les éditions. E qua Stella j quœ dicitur Polit s plus elucct circum caput majoris sepien- trionis. Ce qui n’est pas vrai puisque l’étoile Polaire n’est pas auprès de la tête de la grande ourse ; mais elle fait partie ou plutôt termine la queue de la petite. Pour corriger cette erreur Galiani a substitué le mot caudam à celui de caput , et celui de minoris à celui de majoris. Par là le texte se trouve d’accord avec nos cartes célestes. LIVRE IX, Chap. ti. 4 12 REMARQUES. La division des cieux en constellation est fort ancienne. Les découvertes qu’on a faites en Egypte y prouvent que, dans les plus anciens temps, ces peuples représentoient l’assemblage de plusieurs étoiles sous la figure d’un homme, d’un animal ou de quelqu’autre chose. M. Desnon a trouvé dans un des temples de Tintyra , un planisphère représenté en bas relief d’après lequel on ne peut douter que ce ne soit chez les Egyptiens que les Grecs avoient pris les images de leurs signes. Le ciel étoilé a trois parties principales celle du milieu ou le Zodiaque; celle qui est au nord du Zodiaque , et celle qui est au midi. Yitruve a parlé, dans le chapitre précédent, de celle du milieu appelée le Zodiaque, qui renferme toutes les étoiles qui se trouvent dans la route des planètes , pendant leur révolution. Cette zone, ou bande du Zodiaque , sépare les constellations de la partie boréale qui est au nord du Zodiaque , de celles de la partie australe qui est au midi. Yitruve a parlé des premières dans ce chapitre, et il parlera des autres dans le suivant. D’après ce qu’il dit dans ces deux chapitres, il paroît que les figures des constellations n’étoient pas précisément placées de son temps , comme elles le sont aujourd’hui, ni composées des mêmes étoiles , à moins qu’on ne suppose que les copistes ignorants celte matière , n’aient fait un grand nombre de fautes. On a vu combien il a fallu corriger pour accorder le texte de Yitruve avec nos cartes célestes , publiées par Jean Boyer. Beaucoup d’auteurs ont prétendu que Ptolemée étoit le premier qui avoit dressé un catalogue d’étoiles, et en avoit formé 48 constellations, dont 12 autour de l’Ecliptique, 21 dans la partie septentrionale du ciel, et i5 dans la partie méridionale. On voit combien ces auteurs se sont trompés; puisque Yitruve, qui écrivoit au moins i4o ans avant l’astronome d’Alexandrie, parle de toutes ces constellations , et les divise de même que lui et Yitruve suit la division que le philosophe Démocrite avoit fait avant lui , comme il le dit lui-même dans le chapitre suivant. On a depuis ajouté de nouvelles constellations qui n’avoient pas été observées de leur temps telles que la chevelure de Bérénice et Antinous dans la partie boréale. Les astronomes modernes, qui ont voyagé dans l’hémisphère austral, après en avoir observé les étoiles, en ont formé aussi de nouvelles constellations. Jean Boyer en a ajouté 12 autres, et l’abbé de la Caille i4. Dans le septième chapitre de ce livre, Yitruve parle des constellations de l’hémisphère méridional connues de son temps. 4-i 3 L ’ A R CIIITECTURE DE Y î T R U V E. CHAPITRE VIL Des Constellations qui sont au Midi . Nous avons premièrement le poisson méridional posé sous le Capricorne ; il regarde la queue de la Baleine i. Entre lui et le Sagittaire, il se trouve un vuide. L’encensoir 2 est dessous l’aiguillon du Scorpion. Près de la balance et du Scorpion , on voit le devant du Centaure, qui tient dans ses mains cette constellation que les astronomes appellent la bête. Près de la Vierge, du Lion, et de l’Ecrevisse, le serpent étend une bande d’étoiles ; il entoure dans ses replis la région de l’Ecrevisse, et élève sa tête vers le Lion; il soutient la coupe sur le milieu de son corps, et vers la main de la Vierge, il étend sa queue, sur laquelle se pose le corbeau les étoiles qui sont sur son dos , sont toutes également luisantes. Le Centaure est placé directement sous la courbure du ventre du serpent et sous sa queue. Sous la coupe et le Lion se trouve le navire nommé Argo; on n’aperçoit pas sa proue qui est obscure ; mais le mât et les parties qui sont vers le gouvernail, sont plus apparentes. Le chien , par le bout de sa queue, touche le navire. Le petit chien suit les Gémeaux , vis-à-vis la tête du Serpent. Le grand chien suit le petit. L’Orion est placé en travers sous le Taureau, qui le foule d’un pied; il tient dans la main gauche un bouclier et dans la droite une massue qu il lève vers les Gémeaux 3. Il a, sous ses pieds, le chien 1 On lit dans le texte Cauda prospicîens Cephea. Phi- îander ainsi que Perrault ont reconnu que c’étoit une erreur. Perrault a cru , et ce n’étoit pas sans quelque vraisemblance , qu’au lieu de cephea il falloit lire centau - reum ; il entendait par là le Sagittaire , auquel on a souvent donné ce nom. Cependant l’expression prospi- eiens dont Vitruve se sert ici, prouve que c’est de la tête du poisson dont il veut parler car les yeux sont dans la tête et non à la queue. Philander , avec bien plus de raison , croit qu’on doit lire caudam prospicîens eeti , puisqu’effectivcment la tète du poisson regarde la queue de la baleine. Dans le premier manuscrit du Vatican , on trouve ici le mot caudam ; mais après on trouve celui de cephei. 11 n’est cependant pas possible que Vitruve ait pu dire que le poisson regardoit Ce- phée , qui est une des constellations du nord ; voilà qui suit de près le lièvre. Sous le Relier pourquoi nous avons adopté la correction de Philander. 2 On appelle ordinairement cette constellation , ara, l’autel ; mais Vitruve la nomme ici thuribulum, l’encensoir. 3 Ce passage avoit certainement besoin d’être corrigé. On lit communément dans le texte , manu lava tenens clavam alteram ad geminos iollens. Perrault pour le rendre intelligible , a cru qu’il suffisoit de substituer les mots et eam à celui de alteram ; mais cela ne convient pas à la manière dont cette constellation est disposée , et est très-contraire à l’usage , puisqu’on ne tient pas ordinairement une massue de la main gauche. Galiani que j’ai suivi, croit qu’on doit plutôt lire manu leva tenens clypeam , clavam altéra ad geminos iollens ; ce qui est très-conforme à la manière dont on a toujours représenté cette constellation. 1 V i 1111' Ecris te re,ui îitlcfi t >in l&l **{ mais^ nsi if jèrs ^ LIVRE IX, C n a p. vu /,/ i 1 i et les poissons se trouve la Baleine. Il sort de sa crête, sous les poissons, deux petites bandes détoiles rangées par ordre; on les appelle en grec Hermedon i, c’est le lien des poissons, qui dans un grand espace, se replie, se noue * et vient toucher le haut de la crête de la Baleine. Comme un fleuve d’étoiles , l’Eridan a sa source sous le pied gauche d’Orion. L’eau , que fait tomber le Verseau, s’écoule entre la tête du poisson austral, et la queue de la Baleine. Je viens de faire eonnoître les constellations dont l’esprit divin, auteur de la nature , a formé les diverses figures dans le ciel, comme le philosophe Démocrite les a désignées. Je n’ai parlé que de celles qui se lèvent et se couchent sur notre horizon, et que nous pouvons voir car de même que les constellations du nord qui font leurs cours autour du pôle septentrional, ne se couchent pas et ne passent jamais sous le globe , il s’en trouve d’autres qui tournent aussi autour du pôle méridional, et restent toujours cachées sans se lever sur la terre ce qui fait qu’on ne connoît point leur figure. Cela est prouvé par l’étoile nommée Canope 2 que nous ne connoissons que par le rapport des marchands qui ont voyagé à l’extrémité de 1 Egypte, et jusqu’aux terres qui terminent le monde. J’ai démontré exactement le cours que les astres font autour de la terre ; la disposition des douze signes du Zodiaque, ainsi que celles des étoiles qui sont vers le septentrion et vers le midi, parce que la construction des anale mines 3 dépend de ce mouvement de rotation que fait le monde, du cours que fait le soleil dans les signes par un mouvement opposé, et des ombres équinoxiales des Gnomons. Quant au reste de cette science qui concerne l’astrologie , et qui consiste à faire eonnoître l’influence des douze signes, celle des cinq planètes, celle du Soleil et de la lune, sur la vie des hommes, il faut s’en rapporter aux Caldéens qui possèdent particulièrement l’art de raisonner sur les naissances, et d’expliquer comment l’on peut eonnoître par les astres, le passé et l’avenir. Les savantes découvertes qu’ils nous ont transmises dans leurs écrits, montrent combien ils étoient habiles, combien ils possédoient de lumières, ces grands hommes sortis de la nation Caldéenne. Le premier fut Bérose ; il descendit dans l isle de Coo et établit une école dans la ville de ce nom, où il enseigna cette science ensuite le savant Antipater et Archi- napolus ont démontré que la génethliologie 4 étoit plutôt fondée sur la conception 1 C’est-à-dire les délices de Mercure. 2 Cette étoile très-remarquable par sa grandeur , fait partie de celles qui composent la proue du navire ; elle n’est pas aperçue par ceux qui habitent le î^ord, parce que , comme aous l’a observé Vitruve , cette partie du navire reste invisible pour nous. 3 Voyez la deuxième note sur le IV. me Chap. de ce livre. 4 C’est-à-dire l’art de raisonner sur l$s naissances. 4x5 L’ARCHITECTURE DE I T R U Y E. que sur la naissance. Mais si l’on veut connoître le principe des choses qui sont dans la nature, il faut lire les ouvrages où Thaïes de Milet, Anaxagore de Clazomène, Pytliagore de Samos, Xe'nophantes de Colophon, et De'mocrite d’Abdère, ont écrit leurs savantes découvertes sur les êtres qui la composent, les puissances qui la gouvernent , et les causes qui produisent tous les effets que nous voyons dans le inonde. Sans s'écarter de leur système, Eudoxe, Eudemon , Callistus, Melo, Philippus; Hipparchus, Aratus, et tous les autres astrologues ont fait, avec le secours de l’astrolabe , les observations les plus exactes sur le lever et le coucher des étoiles, ainsi que sur les saisons de l’année , observations qu’ils ont transmises à la postérité. Les sciences que possédoient ces grands hommes, sont faites pour exciter notre admiration; puisque, par leur application, ils sont parvenus à prédire les changements du temps ce qui paroît venir d’une connoissance plus qujhamaine. Rapportons-nous en donc à leurs lumières sur des choses qu’ils ont étudiées avec le plus grand soin. REMARQUES. On regarde les Caldéens comme les pères de l’astronomie; ils ne se bornèrent pas à connoître l’état du cielj le cours des astres; ils cherchèrent à tirer un meilleur parti de leur science, en se rendant plus importants aux yeux du vulgaire. D’après Jes aspects, les positions des corps célestes et les influences cpi’ils leur attribuoient, ils s’avisèrent de prédire l’avenir. Ils en imposèrent bien aisément. En cfî'et comme ils annonçoient exactement, dans leurs éplrémérides, le cours du Soleil pour chaque jour de l’année, les changements de Lune, le mouvement des planètes; enfin qu’ils prédisoient les éclipses; on ne douta pas qu’ils n’eussent un commerce direct avec le ciel. On n’en- treprennoit rien d’important sans avoir consulté les astrologues. Ils prétendoient sur tout, décider quelle seroit la destinée d’un homme, en examinant quel étoit l’aspect des astres à l’instant de sa naissance ou de sa conception. Le Zodiaque , comme nous l’avons vu, étant divisé en douze parties égales, ces douze portions avoient chacune leur attribut, comme les richesses, la science etc, etc. La portion la plus décisive, étoit celle qui étoit prête à monter et à paroîlre sur l’horizon , lorsqu’un homme venoil au monde* Les planètes étoient divisées en favorables, nuisibles et mixtes c’est cette science que Vilruve nomme Génethliologie. Elle pénétra daps la Grèce avec l’astronomie. Les Grecs , très amateurs du merveilleux , donnèrent beaucoup dans celle science chimérique. "Vilruve et Pline nous apprennent que Bérose, qui étoit prêtre du temple de Belus à Babylonefut le premier Caldéen qui enseigna cet art dans la Grèce, Pline ajoute que les Athéniens furent si contents de ses prédictions , quils firent placer sa statue, avec une langue dorée, dans leur gymnase [i. Les Grecs aimoient les sciences; ils y étoient très-habiles; mais ils aimoient encore davantage le merveilleux. Il n’est donc pas i Plin. Ljv. VII, Chap. 38, étonnant if» sut On imei BC iwstra *4 l i y r e ix, ? u J il étonnant qu’ils rendirent de semblables honneurs à Bérose. A cèYpréjugés près, on ne peut nier qu’ils ne fussent très-instruits dans l’astronomie. ^ T T , - J. j ! Nous avons vu par-tout ce que Yitruve a dit jusqu’à présent , combien ils connoissoient l’état du ciel, et le cours des astres; quoique privés du telescope v , et'de beaucoup d’autres instruments, qu ont été si utiles aux astronomes modernes, ils n’en connoissoient pas moins le cours des planètes, et ils avoient formé, à-peu-près, les mêmes systèmes que nous avons aujourd’hui. Leurs voyageurs n’avoient pas encore pénétré vers le pôle austral , et par le raisonnement ils savoient que, dans la partie du ciel qui y correspond, les étoiles ne se couchoient pas plus, qu’elles ne le font dans le nord. C’est dommage qu’à tant de connoissances, ils mêlôient les idées les plus absurdes. On voit que Yitruve étoit persuadé qu’on pouvoit j conriôîirë l’avenir par l’aspect des astres ; mais il ne dit pas comment, et il nous renvoie aux ouvrages des Caldéens parce que celte science étoit inutile pour la confection des cadrans solaires, objet de ce livre. On a continué à croire qu’on pouvoit lire dans l’avenir , en examinant les astres , au point que Je mot Astrologie signifioil également l’art de connoîlre le ciel et celui de prédire l’avenir ; il n’y a pas long-temps qu’on est revenu de celte folie, et qu’on a désigné par le nom d’Astronome ceux qui s’occupoient de l’étude du ciel et du mouvement des astres; et par celui d’Aslroîogue ceux qui prélendoient prédire l’avenir par l’aspect, les positions, et l’influence des corps célestes. On a remarqué combien nous avons dû corriger le texte dans ces deux chapitres. On voit évidemment que les copistes avoient souvent changé le nom des constellations. s Dans tous les exemplaires, comme nous l’avons observé, dans une noté , au commencement d© ce chapitre , on lit Piscis austrinus caudam prospiciens Cephei. J1 est évident qu’on aura mis ici un nom pour un autre car il est impossible que l’auteur ait voulu dire cjue la queue du poisson austral regardoit Céphée, constellation qui est près du pôle septentrional. Galiani soupçonne que les anciens désignoient chaque constellation par un signe particulier , dans le genre de ceux dont nous nous servons encore aujourd’hui pour désigner les constellations du Zodiaque ce que je crois aisément, puisqu’on a trouvé que ces signes , qu’on emploie pour indiquer les constellations du Zodiaque, étoient employés par les Egyptiens pour les mêmes objets 1 . Il est assez probable que dans leur écriture hiéroglyphique, ils auront eu des symboles pour chaque constellation, et que les Grecs et les Latins s’en seront servis pour abréger. Si la chose étoit ainsi, il ne seroit pas étonnant que les copistes eussent pris le signe qui indiquoit le Centaure pour celui qui indiquoit le Taureau; celui qui indiquoit le Serpent pour celui qui indiquoit le Poisson , etc etc. 1 Pioche, Spect. de la nat. tom, IV, page 3o6. 53 p* 7 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE VIII. Description des Cadrans avec les Analêmes. Nous allons expliquer par d’autres principes que les leurs, la manière de tracer les cadrans, et indiquer comment les jours augmentent i ou diminuent selon les différents mois de Tannée. Qu’on divise la longueur du Gnomon en neuf parties égales, pendant le temps de l’équinoxe, lorsque le Soleil se trouve, dans le signe du Relier ou dans celui de la Balance , l’ombre aura alors huit de ces parties à l'élévation du pôle de Ilome. Comme à Athènes quand le Gnomon a quatre parties, l’ombre en aura trois ; à Rhodes, quand il en a sept, l’ombre en aura cinq ; à Tarente quand il en a onze, l’ombre en aura neuf; à Alexandrie, quand il en a cinq, l’ombre en aura quatre; il en est de même par tout la grandeur de l’ombre équinoxiale change naturellement d’un endroit à un autre. Quand on voudra donc tracer un cadran quelque part, il faudra d’abord chercher à connoître sur ce point quelle est l’ombre équinoxiale. L’ombre a-t-elle , comme à Rome, huit parties, et le Gnomon neuf ? on tire une ligne BT sur le plan, au milieu de laquelle on en élève une autre d’aplomb et d’équerre avec celle-ci; c’est ce qu’on nomme le Gnomon BA; on la divise avec le compas , en neuf parties, à commencer depuis cette première ligne qu’on a tirée sur le plan; près du point qui termine la neuvième partie, on mettra le centre marqué À; et ayant ouvert le compas de la grandeur qu’il y a depuis ce centre jusqu’à la ligne du plan où l’on mettra la lettre B, on fera avec le compas, un cercle appelé méridien. Après cela, dans les neuf parties qui sont depuis la ligne du plan jusqu’au centre, qui est l’extrémité du Gnomon, on prendra la grandeur de huit parties que l’on marquera sur la ligne du plan directement où sera la lettre C; ce sera l’ombre équinoxiale du Gnomon. De ce point C, par le centre où est la lettre A, on tirera une ligne, qui est le rayon du Soleil, lorsqu’il est à l’équinoxe. Cela fait, on ouvrira le compas, pour prendre l’espace qu’il y a, depuis la ligne du plan jusqu’au centre; et l’on fera deux marques égales sur les extrémités du cercle, lune à gauche , vers E , et l’autre à droite vers I puis on tirera par le centre une i Le mot àepalationes , que Vilruve emploie ici , ils ne doutent pas de sa signification cependant Galiarw pour la première fois , et qui ne se trouve pas dans préfère de suivre ici le deuxième manuscrit du Vatican , les autres auteurs Latins, a beaucoup intrigué les inter- où, au lieu de ce mot, on lit explanationes , expression prêtes qui ont cherché à découvrir son étymologie, car qui est plus connue et plus intelligible. /M jjl' Ijdei iiirl Ou tes jek ë et fil doit naturellement se trouver deux autres signes , entre chacun de ceux-ci; voici comme cela se fait le cercle des mois GCH , étant comme on le dit, divisé en douze , on tire des points de division sur ^ la ligne H G appelée lacotome , les perpendiculaires l. 2. l\. 5 . Ensuite du point À , par les points d’intersection que font ces lignes sur celle HG, on tire d’aiiires lignes jusqu’à celle du plan BT , où l’on marquera les points a b d e qui indiqueront la grandeur de Pombre , pour chaque mois de l’année. Ofi pourroit de même la trouver pour chaque jour ; il suffi- roit de faire la figure beaucoup plus grande, et diviser sur le cercle GCH, les mois en autant de jours qu’ils contiennent , et tirer les autres lignes comme on vient de l’indiquer. OV • ectacles, que je n’ai fait aucune difficulté de me servir de ce mot. En parlant du peu de tçmps 43i L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. qu’on avoit pour faire construire ces sièges en amphithéâtres, l’auteur ajoute qu’on devoit aussi fairt tendre des toiles ou des voiles , velorum inductiones. » On distingue deux sortes de voiles dans les théâtres des anciens ; l’un se tiroit devant la scène avant qu’on ne commençât ; pendant le spectacle on le laissait tomber par terre, et quand il étoit üui on l’élevoil pour le tendre de nouveau devant la scène; cette sorte de voile s’appeloit siparium. L’autre servoit comme un toit à couvrir tout le théâtre , pour empêcher les spectateurs d’être incommodés par les rayons du soleil, ou par la pluie. Il paroît que Yitruve entend ici ce dernier voile. Le premier n’étoit qu’un voile ordinaire qui faisoit nécessairement partie du théâtre ; ainsi, il étoit inutile d’en parler , au lieu que l’autre étoit un objet bien plus considérable; on étoit obligé de le soutenir par des cordes tendues, d’autant qu’il couvroit souvent un très-grand espace. On ne peut donc douter que ce ne soit de ce voile extraordinaire dont Vitruve veut parler. CHAPITRE PREMIER. Des différentes espèces de Machines et de leurs Organes. On entend par machine , un assemblage de bois bien jointqui sert sur - tout pour remuer de très-lourds fardeaux. L’effet de la machine dépend de l’art, et il est fondé sur le mouvement circulaire des roues que les Grecs appellent kykliken kinesin i. Le premier genre de machine sert pour monter ; les Grecs l’appellent Acrobaticon 2 . Le second genre, qu’ils nomment Pneumaticon 3, s’emploie pour le vent. Le troisième est pour tirer ; ils l’appellent Banauson 4 - Les machines pour monter sont celles qui sont composées de deux pièces de bois d’une certaine hauteur , et jointes par plusieurs pièces traversantes , au moyen desquelles on peut monter sans danger pour voir et reconnoître tout ce qui se passe. Les machines pneumatiques sont celles qui , par l’impulsion compressive de l'air, imitent le son des instruments et même celui de la voix humaine. Enfin les machines pour tirer, sont celles qui transportent ou qui élèvent de grands fardeaux. Pour monter à des lieux élevés, on a moins besoin d’art que de hardiesse. Tout l’art consiste à assembler des montans et des échelons , de sorte qu’on en compose 1 C’est-à-dire mouvement circulaire. 3 Qui agit par le vent, 2 Qui monte en haut . 4 Qui dre, w * une v LIVRE X, C h a p. i. 432 une machine doublement liée , dont une partie sert de soutien à l’autre. L’art de faire agir des machines par le moyen de l’air est très - ingénieux , et produit des effets étonnans. L’art de tirer de grands fardeaux est encore plus important ; il est utile , même indispensable dans quantité de circonstances, sur-tout pour faire de grands et magnifiques ouvrages, dès qu’on s’en sert avec prudence et adresse. Toutes ces machines se meuvent mécaniquement ou organiquement. Il y a cette différence entre la machine et l’organe ; les machines font leur effet avec plus d’appareil et ont besoin de la force de plusieurs hommes , comme les ba- listes et les pressoirs ; au lieu que les organes font le leur par le moyen d’un seul homme qui les conduit avec adresse les arbalètes i et les anisocycles 2 sont de ce genre. Mais les organes et les machines sont d’un usage tellement nécessaire qu’on ne peut rien faire sans leur secours. L’art des mécaniques est entièrement fondé sur la nature , ou sur l’étude qu’on a faite des mouvemens circulaires du monde. Qu’on réiléchisse comment le Soleil, la Lune et les cinq planètes exécutent mécaniquement leur circonvallation, et l’on verra que , sans leur mouvement, la terre seroit privée de la lumière , et ses fruits n’atteindroient pas la maturité ; c’est sur ces^modèles , offerts par la nature , que les anciens , désirant imiter ses divins ouvrages , inventèrent les machines qui sont si agréables et si nécessaires à la vie. Puisqu’au moyen de ces machines , de leur mouvement circulaire et de leurs organes , les ouvrages les plus difficiles sont devenus aisés à faire , nos pères ayant reconnu combien elles étoient utiles , s’appliquèrent à les perfectionner de plus en plus , et y employèrent 1 On ne peut douter que le mot Scorpiones dont se sert ici Vitruve ne signifie ce que nous avons appelé des arbalètes. Yégèce dit que, de son temps , Scorpiones s'appelaient Manubalista , pour les distinguer des grandes ba- listes ou catapultes qui n’étoient pas portatives. Il sera parlé de ces machines dans les chapitres i5 et 16 de ce livre. Vitruve nous dit ici qu’il n’étoit besoin que d’un seul homme pour se servir de ces machines, qu’il met pour cela au nombre des organes , dans le chapitre 5 du livre I. cr , en parlant de la distance qu’on devoit laisser entre deux' tours ; il dit premièrement On doit compasser les espaces qui sont entre les tours, de manière qu’ils ne soient pas plus longs que la por- tée des traits et. des flèches ; » il ajoute ensuite afin qu’on puisse x’epousser les assiégeants en les battant à droite et à gauche , tant avec les Scorpions, Scorpio- niùus , qu’avec les autres machines qui servent pour lancer des traits. » On voit donc clairement que les Scorpions des anciens lançoient des flèches et dévoient ressembler par conséquent à nos arbalètes ; on appeloit ces petites machines des Scorpions, parce qu’elles blés— soient avec des flèches , comme le Scorpion blesse avec son aiguillon.; et à cause de la figure de leur arc qui re- présentoit deux bx’as recourbés comme les pattes d’un Scorpion. 2 On ne sait pas précisément ce qu’étoit cette machine que l’auteur nomme anisocycle ; ce mot qui est grec , signifie des cercles inégaux. Il paroît que c’étoit un fil d’acier , tourné en vis ou en spiral , et enfermé dans un canal ; en tirant à soi les bouts de cette vis , et la'lâchant tout-à-coup , elle lançoit un trait placé au bout telle est l’opinion de Baldus. D’après ce que dit Vitruve , c’étoit, comme le Scorpion , une machine fort simple qu’un seul homme pouvoit faire agir. L’ARCHITECTURE DE VI T R U VE. 433 tout leur talent et toute leur industrie. Les choses les plus necessaires ont certaine-' ment été inventées les premières tels sont les vêtemens on n’a cependant pu les faire qu’avec l’aide de plusieurs instrumens. Il a fallu trouver le moyen d’entrelacer la chaîne avec la trame ; cet entrelacement sert non-seulement à couvrir le corps de l’homme , mais il en fait encore l’ornement. Nous n’eussions jamais eu de récoltes abondantes qui nous nourrissent, si l’on n’avoit trouvé le joug, la charrue et le moyen d’y attacher des bœufs. Sans les moulinets et les leviers qui servent aux pressoirs , on ne pourroit faire des huiles claires et des vins agréables comme nous les avons. Et comment pourrions-nous les transporter ces objets d’un lieu à un autre , si l’on n’avoit inventé les chariots et charettes pour les conduire sur terre ? On a trouvé de même les balances et les trébuchets pour connoître le poids de chaque chose et empêcher les tromperies qui se font contre les loix. Il existe une infinité d’autres machines dont il est inutile de parler , parce que nous les avons tous les jours à la main ; comme sont les roues , les soufflets des ouvriers , les chars , les chaises roulantes , les tours , et les autres instrumens dont il faut que nous nous servions habituellement nous commencerons à parler de celles dont nous nous servons rarement et qui sont peu connues. REMARQUES. Nous entendons par machine ce qui sert à transmettre l’action d’une puissance sur une résistance îi général. Par son moyen on augmente et on règle les forces mouvantes. Les forces de l’homme étant bornées , il ne peut porter qu’un léger fardeau ; mais son génie a su les augmenter par le secours des machines. Plus rien alors ne lui a été difficile ; il a transporté les fardeaux les plus lourds ; il les a élevés à de grandes hauteurs. C’est surtout pour l’architecture que l’art de les employer lui est devenu nécessaire. Sans cet art , comment auroit-il pu tiansporter d’énormes colonnes , les dresser , et élever au-dessus d’elles les diverses parties de l’entablement? On peut dire que l’architecture lui doit tout ce qu’elle a de grand , et une partie de sa magnificence. Ce n’est donc pas sans raison que ^itruve consacre un livre à une science qui est si nécessaire à l’art dont il traite. On distingue deux espèces de machines les machines simples que "Vitruve appelle les organes, et les machines composées. Les machines simples sont au nombre de six ; les autres peuvent se réduire à celles-ci le levier , le treuil , la poulie , le plan incliné , le coin et la vis. Ces six machines peuvent même se réduire à deux , le levier et le plan incliné ; car le treuil et la poulie agissent comme le levier 5 et le coin et la vis agissent comme le plan incliné. Nous appelons machines composées , celles qui sont formées de plusieurs machines simples combinées ensemble. Pour les inventer 3 il faut connoître^ la puissance des forces motrices, leurnature, LIVRE X , C H a p. b 434 leurs lois , et leurs effets ; on les combine avec les loix du mouvement , et de l’cquilibve. Alors avec le secours des mathématiques , on parvient à diriger les forces mouvantes et à former les machines les plus ingénieuses. Nous avons conservé à celte science le nom qu’elle avoit chez les anciens. Nous l’appelons comme eux la science des mécaniques. Ils l’avoient portée à une grande perfection dès les lems les plus reculés , si nous en jugeons d’après les masses énormes qui composent les anciens temples de l’Egypte , de la Grèce et de la Sicile. Il est certain que leur manière d’opérer éloit beaucoup plus simple que la nôtre. Toute l’Europe a retenti des préparatifs que Fontana fît pour dresser, sur la place de au Vatican , l’obélisque de granit égyptien que Sixte V y fit éleveré II existoil en Egypte beaucoup de colonnes d’obélisques plus considérables , qui étoient monolithes comme celui-ci ; les Egyptiens les transportoient dans leurs villes, quoiqu’ils tirassent ces pierres dures des carrières qui en étoient très-éloignées. Celui dont nous venons de parler avoit été élevé, dans Héliopolis par Noncoreo,, roi d’Egypte 1,} il fut transporté à Rome pendant la troisième année du règne de Caliguia , qui le fit placer dans son cirque , situé au pied du mont Vatican , près de l’endroit où est présentement la basilique de Quand Sixte A le fil transporter où il se trouve aujourd’hui , il étoit dans l’endroit où est à présent la nouvelle sacristie de celle basilique , tellement qu^on n’eut qu’un trajet de quelques pas à lui faire faire tandis que pour le faire venir de l’Egypte à Rome , on dut d’abord le transporter d’Iiéliopolis à Alexandrie , où on l’embarqua pour Ostie sur un vaisseau plus considérable qu’aucun qu’on eût fait jusqu’alors. D’Oslie on le conduisit à Rome. Il est vrai que ce transport se fit presqu’enlièrement par eau , comme Pline nous l’apprend puis qu’en Egypte on l’embarqua sur le Nil , et à Ostie sur le Tybre ; en quoi on connut , dit Pline , que les eaux du Tybre étoient aussi profondes que celles du Nil , et qrCon pouvoit y embarquer d’aussi pesants fardeaux. Pline nous apprend encore , en parlant de ces obélisques et des moyens que les Egyptiens emploient pour les élever , que Ramesses , qui régnoit en Egypte à l’époque dé la prise de Troie , voulant élever un obélisque dans la ville où étoit autrefois le palais de Mémo onium , il y employa vingt mille hommes. Lorsqu’il fut question de Je dresser , ce roi craignant que les machines qu’on avoit préparées pour cela , rie fussent pas assez fortes , malgré tout ce qu’on lui assuroit, et pour que les architectes et les ouvriers y missent plus d’attention , fit attacher un de ses fils au bout de l’obélisque , afin que la crainte de nuire à ce jeune prince , obligeât de prendre toutes les précautions possibles pour éviter que l’obélisque ne tombât ; ce qui réussit parfaitement. Cet obélisque , dit-il , fut trouvé si admirable , que Cambise g après la prise de cette ville, qu’il fit mettre à feu et à sang , voyant les flammes parvenues au pied de l’obélisque , ordonna de l’éteindre ; ayant, ajoute Pline , plus d’égards et de respect pour ce grand obélisque que pour le reste de la ville. Il avoit , dit-il , quatre-vingt dix- neuf pieds de long , et quatre coudées de chaque côté. Liv. XX X\ I , Chap, 8 et 9. On voit combien les anciens connoissoient cette science avec laquelle ils étoient parvenus à faire de si grandes choses. Il est très-curieux de retrouver dans "Vitruve un traite, qui nous lait voir comment la pratiquoient les Romains qui la tenoient des Grecs ? et ceux-ci des Egyptiens. - s**' / 1 Pline, livre XXXVI, chapitre 2. 55 . L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E, CHAPITRE IL Des machines pour tirer . * Nous parlerons d’abord des machines qui sont nécessaires pour la construction des temples et des autres ouvrages publics. Voici comme on les fait. On prend trois pièces de bois AAA proportionnées à la pesanteur du fardeau qu’on veut élever ; on les joint ensemble par le haut avec une cheville B, ensuite on les dresse , et on les écarte par en bas , après avoir lié en haut des cordes qu’on attache tout autour , pour tenir la machine droite et l’affermir. On attache en haut un moufle C, appelé par d’autres rechamus. On met dans le moufle deux poulies qui tournent sur leurs axes , on fait passer sur la poulie supérieure le cable qui doit tirer DD; on le passe ensuite sur une autre poulie, qui se trouve dans un moufle qui est par dessous E ; alors on le fait revenir passer sur la poulie qui est au bas du moufle supérieur ; et on fait encore descendre le cable pour en attacher le bout dans le trou F qui est dans le moufle inférieur; l’autre bout du cable s’attache en bas de la machine. Sur les pièces de bois équarries , dans l’endroit où elles se retirent en arrière en s’écartant, on attache les amarres GG i qui reçoivent les deux bouts de l’axe du moulinet H , de manière qu’ils y puissent tourner aisément. Le moulinet, vers chacun de ses bouts , a deux trous II disposés de façon qu’on y puisse poser des leviers KK. Finalement on attache sous le moufle d’en bas des tenailles de fer L, dont les crochets s’adaptent dans les trous qu'on a faits pour cela dans les pierres. Comme le bout du cable est attaché au moulinet , il s'entortille tout autour , et se tend à mesure qu’on tourne le moulinet avec les leviers , ce qui fait élever les fardeaux à la hauteur où on doit les placer. * Planche XXVL me comme on le verra dans le Chap. 5 , à un morceau i J’ai rendu le mot chelonia , par le mot françois de bois , cloué sur un montant , où il forme un bos- amarres , ce que Perrault avoit fait avant moi. Les architectes et les charpentiers appellent ainsi les deux morceaux de bois , percés au milieu , où l’on fait passer tes deux bouts du moulinet Oi/donne le même nom, sage ou crochet pour arrêter une corde liée autour du montant. On appelle aussi amarre, en terme de marine, les cables avec lesquels on attache un vaisseau ; mais on sent qu il n’est pas ici question de cette sorte d’amarre. 1 LIVRE X, C h a p. n. REMARQUES. 4 36 Le mot trochlea qu’emploie ici Fauteur, signifie ce que nos ouvriers appellent un moufle. On a donné ce nom en latin à toute la machine , quoique ce soit seulement celui d’une de ses parties, Car trochlea en latin et rpo%aXicc en grec signifie proprement une poulie, appelée orbiczilus dans le texte de Vitruve. Le nom Sorbiculus et celui de trochlea qui signifie une roue , convient bien mieux à une poulie qu’au moufle. D’autres, comme nous le voyons, nommoient celte machine en latin rechamus , mot qui ne se trouve que dans Yitruve. Ces moufles sont des morceaux de bois dans lesquels il y a des mortaises où les poulies sont enchâssées. On lire le plus grand parti de cette machine pour élever toutes sortes de fardeaux. L’un des moufles étant attaché au haut de l’engin et l’autre au fardeau, la corde qui le doit lever produit son effet en faisant approcher le moufle mobile de celui qui reste fixe au haut de la machine ; il facilite par là l’élévation du fardeau , par la raison que le cable, faisant deux replis sur les poulies des moufles, il arrive que le cable qui descend au moulinet, fait le double du chemin que fait le moufle inférieur en s’approchant de l’autre; et par conséquent, il n’a besoin que de la moitié de la puissance qui seroit nécessaire si elle ne passoit que sur une poulie, et si la descente du cable vers le moulinet éloit égale à la montée du* fardeau. Nous avons vu qu’on employoit deux espèces de cordes pour confectionner cette machine que nous nommons aujourd’hui une chèvre ou engin. Les unes qui servent pour l’affermir, s’appellent en latin retinacula ; elles sont attachées par une de leurs exirémités au haut de la machine, et par * l’autre à de forts pieux qui sont chassés obliquement dans la terre , autour de la machine qu’elles soutiennent comme les haubans soutiennent le mât d’un navire. Elles sont marquées MM, Fig. I. r , Planche XXVI. L’autre espèce de corde est le cable qui passe daus les moufles et qui sert à élever le fardeau ; on le nomme en latin ductarii funes , que j’ai traduit par cable qui doit tirer. Il est indiqué dans la même figure, par les lettres DD. Pour prendre les pierres et les attacher au moufle qui devoit l’élever, les anciens se servoient d’une espèce de tenailles qu’ils nommoient forcipes. C’est ainsi que Philander, Perrault et Galiani ont lu , au lieu de forfices , qu’on trouve dans quelques manuscrits , qui signifie des ciseaux et qui ne voudrait rien dire ici. Ces tenailles étoient composées de deux pièces de fer, jointes par un clou au milieu comme des ciseaux ou des tenailles. Ces pièces étoient recourbées par en bas pour serrer la pierre , et elles avoient chacune un anneau par en haut comme des ciseaux, afin qu’une corde étant passée dans ces anneaux fît approcher en tirant les deux branches d’en haut et serrer par conséquent les deux branches d’en bas, qui, plus on tiroit, lenoient fortement la pierre dans les deux trous où elle avoit les deux extrémités de ses pinces. Voyez la Planche XXVII, fig. 2 , lettre L. On ne se sert plus présentement de cette pince qui, pouvant se plier, laisse alors tomber la pierre; on emploie généralement l’instrument que nous nommons une louve , qui n’a pas le même inconvénient. On le met dans un seul trou qu’on doit creuser de manière qu’il soit plus large dans le fond qu’à 1 entrée, Planche XXVI, lettre L, 1 437 L ’ A 11 C II I T E C T U R E DE V I T R U V E. On met clans ce trou les deux coins, 22 , dont la partie la plus large se trouve en bas. Au milieu de ces coins il y en a un troisième, 3, qui n’est pas plus large en haut qu’en bas, qui sert pour écarter les deux autres et les serrer contre les côtés du trou. Les trois coins sont percés par en haut et enfijés avec une anse , I, par la cheville 44. Ces trois coins ainsi joints ensemble forment une queue d’hirondelle qu’il est impossible de faire sortir de la pierre sans ôter les coins qui les serrent. Trois poutres composent l’assemblage de cette machine que nous nommons aujourd’hui une chèvre. Ce nombre est nécessaire pour qu’elle puisse se tenir dressée et s’appuyer sur elle-même, en formant le trépied.. Les autres machines pour tirer que Yitruve décrit dans les chapitres suivans , sont de même composées de trois poutres, à l’exception d’une seule, dont il parle dans le Chap. 5, qui consiste en une pièce de bois retenue par des cordes. L’assemblage des autres est donc le même que celui qu’il a décrit dans ce deuxième chapitre. Il observe au commencement de celui qui suit que les différentes dénominations qu’il donne à cette machine , dérivent uniquement du nombre de poulies qu’on y a adaptées. Ainsi, la chèvre qu’il vient de décrire dans ce deuxième chapitre, ayant trois poulies, s’appelle tris- pctslo. Yoyez fîg. 3, Planche XXÏX. Une autre qui en a cinq s’appelle pentapasto. Y oyez fig. 4. U ne cite que ces deux là dont les noms dérivent du nombre de leurs poulies; mais il faut faire attention que ce sont les seules de celles dont il parle qui n’ont qu’un rang de poulies placées perpendiculairement les unes au-dessus des autres dans les moufles, et où l’on n’emploie qu’un seul cable. On ne comptoit donc , à ce qu’il paroît d’après cela , que les poulies d’un rang pour donner un nom qui éloit dérivé de leur nombre à la machine. Les rangs de poulies qu’on meitoit à côté, pour y employer un second ou un troisième cable, ne se comploient pas. Nous voyons en effet que, dans le quatrième chapitre de ce livre, il parle, mais sans la nommer, d’une autre machine où l’on a mis un second rang de poulies à côté des premières 3 afin de pouvoir y employer deux cables pour tirer, ce qui n’est dans le fond autre chose que le trispasto dont on a doublé les poulies pour y employer deux cables 3 machine qu’il auroit dû nommer excispcisto > s’il lui avoit donné un nom d’après le nombre de poulies qui s’y trouvoient. Dans le cinquième chapitre, il parle encore d’une autre machine où on a ajouté un troisième rang de poulies pour y employer trois cables , ce qui n’est aussi que le trispasto dont on a triplé les poulies. Comme il ne donne à celte deVnière machine que le nom générique de polispasto, c’est-à-dire, composé de plusieurs poulies, il paroît qu’on 11 e comptoit que les poulies placéçs perpendiculairement et qui jouoient avec le même cable pour en faire dériver le nom donné à la machine , et qu’on ne comptoit pas celles qui étoient dans les rangs placées à côté. Il remarque , dans le même chapitre , que plus ce fardeau sera pesant, plus on devra augmenter le nombre de cables, pour le tirer, et par conséquent les rangées de poulies. J LIVRE X, C h a p. in. CHAPITRE III. D’une autre machine pour tirer . C^ommb il y a trois poulies qui agissent dans la machine dont je viens de parler , on la nomme trispastos i ; quand il y en a deux dans la partie inférieure et trois dans la supérieure, on l’appelle pentaspastos 2. Si l’on avoit besoin d’une machine pour lever de plus grands fardeaux , il faut employer des pièces de bois plus longues et plus épaisses , et augmenter dans la même proportion la force des chevilles et des autres liens qui sont en haut, et celle des moulinets qui sont en bas. * Quand on aura préparé ces objets , on commencera par placer , mais sans les tendre, les cables DD qui doivent tirer; on attachera ensuite au haut de la machine les cordes MM qui doivent la retenir , et on les laissera lâches sans les tendre. Si l’on ne trouve aucun objet où on puisse les lier , on fichera tout autour dans la terre des pieux en les inclinant, et on les enfoncera bien avant avec des maillets, afin de pouvoir y lier les cordes. Après cela , il faut attacher avec un cable la partie supérieure du moufle C au haut de toute la machine, et conduire ce même cable vers un des pieux O fiché en terre où on le fait passer sur une poulie liée â ce pieu. On le fait ensuite retourner sur une des poulies du moufle supérieur , et descendre sur le moulinet qui est au bas de la machine , et on l’y attache. Lorsqu’on tournera le moulinet avec les leviers , la machine se dressera elle-même sans danger ; et quand on aura lié les cordes qui doivent la retenir aux pieux qui sont disposés tout autour, elle sera bien affermie ; on pourra donc se servir du moufle et du cable comme 011 l’a dit ci-dessus. REMARQUES Le passage de ce troisième chapitre , où Vitruve commence à faire la description d’une machine assez forte pour pouvoir élever des fardeaux plus pesans, n’est pas de même dans tous les manuscrits. On lit dans presque tous His explicatis cmtarii funes ante laxi collocentur 3 etc. * Planche XXVI.™ CO C’est-à-dire, tirant par trois. 2 C’est-à-dire, tirant par cinq. 43g L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. Philander remarque que dans d’autres, au Heu antarii on trouve antaai; mais on sup- pose, sans cependant vouloir l’assurer, qu’on devroit plutôt lire ductarii. Gali»ni a suivi cette dernière opinion qu’il trouve la plus raisonnable de toutes; je l’ai également adoptée. Nous voyons, en effet, que Vitruve parle d’une machine semblable, ou, pour mieux dire, absolument la même que celle qu’il a décrite dans le chapitre précédent, si ce n’est que les pièces de bois qui la composent sont plus grandes et plus fortes. Comme elle est plus pesante que la première, il explique la manière de pouvoir l’élever, et c’est de cette opération qu’il s’agit. Nous avons remarqué cpte dans toutes les machines pour tirer , et particulièrement dans celle qu’il décrit dans le chapitre précédent, On employoit deux espèces de cordes, dont les unes étoient des cables, qu’il appelle ductarii , lesquels serveienl pour tirer les fardeaux ; et les autres qu’il nomme retinacula qui servoient pour affermir la machine. On voit qu’il veut qu’on commence par attacher celles-ci à la machine , tandis qu’elle est encore étendue par terre , sans doute pour qu’on le fasse plus commodément ; et, pour la même raison, il veut également qu’on prépare les moufles et les cables destinés à tirer, et ensuite qu’on attache le moufle avec un autre cable au haut de la machine , et que ce dernier cable serve aussi pour élever toute cette machine , comme l’indiquent ces mots et ex eo funes perducantur ad palum , etc. , ce que la lig. I. re de la Planche XXVI fait voir. D’après cela , on voit que les deux premières cordes dont il parle , doivent être les mêmes que celles employées dans la première machine ; tellement qu’on doit lire , comme nous l’avons fait , ductarii . Baldus veut au contraire qu’on lise antarii , et il entend par là celte corde qu’on attache à la pierre , qui sert à la conduire et à la tirer vers l’endroit où on la veut poser. Mais il n’y a aucune apparence que ce soit là l’intention de l’auteur , puisqu’il aurait dû faire connoîlre au moins l’usage de cette corde qu’il n’auroit fait que nommer , et qui , dans le fond, ne feroit pas partie de la machine. Je croîs donc, dûiprès ce que j’ai observé , qu’il faut lire ductarii , comme Galiani a lu , le texte ayant de cette manière un sens très-raisonnable et très-apparent. CHAPITRE I Y. D une autre machine pour tirer. Si l'on doit employer dans un ouvrage des fardeaux d’une grandeur excessive et d’un poids énorme , pi on ne se fie pas à un moulinet ce moyen ne suffit pas ; il faut de plus faire passer un essieu dans les amarres où tournent ses deux extrémités; cet essieu aura dans le milieu un grand tympan P, que quelques-uns parmi nous appellent LIVRE X, C h a p. iv. 44 ° appellent une roue, et les Grecs amphireusin i, ou peritrockon 2 . Les moufles de cette machine se font encore autrement que pour les autres car le moufle supérieur , de même que f inférieur , doivent avoir deux rangs de poulies 3 , et il faut passer le cable dans le trou du moufle inférieur , de manière que ces deux bouts soient égaux , quand il sera étendu ; et son milieu qui se trouve dans le trou du moufle inférieur , il faut l'attacher si bien avec une petite corde , qu’il ne puisse glisser ni d’un côté ni d’autre. Cela fait de la sorte , il faut passer les deux bouts du cable en dehors dans le moufle supérieur et sur les poulies basses pour redescendre et repasser en dedans sous les poulies du moufle inférieur , et ensuite retourner à droite et à gauche pour passer sur les poulies qui sont au haut du moufle supérieur , où, étant passés par en haut , ils descendent des deux côtés du tympan , où on les attache fortement à l’essieu. Il faut entortiller autour du tympan un autre cable qu’on rattache à un vindas R. Celui-ci en tournant fait aussi tourner le tympan , et tire également les cables qui sont attachés à son essieu , de manière qu’il lève insensiblement les fardeaux sans occasionner de danger. Si l’on veut faire le tympan beaucoup plus grand , de façon que des hommes, en marchant dans le milieu ou sur un des côtés , puissent le faire tourner sans employer un vindas , la machine agira plus promptement. REMARQUES. Le vindas , dont il est parlé dans ce chapitre , est une espèce de moulinet ou treuil, mais qui est posé verticalement ; il est bon de remarquer que ce vindas et les autres moyens ingénieux que Yilruve attribue particulièrement à quelqu’une de ses machines , peuvent s’adapter indistinctement à toutes les autres. Quand la force d’un homme ne suffit pas pour tirer une corde, on facilite l’opération, comme on le sait, au moyen d’une poulie; on la facilite encore davantage en employant le vindas par lequel les forces réunies de plusieurs hommes agissent également et sans gêne. On la facilite enfin en doublant ou en triplant les cordes. Les anciens faisoient aussi tourner le tympan d’une machine , en faisant marcher des hommes dedans. Ln bas-relief antique, qui est encastré dans un mur , sur Je marché de Capoue , représente une de ces machines avec des hommes dans la roue ou le tympan 4. x C’est-à-dire qui roule à l’entour. tiplier de meme les poulies. Ainsi il faudra doubler ou 2 C’est-à-dire qui tourne à l’entour.. tripler les rangs de poulies , comme on le dit ici , et 3 Quand on juge qu’une seule corde ne peut sup- comme onle verra dans la description de la polys pastos. porter le fardeau , il faut en ajouter d’autres , et mul- O Mazocdu dis. Amplnth . Campania. 56 44* L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE Y. D’une autre espèce de machine. * Il existe une autre machine assez ingénieuse qui agit fort vite; mais il faut beaucoup d’adresse pour s’en servir. Elle consiste dans une longue pièce de bois À, qu’on dresse et qu’on maintient dans cet état , en la retenant des quatre côtés avec des cordes MM. Au haut de cette pièce de bois , sous l'endroit où ces cordes sont attachées , on cloue deux amarres G sur lesquelles on attache le moufle avec des cordes. On appuyé le moufle par une règle T longue environ de deux pieds, large de six doigts et épaisse de quatre. Les moufles ont dans leur largeur chacun trois rangs de poulies , tellement que trois cables DDD attachés au haut de la machine , viennent passer du dedans au dehors sous les trois poulies qui sont au haut du moufle inférieur , et retournant au moufle supérieur passent de dehors en dedans sur les poulies qu’elle a en bas de là descendant au moufle , ces cables passent encore de dedans en dehors sous les poulies qui sont au second rang , et retournent au moufle supérieur , pour passer sur les poulies qui sont au second rang , et ensuite retourner au moufle inférieur , et enfin encore au supérieur , où ayant passé sur les poulies qui sont en haut, ils descendent au bas de la machine. Au pied de la machine , on place un troisième moufle que les Grecs appellent épagon i et nous artemon 2 ; ce troisième qu’on attache au pied de la machine , contient trois poulies , sur lesquelles passent les trois cables qui sont tirés par des hommes. Ainsi trois rangs d’hommes peuvent tirer et élever promptement les fardeaux sans employer le vindas. On appelle cette machine potys pastos 3 , à cause que la multitude des poulies fait qu elle tire avec beaucoup de facilité et de promptitude. Elle offre encore un grand avantage étant composée d’une seule pièce de bois dressée sur elle - même , qu’on peut incliner en avant ou de côté , à droite ou à gauche vers l’endroit où l’on veut placer le fardeau. * Planche XXVII , fig. i. 1 C’est-à-dire , qui tire à soi. 2 C’est-à-dire , qui est ajouté. 3 C’est-à-dire , qui tire par plusieurs poulies, LIVRE X, Ch ap. v . 44a % Toutes les machines qu’on vient de décrire , servent non seulement pour les objets que nous avons indiqués , mais encore pour charger ou décharger les navires ; pour les employer , il faut dresser les unes et coucher les autres sur des cylindres pour les tourner vers l’endroit où l’on en a besoin. On peut aussi sans élever cette pièce de bois dont nous avons parlé , tirer les navires hors de l’eau, en employant, d’après les règles que nous avons établies , les cables passés dans les moufles. REMARQUES .. La machine que Fauteur vient de décrire est extrêmement simple, puisqu'elle consiste en une seule pièce de bois qu’on dresse et qu’on maintient dans cet état avec quatre cordes , comme on maintient le mât d’un navire avec les aubans. Toute la force de cette machine consiste en ce qu’on a multiplié les poulies et les cordes. Elle offroit encore un avantage on pouvoit incliner sa cime au-dessus de l’endroit où l’on vouloit placer le fardeau , ce que Vitruve fait remarquer. Perrault a cru qu’il entendoit par-là qu’après avoir élevé la pierre à la hauteur nécessaire, on pouvoit alors, en inclinant toute la machine, placer cette pierre à droite ou à gauche comme on le vouloit. Il est étonnant qu’un homme aussi versé qu’il l’étoit dans l’art des mécaniques , n’ait pas senti combien il étoit difficile ou , pour mieux dire impossible de faire agir à volonté celte longue pièce de bois, quand elle seroit chargée , et porleroit en Pair ce pesant fardeau si on avoit détendu un des aubans qui la retenoient, aucune force n’auroit été v capable de la diriger. Il falloir donc incliner la cime de la machine au-dessus de l’endroit où on devoit placer la pierre, avant de commencer à l’élever. C’est ce que Vitruve a entendu, comme le fait voir le texte latin, qui dit quod ante quantum velit , etc. Le mot ante , mis là tout exprès, exprime clairement la chose. Je ne crois donc pas qu’on pouvoit baisser cette machine, chargée de la pierre , pour placer celle-ci dans l’endroit qui lui étoit destiné il étoit bien plus simple et plus aisé de la tirer avec une autre corde, tandis qu’elle éloil suspendue , pour la conduire où on vouloit la placer. On sent qu’il étoit bien plus facile de faire celle opération avec cette machine, composée d’une seule poutre, qu’avec celles qui l’éloient de trois. Celte machine, comme nous l’avons vu, s’appeloit polyspastos, c’est-à-dire, qui tire par plusieurs poulies. Plutarque nomme de même la machine avec laquelle il dit qu’Archimède traîna lui seul sans peine hors de l’eau un grand navire chargé de tout ce qu’il pouvoit porter sur la mer 1. Il paroît qu’il y a de l’exagération dans le récit de Plutarque; on sait tout ce que la polyspasle peut faire, ce qui est bien éloigné des effets que Plutarque lui attribue. Nous avons présentement des machines beaucoup plus commodes pour élever des fardeaux à une grande hauteur et les placer où nous voulons. Perrault en décrit quelques-unes dans ses notes sur ce chapitre. i Plutarque , vie de Marccllus. 56 . 443 L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE VI. Moyen quemploya Clésiphon pour transporter des fardeaux très - pesants. * Il convient aussi de rapporter l’invention ingénieuse qu’employa Clésiphon pour transporter les colonnes qui dévoient servir au temple de Diane. Il falloit amener les fuis de ces colonnes depuis les carrières où on les prenoit jusqu’à Ephèse. Les charrettes ne lui paroissoient pas un moyen assez sûr, à cause que les chemins traversant un terrain peu solide , il craignoit que la pesanteur du fardeau ne lit enfoncer les roues. Voici comme il fit. Il assembla quatre pièces de bois de quatre pouces en carré , dont deux étoient jointes en travers AA avec les deux autres qui étoient plus longues BB et égales à la grandeur du fût des colonnes. 11 enfonça aux deux extrémités de chaque colonne des boulons de fer C , faits en queue d’hirondelle i , et les y scella avec du plomb , ayant mis dans les pièces de bois traversantes des anneaux de fer dans lesquels les boulons entroient , et il affermit le devant de la machine en l’attachant aux traverses avec d’autres pièces de bois de chêne DD. 2 Les boulons tournoient si librement dans les anneaux de fer , que les fûts des colonnes ne cessèrent de rouler tout le temps que les bœufs les tiroient. Il lit amener ainsi tous les fûts des colonnes , sur le modèle de cette machine. Métagènes , fds de Ctésiphon en lit une autre pour amener les architraves et les autres parties de l’entablement. Elle étoit composée de roues de douze pieds environ dans le milieu desquelles il enferma les deux bouts des architraves , auxquelles il ajouta des boulons et des anneaux de fer. les boulons placés dans les anneaux de * Planche XXVIII."** 1 On comprend que ces boulons n’étoient en queue d’hirondelle que par le bout qui entroit dans la pierre , où il étoit scellé avec du plomb pour l’y faire tenir. L’autre bout qui sortoit hors de la colonne devoit être rond afin de pouvoir tourner dans l’anneau. 2 Perrault a cru que les mots haciilis iligneis signi- fsuient deux limons placés devant la machine pour y Lorsque les bœufs tiroient la machine, fer faisoient tourner les roues tellement attacher les bœufs. Si l’intention de l’auteur avoit été telle , il auroit dit baculos iligneos cupitibus religavit au lieu de cela il dit, baculis iligneis capita religavit, Il paroit que par ces mots Vitruve entend qu’on fasse tenir plu* fortement le devant de la machine aux traverses, en les attachant encore avec de petites pièces de bois de chene, placées diagonalement dans les angles, comme on les voit représentés D D fig. 2 , planche XXVIII. LIVRE X, C h a p. vl s 444 que les architraves enfermées dans ces roues comme des essieux , furent amenées sur les lieux avec les fûts des colonnes. Nous avons un exemple de ces machines, dans les cylindres qu’on employé pour applanir les promenoirs des palestres, i On n’auroit pu employer celte machine , si les carrières avoient été plus éloignées du temple ; mais leur distance n’est que de huit cents pas. La disposition du lieu étoit d’ailleurs très - favorable , puisqu’elle présente une campagne sans aucun enfoncement , mais toujours égale. On se rappelle de nos jours que la base de la statue colossale d’Apollon se rompit de vétusté dans son temple ; de crainte que la statue ne vînt à tomber et se briser par sa chute , on fit marché pour faire une nouvelle base taillée dans la carrière d’où on avoit tiré l’ancienne. Un certain Paconius l’entreprit. Sa longueur devoit être de douze pieds , sa largeur de huit et sa hauteur de six. Par ambition , il ne voulut pas employer les moyens de Métagènes , mais il essaya de faire une antre machine dans le genre de la sienne. Il la composa de deux roues qui avoient quinze pieds environ ; il enchâssa les deux extrémités des pierres dans ces roues , et fit passer des fuseaux de bois , de la grosseur de deux pouces, d’une roue à l’autre , il les disposa circulairement, de manière qu’ils enfermoient la pierre, laissant entre chacun la distance d’un pied. Autour de tous ces fuseaux , il entortilla un cable qu’il fit tirer par des bœufs , qui en dévidant le cable , faisoient tourner les roues; mais il ne fut pas possible de faire avancer cette machine par un chemin droit ; car elle se détournoit continuellement à droite ou à gauche , tellement qu’il falioit toujours la retourner. Il arriva de là que Paconius dépensa tant d’argent pour faire tourner et retourner sa machine , qu’il ne put achever son entreprise. REMARQUES. » Perrault observe très-judicieusement que si, au lieu d’une corde entortillée dans le milieu de sa machine^ Paconius en eût entortillé deux, c’est-à-dire, une de chaque côté, la machine au- roil avancé très-droit. La machine de Paconius avoit un avantage sur celle de Métagènes les ï En employant ici le mot palestre, il prend le machine que Ctésiphon inventa pour traîner les fûts tout pour la partie, c’est-à-dire, pour le xiste qui fai- des colonnes , qu’à celle de Métagènes pour transpor- soit partie de la palestre, et qui étoit l’endroit où les ter les pièces de l’entablement. Ceci feroit soupçon- athlètes s’exerçoient à la lutte , et qui pour cela n’étoit ner qu’on a transporté toute la période depuis le mot pas pavé, mais couvert de sable, qu’on avoit soin Exemplar jusqu’à ceux perpetuus campus, qui dévoient se d’applanir et d’égaliser avec ces cylindres. Voyez Liv. trouver à la fin du dernier alinéa , avant ces mots , V. Chap. II. L’exemple de ces cylindres, qui ser- " cum autem scapos etc. voient à unir les promenoirs , convient mieux à la 445 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. roues étant plus grandes et les cables tirant vers le haut sur la superficie de la machine, et non sur base, il falloit bien moins de force pour la faire agir que pour celle de Métagènes. Mais elle avoit en revanche un grand inconvénient quand les cables éloient dévidés , il falloit s’arrêter chaque fois pour les entortiller de nouveau autour de la machine , ce cjui prenoit beaucoup de temps , et fut probablement cause qu’on s’en dégoûta. CHAPITRE VIL Comment on découvrit les Carrières d’Ephèse. j e ferai connoître par une petite digression comment furent découvertes les carrières d’Éphèse. Un berger , nommé Pixodore , conduisoit souvent son troupeau dans les environs ; dans le temps que les Ephésiens se proposoient de faire venir de Paros , de Proconèse, d’Héraclée , ou de Thasis , les marbres nécessaires pour construire le temple de Diane , il arriva que le berger faisant paître son troupeau en cet endroit , deux béliers courant pour s’entre-choquer , passèrent l’un à côté de l’autre sans se toucher ; et l’un d’eux alla donner de ses cornes contre un rocher dont il rompit un éclat; le berger le trouva d’une blancheur si vive, qu’à l’heure même, laissant ses moutons sur la montagne, il courut le porter à Ephèse , où l’on étoit très-embarrassé pour trouver le moyen de transporter les marbres. On décerna sur le champ de grands honneurs au berger. Son nom de Pixodore fut changé en celui d’Evan- gelus i et à présent encore , le magistrat de la ville se rend tous les mois sur les lieux pour y faire un sacrifice , et il y est même tenu sous peine de punition. CHAPITRE VIII. Des principes Mécaniques . J Ai su exposer en peu de mots tout ce que j ai cru nécessaire pour expliquer es machines qui sont faites pour tirer les deux moteurs ou puissances qui les font agir , différons l’un de l'autre, ne se ressemblent même pas. Aussi produisent- ils les principes de deux actions ; l une est la force de la ligne droite appelée eutheia Çi G’est-à-dire , porteur de bonnes nouvelles. LIVRE X, Chap. vin. 446 par les Grecs ; l’autre la force de la ligne circulaire appelée cyclotes. Il n’en est cependant pas moins vrai que le mouvement qui va en ligne droite n’agit pas sans celui de la ligne circulaire , ni celui de la ligne circulaire sans celui de la ligne droite , quand on élève des fardeaux en tournant des machines. Pour mieux faire comprendre la chose , je vais l’expliquer. Toutes les poulies , par exemple , ont des pivots qui les traversent dans le centre comme des axes. Une corde passe sur les poulies , va droit au moulinet , où on l’attache quand on tourne celui-ci avec les leviers , il fait élever les fardeaux. Les deux bouts du moulinet qui s’étend d’une amarre à l’autre, sont aussi comme des centres dans les trous des amarres , et les extrémités des leviers décrivent un cercle, lorsque le moulinet tourne en élevant les fardeaux. On peut de même, au moyen d’une barre de fer, lever un fardeau que plusieurs hommes ne sauroient remuer. Pour servir de centre , on place sous la barre un appui, que les Grecs appellent Ypomochlion ; on fait entrer sous le fardeau un des bouts de la barre ; alors la force d’un seul homme qui pousse sur l’autre bout de la barre suffit pour faire lever le fardeau. Voici pourquoi. Cette partie antérieure de la barre qui entre sous le fardeau , jusqu’à l’appui qui sert de centre , est beaucoup plus courte que l’autre qui s’étend depuis ce centre jusqu’à l’autre extrémité ; tellement qu’en prenant cette extrémité et appuyant dessus , elle forme un mouvement circulaire, qui met la force de la main en équilibre avec le poids d’une masse aussi considérable. On peut de même mettre le bout de la barre de fer sous le fardeau , et au lieu de pousser sur l’autre extrémité de la barre , la lever ; le bout antérieur appuyant sur le sol agira contre la terre comme il faisoit auparavant contre le fardeau , et la barre pressera l’angle du fardeau quelle lève , comme elle pressoit Y Ypomochlion. Par ce moyen qui agit dans un sens opposé à l’autre , on lève le poids, mais pas aussi aisément. Si au contraire on enfonce fort avant sous le fardeau la barre soutenue sur Y Ypomochlion, de manière que l’autre extrémité se trouve trop rapprochée du centre, on ne pourra lever le fardeau , à moins qu’on ne reprenne 1 équilibre , comme on a dit , en faisant que la plus grande partie de la barre se trouve du côté opposé à celui sur lequel pose le poids. On peut observer cela dans les balances , qu’on appelle statères; i l’anse, qui est comme le centre du fléau, est attachée près de l’extrémité où on a suspendu le i C’est ce que nous nommons la balance romaine ou peson. 447 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. bassin ; plus on fait avancer vers l’extrémité de l’autre partie du fléau, sur les points qui y sont marques, le poids qui glisse tout le long, plus ce petit poids aura la force d’égaler une grande pesanteur , à cause que le fléau est en équilibre , et que le contre-poids est plus éloigné du centre. Tellement qu’un poids dont l’effet étoit très-foible , lorsqu’il se trou voit trop près du centre , peut acquérir en un moment une grande force, et élever sans peine un très-lourd fardeau. i - » Cette même force, qui agit loin du centre, fait que la main du pilote qui dirige avec la barre du gouvernail, que les Grecs nomment Oiax , peut tourner en un moment un énorme navire chargé de marchandises et de tous ses agrès. Elle est encore cause que quand on n’élève les voiles que jusqu’à la moitié du • mât, elles ne font pas aller le vaisseau aussi vite que quand on élève les antennes jusqu’en haut ; parce que le vent agit avec moins de force sur les voiles qui reçoivent son soufle aussi près du pied du mât, que l’on considère comme le centre, que sur celles qui le reçoivent en haut à une plus grande distance. De même, quand on appuyé sur le milieu d’un levier , on a beaucoup de peine à remuer le fardeau qu’il doit lever , tandis qu’on le fait aisément lorsqu’on le prend par l’extrémité du manche ainsi les voiles qui sont attachées au milieu du mât, ont beaucoup moins de force, que quand elles le sont en haut ; comme elles se trouvent alors plus éloignées du centre , quoique le vent ne soit pas plus fort, mais égal, l’impulsion qui se fait au sommet, accélère la marche du navire. Nous voyons aussi que les rames attachées à leur cheville avec des cordes, quand on les plonge et qu’on les ramène à force de bras, plus leurs extrémités s’avancent loin du centre dans la mer, plus elles donnent une véhémente impulsion et un cours direct au navire en lui faisant fendre les flots. Six ou bien quatre portefaix i veulent-ils soulever de lourds fardeaux, ils mesurent d’abord les bâtons dont ils doivent se servir, et font en sorte que le centre qui doit porter se trouve au milieu , afin de partager la charge également sur les épaules de chacun. Il y a pour 1 Le mot Phalangani signifie ceux qui portoient des fardeaux sur leur épaules avec des bâtons appelés phalanges. Le mot grec ÇaXa>y§ signifie proprement un rouleau de bois ; par métaphore c’étoit un bataillon rangé, peut-être par ce qu’il avoit la figure d’un morcela des chevilles de fer au milieu de ceau de bois étant plus long que large , et aussi qu il en avoit la fermeté. Il paroît encore que c’est à cause de leur ressemblance avec cette figure que Galien, et long temps avant lui Aristophane, au rapport de Fol- lux , appellent les os des doigts , phalanges. leurs L I Y 11 E X, C h a p. vin. 448 leurs bâtons, qui empêchent les courroies qui supportent le fardeau de glisser d'un côte ou d’autre. Or quand le fardeau s’éloigne du centre, il pèse sur celui des porteurs vers lequel il a glisse', comme quand on fait aller le contre-poids d'une balance vers son extrémité. Pour la même raison , les bœufs tirent également, quand la courroie qui soutient le timon est liée au milieu de leur joug mais quand les bœufs ne sont pas de force égale et que l’un fait trop travailler l’autre , on passe la courroie de manière qu’un des côtés du joug soit plus long que fautre , afin de soulager le bœuf qui est le plus foible. Il en est des bâtons à porter comme des jougs, quand les courroies ne sont pas au milieu , et qu’une partie du bâton se trouve plus longue et une autre plus courte , savoir celle vers laquelle la courroie a coulé ; si l’on fait circuler alors le bâton autour de 1 endroit où se trouve la courroie qui sert de centre, l’extrémité de la partie la plus longue décrira un plus grand cercle, et celle de la plus courte un plus petit. C est pour cela que les petites roues roulent plus lentement et plus difficilement; c’est pour cela encore que les bâtons et les jougs pèsent davantage du côté ou se trouve 1 intervalle le plus court, depuis le centre jusqu’à l’extrémité ; et au contraire , ils soulagent d’autant ceux qui les portent, qu’il y a un plus long espace depuis le centre jusqu’à l’extrémité. Ces exemples font voir que toutes les machines agissent par le mouvement direct ou circulaire , à raison de la distance du centre ; c’est ainsi que les chars, les voilures , les pignons, les roues , les vis, les arbalètes, les baiistes, les presses et toutes les autres machines produisent les effets pour lesquels elles sont destinées , par la force de la ligne droite, du centre et de la ligne circulaire. REMARQUES. Ce n’est pas d’après les principes de la géométrie ni d’après ceux de la physique que l’auteur cherche à démontrer, dans ce huitième chapitre, comment les machines produisent leurs effets y il se contente de faire connoîire ces machines et d’expliquer par diverses expériences et des exemples les effets qu’elles produisent; on ne peut douter cependant qu’il ne connût très-bien , comme on pouvoil en rendre raison par les règles de la géométrie et de la physique mais il est probable qu’il en a agi de la sorte pour se faire plus aisément comprendre des artistes qui ignoroieut ces sciences. Ainsi il fait voir par des exemples que , quoique Je mouvement direct scit different du mouvement circulaire , il n’est pas d’opération mécanique où ces rleux mouvement, n’agissent concurremment ensemble. Dans la poulie, par exemple, se trouve le mouvement circulaire, et dans la corde qui la fait agir le direct. Le levier agit directement, et la main qui l’emploie agit par un mouvement circulaire; il en est de même des autres machines. 5 7 449 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. Il s'attache sur-tout à faire connoître, et toujours par des exemples, les différents usages du levier , la plus simple et , en même temps, la principale de toutes les machines. Pour appuyer 1 principe que plus la puissance qui fait agir le levier est éloignée de l’appui, plus elle a de force, il cite les rames d’un vaisseau , qui, plus elles sont longues depuis le bord du navire qui est le centre, et atteindront par-conséquent de loin la mer, plus elles accéléreront la marche du navire. Philander et Perrault reprennent ici Yilrnve et prétendent qu’il applique mal à propos la théorie des effets du levier à celui des rames des navires. Ils disent qu’en cela il est contraire à ce qu’enseigne Aristote qui veut que la longueur des rames est seulement nécessaire pour que Peau soit frappée avec plus de vitesse, ce qui arrive quand la rame est longue, l’eau résiste alors lavante tage car si Peau n’obéissoit pas , il est certain que plus la rame seroit courte depuis la cheville jusqu’à la mer , plus les rameurs auroient de force pour remuer le vaisseau, et en ce cas il vau- droit mieux pour remuer le vaisseau avec plus de puissance, que la plus grande partie de la rame fût depuis les chevilles jusqu’à la main des rameurs. » Galiani croit que comme traducteur et interprète de Vitruve, il a contracté l’obligation de prendre sa défense contre ces critiques qui n’ont pas bien saisi le sens de notre auteur, et qui veulent le reprendre en appliquant mal à propos l’autorité d’Aristote. C’est un axiome de physique, dit Galiani, que la réaction est égale à l’action tellement que quand deux puissances agissent en sens contraire aux deux extrémités d’un levier, elles peuvent être considérées indifféremment, l’une ou l’autre comme la force motrice et l’une ou l’autre comme le corps résistant. Or donc Vitruve dit que quand la plus petite partie de la rame est depuis la main du rameur jusqu’à la cheville, et la plus grande depuis la cheville jusqu’à la mer, le mouvement du vaisseau est plus prompt. Ses critiques prétendent au contraire qu’on le feroit agir plu» aisément, si la partie de la rame étoit plus longue depuis la main du rameur jusqu J à la cheville , que celle qui est depuis la cheville jusqu’à la mer. Dans ce sens ils ont raison de dire qu’on a plus aisé de le faire agir, c’est-à-dire que les rameurs n J ont pas besoin d’y employer autant de force, mais ce n’est pas ce que Vitruve a entendu. Il a dit que le vaisseau iroit plus vite, vehe- menti impulsa. En supposant donc , comme l’a fait Vitruve, que la quantité des rameurs soit suffisante pour vaincre la force opposée, c’est-à-dire le poids du navire et la résistance de l’eau, tout homme de bon sens sentira , sans être même mécanicien , que plus la rame sera t longue , depuis la cheville jusqu’à la mer, plus chaque coup de rame fera faire un long, trajet au navire. / N LIVRE X, Chap, ix. 45o CHAPITRE IX. Des machines pour tirer leau . .Nous parlerons présentement des machines inventées pour tirer de l’eau il y en a de différentes espèces. Je commence par le tympan . cette machine n’élève pas l’eau très-haut , mais elle en tire beaucoup en peu de temps. On fait un essieu qu’on arrondit au tour ou au compas, et on couvre de fer ses deux extrémités. Il traverse un tympan fait avec des planches jointes ensemble. On pose le tout sur deux pieux , dont les bouts sont garnis de lames de fer pour soutenir les extrémités de l’essieu. Dans la cavité du tympan on met huit planches en travers, depuis la circonférence jusqu’à l’essieu, lesquelles divisent le tympan en autant d’espaces égaux on ferme le devant avec d’autres planches, auxquelles on fait des ouvertures de demi-pieds 'pour y laisser entrer l’eau. On creuse outre cela le. long de l’essieu autant de canaux qu’il y a d’espaces , et on les fait aboutir à l’un des côtés de l’essieu. Après avoir enduit le tout de poix comme le sont les navires , des hommes font tourner avec les pieds la machine qui puise l’eau par les ouvertures qui sont à l’extrémité du tympan, et la rend par les conduits qui sont le long de l’essieu. Une auge de bois reçoit l’eau qui coule en abondance par un tuyau qu’on y a adapté, et on la conduit dans les jardins qu’on veut arroser ou dont les terres salines ont besoin d’être tempérées. Si l’on devoit élever l’eau à une plus grande hauteur , on peut le faire avec la même machine , en y faisant les changemens que voici on fait autour de l’essieu une roue assez grande pour atteindre la hauteur où on veut élever l’eau , et autour de la circonférence de la roue on attache des caisses de bois enduites de poix et de cire. Des hommes feront tourner cette roue en marchant dedans ; par ce moyen les caisses remplies d’eau s’élèveront jusqu’au réservoir placé en haut où elles la verseront d’elles-mêmes , ayant alors leur ouverture retournée par en bas. Doit-on faire monter l’eau à une hauteur beaucoup plus élevée encore ? il faut alors mettre sur l’essieu d une roue une double chaîne de fer qui descende jusque 5 7 * 451 L’ARCHITECTURE DE VITIl CJ V E. dans 1 eau , et attacher tout le long de cette chaîne des vases de forme conique faits en cuivre. Cette roue en tournant fera avancer sur elle la chaîne et monter les vases de cuivre , qui, en passant sur l’essieu , devront se renverser et verser dans un ré- servoir l’eau qu’ils ont élevée. REMAROUE S. Pour expliquer ces expressions , hominibus caîcantibus versatur dont fauteur se sert pour dire que des hommes font tourner cette roue en marchant dedans , il faut supposer qu’il y a une autre roue jointe au tympan dans laquelle ces hommes puissent marcher. Nous avons observé , dans nos remarques sur le IV me Chap. de ce livre, que dans un mur du marché de lar ville de Capoue, on a encastré un bas - relief antique , où. l’on voit représentée une de ces roues ou tympan que des hommes font tourner en marchant dedans. CHAPITRE X. i I'une autre espèce de Tympan et des Moulins à leau. Les roues dont nous venons de parler , servent aussi pour élever l eau des rivières. On attache autour de la circonférence de la roue des ailerons , qui poussés par le cours de 1 eau , la font tourner tellement que , sans le secours d’aucun homme , les caisses puisent l’eau et la portent en haut. Les moulins à l’eau i tournent de la même manière et sont faits de même , excepté qu’une des extrémités de l’essieu passe au travers d’une roue à dents , posée à plomb et en couteau qui tourne avec la grande roue. Joignant cette roue en couteau ; il y en a une autre plus petite n , dentelée aussi et placée horizontalement à l’extrémité supérieure de son essieu se trouve un fer en forme de hache , qui 1 affermit x Turnebe et Saumaise ont corrigé ici le texte latin. Ils lisent hydrumylœ qui signifie des meules que l’eau fait aller , au lieu de hydraulœ qui signifie des machines qui conduisent l'eau avec des tuyaux. Perrault et Galiani ont adopté cette correction qui est plus conforme à la suite du texte. J’ai suivi leur exemple. a D’après les principes de la mécanique .cette seconde roue , placée horizontalement, doit être plus petite que celle qui la fait mouvoir , autrement la meule tourneroit plus lentement que la roue qui va dans l’eau, ce qui ne doit pas être. C’est pourquoi Perrault a cru qu’il faiioit lire minus iiem dentatum piauum est collocatum , au lieu de Majus , etc. LIVRE X, Ch a p. xi. 452i dans la meule. Les dents de cette roue traversée par l’essieu de la grande poussent les dents de l’autre roue qui est placée horizontalement, et fait tourner la meule sur laquelle pend la trémie , qui fournit le grain aux meules pour le broyer en tournant et en faire la farine. C H A P I T R E X I. Ie la Vis. Nous avons une espèce de vis 1 qui puise beaucoup d'eau, mais ne l’élève pas aussi haut que la roue , voici comme on la fait. On prend une pièce de bois qui doit avoir autant de doigts d’épaisseur que sa longueur a de pieds. 2 Après l’avoir bien arrondie , on divise les cercles qui terminent les deux extrémités , en quatre parties égales ou en huit ; par ces divisions on trace autant de lignes , et on doit les tracer de manière qu’en dressant perpendiculairement la pièce de bois sur un fond uni , les extrémités des lignes qui sont sur les deux bouts répondent à plomb l’une à l’autre. De ces extrémités on tire tout le long de la pièce de bois des lignes perpendiculaires, distantes l’une de l’autre de la huitième partie de la circonférence de la pièce de bois. On marque ensuite tout le long d’une de ces lignes des espaces égaux à ceux qui séparent les lignes l’une de l’autre , et de chacun de ces espaces on décrit autour du bois d autres lignes qui traversent toutes les lignes perpendiculaires et on marque des points où les lignes s’entrecroisent. Cela fait avec exactitude , on prend une petite tringle de bois de saule ou d’ozier, on la frotte de poix liquide , et on l’applique sur le premier point ; ensuite on la conduit obliquement sur les intersections que forment les lignes droites avec celles qui entourent la pièce de bois. On traverse ainsi en tournant huit distances et on 1 Ce que l’auteur nomme ici eochlea , s’appelle vulgairement la vis d’Archimède ou pompe spirale, il paroit qu’on ne l’avoit pas encore attribuée à Archimède du temps de Yitruve , quoique Diodore de Sicile , qui écrivoit presqu’en même-temps que \itruvd, fasse Archimède l’inventeur de cette machine. La grande utilité que cet auteur prétend qu’on en a tirée pour rendre l’Egypte habitable en épuisant l’eau dont elle étoit autrefois inondée , feroit cependant croire qu’elle est beaucoup plus ancienne qu’Archimède. 2 La longueur de cette pièce de bois devoit contenir seize fois son épaisseur , parce que le pied des anciens contenoit seize doïgts. 4^3 L ’ A R € Il 1 T E C T CJ RE DE V I T R ü V E, passe sur huit points , marques sur les lignes droites , jusqu’à ce qu’on parvienne à la même ligne par laquelle on avoit commencé de manière que ns’avançant obliquement sur huit poinls de la circonférence, on s’avance aussi de huit points sur la longueur. On attache de même d'autres tringles obliquement , sur toutes les intersections pie font, jusqu’au bout, les lignes droites et les circonférences , et suivant la division qu’on a faite en huit parties, on forme des canaux entortillés, semblables à ceux qu’on voit dans les coquilles des limaçons. Sur ces premières tringles, on en applique d’autres également enduites de poix liquide, on en met autant qu’il en faut, pour que tout le diamètre de la vis égale la huitième partie de sa longueur. Autour des circonvolutions des tringles , on cloue des planches enduites encore de poix liquide T et on les lie avec des cercles de fer , afin que l’eau ne puisse les séparer. On affermit les deux extrémités de la pièce de bois, en douant autour deux cercles de fer, et l’on y enfonce les boulons. Ensuite à droite et à gauche des deux bouts de la machine , on plante des pieux qu on lie ensemble , avec d’autres pièces de bois mises en travers , où il y a des viroles de fer enchâssées , dans lesquelles on fait entrer les boulons ; alors des hommes font tourner la vis avec les pieds. Quand on élève un des bouts de la vis pour l’incliner , on suit les proportions du triangle de Pylhagore que nous avons décrit c’est-à-dire qu’on divise la longueur de la vis en cinq parties , dont on donne trois à l’élévation de ce bout ; de sorte qu’il y en aura quatre depuis la ligne perpendiculaire de cette élévation jusqu’à l’ouverture d en bas. La figure qui est à la lin de ce livre montre comme on doit faire tout cela. Je viens de parler, le plus clairement que j’ai pu de toutes les machines en bois qu’on emploie pour élever les eaux ; j'ai dit la- manière dont on doit les construire et les faire agir , et démontré enfin les avantages pour ainsi dire infinis qu’on en tire. REMARQUES. Tout le monde connolt la vis d’Archimède que l’auteur vient de décrire elle est composée d’un canal qui tourne en forme de spirale autour d’un cylindre. On plonge dans l’eau un des orifices du canal, on élève l’autre au-dessus de son niveau , et en faisant tourner la machine, l’eau monte dedans et se décharge par ce dernier orifice. Mais il faut nécessairement pour cela que ce cylindre soit incliné à l’horizon , sous un angle qui ait moins de 45 degrés. Tel est celui que forme l’hypoténuse avec la base dans le triangle rectangle de Pylhagore, dé- LIVRE X, C h a p. xit. 454 ciii clans le a c Chap. du 1X U Liv. , puisque sa base esi plus grande que la perpendiculaire , corame dans tous les triangles rectangles dont la base et l'hypoténuse forment un angle moindre de 45 degres , la perpendiculaire de ce triangle n’ayant cpie 5 parties et sa base 4- Si le cylindre incliné forinoit avec l’horizon un angle de 45 degrés, tons les angles que forment les canaux de la vis , avec le cylindre, seroient égaux à celui-ci, et tous les canaux seroient alors horizontaux et parallèles à la superficie de l’eau qu’ils ne pourroient par conséquent puiser. Il faut donc que le cylindre forme avec l’horizon un angle moindre de 45 degrés, l’eau entrant alors dans la machine , quand on la fait tourner , d’autant plus abondamment que cet angle aura moins de 45 degrés. O CHAPITRE XII. De la machine de Ctésibius. Parlons maintenant de la machine de Ctésibius qui élève l’eau à une grande hauteur. Cette machine se fait en cuivre ; on place en bas , assez près l’un de l’autre , deux barillets d une égale capacité. De ces barillets sortent des tuyaux qui forment une fourche en se joignant pour entrer dans un petit bassin , placé au milieu, dans lequel sont des soupapes qui s’appliquent légèrement sur l’ouverture supérieure des tuyaux , et qui, en fermant cet orifice , empêchent de retomber tout ce qu’on a poussé avec force dans le bassin par le moyen de l'air. Sur le bassin se trouve un couvercle , qui a la forme d’un entonnoir renversé , il faut qu’il joigne exactement et qu’on l’attache avec des chevilles qui passent dans des pitons crainte que la force de l’eau ne l’enlève lorsqu’on la pousse. Au-dessus du couvercle , on soude un autre tuyau qu’on nomme la trompe , et qu’on élève à la hauteur qu’on veut. Au-dessous de l’entrée des tuyaux placés au bas des barillets, il y a des soupapes qui ferment les trous qui sont au fond de ces barillets. On fait entrer par le haut des pistons polis au tour et frottés d’huile; ceux-ci enfermés dans les barillets, étant mis en mouvement à l’aide d’une barre à laquelle ils sont attachés , et d’une manivelle qui les élève et baisse alternativement, pressent continuellement l’air qui s’y trouve avec l’eau ; les soupapes fermant les ouvertures par lesquelles l eau entre dans les barillets , la compression la force d’entrer dans le petit bassin par les tuyaux qui v 455 L ’ A R C H I T E C T U R E DE V I T R U Y E. aboutissent ; lorsqu’elle s’y trouve , la rencontre du couvercle l’oblige de s’élever dans la trompe. Par ce moyen on peut faire monter l’eau d’un endroit profond dam un réservoir élevé et former une fontaine jaillissante. Cette machine n’est pas la seule que Ctésibius ait inventée ; 11 y en a beaucoup d’autres, de différentes espèces, qui montrent qu en comprimant les liquides au moyen de l’air, on produit des effets semblables à ceux de la nature telles sont ces machines qui imitent le citant des oiseaux ; ces vases de verre i remplis d’eau dans lesquels on voit courir de petites figures; et plusieurs autres de te genre dont les unes réjouissent la vue et les autres rendent des sons très agréables ;\ entendre. J’ai choisi celles dont l’usage m’a paru être le plus utile et nécessaire; j’en ai parlé dans le livre précédent, quand j’ai enseigné comme on devoit construire les horloges ; dans celui-ci je me suis occupé de celles qui font monter l’eau. Quant aux autres machines qui sont de pur agrément et dont on ne tire aucune utilité , les curieux pourront en voir la description dans les ouvrages mêmes de Ctésibius. CHAPITRE XXII. Des Orgues hydrauliques. ci e ne puis cependant m’empêcher d’expliquer en peu de mots , et le mieux qu’il me sera possible , par quel art on fait des orgues qui jouent au moyen de l’eau. On place un coffre de cuivre , sur une hase faite en bois. A droite et à gauche de cette base on élève de chaque côté deux règles , qu’on joint ensemble en forme d’échelle ; entre ces règles on enferme des barillets , dont les fonds sont itio- i L’auteur emploie ici le mot engilata. Baldus voudroit qu’on lût angibuta , mot qu’il fait dériver du grec opyyiiov , qui signifie un vase. Le traité des machines pneumatiques de Héron lui a donné l’idée de faire cette correction. Héron fait la description d’une machine formée d’un vase transparent, dans lequel de petites figures se remuent. Ce vase ressemble à ceux que font nos émaiiieurs, où de petites figures d’émail sont enfermées avec de l’eau, et soutenues dans ce liquide par de petites bouteilles de verre qui, étant fermées hermétiquement, les y soutiennent au moyen de l’air qui est dedans. Baibaro interprète ce mot autrement il le lait dériver du grec syyit'J qui signifie ce qui est près , comme si ces figures etoient _ si petites qu’il fallût les regarder de près. A l'exempte de Perrault et de Galiani j’ai adopté la correction de Baldus. biles XIII. 45 fr LIVRE X, Chap. biles i et parfaitement arrondis au tour. On les attache à des barres de fer qui tiennent par des charnières à des leviers , enveloppés de peaux qui ont encore leur laine 2. Dans la plaque qui couvre le haut des barillets , il y a des trous qui ont environ trois doigts de large ; près de ces trous et des charnières , des dauphins de bronze soutiennent a\ec des chaînes pendues a leur gueule, des cymbales qui bouchent par - dessous les trous des barillets. 3 Dans le coffre de cuivre qui contient l’eau , il se trouve une espèce d’entonnoir 4 renversé , sous lequel sont des billots de 1 épaisseur de trois doigts environ, qui soutiennent son bord d’en bas à une égale distance du fond du coffre. Le haut qui s’élève en s’étrécissant forme une espèce de cou , et se joint à un petit coffre qui soutient la partie supérieure de l’instrument ; les Grecs appellent cette partie canon musicos 5 ; par - dessus , et dans toute sa longueur , on creuse des canaux au nombre de quatre , quand l’instrument est tétracorde 6 ; au nombre de six quand il est exacorde 7 ; et au nombre de huit quand il est octocorde 8. Chacun de 1 Par fonds mobiles , il entend les pistons , qui occupent effectivement le fond des barillets lorsqu’ils sont baissés. 00 Il est assez difficile de deviner à quoi servoit cette peau couverte de laine, il paroît cependant que e'étoit pour empêcher le bruit que font les charnières. 3 Avant Galiani on lisoit dans toutes les éditions, pendentia habentes catenis cymbala ex ore , infra forami— na modiolorum chalata intrà arcam quo loci aqua sus— tinetur. Inest in id genus etc. De cette manière le sens de ce passage seroit très obscur. Perrault a changé et ajouté quelques mots au texte , et cependant ne l’a pas rendu beaucoup plus clair. Galiani , que nous avons suivi , n’y a fait d’autre changement que de placer un point après le mot chalata , et d’attribuer à la suite du discours les mots suivants intrà arcam quo loci aqua sustinetur; par ce moyen il a trouvé le vrai sens de ce passage. Ces dauphins étoient placés horizontalement soutenus par une cheville, ils jouoient comme le fléau d’une balance, ils avoient dans leur gueule des petites chaînes au bout desquelles étoient attachées les soupapes des barillets, faites en forme de cône, que Vitruve nomme des cymbales , pai'ce que ces instruments de musique chez les anciens avoient une forme conique. La partie la plus pesante du corps de ces dauphins qui étoit de l’autre côté de la cheville, opposé à celui où étoit la tête , servoit de contrepoids à ces soupapes, et les fai— soit remonter dès que l’impulsion de l’air qui les avoit poussées en bas en entrant dans les barillets, venoit à cesser. 4 Dans le texte on lisoit phigœos. Turnèbe a très-adroitement corrigé ce passage , en substituant à ce mot celui de pnigeos qu’il fait dériver du grec -xviyziv qui signifie suffoquer , étouffer, dont on a formé le mot latin pnigeos, pour signifier un éteignoir qui étouffe la lumière et qui ressemble à un entonnoir renversé. 5 C’est-à-dire règle musicale. 6 A quatre jeux. 7 A six jeux, 8 A huit jeux. Il n’est pas vraisemblable que les or-* gués des anciens ne contenoient seulement que quatre tons, ou six et au plus huit. Elles dévoient naturellement contenir leurs 18 tons. On ne doit donc pas entendre ici par tétracorde , exacorde etc. un nombre de tuyaux qui répond à pareil nombre de marches ou touches; mais le nombre rangées de tuyaux dont chacune répond à toutes les touches. C’est ce que nous appelons les diffé- rens jeux. Il le prouve en disant que les canaux qui sont au nombre de quatre , de six ou de huit , et qui font appeler l’orgue tétracorde , exacorde ou octocorde, sont placés en long in longitudine, tandis que les marches ou touche» sont certainement placées, comme il le dit aussi, entravers, ordinqta in transverso foramina. Il ajoute ensuite que le vent entre dans ces canaux par des robinets qui apparemment font l’office de ce qu’on nomme registre dans nos orgues. 58 457 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. ces canaux a un robinet i dont la clef est en fer ; par ce moyen lorsqu'on la tourne , on ouvre chaque conduit par où l’air qui est dans le coffre passe dans les canaux ; le long de ces conduits , il y a une rangée de trous, qui répondent à d’autres qui sont dans la table qui est au-dessus , et qu’on appelle en grec pinax 2. Entre cette table et le canon , on met des règles exactement percées l’une comme l’autre et huilées , afin qu’on puisse aisément les pousser , les tirer en avant et les renvoyer en arrière pour térmer et pour ouvrir les trous qui sont le long des canaux ; on nomme ces règles pleuritides 3. Ainsi en les faisant aller et revenir elles bouchent une partie des trous et ouvrent les autres 4. } On attache à ces règles des ressorts de fer 5 qu’on joint également avec les touches, ce qui fait qu’en touchant celles-ci, elles font aussi mouvoir les règles dans la table sont les trous par lesquels le vent pénètre dans les tuyaux et dans les règles sont des ouvertures rondes 6 qui correspondent avec les embouchures de tous les tuyaux. Il sort des barillets, des conduits dont les ouvertures se rendent au cou de bois qui va dans le petit coffre là se trouvent des soupapes faites au tour , qui ferment ces ouvertures dès que le vent est entré dans le petit coffre et l’empêchent d’en sortir. De sorte qu’en levant le bout des léviers , les barres de fer font descendre les pistons jusqu’au bas des barillets ; cela fait que les dauphins qui agissent comme des charnières , laissent descendre les cymbales pendues à leur gueule , et par-là donnent entrée à l’air dans la cavité clés barillets. Ensuite lorsque les barres de fer , par leurs mouvemens réitérés, font remonter les pistons, les cymbales, par l’action 1 Le mot ëpîslomium qu’on trouve dans le texte, signifie proprement la clef d’un robinet. Il s’en trouvoit de semblable à l’extrémité de ces canaux. Quand le trou de cette clef étoit directement vis-à-vis du canal ; l’air y entroit, et quand on le toumoit sur le côté, l’air ne pou- voit y pénétrer. Ces clefs ou robinets faisoient dans les orgues anciennes l’effet des registres dans les nôtres. 2 C’est-à-dire une table. 3 C’est-à-dire des côtes. 4 Chacune de ces régies , comme on le voit un peu plus bas , servoit à ouvrir ou fermer les trous qui corres- pondoient seulement à un ton. Elles produisoient , mais par un moyen différent, le même effet que les soupapes qui font aller les touches dans nos orgues modernes. 5 L’auteur employé le mot chomgia , qui, d’après son étymologie * ne peut signifier autre chose que des ressorts, puisqu’il est dérivé du mot sauter, danser. On appelle encore sauterelles les pièces de bois , auxquelles sont attachés les morceaux de plumes qui font résonner les cordes de nos clavecins. Ces ressorts repoussoientles touches de chaque ton , quand on avoit cessé de les pousser en avant. Turnèbe et Baldus voudraient qu’on lût cnodada qui signifie des boulons de fer mais comme l’observe très-bien Perrault, des boulons de fer ne sont point propres pour repousser ces règles , qui ont besoin d’un ressort qui les fasse revenir en avant quand elles ont été poussées. 6 Le latin dit reguiïs sunt annuli; j’ai entendu par-là des trous arrondis comme des anneaux. LIVRE X, Chu, ÏIIL 458 des dauphins , bouchent les trous qui sont au-dessus d’elles, et l’air enfermé dans les barillets , pressé par les pistons , est forcé de passer dans les conduits, et de là par le cou de bois dans le petit coffre. L’air ainsi pressé par de fréquentes impulsions , entre par les ouvertures des robinets , et emplit les canau>. Alors en appuyant sur les touches , on pousse les réglés qui reviennent ensuite, et les trous étant tantôt ouverts, tantôt fermés , suivant les règles de la musique , la multitude et la variété des sons produisent des chants pleins de mélodie. J’ai fait mon possible pour expliquer clairement une chose qui est d’elle-même assez obscure et oifficile a démontrer par écrit. Hormis ceux qui commissent cet instrument pour l’avoir pratiqué , tout le monde aura de la peine à concevoir par quel art on peut le construire ; mais je suis persuade que ceux qui n auront pu le comprendre d après ce que j en ai écrit, seront obligés de convenir que tout cet arrangement est très - curieux et rempli d’industrie , lorsqu’ils verront l’ouvrage exécuté. REMARQUES. On ne sauroit faire connaître d’après le texte de Yitruve, quelle étoit la vraie forme des orgue* anciennes. Quand même on employeroit des figures, comme il l’observe à la fin de ce chapitre , il n’y a que ceux qui connoissent cet instrument pour l’avoir pratiqué , qui pourront comprendre aisément ce qu’il en a écrit. Il n’existe plus d’orgues anciennes, et on n’en trouve aucune, que je sache , représentée dans des monumens antiques, qui pourroil nous faciliter cette intelligence. Le seul moyen donc que nous avons de faire comprendre ce qu’il dit des orgues anciennes , c’est, d’après la ressemblance que nous voyons qu'elles ont en beaucoup de choses avec les nôtres , de les comparer ensemble. C’est ce que nous allons faire, Pour introduire Pair dans nos orgues modernes, on se sert de soufflets; un canal le conduit dans une caisse hermétiquement fermée, qu’on nomme vulgairement la caisse du vent. Au lieu de soufflets , les anciens employoient des barillets, avec des soupapes qui produisoient le même effet en introduisant l’air dans une caisse nommée area dans le texte. Cette caisse étoit couverte, comme elle l’est encore à présent, par une table nommée caput machinœ , et en grec ko,vù>v. JNos artistes modernes l’appellent le banc. Dans nos orgues , le côté de cette table, qui est vers la caisse , est traversé dans sa largeur par autant de rainures ou demi-canaux que nous avons de tons dans notre musique dans les orgues anciennes , au contraire, c’éloit des tubes entiers et non des demi-canaux qui étoient placés dans toute la longueur de la table ; il n’y en avoit pas autant qu’il y avoit de tons dans leur musique, mais autant qu’il y avoit de différents jeux ou registres. Cette table étoit percée , comme elle Pest encore aujourd’hui, par un nombre de trous égal a celui des tuyaux qu on devoit mettre à l’orgue. Sur cette table on en placoit une autre , qui s’appeloit alors tabula summa 3 58 . L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. 4 % en grec irlvaÊ; , et aujourd’hui le sommier. Celle-ci étoit, comme elle l’est encore dans nos orgues percée exactement comme l’autre ; c’étoit sur les trous de celte dernière table tabula summa qu’on dressoit des tuyaux. Nous faisons glisser aujourd’hui entre ces deux tables autant de règles que nous voulons avoir d’espèces de jeux ou registres. Cgs règles placées dans la longueur de ces deux tables sont aussi percées comme elles tellement que quand leurs trous sont précisément placés entre ceux des tables de manière qu’ils se répondent directement , l’air de la caisse du vent entre dans les tuyaux j mais si on tire ces règles , la partie qui n’est pas percée se trouve entre les trous des deux tables et intercepte la communication du vent. Les anciens ne faisoient pas comme cela à l’entrée de chaque tube ou canal qui leur servoit de régistres , ils avoient des robinets avec des clefs pour les ouvrir ou fermer , suivant qu’ils vouloient donner ou ôter la communication à l’air. Enfin dans les orgues anciennes comme dans les nôtres , il y avoit autant de louches ou marches qu’il y a de tons ; les anciens nommoient ces touches pinnœ elles produisoient l’une et l’autre le même effet , mais elles agissoient différemment. Celles de nos orgues , au moyen des ficelles qui passent sur des poulies et pénètrent dans la caisse du vent font lever , quand on appuie dessus , des soupapes qui laissent passer le soufle dans le tuyau qu’on veut faire jouer. Les louches des orgues anciennes , quand on appuyoit dessus , faisoient avancer de petites règles placées entre les deux tables dont nous avons parlé , c’est-à-dire entre le canon musicos et la table supérieure , tabula summa y alors l’air pénélroit dans les tuyaux qu’on vouloit faire jouer, par le trou de la règle qui répondoit directement à ceux des deux tables ; ensuite un ressort, choragia , repoussoit la règle dont le plain interceploil la communication du vent. Athénée dit comme Vitruve , que Ctésibius est l’inventeur de cet instrument ou du moins qu’il l’a perfectionné , parce que la première découverte en est 4 due à Platon , qui inventa l’horloge nocturne, c’est-à-dire une clepsydre qui faisoit jouer des flûtes, pour faire entendre les heures aux temps où on ne peut les voir. Cette description que Vitruve fait des orgues de son temps , nous prouve que cet instrument est bien plus ancien qu’on ne le croit. Les ambassadeurs de l’empereur Constantin Copronyme, lors de l’assemblée de Compiègne , tenue en 767 , firent présent au roi Pépin d’un orgue , et c fut à ce qu’il paroît le premier qu’on vit en France. Mais on voit , d’après ce que dit "Vitruve, qu’il étoit connu bien auparavant en Italie. On ne peut douter, sur le témoignage des historiens , qu’il ne fût aussi en usage chez les Orientaux long-temps avant les premiers qu’on apporta e* France. LIVRE X, Ch ap. xi r. 46 CHAPITRE XIV. Comment on peut mesurer les milles dans un voyage . P A s s o N s présentement à une autre matière , qui peut être de quelqu’utilité. Il s’agit d une invention des plus ingénieuses que nous devons aux anciens. Par son moyen , on peut connoître le nombre de milles qu’on a faits en voyageant, assis dans un char, ou naviguant sur la mer. Voici comment Les roues du char doivent avoir quatre pieds de diamètre , afin qu’ayant marqué sur la roue l’endroit où elle a commencé à rouler sur la terre , on soit assuré qu elle aura parcouru un espace d’environ douze pieds et demi, quand en continuant de rouler , elle sera revenue à cette marque , par laquelle elle a commencé. On attache fortement au moyeu de la roue un tympan i , qui doit avoir une petite dent qui excède sa circonférence. On place dans l’intérieur du char une hoëte qu’on'arrête bien ferme , dans laquelle il doit se trouver un autre tympan placé verticalement qui tourne sur un axe. Sur la face de ce tympan , il doit y avoir quatre cents dents distribuées à une égale distance l’une de l’autre , et correspondant à la dent du premier tympan. Outre cela , le second tympan doit avoir sur le côté une autre dent qui excède celles qui sont à sa circonférence. Sur le tout on place horizontalement un troisième tympan enfermé dans une boëte, et divisé en autant de dents que le second ; elles doivent se rapporter à la dent qui est à côté du second tympan. Dans ce troisième tympan on percera autant de trous à peu près que le char peut faire de milles par jour , et on mettra dans chaque trou un petit caillou rond qui devra tomber dès qu’il sera arrivé directement sur un autre trou, fait à la boëte, dans laquelle ce dernier tympan sera enfermé comme dans un étui , et ce caillou coulera par un canal dans un vase d’airain placé au fond du char ; tellement que quand la roue du char en avançant i Quoique le mot tympanum dont se sert ici Vitruve devroit être rendu en francois par le mot roue , j’ai cru comme Perrault que pour éviter l’équivoque qu’il y auroit eu entre les roues du char et les roues dentelées de la machine , il falloit employer le mot tympan ; par ce moyen il y aura moins de confusion dans le discours. L’ARCHITECTURE DE Y I T R U Y E. 461 emporte avec elle le premier tympan , la petite dent pousse à chaque tour une dent du second , Il arrive delà que quatre cents tours du premier tympan font faire un tour au second , et que la petite dent qui est attachée à côté ne fait avancer le troisième tympan que d’une dent ; ainsi le premier tympan en quatre cents tours n’en faisant faire qu'un au second , on parcourt l’espace de cinq mille pieds qui font mille pas , quand le second tympan a terminé son tour. Le bruit que fait chaque caillou en tombant, avertit qu’on a fait un mille, et le nombre des cailloux qu’on trouve chaque jour au fond du vase, indique combien on a fait de milles. En changeant très-peu de chose , on emploie le même moyen pour la navigation. Il faut faire traverser le navire d’un côté à l’autre par un essieu dont les deux bouts passeront au delà de ses bords. On y attache des roues qui auront quatre pieds de diamètre avec des ailerons tout autour qui doivent toucher à l’eau. Cet essieu vers le milieu du navire traverse un tympan qui n’a qu’une seule dent qui excède sa circonférence. On place en cet endroit une boëte , dans laquelle se trouve un second tympan , divisé également en quatre cents dents, proportionnées à la dent du premier tympan , que traverse l’essieu , où se trouve aussi une autre dent qui excède sa circonférence. Ensuite on joint une autre boëte qui enferme encore un tympan posé horizontalement et dentelé comme l’autre , de manière que la dent qui est a côté du tympan posé verticalement fasse tourner le tympan posé horizontalement , en poussant à chaque tour une de ses dents. Ce tympan posé horizontalement est aussi percé de trous dans lesquels On met des cailloux ronds. La boëte ou étui qui 1 enferme, a une ouverture et un canal par lequel le caillou, lors qu’il n’est plus arrêté par l'étui qui le retenoit, tombe et fait retentir le vase d’airain. Quand le navire sera donc poussé par le soutte des vents ou par les rames , la rencontre de l’eau fera tourner en sens contraire les ailerons attachés à la roue, qui fera tourner l’essieu et celui-ci le tympan dont la dent à chaque tour poussant une dent du second tympan lui fera accomplir sa circonvallation par un mou vendent très-modéré. D’après cela quand les ailerons auront fait faire quatre cents tours aux roues du vaisseau , le tympan placé horizontalement n’en aura tait qu’un par limpulsion qu’il recevra de la dent qui est sur le côté du tympan vertical. À mesure que le tympan horizontal fera son tour , et qu’il amènera les cailloux sur le trou qui est à son étui, ils tomberont par le canal ; tellement qu'on connoîtra par le bruit qu’ils feront et par leur nombre la quantité de milles qu’on aura faits sur l'eau. 4 t \ . K LIVRE X, Chap. xiv. * Il me_ semble quil ne me reste plus rien à dire sur les machines dont on tire quelqu utilité, et qui procurent de 1 agrément , tandis qu’exempt de crainte on jouit de la paix. RE 31 ARQUE S. Cette machine est tres-ingénieuse ; mais on ne pourroit l’exécuter de la manière que Vitruve la propose car une roue qui a 4 oo dents, doit avoir pour le moins deux pieds de diamètre, pour faire que chaque dent ait une ligne de largeur , qui est le moins qu’elle puisse avoir. Or les dents dune roue de deux pieds de diamètre ne sauroient donner prise de la sixième partie d’une ligne, à une autre dent qui tourne de la manière que Yilruve l’entend. Le moyen quAI indique pour employer cette machine à connoîire l’étendue de la route qu’on fait en naviguant, devoit donner des résultats bien faux. Câr des roues qui vont par l’impression de l’eau tournent plus vite à proportion quand la marche du navire est rapide que quand il va lentement, au point que le vaisseau pourroit aller si lentement que les roues ne tourneroient pas du tout pour peu que la machine apporte de résistance , le mouvement du vaisseau , ne seroit pas capable de la surmonter , d’autant que l’eau obéiroit et céderoit à cette résistance. Il n’en est pas de même sur terre où les roues étant poussées par le poids du char font toutes leurs révolutions uniformes, soit que le char aille vite ou lentement. I A présent pour mesurer le sillage d’un vaisseau , on se sert du loch. C’est une pièce de bois qui par sa pesanteur et sa" forme , reste immobile dans l’eau. Il est attaché à une corde où sont des nœuds. Le nombre des nœuds qui ont filé avec la corde , fait connoître la longueur du chemin qu’on a fait. On jette le loch toutes les heures ou toutes les deux heures, et plus souvent lorsque le vent varie. Quoique ce moyen indique les lieues qu’on a faites plus exactement que celui des * anciens, il. laisse néanmoins beaucoup à désirer j c’est cependant le moins défectueux que l’on con- noisse. Il se trouve au commencement de ce chapitre une faute dans les manuscrits où on lit, que la roue du char doit avoir quatre pieds deux pouces de large , pedum quaternum et sextantis , afin qu’en achevant son tour elle parcoure l’espace de 12 pieds, pedum XII. Les résultats que ces deux quantités dévoient produire a fait voir à Perrault comme il falloir corriger ce passage. Après les mots pedum quaternum il a supprimé ceux et sextantis , et a ajouté plus bas une S après pedum XII, en lisant pedum XII S , ce qui signifie douze pieds et demi. Par-là tous les calculs de l’auteur se rapportent , ce qui ne seroit pas , si on n’avoit pas fait cette correction. Il faut en effet que la roue du char ait accompli un tour , afin qu’avec sa dent elle fasse avancer d’une dent, le tympan qui en a 400 j et quand ce tympan a achevé le sien , comme on le lit ensuite dans le texte, on a lait un mille, ou 5 ooo pieds. Or il est certain que 4 o° tours d’une roue de 12 pieds ne parcourent que 48 oo pieds. Perrault a donc eu raison d’ôter et sextantis , et de lire seulement pedum quaternum j ensuite de lire douze pieds et demi , pour que les 4 oo tours fassent les 5 ooo pieds. On o 463 L’ARCIIITECTORE sait outre cela que la circonférence est au diamètre à peu près, comme 22 est à 7. Par conséquent celle d’une roue qui a 4 pieds de diamètre doit être d’environ 12 pieds et demi. Aussi dans l’édition “de Joconde on lit pedum XII S. C H A P I T R E XV. r »i 1 ; Des Catapultes et des Scorpions . J e vais traiter présentement des proportions qu’on doit observer pour îa construction des machines de guerre dont on a besoin pour se défendre ; tels sont les scorpions, les catapultes et les batistes. Je commencerai par les catapultes et les scorpions. La proportion de ces machines se règle sur la longueur du dard qu’on doit jeter. On en prend la neuvième partie pour déterminer la grandeur des trous qui sont aux chapiteaux et par lesquels on bande les cordes faites de boyau qui attachent les bras de la catapulte., Voici comme on règle la hauteur et la largeur des chapiteaux où sont ces trous 1. L’épaisseur des planches qu’on appelle parallèles , qui composent le haut et le bas du chapiteau, doit être égale au diamètre d’un de ces trous ; leur largeur doit avoir un diamètre et un huitième , et à leurs extrémités avoir un diamètre et demi. Les poteaux qui sont à droite et à gauche doivent, outre les tenons , avoir la hauteur de quatre diamètres et la largeur de cinq ; les tenons doivent être de trois quarts de diamètre , et depuis le trou jusqu’au poteau du milieu il doit y avoir aussi trois quarts de diamètre. Le poteau du milieu aura un diamètre et un quart de large et un diamètre d’épaisseur. L espace où l’on place le javelot dans le poteau du milieu, doit avoir le quart d un diamètre. Il faut garnir les quatre angles tant ceux des côtés , que ceux de devant t de bandes de fer attachées avec des clous de cuivre ou de fer. Le petit canal, appelé en grec syrinx 2 doit avoir dix-neuf diamètres de long. 1 On se rappelle d’avoir vu dans le 2 e . Ch. du I er cation de ce principe pour la baliste , et nous venons Liv, que le diamètre du trou du chapiteau de la ba- de voir qu’il en étoit de même pour les catapultes, liste étoit le module qui régloit toutes ses proportions. 2 C’est-à-dire un canal. Dans le 17 e Ch. de ce X me Liv. nous verrons l’appli- Les .LIVRE X, C h a p. xy. 464 Les tringles nommées par quelques-uns huccula 1 , qui sont attachées aux deux côtés pour former le petit canal, doivent aussi avoir dix-neuf diamètres de long; on leur donne un diamètre d épaisseur et autant de largeur, On ajoute en cet endroit deux règles dans lesquelles on passe un moulinet long de trois diamètres et gros de îa moitié d’un diamètre. L’épaisseur du huccula qui s’y attache , appelée scamillum 2 par quelques - uns et loculamentum 3 par d’autres, est d’un diamètre. On joint ce huccula par des tenons à queue d hirondelle longs de la grandeur d’un diamètre et larges d on demi Le moulinet doit avoir huit diamètres et une huitième partie de long. Le gros rouleau 4 a neuf diamètres. L 'èpitoxis 5 doit avoir trois quarts de diamètre de long et un quart d’épais. Le chelo fi qu’on nomme aussi manucla 7 a trois diamètres de long , trois quarts de. diamètre de large et autant d épaisseur. La longueur du canal d’en bas a seize diamètres. L’épaisseur contient la neuvième partie d’un diamètre, et la largeur un demi-diamètre et une huitième partie. La petite colonne avec sa base qui est près de terre , a huit diamètres , et vis-à- vis de la plinthe qui est sur cette petite colonne, elle a un diamètre et un huitième. Son épaisseur est d’un douzième et d’un huitième de diamètre. La longueur de la petite colonne jusqu’au tenon à douze neuvièmes de diamètre, et îa largeur un demi- diamètre , et une huitième partie. L’épaisseur a le tiers de cette largeur ; les trois liens de la petite colonne ont neuf diamètres de long, un diamètre et une neuvième partie de large et un huitième de diamètre d’épaisseur. La longueur du tenon a la neuvième partie d’un diamètre. La tête de la colonne a un diamètre trois quarts de long. La pièce de bois qui est plantée devant aura de largeur un diamètre et trois quarts , et l’épaisseur d un diamètre. Cette colonne plus petite que les 1 ’ Les Lèvres. 2 Dans tous les manuscrits il y a Camïihim , qui signifie une boite. Baldus voudrait qu’on lût catillum, tqui signifie un petit plat , et Perrault Scamillum , c’est- à-dire un peiit banc. 3 C’est-à-dire un étui. 4 Dans le I er . Chap. du VII e . Lîv. nous avons vu * que par le mot scutula dont l’auteur se sert encore ici, il entendoit des pavements dont la forme étoit en losange ou ovale comme les boucliers des anciens. Dans le chapitre suivant , le 17 e . du livre que nous expliquons , on verra qu’il appelle scutula le trou par où passoient les cordes de boyaux qui dévoient rendre un même ton , parce qu’ils étoient ovales. Comme on appelle aussi scutula les rouleaux qu’on met sous les navires pour les faire avancer quand iis sont sur terre. Perrault, et Galiani, que nous avons suivis, ont n i interprété scutula par ce gros rouleau dont on va parler, 5 Qui est sur le dard. 6 tortue. 7 petite main. iKJ L’ARCHITECTURE DE VITRÜVE. 4^5 autres, qui se trouvent par derrière , qu’on appelle en grec antihasis , 1 a huit diamètres de long , un diamètre et demi de large , et trois douzièmes de diamètre d'épaisseur. Le chevalet a douze diamètres de large; son épaisseur est égale à la grosseur de lapins petite colonne. Le chelonium 2 ou coussin qui est placé sur la petite colonne, a deux diamètres et demi de long , autant de haut ; sa largeur est d un diamètre et trois quarts. Les mortaises 3 du moulinet ont deux diamètres et demi, leur profondeur est aussi de deux diamètres et demi et leur largeur d’un diamètre et demi. Les travers avec leurs tenons ont dix diamètres de long, un diamètre et demi de large leur grosseur est aussi de dix diamètres. Les bras ont sept diamètres de long. Leur épaisseur vers le bas- est d’un douzième de diamètre et une sixième partie , et vers le haut d’un tiers de diamètre et une sixième partie, Leur courbure doit avoir huit diamètres. 11 faut faire toutes ces parties avec les proportions que je viens d indiquer, quelque soit la grandeur de l’ensemble cependant lorsque la hauteur du chapiteau surpasse la largeur de la machine, ce qui fait qu’on l'appelle dans ce cas anatonum , 4 il faut raccourcir tes bras , parce qu’ils sont moins tendus quand le chapiteau est aussi élevé ; c’est pourquoi on diminue alors leur longueur afin qu’ils frappent beaucoup plus fort. Quand au contraire la hauteur du chapiteau est moindre que la largeur de la machine , ce qui le fait appeler calatonum 3 , et qu’on doit tendre les bras davantage , il faut les alonger afin de pouvoir aisément les courber jusqu’au point nécessaire. Ainsi avec un levier qui n’a que quatre pieds de long , il faut réunir les forces de quaire hommes , pour remuer un fardeau , tandis que deux hommes éleveront aisément ce fardeau avec un levier qui en a huit. Il en est de même des bras de la catapulte ; on les bande aisément quand ils sont longs ; mais plus ils sont courts , plus il faut y employer de force. * REMARQUES. Plusieurs interprètes, à ce que remarque Juste-Lipse , ont cherché à découvrir, d’après le texte de Yitruve , quelle éloit la forme de la catapulte. Les descriptions qidont données de cette machine, JUh énée le mathématicien, Ammien Marcellin, A égece, Joconde et Robert Yallurius; les deux' 1 C’est-à-dire l'arc-boutant. 2 La tortue. 3 Dans presque tous les exemplaires, on lit earcheli , mot dont on ignore la signification. Barbaro met tracheli qui signifie le cou, et il entend par là les bouts des moulinets qui tournent dans les amarres. Laët, avec plus de vraisemblance , croit qu’oïl doit lire carclesia qui signifie des gobelets , et il entend par ce mol les mortaises où l’on passe les leviers. 4 C’est-à-dire qui lande vers le haut. 5 C’est-à-dire qui lande vers le bas. figures qui sont dans Je livre anonyme, intitulé Notitia imperii , celle que G. du CLoul dit avoir tirée d’un ancien marbre, la catapulte qui se voit dans l’arsenal de Constantinople, celle qui se voyoil dans celui de Bruxelles , ni celles qui sont représentées sur la colonne Trajane , n’ont aucun rapport avec, celle dont Yilruve nous donne les proportions. Cet auteur auroit obligé davantage la postérité , si , au lieu de ces proportions , il eût expliqué cl décrit quelle étoil la fmure et quels étoient les usages des parties dont il donne si exactement les dimensions. Mais il est très-difficile , d’après ce qu’il dit , de comprendre quelle étoit la structure de cette machine. On sait en général que les catapultes étoient faites pour jeter des javelots , de meme que les balisles servoient à jeter des pierres , quoique les derniers auteurs latins n’aient jamais fait ceUe distinction. Ils ont toujours employé le 'mot baliste pour exprimer l’une et l’autre machine. Les catapultes lançoient leurs javelots avec une si grande force, qu’au rapport de Lucain ils percoient plusieurs hommes les uns après les autres. Suivant l’auteur du livre intitulé Notitia imperii elles portoient d’un bord du Danube à l’autre ; il y en avoit enfin qui pûussoienl des javelots de la grosseur de nos chevrons. Athénée en décrit qni avoient douze coudées; il ajoute, et on aura peine à le croire , qu’Àgésislrate avoit fait une catapulte qui n’avoil que trois palmes de long , et porioit cependant au delà de trois stades, c’est-à-dire environ 5oo toises. La description de Vilruve fait entendre que la catapulte avoit deux bras ou arbres, c’est-à-dire, des pièces de bois qu’on faisoit plier en les attirant avec des cordes qu’on bandoit par des mon-* linets ; mais personne n’a expliqué comment ces bras frappoient le javelot, comment ils étoient arrêtés avant la détente , et comment la détente se faisoit , ni à quoi servoit cette égalité de tension qu’on connoissoit par l’égalité des tons que les cordes rendoient; on ne sait point non plus quel étoit le mystère de toutes ces proportions qu’on prenoil sur les trous par lesquels passoient les cables. Les monuments antiques nous offrent deux sortes de catapultes ; dans les unes ce sont les bras qui se plient comme ceux d’une arbalète , en tirant une corde qui va de Lun à l’autre pour lancer Je trait; quand on la lâchoit, les bras se redressant faisoient partir le dard. On sent que pour tirer à soi cette corde , il falloit que l’art vînt au secours des forces humaines et qu’on employât un moulinet. Dans les autres catapultes ce sont les bras ou arbres qui frappoient immédiatement le javelot, et il paroît que la catapulte, dont parle Aitruve , agissoit de cette manière. Les deux bras de celle catapulte étoient deux arbres placés debout à côté l’un de l’autre, et arrêtés au bas de la machine comme le mât d’un navire. Leurs deux bouts d’en haut se rapporloient aux trous du chapiteau, quand on les droit avec des cables qui passoient par ces trous ; lorsqu’on les déieudoit , ils frappoient d’un même coup le javelot. On meltoil deux arbres pour augmenter l’effet de la machine. Qn observoit si les cordes rendoient le même ton , pour s’assurer si les deux arbres étoient tendus également, ce qui étoit nécessaire autrement le bras qu’on auroit moins tendu n’auroil servi à rien , parce que l’autre auroit déjà poussé le javelot avant qu’il le pût toucher. Nous avons interprété comme Galiani les signes qui indiquent, dans le texte latin , les différentes grandeurs des parues de la catapulte et de la baliste. \ 4I7 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. C H A P I T R E X V I. - f' ijfj Des Batistes. ô. * ’ai fait connoître les parties qui composent la catapulte , et j ai indiqué leurs proportions. Quant aux .batistes , quoi qu elles produisent toutes le même effet, 011 les fait de différentes manières. On bande les unes avec des moulinets et des leviers, d’autres avec des moufles, d’autres avec des vnulas, d autres enfin avec des roues dentelées. On doit néanmoins toujours proportionner leur grandeur à la pesanteur de la pierre quelles jettent; il n’est pas donné à tout le monde de bien saisir ces proportions ; il faut pour cela connoître parfaitement les règles de l’arithmétique , surtout la multiplication. On fait au chapiteau de la baliste des trous par où l’on passe des cables faits de cheveux et surtout de cheveux de femmes, ou de boyaux; il faut proportionner ces cables à la grosseur et à la pesanteur de la pierre que la baliste jette , comme on proportionne les catapultes sur la grandeur des javelots. Pour apprendre cela tout de suite à ceux qui ne savent pas les règles de la géométrie et de l’arithmétique, et leur éviter la peine de s’en embarrasser l esprit, pendant qu’ils sont exposés aux périls de la guerre, je vais décrire tout ce que j’en ai appris de mes maîtres , et par ma propre expérience ; j’ajouterai le calcul que j ai fait, pour réduire les mesures grecques aux poids qui sont en usage parmi nous. C H A P I T II E X Y I I. Proportions de la Batiste. 1 à k baliste jette-t-elle une pierre de deux livres? le trou de son avoir cinq doigts de large en jette-t-elle une de quaire livres ? il doigts en jette-t-elle une de six livres? il doit avoir sept doigts une de dix livres ? il doit avoir huit doigts en jette-t-elle une de chapiteau doit doit avoir sis en jette -1 - elle vingt livres? il L I V li E X, C n a P . XVII. 468 doit avoir dix doigts ; en jette-t-elle une de quarante livres ? il doit avoir douze doigts et demi et un seizième en jette-t-elle une de soixante livres? il doit avoir treize doigts et une huitième partie en jette-t-elle 'une de quatre-vingts livres ? il doit avoir quinze doigts ; en jette-t-elle une de cent vingt livres ? il doit avoir un pied et demi , et en sus un doigt et demi eii jette-t-elle une de cent soixante livres ? il doit avoir deux pieds en jette-t-elle une de deux cents livres? il doit avoir deux pieds et six doigts en jette-t-elle une de deux cent dix livres ? il doit avoir deux pieds et sept doigts enfin en j e lie-t-elle une de deux cent cinquante livres? il doit avoir deux pieds et onze doigts et demi. Après avoir déterminé la grandeur de ce trou , qui s’appelle en grec peritrelos , r on trace un ovale dont la longueur aura deux diamètres du trou et en sus une douzième et une sixième partie de ce diamètre ; sa largeur aura deux diamètres et une sixième partie on divise en deux parties égales la ligne qu’on a décrite, et après cela on rapproche ses extrémités pour les contourner obliquement, de manière que la longueur du contour soit d’une sixième partie , et la largeur que forme le pli d’une quatrième partie. Depuis l’endroit où commence le contour à l’extrémité de l’angle qui entoure le trou , on rétrécit la largeur de ce trou dans l’intérieur dîme sixième partie. La longueur de l’ovale de ce trou sera proportionnée à la grosseur de lepizygis 2 ; après en avoir tracé les bords, on en amincit l’extrémité pour lui donner un léger contour son épaisseur de chaque côté sera d’un demi-diamètre et une seizième partie. Les barillets auront deux diamètres et un quart de long , un diamètre et trois quarts de large leur épaisseur, sans y comprendre le vide du trou , aura un diamètre et demi et l’extrémité du trou aura la largeur d’un diamètre et une seizième partie. Les poteaux auront de longueur cinq diamètres et demi et un seizième ; de tour un demi-diamètre ; d épaisseur un tiers et un neuvième de diamètre entre les deux poteaux on laisse la meme largeur que celle qu’on a indiqué devoir se trouver auprès du trou ; tellement qu’elle aura de large et de profondeur cinq diamètres, et de haut un quart de diamètre. La règle qui est à la table doit avoir huit diamètres de long , et un demi-diamètre tant de largeur que 1 C’est-à-dire percé tout ,au tour. 'Il donne ce nom grec au trou de la batiste qu’il nomme fin latin sculula. Dans le î. er chapitre du VIL rec livre et dans le XV. n,c de celui-ci nous avons vu que ce mot signifioit un bouclier de figure ovale. Le mot peritrelos peut se prendre de deux façons , et signifier une chose percée tout autour , ou composée d’un seul trou , qu’on a agrandi tout-à-l’entour par plusieurs coups de ciseau, qui font que ce trou va en s’élargissant comme un entonnoir ou le pavillon d’une trompette. Cette dernière manière convient beaucoup à ce que \itruve continue de dire de ce trou de la baliste, dont il faut élargir et adoucir les bord, pournepas user les cables qui doivent y passer. 2 C’est-à-dire qui. est sur le joug. 4 % L’ A II C H I T E € T U II E DE VI T II U V E. d’épaisseur. Le tenon aura deux diamètres et un sixième de long la courbure de la règle sera d'un seizième et cinq quarts de seizième. La largeur et l épaisseur de la règle extérieure doit être pareille. La longueur que donnera sa courbure, avec la largeur du poteau et sa courbure, sera d’un seizième de diamètre. Les règles supérieures doivent être semblables aux inférieures, c’est-à-dire avoir un seizième de diamètre. Les travers de la table auront deux tiers et un seizième de diamètre. Le fut du climakis i aura treize diamètres de long et trois seizièmes de diamètre d’épais. L’intervalle du milieu aura un quart de diamètre de large , et de profondeur un huitième et un quart de ce huitième. La partie supérieure du climakis , qui est près des bras et qui touche à la table, se divise dans toute sa longueur en cinq parties la pièce que les Grecs nomment chelo 2 occupera deux de ces parties la largeur de cette pièce sera d’un seizième de diamètre , son épaisseur d’un quart et sa longueur de trois diamètres et demi et un huitième. La saillie du chelo aura un demi-diamètre, et celle du Plinlhigonalos 3 un douzième de diamètre et un sicüique 4. Quant à la partie , qu’on nomme la face de traverse, qui est vis-à- vis de l’essieu , elle doit avoir trois diamètres de long les règles qui sont dans l’intérieur auront un seizième de diamètre de long, un douzième et un quart de douzième d’épaisseur. Le rebord 5 du chelo qui sert de couverture à la queue d hirondelle , doit avoir un quart de diamètre de long ; la largeur des montants du climakis doit en avoir un huitième, et leur épaisseur un douzième et un quart de douzième. L’épaisseur du carré qui est au climakis doit être d’un douzième et d’une huitième partie de douzième ; mais vers l’extrémité elle ne doit être que d’un quart de douzième. Le diamètre du cylindre de l’essieu sera égal au chelo ; mais vers les clavicules, il sera plus mince de la moitié et une seizième partie. La longueur des arcs-boutans sera d’une douzième partie et de trois quarts de douzième. La largeur^ Ci C’ est-à-dire , petite échelle. 2 C’est-à-dire tortue. 3 Ouelques-uns lisent, plentigcnatos , d’autres plintigo- natos ; B al dus et Tuméfie lisent ptenfgomntos , parce que Ctesibius appelle toute cette machine pteryoo qui signifie une aile, et qu’elle s’avance effectivement en forme d’aile. 4 Joconde prend ici le mot siciliens pour la quatrième partie du tout précèdent. Le sicilique signifioit ordinairement deux dragmes , qui font le quart de Fonce. 5 Le mot replum dont Yitruve se sert ici, et qu’il a encore employé dans le 6. n,e chap. du IV e livre, en parlant de la menuiserie des portes, où je l’ai traduit par le mot feuillure, n’est pas expliqué de la même manière par les interprètes. Saumaise pense qu’il 1 employé ici au lieu du mot réplication , comme il employé diiplum au lieu de duplication. Suivant cette opinion adoptée par Perrault, nous avons mis ici rebord, à cause qu’il dit ensuite qu’il sert de couverture à la queue d’hirondelle. LIVRE X, C h a p. XVII. 4 7 o en bas, d’une treizième partie de diamètre ; 1 épaisseur en haut, d’un huitième et d’un quart de huitième. La base qu’on appelle eschara i aura de longueur une neuvième partie de diamètre. La pièce qui est devant la base aura quatre diamètres. L’épaisseur et la largeur de l’une et l'autre jusqu’à la moitié de leur hauteur aura un neuvième et un seizième de diamètre. La colonne aura en largeur et épaisseur un diamètre et demi . sa hauteur ne se règle pas sur le diamètre du trou du chapiteau, mais on la proportionne à l’usage qu’on la destine la longueur du bras sera de six dismètres; son épaisseur, vers le bas, d’un demi-diamètre, et à son extrémité, d’un douzième de diamètre. » n Après avoir fait connoître les proportions que j’ai jugées être les, plus convenables pour les catapultes et les balistes, je vais expliquer , le plus clairement qu’il sera possible, comme on doit les bander, en les tendant avec des [ Cordes de boyaux ou de cheveux. • t CHAPITRE XVII II V ' De la manière de bander les Balistes et les Catapultes. U n prend deux longues pièces de bois sur lesquelles on attache les amarres pour passer des moulinets. Au milieu de chacune de ccs pièces de bois , on fait une entaille où l’on met le chapiteau de la catapulte, qu’on y affermit avec ,' on * chevilles , afin qu’on ne puisse l’arracher en bandant la machine. Après cela .n enchâsse dans ce chapiteau les barillets de cuivre , dans lesquels on plac^ *s chevilles de fer que les Grecs appellent épi scindas. Ensuite on passe par i’un des trous qui traversent le chapiteau, le bout du cable qu’on attache au moulinet , autour duquel il s’entortille, quand on le fait tourner avec les leviers, et on le bande jusqu’à ce qu’étant frappé avec la main on connoît s’il rend le ton qu’il doit avoir. Alors on met la cheville dans le trou du chapiteau pour arrêter le cable et empêcher qu’il ne se lâche on passe de la même manière le cable dans i C’est-à-dire l’âire , le foyer, un gril. 471 L ’ A R C II I T E C T U K E D E Y I T R U V E. le trou qui est à côte', et on le bande avec les leviers et le moulinet jusqu’à ce qu’il rende le même ton que l’autre; au moyen de ces chevilles de fer on arrête les catapultes auxquelles on a donné le degré de tension nécessaire , en observant les tons que sonnent les cables. R Efl J R Q U E S. Dans le I. er cliap. du I. er Liv. nous avons vu qu’une des raisons pour lesquelle» Yitruve exigcoit que l'architecte connût la musique y c’éloit pour pouvoir piger si les cordes de ces machines de guerre rendroient un même tou. Après avoir lu ce chapitre et ceux qui précèdent, on sera convaincu de la difficulté ou, pour mieux dire , de l'impossibilité d’èxphquer aujourd’hui d’une manière satisfai-ante d’après le texte, quelle éloit la véritable forme dé ces machines. Pour en faciliter cependant l’intelligence , j’ai fait graver le plan de la catapulte qui se trouve dans l’édition de Perrault ; et j’y joins l’expli- caliou tirée du texte. Mais je suis loin d’affirmer que nous avons bien rencontré. Ou voit dans ce dernier chapitre que les diverses parties des catapultes et balistes , dont Vilruve adonné si exactement les proportions dans les chapitres précédents , forai oient plusieurs assemblages, qu’on réunissoil seulement lorsqu’on employoit la machine. Ces assemblages consisloient 3 1 °. dans les deux longues pièces de bois où l’on attachoit; 2°. le moulinet; et 3°. le chapiteau. On avoit ensuite 4°. les barillets qu’on enchâssoit dans le chapiteau; 5.° les chevilles; et enfin 6.° l’assemblage où se irouvoient les bras qui frappoienl le javelot ou la pierre. Perrault est parvenu à réunir dans sa figure toutes les. parties > de ces machines; je donne donc ici celte figure, en attendant qu’on parvienne à découvrir quelque monument , qui nous ofire quelque chose de plus satisfaisant. s ; r aie, $ou CHAPITRE XI X. ' 1 " ' \- i. •S Des machines pour assaillir les forteresses. J’ai traité le mieux qu’il m a été possible de ces objets ; il me reste présentement à expliquer les machines qu’on employé pour assaillir et défendre les villes. La première qu’on inventa fut le belier ; voici comment ; Lorsque les Carthaginois firent le siège de Cadix, ils résolurent de démolir au dus vile un château qu'ils avoient pris. Comme il manquoient d’outils nécessaires» 4 7 2 ;»i Tpr f L l Y R £ .i. * X C II Ai i* * ’ > k.* X i X. L. -i V . i ils se servirent d’une .poutrç,- que plusieurs, howmes. r &outenoienl clans leurs mains,, et frappant du bout de cette poutre le diaut de la muraille, à coups redoublés, ils firent tomber les pierres des rangs, den haut ainsi allant d’assiser en assise, ils abattirent toutes les fortifications. Après .,cela , un charpentier de la ville cle Tyr, nommé Pephasmenos, instruit par cette première expérience, planta un mât, auquel il suspendit une poutre comme une balance, et par la force des grands coups que donnoit cette poutre, en allant et venant, il abaüit les murs de la ville de Cadix. Cetras de Calcédoine fut le premier qui lit pour celte machine une base de charpente portée sur des roues. Il éleva sur cette base un assemblage i composé de pièces montantes et de traverses, dont il lit une loge 2 ., dans laquelle il suspendit un bélier. Il couvrit celte loge de peaux de boeufs, afin de mettre en sûreté ceux qui travailloient à battre la muraille. Comme on ne pou voit avancer cette loge que fort lentement, on 1 appela une tortue à bélier. Tels furent les premiers commencemens de ces sortes de machines. Polyde de Thessalie leur donna la dernière perfection, pendant le siège que le roi Philippe, fils d’Amyntas, mit devant Bysance. Il en inventa plusieurs autres, de différents genres, dont l’usage étoit beaucoup plus facile. Il eut pour disciples Biades et Chereas, qui servirent dans les armées d'Alexandre- le-Grand. Diades a laissé quelques écrits dans lesquels il prétend avoir inventé les tours roulantes ; il dit qu’il les faisoit porter démontées quand l'armée marchoit. Il ajoute que c’est lui qui a encore inventé la tarrière et une machine montante , au moyen de laquelle on passoit de plein pied sur la muraille, de même que le corbeau démolisseur, qu’on nomme aussi une grue. Il se servoit du belier posé sur des roues dont il a expliqué la structure. Les plus petites tours qu’on puisse faire , dit-il, doivent avoir au moins soixante coudées de haut et dix-sept de large il faut les étrécir à mesure qu’on les élève, de sorte que le haut soit un cinquième moins large que leur base les montants auront par le bas trois quarts de pied, et par le haut un demi-pied elles auront dix étages, avec des fenêtres devions les côtés. Les plus grandes tours, continue-t-il, doivent avoir cent vingt coudées de haut et vingt-trois coudées de large ; il faut, 1 Ce que Vitruve appelle arrectaria. Athénée l’appelle gzeXoi}, échelle , c’est-à-dire, la jambe. 11 paroît que le mot sccila est dérivé de ce mot grec, parce que l’échelle est composée de deux montants, comme de deux jambes et de plusieurs échelons en travers. a D’après l’opinion de Baldus, nous avons rendu ici le mot latin çara par le mot loge. ïl croit qu’il vient de varns , qui signifie courbé et Saumaise dit que c’est de là qu’est dérivé le mot français se garder , comme qui diroit guarare au lieu d e varare. Ainsi on dit guepe du .latin vespa. C’est pourquoi, ajoute Peiiault, qui a suivi de même que nous 1 opinion de Daldus, il semble qu une couverture courhee sous laquelle on se garde, peut s appeler une loge. 60 . ' 47 3 L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. comme les autres, les re'tre'cir d’un cinquième, depuis la base jusqu’au sommet les montants auront par le bas la grosseur d’un pied, et par le haut celle d’un demi-pied. Il divise ces grandes tours en vingt e'tages, qui ont chacun leurs parapets de trois coudées. Il les couvre de cuirs nouvellement écorchés, pour les défendre contre toutes espèces de coups. Il construit à-peu-près de meme la tortue à belier. Elle a, dit-il, trente coudées de large, et quinze de haut, non compris le toit, qui doit en avoir sept, depuis la plate-forme jusqu’au sommet sur cette hauteur s’élève en outre, dans le milieu, une petite tour qui aura au moins douze coudées de large elle contient quatre étages, dans le dernier desquels on place les scorpions et les catapultes ; dans les étages d’en bas on amasse une grande quantité d’eau, afin d éteindre le feu qu’on pourroit jeter dessus pour lincendier. On place dans cette tortue la machine à belier, qui s’appelle en grec criodocê , qu’on pose sur un rouleau parfaitement arrondi au tour , afin de lui donner l’impulsion en le poussant en avant et le retirant en arrière avec des cables, ce qui produit un grand effet. De même que la tour, on couvre ce belier de cuirs fraîchement écorchés. Voici comme il décrit la tanière elle ressemble beaucoup, dit-il, à la tortue. Au milieu de celte machine, se trouve un canal semblable à celui des catapultes et des balistes, posé sur des montants. Il a cinquante coudées de long et une coudée de large. Au travers de ce canal on place un moulinet, et par devant, à droite et à gauche, on place des poulies qui servent à faire mouvoir une poutre ferrée par le bout et placée dans le canal. Sous le canal il y a des rouleaux, au moyen desquels on la pousse avec beaucoup de force et de promptitude. Au-dessus de la poutre on forme une espèce de voûte, pour la couvrir et soutenir les peaux fraîchement écorchées dont on enveloppe la machine. Il croit qu il ne doit rien dire du corbeau, parce qu’on a reconnu que cette machine produit peu d’effet. Je sais qu’il avoit promis d’expliquer la structure d une échelle i, qu’on nomme en grec épibathra , et des machines navales ; mais japprends avec regret qu’il n’a pas exécuté sa promesse. Après avoir parlé de la structure des machines sur lesquelles Diades a écrit, il me reste à faire coanoîtrc à quoi elles sont utiles, comme je l’ai appris de mes maîtres. i Dans le texte on lit accessu ; Perrault a cru que Vitruve nomme au commencement de ce chapitre as- e’étoit une faute et qu’il falloit lire ascensu, parce qu il cendens machina. En efFet, le mot grec csrtSccS-pa signifie paroît que cette machine est la même que celle que plutôt ascensu que accessu. LIVRE X, C h a p. xix. 474 R E M'A R Q U E S. Athénée dit que ce fut Géras de Carthage qui adapta une base au belier. II ajoute que cet Architecte ne suspendit pas son belier, comme dit Vitruve, mais qu’il étoit porté par plusieurs hommes qui le faisoient agir. Il est vrai qu’il parle ensuite d’autres beliers qu’on faisoit rouler suides cylindres. Turnèbe croit que Vitruve a tiré d'Athénée presque tout ce qu’il rapporte des machines de guerre quoique Casaubon pense qu’Athénée vivoit long-temps après Vitruve, se fondant sur ce que Trebellius Pollio rapporte que l’empereur Gallien fit fortifier plusieurs villês par deux architectes de Bysance , dont l’un se nommoit Cléodamus et l’autre Athénée. Mais il est certain que ce dernier n’éloit pas le même qne celui que nous citons , parce que, comme l’observe Vossius, le nôtre a dédié son livre à Marcellus, qui exisloit avant Vitruve. Il paroît que c’est aussi dans Athénée que Vitruve a trouvé qu’on avoit appelé celle machine tortue à cause qu’elle s’avançoit fort lentement. Ce qui étoit si vrai qu’au rapport de Plutarque, l’Hélepoîe de Démétrius étoit un mois à faire un stade , c’est-à-dire, près de deux ans à faire une lieue. Végece en donne une autre raison , qui est sa ressemblance avec l’animal dont elle porte le nom, qui avance la tête hors de son écaille et la retire dedans, comme le bout du belier s’avance et se relire hors de la loge. On peut dire encore que son usage lui a fait donner ce nom, parce qu’elle sert de couverture et qu’elle est une forte défense contre les pierres et les traits que les assiégés pourroient jeter d’en haut, et qu’elle met en sûreté ceux qui sont dedans, comme la tortue l’est dans son écaille. Athénée parle, comme notre auteur, des hautes tours à plusieurs étages qu’on faisoit avancer contre les murs des villes assiégées, pour passer de plein pied sur les remparts ; il ne donne aussi à leur base que vingt liois coudées de large, ce qui ne lait pas six toises. Il paroît que cet empâtement ne peut suffire à une tour qui avoit cent vingt coudées de haut, qui font trente toises. Comment cette tour n’éloit-elle pas renversée par le vent? Comment pouvoit-on la faire avancer? Et quel soin ne devoit-on pas prendre pour applanir les endroits où elle devoit passer? Ces raisons font soupçonner qu’il pourroit ici y avoir une faute dans le texte , d’autant qu’il parle ensuite d’une tour que Démétrius Poliorcète fit faire pour le siège de Rhodes, qui avoit un empâtement bien plus considérable que celui dont il donne, ainsi qu’Athénée, les proportions Plutarque dit qu’elle avoit quarante-huit coudées de large et soixante-six de haut. On leur donnoit cette hauteur pour égaler celle des murs des villes, qui alloient quelquefois jusqu’à trente-cinq toises. Pline parle de la hauteur des murs de Babylone , mais ce qu’il en dit n’est pas croyable car il seroit étonnant qu’une ville fut enfermée et comme étouffée par des murs aussi hauts que des montagnes ; au point, à ce que rapporte Quinte-Curce , qu’on avoit été obligé de laisser un grand espace entre ces murs et les maisons. Ces hautes tours étoient divisées en vingt étages, qui avoient chacun leur parapet. C’est ainsi du moins que j’ai rendu le mot circuitionem. Athénée se sert du mot grec peridrome pour exprimer le même objet. Sievécliius, dans une figure qu’il a mise à son commentaire sur Aégece, représente. 6o, J . r/ A II C H I T E C T OSE D E ’-V 1 T R U V E. ee péridrome comme un corridor saillant à chaque élage 3 en forme de mâchecoulis mais Philander croit que le mot circuitio signifie la même chose que e que des anciens nommoient peribolon et lorica > que d’Ablancourt a rendu, dans sa traduction des commenlaires de César, par le mot parapet. Peridrùms . signifier une chosq qui tourne tout autour fait une enceinte et non pas un corridor qui .fait saillie. Nous voyons effectivement qu’il enlouroit chaque étage et y servoit d’appui. Athénée dit qu’il .devoit avoir trois coudées de haut, pour empêcher le feu; cette hauteur convient beaucoup pour le parapet. Pollux dit que le mol peridrome signifie l’appui des plates- formes qui sont en haut des maisons. On voit donc qu’il doit signifier un parapet et non un corridor faisant saillie. Perrault et G*rhani avoient adqpté avant nous la même interprétation. Athénée nous fait connoîlrjÇ la hauteur de tous ces étagés que Vitruve a omise il donne sept coudées et demie au premier, cinq au 2 e , 4 e et 5 e , et quatre et demie à tous les autres qui sont au-dessus. Mais Perrault croit qu’il, doit y avoir une faute dans le texte grec, car toutes ces hauteurs d’étages réunies ne font que g5 coudées, à moins qu’Athénée n’ait pas conquis l’épaisseur des planchers. Mais dans ce cas elle auroil été trop grande, étant pour chacun d’une coudée et un quart, c’est- à-dire , de 22 pouces , qui est la moitié plus qu’il ne faut pour un plancher en bois. Vilruvei nous apprend que Diades a cru ne devoir rien écrire sur la machine nommée le Corbeau démolisseur,-parce que, dit-il, elle ne produisoit pas beaucotq d’effet. Suivant Polybe., elle fut cependant cause de la première victoire que les Romains remportèrent sur les Carthaginois, dans un combat naval. Les grands effets qu’on raconte des machines d’Archimède , pour la défense de Syracuse, sont attribués par Plutarque principalement à ce corbeau. Polybe et Frontin disent que le consul C. Duelius, qui commandoit l’armée navale des Romains, fut l’inventeur de cette machine quoique Quinte-Curce en attribue l’invention aux Tyriens, lorsque leur ville fut assiégée. Athénée se plaint, comme Vitruve, que Diades n’a pas expliqué plusieurs autres machines qu’il avoil promis de décrire; ce qui fait croire, dit Perrault, que Vitruvç a traduit d’Athénée ce qu’il rapporte de Diades, et qu’il n’a pas lu l’ouvrage de ce dernier. e ; CHAPITRE XX. , h . De la Tortue quon employé pour combler les fossés. ▼ o ici comme on construit ia tortue dont on se sert pour remplir les fossés et pour s’approcher à couvert des murailles. On fait une base carrée, que les Grecs appellent eschara i ; chacun de ses côtés a vingt-cinq pieds. Ces côtés i C ’est-à~dire, une grille. SOI ! ces le c tl ui asseï o fl / ; le ni 4 d !tlo Iqu i roi l'osier ;"be] 4 ah; o co i 1 D; entii ^lutôi X X. L I V RE X, C îi à p. 476 sont joints par quatre travers qui sont arretés par deux autres, épais d’une douzième partie de leur longueur et large de la moitié de leur épaisseur. La distance entre ces travers doit être d’environ un pied et demi. Dans chaque intervalle il faut mettre par dessous de petits arbres, qu’on nomme en grec Amaxopodes 1 , dans lesquels tournent les essieux des roues qui sont affermis avec des laines de fer. Ces petits arbres sont ajustés de manière qu’au moyen de leur pivot et des trous dans lesquels sont passés des leviers, on dirige exactement les roues sur le chemin qu’on veut suivre , soit en avant ou en arrière , soit à droite ou à gauche , soit diagonalement. On pose , en outre , sur chaque côté de la base une poutre qui tonne une saillie de six pieds , et sur cette saillie, tant par devant que par derrière, on met deux autres poutres auxquelles on donne sept pieds de saillie, et qui ont l’épaisseur et la largeur que nous venons d’indiquer pour le bois de la base. Sur cet assemblage on élève des poteaux assemblés qui ont neuf pieds de haut sans les tenons, et qui , dans tous les sens, ont un pied et un palme d’épaisseur. La distance de l’un à l’autre est d’un demi-pied. On les assemble par le haut, en les emmortaisant dans des sablières sur ces sablières on place des forces 2 qu’on élève et qu’on encastre l’une dans l’autre, à la hauteur de neuf pieds. Sur ces forces se trouve une pièce de bois carrée qui les assemble. On doit encore arrêter et affermir le tout avec des pannes 3, et le couvrir de planches de bois de palmier, si cela se peut, autrement de quelqu’autre espèce de bois fort, tel qu’on voudra, pourvu que ce ne soit ni de pin, ni d’aune, parce que ces bois se rompent et s’enflamment trop aisément. On couvre les côtés de claies faites d’osiers verts entrelacés et très-serrés ; ensuite on recouvre le tout de peaux fraîchement écorchées, qu’on double d’autres peaux semblables, en mettant entre deux des algues marines ou de la paille trempée dans du vinaigre ; par là elle résistera aux coups des balistes et on ne pourra lincendier. 1 Pieds de chariot. 2 Dans le texte on lit capreoli, c’est-à-dire, des contre-fiches. Ce qui suit fait voir cependant que ce mot a été mis au lieu de caniherii , qui signifie des forces , ou plutôt les chevalets dont nous avons parlé dans nos remarques sur le 2. e chap. du liv. IV. 3 L’auteur employé ici le mot laierarii; mais comme on voit clairement par le reste du texte, que cette pièce de bois sert au même usage que les pannes , qu’il nomme templa , dans le 2. e chap. du IV. e livre , je n’ai fait aucune difficulté de rendre ce mot par celui de pannes. 477 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. CHAPITRE XXL Des autres espèces de Tortues. Il y a une espèce de tortue qui a toutes les parties qui se trouvent dans celle qu’on vient de décrire, à la réserve des forces mais un parapet règne tout autour, avec des anneaux faits dans des planches ; au-dessus se trouve une couverture inclinée, faite de planches et de cuirs, fortement attachés ensemble ; on étend par dessus un enduit d’argile pétrie avec du crin ; on rend la couche assez épaisse pour que le feu ne puisse endommager la machine. On peut, s’il est nécessaire, et si la nature du lieu l’exige, faire porter cette machine par huit roues. Les tortues qui servent à couvrir les mineurs s’appellent en grec oryges i ; elles ressemblent en tout à celles qu’on vient de décrire elles présentent par devant un triangle , afin que les traits , qu’on lance de dessus la muraille , ne rencontrent pas une surface plate, mais que recevant les coups sur le côté, elle les rejette, tellement qu elle couvre les mineurs, qui travaillent dessous sans danger. Il me semble qu’il n’est pas hors de propos de rapporter les proportions de la tortue qu’Agétor de Bysance construisit. Sa hase a soixante pieds de long et dix- huit de large. Les quatre montants posés sur l’assemblage sont formés chacun de deux poutres de trente-six pieds de hauteur , sur un pied et un palme d’épaisseur et un pied et demi de largeur. Cette hase roule sur huit roues, hautes de six pieds et trois quarts , épaisses de trois pieds ; elles sont composées de trois pièces de bois jointes ensemble par des tenons à queue d’hirondelle et bandées de fer battu à froid. Elles tournent aussi dans des pivots nommés amapopodes. Sur l’assemblage des poutres qui sont au-dessus de la base, s’élèvent des montants qui .ont dix-huit pieds et un quart de long, trois quarts de pied de large et un douzième et demi d épaisseur; la dislance de l’un à l’autre est d’un pied et trois quarts. Ces montants sont enchâssés par le haut dans d’autres poutres qui régnent tout autour, pour affer- j C’est-à-dire, pionniers, d’ç/jycrcrw, qui signifie fouir, creuser la terre. LIVRE X, Chàp. xxi. 47* mir tout 1 assemblage. Ces poutres orit un pied et un quart de largeur et trois quarts de pied d’épaisseur. Au-dessus de cela s’élèvent les forces à la hauteur de douze pieds. Ces forces sont jointes et enchâssées dans une autre pièce de bois placée au sommet. Il y a aussi des chevrons placés en travers, qui sont chevillés, et au-dessus se trouve un plancher qui règne tout autour et qui couvre le bas. Au milieu est encore un autre plancher posé sur des soliveaux ; c’est là qu’on place les scorpions et les catapultes on dresse en outre deux forts montants, longs de trente-cinq pieds, épais d’un pied et demi et larges de deux. On les lie en haut, par une pièce traversante, avec des tenons, et par une autre pièce qui lie encore les montants ensemble par le moyen des tenons ; le tout bandé de lames de fer. Entre ces montants et le traversant il y a d’autres pièces de bois placées des deux côtés et fortement enfoncées entre le chelo i et les angles. Dans ces pièces de bois se trouvent deux rouleaux faits au tour, auxquels on attache les corjdes qui tiennent le belier suspendu. 2 Au-dessus de ceux qui font agir le belier, s’élève un parapet qui a la forme d’une petite tour, où peuvent s établir, à l’abri de tout danger, deux soldats, pour découvrir et faire connoître toutes les entreprises de l ennemi. Le belier a cent et six pieds de long, sa largeur par le bas est d’un pied et un palme, et son épaisseur d'un pied, Lar il va en rétrécissant depuis la tête jusqu’à 1 autre extrémité, où sa largeur n’a plus qu’un pied et son épaisseur un demi-pied et une huitième partie. On arme sa tête de fer, comme le devant d’un long navire ; de cette tête partent quatre bandes de fer, longues environ de quinze pieds, qui servent à l’attacher au bois. Depuis la tête jusqu’à 1 autre extrémité de la poutre, on étend quatre cables, de la grosseur de huit doigts, et on les y attache comme 1 Je crois que par le mot materiesj qui signifie en général des pièces de bois, il entend celles qui servent d’arcs-boutants et qui sont eftectivement entre les mon - tants et les travers et entre le cbelo et les angles où elles sont fortement enfoncées, inter scapos et transversarium trajecla, cheloniis et ancunïbus inclusa. Nous avons vu que le mot chelo signifie en grec une tortue, et nous avons encore vu dans la description de la catapulte , qu’on nom- moit aussi manucla la partie de cette machine qui s’appelle le chelo , et que manucla signifie une petite main. Je crois donc qu’on appeloit chelo ou manucla , les deux extrémités des travers sur lesquels les montants s’élevoient. a Je crois qu’un de ces rouleaux étoit au haut de la machine, et que la corde où le belier étoit suspendu pas- soit sur ce rouleau ; l’autre étoit au bas de la machine J l’extrémité de la corde y étoit attachée ; en tournant ou détournant celui-ci avec une manivelle, on élevoit ou on baissoit le belier, pour le faire frapper plus haut ou plus bas. Appian d’Alexandrie dit que les habitans d’Utique empêchèrent l’eflèt des beliers dont Scipion faisoit battre leurs murs, en descendant des poutres pendues à des cordes et mises en travers pour soutenir les coups des beliers. Au moyen des rouleaux, dont je viens de parler, on élc- voit ou on abaissoit le belier, pour éviter que ses coi ps ne portassent sur les poutres qu’on y opposoit. Nous verrons eftectivement, à la fin du chapitre, qu’on pouvoit l’élever pour frapper la muraille jusqu’à près de cent piedr» 479, L ’ A II C II 1 T E C T ü 11 E DE VIT K U V E. on attache le mât d'un navire à la poupe et à la proue. Ces cables sont relie's par des cordes, mises en travers, qui les entourent comme des ceintures, à la distance l’une de l’autre d’un pied et un palme. On couvre entièrement le belier de peaux fraîchement e'eorchées. A l'endroit où pendent les cables à la tète du belier, il y a quatre chaînes de fer recouvertes aussi de peaux fraîchement écorchées i. Sur la saillie du plancher, il y a enfin une caisse qu’on lie aux cables ; elle est fortement asseinbie'e et pique'e de doux, afin que, par son âprete', on puisse aise'- ment marcher dessus sans glisser, quand on veut parvenir jusqu’à la muraille. On faisoit mouvoir cette machine de trois manières , savoir en la faisant avancer en ligne droite, en la faisant tourner à droite ou à gauche, en la faisant hausser ou baisser. On l’élevoit pour frapper la muraille, jusqu’à près de cent pieds, et' l’espace qu elle pouvoit atteindre de droite à gauche e'ioit aussi de cent pieds. Cent hommes la gouvemoient; elle pesoit quatre mille talents, c’est-à-dire, quatre cent quatre-vingt mille livres. 71 E M A R O U E S. c- Toules ces machines de guerre sont expliquées d’une manière si obscure qu’il paroîl presque inutile de se donner la peine de chercher à y comprendre quelque chose. L’art de la guerre a tellement changé depuis la découverte de la poudre à canon , qu’on ne connoît plus ces machines que par le peu qu’en ont écrit quelques auteurs anciens. On s’esi encore servi néanmoins des machines de ce genre dans le moyen âge , même après la découverte de la poudre. Nous lisons, dans la chronique de Zamfliet., que les Liégeois employèrent encore en i43o, au siège de Bouvigne, dans le comté de Namur, une machine appelée la catapulte j mais, outre qu’on ne connoît pas i Le texte porte ex quibus autan funibus pendebant connu capita, fuerant ex ferro quadrupUces catenæ. Il est impossible que par les mots, funibus pendebant , l’auteur ait entendu les cables qui suspendent le bélier; car les mots eorurn capita , qui suivent, font voir clairement que ce ne peut être ces cables ; parce que le bélier n’est pas suspendu parle bout, mais par le milieu. Je crois donc qu’il s’agit des quatre cables dont il a déjà parlé, qui ser- voient à manier, à tirer et à pousser le belier, et qui étoient liés à son extrémité comme les aubans le sont au bout du mât d’un yaisscau. On ajoutoit quatre chaînes au le chat 2 , qui produisoit les mêmes effets que bien comme elle étoit laite, il ne paroît pas bout de ces cables, c’est-à-dire , dans la partie qui s’avan- çoit hors de la tortue, pour éviter qu’on ne les coupât. 2 Cette machine , à ce que rapporte la chronique de Zamfliet, avoit e'te' invente'e par un chanoine de Lie'gc , nomme' Henri de Pe- tersheim , et employe'e au siégé de Bouvigne en i32o. Alors la poudre à canon n’avoit pas encore e'te' trouvée. La même chronique rapporte qu’en i43o , après la de'couverte de la poudre, le canon ne faisant presque aucun effet contre les murs de Bouvigne, les Lie'geois prirent la résolution de les battre avec la ma- chiné appele'e le chat, dont on s’e'foit servi à l’autre sie'ge de Bouvigne dont nous avons parle'. Ainsi, maigre' la de'couverte de la poudre , on avoit encore alors recours aux machines de guerre. qu’elle LIVRE X, Chap. xxii. 4p qu’elle ressemblent à celle des anciens. Ce qui décourage sur-tout dans les recherches qu’on fuit pour découvrir la forme des machines décrites par Yilruve, c’est qu’on soupçonne avec raison qu’il *ne les comprenoit pas bien lui-même, lorsqu’il ne les connoissoit que par les livres qu’il sc con- tentoit de copier, ce qu’on remarque aisément en voyant la différence dans sa manière de les décrire, et comme il ehange de style en parlant de ces diverses machines. On ne peut douter eertainement qu’il ne connût très-bien les machines de guerre employées de son temps, parce que, comme nous l’avons vu dans l’introduction du premier livre, il étoit chargé de les entretenir. Mais il paroît que la plupart de celles qu’il décrit, enlr’autres cette dernière inventée par Agetor de Bysance, n’étoient plus en usage alors. CHAPITRE XXII. Des moyens quon emploie pour défendre les places fortes. J’ai rapporté tout ce qu’il convient de savoir sur les scorpions, les catapultes," les balistes, les tortues et les tours; j’ai fait connoître les inventeurs de ces machines, et comme on doit les faire. J’ai cru qu’il n’étoit pas nécessaire d écrire sur les échelles, les guindages et autres objets semblables, qu’il est si aisé de faire, au point que c’est ordinairement l’ouvrage des soldats d’ailleurs ces machines ne peuvent être employées de même dans tous les endroits, c’est pourquoi on les construit de plusieurs manières. Les diversités qu’on rencontre dans les fortifications et le courage des différents peuples, font qu’on doit avoir d’autres machines pour attaquer ceux qui sont hardis et téméraires, d’autres pour ceux qui sont vigilans, d’autres enfin pour ceux qui sont timides. Si l’on suit cependant les préceptes que j’ai donnés, et qu’on sache choisir ce qui convient parmi les divers objets que j’ai traités, on trouvera tous les expédients nécessaires, selon la nature des dieux, pour tout ce qu’on voudra entreprendre. On sent qu'il est pour ainsi dire impossible d’écrire sur les moyens que les assiégés peuvent employer pour se défendre, car il est probable qu ils ne suivront pas nos écrits pour leurs travaux de siège ; l’expérience nous apprend qu’on a souvent renversé les machines des ennemis , par des moyens ingénieux trouvés 6i L ’ ARCHITECTURE DE VITRUVE. 48 r sur-le-champ, comme il arriva autrefois à Rhodes. Il y avoit à Rhodes un architecte nomme Diognète, qui recevoit tous les ans un salaire honorable de la république, pour les services qu’il rendoit dans la partie qui concerne son art un autre architecte nommé Callias, venu d’Arad à Rhodes, demanda audience- ' * ' rV 7 il exposa le modèle d’un rempart sur lequel il avoit placé une machine, qui est ce guindage qui tourne aisément, avec lequel il prit et enleva une hélepole i qu’il avoit fait approcher de la muraille, et la transporta au-delà du rempart. Les Rhodiens, voyant l’effet de ce modèle, l’admirèrent. Ils ôtèrent à Diognète la pension qu’ils lui avoient accordée, et la donnèrent à Callias. Quelque temps après, le roi Démétrius, qu’on appela Poliorcètes 2, à cause de l’opiniâtreté avec laquelle il avoit coutume de s’attacher à tout ce qu’il entrepre- noit , déclara la guerre aux Rhodiens. Ce roi avoit amené avec lui un excellent architecte athénien nommé Epimacque, qu’il chargea de construire une hélepole où il employa une dépense et un travail extraordinaire. Elle avoit cent vingt-cinq pieds de haut et soixante de large ,* elle étoit couverte de poils et de cuirs nouvellement écorchés , de sorte qu elle étoit à l’épreuve d’une baiiste , qui auroit jeté une pierre de trois cent soixante livres. Cette machine pesoit trois cent soixante mille livres. Les Rhodiens demandèrent à Callias de préparer sa machine pour enlever l’hélepole et la transporter en deçà des remparts , dans la ville , comme il l’avoit promis mais il leur déclara qu’il ne pouvoit le faire, d’autant que toutes les choses ne s’exécutent pas de la même manière ; qu’il y a effectivement des machines qui produisent, quand elles sont exécutées en grand , le même effet, qu’a produit leur petit modèle; qu’il y en a dautres qu’on ne peut représenter par un modèle, mais qu’il faut voir exécutées ; qu’enfin il y en a qui semblent devoir produire beaucoup d’effet quand on en voit le modèle, mais qui ne réussissent pas quand on les exécute en grand. Qu’il est facile de se convaincre de cette vérité, si l’on considère combien il est aisé de faire avec une tarrière un trou de la grandeur d’un demi-doigt, d’un doigt, 1 Philander remarque que ce nom est dérivé d’î'Aw ; deuxième aoriste subjonctif ou deuxième futur indicatif du verbe ccipsco, qui signifie s'emparer, vaincre, subjuguer, etc., et de -xoàuç, ville, c’est-à-dire, qui subjugue les villes. D’après ce que disent les historiens et la description qu’en fait "Vitruve, il est certain que l’hélepole ne pouvoit être autre chose qu’une grande tour, 2 Le nom de Poliorcètes , qu’on donna à Démétrius, roi de Macédoine, ne signifie pas l’opiniâtreté ; ce n’étoit pas en effet par une grande persévérance qu’il prenoit les villes ; car les historiens remarquent qu’il prit presque toutes les plus fortes places delà Grèce, commeAthènes, Mégare, Sicyone,. Héraclée, Gorintte et Salamine, le même jour qu’elles furent assiégées. Poliorcètes signifie celui qui prend et ruine les villes. 482 LIVRE X, C h A p. xxii. ou d’un doigt et demi; et qu’il devient difficile» au-delà de toute expression,’ de chercher à le faire d’un palme ; qu’il ne peut même entrer dans la pensée de tenter d’en percer un d’un demi-pied ou plus qu’ainsi, quoiqu’il paroît que ce qu’on a fait avec un petit modèle puisse aussi s’exécuter dans une grandeur médiocre, on ne peut néanmoins le faire réussir en grand. Les Rhodiens s'aperçoivent alors qu’ils se sont laissés tromper, faute d’avoir fait ces réflexions, et qu’ils ont mal-à-propos offensé Diognète. Ils voyent cependant l’ennemi s'opiniâtrer à la prise de la place au moyen de cette machine. La crainte d être réduit en captivité et dé voir bientôt la ruine de leur ville, les force de venir se jeter aux pieds de Diognète, pour le prier de vouloir secourir sa patrie. D’abord il les refuse ; mais quand il vit des filles nées libres, les enfants et les prêtres le venir prier, il promit de faire ce qu’on lui demandoit, à condition que s’il prenoit la machine, elle seroit à lui. Cela lui étant accordé, il fait percer le mur de la ville directement à l’endroit vers lequel la machine s’avance, et ordonne que chacun y apporte ce qu’il pour- roit d’eau, de fumier et de boue, pour les faire couler par des canaux au travers de cette ouverture et les répandre devant le mur. Toute la nuit est employée à jeter quantité d’eau, de boue et de fumier, tellement que le lendemain, quand on veut faire avancer l’hélepoie, avant même d’être près de la muraille, la voilà qui s’enfonce dans le gouffre humide qu’on lui a préparé, de sorte qu’il est impossible de la faire avancer ni reculer. Démétrius voyant que Diognète, par son talent, avoit fait échouer ses projets, se retire avec sa flotte. Alors les Rhodiens, délivrés par l’industrie de Diognète, se réunissent pour le remercier publiquement, et le comblent d honneurs et de récompenses, pour lui témoigner leur gratitude. Diognète fait entrer l’hélepole dans la ville, et la met dans la place publique, avec cette inscription Diognète a fait ce présent au peuple, de la dépouille des ennemis. D’après cela, on voit que, pour défendre les places, l’esprit et l’industrie font autant que les machines. Les habitants de la ville de Chio firent éprouver le même sort aux ennemis qui vinrent les assiéger avec des machines appelées sambuques , placées sur des vaisseaux. Ces habitants, pendant la nuit, jetèrent, dans la mer, devant leur muraille, quantité de terre, de sable et de pierres quand les ennemis voulurent appro- 6r, 483 L’ARCHITECTURE DE VITRÜYE. cher le lendemain, leurs navires échouèrent sur ces bancs, et s’y engravèrent tellement, qu’il leur fut impossible d’avancer vers le mur ni de se retirer, de sorte que les assiégés ayant jeté des flèches incendiaires sur ces machines, y mirent le feu et les réduisirent en cendres. Lorsque la ville d’Apollonie fut aussi assiégée, les ennemis creusèrent une mine; .par laquelle ils pensoient pénétrer dans la ville sans qu’on s’en doutât; les assiégés, avertis de ce projet par leurs espions, furent très-épouvantés, ne sachant quel parti prendre, parce qu’ils ignoroient en quel temps et par quel endroit les ennemis vouloient entrer dans leur ville cette incertitude leur faisoit perdre courage. Il se trouvoit parmi eux un architecte d’Alexandrie, nommé Tryphon, qui indiqua le moyen de faire plusieurs contremines, qui passoient par dessous les remparts et s’avançoient par delà la longueur d’un trait d’arc ; puis il fit suspendre, dans toutes ces .galeries souterraines, des vases de bronze. Quand les ennemis commencèrent à travailler, les vases de la galerie dont ils étoient le plus près, retentirent à chaque coup de pioche qu’on dormoit. Par là l’on connut bientôt l’endroit que les assiégeans vouloient percer pour pénétrer dans l’intérieur de la ville. Après s’en être assuré, Tryphon fit préparer, au-dessus des travailleurs ennemis, des chaudières d’eau et de poix bouillante, avec des excréments humains et du sable rougi au feu. Pendant la nuit, il lit percer plusieurs ouvertures dans leur mine, y fit jeter à l’instant ces objets, et tous ceux qui y travailloient furent massacrés. Pendant le siège de Marseille, les habitants furent de même prévenus que l’ennemi avoit pratiqué plus de trente galeries souterraines ; ils résolurent aussitôt de creuser autour de la place un fossé ils le firent si profond qu’ils rencontrèrent et ouvrirent toutes les mines de l’ennemi. Dans les endroits où ils ne purent creuser, iis firent, en face, dans l’intérieur de la ville, un énorme fossé, en forme d’étang, qu’ils remplirent d’eau tirée des puits et du port ; cette eau entrant tout- à-coup dans les mines, abattit les étais, et tous ceiix qui s’y trouvoient furent étouffés par l’eau et par la chute des terres. Les assiégeans tentèrent ensuite de s’élever plus haut que les remparts, en entassant vis-à-vis des arbres coupés et placés les uns sur les autres ; mais les Marseillois brûlèrent tout cet ouvrage, en jetant dessus, avec les balistes, des barres de fer rougies au feu. Enfin, quand on approcha la tortue avec le belier, pour battre la muraille, les assiégés descendirent un lacs suspendu au bout d’une corde, dans lequel iis prirent le belier, LIVRE X, Chap. xxii. 484 et lui levèrent la tête si haut, par le moyen d une roue attachée à un engin, qu’ils l’empêchèrent de frapper la muraille ; puis , avec des flèches incendiaires et à coups de balistes, ils détruisirent toute la machine. C’est ainsi que cette ville resta victorieuse , et fut délivrée, non par le moyen des machines, mais par le talent des architectes, qui rendirent inutiles celles qu’avoit employées l’ennemi. Tels sont les principes qui nous ont paru les plus utiles pour la construction des machines dont on se sert pendant la paix et pendant la guerre. J’ai tâché de les réunir dans ce dernier livre. Les neuf qui précèdent traitent des différentes parties qui appartiennent à notre sujet , tellement qu’on trouvera dans ces dix livres tout ce qui compose le corps de farchitecture. REMARQUES . "Vegece,, dans le 2i. e Chap. du IV. e Liv. des Institutions militaires , fait connoître les moyens qu’on emploie pour s’opposer aux effets des hélepoles, et ceux propres à les anéantir. Le premier moyen, dit-il, c’est de chercher à les brûler.,Il rapporte ensuite celui qu’employèrent les Rhodiens , mais autrement que Vitruve suivant lui, ils creusèrent un souterrain, par dessous l’endroit où devoit passer cette machine $ quand elle y fut parvenue, elle s’enfonça tout-à-coup, et il fut impossible de l’en tirer. Pour prouver combien l’intelligence et la présence d’esprit est nécessaire à ceux qui défendent les places assiégées 9 Vitruve nous cite encore pour exemple ce qui s’est passé pendant le siège de Chio. Les ennemis voulant s’approcher de cette ville avec leurs vaisseaux, et y pénétrer, au moyen des machines nommées sambuques, qui étoient, à ce qu’il paroît, des échelles de cordes dont on se servoit sur les navires pour escalader les murs, et qui étant dressées avoient une forme triangulaire semblable à celle de l’instrument de musique appelé sambuque, dont on a parlé dans le J. er Chap. du VI. e Liv., les habitants de Chio ayant découvert les projets de l’ennemi, jetèrent pendant la nuit quantité de sable, de terre, etc., dans la mer vis-à-vis de leur muraille, tellement que les vaisseaux de l’ennemi s’approchant de la ville échouèrent sur ces bancs. Les assiégés incendièrent alors leur flotte en lançant dessus des flèches enflammées que Vitruve nomme malleolii, J’ai rendu ce mot par flèches incendiaires , d’après ce que dit Végece , Chap. 18 , Liv. III. Mal- leoli velut sagittœ sunt , et ubi adhœserint , quia ardentes sunt , unipersa conflagranb. On voit aussi dans Nonius que c’était des machines enflammées par une composition combustible dont elles étoient entourées. Ammien Marcellin dit ^qu’elles etoient ferrees par le bout, qu on les lançoit avec des arcs, et que , s’attachant aux machines de guerre ou aux navnes, elles les melloient en feu. * 485 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. Ces différentes machines de guerre, rendoient les sièges des anciens pour le moins aussi meurî triers que les nôtres. Ils en avoient de tous les genres, tant pour l’attaque que pour la défense, dont les effets éloient étonnans. Les sièges de Rhodes, de Chio et de Marseille, dont parle Yitruve, prouvent combien leurs ingénieurs éloient habiles. Ce que Plutarque 1 rapporte des machines employées par Archimède pour défendre Syracuse est plus étonnant encore. Archimède et Eudoxe furent les premiers, suivant lui, qui appliquèrent les principes de géométrie aux méchaniques il dit qu’Arehimède le fit pour s’amuser, et par ^délassement* d’après la demande d’Hiéron, roi de Syracuse, son parent et son ami. Il ajoute que Platon fut indigné de ce qu’ils avoient ainsi corrompu et gâté l’excellence de la géométrie, en faisant descendre celte science, qui étoit toute intel- lective et spirituelle, à des objets sensibles et matériels. Archimède avoit composé pour Hiéron , quantité de machines pour assaillir et défendre les villes mais ce roi n’en ayant pas fait usage, parce- qu’il jouit de la paix pendant tout son règne, elles servirent aux habilans de Syracuse, lorsque Marcellus, à la tête des armées romaines, vint assiéger cette ville par mer et par terre. Us les trouvèrent toutes préparées, et ce qui valoit bien mieux encore, ils possédoient Archimède, qui les avoit inventées. L’armée i*omaine, qui devoit assaillir par terre, s’avance vers les murs sous la conduite d’Appius. Marcellus, qui commandoit soixante galères, s’avance du côté de la mer. Il avoit fait lier ensemble huit de ces galères, et dresser dessus une énorme machine pour rompre les murailles. L’épouvante s’empare alors des Syracusains qui se voyent attaquer des deux côtés. Archimède seul reste sans inquiétude, il fait agir ses machines. Une infinité de traits partent à l’instant de tous les côtés; des pierres énormes s’élancent dans les airs avec un bruit épouvantable, elles brisent et renversent tout ce qu’elles rencontrent, [sans que rien puisse résister à leur impétuosité ; la confusion et le trouble régnent dans les rangs des Romains. Ce fut bien autre chose encore quand les galères vinrent attaquer du côté de la mer les unes sont plongées au fond des eaux par de longues pièces de hois semblables à des mâts* qui sont jetées avec des machines de dessus les murailles; d’autres sont élevées par la proue avec des mains de fer et des crochets en forme de bec de grue, qui les dressent perpendiculairement sur les ondes, et y enfoncent leur poupe. D’autres sont saisies en dedans par des machines tendues en sens contraire l’une de l’autre , qui leur font faire la pirouette dans les airs* et les vont ensuite briser contre les rochers qui sont au pied des murailles. Rien n’étoit plus horrible que de voir ces galères s’élever et tournoyer dans les airs* où elles paroissoient suspendues avec toutes les personnes qui étoient dessus dont la mort étoit certaine, puisque jetées au loin par le tournoiement, ces galères, à la fin, venoient se briser vuides contre les mitrailles, ou retomber dans la mer quand les machines les lâchoient. Lorsque Marcellus fit approcher la machine qu’il avoit placée sur plusieurs galères jointes ensemble, èt qui s’appele sambuque , à cause qu’elle ressemble à l’instrument de musique qui porte le même nom; tandis qu’elle étoit encore assez éloignée, on lance sur elle de dessus la muraille* une pierre énorme, qui pesoit mille livres, ensuite une seconde, et puis une troisième qui tombe sur celte machine avec un bruit de tonnerre* la fracasse et disperse les galères qui la soutenoient, tellement que Marcellus ne sachant où il en étoit, fut obligé de se retirer, et d’ordonner à ceux qui attaquoient du côté de la terre, d’en faire autant. On tint conseil, et il fut décidé que le lendemain avant le jour, on s’approcheroit le plus près i Vie de Marcello*. LIVRE X, C h a p. x x 11. 486 de la muraille qu’il serait possible, d’autant que les machines fd’Archimède étant très-tendues, elles lanceroient leurs pierres et leurs traits au-dessus de la tête des assiégeans, et ne pourroient leur nuire d’aussi près; mais Archimède avoit prévu cela il avoit préparé des machines dont la portée étoil proportionnée à toutes les distances de sorte que les Romains s’approchant, croyant être à couvert, sont tout étonnés de se voir assaillis de nouveau par une infinité de traits, et accablés de pierres qui leur tomboient à-plomb sur la tête. Ils furent contraints de se retirer encore une fois. Quoiqu’éloignés, les traits des ennemis venoient encore les atteindre, et ils ne pouvoient leur en envoyer aucun , parce qu’Archimède avoit dressé presque toutes ses machines à couvert derrière les murailles. Il sembloit, dit Plutarque, qu’un dieu combattoit les Romains, puisqu’on ne pouvoit découvrir d’où tous ces coups partoient. Marcellus reprochoit aux ingénieurs, qu’il avoit dans son camp, qu’ils ne pouvoient venir à bout de ce géomètre qui avoit enfoncé dans la mer ses galères, et repoussé ses sambucjues, et qui avoit surpassé les géans aux cent mains dont parlent les poètes. Voyant ses gens si découragés et si effrayés , que dès qu’ils apercevoient le bout d’une corde ou de quelque pièce de bois sur les remparts, ils s’enfuyoient, criant qu’Archimède alloit les anéantir avec ses machines. Il renonça à tenter aucun assaut, et résolut de traîner le siège en longueur. Il prit enfin cette ville par surprise, et Archimède y fut tué par un soldat qui ne le reconnut point, tandis qu’il éioit profondément appliqué à résoudre un problème de géométrie. J’aurois désiré pouvoir répandre autant de clarté sur la partie de l’ouvrage de Vitruve qui traite de l’architecture militaire des anciens, que j’ai cherché à en répandre sur celle où il traile de l’architecture civile. Ceux qui voudront connoître davantage celte architecture militaire , doivent avoir recours aux ouvrages de G. C. Waller, de Juste Lipse, du chevalier de Follard, etc. F I K. a 1 1 kxte -.’SSS >a ^m PLANCHES. Les Figures sont expliquées en latin et en françois . Le latin est entièrement tiré du texte de Vitruve. Nous avons, en cela, suivi lexemple que nous a donné Galiani, dans sa traduction italienne . Les chapitres, pour lesquels on a gravé ces Figures, sont aussi indiqués, tellement quelles peuvent servir pour lintelligence du texte dans les éditions latines, où Ion ri a pas mis toutes les Planches nécessaires telles sont celles de Philander, de Laet, etc. L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. PLANCHE I ” FIGURE I." Plan dune ville entourée de murs , Chap. 5, Lib. I. AAA. Murus. Mur simple. BBB. Cum aggere. Mur avec un rempart. CCC. Partarum itinera eraxict. Porte et le chemin qui s’y rend du côté gauche. FIGURE I I. Plan et élévation perspective dune partie des murs de la ville représentée ci-dessus. Chap. 5 , Liv. I. AAA. Murus . a a. Crassitudo. B B. Agger. DD. Turrus. LE. ïnterior turrium murus divisas . FF. Itinera contignata. GG. Fundamenta transversa conjuneta exteriori et interiori pectinatim quemadmodum serrœ dentes. Mur simple. Largeur du mur simple, Rempart. Tours. Le mur des tours qui est interrompu du côté de l’intérieur de la ville. Pont-levis. Mur en forme de dents de scie qui lie le mur extérieur AA avec le mur intérieur GG. FIGURE III. Plan du fondement sur lequel on doit élever un rempart. Chap. 2 , Liv. YI. AA. Fundamentum. Fondement. BB. Anterides sive erismoe. Contreforts ou éperons. HH. Fentes cçnjnncti muro serrali/n. Mur en forme de dents de scie. J PI. I. -4M*** AXJ3!TBB- L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. 4i 3 PLANCHE III. FIGURE 1.” Différentes maniérés de bâtir des Anciens. Chap. 3 et 8 , Liv. IL Le pentadoron ou brique de cinq palmes. Sa demi-brique. Le leiradoron ou brique de quatre palmes. Sa demi-brique, ou bien le didoron , c’est-a-dire , la brique de deux palmes, Maçonnerie en briques. — en pierres de taille. — isodome , c’est-à-dire , d’égale structure. — pseudisodome , c’est-à-dire , d’inégale stucture. — l’irrégulière. — la maillée. — en remplissage. — en pierres à deux paremens qui traversent le mur. FIGURE IL Les premières habitations des hommes, lorsqu ils étoient encore barbares. Chap. i , Liv. IL. Maisons faites avec des poutres, de la paille et enduites avec de la terre grasse. Maison des liabitans de la Colchyde. Maison des habilans de la Phrygie, A. Parieles ex farcis erectis et çirgultis inter - positis j et luto tecti. B. Colchorum 1 / domus. C. Frigum / A. Pentadoron. B. Emilater. b Tetradoron. D. Didoron. E. Dater uni ordines. F. Structura quadrata. G. Isodoma. H. Pseudisôdoma. I. Incerta. L Rcticulata. M. Etnpleclon . N. Diatoni. ü \ l .!!!!l!!l!l!llül!lwi!l!jl!Hlwi**sw»H miwannuHmnnHiHiBàîj^ tilllllllimillllllllllll lllllllllll IlIllIlHHIllllllItlIHU uiK»iiniiiHiiiiiiii ’fflMM Ht^llIlimmilltUIlttN nififirntHI !KW HIIIIHHUIIIIIIItHUIII ittHunMMni iiBI»H»linflllUHmUIHI 4 iH»IHW WHDltlIUi B»!» f VRfr 'mm * V„- ’méMj fe»iilliiiBliiilimie /' ’lt r îigafiBS iiffliiijiàmmiiiiifgvgg; 49' L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. PLANCHE I Y. FIGURE I.™ Le corps humain placé dans un carré . Les proportions se trouvent indiquées Ch. i, Liv. III. FIGURE IL Le corps humain placé dans un cercle. FIGURE III. Pièces qui composent la charpente des toits. Chap. 2 , Liv. IY. Noms italiens. r a. Columen. Asinello. Faîtage, * b b. Transira. Asticcivole. Poutre de traverse. c c. Cantherii. Puntoni. Les forces. dd. Capreoli. Razze. Les contrefiches. e e. Columnæ. Monachi. Le poinçon. ff. Templa. Paradossi. Les pannes. SS- Asseres. Panconcelli. Les chevrons. b h. Tegulæ. Tegole. Les tuiles. 3N. Triglyphus. Trigiifo. . Trl g ] yr lie - O. Intertigmum , sive Metopt a. Meiopa. Metope. FIGURE I V. Mur de cloison fait avec des entrelacs. Chap. 8 , Liv. II. Chap. 3 , Liv. YII. AA. Arrectaria. Les montants. BB. Transversaria. Les travers. CC. Priores cannœ perpétuas. Premier rang de cannes. DD. Lutum. Enduit de terre grasse. EE. Secundæ cannœ. Second rang de cannes. FF. Tectorium. Enduit de stuc. ^ G. Solum. Empalement un peu élevé sur le sol d5 !' ^ ^ £ I J J ' S3 ^ "S 2j -I -S -S * A *. fc* ^ J. IB"! I Hvn\m ••*.• ; »;!' •; *m' jjéîHia i»llfli!P '' i&’ •. $4 L’ARCHITECTURE DE VITRUVE. PLANCHE XI. L' O R D R E DORIQUE. Chap. 3 , Liv. IV. FIGURE I." A. Columna XX stries plants. C. Capitulant. i. Cymatium. а. Abacus . 3 . Echinus. 4 . Anuli. 5 . Hypotrachelium. б. Aslragalum cum Apoplrygis, F ] D» Epistylium. 1. Tœnia. 2. Guttœ. 3 . Régula. E. Zophorus, a. Triglyphus. ' 4 * Femora. 5 . CanalicuH. 6. Scmicanalicuh. b. Me topa. c. Semimetopia. 7. Capitulum triglyphi. 8. Cymatium doiicum. g. Corona. F I 1 5 . Guttœ. 16. Fulmina. 17. Viœ. 10. Menlum. ig. Scolia. 20. Lacunaria. F I Colonne avec 20 cannelures pleines. Le chapiteau. La cymaise. L’abaque ou le tailloir. L’ove ou quart de rond. Les annelets. Le gorgerin. L’astragale avec le listel. G U Fi E I I. L’architrave. Plate bande. Les gouttes. La tringle. La frise. Le triglyphe. Les règles. Les canaux. Demi - canaux. Métope. Demi-métope. Le chapiteau du triglyphe. La cymaise dorique. Le larmier. G U R E III. Les gouttes. Foudres sculptées dans le plafond. Plates bandes en relief. Dessous de la gouttière. Ixainure. Plafond. G u R e 1 v. Les entrecolonnements de ïordre Dorique. Chap. 3 , Liv. IV. FIGURE Y. Chap. G G. Ostium doricum lifore. 1 . 4 * Antepagmentum. 1. Super cilium. 2. Hyperthyrum. 5 . Corona plana. 5 . Prujecturœ d extra , ac sinistra, 6. Scapi cardinales. . Replum. . Tympanum. g. Impages. , Liv. IV. Porte dorique à deux battants. Le chambranle, 4 jambes du chambranle. L’architrave du chambranle. L’hyperliron , ou bien le dessus de porte avec une cymaise dorique et une astragale lesbien. La corniche plate. Saillies que fait l’architrave à ses deux extrémités. Les maîtres montants de l’assemblage. La plate bande ou feuillure. Les panneaux encadrés. Les pièces de traverse de l’assemblage. W RHI^iîHüü Ü! $ a G. II. L'ORDRE 10NIQ UE et les parties qui le composent. Chap. 3 , Liv. III. FIGURE L" Eexplicalion^j^es lettres A. B. G. H. E. F. a été faite dans les deux planches précédentes. Ostium ionicum qucidrifore. Porte ionique à quatre pans. Protyrides. Console. Chap. 6 , Liv. IY. Les renvois i. 2 . 3. etc, , sont les mêmes que pour la PI. XI, Jig. i. re , ou ils ont été expliques. F I G U R E I I. 1. 2 . 3. 4. B. 2. 1. 2 . 3. î. 2 . 5. 4. 5. e. 7- 8 . 9- îo. 11. a. 12. 13. 14. Elle Bctsîs ionica. Piinthus. for Us. Trochilus superior. Trochilus inferior. Basis atticurges. Piinthus. Torus inferior. Scotia. Torus superior. Abacus. Oculus volutœ. Canalis cum incarpis. Pulviiïorum balthei. Axes. Echinus. Cymatium 1 > , A. . > epislylu, Fctscice Cymatium zophoti. Denticuli. Intersectio. Sima. . Capita leoninci. Corona. Base ionique. Le plinthe. Le tore. - La scolie supérieure. La scolie inférieure. Base attique. Le plinthe. Le tore inférieur. La scolie. Le tore supérieur. FIGURE III. L’abaque. La volute. L’œil de la volute. Creux avec la guirlande. Ceinture de l’oreiller. L’axe. L’ove. La cymaise I -, ,, . • T i V de i architrave. Les laces J Cymaise de fa frise. Le denticule. Intervalle. La corniche. Têtes de lions. Le. larmier. FIGURE I Y. Description de la volute. se trouve dans le Chap. 2, Liv. III du texte, dans les notes et remarques à la fin de ce FIGURE Y. Distance des entrecolomements eustyles , tetrastyles et octastyles . ,Ghap, 3, Liv. III, chapitre. FÎjO. Ip. lfef~ If j 11111111 l U MP'i il Fut. 3. é^t . ' X ^Æ bù-îmi 3 1 1,1 Fia. z SttTŒ mmiT 5 i 3 L’ARCHITECTURE DE YITRUYE. PLANCHE X I I I. L' O R D R E CORINTHIEN. Chap. i , Liv. IY. FIGURE I. re Les lettres A. B. C. D. E. F. sont expliquées planches X et XI. FIGURE IL Plan et élévation du chapiteau corinthien. FIGURE III. Chapiteau des colonnes du temple de Jupiter tonnant au Capitole. FIGURE IY. Piédestaux formant des saillies appelées scamilli impares. Chap. 3 , Liv. III. FIGURE Y. 1 Moyens de joindre dans les angles du fronton, la cymaise de la corniche. Chap. 3, Liv. III. F I G'U RE VI. G. Ostium atticurges valvalum , Porte Attique n’ayant qu’un battant. Chap. 6, Liv. IY. Les chiffres i. 2 , 3. etc.; sont expliqués PI. XI, Jig. i. re . i. 1 ! i ! • M ; 1 I lljnill 'i'. 5x5 L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. PLANCHE XI Y. Plan du forum et de toutes ses parties adjacentes. Chap. i A; Forum. MM. A dit us. jNN. Tabernœ. L. Scalœ. B. JBasilica. C. Chcdcidicœ. D. Ædes Augusti. E. Pronaos. F. Tribunal. G. Templum Jovis. H. Curia. I. Ærarium. KK. Carcer. ii. 12. Lignes sur lesquelles on a pris les coupes du suivante, qui est la XV. œQ et 2 , Liv. Y. Le forum ou le marché. Les entrées. Les boutiques. Escaliers pour monter à l’étage supérieur, La Basilique. Les chalcidiques. Le temple d’Auguste. Avant-temple. Le tribunal. Le temple de Jupiter. La maison de ville. Le trésor public. Les prisons. forum, et celle de la basilique qui sont gravées dans la planche / '/. juv; i 7 L'ARCHITECTURE DE VITRUVE. PLANCHE X V FIGURE I.™ Chap. i, Liv. Y. Coupe du Forum 7 prise sur la ligne 1 . 1 . du plan qui se trouve dans la planche précédente, ou toutes les lettres qui se rapportent h celle-ci sont expliquées. FIGURE II. Chap. 1 et a , Liv. V. Coupe du Forum,, de la Basilique et du Temple , prise sur la ligne 2 . 2 . de la planche précédente, où toutes les lettres qui se rapportent à celle-ci sont expliquées, excepté cependant les chiffres suivants. 1. 3. Parastratœ altos pedes 20. 2. 2. Allas parastratœ pedum 18. 5 . 3 , Spatia relicta luminibus. 4 . 4 . Trahes ex tribus tignis bipedalïbus. Pilastres hauts de 20 pieds. Autres pilastres hauts de 18 pieds, fluide des fenêtres. Architrave composé de trois poutres de deux pieds cVèpaisseur. FIGURE III. Chap. 10, Liv. Y. Vianet coupe représentant l’intérieur d’une salle de bain. A. Balneum. a. a. Labrum. d. d. Alveus. 13 . Schola. C. Gradus. e. e. Pluteum. Le bain;, Le bord de la baignoire. La loge. Lieu où l’on attend avant d’entrer dans le bain. Bains qui régnent tout autour. Balustrade. FIGURE IV. Chap. 10, Liv. V. . i UL’H I ^iÀ’l 5 i 9 L’ARCHITECTURE DE YITRUVE. PLANCHE. XVI. FIGURE I.” Plan du théâtre des Romains. Depuis le Chap. 3 , jusqu’au Chap. 9 , Liv. Y. K. Spatia ad ornatus comparata. L. Itinera versurarum. M. Trigoni versatiles. N. Portions posi scenam. O. Ilypæthrœ ambulationes. suivant les diverses espèces de scène. Passages dans les côtés de la scène. Machines triangulaires , sur lesquelles sont peintes les décorations pour les trois changements de scène. Portique derrière la scène. Promenoir découvert. FIGURE II. Coupe du même théâtre sur la ligne XX. du plan. Ce sont les mêmes lettres que dans le plan , puisqu ’elles indiquent les mêmes parties ; on oient de les expliquer ci-dessus ftg. qui est celle du plan. PP. Aperturœ cellarinn, in quitus vasa œrea. Ouverture des cases dans lesquelles on pîaçoit les vases de bronze. FIGURE III. 1 Vue de la scène. tt Les lettres sont encore les mêmes que dans le plan ; celle qui indique un objet dans le planl’indique aussi dans l’élévation voyez ci-dessus Jig. i. re a. Podium. b. Columnœ inferiores. c. Columnœ superiores. - Piédestal. Premier rang de colonnes. Second rang de colonnes* r -, -dètjf' A. Orchestra. L’orchestre. j G. Proscenium. La scène. B. Gradus. Degrés servant de sièges. i 1 r C, Prœcinctio. Précinction_, ou pallier semi-circulaire. D. Portions. Portique supérieur. '.j E. Scalœ inter cuneos. Escaliers qui séparent les amas de degrés servant de sièges. ? 1 F. Aditus. Passages. li H. Valvœ regiœ. Porte royale. Porte des étrangers. X _ 1 f 1 1 f _ . • ? _ 1 . . . L Hospitalia. PI. XVI. _ in'font ÿj . Mm MnwTHilirhHmHiiwwnwmiHiiHiiiiimirimrtintiiHimHiiumumîiiHinniiminnimi rtH WHHHW B ’fss ^HUHIIIIHIHIHIIIIIIItlIlllimi fMlM jk iu ,m*jJ 152 521 L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. PLANCHE XVII. FIGURE I.” Vlan du théâtre des Grecs. Depuis le Chap. 3 , jusqu’au Chap. g , Liv. V. our qu’on puisse comprendre plus aisément comment l’on construisoit les théâtres, j’ai divisé, en quatre sections , la partie de ce plan , qui, sans cela , auroit été absolument la même que dans le théâtre des Romains , représenté dans la planche précédente. La première division , depuis a , jusqu’à b, montre le plan inférieur, par conséquent, les entrées de l’orchestre, par les passages ff. La seconde depuis b , jusqu’à o, indique le plan pris au niveau de la première précinction ; on y voit les escaliers II, par lesquels on monte à cette précinction. Dans la troisième., c’est-à-dire, depuis c , jusqu’à d, on voit la direction des escaliers qui conduisent au portique supérieur, où se plaçoient les dames. Par les escaliers 33 , on montoil jusqu’à 44 ; et par ceux 44 , jusqu’à Ô5. La pointe des flèches, qui sont placées sur les escaliers, indique leur direction en montant. Finalement, la quatrième division, depuis d , jusqu’à e, indique le plan de l’intérieur du portique d’en haut, et le circuit que forment les sièges. FIGURE IL Trois Coupes différentes , prises dans les degrés ou sièges des théâtres. I. Coupe de la première division a b, qui représente les passages pour se rendre dans l’orchestre. II. Coupe de la deuxième division b c, qui fait voir comment on montoit à la première précinction. III. Coupe de la troisième division c d , qui fait voir tous les escaliers qui conduisoient au portique supérieur. FIGURE III. Partie des sièges ou degrés BB. sur lesquels on étoit au théâtre, et des escaliers EE. pour y parvenir, gravés sur une plus grande échelle. FIGURE IV. Vase de bronze renversé, dont le bord du côté de la scène est soulevé par un support , qui ne peut avoir moins dé un demi-pied de haut. 11 iiillüi 1 ksiiii 523 L'ARCHITECTURE DE V I T R U V E. PLANCHE X Y I I I. Vlan dune palestre comme on les construit en Grèce. Chap. ii, Liv. 1Y. À. Peristylia quadrata duorum stadiorum. I, 2. 3. Très porticus simplices. 4. 4. Porticus duplex. BB. Exedrge spatiosœ. C. Ephœbeum. D. Coriceum. E. Conisterium. F. Frigida lavatio. G. Tlœothesium. H. Frigidarium. J. lier in propnigeum. L. Propnigeum. M. Concamerata sudatio. N. Faconicum. O. Calida lavatio. Les dehors 5. 6. 7. Porticus Li'es. 6. Porticus duplex. 7. Xistus. aa. Màrgines sive semitæ. bb. Medium excavatum. cc. Gradus bini. QQ. Silvæ. !Ppy S'»\’~' ss%n W&R L’ ARCHITECTURE DE VITRUVE. PLANCHE XX. Plan dune Maison Grecque. Liv. YI, Gyneconitis. A. Itinera non spatiosci s eu tyrorion. B. Equilia. C. Ostiariorum cellos. D. Januœ inter tores. E. Peristyîion . i. 2 . 3. Très portions. 4. 4. Antæ spatio cimplo distantes. F. Prostas seu Parastas. G. Eci magni ad lanificia. ' HH. Thalami. II. Amphithalami. KK. Triclinia quoiidiana , cubicula , et cellœ familiaricœ. Andronitides. 4 L. Peristylia latiora. M. Vesiibula egregia. N. Triclynia cizycena et pinacothecœ. O. Bibliothecœ. P. Exedræ. Q. Eci quadrati. BR. ITospitalia. SS. Mesaulœ. Chap. io. Habitation des femmes. Petit passage. L J é curie. ' La loge du portier. Les portes de l’intérieur. Le péristyle. Trois portiques. Deux pilastres très-éloignés l’un de l’autre. Prostade, ou grande loge ouverte par-devant. Grande salle servant d’ouvroir pour y filer de la laine. Chambres à coucher. Antichambres. Tricline ou chambre à manger journalière , et habitation pour les servantes. Habitation des hommes. Péristyle beaucoup plus spacieux. Vestibules magnilicptes. Salles à manger nommées cizycènes, et cabinets de tableaux'. Bibliothèques. Salles pour recevoir , et pour y faire la conversation. Salles carrées. Habitation des étrangers. Passages. r-denm erdeMi J0 î *?»? *$& üü u ;i !i!Vi'iÜiiUl'ljj!! ' i '" ' ' *^ 1 ’’ ' 1 * 11 ! !}j. &üiîiüTf^j;!jjj 3t PLANCHE XXII. La cour Corinthienne . Chap. 3 et 4-? Liv. VI; Ce sont les mêmes lettres , et elles indiquent Us mêmes parties que dans la planche précédente , où on en trouve Vexplication. iliÆli 'iVs' 533 L’A R C II I T E C T^U RE DE V I T R U V E, PLANCHE XXIII. Les acqueducs. Chap. 6 et 7 , Liv. VIII. FIGURE I. re Dioptra. Librœ aquariœ. Chorobcttes. AA.. Régula peclwji XX. Ancones. L’alidate. FIGURE II ET IIL Les niveaux d’eau, FIGURE IV. Le cliorobale. •Règle de 20 pieds. Bouts de règles encastrés daus la première, et formant avec elle des angles droits, BB. Trans vers aria. Travers. CC. Lineœ acl perpendiculum sub partibus DD. Lignes perpendiculaires que doivent couvrir les plombs DD. FF. Canalis pedum V, Canal long de 5 pieds. F I G U R E V. C hap. 7, Liv. VIII. A. Rivus. B. Specus sub terra . ' ' C. Putei. D. Columnaria . E. Sctxa rubra in geniculis. EE. Venter , en grec J Ccifaci. F. Substructio. G. Decursus. H. Expression I. Arcuatio. KK. Castella. * £j- Castellujn ad jnœnia cum, triplici immissario. Conduit d’eau. Conduit souterrain. Puits. Ventouses. Pie rres rouges qu’on emploie pour former les angles. Ventre, on nommoit ainsi la partie du conduit qui occupoit le fond de la vallée. Substruction pour maintenir l’eau de niveau dans le fond de la vallée. Descente du conduit sur la pente du coteau. Montée du conduit sur le coteau opposé. Arcades. Regards. Regard ou château d’eau, bâti contre les murs de la ville , avec trois émissaires. Et1^ pèv ,-vA? »4ÇW ^ i%^ SS5r —- ' 5 CK ttTJ;. ,- l v =âst££3t oiisuw U ph»1 t M jjj4N L^ jJj i U S 3 9 L'ARCHITECTURE DE VITRUV1 PLANCHE XXVI. FIGURE I". Chap. 3. Liv. X. Machine appelée la chéçre , vue au moment ou on l'élèçe. FIGURE IL Chap. 4 -1 Liv. X. Vue de la chéçre quand elle est dressée. Les poulies } qui sont les mêmes dans ces deux machines } y sont indiquées par les mêmes lettres. A. A. A. Tigna tria. B. Fibula. C. Trochlea y sive Rechamus. D. Duclarius funis. E. Trochlea inferior. F. Foramen , in quo caput funis religatur. G. G. Chelonia. II. Sucula. II. B ina foramina in quoe convenire possint K. K. vectes, L. Forfîces feçrei. M. Retinacula, N. Pâli resupinati. O. Palus cum trochleâ. P. Rota sive tympanum. R. Ergata. Les trois poutres qui la composent. La cheville qui les assemble par le haut. Poulie ou moufle. Cable pour tirer. Le moufle de dessous. Anneau dans lequel on attache l’extrémité du cable. Les amarres. Le moulinet. Deux trous percés aux deux extrémités du moulinet pour y placer K K. les manivelles. Tenailles de fer. Les cordes qui retiennent la machine y comme les haubans tiennent le mât d’un navire. Pieux inclinés , enfoncés dans la terre. Pieu avec une poulie. Roue ou tympan. Yindas. Trispastos. FIGURE III. Machine à trois poulies. FIGURE IV. Pentaspaslos. Machine à cinq poulies. FIGURE Y. Polispastos . Machine à plusieurs poulies. Q. Trochleœ cum duplicibus ordinibus orbiculorum. Moufle ayant deux rangs de poulies. S. Trochleœ cum ternis ordinibus orbiculorum. Moufle ayant trois rangs de poulies» \Fù/. 3 a3 a wmmm R. &&£• •*»>»***.- Wm ïsgSEr JltAa 4 Sil L’ARCHITECTURE DE V I T R U V E. PLANCHE XXVII. FIGURE I.» Chap. Polispastos. A. Tignum. MM. Retinaculci. y. Tertia trochlea sive arlemon . G. Chelonici T. Régula longa pedes duos . 5, Liv. X. Machine ayant plusieurs poulies. Poutre dressée et retenue par des cordes comme les haubans tiennent le mât d’un navire. Troisième moufle , autrement dit moufle ajouté aux autres. lies amarres. Règle longue de deux pieds. FIGURE II. Chap. 6 , Liv. X. S Moyen employé par Ctesiphon pour transporter les colonnes . eta. Scapi irons versarii. bb. Scapi longi. ce. Codaces. dd. Baculi ilignei. Pièces de bois placées en travers. Pièces de bois placées de long. Roulons de fer. Petites pièces de bois placées diagonalement dans les angles, pour fortifier la machine. F I G U R E I I I. Chap. 6 , Liv. X. I Moyen employé par Mètagene pour transporter les pièces de Ientablement. FIGURE IV. Chap. 6, Liv. X. !Moyen employé par Paconius pour transporter la base de la statue colossale d'Apollon. % Wxxm />,/ / FujJV. cCSS-r?' /rjJ ^•^.V'A'; Vi_I»C .v\ V ^.£1 ^'W, **= Fis/. m. ^Fu/ // À**'* t 5 > Wj mm &fM i y;-// 7 i/ffl WM Ft\yfc. Iggg Hü mmm mmmmm êsmm v»»v**v.**v*vv KH ill ia yjiÏÏmit-L 543 L'ARCHITECTURE DE V I T R ü Y E. PLANCHE XXVIII. La Catapulte. Chap. i 5 , 16 , 17 et 18, Liv. X. A A, Tabules in summo et in imo capituli. B B, Les pièces de bois qui sont au liant et au Parastatas dextrci ac sinistrà. C C , Anguli qua- bas du chapiteau. B B. Les poteaux qui sont à tuor qui sunt circcl in lateribus et frontibus , droite et à gauche. C C, Les quatre angles , quij, laminis ferreis et clavis conjixi. tarit sur les côtés que sur les devants , sont garnis de bandes de fer. D D. Canaliculus , syrinx dictas. Le petit canal nommé syrinx. E E. Régulas duœ in quas inclitur sucula. Tigna Les. deux règles dans lesquelles passe un moulinet ; longitudine amplissima dicitur. elles sont formées de deux longues pièces de bois. E F. Cheloniœ quœ supra tigna figuntur ? et in Les amarres qu’on attache sur ces deux longues quibus inclucluntur suculœ. G, Bucula, scamil- pièces de bois, et dans lesquelles on passe des lum vocata , securiclatis cardinibus fixa. H. moulinets. G. Le Buscula ou scamillon , joint par Scutula. I. Epiloxis. des tenons à queue d’hirondelle. K. Chelo , sive manucla . L. Canalis fiundi. Le clielo ou manucla. L. Le canal qui est en bas. M. Columella. La petite colonne. N. Subjectio , Eschara dicta. Le chevalet appelé la grille. Os'Chelonium , sive pulvinus ^ quod est supra mi- Le chelonium ou coussin qui est au-dessus delà norem columnam quœ Grœce antibasis dicitur. petite colonne nommée en grec antibase. c. Subjectio. Le chevalet. Q. Sucula. B.. Brachii radix. S. Brachii summum. Le moulinet. R. Le bas des arbres. S. Le haut des arbres. TT. Modioli œnei qui in capitula includuntur. Les barillets de cuivre enchâssés dans le chapiteau de la catapulte. Ce chapiteau, qu’on a gravé sur une plus grande échelle , se place entre les deux poteaux BB, où U est représenté en petit. XXJ 71/ Asphalte , voyez Bitume. A rrirXyvov, herbe qui consume la rate , 33. Asseres , les cbevrons, 149 , 32i. Asseum , lieu" pour faire suer dans les bains , 241. Astaboras et Astacobas , sont deux fleuves de l’Afrique , 36o , 363. Assiette pour coucher l’or , 337. Astragale , m. L’Astragale de la colonne ionique n’appartient, point au chapiteau, 134- L’Astragale lesbien , 167. Astronomie !’ est nécessaire à un architecte, 6. Astrologie T est prise par Vitruve pour l'astronomie , ibid. Les prédictions merveilleuses des Astrologues , 4^4- nG. Asty , voyez Athènes. Ateliers pour les tapissiers et les peintres, 280. TABLE DES Athènes , les Grecs la nommoient Asty , c’est-à- dire, la ville , 3oi. Atiios le mont , proposé à Alexandre pour être taillé en forme d nomme, 5a. Atlas , espèce de Charialides , 287 , 288. Atomes de Démocrife , 56. Atramentum, noir de fumée, 344, 35a. Atrium , signifie une cour et jamais un vestibule, comme Perrault l’a cru abusivement , 274. Est le synonyme de Qwrnn Ædhim , ibid. Atticurge, base atticurge , 118. Ses proportions et ses formes sont toutes harmoniques , 128. Aubier. , ce que c’est , 8g. Auguste est l’Empereur à qui Vitruve dédie son ouvrage, 1 et suivantes. Il aimoit l’architecture ; il fit élever beaucoup d’édifices à Rome, ibidem. On lui a rendu des honneurs divins avant sa mort, 3. Avoit un temple à Fano , ibid. igo. Au la , explication de ce mot ,son étimologie, 287. Aune , arbre , 84. Avocats les doivent être bien logés , 280. Aurelius , chargé avec Vitruve d’entretenir les machines de guerre , 2. Autels les doivent être tournés vers l’Orient 180. Les autels des dieux du ciel doivent être hauts , et ceux des dieux de la terre et de la mer doivent être bas , 186. Automates , 121. Autorité T est un des fondements de l’architecture , i3 , 27. Axe de la volute ionique , 120. Axe , une ligne dans l’Analemme , 4*8. ailpjov le lendemain , 45. Azuré artificiel , 345. Azuré naturel , ou lapis lüzuli , ibid. B. bâtie debriques et de bitume, 3g, 4i , 367^ Bains les doivent être tournés au couchant i4» 23g. Bains des maisons de campagne , 282. Le fourneau qui échauffe les bains, i3g. Voûtes des bains, a4o. Grandeur et proportion des bains, ibid. Leur reposoir et leur corridor, ibid. Le bain appelé Lalron , 246. Balance romaine, ou peson, 445. Baliste et Catapulte sont souvent pris pour une même machine par les auteurs latins , 455* Baiiste , machine de guerre , 5. Son chapiteau , 467. Grosseur des cables qui bandoient les balistes, ibid. Explication de la structure des balistes, •* 468. Les proportion du trou de la baliste , 4674 Balle que l’on faisoit rouler dans les fourneaux des bains , pour juger s’ils avoient la pente nécessaire , 23g. Baltens , ceinture de la volute ionique ? ï3l ’ Balustre de la volute ionique , ibid. Banauson , genre de machine 7 43** MATIERES. 54G Barillets, ou corps de pompe dans la machine de Ctesibius, 454- Bans la machine hydraulique des orgues , 455, 458. Barillet dans le chapiteau de la catapulte et dans celui de la baliste , 47°. Barrière , 288. Basiliques les 18g. La basilique de Fano bâtie- par Vitruve , zgo. Les basiliques étoient pour les marchands et pour y rendre la justice, ibid. Basilique julienne à Aquilée , ibid. Base la d’une colonne représente la chaussure d’une femme, i4i. Pourquoi elle “est appelée Spira , i44. Sa saillie appelée Ephoru , 118. Base atticurge , ibid. Base ionique , ng. Les colonnes anciennement n’avoient point de bases, 14. Beauté la d’un édifice dépend sur-tout de la proportion , g4- Belier , machine de guerre pour abattre les murs des villes que l’on assiège , 3g. Sa première invention , 471. Il étoit enfermé dans une tortue , 472. On appeloit criodoche la machine à belier, 473. Description du belier , 478. Sa pesanteur , 479- Bergeries les, 283. Berose , chaldéen, répand son système astronomique en Asie et dans la Grèce , 4°3, 4*4* Bes , partie de l’as , ga. Bibliothèques les doivent être exposées au levant , i4 , 27g, 286. Bibliothèque la des rois Attaliques à Pergame, 2g8 , 307. Celle du roi Plolomée à Alexandrie , 2g8 , 307. Bienséance la dans l’architecture, 12, 25. Bi fores , des portes à deux battants, 175. Bitume sert de mortier aux murs de Babylone, 3g , 4i , 366. Bitumeuses les causes purgent, 365. Blancheur la est superbe , 3i8. Bleu le des anciens, 345. Bleu d’outremer , ibid. Bois à bâtir , 82. Le temps propre pour le couper , ibid. Bois de platanes , 247. Borax, 347. Bouclier pour fermer l’ouverture qui étoit au haut des étuves , 244. Bras , ou arbres des catapultes et des balistes , 465 et suivantes. Briques non cuites , 5g. Employées à des murs qui doivent soutenir des terres , 57. Orr les lais- soit sécher cinq années avant que de les employer , ibid. Plusieurs édifices de Rome et de la Grèce , bâtis de ces briques crues , 5g. Quand elles sont bien sèches , elles nagent sur l’eau, 58. De quelle terre, en quel temps et de quelle forme on doit faire les briques, 57. Il y avoit trois sortes de briques , ibid. On mêloit de la paille ou du foin avec la terre dont on les faisoit , ibid. Les édifices de briques sont estimés durer davantage que ceux qui sont bâtis de pierres , 75. 11 y a quantité de beaux palais anciens qui ne sont bâtis que de briques, ibid. 547 TABLE DES Bruit le ne frappe point l’oreille par des cercles qui se font dans Pair agité, aoo. Les véritables causes du bruit, 204. Bru ma , le temps de l’année où les jours sont plus courts , 4o8. Buccula , tringles de bois dans la catapulte , 464* Explication de ce mot , ibid. Buis , 34* c. Cabanes de la Coichide, 54- Celles des Phrygiens, ibid. La cabane de Romulus , couverte de chaume , se voyoit encore à Rome du temps de Yitruve , 55. K Cabinets de tableaux doivent être tournés au septentrion, 38o. Proportions des cabinets de conversation, 37g. Cabinets de tableaux, ibid. Cables faits de cheveux de femme ou de boyaux pour les balistes , 467. Cadrans au soleil , iij. Les anciens en avoient de plusieurs sortes , savoir l’Hemicycle, la Scaphe, l’Hémisphère, le Disque, l’Araignée, le Plinthe, le Prostahistoromena, le Prospanelima, le Pele- cinon , le Carquois, le Gonarque, l’Engonate, l’Anliborée , le Cône, etc. 4 2 °- Calculi Rotundi , 4 22 - Caldarium , partie des bains , 243. Callimaque invente le chapiteau corinthien , Camahieu , 335. Caméra , voûte , 3i6. Camillem , une des pièces de la catapulte, 464» Camaisseur, ibid. Ils étoientdedeux manières, ibid. Les degrés des théâtres, 199, 223 . Leur hauteur et leur largeur , 200 , 228» Proportion de la hauteur des degrés des escaliers prise du triangle rectangle de Pyîagore , 3 g 3 . Deliqü iæ , les toits qui rejettent l’eau en dehors, 271. Deeubra , XII . Drlumbata Lacunaria , des planchers en voûte surbaissée , 273. DeMETRIUS P O L l O R C. ETES , /,82. Démocrite a écrit, un livre de physique. , il mettoit les atomes pour principe de toutes choses, 56 . "Vitruve lui attribue la composition des constellations , 4-i 4- D enier composé de dix as, 92. Denticule , 122 Dans l’ordre dorique du théâtre de Marcellus , 27. La hauteur du denticule de la corniche ionique, 122. Proportions de sa coupure , ibid. Les denticules représentent les bouts des chevrons, i48. lis ne doivent point être mis sous les modifions , 148. Depalatio , situation du gnomon, 4 J 7 - Dextans, dodrans ,. portion de l’as, 9a. Diane d’Ephèse, quel étoit son temple, 1 4 1 • Diane templede magnésie, 18, 3 oo. Diapason, octave, 214. Diapente, quinte, ibid. , 107. Di atessaron, quarte, 2i4- Diathyron , barrière , 288. Diatonique, genre de chant, 207. U/atonous , pierre à double parement, 74* Diaveon, 246. Diazomata , les précinctions des degrés des théâtres, 2o3. Dichaeea , petite pièce de monnoie, 92. Diooron , sorte de brique , 57. Dièse , 207. Diezeugmenon , tetracorde disjoint, 209. Diminution des colonnes, différente à proportion de leur hauteur, no. Raison de cette différente diminution , ibid. Manière pour tracer la diminution des colonnes, 116. Diminution des colonnes à l’égard l’une de l’autre, lorsqu’elles sont mises l’une sur l'autre, 189. Dimoeron , portion de l’as , 92. Dinocrâtes , architecte d’Alexandre, 5 i. Bâtit la ville d’Alexandrie , ibid. Diognete, architecte maltraité par les Pihodiens, et bien vengé ensuite , 481 • Dioptres, 376, 377. Dipecaïce , deux cubes, 12. Diplacion , portion de l’as , 92. Diptère , 98. Disdiapason, double octave, 214» matières. DisPLvyiATüM , lieu où il pleut, 271. Disposition la d’un bâtiment se représente de trois manières, 12. La disposition des colonnes est de cinq espèces selon vitruve, 107. La disposition d’un bâtiment doit être différente selon les climats, 279. Disque, espèce de cadran au soleil, 420. Distribution la , d’un bâtiment consiste- én deux choses, i4 , 27. Distribution la du dedans des temples, 161. Ditonüm ou Diton , 207. Dix le nombre de est le plus parfait, g 5 . Do ei via , 283. Dôme des temples ronds ou tolus, 184. Dorique origine de l’ordre , x4o. La colonne dorique n’eut au commencement que six diamètres de hauteur, i 4 i. On lui en donna ensuite sept, ibid. Cet ordre est embaxrassant à cause des tri- gîyphes, i 52 . L’ordre dorique pour les temples est plus grossier que celui qui est pour les portiques de derrière les théâtres, i 54 - Proportion des membres de la colonne dorique, x 53 . La corniche dorique , ibid. Les cannelures, x 55 . La porte dorique, 166, 169. Doublement des colonnes, 114. Doubler la manière de le carré, 391. Dureté ce qui fait la des corps, 62,64. Doucine , 171. E. Eau, principe de toutes choses, selon Taies, 353 , Il n’y a rien de plus nécessaire , ibid. , 3 y 4 - Elle est adorée par les égyptiens , 354 - L’eau de pluie est la meilleure, 35 g. Comment on peut connoître !a qualité des eaux, 375. La bonne eau est celle dans laquelle les légumes se cuisent aisément, ibid. Les mauvaises eaux causent les maladies des yeux et des jambes, 366 . Celles qui passent par des lieux alumineux , sulfurés et bitumineux ne valent rien pour la boisson ordinaire, 36 x. Et généralement toutes les eaux minérales qui échauffent, sont absolument contraires à la vie , ibid. Les eaux sulfurées sont bonnes aux maladies des nerfs ; les alumineuses guérissent la paralysie ; les bitumineuses et les nitreuses purgent, 365 . Les eaux qui viennent des mines d’or, d’argent, de fer, de uivre , de plomb et des autres métaux , sont dangereuses à boire, ibid. Elles causent la goutte, ibid. L’eau du fleuve Cidnus la guérit, 366 . Il y a des eaux qui ont une écume semblable à du verre rouge, ibid. D’autres sont salées et produisent du sel, ibid. D’autres sont huileuses, ibid. D’autres ont une graisse qui surnage, qui a l’odeur du citron , 366 . D’autres jettent de la poix , du bitume liquide et du bitume endurci, ibid. D’autres pétrifient ce qu’on y jette, 367. D’autres sont amères, ibid. D’autres sont pleines d’os de serpens> ibid. D’autres ont une aigreur qui leur fait rompre les pierres de la 551 TABLE DES MATIERES. vessie, 369. D’autres enivrent; d’autres font haïr le vin ; d’autres font enfler la gorge ; d’autres endurcissent l’esprit, ibid. D’autres font tomber les dents, 370. D’autres rendent la voix belle, 373. Les eaux ne sont point naturellement chaudes, 36i. Toutes les eaux chaudes ont une vertu médicinale, 365. Les moyens de trouver de l’eau , 356. Les signes par lesquels on connoît les lieux où l’on doit trouver de l’eau , ibid. La manière de conduire les eaux, 376, 378. Quelle pente il faut donner aux eaux pour les conduire , 379. On mêle du sel dans l’eau des citernes pour la rendre plus subtile, 382. Ecclesiasterium , c’est-à-dire , lieu d’assemblée. On nommoit ainsi le petit théâtre de la ville de Tralles, peint par Apaturius , 829. Echine ou quart de rond, i53. Proportion de l’échine du chapiteau dorique i53 , i58. Ecpüora , saillie des bases, 118. Saillie des parties de l’entablement, i58. Ecuries, 283. Edifices publics, comme on doit les placer, 4g- Elæothesium , lieu où l’on gardoit l’huile pour les athlètes, Elémens, tout estjcomposé des quatre élémens, 32. Inventés par Pytagore , 35, 353. Elévation T géométrale, 20. Et l’élévation perspective , ibid. Elevés les lieux sont plus sains, 3i. Embates , module ou particule servant de mesure, 28, i53. Emplecton , espèce de maçonnerie , 74. Encabpi, vignettes ou guirlande du chapiteau ionique,' „ *44- Enduits les doivent être faits avec de la chaux éteinte depuis long-temps, 3o8. Ils doivent être de plusieurs couches, afin d’être polis, 317. Enduits des lieux humides, 324., Enüibata , vases de verre , 455. Engonate, espèce de cadran au soleil, 420. Enharmonique le genre, 207. Ennius , poëte latin, en quel temps il vivoit, 2. Entablement , i34- Parties qui le composent, ibid. Entasis , renflement de la colonne , 110, 116, i3y. Entre-colonnement, x 10. Les entre-colonnements étroits font paroîtreles colonnes plus grosses, 10g, Les entre-colonnements serrés plaisoient aux anciens, xi3. Proportions des divers entre-colonne» rnents , ibid. Epagon , moufle qui tire à soi, 44t* Eperon, 292. Epiikbeum , l’école des jeunes hommes, EpuectoN, epidimoeron, epipentamoeron, epitritos, partie de l’as , 92. Epibatra , machine montante , 4-7^. Episcenium , le second étage de la face de la scène d’un théâtre, 3a6, 32g. Epistyle, io 3, 134,277. Epitéthèdes , les grandes cymaises, 123, x35. Epitoxis , pièce de la catapulte , 464- Epizygis , une des parties de là baliste, 468. Equerre, la manière de la faire juste , inventée par Pytagore, 3g2. Equinoxes les et les solstices étoient marqués par les anciens à la huitième partie des signes, 4og. Erastostene a mesuré le tour de la terre, 44> 47- A inventé le mésolabe, 3g6. Eruca , chenille, 347. Erysmæ , arcs-boutants, éperons, 296. Escabeaux piédestal à , 118, 127. Escaliers les des anciens étoient bien plus rudes à monter que les nôtres, 126. Leur proportion étoit prise du triangle rectangle de Pytagore, 3g3. Disposition des escaliers des théâtres, 204. Eschara , grille servant de base à la machine appelée tortue, 475. Eschyle, poëte tragique, 299. Esprit la beauté de 1’ moins estimée par les anciens , que la force et l’adresse du corps, pourquoi, 389,3go. Etage chaque avoit son ordre dans les édifices des anciens, 26. Etables à bœufs, 283. Etoiles, leur cours, 399. Ont des tempéraments différents, 4o3. Etuves des bains , 240, ?44>246 1 2 49- Eu angélus y nom donné au berger qui découvrit la carrière de marbre dont le temple d’Ephèse fut bâti, 445. Euripide , poëte, surnommé le philosophe du théâtre, 353. Eurhythmie, 12, 22. Eustyle , 108. Il est de la plus belle ordonnance, ibid. et 112. Eutheia , effet de la ligne droite dans la mécanique , 445- Excunearb , explication de ce mot, 204. Exedra , salle de conversation, 248, 275, 3l8. Exisona , explication de ce mot, 179. Expolitiones , sorte d’enduit, 3i5. Exposition commode des appartements, 279. Express 10 , explication de ce mot, i65. 024. sv'pyxcc, c’est-à-dire, je l’ai trouvé. Archimède emploie ce mot pour exprimer sa satisfaction, d’avoir trouvé le moyen de découvrir combien on avoit mêlé d’argent dans une couronne d’or, 396. F. Faces ou bandes des architraves , 122. Des chambranles , 168. Faîtage , i46. F*no , sa basilique bâtie par - "Vitruve , 190. Fanum , différence qu’il y a entre le mot Faiium et celui Templum , ni , i4o. Farnio , arbre , §5 , 3o$. TABLE DES MATIÈRES, $5i FASTi&tüM , fronton, *35 , 196. FAvi , carreaux hexagones , 3ia. Faux porter à, 291 , 292, Femmes les ne mangeoient pas avec les hommes chez les Grecs, 286, 28g. Fémur , règle dans les triglyphes, *53. Fer à moulin , J+Si. Ferme , assemblage de charpente, i4g. Fêtes il y avoit des aux solstices et aux équinoxes parmi les anciens, 409. Festons, 144. Feu le a été la première occasion de la société des hommes, 53. C’est le principe de toutes choses selon Héraclite, 56. Effet du feu sur la pierre calcaire , 62. Fleuron , au haut du temple périptère rond, 178. Fleuves les sources des grands viennent du côté du septentrion, 36o. Fleurs, roses du chapiteau corinthien, 147. Fenil , grenier au foin, 283. Foie le des animaux fait connoitre si les lieux sont sains ou non, 33. Fondements les des murs qui entourent les villes, comme on doit les faire, 3 t , 79. Quel doit être l’emplacement et la largeur aes fondements , 117, J25. Le fondement est la partie-la plus importante des édifices, 291 , 294. Largeur des fondements quand il y a des caves, 291. * Fondi , fragment du mur de cette ville, bâti en maçonnerie irrégulière, 80. FûNTAiNESlesbouillantes, d’où vient leur chaleur, 361. Il y a des fontaines d’eau fi’oide, qui bouillonnent comme si elles étoient sur le feu , 364» Toutes les fontaines chaudes ont une vertu médicinale, 365. Les meilleures fontaines sont celles qui existent vers le septentrion , 361. Forces les, i46. Les forces des toits des anciens, ou pour mieux dire, les extrémités des chevalets, représentoient les modifions par leur saillie hors 1 du mur , 147. Fobcipes , tenailles pour prendre les pierres qu’on élève, 436. Fortifications des anciens , 37 et suiv. Fortune équestre temple de la, 107. Forum , la place publique, 189. Foudres , taillés dans la corniche dorique, i54- Fourneaux des étuves et des bains , 23g. Frêne, arbre , 84. Fresque, manière de peindre, 3ig. Frigidarium , fieu dans les bains pour se rafraîchir, 245. Frise, 122. Etymologie de ce mot, ibid. Froids lespays sont plus sains que les pays chauds, 32. Les maladies causées par le froid sont difficiles à guérir, 43. Fronton , est le Fastigium des anciens , i35. Sa pro- ortion selon \itruve, ibid.; selon Scamozzi, ibtd. es anciens ne mettoient daçs les frontons ni mo- * dillons ni denticules, i48. Le fronton doit toujours être sur la largeur du bâtiment, et jamais sur la longueur, i 5 i. Il doit occuper la partie la plus élevée, ibid. Fronton dans l’ordre toscan, 178. Frontons qui ne soutiennent point le toit, *35. Jamees les maux de sont souvent causés parles mauvaises eaux, 366. Jeux des anciens, 201, 247, 248. Jonc d’Espagne, nommé sparte , 322. Joncs de marais, 256. Jour le des anciens étoit partagé en douze heures, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, 407. Jour le doit être recherché sur toutes choses dans les édifices, 278, 284* Principalement pour les escaliers et les passages, 284. Jugement le de la vue, 122, 161,265. Le jugement de Fouie, 200. Jupiter la planète de fait son cours en onze ans et trois cent vingt-trois jours , 4oi- Jurisprudence la est nécessaire à un architecte, K oiXia, ventre, 38o. Voyez Coilia. Kïkliken Kinesin , mouvement circulaire, 43i. L. Labrum , le bord du bassin ou de la cuve où l’on se baigne, 245 ,3g5. Laconicum , étuve, 240 , 244 ? 246 ? 343, 344- Lacotome, ligne pour marquer les signes dans l’ana- lême, 418 . Lacunaria , les plafonds, 170, 273, 3i6. La eus , endroit où l’eau se réunissoit à Borne, 384* Lait de chaux , n'est point Valbarium opus des anciens , 198, 3i6. Lambris, 325. Lampe une allumée , étant descendue dans un puits , s’éteint quand il exhale des vapeurs méphit tiques , 38x , 387 . TABLE DES Lamterme , la > d’un dôme , i83. Lapis lazuli, azur naturel, 345, Laqueare , plancher, 3i6. Larix, arbre, 85. Histoire de l’incombustibilité du larix, ibid. Larmier le,ia3, i 5/ h . Laser, plante férulacée du pays Cirénaïque, 367. Lentilles, au nombre de cent huit dans la drachme, 101. Lepta , la plus petite partie de l’as , ibid. Legier , architecte , sa réponse au roi de Prusse , 11. Leucophæa , ' couleur, explication de ce mot, 3G8. 1,EVIER, 433. Llaison maçonnerie en, 73. Libella, de niveau , en ligne droite, i33. Liera ayucuia , niveau pour les eaux , 377. Liciianos , intervalle des tons de musique , 208. Liege, arbre, 84- Lien, pièce de charpente , 817. Lieux les sains , ou qui ne le sont pas, 3i. Limace , ou vis d’Archimède , 452. Limné AsphallU , lac bitumineux près de lîabylone, 366. Limon de l’escalier, 3g3. Linteau, 181. Liparis, fleuve de Cilicie, 366. Listeau , espèce de moulure , 181. Livellaræ Aquœ , prendre le niveau d’eau, 377. Loculamentum , pièce de la catapulte, 4-64- Logeion , le lieu où l’on réciloit dans les théâtres , 23l. Lautron, bain d’eau froide, 246. Louve , instrument pour lever les grosses pierres , 436. JjUcifer , l’étoile du matin , 4°o- Lüdi , lés jeux, 201. Lune temps du cours de la , 4°°? 4°3. Différentes opinions des anciens sur les raisons des diverses apparences delà lune, 4°3- Elle est comme un miroir, 4°4- M. Machine , ce que c’est, 431. 11 y en a de trois genres , savoir l’acrobatique , la pneumatique et la banautique, 43 i- Machine et organe', en quoi diffèrent , 43a, 433. Machine pour élever les fardeaux, 435. Machine inventée par Ctesibius, pour prendre un miroir , 4 21 - Autres machines de l’invention de Ctesibius, ibid. Machine pour savoir combien on a fait de chemin , 460- Plusieurs machines pour élever l’eau , savoir le tympan, 45o. La roue à caisse , ibid. La roue à chapelet, ibid. La vis d’Archimède , 45a. La pompe de Ctesibius, 454- Machine hydraulique qui fait jouer des orgues , 455. Machine montante, 4?3. matières. 554 Elle est appelée epibathra , ibid. Machines de guerre, savoir les scorpions, les catapultes, 463. L’onagre, la baliste, 467- 11 y a des machines qui ne réussissent pas en grand comme en petit, 483. Maçonnerie, ses différentes espèces, 73. — Maçonnerie ou structure des grecs, 74* La maillée, 73. La structure en liaison, 74. Maisons , les doivent être différemment disposées, selon les différentes qualités de ceux qui les doivent habiter, 280. Les maisons de campagne, ibid. Les maisons des grecs, 286. Celles des romains, 275. Malleoli , des brûlots, 485. Manacus , ligne pour les mois dans l’analême, 4i8. Manubalistæ-, petites balistes , 432. Manucla , pièces dans la catapulte, 464? 4?8- Marais pontins répandent un air très-malsain , 36. Marches des degrés des escaliers des temples des anciens étoient beaucoup plus hautes que nous ne les faisons à présent, 118,. 126. Marécageux les lieux sont malsains, 33. Principalement si les marais sont des eaux dormant es, n’étant pas jointes à des rivières , 34- Les marais qui sont proche de la mer, et tournés au septentrion à l’égard de la ville, ne sont pas si malsains, ibid. La vilie des Salapiens fut transportée ailleurs , à cause des marais qui la rendoient malsaine , ibid. Ma ri us trophée de, io4- " Marqueterie , 176. Marbre , bon à faire le stuc „ 332. Marmoratum , stuc, 3i6, 320. Mars la planète de fait son cours en 683 jours,4oi. Mataxæ , fascines, 320. Materia , signification de ce mot ,478*. Mausole fait bâtir son palais de briques, 75. Mausoiée, une des sept merveilles du monde, ibid. Mécaniques les, 445- Le mouvement circulaire est le premier principe de la mécanique, ibid. , histoire, genre de peinture, 33i. Mélèze, arbre, 84. Melin uia , couleur méline, 334- Menuiserie des portes, 168. Mercure et de "Vénus les planètes de tournent autour du soleil, 4°o. Mercure fait son cours en 36o j ours, ibid. Manière de trouver la ligne méridienne, 417- MeroË, royaume d’Afrique, 36o. Sa situation, 363. Merones, des sacs pleins de terre grasse pour emplir les batardeaux, 256. Meros , c’est-à-dire, cuisses , partie du triglyphe, i53 et 154- Mésaule, petite allée entre deux corps de logis , 287. Mese , une des phtongues de la musique des anciens, 208. Mésolabe, inventé par Eratosthene , pour prendre une moyenne proportionnelle , 3g5. Meson , le tétracorae du milieu, 208. 555 Métaux et minéraux n’étoient pas distingués par les anciens, 336. Metagenes , invente une machine pour amener les architraves du temple d’Ephèse, 443» Musique métrique, sog. Métoché, coupure du denticule, 122. * Métope, les métopes doivent être aussi longues que larges, i 52. Anciennement cet espace étoitvide, i5o. Les demi-métopes, i54, i58. Mine pour prendre les villes, 482. Minéraux et métaux n’étoient pas distingués par les anciens, 336. Minium , nom latin du cinabre, 327. La sandaraque des anciens se nomme minium en françois, 336 , 346. Mitylène , ville mal exposée à l’égard des vents , 42. Mobiles fonds, Vilruve nomme ainsi les pistons des pompes, 456. Modèles les , pour les édifices , 21. Ceux d’Arcésilas , ibid. Les modèles sont utiles aux architectes pour se faire comprendre des ouvriers, ibid. Modillons et mutules , 147- Son contour appelé Sinnare en latin, i 5 i. On les attribue quelquefois à l’ordre ionique et corinthien, ibid. On ne doit point mettre de modifions au-dessus des den- ticules, i48. Les anciens n’en mettoient point aux frontons , ibid. Module , ce que c’est, 25. Vitruve emploie pour module, le diamètre entier de la colonne, hormis pour la colonne dorique, n3, i53, 157. Module est appelé embales , pour quelle raison, 25 , i53. Moellons , ig3. Môle, pour couvrir les ports, i 52 , i58. Trois manières de bâtir les môles, ibid. Monochrome, genre de peinture, 335. Monogramme , genre de peinture, ibid. Monoptère rond, 178. Monotriglypiie , 253. Mortier , par quelle raison il s’endurcit , 64- Mortier de chaux et d’huile , 3io. Mosaïque, 3og, 3i3, 3i4. M OUFLE , pour les machines , 435- Moulinet , servant aux machines , ibid. Moulins à bled , 283. Moulures, 12g. 'Moyennes proportionnelles, 3g6. Murs les des villes, leur largeur, 37. Ils doivent faire une enceinte , ibid. Ils doivent être fortifiés par des pièces de bois mises en travers, 38. Largeur des murs des temples, 161. Manière de les construire, i65- Les murs qui sont bâtis de petites pierres sont plus forts , 78. Construction des murs qui soutiennent des terres , 2g2. Dans les murs, rien ne doit porter à faux, 2gi. Claoi ,, clous à tête de mouche, 824. Musique la elle est nécessaire à l’architecte , 5. Musique harmonique, 207 , 20g. MATIÈRES. Mutules , ils sont particulièrement attribués à l’ordre dorique, 147- Les anciens les faisoient en penchant, ibid. Mutule dans l’ordre toscan, 178, 182. N Naissance ou congé, 182. Nj os en Paraslasîn , temple à antes , g7 Naufrage d’Aristippe , 257. Nectrum , filet du congé , 182. Nef , ou intérieur des temples, 161. Nete , la corde qui sonne le ton le plus aigu , 208. Nil , description de son cours , 36o. Nitreuses les eaux purgent et fondent les écrouelles , 365. Niveau , 376 Niveler, plusieurs manières de par le dioptre, le niveau pour l’eau et le chorobate , ibid. Noir de charbon , de fumée, de lie de vin brûlée, 343. Nombres la division des , par dixaines est prise du nombre de nos doigts, g5, 101. Le nombre le plus parfait est le six, g5. Le nombre cubique deux cent seize fut choisi par Pitagore , pour y réduire ses préceptes, r88. Noyau des pavés fait avec du ciment , 312. O Obélisques transportés d’Egypte à Rome, 434* Obole, est la sixième partie de la drachme, cp. Ocre, couleur nommée Sil en latin, 333. Ocre attique , 334- Octave, 214. , g8. Odeon fi est près du théâtre d’Athène , 238. , les grandes salles, 276. GEcqnomia , une des parties de l’architecture, i4- 2 7 OEïl de Ja volute ionique , 120 , i 3 i. Oiax -, la barre ou le manche du gouvernail, 447> Oiseaux les ont peu d'humidité, selon Vitruve jj 32. Olivier 1’ n’est point sujet à la vermoulure, on mettoitdes bâtons d’olivier entravers dans les murs des .villes, 37. Opes , signification de ce mot, 147 , i5o. Ofisthodomos , la porte de derrière d’un temple,’ 102. Optique 1’ est nécessaire à l'architecte, 4. O pus reticulatum , en maçonnerie, maillée, 7g, 80, O RBi eu lu s , anneaux, 3gg. Poulie, 436. Orchestre , le milieu du bas du théâtre , 202. Différence entre l’orchestre des théâtres grecs et celui des théâtres romains, 281, 284. Ordonnance des bâtimens, 11, i5. Ordre d’architecture, i3g , i4o. Selon les ordres différents , la disposition des colonnes doit être différente TABLE DES 556 TABLE DES MATIERES. Oreiller chapiteau à, i 3 . Organe et machine, quelle est leur différence , 432 . Organique musique, 20g. Orme , arbre, 84. Ornamenta , ce qui est sur les colonnes ,• savoir ; l’architrave, la frise et la corniche, 146, 148. Ornemens , Vitruve nomme ainsi les parties de l’en- tabiement, 146, i48. O rpin minéral, 334 - Orthographie représente l’élévation de l’édifice, espèce de dessin , 12 , 20. Ortges , des tortues pour couvrir les pionniers, 477. Osïer , on emploie son bois pour former la spirale de la vis d’Archimède , 452 . Ostrum , pourpre , 347- Ove , membre du chapiteau ionique , 121. Ourse T, constellation, 4 ° 9 i 4 11 * P. Paconius, architecte, réussit mal dans l’invention d’une machine avec laquelle il avoit entrepris d’amener la base de la statue d’Apollon, 444 - Pagmentüm , assemblage des portes, 174. Pays lesfroids sont plus sains que les pays chauds, 3 i. Les pays méridionaux et les septentrionaux rendent les corps divérsement tempérés et les esprits différents, 32 . Paysage, genre de peinture, 328. Palestre, lieu d’exercices, 246, 248. Paliers de repos de nos escaliers , comparés aux précinctions des théâtres anciens, 19g. Palme, les grecs l’appellent doron , 57. Grandeur du palme, 223 . Pannes, pièces de bois dans les couvertures, i 4 g. Panneaux de la menuiserie des portes , 168. Prætorienne couleur , 334 ? 335 . Paramese , Paranete , noms des cordes de la lire ou cithare, 208. Parapet , 475 . Parastatæ, antes, piliers, carrés, 97. , 286. Paries communis , murs communs, 6, 284. Paripate , nom d’une corde des ^instruments de musique , 208. Pastel, teinture, 34 g- Pavé , 3 o 8 . P A y IM eistu iÿl, sectile , 3i2. Pavibe , étimologie de ce mot, 3 i 3 . Paume jeu de, 246. Pecunia , pourquoi on a donné ce nom à la mon- noie, 100. Peinture, ce que c’est, 827. Elle est de trois espèces, savoir le paysage, l’architecture et l’histoire, ibid. La peinture ne doit représenter que les choses qui doivent exister, 328. Peinture monogramme, mono cro me , 335 . Peinture à fresque, 3 19. Peliciuon , espèce de cadran au soleil, 1^20. Pentadoron , sorte de brique, 57.' Pentamoeron , la cinquième partie d’un tout, 96. Pente pour la conduite des eaux, 38 o. Peper/no , sorte de pierre dont on se sert à Rome , 7 l 1 7 2, . . , Periactous , les machines qui font les changements de scène aux théâtres , 227. Peribolon, parapet, 475. Périclès , son siècle étoit celui de la bonne architecture, 18, 3 o 5 . Il fait bâtir l'édifice appelé l’Odéon, 238 . Embellit Athène , 3 o 5 . Perdrom/das , 247, 288. Péridrome , 47 5 . Perichondes , les lieux qui résonnent tout à l’entour, 23 l. Périptères, genre de temple , 98. La proportion des périptères se prend du nombre des colonnes , io 3 , 106. Périptère rond, 178. Péristyle, 146. Ses proportions, ibid. Péristyle des maisons des anciens, 274, 28G. Péristyle des palestres , 146. Péristyles rhodiens , 286. Peristretos , le trou du chapiteau de la balisie, 468 . Peritrochon, la roue d’une grue, 44 . Perles les se fondent dans le vinaigre, 36 g. Peron es , des sacs qu’on empioyoit pour contenir la terre grasse dans la construction desbâtardeaux, 256 . Perse statues de en manière de cariatides, 5 . Perspective, 20. Pesanteur la des choses dépend de leur nature , 337, 33 g. Pestum. commentlesmursde cetîeville sontbâtis, 18. Pétrification , comment elle se fait, 367. Peuplier , arbre, 84. Phegos , arbre, ibid. Pu a la n ga rii , des porte-faix, 447 * Phrygie, manière d’y bâtir, 54 . ’pOoyyoi , sons en général qui comprennent les tons, demi-tons, etc., 208. Ils sont ou mobiles, ou immobiles , 206. Philosophie la est nécessaire à un architecte , 4 » Phisiologie, les grecs nomment ainsi la physique; ibid. Pied le de l’homme est,selon Vitruve, la sixième partie de tout le corps, g 5 . Le pied romain et le palme , 223. Piédestal, 118. Piédestal en manière d’escabeau, ibid. , 127. Les piédestaux des temples monoptères ronds, 178. Pied-droit, 196. Pierres , leurs espèces, 69. Elles doivent être tirées de la carrière en été, 70. Pierres de taille carrées, 81. Pierre de touche, nommée quelquefois Index , 3 g 5 . Pilastre , 161. Pilastres joints à des colonnes, io 3 . Pilotis d’aune, d’olivier et de chêne, 117. Pinàx , le sommier des orgues des anciens , 4^7. Pinnæ , les marches des orgues des anciens, 45 g. Pin , arbre, 84. é 55 7 TABLE D Pinacotkecm , les galeries de tableaux , 296. Piramidale , les Egyptiens ramenoient sans cesse cette forme , comme étant la base de toute solidité , i 3 i. Piston de la pompe de Ctesibius , 454 - Pistons , des pompes, 4 - 54 -. Pistons de la machine hydraulique qui fait jouer des orgues, 457. Pixodore , nom d’un berger qui trouva la carrière de marbre dont le temple d'Rphèse fut bâti , 44 - 5 . Place la publique, ou le Forum , 18g, 192. Plan le ou ichnographie , 12. Principes d’après lesquels on doit tracer les plans, 16. Ancien plan de Rome trouvé dans le temple de Romulus, 21. Planchers les en voûte , 3 o 8 . Les planchers qui boivent l’eau, ibidem. Les planchers ne doivent porter que sur deux murs, 3 o 8 . Planètes les ont leur mouvement propre d’Oc- cident en Orient , 3 gg. Les planètes s’arrêtent quand elles sont éloignées du soleil, parce qu’elles ne voyent pas assez clair dans leur chemin , 4oi. Le cours des planètes expliqué par la comparaison des fourmis qui marchent sur la roue d’un potier , 4°2. Platane, arbre, 82. Platon invente la manière de doubler le carré , 3 gi. Plafond des corniches, i 54 , i 5 g. De la corniche dorique , i 54 - Plate-bande de l’architrave dorique, i 53 .Du chambranle dorique, 167. Du chambranle ionique, ibid. Du chambranle attique , 186. Pléiades les , 288. Elles sont dans la queue du taureau , 4 IO> Pleuritides , les règles qui servoient à boucher et à donner le vent aux tuyaux des orgues des anciens ,457- Plinthe , le tailloir du chapiteau de l’ordre toscan est appelé plinthe , 177. Plinthe des bases, 118, 12g. De la base toscane, 117 , 180. Plinthe, espèce de cadran au soleil, 4 2 °- Plis des vêtements des femmes ont donné lieu à l’invention des cannelures des colonnes , i4i. Plomb. Sceller avec du plomb , 448 . Plomb proportion des tuyaux de , 379. Plomb le rend l’eau dangereuse, quand elle est conduite par des tuyaux de ce métal , 38 i. Plomb à, il faut, prendre garde que les ouvrages soient bien à plomb , 291. Pluies , comment elles se forment, 36 i. Elles tombent plus souvent sur les montagnes que dans les plaines , 35 g. Fluteus , appui , 118 , 127, ig4 , 245, Pluteus , mantelet employé dans les machines de guerre , ig 5 . Pneumatique , 43 s. Pnigeos , une manière d’entonnoir dans la machine hydraulique des orgues , 453. Podium , ballustrade , 118 , 127. Poétique musique , 209. ES MATIÈRES. Poinçon , pièce de charpente , 146. Poissons les ont peu d humidité , 32. Pourquoi ils ne peuvent vivre hors de l’eau , 35. Pôle le , 3gg. Polaire l’étoile, 4 ”* Poliorcetes , preneur de villes , surnom du roi Demetrius , 482. Polyspate , machine qui a un grand nombre de poulies , 44 ï. PoMpe de Ctesibius , 454 * Porches des temples, ou vestibule, 161. Porches des temples toscans , 117. Poteaux au-dessus des portes , 292. Portes les des villes doivent avoir leur chemin à gauche , 37. Portes des temples sont de trois sortes , 166 , 16g. Porte dorique -, ibid. Porte ionique, 167, 172. Ses consoles, ibid. La menuiserie des portes , 168. Portes atticurges , 168, 175. Portiques les des basiliques , 190. Les portiques de derrière le théâtre , 226 , 235 . Le portique des palestres , 247. Le portique rhodien, 286. Portiques des péristyles des maisons des grecs , 287. Portique de^Pompée, 235 . Ports les de mer , gâtés par les rivières , a 5 i. Postscenium , le derrière du théâtre, 204. Posticum , le derrière du temple , 102. Poterie tuyaux de , 38 o. Pourpre , 347. Pourpre blanche , ce qu’on entend par la , 349 - Poussée la de la terre est plus grande en hiver qu’en été , 292. Pouzzolane fait un mortier qui durcit dans l’eau, 66. Par quelle raison , ibid. Ses anciens noms, 67. II n’y en a pas en Toscane ni en Grèce , 68. Elle est propre à bâtir les môles pour les ports de mer, 25 a , 254 - Pratique sans théorie ne sauroit faire un architecte, 3 . Præcinctiones , des théâtres, 199. Ressembloient en quelque sorte aux paliers de nos escaliers , ibid. Præfv rnium , le fourneau des bains , 25 o. Pressoir , 282. Principes les de toutes choses , 56 . Prisons les , 197. Prodoiuos , le devant d’un temple , 102. Promenoirs , 235 . Pronaos , le départ ou le vestibule d’un temple, 102 , 161 , 162. Propnigeum , le fourneau des bains, 246. Proportion, 12, 22. 11 faut changer les proportions selon la distança à laquelle les choses sont élevées, cela se doit faire avec beaucoup de discrétion , 122. Les proportions ne doivent point être changées dans certaines choses , telles que sont les sièges, les précinctions* et les escaliers des théâtres , 227. Proportions , comme on doit les régler d’après la nature du lieu, 265. Comme on doit les régler dans la longueur, la largeur TABLE DES et la hauteur des pièces cjui composent les appartements, 273. Les proportions du corps humain , 94 ; Savoir si les proportions des membres d’architecture sont naturelles ou arbitraires, 26. Proscenium, ou la scène d’un théâtre, 204, 216, 223 . Proslambanomenos , le premier ton du système de la musique des anciens , 208. Upog 7 rav fui , espèce de cadran au soleil, 420. Prostas, 286. > Prothyrides , consoles, 167. Prostyle , genre de temple, 97. Protyron , barrière , 288. Protrygeton , qui devance les vendanges , 409. Protyron , espèce de vin , 368 . Provin demi a , étoile qui devance les vendanges , 409. Pseudisodomum , espèce de maçonnerie , 74 » 79, 82. Pseudodiptère, un genre de temple, il est de l’invention d’Hermogène , et il a plusieurs avantages sur les autres genres de temples , 98. Pseudopériptère , 179. Pteromata , ailes ou côtés d’un temple, 102, 162. Puits , servant de soupiraux aux aqueducs, 38 o , 38 7 . Précautions qu’il faut prendre en creusant les puits , 382. Pulpitum , l’endroit du théâtre sur lequel les acteurs viennent réciter , 204 , 21G, 223 . Purgatives eaux , dissolvantes, etc, 365 . Pulvinata Capitula, les chapitaux ioniques, i 3 , l 32 . Pupitre, l’endroit du théâtre sur lequel les acteurs récitent leurs rôles, 20^, 216, 223 . Pycnostyle , 107. Pyramide des temples périptères ronds, 178. Pytagore , ses opinions, 10, 56 . Invente l’équerre qui se fait par le moyen du triangle rectangle, 392. Il avoit choisi le nombre cubique de deux cent seize , auquel il avoit réduit ses préceptes , 188. Pytagoriciens , leurs découvertes, 10. Pythius , architecte , a bâti le temple de Minerve à Priène , 7. Q. Quadrant , la troisième partie de l'as , 96. Quadres , ou bordures , 3 i 8 . Qu adrifores valv æ 1 une porte à deux battants brisés ,175. Quart de rond ou échine , i 53 , i 58 . Quercus , arbre , 84 - Oueue d’hirondelle en menuiserie , 182. Quinarivs , module pour mesurer la capacité des MATIÈRES. i>58 tuyaux qui conduisoient, à Rome, l’eau dans les habitations , 186. Quircvnx , les cinq douzièmes de l’as, 96. Quintarium , les cinq sixièmes de l’as , ibid. R. Rame une paroît rompue dans l’eau, 265. Les rames ont plus de force quand elles s’avancent loin hors de la galère , 4-4-7* Rapport des proportions , g 4 - Raréfaction la des nuées produit le vent, 36 i. Rechamus , un moufle , 435 . Regards des fontaines , 37g , 38 o. Registres des orgues , 457 , 43 g. Région la moyenne de l’air est plus froide que la basse , par quelle raison , 4° 2 - Règle appelée fémur dans les triglyphes, i 53 . Remparts , quelle figure doivent avoir les d’une ville , 38 . Renflement des colonnes, 110 , 116. Il est dé- saprouvé par la plus grande partie des architectes , ibid. Sa grandeur se prend sur la largeur de l’entre-deux des cannelures , 187. Replum , le châssis d’un panneau, 168. Replum , un rebord , 46g. Représentation la des choses naturelles est le fondement de l’architecture , 148. Resaut , ou avant - corps des architraves , i 35 . Réservoirs , au nombre de trois aux fontaines publiques des anciens , 379. Respiration et ses usages , 35 . Ressort de fer pour repousser les marches des orgues , 45 7 . Retinacula , les cordes qui retiennent les machines , 436 . Reticulatum , espèce de maçonnerie , 75. Retractiones Graduem , la largeur des degrés pour monter dans les temples , 126. Rétrogradation des planètes , 4 g 1 - Rhodiens les vaincus par un stratagème de la reine Artémise , 76. Portique rhodien , 286. Rhytmique musique , 209. Romaine ou siatères , espèce de balance, 446 - Rome est placée dans un climat tempéré selon Vi— truve , afin que son peuple fut capable de commander à tout l’univers , 261. Romains les ont écrit de l’architecture avant "Vitruve , 3 oo. Rose du chapiteau corinthien, 147. Rosee la s’engendre des vapeurs que le soleil lait sortir de la terre , 35 g. Roues les petites ne roulent pas si aisément que les grandes, 448. Rvbri Saxi , pierres rouges des environs de Rome, ou de Sienne , 386 . Rubrique sinopique , espèce de couleur , 334 » 55g TABLE DES Rudération , mélange de pierres et de mortier qui se mettoit sous les pavés , 3 g 8. Rues les doivent être alignées de manière que les vents ne les enfilent point , 4s* Rvdus , signification de ce mot, 3io. S. Sable de cave , 6o. diflérentes espèces de sables , ibid. Le sable de la mer empêche le mortier de se sécher , ibid. Celui des rivières est bon pour les enduits , ibid. Salapiens les abandonnent leur ville et en bâtissent une nouvelle dans un lieu plus sain , 34 - Saillies les doivent être égales à la hauteur des membres saillants , 123. salientes , explication de ce mot, 384- Salix, erratica , arbre , 35y. Salles à manger, 275. Salles corinthiennes, salles égyptiennes , ibid. Salles cyzicènes , 278. Salles à manger, d'une grandeur extraordinaire, ibid. Salles où les mères de famille filoient avec leurs servantes , 286. Salmacis , fontaine , 75. Salons, 278. A la manière des grecs, 278. Sambyque , instrument de musique, 261. Sambuque , machine de guerre. Sandaraque , minéral , aujourd’hui le minium , 336. Elle se fait de’ la céruse brûlée , ibid. Saturne , le temps que cette planète emploie pour accomplir sa circonvalation , 4° l - Scène la satyrique , 23o. Les pièces dramatiques, satiriques des anciens sont pleines de libertés grossières , 232. îl ne nous reste plus de ce genre que le cyclope d’Euripiue, 282. Sapin , arbre, 83. Le supernas eXVinfernas , 86, gi; Saule , arbre , 84. ôAxr rubri , pierres rouges pour joindre les tuyaux dans les angles , 386. Setamus , la cheville dans laquelle on attache les rames , 447- Scamilli manière de piédestaux, 127. Scamillum , tringle attachée avec des queues d’hirondelles dans la catapulte , Jfili- Scaphe , espèce de cadran au soleil , 420. Scapi cardinales , les montants des portes , auxquels les gonds sont attachés , 168, 174. Scapi scalarum , les limons des ^escaliers , 3g4. Scapus , tige de la colonne , 44*^ ? 444* Sceller avec du plomb , 443. Scène la des théâtres, 204, 225. Ses proportions, 226. Ses changemens, 23o. Il y avoit trois sorte de scène , ibid. Machine qui en tournant change la scène des théâtres anciens, 227 , MATIÈRES. Scénographie, le dessein du plan d’un édifice, 12 , 20. , plan raccourci, 45. Schlateras , style qui fait voir l’ombre , 43. Sciographie , ou l’art de représenter les ombres, 20. , dans les bains , 245. Scorpion , machine de guerre , 432. Scotie , partie de la base d’une colonne , 119. Scotinos , nom donné à Héraclite , à cause de l’obscurité de ses écrits , 56. Sculpture la est essentielle à quelques membres d’architecture , 27. Il y a des endroits où l’on n’en doit point faire, ibid. , 3i8. Scutüea, losange, 3i2. Scutula , gros rouleaux dans la catapulte, 4&4 , dans la baiiste, 468. Sectilza , passé., 3i2. Securictæ , des queues d’hirondelles, 182. Sels les de la chaux, ceux du sable et des pierres sont la cause de l’endurcissement du mortier , 63. On mêle du sel dans l’eau des citernes pour la purifier, 882. Semiton , 207. Semisse la moitié de l’as , g6. , les étoiles de la grande ourse , 4og. Septentrion , le vent de guérit la fièvre et la toux, 42. Serpens , lieux où les ne peuvent vivre , 373. , le demi joint au tout , 96. Sestertids , deux et demi , 96, C’est la quatrième partie du denier , ibid. Sextans , la sixième partie , 96. Sève des arbres ,83. Sicilique , espèce de mesure ou de poids, 92. Sièges les des théâtres , 199 , 20a. Signes les du Zodiaque ont un mouvement contraire â celui des planètes , 3gg. Sigia , nom grec du jong , 84. Sigxixvm opus , espèce de ciment employé pour les pavés , 25o. Et pour les citernes , 382 , 388. Sil , ocre jaune , 327 , 335 , 346. Sil attique , 334. Silique , troisième partie de l’obole , g2. , voile qui couvroit la scène pendant qu’on la changeoit , 431. Six est le nombre le plus parfait, 96. lûxiciù»!pciii, le style qui indique l’ombre, 43. Smalte, enduit dont on forme des pavés en Italie, 61 , 3i 1. Socrate désiroit qu’on pût connoître les pensées des hommes, 92. Socle, ce qui est sous les bases, n3. S,oi%sia , élémens, 3e. Soleil le par sa chaleur , attire les planètes, et les arrête, 4oi. Le temps de son cours, 4°°; 4o8. Le soleil échaulfe davantage les corps qui sont les plus éloignés, 4 00 * Solstices TABLE DES Solstices les et les équinoxes étoient marqués parmi les anciens , à la huitième partie des signes , 4°8* Solidité causes de la des corps , 63. Solive, 146 , 317. Son le , ce qui le produit, 2o5. Sonnerie , aux horloges des anciens , 422. Soufflets les des orgues modernes remplacent les barillets employés dans les orgues des anciens , 458. Soupape de la machine de Ctesibius , 454* Soupape en forme de cône, appelée cymbale , 456 . Soupiraux, le long des murs pour faire évaporer l’humidité , 324- Soupiraux aux côtés des puits pour faire évaporer les mauvaises vapeurs , 38i. Sources les des grands fleuves viennent du côte' du septentrion , 36o. Sourds les lieux ne sont pas propres pour y construire des théâtres , 200. Spectacles des romains , 201. Sphère de la 3q8. SpiCATUM opus , 3l3. Spira , la base d’une colonne , i44'* Stade , 246. Statère , espèce de balance , appelée autrement Romaine , 446. Statio , signification de ce mot , i3. Station des planètes , 4°° ? 4°6 - Statues des dieux , comme il faut les placer dans les temples, 166.. Statuminare , signification de ce mot , 3io, 388 . , massif de maçonnerie , servant de fondement, ou de premier socle , 117- mu M , ce qui reçoit l’eau et la fait écouler , io3 , 271. Striges , les cannelures des colonnes , i3j. Stria , l’erüre-deux des cannelures , ibid. Stylobate ou piédestal ,117. Sttgos hidor , eau de tristesse , 368. Strategeum , arsenal , 2 35. Stuc, espèce d’enduit, 3i5. 11 doit être fait avec de la chaux éteinte depuis long - temps , ibiil. 31 faut plusieurs couches , 317. Choix du marbre pour le faire , 332. Su bscudes , tenons en queue d’hirondelle ou clefs . de bois , 182. Sulpiiurées les eaux sont'bonnes aux maladies des nerfs , 365. Summum epistilium , le haut de l’architrave , i35 . Surbaissée voûte, 317. _ 1 Symétrie , est autre chose en françois que sim- metria en latin , 22. 11 y a deux espèces de symétrie , 23 et suivantes. Syts’ECJIOndes , lieux qui résonnent , i 3 i. Synemmenon , tétracorde des conjointes , 209. Systyle, 107. MATIEPiES. S60 T. Taele d’Aristoxène , 2x5. Tablinum , cabinet d’étude dans les appartemens des anciens , 273. Tableaux les galeries de doivent être exposées au septentrion , 279. Tailloir , appelé plinthe dans l’ordre toscan , 177. Tailloir ou abaque du chapiteau corinthien ; il étoit quelquefois aigu et non recoupé par les angles , i45. Talon ou astragale , 11g. Tambour , vaisseau renversé pour les clepsydi’es. 422. Tambour pour une autre espèce de clepsydre , 4 2 3. Tarrière , machine de guerre , 4?3. Tectorium , enduit , 3x6. Tegul , les tuiles , 149. Teeamones , espèces de cariatides , 287 , 288. Tempérament le fait le caractère de chaque animal , 3a , 260. Tempua , les pannes , 149- Temple , dans quel endroit de la ville chaque temple doit être placé , 49- Quelles sont les parties des temples , 102. Quelles sont leurs espèces , 107. Division comprenant toutes les espèces de temples , 97 , 107. Temple à antes. , 97. Temple prostyle , ibid. Temple amphiprostyle , ibid. Temple périp- lère , 98. Temple pseudodiptère , ibid. Temple diptère , ibid. Temple hypæthre , ibid. Temple pseudodiptère , ibid. Temple à la manière toscane , 117. Temples monoptères ronds , et périptères ronds , 178. La distribution du dedans des temples , 161. Le vestibule des temples , ibid. La proportion des temples périptères se. prend du nombre de leurs colonnes , io3. Comment les temples doivent être tournés , 166, Les portes des temples de trois sortes , ibid. Origine du mot temple , 111, i4o. Temple de Cerès à Eleusis , 3oi , 807. Temple de la Vertu et de l’Honneur , 98 , 002. Temple de Diane à Magnésie, bâti par Ctesiphon, 98, 3oo. Temple -> de Diane à Ephèse, 98 , io5 , i4o. Temple de Jupiter Stator, 98, io4 , io5. Temple de Jupiter Olympien , 98 , Soi. Temple de la Fortune équestre , 107. Temple d’Hercule , bâti par Pompée , 108 , Temple de Bacchus, ibid. Temple de la Concorde à Rome , i3a , 179. Temple d’Apollon Panonien , i 4 i , x43. Temples de Pestum , i 43. Temple de Vesta , i45. Temple de Castor , 179. Temple de Yejovis , ibid. Temple de Diane , chasseresse , ibid. Temple d’Auguste, 190. Temple d’Esculape , temple de Flore, temple de Quh’inus, 98. Les quatre principaux temples de la Grèce , Soi. Les dieux tutélaires doivent avoir leuf temple dans les lieux 561 TABLE DES MATIERES. s. les plus élevés de la ville 49 - Les temples de Vénus et ceux de Mars et de Vulcain doivent être hors de la ville , ibid. Les temples des dieux S ue l’on invoque pour la guérison des maladies, oivent être bâtis dans 'des endroits sains , i 3 . Tenailles de fer pour élever les pierres , 4 - 36 . Terre la a 282000 stades selon Eratostène 44 - Terres il y a des sur lesquelles les serpens ne peuvent vivre , 073. Terre verte , couleur pour peindre, 342. Terrestres les animaux ont peu de terrestre , cela fait qu’ils ne peuvent vivre dans l’eau, 32 . Terrasses les doivent être pavées avec grand soin , 3 oq. Tessera , signification de ce mot, 3i2. Tète de lion dans les cymaises, ia 4 - Testudinatum , cours voûtées , 271. Tetracoroe , suite de quatre sons , 207. Il y en a cinq espèces , ibid. Tetradoron , sorte dé brique , 57. Tetrans , la quatrième partie d’une chose , 96. Tetrantorum ac/ionibus, les quarts de cercles dont la volute ionique est composée , 121 , i 32 , i 33 . Tétras , une chose partagée en quatre , 96. Tetrastyle cours , 267. Thalamus , chambre à coucher, 28g. Thalès mettoit l’eau pour principe de toutes choses , 56 , 353 . Théâtres les n’étoient anciennement que de bois , 202. Le théâtre doit être bâti dans un lieu sain , 199. Proportions des degrés du théâtre, ibid. Les vases des théâtres , 216. Trois rangs de cellules pour les vases dans les grands théâtres , 217. Le plan du théâtre des romains se traçoit par quatre triangles , 222. Celui des grecs par trois carrés, 23 i. Les voiles des théâtres, 43 i* Théorie , ce que c’est , 3 . Elle sert peu sans pratique , ibid. SrsfULTi cr yttoç,. état des choses , i 3 . Thermes , les anciens thermes de Rome , leur magnificence , 241- Tholia , tholus , la coupole des temples ronds, i 85 . Tiiymêlé , tribune qui s’avançoit dans le théâtre des grecs, 233 . Thymeléeih s , sorte d’acteurs chez les grecs , 23 i. Tkyiiorion , passage d’une porte à une autre, 186. Tilleul , 84 - Tirans de charpenterie, 3 a 1. Toit à trois égouts ou à trois pans , nommé ter- tiaiia , 178 , 182. Les toits des anciens étaient moins exhaussés que les nôtres , i4q- Tomica , lien , 822. Tonæ, signification de ce mot, 422. Tore dans les bases des colonnes, 1x8. Tortue à bélier, 473 . Ses proportions , elle est appelée criodoché , ibid. La tortue à bélier d’Agetôr, 477- Tortue pour combler les fossés, 4 ? 5 . Tortue pour couvrir les pionniers , 477 * Le Torus , rouleau, lit où matelas, le gros anneau des bases, 119, T oscan ordre , 177. Temples à la manière toscane, ibid. Touches des orgues anciennes et modernes , 4^7, ’ Tours des fortifications des anciens, 37. Tour la d’Andronic Cyrrhestes pour les vents ; 4 - 3 . Tours x’oulantes pour les sièges des villes, 472. Proportion de la plus petite de ces tours, ibid. proportion de la plus grande , ibul. La plus grande , appelée hélepole, s’avançoit très-lentement; il lui f’alloil un mois pour faire une stade, c’est-à-dire, près de deux ans pour faire une lieue , 474 - Trabes , les poutres , 269. Tragique ' la scène , 23 o. Transtrum , poutre de traverse, 149. Travertin , sorte de pierre, 70, employé dans les temps les plus reculés , 81. Trésor le public, 197. Triangle , rectangle de Pytagore, 3g2. Tribunal dans les temples monoptères, 178 tribunal du temple d’Auguste , 190. Triemitonium , un ton et demi, 207. Triglypue, étymologie de ce mot, 147, Son origine , ibid. 11 ne représente point une fenêtre , ibid. Les iriglyplies doivent être au droit des colonnes, i 53 . Éauteur et. largeur des tri 182 et i 53 . Le chapiteau du triglyphe, i 44 Tri ch a le a , petite pièce de monnoie , 96. Triclinium , salle à manger, 275, 276, 33 i. Tri ens , quatre parties des douze qui composent l’as , 92 , 96. Triones , les^étoiles de la grande ourse, 4 ° 9 - Trispastos, machine qui tire par trois poulies, 4 ^ 8 . Trochilon , scotie dans la base de la colonne , ng. , moufle, instrument pour remuer les fardeaux , 436 . Truelle à travailler au stuc , 3 i 8 . Trullisation , enduit, 3 x 6 , 820. Tuf , sorte de pierres employées à Rome , 71 , 81, Tuteles , édifices des romains à Bordeaux , ie 5 ., 277. Tuyaux de plomb pour les fontaines et leurs proportions , 379. L’eau qui a passé dans des tuyaux de plomb est dangereuse , 38 1. Les tuyaux de poterie, 38 o. La manière de les joindre ensemble, ibid. Précaution en mettant l’eau dans les tuyaux , 38 i. L’eau est meilleure dans les tuyaux de poterie que dans ceux de plomb , ibid. Tuyaux des orgues , 467. Tuyleaux pilés pour faire le ciment, 309,820. Tympan , le dedans du fronton , ses proportions x 35 . Tympan la hauteur du d’un fronton , 123 , i 36 . T'y m pan u m , le dedans d’un fronton , i 35 . Il signifie quelquefois le fronton entier, ibid. Quelquefois .glyphes, TABLE DES Une roue en forme de robinet pour une espèce de clepsydre, Quelquefois les roues dentelées , telles que sont celles d’une horloge, 460. Quelque' fois la roue d’une grue , 43 g. U. Tjdo teclorio , peinture à fresque , SaS. L j lka , herbe de marais , i 56 . Un ci a , once, 96. Usage F j est une des principales choses qu’il faut considérer dans un édifice , 1G. C’est la Kn pour laquelle chaque partie d’un édifice est faite ; est la principale règle de ses proportions , ibul. Usta , ocre brûlé , 335 . V. Vaccinium , plante qui servoit à la teinture, 35 i. Valvatæ fores , une porte qui n’a qu’un battant, i 7 5. Vapeurs il s’élève des du fond de la terre, 35 y. Va ra , une hutte , 47 2. Vases les d’airain des théâtres , 216. Il y en avoit trois rangs dans les grands théâtres , 217. Leur accord , ibid. Us n’étoient quelquefois que de poterie, 218. Les vases des bains où les eaux sont réservées , 289 , 242. Veines les portent au dedans du corps les qualités des choses qui les touchent en dehors, 32 . Vejovis , dieu malfaisant, 17g. Vent , ce que c’est , 4 2 - Celui du midi est fiévreux ; celui du septentrion guérit la fièvre et la toux , ibid. Les qualités des vents dépendent des lieux par lesquels ils passent , ibid. Le nombre des vents, 43 . Leurs noms , 44 - Faire que les vents n’enfilent point les rues , 4 2 Ces causes des vents , ibid. 35 g. Vents enfermés dans les tuyaux des fontaines , 38 o. Ventouses , aux tuyaux des fontaines , 38 o. Ventre , les grecs appellent ainsi l'étendue des tuyaux qui sont au tond d’une vallée , 38 o. Vénus et Mercure tournent autour du Soleil , 4 °o* L’étoile de Vénus appelée vespermgo le soir , et lucifer le matin , ibid. Son cours , ibid. Vert le couleur favorable à la vue, 237. VERT-de-gris , 346 . Vmrgiles , constellation , 288. Vernis fait de cire , 34 o , 34 1. Versura , les côtés d’un temple , 97. Les côtés de la scène , 22g. Vesperrugo , la planète de Vénus quand elle pa- roît le soir , 4oo. Vêtemens les ont donné occasion à inventer les premières machines , 433 . Vestibules des temples , leurs proportions, i6r, MATIÈRES. .562 Viæ , des canaux creusés dans la corniche dorique , i 5 g. Vif argent , 337. Villes , on doit choisir un local sain pour les bâtir , 3 i. Vinaigre, il dissout les perles, 36 g. Vin0as , machine pour tirer , 44 °- Violettes, on imite, avec une infusion de violettes desséchées , la couleur du sil atticpae , 34 g- Vis d’Archimède , 43 2 - Vitex , arbrisseau qui croît dans les endroits humides , 357. VrmuvE , intendant des machines de guerre dans les armées de Jules-César et d’Auguste , 2. S’excuse de n’avoir pas mieux écrit son livre , g. Peu estimé pendant sa vie, 25 g. 11 a composé son livre de ce qu’il a recueilli des grecs qui ont écrit sur l’architecture , 299. Voiles des théâtres , 43 i. Voix la' , ce que c’est, 200. Elle fait des cercles en. l’air, de même que l’eau quand elle est frappée , ibid. Elle a deux mouvemens , 206. Les peuples méridionaux ont la voix aiguë ; les septentrionaux l’ont plus grosse, 260. La sécheresse et l’humidité font la voix aiguë ou basse , plutôt que la chaleur ou le froid, 261. Volute , ng. La manière de tracer la volute ionique , 11g, i 3 i , i 33 . L’œil de la volute , 120. Le canal de la volute, sa profondeur, 121. Sa ceinture, son axe, ibid. et i 3 i. Son balustre , 120. La volute ionique représente la coiffure d’ime femme , i4i. ; et ses côtés ressemblent à un oreiller ou à un balustre, i 3 i. VomiTORiA , nom donné aux portes des théâtres, O 200. Voûtes , comme on doit les faire , 317. Voûte double au-dessus des bains , 240. Vue la nous représente souvent les objets autrement qu’ils ne sont, 268. Vuide des portes, ses proportions, 167. X. Xanthus , rivière , pourquoi ainsi nommée, 368 . Xenia , les présens que les grecs faisoient à leurs hôtes , 287,291. Xrsros , parmi les grecs étoit un portique large et spacieux dans lequel les athlètes s’exerçoient, 247, 25 o, 287. Pourquoi on les nommoit ainsi , a 5 i. Xrs7 us, chez les romains, étoit une allée découverte pour se promener , 247,287. Y. Yalon, nom d’une espèce de verre eriGrèce, 34 g. Ypomocheion , l’appui du levier, 44 ^- 563 TABLE DES MATIÈRES. Z Zodiaque, ses douze signes, £o8. Le zodiaque,’ est divisé en parties inégales, dans la clepsydre anaphorique , 42 3 . Zoïle écrit contre Homère, 299; Ztgia , nom donné par les anciens au bois de charme, parce qu’ils s en servoient à faire les jougs, 84 - FIN DE LA ÏA15LE, 4k'1S&a&f*ÊSr. ' ***V - 4 *» Wï 0 *' * < /** *-
Lesmurs ont la parole. Chapitre 8. Les murs ont la parole. L’opposition au modèle sportif en éducation physique demeure une constante de son histoire et sa force est proportionnelle à
MYSTÈRE " C'est le serpent, dit-elle; je l'ai écouté, et il m'a trompée. " Genèse. CHANT PREMIER NAISSANCE. Il naquit sur la terre un Ange, dans le temps Où le Médiateur sauvait ses habitants. Avec sa suite obscure et comme lui bannie, Jésus avait quitté les murs de Béthanie; 5 À travers la campagne il fuyait d'un pas lent, Quelquefois s'arrêtait, priant et consolant, Assis au bord d'un champ le prenait pour symbole, Ou du Samaritain disait la parabole, La brebis égarée, ou le mauvais pasteur, 10 Ou le sépulcre blanc pareil à l'imposteur; Et, de là , poursuivant sa paisible conquête, De la Chananéenne écoutait la requête, À la fille sans guide enseignait ses chemins, Puis aux petits enfants il imposait les mains. 15 L'aveugle-né voyait, sans pouvoir le comprendre, Le lépreux et le sourd se toucher et s'entendre, Et tous, lui consacrant des larmes pour adieu, Ils quittaient le désert où l'on exilait Dieu. Fils de l'homme et sujet aux maux de la naissance, 20 Il les commençait tous par le plus grand, l'absence, Abandonnant sa ville et subissant l'Édit, Pour accomplir en tout ce qu'on avait prédit. Or, pendant ces temps-là , ses amis en Judée Voyaient venir leur fin qu'il avait retardée 25 Lazare, qu'il aimait et ne visitait plus, Vint à mourir, ses jours étant tous révolus. Mais l'amitié de Dieu n'est-elle pas la vie? Il partit dans la nuit; sa marche était suivie Par les deux jeunes soeurs du malade expiré, 30 Chez qui dans ses périls il s'était retiré. C'étaient Marthe et Marie; or Marie était celle Qui versa les parfums et fit blâmer son zèle. Tous s'affligeaient; Jésus disait en vain " Il dort. " Et lui-même, en voyant le linceul et le mort, 35 Il pleura. - Larme sainte à l'amitié donnée, Oh! vous ne fûtes point aux vents abandonnée! Des Séraphins penchés l'urne de diamant, Invisible aux mortels, vous reçut mollement, Et comme une merveille, au Ciel même étonnante, 40 Aux pieds de l'Éternel vous porta rayonnante. De l'oeil toujours ouvert un regard complaisant Émut et fit briller l'ineffable présent; Et l'Esprit-Saint sur elle épanchant sa puissance, Donna l'âme et la vie à la divine essence. 45 Comme l'encens qui brûle aux rayons du soleil Se change en un feu pur, éclatant et vermeil, On vit alors du sein de l'urne éblouissante S'élever une forme et blanche et grandissante, Une voix s'entendit qui disait " Éloa! " 50 Et l'Ange apparaissant répondit " Me voilà . " Toute parée, aux yeux du Ciel qui la contemple, Elle marche vers Dieu comme une épouse au Temple; Son beau front est serein et pur comme un beau lis, Et d'un voile d'azur il soulève les plis; 55 Ses cheveux, partagés comme des gerbes blondes, Dans les vapeurs de l'air perdent leurs molles ondes, Comme on voit la comète errante dans les cieux Fondre au sein de la nuit ses rayons gracieux; Une rose aux lueurs de l'aube matinale 60 N'a pas de son teint frais la rougeur virginale; Et la lune, des bois éclairant l'épaisseur, D'un de ses doux regards n'atteint pas la douceur. Ses ailes sont d'argent; sous une pâle robe, Son pied blanc tour à tour se montre et se dérobe, 65 Et son sein agité, mais à peine aperçu, Soulève les contours du céleste tissu. C'est une femme aussi, c'est une Ange charmante; Car ce peuple d'Esprits, cette famille aimante, Qui, pour nous, près de nous, prie et veille toujours, 70 Unit sa pure essence en de saintes amours L'Archange RaphaÃl, lorsqu'il vint sur la Terre, Sous le berceau d'Éden conta ce doux mystère. Mais nulle de ces soeurs que Dieu créa pour eux N'apporta plus de joie au ciel des Bienheureux. 75 Les Chérubins brûlants qu'enveloppent six ailes, Les tendres Séraphins, dieux des amours fidèles, Les Trônes, les Vertus, les Princes, les Ardeurs, Les Dominations, les Gardiens, les Splendeurs, Et les Rêves pieux, et les saintes Louanges, 80 Et tous les Anges purs, et tous les grands Archanges, Et tout ce que le Ciel renferme d'habitants, Tous, de leurs ailes d'or voilés en même temps, Abaissèrent leurs fronts jusqu'à ses pieds de neige, Et les Vierges ses soeurs, s'unissant en cortège, 85 Comme autour de la Lune on voit les feux du soir, Se tenant par la main, coururent pour la voir. Des harpes d'or pendaient à leur chaste ceinture; Et des fleurs qu'au Ciel seul fit germer la nature, Des fleurs qu'on ne voit pas dans l'Été des humains, 90 Comme une large pluie abondaient sous leurs mains. " Heureux, chantaient alors des voix incomparables, Heureux le monde offert à ses pas secourables! Quand elle aura passé parmi les malheureux, L'esprit consolateur se répandra sur eux. 95 Quel globe attend ses pas? Quel siècle la demande? NaÃtra-t-il d'autres cieux afin qu'elle y commande? " Un jour... Comment oser nommer du nom de jour Ce qui n'a pas de fuite et n'a pas de retour? Des langages humains défiant l'indigence, 100 L'éternité se voile à notre intelligence, Et, pour nous faire entendre un de ces courts instants, Il faut chercher pour eux un nom parmi les temps. Un jour, les habitants de l'immortel empire, Imprudents une fois, s'unissaient pour l'instruire. 105 " Éloa, disaient-ils, oh! veillez bien sur vous Un Ange peut tomber; le plus beau de nous tous N'est plus ici pourtant dans sa vertu première On le nommait celui qui porte la lumière; Car il portait l'amour et la vie en tout lieu, 110 Aux astres il portait tous les ordres de Dieu; La terre consacrait sa beauté sans égale, Appelant Lucifer l'étoile matinale, Diamant radieux, que sur son front vermeil, Parmi ses cheveux d'or a posé le soleil. 115 Mais on dit qu'à présent il est sans diadème, Qu'il gémit, qu'il est seul, que personne ne l'aime, Que la noirceur d'un crime appesantit ses yeux, Qu'il ne sait plus parler le langage des Cieux; La mort est dans les mots que prononce sa bouche; 120 Il brûle ce qu'il voit, il flétrit ce qu'il touche; Il ne peut plus sentir le mal ni les bienfaits; Il est même sans joie aux malheurs qu'il a faits. Le Ciel qu'il habita se trouble à sa mémoire, Nul ange n'oserait vous conter son histoire, 125 Nul ange n'oserait dire une fois son nom. " Et l'on crut qu'Éloa le maudirait; mais non, L'effroi n'altéra point son paisible visage, Et ce fut pour le Ciel un alarmant présage. Son premier mouvement ne fut pas de frémir, 130 Mais plutôt d'approcher comme pour secourir; La tristesse apparut sur sa lèvre glacée Aussitôt qu'un malheur s'offrit à sa pensée; Elle apprit à rêver, et son front innocent De ce trouble inconnu rougit en s'abaissant; 135 Une larme brillait auprès de sa paupière. Heureux ceux dont le coeur verse ainsi la première! Un ange eut ces ennuis qui troublent tant nos jours, Et poursuivent les grands dans la pompe des cours; Mais, au sein des banquets, parmi la multitude, 140 Un homme qui gémit trouve la solitude; Le bruit des nations, le bruit que font les rois, Rien n'éteint dans son coeur une plus forte voix. Harpes du Paradis, vous étiez sans prodiges! Chars vivants dont les yeux ont d'éclatants prestiges! 145 Armures du Seigneur, pavillons du saint lieu, Étoiles des bergers tombant des doigts de Dieu, Saphirs des encensoirs, or du céleste dôme, Délices du nebel, senteurs du cinnamome, Vos bruits harmonieux, vos splendeurs, vos parfums 150 Pour un ange attristé devenaient importuns; Les cantiques sacrés troublaient sa rêverie, Car rien n'y répondait à son âme attendrie Et soit lorsque Dieu même, appelant les esprits, Dévoilait sa grandeur à leurs regards surpris, 155 Et montrait dans les cieux, foyer de la naissance, Les profondeurs sans nom de sa triple puissance, Soit quand les chérubins représentaient entre eux Ou les actes du Christ ou ceux des bienheureux, Et répétaient au Ciel chaque nouveau mystère 160 Qui, dans les mêmes temps, se passait sur la terre, La crèche offerte aux yeux des mages étrangers, La famille au désert, le salut des bergers, Éloa, s'écartant de ce divin spectacle, Loin de leur foule et loin du brillant tabernacle, 165 Cherchait quelque nuage où dans l'obscurité Elle pourrait du moins rêver en liberté. Les anges ont des nuits comme la nuit humaine. Il est dans le Ciel même une pure fontaine; Une eau brillante y court sur un sable vermeil; 170 Quand un ange la puise, il dort, mais d'un sommeil Tel que le plus aimé des amants de la terre N'en voudrait pas quitter le charme solitaire, Pas même pour revoir dormant auprès de lui La beauté dont la tête a son bras pour appui. 175 Mais en vain Éloa s'abreuvait dans son onde, Sa douleur inquiète en était plus profonde; Et toujours dans la nuit un rêve lui montrait Un ange malheureux qui de loin l'implorait. Les vierges quelquefois, pour connaÃtre sa peine, 180 Formant une prière inentendue et vaine, L'entouraient, et, prenant ces soins qui font souffrir, Demandaient quels trésors il lui fallait offrir, Et de quel prix serait son éternelle vie, Si le bonheur du Ciel flattait peu son envie; 185 Et pourquoi son regard ne cherchait pas enfin Les regards d'un archange ou ceux d'un séraphin. Éloa répondait une seule parole " Aucun d'eux n'a besoin de celle qui console. On dit qu'il en est un... " Mais détournant leurs pas, 190 Les vierges s'enfuyaient et ne le nommaient pas. Cependant, seule, un jour, leur timide compagne, Regarde autour de soi la céleste campagne, Étend l'aile et sourit, s'envole, et dans les airs Cherche sa terre amie ou des astres déserts. 195 Ainsi dans les forêts de la Louisiane, Bercé sous les bambous et la longue liane, Ayant rompu l'oeuf d'or par le soleil mûri, Sort de son lit de fleurs l'éclatant Colibri; Une verte émeraude a couronné sa tête, 200 Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête, La cuirasse d'azur garnit son jeune coeur, Pour les luttes de l'air l'oiseau part en vainqueur... Il promène en des lieux voisins de la lumière Ses plumes de corail qui craignent la poussière; 205 Sous son abri sauvage étonnant le ramier, Le hardi voyageur visite le palmier. La plaine des parfums est d'abord délaissée; Il passe, ambitieux, de l'érable à l'alcée, Et de tous ses festins croit trouver les apprêts 210 Sur le front du palmiste ou les bras du cyprès; Mais les bois sont trop grands pour ses ailes naissantes. Et les fleurs du berceau de ces lieux sont absentes; Sur la verte savane il descend les chercher; Les serpents-oiseleurs qu'elles pourraient cacher 215 L'effarouchent bien moins que les forêts arides. Il poursuit près des eaux le jasmin des Florides, La nonpareille au fond de ses chastes prisons, Et la fraise embaumée au milieu des gazons. C'est ainsi qu'Éloa, forte dès sa naissance, 220 De son aile argentée essayant la puissance, Passant la blanche voie où des feux immortels Brûlent aux pieds de Dieu comme un amas d'autels, Tantôt se balançant sur deux jeunes planètes, Tantôt posant ses pieds sur le front des comètes, 225 Afin de découvrir les êtres nés ailleurs, Arriva seule au fond des Cieux inférieurs. L'Éther a ses degrés, d'une grandeur immense, Jusqu'à l'ombre éternelle où le chaos commence. Sitôt qu'un ange a fui l'azur illimité, 230 Coupole de saphirs qu'emplit la Trinité, Il trouve un air moins pur; là passent des nuages, La tournent des vapeurs, serpentent des orages, Comme une garde agile, et dont la profondeur De l'air que Dieu respire éteint pour nous l'ardeur. 235 Mais, après nos soleils et sous les atmosphères Où, dans leur cercle étroit, se balancent nos sphères, L'espace est désert, triste, obscur, et sillonné Par un noir tourbillon lentement entraÃné. Un jour douteux et pâle éclaire en vain la nue, 240 Sous elle est le chaos et la nuit inconnue; Et, lorsqu'un vent de feu brise son sein profond, On devine le vide impalpable et sans fond. Jamais les purs esprits, enfants de la lumière, De ces trois régions n'atteignent la dernière; 245 Et jamais ne s'égare aucun beau séraphin Sur ces degrés confus dont l'Enfer est la fin. Même les chérubins, si forts et si fidèles, Craignent que l'air impur ne manque sous leurs ailes, Et qu'ils ne soient forcés, dans ce vol dangereux, 250 De tomber jusqu'au fond du chaos ténébreux. Que deviendrait alors l'exilé sans défense? Du rire des démons l'inextinguible offense, Leurs mots, leurs jeux railleurs, lent et cruel affront, Feraient baisser ses yeux, feraient rougir son front. 255 Péril plus grand peut-être il lui faudrait entendre Quelque chant d'abandon voluptueux et tendre, Quelque regret du Ciel, un récit douloureux Dit par la douce voix d'un ange malheureux. Et même, en lui prêtant une oreille attendrie, 260 Il pourrait oublier la céleste patrie, Se plaire sous la nuit et dans une amitié Qu'auraient nouée entre eux les chants et la pitié. Et comment remonter à la voûte azurée, Offrant à la lumière éclatante et dorée 265 Des cheveux dont les flots sont épars et ternis, Des ailes sans couleurs, des bras, un col brunis, Un front plus pâle, empreint de traces inconnues Parmi les fronts sereins des habitants des nues, Des yeux dont la rougeur montre qu'ils ont pleuré, 270 Et des pieds noirs encor d'un feu pestiféré? Voila pourquoi, toujours prudents et toujours sages, Les anges de ces lieux redoutent les passages. C'était là cependant, sur la sombre vapeur, Que la vierge Éloa se reposait sans peur; 275 Elle ne se troubla qu'en voyant sa puissance, Et les bienfaits nouveaux causés par sa présence. Quelques mondes punis semblaient se consoler; Les globes s'arrêtaient pour l'entendre voler. S'il arrivait aussi qu'en ces routes nouvelles 280 Elle touchât l'un d'eux des plumes de ses ailes, Alors tous les chagrins s'y taisaient un moment, Les rivaux s'embrassaient avec étonnement; Tous les poignards tombaient oubliés par la haine; Le captif souriant marchait seul et sans chaÃne; 285 Le criminel rentrait au temple de la loi; Le proscrit s'asseyait au palais de son roi; L'inquiète insomnie abandonnait sa proie; Les pleurs cessaient partout, hors les pleurs de la joie; Et, surpris d'un bonheur rare chez les mortels, 290 Les amants séparés s'unissaient aux autels. CHANT DEUXIÈME SÉDUCTION Souvent parmi les monts qui dominent la terre S'ouvre un puits naturel, profond et solitaire; L'eau qui tombe du ciel s'y garde, obscur miroir Où, dans le jour, on voit les étoiles du soir. 5 Là , quand la villageoise a, sous la corde agile, De l'urne, au fond des eaux, plongé la frêle argile, Elle y demeure oisive, et contemple longtemps Ce magique tableau des astres éclatants, Qui semble orner son front, dans l'onde souterraine, 10 D'un bandeau qu'enviraient les cheveux d'une reine. Telle, au fond du chaos qu'observaient ses beaux yeux, La vierge, en se penchant, croyait voir d'autres Cieux. Ses regards, éblouis par les soleils sans nombre, N'apercevaient d'abord qu'un abÃme et que l'ombre. 15 Mais elle y vit bientôt des feux errants et bleus Tels que des froids marais les éclairs onduleux; Ils fuyaient, revenaient, puis échappaient encore; Chaque étoile semblait poursuivre un météore; Et l'ange, en souriant au spectacle étranger, 20 Suivait des yeux leur vol circulaire et léger. Bientôt il lui sembla qu'une pure harmonie Sortait de chaque flamme à l'autre flamme unie Tel est le choc plaintif et le son vague et clair Des cristaux suspendus au passage de l'air, 25 Pour que, dans son palais, la jeune Italienne S'endorme en écoutant la harpe éolienne. Ce bruit lointain devint un chant surnaturel Qui parut s'approcher de la fille du Ciel; Et ces feux réunis furent comme l'aurore 30 D'un jour inespéré qui semblait près d'éclore. A sa lueur de rose un nuage embaumé Montait en longs détours dans un air enflammé, Puis lentement forma sa couche d'ambroisie, Pareille à ces divans où dort la molle Asie. 35 Là , comme un ange assis, jeune, triste et charmant, Une forme céleste apparut vaguement. Quelquefois un enfant de la Clyde écumeuse, En bondissant parcourt sa montagne brumeuse, Et chasse un daim léger que son cor étonna, 40 Des glaciers de l'Arven aux brouillards du Crona, Franchit les rocs mousseux, dans les gouffres s'élance, Pour passer le torrent aux arbres se balance, Tombe avec un pied sûr, et s'ouvre des chemins Jusqu'à la neige encor vierge de pas humains; 45 Mais bientôt, s'égarant an milieu des nuages, Il cherche les sentiers voilés par les orages; Là , sous un arc-en-ciel qui couronne les eaux, S'il a vu, dans la nue et ses vagues réseaux, Passer le plaid léger d'une Écossaise errante, 50 Et s'il entend sa voix dans les échos mourante, Il s'arrête enchanté, car il croit que ses yeux Viennent d'apercevoir la soeur de ses aïeux, Qui va faire frémir, ombre encore amoureuse, Sous ses doigts transparents la harpe vaporeuse; 55 Il cherche alors comment Ossian la nomma, Et, debout sur sa roche, appelle Évir-Coma. Non moins belle apparut, mais non moins incertaine, De l'ange ténébreux la forme encor lointaine, Et des enchantements non moins délicieux 60 De la vierge céleste occupèrent les yeux. Comme un cygne endormi qui seul, loin de la rive, Livre son aile blanche à l'onde fugitive, Le jeune homme inconnu mollement s'appuyait Sur ce lit de vapeurs qui sous ses bras fuyait. 65 Sa robe était de pourpre, et, flamboyante ou pâle, Enchantait les regards des teintes de l'opale. Ses cheveux étaient noirs, mais pressés d'un bandeau; C'était une couronne ou peut-être un fardeau L'or en était vivant comme ces feux mystiques 70 Qui, tournoyants, brûlaient sur les trépieds antiques. Son aile était ployée, et sa faible couleur De la brume des soirs imitait la pâleur. Des diamants nombreux rayonnent avec grâce Sur ses pieds délicats qu'un cercle d'or embrasse; 75 Mollement entourés d'anneaux mystérieux, Ses bras et tous ses doigts éblouissent les yeux. Il agite sa main d'un sceptre d'or armée, Comme un roi qui d'un mont voit passer son armée, Et, craignant que ses voeux ne s'accomplissent pas, 80 D'un geste impatient accuse tous ses pas Son front est inquiet; mais son regard s'abaisse, Soit que, sachant des yeux la force enchanteresse, Il veuille ne montrer d'abord que par degrés Leurs rayons caressants encor mal assurés, 85 Soit qu'il redoute aussi l'involontaire flamme Qui dans un seul regard révèle l'âme à l'âme. Tel que dans la forêt le doux vent du matin Commence ses soupirs par un bruit incertain Qui réveille la terre et fait palpiter l'onde; 90 Élevant lentement sa voix douce et profonde, Et prenant un accent triste comme un adieu, Voici les mots qu'il dit à la fille de Dieu " D'où viens-tu, bel Archange? où vas-tu? quelle voie Suit ton aile d'argent qui dans l'air se déploie? 95 Vas-tu, te reposant au centre d'un Soleil, Guider l'ardent foyer de son cercle vermeil; Ou, troublant les amants d'une crainte idéale, Leur montrer dans la nuit l'Aurore boréale; Partager la rosée aux calices des fleurs, 100 Ou courber sur les monts l'écharpe aux sept couleurs? Tes soins ne sont-ils pas de surveiller les âmes Et de parler, le soir, au coeur des jeunes femmes; De venir comme un rêve en leurs bras te poser, Et de leur apporter un fils dans un baiser ? 105 Tels sont tes doux emplois, si du moins j'en veux croire Ta beauté merveilleuse et tes rayons de gloire. Mais plutôt n'es-tu pas un ennemi naissant Qu'instruit à me haïr mon rival trop puissant? Ah! peut-être est-ce toi qui, m'offensant moi-même, 110 Conduiras mes Païens sous les eaux du baptême; Car toujours l'ennemi m'oppose triomphant Le regard d'une vierge ou la voix d'un enfant. Je suis un exilé que tu cherchais peut-être Mais, s'il est vrai, prends garde au Dieu jaloux ton maÃtre; 115 C'est pour avoir aimé, c'est pour avoir sauvé, Que je suis malheureux, que je suis réprouvé. Chaste beauté! viens-tu me combattre ou m'absoudre? Tu descends de ce Ciel qui m'envoya la foudre, Mais si douce à mes yeux, que je ne sais pourquoi 120 Tu viens aussi d'en haut, bel Ange, contre moi. " Ainsi l'esprit parlait. A sa voix caressante, Prestige préparé contre une âme innocente, A ces douces lueurs, au magique appareil De cet ange si doux, à ses frères pareil, 125 L'habitante des Cieux, de son aile voilée, Montait en reculant sur sa route étoilée, Comme on voit la baigneuse au milieu des roseaux Fuir un jeune nageur qu'elle a vu sous les eaux. Mais en vain ses deux pieds s'éloignaient du nuage, 130 Autant que la colombe en deux jours de voyage Peut s'éloigner d'Alep et de la blanche tour D'où la sultane envoie une lettre d'amour Sous l'éclair d'un regard sa force fut brisée; Et, dès qu'il vit ployer son aile maÃtrisée, 135 L'ennemi séducteur continua tout bas " Je suis celui qu'on aime et qu'on ne connaÃt pas. Sur l'homme j'ai fondé mon empire de flamme, Dans les désirs du coeur, dans les rêves de l'âme, Dans les liens des corps, attraits mystérieux, 140 Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux. C'est moi qui fais parler l'épouse dans ses songes; La jeune fille heureuse apprend d'heureux mensonges; Je leur donne des nuits qui consolent des jours, Je suis le Roi secret des secrètes amours. 145 J'unis les coeurs, je romps les chaÃnes rigoureuses, Comme le papillon sur ses ailes poudreuses Porte aux gazons émus des peuplades de fleurs, Et leur fait des amours sans périls et sans pleurs. J'ai pris au Créateur sa faible créature; 150 Nous avons, malgré lui, partagé la Nature Je le laisse, orgueilleux des bruits du jour vermeil, Cacher des astres d'or sous l'éclat d'un Soleil; Moi, j'ai l'ombre muette, et je donne à la terre La volupté des soirs et les biens du mystère. 155 " Es-tu venue, avec quelques Anges des cieux, Admirer de mes nuits le cours délicieux? As-tu vu leurs trésors? Sais-tu quelles merveilles Des Anges ténébreux accompagnent les veilles? " Sitôt que, balancé sous le pâle horizon, 160 Le soleil rougissant a quitté le gazon, Innombrables Esprits, nous volons dans les ombres En secouant dans l'air nos chevelures sombres L'odorante rosée alors jusqu'au matin Pleut sur les orangers, les lilas et le thym. 165 La Nature, attentive aux lois de mon empire, M'accueille avec amour, m'écoute et me respire; Je redeviens son âme, et pour mes doux projets Du fond des éléments j'évoque mes sujets. Convive accoutumé de ma nocturne fête, 170 Chacun d'eux en chantant à s'y rendre s'apprête. Vers le ciel étoilé, dans l'orgueil de son vol, S'élance, le premier, l'élégant rossignol; Sa voix sonore, à l'onde, à la terre, à la nue, De mon heure chérie annonce la venue; 175 Il vante mon approche aux pâles alisiers, Il la redit encore aux humides rosiers; Héraut harmonieux, partout il me proclame; Tous les oiseaux de l'ombre ouvrent leurs yeux de flamme. Le vermisseau reluit; son front de diamant 180 Répète auprès des fleurs les feux du firmament, Et lutte de clartés avec le météore Qui rôde sur les eaux comme une pâle aurore. L'étoile des marais, que détache ma main, Tombe et trace dans l'air un lumineux chemin. 185 " Dédaignant le remords et sa triste chimère, Si la vierge a quitté la couche de sa mère, Ces flambeaux naturels s'allument sous ses pas, Et leur feu clair la guide et ne la trahit pas. Si sa lèvre s'altère et vient près du rivage 190 Chercher comme une coupe un profond coquillage, L'eau soupire et bouillonne, et devant ses pieds nus Jette aux bords sablonneux la conque de Vénus. Des esprits lui font voir de merveilleuses choses, Sous des bosquets remplis de la senteur des roses; 195 Elle aperçoit sur l'herbe, où leur main la conduit, Ces fleurs dont la beauté ne s'ouvre que la nuit, Pour qui l'aube du jour aussi sera cruelle, Et dont le sein modeste a des amours comme elle. Le silence la suit; tout dort profondément; 200 L'ombre écoute un mystère avec recueillement. Les vents, des prés voisins, apportent l'ambroisie Sur la couche des bois que l'amant a choisie. Bientôt deux jeunes voix murmurent des propos Qui des bocages sourds animent le repos. 205 Au fond de l'orme épais dont l'abri les accueille, L'oiseau réveillé chante et bruit sous la feuille. L'hymne de volupté fait tressaillir les airs, Les arbres ont leurs chants, les buissons leurs concerts, Et, sur les bords d'une eau qui gémit et s'écoule, 210 La colombe de nuit languissamment roucoule. " La voilà sous tes yeux l'oeuvre du Malfaiteur; Ce méchant qu'on accuse est un Consolateur Qui pleure sur l'esclave et le dérobe au maÃtre, Le sauve par l'amour des chagrins de son être, 215 Et, dans le mal commun lui-même enseveli, Lui donne un peu de charme et quelquefois l'oubli. " Trois fois, durant ces mots, de l'Archange naissante La rougeur colora la joue adolescente, Et, luttant par trois fois contre un regard impur, 220 Une paupière d'or voila ses yeux d'azur. CHANT TROISIÈME CHUTE D'où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère, Qu'au temps de son enfance a vu naÃtre la terre, Fleurs de ses premiers jours qui germez parmi nous, Rose du Paradis! Pudeur, d'où venez-vous? 5 Vous pouvez seule encor remplacer l'innocence, Mais l'arbre défendu vous a donné naissance; Au charme des vertus votre charme est égal, Mais vous êtes aussi le premier pas du mal; D'un chaste vêtement votre sein se décore 10 Ève avant le serpent n'en avait pas encore; Et, si le voile pur orne votre maintien, C'est un voile toujours, et le crime a le sien; Tout vous trouble, un regard blesse votre paupière, Mais l'enfant ne craint rien, et cherche la lumière. 15 Sous ce pouvoir nouveau, la Vierge fléchissait, Elle tombait déjà , car elle rougissait; Déjà presque soumise au joug de l'Esprit sombre, Elle descend, remonte, et redescend dans l'ombre. Telle on voit la perdrix voltiger et planer 20 Sur des épis brisés qu'elle voudrait glaner, Car tout son nid l'attend; si son vol se hasarde, Son regard ne peut fuir celui qui la regarde... Et c'est le chien d'arrêt qui, sombre surveillant, La suit, la suit toujours d'un oeil fixe et brillant. 25 Ô des instants d'amour ineffable délire! Le coeur répond au coeur comme l'air à la lyre. Ainsi qu'un jeune amant, interprète adoré, Explique le désir par lui-même inspiré, Et contre la pudeur aidant sa bien-aimée, 30 EntraÃnant dans ses bras sa faiblesse charmée, Tout enivré d'espoir, plus qu'à demi vainqueur, Prononce les serments qu'elle fait dans son coeur, Le prince des Esprits, d'une voix oppressée, De la Vierge timide expliquait la pensée. 35 Éloa, sans parler, disait " Je suis à toi; " Et l'Ange ténébreux dit tout bas " Sois à moi! " Sois à moi, sois ma soeur, je t'appartiens moi-même; Je t'ai bien méritée, et dès longtemps je t'aime, Car je t'ai vue un jour. Parmi les fils de l'air 40 Je me mêlais, voilé comme un soleil d'hiver. Je revis une fois l'ineffable contrée, Des peuples lumineux la patrie azurée, Et n'eus pas un regret d'avoir quitté ces lieux Où la crainte toujours siège parmi les Dieux. 45 Toi seule m'apparus comme une jeune étoile Qui de la vaste nuit perce à l'écart le voile; Toi seule me parus ce qu'on cherche toujours, Ce que l'homme poursuit dans l'ombre de ses jours, Le dieu qui du bonheur connaÃt seul le mystère, 50 Et la Reine qu'attend mon trône solitaire. Enfin, par ta présence, habile à me charmer, Il me fut révélé que je pouvais aimer. " Soit que tes yeux, voilés d'une ombre de tristesse, Aient entendu les miens qui les cherchaient sans cesse, 55 Soit que ton origine, aussi douce que toi, T'ait fait une patrie un peu plus près de moi, Je ne sais, mais depuis l'heure qui te vit naÃtre, Dans tout être créé j'ai cru te reconnaÃtre; J'ai trois fois en pleurant passé dans l'Univers; 60 Je te cherchais partout dans un souffle des airs, Dans un rayon tombé du disque de la lune, Dans l'étoile qui fuit le ciel qui l'importune, Dans l'arc-en-ciel, passage aux Anges familier, Ou sur le lit moelleux des neiges du glacier; 65 Des parfums de ton vol je respirais la trace; En vain j'interrogeai les globes de l'espace, Du char des astres purs j'obscurcis les essieux, Je voilai leurs rayons pour attirer tes yeux, J'osai même, enhardi par mon nouveau délire, 70 Toucher les fibres d'or de la céleste lyre. Mais tu n'entendis rien, mais tu ne me vis pas. Je revins à la terre, et je glissai mes pas Sous les abris de l'homme où tu reçus naissance. Je croyais t'y trouver protégeant l'innocence, 75 Au berceau balancé d'un enfant endormi, RafraÃchissant sa lèvre avec un souffle ami; Ou bien comme un rideau développant ton aile, Et gardant contre moi, timide sentinelle, Le sommeil de la vierge aux côtés de sa soeur, 80 Qui, rêvant, sur son sein la presse avec douceur. Mais seul je retournai sous ma belle demeure, J'y pleurai comme ici, j'y gémis, jusqu'à l'heure Où le son de ton vol m'émut, me fit trembler, Comme un prêtre qui sent que son Dieu va parler. " 85 Il disait; et bientôt comme une jeune reine, Qui rougit de plaisir au nom de souveraine, Et fait à ses sujets un geste gracieux, Ou donne à leurs transports un regard de ses yeux, Éloa, soulevant le voile de sa tête, 90 Avec un doux sourire à lui parler s'apprête, Descend plus près de lui, se penche, et mollement Contemple avec orgueil son immortel amant. Son beau sein, comme un flot qui sur la rive expire, Pour la première fois se soulève et soupire; 95 Son bras, comme un lis blanc sur le lac suspendu, S'approche sans effroi lentement étendu; Sa bouche parfumée en s'ouvrant semble éclore, Comme la jeune rose aux faveurs de l'aurore, Quand, le matin lui verse une fraÃche liqueur, 100 Et qu'un rayon du jour entre jusqu'à son coeur. Elle parle, et sa voix dans un beau son rassemble Ce que les plus doux bruits auraient de grâce ensemble; Et la lyre accordée aux flûtes dans les bois, Et l'oiseau qui se plaint pour la première fois, 105 Et la mer quand ses flots apportent sur la grève Les chants du soir aux pieds du voyageur qui rêve, Et le vent qui se joue aux cloches des hameaux, Ou fait gémir les joncs de la fuite des eau " Puisque vous êtes beau, vous êtes bon, sans doute; 110 Car, sitôt que des Cieux une âme prend la route, Comme un saint vêtement nous voyons sa bonté Lui donner en entrant l'éternelle beauté. Mais pourquoi vos discours m'inspirent-ils la crainte? Pourquoi sur votre front tant de douleur empreinte? 115 Comment avez-vous pu descendre du Saint Lieu? Et comment m'aimez-vous, si vous n'aimez pas Dieu? " Le trouble des regards, grâce de la décence, Accompagnait ces mots, forts comme l'innocence; Ils tombaient de sa bouche, aussi doux, aussi purs, 120 Que la neige en hiver sur les coteaux obscurs; Et comme, tout nourris de l'essence première, Les anges ont au coeur des sources de lumière, Tandis qu'elle parlait, ses ailes à l'entour, Et son sein et son bras répandirent le jour 125 Ainsi le diamant luit au milieu des ombres. L'archange s'en effraye, et sous ses cheveux sombres Cherche un épais refuge à ses yeux éblouis; Il pense qu'à la fin des temps évanouis, Il lui faudra de même envisager son maÃtre, 130 Et qu'un regard de Dieu le brisera peut-être; Il se rappelle aussi tout ce qu'il a souffert Après avoir tenté Jésus dans le désert. Il tremble; sur son coeur où l'enfer recommence, Comme un sombre manteau jette son aile immense, 135 Et veut fuir. La terreur réveillait tous ses maux. Sur la neige des monts, couronne des hameaux, L'Espagnol a blessé l'aigle des Asturies, Dont le vol menaçait ses blanches bergeries; Hérissé, l'oiseau part et fait pleuvoir le sang, 140 Monte aussi vite au ciel que l'éclair en descend, Regarde son Soleil, d'un bec ouvert l'aspire, Croit reprendre la vie au flamboyant empire; Dans un fluide d'or il nage puissamment, Et parmi les rayons se balance un moment; 145 Mais l'homme l'a frappé d'une atteinte trop sûre; Il sent le plomb chasseur fondre dans sa blessure; Son aile se dépouille, et son royal manteau Vole comme un duvet qu'arrache le couteau. Dépossédé des airs, son poids le précipite; 150 Dans la neige du mont il s'enfonce et palpite, Et la glace terrestre a d'un pesant sommeil Fermé cet oeil puissant respecté du Soleil. Tel, retrouvant ses maux au fond de sa mémoire, L'Ange maudit pencha sa chevelure noire, 155 Et se dit, pénétré d'un chagrin infernal " Triste amour du péché! sombres désirs du mal! De l'orgueil, du savoir gigantesques pensées! Comment ai-je connu vos ardeurs insensées? Maudit soit le moment où j'ai mesuré Dieu! 160 Simplicité du coeur, à qui j'ai dit adieu! Je tremble devant toi, mais pourtant je t'adore; Je suis moins criminel puisque je t'aime encore; Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas! Loin de ce que j'étais, quoi! j'ai fait tant de pas! 165 Et de moi-même à moi si grande est la distance, Que je ne comprends plus ce que dit l'innocence; Je souffre, et mon esprit, par le mal abattu, Ne peut plus remonter jusqu'à tant de vertu. " Qu'êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes? 170 Quand j'allais, le premier de ces Anges modestes, Prier à deux genoux devant l'antique loi, Et ne pensais jamais au delà de la foi? L'éternité pour moi s'ouvrait comme une fête; Et, des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête, 175 Je souriais, j'étais... J'aurais peut-être aimé! " Le Tentateur lui-même était presque charmé; Il avait oublié son art et sa victime, Et son coeur un moment se reposa du crime. Il répétait tout bas, et le front dans ses mains 180 " Si je vous connaissais, ô larmes des humains! " Ah! si dans ce moment la Vierge eût pu l'entendre, Si la céleste main qu'elle eût osé lui tendre L'eût saisi repentant, docile à remonter... Qui sait? le mal peut-être eût cessé d'exister. 185 Mais, sitôt qu'elle vit sur sa tête pensive De l'Enfer décelé la douleur convulsive, Étonnée et tremblante, elle éleva ses yeux; Plus forte, elle parut se souvenir des Cieux, Et souleva deux fois ses ailes argentées, 190 Entr'ouvrant pour gémir ses lèvres enchantées, Ainsi qu'un jeune enfant, s'attachant aux roseaux, Tente de faibles cris étouffés sous les eaux. Il la vit prête à fuir vers les Cieux de lumière. Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière, 195 Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais, Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais, Ce noir esprit du mal qu'irrite l'innocence, Il rougit d'avoir pu douter de sa puissance, Il rétablit la paix sur son front radieux, 200 Rallume tout à coup l'audace de ses yeux, Et longtemps en silence il regarde et contemple La victime du Ciel qu'il destine à son temple; Comme pour lui montrer qu'elle résiste en vain, Et s'endurcir lui-même à ce regard divin. 205 Sans amours, sans remords, au fond d'un coeur de glace, Des coups qu'il va porter il médite la place, Et, pareil au guerrier qui, tranquille à dessein, Dans les défauts du fer cherche à frapper le sein, Il compose ses traits sur les désirs de l'ange; 210 Son air, sa voix, son geste et son maintien, tout change Sans venir de son coeur, des pleurs fallacieux Paraissent tout à coup sur le bord de ses yeux. La vierge dans le Ciel n'avait pas vu de larmes, Et s'arrête; un soupir augmente ses alarmes. 215 Il pleure amèrement comme un homme exilé, Comme une veuve auprès de son fils immolé; Ses cheveux dénoués sont épars; rien n'arrête Les sanglots de son sein qui soulèvent sa tête. Éloa vient et pleure; ils se parlent ainsi 220 " Que vous ai-je donc fait? Qu'avez-vous? Me voici. - Tu cherches à me fuir, et pour toujours peut-être. Combien tu me punis de m'être fait connaÃtre! - J'aimerais mieux rester; mais le Seigneur m'attend. Je veux parler pour vous, souvent il nous entend. 225 - Il ne peut rien sur moi, jamais mon sort ne change, Et toi seule es le Dieu qui peut sauver un Ange. - Que puis-je faire? Hélas! dites, faut-il rester? - Oui, descends jusqu'à moi, car je ne puis monter. - Mais quel don voulez-vous? - Le plus beau, c'est nous-mêmes. 230 Viens! - M'exiler du Ciel? - Qu'importe, si tu m'aimes? Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal Se confondront pour nous et le bien et le mal. Tu n'as jamais compris ce qu'on trouve de charmes A présenter son sein pour y cacher des larmes. 235 Viens, il est un bonheur que moi seul t'apprendrai; Tu m'ouvriras ton âme, et je l'y répandrai. Comme l'aube et la lune au couchant reposée Confondent leurs rayons, ou comme la rosée Dans une perle seule unit deux de ses pleurs 240 Pour s'empreindre du baume exhalé par les fleurs, Comme un double flambeau réunit ses deux flammes, Non moins étroitement nous unirons nos âmes. - Je t'aime et je descends. Mais que diront les Cieux? " En ce moment passa dans l'air, loin de leurs yeux, 245 Un des célestes choeurs, où, parmi les louanges, On entendit ces mots que répétaient des Anges " Gloire dans l'Univers, dans les Temps, à celui Qui s'immole à jamais pour le salut d'autrui. " Les Cieux semblaient parler. C'en était trop pour elle. 250 Deux fois encor levant sa paupière infidèle, Promenant des regards encore irrésolus, Elle chercha ses Cieux qu'elle ne voyait plus. Des Anges au Chaos allaient puiser des mondes. Passant avec terreur dans ses plaines profondes, 255 Tandis qu'ils remplissaient les messages de Dieu, Ils ont tous vu tomber un nuage de feu. Des plaintes de douleur, des réponses cruelles, Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes. " Où me conduisez-vous, bel Ange? - Viens toujours. 260 - Que votre voix est triste, et quel sombre discours! N'est-ce pas Éloa qui soulève ta chaÃne? J'ai cru t'avoir sauvé. - Non, c'est moi qui t'entraÃne. - Si nous sommes unis, peu m'importe en quel lieu! Nomme-moi donc encore ou ta soeur ou ton Dieu! 265 - J'enlève mon esclave et je tiens ma victime. - Tu paraissais si bon! Oh! qu'ai-je fait? - Un crime. - Seras-tu plus heureux? du moins es-tu content? - Plus triste que jamais. - Qui donc es-tu? - Satan. " Écrit en 1823, dans les Vosges. LE DÉLUGE MYSTÈRE. " Serait-il dit que vous fassiez mourir le juste avec le méchant ? " Genèse. I La Terre était riante et dans sa fleur première; Le jour avait encor cette même lumière Qui du Ciel embelli couronna les hauteurs Quand Dieu la fit tomber de ses doigts créateurs. 5 Rien n'avait dans sa forme altéré la nature, Et des monts réguliers l'immense architecture S'élevait jusqu'aux Cieux par ses degrés égaux, Sans que rien de leur chaÃne eût brisé les anneaux. La forêt, plus féconde, ombrageait, sous ses dômes, 10 Des plaines et des fleurs les gracieux royaumes, Et des fleuves aux mers le cours était réglé Dans un ordre parfait qui n'était pas troublé. Jamais un voyageur n'aurait, sous le feuillage, Rencontré, loin des flots, l'émail du coquillage, 15 Et la perle habitait son palais de cristal Chaque trésor restait dans l'élément natal, Sans enfreindre jamais la céleste défense; Et la beauté du monde attestait son enfance; Tout suivait sa loi douce et son premier penchant, 20 Tout était pur encor. Mais l'homme était méchant. Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres, Avaient vu jusqu'au fond des sciences obscures; Les mortels savaient tout, et tout les affligeait; Le prince était sans joie ainsi que le sujet, 25 Trente religions avaient eu leurs prophètes, Leurs martyrs, leurs combats, leurs gloires, leurs défaites, Leur temps d'indifférence et leur siècle d'oubli; Chaque peuple, à son tour dans l'ombre enseveli, Chantait languissamment ses grandeurs effacées. 30 La mort régnait déjà dans les âmes glacées; Même plus haut que l'homme atteignaient ses malheurs. D'autres êtres cherchaient ses plaisirs et ses pleurs. Souvent, fruit inconnu d'un orgueilleux mélange, Au sein d'une mortelle on vit le fils d'un ange. [" Les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes celles qui leur avaient plu. " Gen., chap. VI, V. 2.] 35 Le crime universel s'élevait jusqu'aux cieux. Dieu s'attrista lui-même et détourna les yeux. Et cependant, un jour, au sommet solitaire Du mont sacré d'Arar, le plus haut de la Terre, Apparut une vierge et près d'elle un pasteur 40 Tous deux nés dans les champs, loin d'un peuple imposteur, Leur langage était doux, leurs mains étaient unies Comme au jour fortuné des unions bénies; Ils semblaient, en passant sur ces monts inconnus, Retourner vers le Ciel dont ils étaient venus; 45 Et, sans l'air de douleur, signe que Dieu nous laisse, Rien n'eût de leur nature indiqué la faiblesse, Tant les traits primitifs et leur simple beauté Avaient sur leur visage empreint de majesté. Quand du mont orageux ils touchèrent la cime, 50 La campagne à leurs pieds s'ouvrit comme un abÃme. C'était l'heure où la nuit laisse le Ciel au jour Les constellations pâlissaient tour à tour; Et, jetant à la Terre un regard triste encore, Couraient vers l'Orient se perdre dans l'aurore, 55 Comme si pour toujours elles quittaient les yeux Qui lisaient leur destin sur elles dans les Cieux. Le Soleil, dévoilant sa figure agrandie, S'éleva sur les bois comme un vaste incendie; Et la Terre aussitôt, s'agitant longuement, 60 Salua son retour par un gémissement. Réunis sur les monts, d'immobiles nuages Semblaient y préparer l'arsenal des orages; Et sur leurs fronts noircis qui partageaient les Cieux Luisait incessamment l'éclair silencieux. 65 Tous les oiseaux, poussés par quelque instinct funeste, S'unissaient dans leur vol en un cercle céleste; Comme des exilés qui se plaignent entre eux, Ils poussaient dans les airs de longs cris douloureux. La Terre cependant montrait ses lignes sombres 70 Au jour pâle et sanglant qui faisait fuir les ombres; Mais, si l'homme y passait, on ne pouvait le voir Chaque cité semblait comme un point vague et noir, Tant le mont s'élevait à des hauteurs immenses Et des fleuves lointains les faibles apparences 75 Ressemblaient au dessin par le vent effacé Que le doigt d'un enfant sur le sable a tracé. Ce fut là que deux voix, dans le désert perdues, Dans les hauteurs de l'air avec peine entendues, Osèrent un moment prononcer tour à tour 80 Ce dernier entretien d'innocence et d'amour - " Comme la Terre est belle en sa rondeur immense! La vois-tu qui s'étend jusqu'où le Ciel commence? La vois-tu s'embellir de toutes ses couleurs? Respire un jour encor le parfum de ses fleurs, 85 Que le vent matinal apporte à nos montagnes. On dirait aujourd'hui que les vastes campagnes Élèvent leur encens, étalent leur beauté, Pour toucher, s'il se peut, le Seigneur irrité. Mais les vapeurs du ciel, comme de noirs fantômes, 90 Amènent tous ces bruits, ces lugubres symptômes Qui devaient, sans manquer au moment attendu, Annoncer l'agonie à l'univers perdu. Viens, tandis que l'horreur partout nous environne, Et qu'une vaste nuit lentement nous couronne, 95 Viens, ô ma bien-aimée! et, fermant tes beaux yeux, Qu'épouvante l'aspect du désordre des cieux, Sur mon sein, sous mes bras repose encor ta tête, Comme l'oiseau qui dort au sein de la tempête; Je te dirai l'instant où le ciel sourira, 100 Et durant le péril ma voix te parlera. " La vierge sur son coeur pencha sa tête blonde; Un bruit régnait au loin, pareil au bruit de l'onde, Mais tout était paisible et tout dormait dans l'air; Rien ne semblait vivant, rien, excepté l'éclair. 105 Le pasteur poursuivit d'une voix solennelle " Adieu, monde sans borne, ô terre maternelle! Formes de l'horizon, ombrages des forêts, Antres de la montagne, embaumés et secrets; Gazons verts, belles fleurs de l'Oasis chérie, 110 Arbres, rochers connus, aspects de la patrie! Adieu! tout va finir, tout doit être effacé, Le temps qu'a reçu l'homme est aujourd'hui passé; Demain rien ne sera. Ce n'est point par l'épée, Postérité d'Adam, que tu seras frappée, 115 Ni par les maux du corps ou les chagrins du coeur; Non, c'est un élément qui sera ton vainqueur. La Terre va mourir sous des eaux éternelles, Et l'Ange en la cherchant fatiguera ses ailes. Toujours succédera, dans l'Univers sans bruits, 120 Au silence des jours le silence des nuits. L'inutile Soleil, si le matin l'amène, N'entendra plus la voix et la parole humaine; Et quand sur un flot mort sa flamme aura relui, Le stérile rayon remontera vers lui. 125 Oh! pourquoi de mes yeux a-t-on levé les voiles? Comment ai-je connu le secret des étoiles? Science du désert, annales des pasteurs! Cette nuit, parcourant vos divines hauteurs Dont l'Égypte et Dieu seul connaissent le mystère, 130 Je cherchais dans le Ciel l'avenir de la terre; Ma houlette savante, orgueil de nos bergers, Traçait l'ordre éternel sur les sables légers, Comparant, pour fixer l'heure où l'étoile passe, Les cailloux de la plaine aux lueurs de l'espace. 135 " Mais un ange a paru dans la nuit sans sommeil; Il avait de son front quitté l'éclat vermeil, Il pleurait, et disait dans sa douleur amère " Que n'ai-je pu mourir lorsque mourut ta mère! " J'ai failli, je l'aimais. Dieu punit cet amour, 140 " Elle fut enlevée en te laissant au jour. " Le nom d'Emmanuel que la terre te donne, " C'est mon nom. J'ai prié pour que Dieu te pardonne; " Va seul au mont Arar, prends ses rocs pour autels, " Prie, et seul, sans songer au destin des mortels, 145 " Tiens toujours tes regards plus hauts que sur la Terre; " La mort de l'Innocence est pour l'homme un mystère; " Ne t'en étonne pas, n'y porte pas tes yeux; " La pitié du mortel n'est point celle des Cieux. " Dieu ne fait point de pacte avec la race humaine; 150 " Qui créa sans amour fera périr sans haine. " Sois seul, si Dieu m'entend, je viens. " Il m'a quitté; Avec combien de pleurs, hélas! l'ai-je écouté! J'ai monté sur l'Arar, mais avec une femme. " Sara lui dit " Ton âme est semblable à mon âme, 155 Car un mortel m'a dit " Venez sur Gelboé, " Je me nomme Japhet, et mon père est Noé. " Devenez mon épouse, et vous serez sa fille; " Tout va périr demain, si ce n'est ma famille. " Et moi je l'ai quitté sans avoir répondu, 160 De peur qu'Emmanuel n'eût longtemps attendu. " Puis tous deux embrassés, ils se dirent ensemble " Ah! louons l'Éternel, il punit, mais rassemble! " Le tonnerre grondait; et tous deux à genoux S'écrièrent alors " Ô Seigneur, jugez-nous! " II LE DÉLUGE. 165 Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent, Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent, Et du sombre horizon dépassant la hauteur, Des vengeances de Dieu l'immense exécuteur, L'Océan apparut. Bouillonnant et superbe, 170 EntraÃnant les forêts comme le sable et l'herbe, De la plaine inondée envahissant le fond, Il se couche en vainqueur dans le désert profond, Apportant avec lui comme de grands trophées Les débris inconnus des villes étouffées, 175 Et là bientôt plus calme en son accroissement, Semble, dans ses travaux, s'arrêter un moment, Et se plaire à mêler, à briser sur son onde Les membres arrachés au cadavre du Monde. Ce fut alors qu'on vit des hôtes inconnus 180 Sur les bords étrangers tout à coup survenus; Le cèdre jusqu'au Nord vint écraser le saule; Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle, Heurtèrent l'éléphant près du Nil endormi, Et le monstre, que l'eau soulevait à demi, 185 S'étonna d'écraser, dans sa lutte contre elle, Une vague où nageaient le tigre et la gazelle. En vain des larges flots repoussant les premiers, Sa trompe tournoyante arracha les palmiers; Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides, 190 Regrettant ses roseaux et ses sables arides, Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert, Et jusqu'au vent de flamme exilé du désert. Dans l'effroi général de toute créature, La plus féroce même oubliait sa nature; 195 Les animaux n'osaient ni ramper ni courir; Chacun d'eux résigné se coucha pour mourir, En vain fuyant aux cieux l'eau sur ses rocs venue L'aigle tomba des airs, repoussé par la nue. Le péril confondit tous les êtres tremblants. 200 L'homme seul se livrait à des projets sanglants. Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre, Se disputaient longtemps les restes de la terre; Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis. 205 Alors un ennemi plus terrible que l'onde Vint achever partout la défaite du monde; La faim de tous les coeurs chassa les passions; Les malheureux, vivants après leurs nations, N'avaient qu'une pensée, effroyable torture, 210 L'approche de la mort, la mort sans sépulture. On vit sur un esquif, de mers en mers jeté, L'oeil affamé du fort sur le faible arrêté; Des femmes, à grands cris, insultant la nature, Y réclamaient du sort leur humaine pâture; 215 L'athée, épouvanté de voir Dieu triomphant, Puisait un jour de vie aux veines d'un enfant; Des derniers réprouvés telle fut l'agonie. L'amour survivait seul à la bonté bannie; Ceux qu'unissaient entre eux des serments mutuels, 220 Et que persécutait la haine des mortels, S'offraient ensemble à l'onde avec un front tranquille, Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile. Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas, Pour sauver ses enfants l'ange ne venait pas; 225 En vain le cherchaient-ils les vents et les orages N'apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages. Cependant sous les flots montés également Tout avait par degrés disparu lentement Les cités n'étaient plus, rien ne vivait, et l'onde 230 Ne donnait qu'un aspect à la face du monde. Seulement quelquefois sur l'élément profond Un palais englouti montrait l'or de son front; Quelques dômes, pareils à de magiques Ãles, Restaient pour attester la splendeur de leurs villes. 235 Là parurent encore un moment deux mortels L'un, la honte d'un trône, et l'autre, des autels; L'un se tenant au bras de sa propre statue, L'autre au temple élevé d'une idole abattue. Tous deux jusqu'à la mort s'accusèrent en vain 240 De l'avoir attirée avec le flot divin. Plus loin, et contemplant la solitude humide, Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide. Dans l'immense tombeau, s'était d'abord sauvé Tout son peuple ouvrier qui l'avait élevé; 245 Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes, Avait tout arraché du fond des catacombes; Les mourants et les dieux, les spectres immortels, Et la race embaumée, et le sphinx des autels; Et ce roi fut jeté sur les sombres momies 250 Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies. Expirant, il gémit de voir à son côté Passer ses demi-dieux sans immortalité, Dérobés à la mort, mais reconquis par elle Sous les palais profonds de leur tombe éternelle; 255 Il eut le temps encor de penser une fois Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois, Qu'un seul jour désormais comprendrait leur histoire, Car la postérité mourait avec leur gloire. L'arche de Dieu passa comme un palais errant. 260 Le voyant assiégé par les flots du courant, Le dernier des enfants de la famille élue Lui tendit en secret sa main irrésolue, Mais d'un dernier effort " Va-t'en, lui cria-t-il De ton lâche salut je refuse l'exil; 265 Va, sur quelques rochers qu'aura dédaignés l'onde, Construire tes cités sur le tombeau du monde; Mon peuple mort est 1à , sous la mer je suis roi. Moins coupables que ceux qui descendront de toi, Pour étonner tes fils sous ces plaines humides, 270 Mes géants [" Or, il y avait des géants sur la terre. Car, depuis que les fils de Dieu eurent épousé les filles des hommes, il en sortit des enfants fameux et puissants dans le siècle. " Genèse, ch. VI, V. 4] glorieux laissent les pyramides; Et sur le haut des monts leurs vastes ossements, De ces rivaux du Ciel terribles monuments, Trouvés dans les débris de la terre inondée, Viendront humilier ta race dégradée. " 275 Il disait, s'essayant par le geste et la voix, A l'air impérieux des hommes qui sont rois, Quand, roulé sur la pierre et touché par la foudre, Sur sa tombe immobile il fut réduit en poudre. Mais sur le mont Arar l'ange ne venait pas; 280 L'eau faisait sur les rocs de gigantesques pas, Et ses flots rugissants vers le mont solitaire Apportaient avec eux tous les bruits du tonnerre. Enfin le fléau lent qui frappait les humains Couvrit le dernier point des oeuvres de leurs mains; 285 Les montagnes, bientôt par l'onde escaladées, Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées. Le volcan s'éteignit, et le feu périssant Voulut en vain y rendre un combat impuissant, A l'élément vainqueur il céda le cratère, 290 Et sortit en fumant des veines de la Terre. III LA MORT DES JUSTES. Rien ne se voyait plus, pas même des débris; L'univers écrasé ne jetait plus ses cris. Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages, On vit se disperser l'épaisseur des orages; 295 Et les rayons du jour, dévoilant leur trésor, Lançaient jusqu'à la mer des jets d'opale et d'or; La vague était paisible, et molle et cadencée, En berceaux de cristal mollement balancée ; Les vents, sans résistance, étaient silencieux; 300 La foudre, sans échos, expirait dans les cieux; Les cieux devenaient purs, et, réfléchis dans l'onde, Teignaient d'un azur clair l'immensité profonde. Tout s'était englouti sous les flots triomphants; Déplorable spectacle! excepté deux enfants. 305 Sur le sommet d'Arar tous deux étaient encore, Mais par l'onde et les vents battus depuis l'aurore. Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin, La vierge était tombée aux bras de l'orphelin; Et lui, gardant toujours sa tête évanouie, 310 Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie. Cependant, lorsqu'enfin le soleil renaissant Fit tomber un rayon sur son front innocent, Par la beauté du jour un moment abusée, Comme un lis abattu, secouant la rosée, 315 Elle entr'ouvrit les yeux et dit " Emmanuel! Avons-nous obtenu la clémence du Ciel? J'aperçois dans l'azur la colombe qui passe; Elle porte un rameau; Dieu nous a-t-il fait grâce? - La colombe est passée et ne vient pas à nous. 320 - Emmanuel, la mer a touché mes genoux. - Dieu nous attend ailleurs à l'abri des tempêtes. - Vois-tu l'eau sur nos pieds? - Vois le ciel sur nos têtes. - Ton père ne vient pas; nous serons donc punis? - Sans doute après la mort nous serons réunis. 325 - Venez, Ange du Ciel, et prêtez-lui vos ailes! - Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles! " Ce fut le dernier cri du dernier des humains. Longtemps, sur l'eau croissante élevant ses deux mains. Il soutenait Sara par les flots poursuivie; 330 Mais, quand il eut perdu sa force avec la vie, Par le ciel et la mer le monde fut rempli, Et l'arc-en-ciel brilla, tout étant accompli. Écrit à Oloron, dans les Pyrénées, en 1823. LIVRE ANTIQUE ANTIQUITÉ BIBLIQUE LA FILLE DE JEPHTÉ POÈME. " Et de là vient la coutume qui s'est toujours observée depuis en IsraÃl, " Que toutes les filles d'IsraÃl s'assemblent une fois l'année, pour pleurer la fille de Jephté de Galaad pendant quatre jours. " Juges, ch. IX, V. 40. Voilà ce qu'ont chanté les filles d'IsraÃl, Et leurs pleurs ont coulé sur l'herbe du Carmel - Jephté de Galaad a ravagé trois villes; Abel! la flamme a lui sur tes vignes fertiles! 5 AroÃr sous la cendre éteignit ses chansons, Et Mennith s'est assise en pleurant ses moissons! Tous les guerriers d'Ammon sont détruits, et leur terre Du Seigneur notre Dieu reste la tributaire. IsraÃl est vainqueur, et par ses cris perçants 10 ReconnaÃt du Très-Haut les secours tout-puissants. À l'hymne universel que le désert répète Se mêle en longs éclats le son de la trompette, Et l'armée, en marchant vers les tours de Maspha, Leur raconte de loin que Jephté triompha. 15 Le peuple tout entier tressaille de la fête. - Mais le sombre vainqueur marche en baissant la tête; Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux, Tout à coup il s'arrête, il a fermé ses yeux. Il a fermé ses yeux, car, au loin, de la ville, 20 Les vierges, en chantant, d'un pas lent et tranquille, Venaient; il entrevoit le choeur religieux; C'est pourquoi, plein de crainte, il a fermé ses yeux. Il entend le concert qui s'approche et l'honore La harpe harmonieuse et le tambour sonore, 25 Et la lyre aux dix voix, et le kinnor, léger, Et les sons argentins du nebel étranger, Puis, de plus près, les chants, leurs paroles pieuses, Et les pas mesurés en des danses joyeuses, Et, par des bruits flatteurs, les mains frappant les mains, 30 Et de rameaux fleuris parfumant les chemins. Ses genoux ont tremblé sous le poids de ses armes; Sa paupière s'entr'ouvre à ses premières larmes C'est que, parmi les voix, le père a reconnu La voix la plus aimée à ce chant ingénu 35 - " Ô vierges d'IsraÃl! ma couronne s'apprête La première à parer les cheveux de sa tête; C'est mon père, et jamais un autre enfant que moi N'augmenta la famille heureuse sous sa loi. " Et ses bras à Jephté donnés avec tendresse, 40 Suspendant à son col leur pieuse caresse " Mon père, embrassez-moi! D'où naissent vos retards? Je ne vois que vos pleurs et non pas vos regards. Je n'ai point oublié l'encens du sacrifice J'offrais pour vous hier la naissante génisse. 45 Qui peut vous affliger? Le Seigneur n'a-t-il pas Renversé les cités au seul bruit de vos pas? " - " C'est vous, hélas! c'est vous, ma fille bien-aimée? " Dit le père en rouvrant sa paupière enflammée; " Faut-il que ce soit vous! ô douleur des douleurs! 50 Que vos embrassements feront couler de pleurs! Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance; En échange du crime il vous faut l'innocence. C'est la vapeur du sang qui plaÃt au Dieu jaloux! Je lui dois une hostie, ô ma fille! et c'est vous! 55 - " Moi! " dit-elle. Et ses yeux se remplirent de larmes. Elle était jeune et belle, et la vie a des charmes. Puis elle répondit " Oh! si votre serment Dispose de mes jours, permettez seulement " " Qu'emmenant avec moi les vierges mes compagnes, 60 J'aille, deux mois entiers, sur le haut des montagnes, Pour la dernière fois, errante en liberté, Pleurer sur ma jeunesse et ma virginité! " " Car je n'aurai jamais, de mes mains orgueilleuses, Purifié mon fils sous les eaux merveilleuses; 65 Vous n'aurez pas béni sa venue, et mes pleurs Et mes chants n'auront pas endormi ses douleurs; " Et, le jour de ma mort, nulle vierge jalouse Ne viendra demander de qui je fus l'épouse, Quel guerrier prend pour moi le cilice et le deuil 70 Et seul vous pleurerez autour de mon cercueil. " Après ces mots, l'armée assise tout entière Pleurait, et sur son front répandait la poussière. Jephté sous un manteau tenait ses pleurs voilés; Mais, parmi les sanglots, on entendit " Allez " 75 Elle inclina la tête et partit. Ses compagnes, Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes, Puis elle vint s'offrir au couteau paternel. - Voilà ce qu'ont chanté les filles d'IsraÃl. Écrit en 1824. LA FEMME ADULTÈRE POÈME. " L'adultère attend le soir, et se dit " Aucun oeil ne me " verra; " et il se cache le visage, car la lumière est pour lui comme la mort. " Job, ch. XXIV, V. 15-17. I " Mon lit est parfumé d'aloès et de myrrhe; L'odorant cinnamome et le nard de Palmyre Ont chez moi de l'Égypte embaumé les tapis. J'ai placé sur mon front et l'or et le lapis; 5 Venez, mon bien-aimé, m'enivrer de délices Jusqu'à l'heure où le jour appelle aux sacrifices. Aujourd'hui que l'époux n'est plus dans la cité, Au nocturne bonheur soyez donc invité; Il est allé bien loin. " - C'était ainsi dans l'ombre, 10 Sur les toits aplanis et sous l'oranger sombre, Qu'une femme parlait, et son bras abaissé Montrait la porte étroite à l'amant empressé. Il a franchi le seuil où le cèdre s'entr'ouvre, Et qu'un verrou secret rapidement recouvre; 15 Puis ces mots ont frappé le cyprès des lambris " Voilà ces yeux si purs dont mes yeux sont épris! Votre front est semblable au lis de la vallée; De vos lèvres toujours la rose est exhalée. Que votre voix est douce et douces vos amours! 20 Oh! quittez ces colliers et ces brillants atours! - Non; ma main veut tarir cette humide rosée Que l'air sur vos cheveux a longtemps déposée C'est pour moi que ce front s'est glacé sous la nuit! - Mais ce coeur est brûlant, et l'amour l'a conduit. 25 Me voici devant vous, ô belle entre les belles! Qu'importent les dangers? que sont les nuits cruelles Quand du palmier d'amour le fruit va se cueillir, Quand sous mes doigts tremblants je le sens tressaillir? - Oui... Mais d'où vient ce cri, puis ces pas sur la pierre? 30 - C'est un des fils d'Aaron qui sonne la prière. Eh quoi! vous palissez! Que le feu du baiser Consume nos amours qu'il peut seul apaiser, Qu'il vienne remplacer cette crainte farouche, Et fermer au refus la pourpre de ta bouche!..." 35 On n'entendit plus rien, et les feux abrégés Dans les lampes d'airain moururent négligés. II Quand le soleil levant embrasa la campagne Et les verts oliviers de la sainte montagne, A cette heure paisible où les chameaux poudreux 40 Apportent du désert leur tribut aux Hébreux; Tandis que, de sa tente ouvrant la blanche toile, Le pasteur qui de l'aube a vu pâlir l'étoile Appelle sa famille au lever solennel, Et salue en ses chants le jour et l'Éternel; 45 Le séducteur, content du succès de son crime, Fuit l'ennui des plaisirs et sa jeune victime. Seule, elle reste assise, et son front sans couleur Du remords qui s'approche a déjà la pâleur Elle veut retenir cette nuit, sa complice, 50 Et la première aurore est son premier supplice Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu, S'étonna d'elle-même et douta de son Dieu. Elle joignit les mains, immobile et muette, Ses yeux toujours fixés sur la porte secrète; 55 Et semblable à la mort, seulement quelques pleurs Montraient encor sa vie en montrant ses douleurs. Telle Sodome a vu cette femme imprudente Frappée au jour où Dieu versa la pluie ardente, Et, brûlant d'un seul feu deux peuples détestés, 60 Éteignit leurs palais dans des flots empestés Elle voulut, bravant la céleste défense, Voir une fois encor les lieux de son enfance, Ou, peut-être, écoutant un coeur ambitieux, Surprendre d'un regard le grand secret des cieux; 65 Mais son pied tout à coup, à la fuite inhabile, Se fixe; elle pâlit sous un sel immobile, Et le juste vieillard, en marchant vers Ségor, N'entendit plus ses pas qu'il écoutait encor. Tel est le front glacé de la Juive infidèle. 70 Mais quel est cet enfant qui paraÃt auprès d'elle? Il voit des pleurs, il pleure, et, d'un geste incertain, Demande, comme hier, le baiser du matin. Sur ses pieds chancelants il s'avance, et, timide, De sa mère ose enfin presser la joue humide. 75 Qu'un baiser serait doux! elle veut l'essayer; Mais l'époux, dans le fils, la revient effrayer; Devant ce lit, ces murs et ces voûtes sacrées, Du secret conjugal encore pénétrées, Où vient de retentir un amour criminel, 80 Hélas! elle rougit de l'amour maternel, Et tremble de poser, dans cette chambre austère, Sur une bouche pure une lèvre adultère. Elle voulut parler, mais les sons de sa voix, Sourds et demi-formés, moururent à la fois, 85 Et sa parole éteinte et vaine fut suivie D'un soupir qui sembla le dernier de sa vie. Elle repousse alors son enfant étonné, Tant la honte a rempli son coeur désordonné! Elle entr'ouvre le seuil, mais là tombe abattue, 90 Telle que de sa base une blanche statue. III Ce jour-là , des remparts, on voyait revenir Un voyageur parti pour la ville de Tyr. Sa suite et ses chevaux montraient son opulence; Guidés nonchalamment par le fer d'une lance, 95 Fléchissaient sous leur poids, et l'onagre rayé, Et l'indolent chameau, par son guide effrayé; Et douze serviteurs, suivant l'étroite voie, Courbaient leurs fronts brûlés sous la pourpre et la soie; Et le maÃtre disait " Maintenant, Séphora 100 Cherche dans l'horizon si l'époux reviendra; Elle pleure, elle dit " Il est bien loin encore! " Des feux du jour pourtant le désert se colore! " Et du côté de Tyr je ne l'aperçois pas. " Mais elle va courir au-devant de mes pas; 105 Et je dirai " Tenez, livrez-vous à la joie! " Ces présents sont pour vous, et la pourpre et la soie, " Et les moelleux tapis, et l'ambre précieux, " Et l'acier des miroirs que souhaitaient vos yeux. " Voila ce qu'il disait, et de Sion la sainte 110 Traversait à grands pas la tortueuse enceinte. IV Tout Juda cependant, aux fêtes introduit, Vers le temple, en courant, se pressait à grand bruit Les vieillards, les enfants, les femmes affligées, Dans les longs repentirs et les larmes plongées, 115 Et celles que frappait un mal secret et lent, Et l'aveugle aux longs cris, et le boiteux tremblant, Et le lépreux impur, le dégoût de la terre, Tous, de leurs maux guéris racontant le mystère, Aux pieds de leur Sauveur l'adoraient prosternés. 120 Lui, né dans les douleurs, roi des infortunés, D'une féconde main prodiguait les miracles, Et de sa voix sortait une source d'oracles De la vie avec l'homme il partageait l'ennui, Venait trouver le pauvre et s'égalait à lui. 125 Quelques hommes, formés à sa divine école, Nés simples et grossiers, mais forts de sa parole, Le suivaient lentement, et son front sérieux Portait les feux divins en bandeaux glorieux. Par ses cheveux épars une femme entraÃnée, 130 Qu'entoure avec clameur la foule déchaÃnée, ParaÃt ses yeux brûlants au ciel sont dirigés, Ses yeux, car de longs fers ses bras nus sont chargés. Devant le Fils de l'Homme on l'amène en tumulte. Puis, provoquant l'erreur et méditant l'insulte, 135 Les scribes assemblés s'avancent, et l'un d'eux " MaÃtre, dit-il, jugez de ce péché hideux; Cette femme adultère est coupable et surprise Que doit faire IsraÃl de la loi de Moïse? " Et l'épouse infidèle attendait, et ses yeux 140 Semblaient chercher encor quelque autre dans ces lieux; Et la pierre à la main, la foule sanguinaire S'appelait, la montrait " C'est la femme adultère! Lapidez-la déjà le séducteur est mort! " Et la femme pleura. - Mais le juge d'abord 145 " Qu'un homme d'entre vous, dit-il, jette une pierre S'il se croÃt sans péché, qu'il jette la première! " Il dit, et, s'écartant des mobiles Hébreux, Apaisés par ces mots et déjà moins nombreux, Son doigt mystérieux, sur l'arène légère, 150 Écrivait une langue aux hommes étrangère, En caractères saints dans le Ciel retracés... Quand il se releva, tous s'étaient dispersés. Écrit en 1819. LE BAIN. FRAGMENT D'UN POÈME DE SUZANNE …………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… C'était près d'une source à l'onde pure et sombre, Le large sycomore y répandait son ombre. Là , Suzanne, cachée aux cieux déjà brûlants, Suspend sa rêverie et ses pas indolents, 5 Sur une jeune enfant que son amour protège S'appuie, et sa voix douce appelle le cortège Des filles de Juda, de Gad et de Ruben Qui doivent la servir et la descendre au bain; Et toutes à l'envi, rivales attentives, 10 Détachent sa parure entre leurs mains actives. L'une ôte la tiare où brille le saphir Dans l'éclat arrondi de l'or poli d'Ophir; Aux cheveux parfumés dérobe leurs longs voiles, Et la gaze brodée en tremblantes étoiles; 15 La perle, sur son front enlacée en bandeau, Ou pendante à l'oreille en mobile fardeau; Les colliers de rubis, et, par des bandelettes, L'ambre au cou suspendu dans l'or des cassolettes. L'autre fait succéder les tapis préparés 20 Aux cothurnes étroits dont ses pieds sont parés; Et, puisant l'eau du bain, d'avance elle en arrose Leurs doigts encore empreints de santal et de rose, Puis, tandis que Suzanne enlève lentement Les anneaux de ses mains, son plus cher ornement, 25 Libres des noeuds dorés dont sa poitrine est ceinte, Dégagés des lacets, le manteau d'hyacinthe, Et le lin pur et blanc comme la fleur du lis, Jusqu'à ses chastes pieds laissent couler leurs plis. Qu'elle fut belle alors! Une rougeur errante 30 Anima de son front la blancheur transparente; Car, sous l'arbre où du jour vient s'éteindre l'ardeur, Un oeil accoutumé blesse encore sa pudeur; Mais, soutenue enfin par une esclave noire, Dans un cristal liquide on croirait que l'ivoire 35 Se plonge, quand son corps, sous l'eau même éclairé, Du ruisseau pur et frais touche le fond doré. ANTIQUITÉ HOMÉRIQUE LE SOMNAMBULE. POÈME. A M. SOUMET Auteur de Clytemnestre et de Saül. " Ora di plhgaz tasde, cardiaz siqin. Eddousa gar jqhn ommasin lamprunitai, 'En hmerade moir' aprdscopoz brotw. " Aisculoz " O?a d? p????? t?sde, ?a?d?a? s????. Eddo?sa ??? f??? ?µµas?? ?aµp????ta?, 'E? ?µ??ad? µo??' ?p?ds?opo? ß??t?. " ?s?????. " Voyez, en esprit, ces blessures l'esprit, quand on dort, a des yeux, et, quand on veille, il est aveugle. " ESCHYLE. " Déjà , mon jeune époux? Quoi! l'aube paraÃt-elle? Non; la lumière, au fond de l'albâtre, étincelle Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux; La nuit règne profonde et noire dans les cieux. 5 Vois, la Clepsydre encor n'a pas versé trois heures; Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures, Viens, dors près de mon sein. " Mais lui, furtif et lent, Descend du lit d'ivoire et d'or étincelant. Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante, 10 Dont il garde les feux dans sa main transparente, Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas, L'oeil ouvert, immobile, en murmurant tout bas " Je la vois, la parjure!... Interrompez vos fêtes, Aux mânes un autel... des cyprès sur vos têtes... 15 Ouvrez, ouvrez la tombe... Allons... qui descendra? " Cependant à genoux et tremblante, Néra, Ses blonds cheveux épars, se traÃne. " Arrête, écoute, Arrête, ami! les dieux te poursuivent, sans doute; Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi; 20 Vois, c'est moi, ton épouse en larmes devant toi; Mais tu fuis; par tes cris ma voix est étouffée! Phoebé, pardonnez-lui; pardonne-lui, Morphée. " " J'irai... je frapperai... le glaive est dans ma main; Tous les deux... Pollion... c'est un jeune Romain... 25 Il ne résiste pas. Dieux ! qu'il est faible encor! D'un blond duvet, son front à peine se décore, L'amour a couronné ce luxe éblouissant... Écartez ce manteau, je ne vois pas le sang. " Mais elle " Ô mon amant! compagnon de ma vie! 30 Des foyers maternels si ton char m'a ravie Tremblante mais complice, et si nos voeux sacrés Ont fait luire à l'Hymen des feux prématurés, Par cette sainte amour nouvellement jurée, Par l'antique Vesta, par l'immortelle Rhée 35 Dont j'embrasse l'autel, jamais nulle autre ardeur De mes pieux serments n'altéra la candeur; Non, jamais Pénélope, à l'aiguille pudique, Plus chaste n'a vécu sous la foi domestique. Pollion, quel est-il? - Je tiens tes longs cheveux... 40 Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux, Corinne, tu mourras... - Ce n'est pas moi! Ma mère, Il ne m'a point aimée! Oh! ta sainte colère A comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours! Que n'ai-je cru ma mère, et ses prudents discours? 45 Je ne détourne plus ta sacrilège épée; Tiens, frappe, j'ai vécu, puisque tu m'as trompée… Ah! Cruel!... mon sang coule!... Ah! reçois mes adieux, Puisses-tu ne jamais t'éveiller! - Justes dieux! " Écrit en 1819 LA DRYADE IDYLLE DANS LE GOUT DE THÉOCRITE Prwton men euch prosdeuw qewn Thn prwtomaten Gaian… Sidw di Numjaz… Aisculoz ???to? µ?? e??? p?osde?? ???? T?? p??toµate? Ga?a?… S?d? d? ??µfa?… ?s?????. " Honorons d'abord la Terre, qui, la première entre les dieux, rendit ici les oracles... " J'adore aussi les nymphes. " ESCHYLE. Vois-tu ce vieux tronc d'arbre aux immenses racines? Jadis il s'anima de paroles divines; Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu. Et la dryade aussi, comme l'arbre, a vécu. 5 Car, tu le sais, berger, ces déesses fragiles, Envieuses des jeux et des danses agiles, Sous l'écorce d'un bois où les fixa le sort, Reçoivent avec lui la naissance et la mort. Celle dont la présence enflamma ces bocages 10 Répondait aux pasteurs du sein de verts feuillages, Et, par des bruits secrets, mélodieux et sourds, Donnait le prix du chant ou jugeait les amours. Bathylle aux blonds cheveux, Ménalque aux noires tresses, Un jour lui racontaient leurs rivales tendresses. 15 L'un parait son front blanc de myrte et de lotus; L'autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus, Offrait à la dryade une coupe d'argile; Et les roseaux chantants enchaÃnés par Bathylle, Ainsi que le dieu Pan l'enseignait aux mortels, 20 S'agitaient, suspendus aux verdoyants autels. J'entendis leur prière, et de leur simple histoire Les Muses et le temps m'ont laissé la mémoire. MÉNALQUE. Ô déesse propice! écoute, écoute-moi! Les faunes, les sylvains dansent autour de toi, 25 Quand Bacchus a reçu leur brillant sacrifice; Ombrage mes amours, ô déesse propice! BATHYLLE. Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux! Les vierges, le matin, dénouant leurs cheveux, Quand du brûlant amour la saison est prochaine, 30 T'adorent; je t'adore, ô dryade du chêne! MÉNALQUE. Que Liber protecteur, père des longs festins, Entoure de ses dons tes champêtres destins, Et qu'en écharpe d'or la vigne tortueuse Serpente autour de toi, fraÃche et voluptueuse! BATHYLLE. 35 Que Vénus te protège et t'épargne ses maux, Qu'elle anime, au printemps, tes superbes rameaux; Et, si de quelque amour, pour nous mystérieuse, Le charme te liait à quelque jeune yeuse, Que ses bras délicats et ses feuillages verts 40 A tes bras amoureux se mêlent dans les airs! MÉNALQUE. Ida! j'adore Ida, la légère bacchante Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d'acanthe, Sur le tigre, attaché par une griffe d'or, Roulent abandonnés; sa bouche rit encor 45 En chantant Évoé; sa démarche chancelle; Les pieds nus, ses genoux que la robe décèle, S'élancent, et son oeil, de feux étincelant, Brille comme Phébus sous le signe brûlant. BATHYLLE. C'est toi que je préfère, ô toi, vierge nouvelle, 50 Que l'heure du matin à nos désirs révèle! Quand la lune au front pur, reine des nuits d'été, Verse au gazon bleuâtre un regard argenté, Elle est moins belle encor que ta paupière blonde, Qu'un rayon chaste et doux sous son long voile inonde. MÉNALQUE. 55 Si le fier léopard, que les jeunes sylvains Attachent rugissant au char du dieu des vins, Voit amener au loin l'inquiète tigresse Que les faunes, troublés par la joyeuse ivresse, N'ont pas su dérober à ses regards brûlants, 60 Il s'arrête, il s'agite, et de ses cris roulants Les bois sont ébranlés; de sa gueule béante, L'écume coule à flots sur une langue ardente; Furieux, il bondit, il brise ses liens, Et le collier d'ivoire et les jougs phrygiens 65 Il part, et, dans les champs qu'écrasent ses caresses, Prodigue à ses amours de fougueuses tendresses. Ainsi, quand tu descends des cimes de nos bois, Ida! lorsque j'entends ta voix, ta jeune voix, Annoncer par des chants la fête bacchanale, 70 Je laisse les troupeaux, la bêche matinale, Et la vigne et la gerbe où mes jours sont liés Je pars, je cours, je tombe et je brûle à tes pieds. BATHYLLE. Quand la vive hirondelle est enfin réveillée, Elle sort de l'étang, encore toute mouillée, 75 Et, se montrant au jour avec un cri joyeux, Au charme d'un beau ciel, craintive, ouvre les yeux; Puis, sur le pâle saule, avec lenteur voltige, Interroge avec soin le bouton et la tige; Et, sûre du printemps, alors, et de l'amour, 80 Par des cris triomphants célèbre leur retour. Elle chante sa joie aux rochers, aux campagnes, Et, du fond des roseaux excitant ses compagnes " Venez! dit-elle; allons, paraissez, il est temps! Car voici la chaleur, et voici le printemps. " 85 Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère! Fouler de tes pieds nus la riante fougère, J'appelle autour de moi les pâtres nonchalants, A quitter le gazon, selon mes voeux, trop lents; Et crie, en te suivant dans ta course rebelle 90 " Venez! oh! venez voir comme Glycère est belle! " MÉNALQUE. Un jour, jour de Bacchus, loin des jeux égaré, Seule je la surpris au fond du bois sacré Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres, Des feuilles sur ses traits faisaient flotter les ombres; 95 Lascive, elle dormait sur le thyrse brisé; Une molle sueur, sur son front épuisé, Brillait comme la perle en gouttes transparentes, Et ses mains, autour d'elle, et sous le lin errantes, Touchant la coupe vide, et son sein tour à tour, 100 Redemandaient encore et Bacchus et l'Amour. BATHYLLE. Je vous adjure ici, nymphes de la Sicile, Dont les doigts, sous les fleurs, guident l'onde docile; Vous reçûtes ses dons, alors que sous nos bois, Rougissante, elle vint pour la première fois. 105 Ses bras blancs soutenaient sur sa tête inclinée L'amphore, oeuvre divine aux fêtes destinée, Qu'emplit la molle poire, et le raisin doré, Et la pêche au duvet de pourpre coloré; Des pasteurs empressés l'attention jalouse 110 L'entourait, murmurant le nom sacré d'épouse; Mais en vain nul regard ne flatta leur ardeur; Elle fut toute aux dieux et toute à la pudeur. Ici, je vis rouler la coupe aux flancs d'argile; Le chêne ému tremblait, la flûte de Bathylle 115 Brilla d'un feu divin; la dryade un moment, Joyeuse, fit entendre un long frémissement, Doux comme les échos dont la voix incertaine Murmure la chanson d'une flûte lointaine. Écrit en 1815. SYMÉTHA ÉLÉGIE A PICHALD Auteur de Léonidas et de Guillaume Tell. " Navire aux larges flancs de guirlandes ornés, Aux Dieux d'ivoire, aux mâts de roses couronnés, Oh! qu'Éole, du moins, soit facile à tes voiles! Montrez vos feux amis, fraternelles étoiles! 5 Jusqu'au port de Lesbos guidez le nautonier, Et de mes voeux pour elle exaucez le dernier Je vais mourir, hélas! Symétha s'est fiée Aux flots profonds; l'Attique est par elle oubliée. Insensée! elle fuit nos bords mélodieux, 10 Et les bois odorants, berceaux des demi-Dieux, Et les choeurs cadencés dans les molles prairies, Et, sous les marbres frais, les saintes Théories. Nous ne la verrons plus, au pied du Parthénon, Invoquer Athénée, en répétant son nom; 15 Et, d'une main timide, à nos rites fidèle, Ses longs cheveux dorés couronnés d'asphodèle, Consacrer ou le voile, ou le vase d'argent, Ou la pourpre attachée au fuseau diligent. Ô vierge de Lesbos! que ton Ãle abhorrée 20 S'engloutisse dans l'onde à jamais ignorée, Avant que ton navire ait pu toucher ses bords! Qu'y vas-tu faire? Hélas! quel palais, quels trésors Te vaudront notre amour? Vierge, qu'y vas-tu faire? N'es-tu pas, Lesbienne, à Lesbos étrangère? 25 Athène a vu longtemps s'accroÃtre ta beauté, Et, depuis que trois fois t'éclaira son été, Ton front s'est élevé jusqu'au front de ta mère; Ici, loin des chagrins de ton enfance amère, Les Muses t'ont souri. Les doux chants de ta voix 30 Sont nés Athéniens; c'est ici, sous nos bois, Que l'amour t'enseigna le joug que tu m'imposes; Pour toi mon seuil joyeux s'est revêtu de roses. " " Tu pars; et cependant m'as-tu toujours haï, Symétha? Non, ton coeur quelquefois s'est trahi; 35 Car, lorsqu'un mot flatteur abordait ton oreille, La pudeur souriait sur ta lèvre vermeille; Je l'ai vu, ton sourire aussi beau que le jour; Et l'heure du sourire est l'heure de l'amour. Mais le flot sur le flot en mugissant s'élève, 40 Et voile à ma douleur le vaisseau qui t'enlève; C'en est fait, et mes pieds sont déjà chez les morts; Va, que Vénus du moins t'épargne le remords! Lie un nouvel hymen! va; pour moi, je succombe; Un jour, d'un pied ingrat tu fouleras ma tombe, 45 Si le destin vengeur te ramène en ces lieux Ornés du monument de tes cruels adieux. " - Dans le port du Pirée, un jour fut entendue Cette plainte innocente, et cependant perdue; Car la vierge enfantine, auprès des matelots, 50 Admirait et la rame et l'écume des flots; Puis, sur la haute poupe accourue et couchée, Saluait, dans la mer, son image penchée, Et lui jetait des fleurs et des rameaux flottants, Et riait de leur chute et les suivait longtemps; 55 Ou, tout à coup rêveuse, écoutait le Zéphire, Qui, d'une aile invisible, avait ému sa lyre. Écrit en 1815. LE BAIN D'UNE DAME ROMAINE. Une esclave d'Égypte, au teint luisant et noir, Lui présente, à genoux, l'acier pur du miroir; Pour nouer ses cheveux une Vierge de Grèce Dans le compas d'Isis unit leur double tresse; 5 Sa tunique est livrée aux femmes de Milet, Et ses pieds sont lavés dans un vase de lait. Dans l'ovale d'un marbre aux veines purpurines L'eau rose la reçoit; puis les filles latines, Sur ses bras indolents versant de doux parfums, 10 Voilent d'un jour trop vif les rayons importuns, Et sous les plis épais de la pourpre onctueuse La lumière descend molle et voluptueuse Quelques-unes, brisant des couronnes de fleurs, D'une hâtive main dispersent leurs couleurs, 15 Et, les jetant en pluie aux eaux de la fontaine, De débris embaumés couvrent leur souveraine, Qui, de ses doigts distraits touchant la lyre d'or, Pense au jeune Consul et, rêveuse, s'endort. Le 20 mai 1817. LIVRE MODERNE. DOLORIDA POÈME. Yo amo mas d tu amor que á tu vida. Prov. espagnol. J'aime mieux ton amour que ta vie. Est-ce la Volupté qui, pour ses doux mystères, Furtive, a rallumé ces lampes solitaires? La gaze et le cristal sont leur pâle prison. Aux souffles purs d'un soir de l'ardente saison 5 S'ouvre sur le balcon la moresque fenêtre; Une aurore imprévue à minuit semble naÃtre, Quand la lune apparaÃt, quand ses gerbes d'argent Font pâlir les lueurs du feu rose et changeant; Les deux clartés à l'oeil offrent partout leurs pièges; 10 Caressent mollement le velours bleu des sièges, La soyeuse ottomane où le livre est encor, La pendule mobile entre deux vases d'or, La Madone d'argent, sous deux roses cachée, Et sur un lit d'azur une beauté couchée. 15 Oh! jamais dans Madrid un noble cavalier Ne verra tant de grâce à plus d'art s'allier; Jamais pour plus d'attraits, lorsque la nuit commence, N'a frémi la guitare et langui la romance; Jamais dans nulle église on ne vit plus beaux yeux 20 Des grains du chapelet se tourner vers les cieux; Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre On n'admira jamais plus belles mains d'albâtre Sous la mantille noire et ses paillettes d'or, Applaudissant, de loin, l'adroit toréador. 25 Mais, ô vous qu'en secret nulle oeillade attentive Dans ses rayons brillants ne chercha pour captive, Jeune foule d'amants. Espagnols à l'oeil noir, Si sous la perle et l'or vous l'adoriez le soir, Qui de vous ne voudrait dût la dague andalouse 30 Le frapper au retour de sa pointe jalouse Prosterner ses baisers sur ces pieds découverts, Ce col, ce sein d'albâtre, à l'air nocturne ouverts, Et ces longs cheveux noirs tombant sur son épaule, Comme tombe à ses pieds le vêtement du saule? 35 Dolorida n'a plus que ce voile incertain, Le premier que revêt le pudique matin Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre, L'amour ose enlever d'une main idolâtre. Ses bras nus à sa tête offrent un mol appui. 40 Mais ses yeux sont ouverts, et bien du temps a fui Depuis que, sur l'émail, dans ses douze demeures, Ils suivent ce compas qui tourne avec les heures. Que fait-il donc, celui que sa douleur attend? Sans doute il n'aime pas, celui qu'elle aime tant. 45 A peine chaque jour l'épouse délaissée Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée Tomber seul, sans l'amour; son amour cependant S'accroÃt par les dédains et souffre plus ardent. Près d'un constant époux, peut-être, ô jeune femme! 50 Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme; Car l'amour d'une femme est semblable à l'enfant Qui, las de ses jouets, les brise triomphant, Foule d'un pied volage une rose immobile, Et suit l'insecte ailé qui fuit sa main débile. 55 Pourquoi Dolorida, seule en ce grand palais Où l'on n'entend, ce soir, ni le pied des valets, Ni, dans la galerie et les corridors tristes, Les enfantines voix des vives caméristes? Trois heures cependant ont lentement sonné; 60 La voix du temps est triste au coeur abandonné; Ses coups y réveillaient la douleur de l'absence, Et la lampe luttait; sa flamme sans puissance Décroissait inégale, et semblait un mourant Qui sur la vie encor jette un regard errant. 65 A ses yeux fatigués tout se montre plus sombre, Le crucifix penché semble agiter son ombre; Un grand froid la saisit; mais les fortes douleurs Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs Elle reste immobile, et, sous un air paisible, 70 Mord, d'une dent jalouse, une main insensible. Que le silence est long! Mais on entend des pas! La porte s'ouvre, il entre elle ne tremble pas! Elle ne tremble pas, à sa pâle figure Qui de quelque malheur semble traÃner l'augure; 75 Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau, Marcher jusqu'à son lit comme on marche au tombeau. Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse; Même sa longue épée est un poids qui le blesse. Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix 80 " Je viens te dire adieu; je me meurs, tu le vois, Dolorida, je meurs! une flamme inconnue, Errante, est dans mon sang jusqu'au coeur parvenue, Mes pieds sont froids et lourds, mon oeil est obscurci; Je suis tombé trois fois en revenant ici. 85 Mais je voulais te voir; mais, quand l'ardente fièvre Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre, J'ai dit " Je vais mourir; que la fin de mes jours " Lui fasse au moins savoir qu'absent j'aimais toujours. " Alors je suis parti, ne demandant qu'une heure 90 Et qu'un peu de soutien pour trouver ta demeure. Je me sens plus vivant à genoux devant toi. - Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi? - Ô coeur inexorable! oui, tu fus offensée! Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée; 95 Viens toucher sur mon front cette froide sueur; Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur. Donne, oh! donne une main; dis mon nom. Fais entendre Quelque mot consolant, s'il ne peut être tendre. Des jours qui m'étaient dus je n'ai pas la moitié; 100 Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié! Hélas! devant la mort montre un peu d'indulgence! - La mort n'est que la mort et n'est pas la vengeance. - Ô dieux! si jeune encor! tout son coeur endurci! Qu'il t'a fallu souffrir pour devenir ainsi! 105 Tout mon crime est empreint au fond de ton langage, Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage. Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux Que ton âme apaisée entende mes aveux. Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche 110 Jure devant ce christ qui domine ta couche, Et, si par leur faiblesse ils n'étaient pas liés, Je lèverais mes bras jusqu'au sang de ses pieds; Je jure que jamais mon amour égarée N'oublia loin de toi ton image adorée; 115 L'infidélité même était pleine de toi, Je te voyais partout entre ma faute et moi, Et sur un autre coeur mon coeur rêvait tes charmes, Plus touchants par mon crime et plus beaux par tes larmes. Séduit par ces plaisirs qui durent peu de temps, 120 Je fus bien criminel; mais, hélas! j'ai vingt ans. - T'a-t-elle vu pâlir ce soir dans tes souffrances? - J'ai vu son désespoir passer tes espérances. Oui, sois heureuse, elle a sa part dans nos douleurs; Quand j'ai crié ton nom, elle a versé des pleurs; 125 Car je ne sais quel mal circule dans mes veines; Mais je t'invoquais seule avec des plaintes vaines. J'ai cru d'abord mourir et n'avoir pas le temps D'appeler ton pardon sur mes derniers instants. Oh! parle; mon coeur fuit; quitte ce dur langage; 130 Qu'un regard... Mais quel est ce blanchâtre breuvage Que tu bois à longs traits et d'un air insensé? - Le reste du poison qu'hier je t'ai versé. " Écrit en 1823, dans les Pyrénées. LE MALHEUR Suivi du Suicide impie, A travers les piles cités, Le Malheur rôde, il nous épie, Près de nos seuils épouvantés. 5 Alors il demande sa proie; La jeunesse, au sein de la joie, L'entend, soupire et se flétrit; Comme au temps où la feuille tombe, Le vieillard descend dans la tombe, 10 Privé du feu qui le nourrit. Où fuir? Sur le seuil de ma porte Le Malheur, un jour, s'est assis; Et, depuis ce jour, je l'emporte A travers mes jours obscurcis. 15 Au soleil, et dans les ténèbres, En tous lieux ses ailes funèbres Me couvrent comme un noir manteau De mes douleurs ses bras avides M'enlacent; et ses mains livides 20 Sur mon coeur tiennent le couteau. J'ai jeté ma vie aux délices, Je souris à la volupté; Et les insensés, mes complices; Admirent ma félicité. 25 Moi-même, crédule à ma joie, J'enivre mon coeur, je me noie Aux torrents d'un riant orgueil; Mais le Malheur devant ma face A passé le rire s'efface, 30 Et mon front a repris son deuil. En vain je redemande aux fêtes Leurs premiers éblouissements, De mon coeur les molles défaites Et les vagues enchantements 35 Le spectre se mêle à la danse; Retombant avec la cadence, Il tâche le sol de ses pleurs, Et, de mes yeux trompant l'attente, Passe sa tête dégoûtante 40 Parmi les fronts ornés de fleurs. Il me parle dans le silence, Et mes nuits entendent sa voix; Dans les arbres il se balance Quand je cherche la paix des bois, 45 Près de mon oreille il soupire; On dirait qu'un mortel expire Mon coeur se serre épouvanté. Vers les astres mon oeil se lève, Mais il y voit pendre le glaive 50 De l'antique fatalité. Sur mes mains ma tête penchée Croit trouver l'innocent sommeil. Mais, hélas! elle m'est cachée, Sa fleur au calice vermeil. 55 Pour toujours elle m'est ravie, La douce absence de la vie; Ce bain qui rafraÃchit les jours, Cette mort de l'âme affligée, Chaque nuit à tous partagée, 60 Le sommeil m'a fui pour toujours. " Ah! puisqu'une éternelle veille Brûle mes yeux toujours ouverts, Viens, ô Gloire! ai-je dit; réveille Ma sombre vie au bruit des vers. 65 Fais qu'au moins mon pied périssable Laisse une empreinte sur le sable. " La Gloire a dit " Fils de douleur, Où veux-tu que je te conduise? Tremble; si je t'immortalise, 70 J'immortalise le Malheur. " Malheur! oh! quel jour favorable De ta rage sera vainqueur? Quelle main forte et secourable Pourra t'arracher de mon coeur, 75 Et dans cette fournaise ardente, Pour moi noblement imprudente, N'hésitant pas à se plonger, Osera chercher dans la flamme, Avec force y saisir mon âme, 80 Et l'emporter loin du danger? Écrit un 1820. LA PRISON POÈME XVIIe SIÈCLE Oh! ne vous jouez plus d'un vieillard et d'un prêtre! Étranger dans ces lieux, comment les reconnaÃtre? Depuis une heure au moins, cet importun bandeau Presse mes yeux souffrants de son épais fardeau. 5 Soin stérile et cruel! car de ces édifices Ils n'ont jamais tenté les sombres artifices. Soldats! vous outragez le ministre et le Dieu, Dieu même que mes mains apportent dans ce lieu. " Il parle; mais en vain sa crainte les prononce 10 Ces mots et d'autres cris se taisent sans réponse. On l'entraÃne toujours en des détours savants. Tantôt crie à ses pieds le bois des ponts mouvants, Tantôt sa voix s'éteint à de courts intervalles, Tantôt fait retentir l'écho des vastes salles, 15 Dans l'escalier tournant on dirige ses pas; Il monte à la prison que lui seul ne voit pas, Et, les bras étendus, le vieux prêtre timide Tâte les murs épais du corridor humide. On s'arrête; il entend le bruit des pas mourir, 20 Sous de bruyantes clés des gonds de fer s'ouvrir. Il descend trois degrés sur la pierre glissante, Et, privé du secours de sa vue impuissante, La chaleur l'avertit qu'on éclaire ces lieux; Enfin, de leur bandeau l'on délivre ses yeux. 25 Dans un étroit cachot dont les torches funèbres Ont peine à dissiper les épaisses ténèbres, Un vieillard expirant attendait ses secours Du moins ce fut ainsi qu'en un brusque discours Ses sombres conducteurs le lui firent entendre. 30 Un instant, en silence, on le pria d'attendre. " Mon prince, dit quelqu'un, le saint homme est venu, - Eh! que m'importe, à moi? " soupira l'inconnu. Cependant, vers le lit que deux lourdes tentures Voilent du luxe ancien de leurs pâles peintures, 35 Le prêtre s'avança lentement, et, sans voir Le malade caché, se mit à son devoir. LE PRETRE. Écoutez-moi, mon fils. LE MOURANT. Hélas! malgré ma haine, J'écoute votre voix, c'est une voix humaine 40 J'étais né pour l'entendre, et je ne sais pourquoi Ceux qui m'ont fait du mal ont tant d'attrait pour moi. Jamais je ne connus cette rare parole Qu'on appelle amitié, qui, dit-on, vous console; Et les chants maternels qui charment vos berceaux 45 N'ont jamais résonné sous mes tristes arceaux; Et pourtant, lorsqu'un mot m'arriva moins sévère, Il ne fut pas perdu pour mon coeur solitaire. Mais, puisque vous m'aimez, ô vieillard inconnu, Pourquoi jusqu'à ce jour n'êtes-vous pas venu? LE PRÊTRE. 50 Ô, qui que vous soyez! vous que tant de mystère, Avant le temps prescrit, sépara de la terre, Vous n'aurez plus de fers dans l'asile des morts Si vous avez failli, rappelez les remords, Versez-les dans le sein du Dieu qui vous écoute; 55 Ma main du repentir vous montrera la route. Entrevoyez le Ciel par vos maux acheté Je suis prêtre, et vous porte ici la liberté. De la confession j'accomplis l'oeuvre sainte; Le tribunal divin siège dans cette enceinte. 60 Répondez, le pardon déjà vous est offert; Dieu même... LE MOURANT. Il est un Dieu? J'ai pourtant bien souffert! LE PRÊTRE. Vous avez moins souffert qu'il ne l'a fait lui-même. Votre dernier soupir sera-t-il un blasphème? 65 Et quel droit avez-vous de plaindre vos malheurs, Lorsque le sang du Christ tomba dans les douleurs? Ô mon fils, c'est pour nous, tout ingrats que nous sommes, Qu'il a daigné descendre aux misères des hommes; A la vie, en son nom, dites un mâle adieu. LE MOURANT. 70 J'étais peut-être roi. LE PRÊTRE. Le sauveur était Dieu; Mais, sans nous élever jusqu'à ce divin MaÃtre, Si j'osais, après lui, nommer encor le prêtre, Je vous dirais Et moi, pour combattre l'enfer, 75 J'ai resserré mon sein dans un corset de fer; Mon corps a revêtu l'inflexible cilice, Où chacun de mes pas trouve un nouveau supplice. Au cloÃtre est un pavé que, durant quarante ans, Ont usé chaque jour mes genoux pénitents. 80 Et c'est encor trop peu que de tant de souffrance Pour acheter du Ciel l'ineffable espérance. Au creuset douloureux il faut être épuré Pour conquérir son rang dans le séjour sacré. Le temps nous presse; au nom de vos douleurs passées, 85 Dites-moi vos erreurs pour les voir effacées; Et devant cette croix où Dieu monta pour nous, Souhaitez avec moi de tomber à genoux. Sur le front du vieux moine, une rougeur légère Fit renaÃtre une ardeur à son âge étrangère; 90 Les pleurs qu'il retenait coulèrent un moment; Au chevet du captif il tomba pesamment; Et ses mains présentaient le crucifix d'ébène, Et tremblaient en l'offrant, et le tenaient à peine. Pour le coeur du chrétien demandant des remords, 95 Il murmurait tout bas la prière des morts. Et, sur le lit, sa tête, avec douleur penchée, Cherchait du prisonnier la figure cachée. Un flambeau la révèle entière ce n'est pas Un front décoloré par un prochain trépas, 100 Ce n'est pas l'agonie et son dernier ravage; Ce qu'il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge Un fantôme immobile à ses yeux est offert, Et les feux ont relui sur un masque de fer... Plein d'horreur à l'aspect de ce sombre mystère, 105 Le prêtre se souvient que, dans le monastère, Une fois, en tremblant, on se parlait tout bas D'un prisonnier d'État que l'on ne nommait pas; Qu'on racontait de lui des choses merveilleuses, De berceau dérobé, de craintes orgueilleuses, 110 De royale naissance, et de droits arrachés, Et de ses jours captifs sous un masque cachés. Quelques pères disaient qu'à sa descente en France, De secouer ses fers il conçut l'espérance; Qu'aux geôliers un instant il s'était dérobé, 115 Et, quoiqu'entre leurs mains aisément retombé, L'on avait vu ses traits; et qu'une Provençale, Arrivée au couvent de Saint-François de Sale Pour y prendre le voile, avait dit, en pleurant, Qu'elle prenait la Vierge et son Fils pour garant 120 Que le Masque de fer avait vécu sans crime, Et que son jugement était illégitime; Qu'il tenait des discours pleins de grâce et de foi, Qu'il était jeune et beau, qu'il ressemblait au roi, Qu'il avait dans la voix une douceur étrange, 125 Et que c'était un prince ou que c'était un ange. Il se souvint encor qu'un vieux bénédictin, S'étant acheminé vers la tour, un matin, Pour rendre un vase d'or tombé sur son passage, N'était pas revenu de ce triste voyage 130 Sur quoi, l'abbé du lieu pour toujours défendit Les entretiens touchant le prisonnier maudit! Nul ne devait sonder la récente aventure; Le Ciel avait puni la coupable lecture Des mystères gravés sur ce vase indiscret. 135 Le temps fit oublier ce dangereux secret. Le prêtre regardait le malheureux célèbre; Mais ce cachot tout plein d'un appareil funèbre, Et cette mort voilée, et ces longs cheveux blancs, Nés captifs et jetés sur des membres tremblants, 140 L'arrêtèrent longtemps en un sombre silence. Il va parler enfin; mais, tandis qu'il balance, L'agonisant du lit se soulève et lui dit " Vieillard, vous abaissez votre front interdit; Je n'entends plus le bruit de vos conseils frivoles; 145 L'aspect de mon malheur arrête vos paroles. Oui, regardez-moi bien, et puis dites, après, Qu'un Dieu de l'innocent défend les intérêts; Des péchés tant proscrits, où toujours l'on succombe, Aucun n'a séparé mon berceau de ma tombe; 150 Seul, toujours seul, par l'âge et la douleur vaincu, Je meurs tout chargé d'ans, et je n'ai pas vécu. Du récit de mes maux vous êtes bien avide Pourquoi venir fouiller dans ma mémoire vide, Où, stérile de jours, le temps dort effacé? 155 Je n'eus point d'avenir et n'ai point de passé; J'ai tenté d'en avoir; dans mes longues journées, Je traçais sur les murs mes lugubres années; Mais je ne pus les suivre en leur douloureux cours. Les murs étaient remplis, et je vivais toujours. 160 Tout me devint alors obscurité profonde; Je n'étais rien pour lui, qu'était pour moi le monde? Que m'importaient des temps où je ne comptais pas? L'heure que j'invoquais, c'est l'heure du trépas. Écoutez, écoutez quand je tiendrais la vie 165 De l'homme qui toujours tint la mienne asservie, J'hésiterais, je crois, à le frapper des maux Qui rongèrent mes jours, brûlèrent mon repos; Quand le règne inconnu d'une impuissante ivresse Saisit mon coeur oisif d'une vague tendresse, 170 J'appelais le bonheur, et ces êtres amis Qu'à mon âge brûlant un songe avait promis. Mes larmes ont rouillé mon masque de torture; J'arrosais de mes pleurs ma noire nourriture; Je déchirais mon sein par mes gémissements; 175 J'effrayais mes geôliers de mes longs hurlements; Des nuits, par mes soupirs, je mesurais l'espace; Aux hiboux des créneaux je disputais leur place, Et, pendant aux barreaux où s'arrêtaient mes pas, Je vivais hors des murs d'où je ne sortais pas. " 180 Ici tomba sa voix. Comme après le tonnerre De tristes sons encore épouvantent la terre, Et, dans l'antre sauvage où l'effroi l'a placé, Retiennent en grondant le voyageur glacé, Longtemps on entendit ses larmes retenues 185 Suivre encore une fois des routes bien connues; Les sanglots murmuraient dans ce coeur expirant. Le vieux prêtre toujours priait en soupirant, Lorsqu'un des noirs geôliers se pencha pour lui dire Qu'il fallait se hâter, qu'il craignait le délire. 190 Un nouveau zèle alors ralluma ses discours. " Ô mon fils! criait-il, votre vie eut son cours; Heureux, trois fois heureux, celui que Dieu corrige! Gardons de repousser les peines qu'il inflige Voici l'heure où vos maux vous seront précieux, 195 Il vous a préparé lui-même pour les cieux. Oubliez votre corps, ne pensez qu'à votre âme; Dieu lui-même l'a dit " L'homme né de la femme " Ne vit que peu de temps, et c'est dans les douleurs. " Ce monde n'est que vide et ne vaut pas des pleurs. 200 Qu'aisément de ses biens notre âme est assouvie! Me voilà , comme vous, au bout de cette vie; J'ai passé bien des jours, et ma mémoire en deuil De leur peu de bonheur n'est plus que le cercueil. C'est à moi d'envier votre longue souffrance, 205 Qui d'un monde plus beau vous donne l'espérance; Les anges à vos pas ouvriront le saint lieu Pourvu que vous disiez un mot à votre Dieu, Il sera satisfait. " Ainsi, dans sa parole, Mêlant les saints propos du livre qui console, 210 Le vieux prêtre engageait le mourant à prier, Mais en vain tout à coup on l'entendit crier, D'une voix qu'animait la fièvre du délire, Ces rêves du passé " Mais enfin je respire! Ô bords de la Provence! ô lointain horizon! 215 Sable jaune où des eaux murmure le doux son! Ma prison s'est ouverte. Oh! que la mer est grande! Est-il vrai qu'un vaisseau jusque là -bas se rende? Dieu! qu'on doit être heureux parmi les matelots! Que je voudrais nager dans la fraÃcheur des flots! 220 La terre vient, nos pieds à marcher se disposent, Sur nos mâts arrêtés les voiles se reposent. Ah! j'ai fui les soldats; en vain ils m'ont cherché; Je suis libre, je cours, le masque est arraché; De l'air dans mes cheveux j'ai senti le passage, 225 Et le soleil un jour éclaira mon visage. - " Oh! pourquoi fuyez-vous? Restez sur vos gazons, Vierges! continuez vos pas et vos chansons; Pourquoi vous retirer aux cabanes prochaines? Le monde autant que moi déteste donc les chaÃnes? " 230 Une seule s'arrête et m'attend sans terreur Quoi! du Masque de fer elle n'a pas horreur! Non, j'ai vu la pitié sur ses lèvres si belles, Et de ses yeux en pleurs les douces étincelles. - " Soldats! que voulez-vous? quel lugubre appareil! 235 J'ai mes droits à l'amour et ma part au soleil; Laissez-nous fuir ensemble. Oh! voyez-la! c'est elle Avec qui je veux vivre, elle est là qui m'appelle; Je ne fais pas le mal; allez, dites au roi Qu'aucun homme jamais ne se plaindra de moi; 240 Que je serai content si, près de ma compagne, Je puis errer longtemps de montagne en montagne, Sans jamais arrêter nos loisirs voyageurs! Que je ne chercherai ni parents ni vengeurs; Et, si l'on me demande où j'ai passé ma vie, 245 Je saurai déguiser ma liberté ravie; Votre crime est bien grand, mais je le cacherai. Ah! laissez-moi le Ciel, je vous pardonnerai. Non!... toujours des cachots... Je suis né votre proie... " Mais je vois mon tombeau, je m'y couche avec joie. 250 Car vous ne m'aurez plus, et je n'entendrai plus Les verrous se fermer sur l'éternel reclus. Que me veut donc cet homme avec ses habits sombres? Captifs morts dans ces murs, est-ce une de vos ombres? Il pleure. Ah! malheureux, est-ce ta liberté? LE PRÊTRE. 255 Non, mon fils, c'est sur vous voici l'éternité. LE MOURANT. A moi? Je n'en veux pas; j'y trouverais des chaÃnes. LE PRÊTRE. Non, vous n'y trouverez que des faveurs prochaines. Un mot de repentir, un mot de notre foi, Le Seigneur vous pardonne. LE MOURANT. 260 Ô prêtre! laissez-moi! LE PRÊTRE. Dites " Je crois en Dieu. " La mort vous est ravie. LE MOURANT. Laissez en paix ma mort, on y laissa ma vie. Et d'un dernier effort l'esclave délirant Au mur de la prison brise son bras mourant. 265 " Mon Dieu! venez vous-même au secours de cette âme! " Dit le prêtre, animé d'une pieuse flamme. Au fond d'un vase d'or, ses doigts saints ont cherché Le pain mystérieux où Dieu même est caché Tout se prosterne alors en un morne silence. 270 La clarté d'un flambeau sur le lit se balance; Le chevet sur deux bras s'avance supporté, Mais en vain le captif était en liberté. Resté seul au cachot, durant la nuit entière, Le vieux religieux récita la prière; 275 Auprès du lit funèbre il fut toujours assis. Quelques larmes souvent, de ses yeux obscurcis, Interrompant sa voix, tombaient sur le saint livre. Et, lorsque la douleur l'empêchait de poursuivre, Sa main jetait alors l'eau du rameau bénit 280 Sur celui qui du ciel peut-être était banni. Et puis, sans se lasser, il reprenait encore, De sa voix qui tremblait dans la prison sonore, Le dernier chant de paix; il disait " Ô Seigneur! Ne brisez pas mon âme avec votre fureur; 285 Ne m'enveloppez pas dans la mort de l'impie. " Il ajoutait aussi " Quand le méchant m'épie, Me ferez-vous tomber, Seigneur, entre ses mains? C'est lui qui sous mes pas a rompu vos chemins; Ne me châtiez point, car mon crime est son crime. 290 J'ai crié vers le Ciel du plus profond abÃme. Ô mon Dieu! tirez-moi du milieu des méchants! " Lorsqu'un rayon du jour eut mis fin à ses chants, Il entendit monter vers les noires retraites, Et des voix résonner sous les voûtes secrètes. 295 Un moment lui restait, il eût voulu du moins Voir le mort qu'il pleurait sans ces cruels témoins; Il s'approche, en tremblant, de ce fils du mystère Qui vivait et mourait étranger à la terre; Mais le Masque de fer soulevait le linceul, 300 Et la captivité le suivit au cercueil. Écrit en 1821, à Vincennes. MADAME DE SOUBISE POÈME DU XVIe SIÈCLE A M. ANTONY DESCHAMPS "Le 24 du mesme mois s'exploita l'execution tant souhaitée, qui deliura la chrestienté d'un nombre de pestes, au moyen desquelles le diable se faisoit fort de la destruire, attendu que deux ou trois qui en reschappe- rent font encore autant de mal. Ce jour apporta merveilleux allegement et soulas à l'Eglise. " La vraye et entiere histoire des troubles, par le frere de LAVAL. I " ARQUEBUSIERS! chargez ma coulevrine! Les lansquenets passent! sur leur poitrine Je vois enfin la croix rouge, la croix Double, et tracée avec du sang, je crois! 5 Il est trop tard; le bourdon Notre-Dame Ne m'avait donc éveillé qu'à demi? Nous avons bu trop longtemps, sur mon âme! Mais nous buvions à saint Barthélemy. II " Donnez une épée, 10 Et la mieux trempée, Et mes pistolets, Et mes chapelets. Déjà le jour brille Sur le Louvre noir; 15 On va tout savoir - Dites à ma fille De venir tout voir. " III Le baron parle ainsi par la fenêtre; C'est bien sa voix qu'on ne peut méconnaÃtre; 20 Courez, varlets, échansons, écuyers, Suisses, piqueux, pages, arbalétriers! Voici venir madame Marie-Anne, Elle descend l'escalier de la tour; Jusqu'aux pavés baissez la pertuisane, 25 Et que chacun la salue à son tour. IV Une haquenée Est seule amenée, Tant elle a d'effroi Du noir palefroi. 30 Mais son père monte Le beau destrier. Ferme à l'étrier " N'avez-vous pas honte Dit-il, de crier! V 35 " Vous descendez des hauts barons, ma mie; Dans ma lignée, on note d'infamie Femme qui pleure, et ce, par la raison Qu'il en peut naÃtre un lâche en ma maison. Levez la tête et baissez votre voile; 40 Partons. Varlets, faites sonner le cor. Sous ce brouillard la Seine me dévoile Ses flots rougis... Je veux voir plus encor. VI " La voyez-vous croÃtre La tour du vieux cloÃtre? 45 Et le grand mur noir Du royal manoir? Entrons dans le Louvre. Vous tremblez, je croi Au son du beffroi? 50 La fenêtre s'ouvre, Saluez le roi. " VII Le vieux baron, en signant sa poitrine, Va visiter la reine Catherine; Sa fille reste, et dans la cour s'assied 55 Mais sur un corps elle heurte son pied " Je vis encor, je vis encor, madame; Arrêtez-vous et donnez-moi la main; En me sauvant, vous sauverez mon âme; Car j'entendrai la messe dès demain. VIII 60 - Huguenot profane, Lui dit Marie-Anne, Sur ton corselet Mets mon chapelet. Tu prieras la Vierge, 65 Je prierai le roi. Prends ce palefroi, Surtout prends un cierge, Et viens avec moi. " IX Marie ordonne à tout son équipage 70 De l'emporter dans le manteau d'un page, Lui fait ôter ses baudriers trop lourds, Jette sur lui sa cape de velours, Attache un voile avec une relique Sur sa blessure, et dit, sans s'émouvoir 75 " Ce gentilhomme est un bon catholique, Et dans l'église il vous le fera voir. " X Murs de Saint-Eustache! Quel peuple s'attache A vos escaliers, 80 A vos noirs piliers, TraÃnant sur la claie Ces morts sans cercueil, La fureur dans l'oeil, Et formant la haie 85 De l'autel au seuil? XI Dieu fasse grâce à l'année où nous sommes! Ce sont vraiment des femmes et des hommes; Leur foule entonne un Te Deum en choeur, Et dans le sang trempe et dévoue un coeur, 90 Coeur d'amiral arraché dans la rue, Coeur gangrené du schisme de Calvin. On boit, on mange, on rit; la foule accrue Se l'offre et dit " C'est le pain et le vin. " XII Un moine qui masque 95 Son front sous un casque Lit au maÃtre-autel Le livre immortel; Il chante au pupitre, Et sa main trois fois, 100 En faisant la croix, Jette sur l'épÃtre Le sang de ses doigts. XIII " Place! dit-il; tenons notre promesse D'épargner ceux qui viennent à la messe. 105 Place! je vois arriver deux enfants Ne tuez pas encor, je le défends; Tant qu'ils sont là , je les ai sous ma garde. Saint Paul a dit " Le temple est fait pour tous. " Chacun son lot, le dedans me regarde; 110 Mais, une fois dehors, ils sont à vous. XIV - Je viens sans mon père; Mais en vous j'espère Dit Anne deux fois, D'une faible voix; 115 Il est chez la reine; Moi, j'accours ici Demander merci Pour ce capitaine Qui vous prie aussi. " XV 120 Le blessé dit " Il n'est plus temps, madame; Mon corps n'est pas sauvé, mais bien mon âme; Si vous voulez, donnez-moi votre main, Et je mourrai catholique et romain; Épousez-moi, je suis duc de Soubise. 125 Vous n'aurez pas à vous en repentir C'est pour un jour. Hélas! dans votre église Je suis entré, mais pour n'en plus sortir. XVI " Je sens fuir mon âme! Êtes-vous ma femme? 130 - Hélas! dit-elle, oui, " Se baissant vers lui. Un mot les marie. Ses yeux, par l'effort D'un dernier transport, 135 Regardent Marie; Puis il tombe mort. XVII Ce fut ainsi qu'Anne devint duchesse; Elle donna le fief et sa richesse A l'ordre saint des frères de Jésus 140 Et leur légua ses propres biens en sus. Un faible corps qu'un esprit troublé ronge Résiste peu, mais ne vit pas longtemps Dans le couvent des nonnes, en Saintonge, Elle mourut vierge et veuve à vingt ans. Écrit à la Briche, en Beauce. Mai 1828. LA NEIGE POÈME I QU'IL est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires, Des histoires du temps passé, Quand les branches d'arbre sont noires, Quand la neige est épaisse, et charge un sol glacé! 5 Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance, Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher L'immobile corbeau sur l'arbre se balance, Comme la girouette au bout du long clocher! Ils sont petits et seuls, ces deux pieds dans la neige. 10 Derrière les vitraux dont l'azur le protège, Le roi pourtant regarde et voudrait ne pas voir, Car il craint sa colère et surtout son pouvoir. De cheveux longs et gris son front brun s'environne, Et porte en se ridant le fer de la couronne; 15 Sur l'habit dont la pourpre a peint l'ample velours, L'empereur a jeté la lourde peau d'un ours. Avidement courbé, sur le sombre vitrage Ses soupirs inquiets impriment un nuage. Contre un marbre frappé d'un pied appesanti, 20 La sandale romaine a vingt fois retenti. Est-ce vous, blanche Emma, princesse de la Gaule? Quel amoureux fardeau pèse à sa jeune épaule? C'est le page Éginard, qu'à ses genoux le jour Surprit, ne dormant pas, dans la secrète tour. 25 Doucement son bras droit étreint un cou d'ivoire, Doucement son baiser suit une tresse noire, Et la joue inclinée, et ce dos où les lis De l'hermine entourés sont plus blancs que ses plis. Il retient dans son coeur une craintive haleine, 30 Et de sa dame ainsi pense alléger la peine, Et gémit de son poids, et plaint ses faibles pieds Qui, dans ses mains, ce soir; dormiront essuyés; Lorsqu'arrêtée Emma vante sa marche sûre, Lève un front caressant, sourit et le rassure, 35 D'un baiser mutuel implore le secours, Puis repart chancelante et traverse les cours. Mais les voix des soldats résonnent sons les voûtes, Les hommes d'armes noirs en ont fermé les routes; Éginard, échappant à ses jeunes liens, 40 Descend des bras d'Emma, qui tombe dans les siens. II Un grand trône ombragé des drapeaux d'Allemagne De son dossier de pourpre entoure Charlemagne. Les douze pairs, debout sur ses larges degrés, Y font luire l'orgueil des lourds manteaux dorés. 45 Tous posent un bras fort sur une longue épée, Dans le sang des Saxons neuf fois par eux trempée; Par trois vives couleurs se peint sur leurs écus La gothique devise autour des rois vaincus. Sous les triples piliers des colonnes moresques, 50 En cercle sont placés des soldats gigantesques, Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs, Laisse à peine entrevoir les yeux étincelants. Tous deux joignant les mains, à genoux sur la pierre, L'un pour l'autre en leur coeur cherchant une prière, 55 Les beaux enfants tremblaient, en abaissant leur front, Tantôt pâle de crainte ou rouge de l'affront. D'un silence glacé régnait la paix profonde. Bénissant en secret sa chevelure blonde, Avec un lent effort, sous ce voile, Éginard 60 Tente vers sa maÃtresse un timide regard. Sous l'abri de ses mains Emma cache sa tête, Et, pleurant, elle attend l'orage qui s'apprête Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux A travers ses beaux doigts un jour audacieux. 65 L'empereur souriait en versant une larme, Qui donnait à ses traits un ineffable charme; Il appela Turpin, l'évêque du palais, Et d'une voix très douce il dit " Bénissez-les. " Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires, 70 Des histoires du temps passé, Quand les branches d'arbre sont noires, Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé! 1830 LE COR. POÈME I J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois, Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois, Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille, Et que le vent du nord porte de feuille en feuille. 5 Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré, J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré! Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques Qui précédaient la mort des Paladins antiques. Ô montagne d'azur! ô pays adoré! 10 Rocs de la Frazona, cirque du Marboré, Cascades qui tombez des neiges entraÃnées, Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées; Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons, Dont le front est de glace et le pied de gazons! 15 C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre Les airs lointains d'un Cor mélancolique et tendre. Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit, De cette voix d'airain fait retentir la nuit; À ses chants cadencés autour de lui se mêle 20 L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle. Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans une chute immense, Son éternelle plainte au chant de la romance. 25 Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor? Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée! II Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui. 30 Il reste seul debout, Olivier près de lui; L'Afrique sur les monts l'entoure et tremble encore. " Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More; Tous tes pairs sont couchés dans les eaux des torrents. " - Il rugit comme un tigre, et dit " Si je me rends, 35 Africain, ce sera lorsque les Pyrénées Sur l'onde avec leurs corps rouleront entraÃnées. " - " Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà . " Et du plus haut des monts un grand rocher roula. Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abÃme, 40 Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime. - " Merci, cria Roland; tu m'as fait un chemin. " Et jusqu'au pied des monts le roulant d'une main, Sur le roc affermi comme un géant s'élance, Et, prête à fuir, l'armée à ce seul pas balance. III 45 Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. À l'horizon déjà , par leurs eaux signalées, De Luz et d'Argelès se montraient les vallées. L'armée applaudissait. Le luth du troubadour 50 S'accordait pour chanter les saules de l'Adour; Le vin français coulait dans la coupe étrangère; Le soldat, en riant, parlait à la bergère. Roland gardait les monts; tous passaient sans effroi. Assis nonchalamment sur un noir palefroi 55 Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes " Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu. Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes 60 Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes. Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. " Ici l'on entendit le son lointain du Cor. - L'Empereur étonné, se jetant en arrière, Suspend du destrier la marche aventurière. 65 " Entendez-vous? dit-il. - Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs, Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée. " Et l'Empereur poursuit; mais son front soucieux 70 Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux. Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe, Le Cor éclate et meurt, renaÃt et se prolonge. " Malheur! c'est mon neveu! malheur! car, si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant. 75 Arrière, chevaliers, repassons la montagne! Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne! " IV Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux; L'écume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux Des feux mourants du jour à peine se colore. 80 À l'horizon lointain fuit l'étendard du More. - " Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent? - J'y vois deux chevaliers l'un mort, l'autre expirant. Tous deux sont écrasés sous une roche noire; Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d'ivoire, 85 Son âme en s'exhalant nous appela deux fois. " Dieu! que le son du Cor est triste au fond des bois! Écrit à Pau, en 1825. LE BAL POÈME La harpe tremble encore et la flûte soupire, Car la valse bondit dans son sphérique empire, Des couples passagers éblouissent les yeux, Volent entrelacés en cercles gracieux, 5 Suspendent des repos balancés en mesure, Aux reflets d'une glace admirent leur parure, Repartent; puis, troublés par leur groupe riant, Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant. La danseuse, enivrée aux transports de la fête, 10 Sème et foule en passant les bouquets de sa tête, Au bras qui la soutient se livre, et, pâlissant, Tourne, les yeux baissés sur un sein frémissant. Courez, jeunes beautés, formez la double danse. Entendez-vous l'archet du bal joyeux, 15 Jeunes beautés? Bientôt la légère cadence Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux. Dansez, et couronnez de fleurs vos fronts d'albâtre Liez au blanc muguet l'hyacinthe bleuâtre. Et que vos pas moelleux, délices d'un amant, 20 Sur le chêne poli glissent légèrement; Dansez, car dès demain vos mères exigeantes A vos jeunes travaux vous diront négligentes; L'aiguille détestée aura fui de vos doigts, Ou, de la mélodie interrompant les lois, 25 Sur l'instrument mobile, harmonieux ivoire, Vos mains auront perdu la touche blanche et noire; Demain, sous l'humble habit du jour laborieux, Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux... Ils chercheront en vain, sur la feuille indocile, 30 De ses simples discours le sens clair et facile; Loin du papier noirci, votre esprit égaré, Partant, seul et léger, vers le bal adoré, Laissera de vos yeux l'indécise prunelle Recommencer vingt fois une page éternelle. 35 Prolongez, s'il se peut, oh! prolongez la nuit, Qui d'un pas diligent plus que vos pas s'enfuit! Le signal est donné, l'archet frémit encore Elancez-vous, liez ces pas nouveaux Que l'Anglais inventa, noeuds chers à Terpsichore, 40 Qui d'une molle chaÃne imitent les anneaux. Dansez, un soir encore usez de votre vie L'étincelante nuit d'un long jour est suivie; A l'orchestre brillant le silence fatal Succède, et les dégoûts aux doux propos du bal. 45 Ah! reculez le jour où, surveillantes mères, Vous saurez du berceau les angoisses amères Car, dès que de l'enfant le cri s'est élevé, Adieu, plaisir, long voile à demi relevé, Et parure éclatante, et beaux joyaux des fêtes, 50 Et le soir, en passant, les riantes conquêtes Sous les ormes, le soir, aux heures de l'amour, Quand les feux suspendus ont rallumé le jour. Mais, aux yeux maternels, les veilles inquiètes Ne manquèrent jamais, ni les peines muettes 55 Que dédaigne l'époux, que l'enfant méconnaÃt, Et dont le souvenir dans les songes renaÃt. Ainsi, toute au berceau qui la tient asservie, La mère avec ses pleurs voit s'écouler sa vie. Rappelez les plaisirs, ils fuiront votre voix, 60 Et leurs chaÃnes de fleurs se rompront sous vos doigts. Ensemble, à pas légers, traversez la carrière; Que votre main touche une heureuse main, Et que vos pieds savants à leur place première Reviennent, balancés dans leur double chemin. 65 Dansez un jour, hélas! ô reines éphémères! De votre jeune empire auront fui les chimères. Rien n'occupera plus vos coeurs désenchantés, Que des rêves d'amour bien vite épouvantés, Et le regret lointain de ces fraÃches années 70 Qu'un souffle a fait mourir, en moins de temps fanées Que la rose et l'oeillet, l'honneur de votre front; Et du temps indompté lorsque viendra l'affront, Quelles seront alors vos tardives alarmes? Un teint, déjà flétri, pâlira sous les larmes, 75 Les larmes à présent, doux trésors des amours, Les larmes, contre l'âge, inutile secours Car les ans maladifs, avec un doigt de glace, Des chagrins dans vos coeurs auront marqué la place, La morose vieillesse... Ô légères beautés! 80 Dansez, multipliez vos pas précipités, Et dans les blanches mains les mains entrelacées, Et les regards de feu, les guirlandes froissées, Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs, Et que la salle au loin tremble de vos plaisirs. Paris, 1818. LE TRAPPISTE [" On a proposé au roi de profiter du temps pour quitter Madrid avec une escorte sûre; mais l'infortuné prince n'a pu se résoudre à suivre ce conseil. Le bruit s'étant répandu parmi les gardes que le roi était emmené hors du palais, prisonnier des Cortès, l'ardeur de cette troupe fidèle ne pouvait plus se contenir. Elle résolut de pénétrer jusqu'au palais et de mettre le roi en liberté. Après une charge meurtrière, ils parvinrent sur la place du palais. Ils attendaient impatiemment des ordres; nul ordre ne fut donné de l'intérieur! Figurez-vous le palais du roi entouré de ses malheureux gardes, dix pièces de canon braquées contre les portes et les fenêtres, dix mille personnes, tant miliciens que bandits, poussant des cris épouvantables... Ils ont combattu... Le nombre des gardes échappés vers l'armée de la Foi est d'environ trois cents... Le roi a paru au balcon et a salué le peuple. " Moniteur, 15 juillet 1822.] POÈME C'ETAIT une des nuits qui des feux de l'Espagne Par des froids bienfaisants consolent la campagne; L'ombre était transparente, et le lac argenté Brillait à l'horizon sous un voile enchanté; 5 Une lune immobile éclairait les vallées Où des citronniers verts serpentent les allées; Des milliers de soleils, sans offenser les yeux, Tels qu'une poudre d'or, semaient l'azur des cieux, Et les monts inclinés, verdoyante ceinture 10 Qu'en cercles inégaux enchaÃna la nature, De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté, Revêtus d'un manteau bleuâtre et velouté. Mais aucun n'égalait, dans sa magnificence, Le mont Serrat, paré de toute sa puissance 15 Quand des nuages blancs sur son dos arrondi Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi, Les brisant de son front, comme un nageur habile, Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile; Tantôt un piton noir, seul dans le firmament, 20 Tel qu'un fantôme énorme, arrivait lentement; Tantôt un bois riant, sur une roche agreste, S'éclairait, suspendu comme une Ãle céleste. Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours, Comme une forteresse au milieu de ses tours, 25 Sortait le pic immense il semblait à ses plaines Des vents frais de la nuit partager les haleines; Et l'orage indécis, murmurant à ses pieds, Pendait encor d'en haut sur les monts effrayés. En spectacles pompeux la nature est féconde, 30 Mais l'homme a des pensers bien plus grands que le monde. Quelquefois tout un peuple endormi dans ses maux S'éveille, et, saisissant le glaive des hameaux, Maudissant la révolte impure et tortueuse, Élève tout à coup sa voix majestueuse 35 Il redemande à Dieu ses autels profanés, Il appelle à grands cris ses rois emprisonnés; Comme un tigre, il arrache, il emporte sa chaÃne; Il s'élève, il grandit, il s'étend comme un chêne, Et de ses mille bras il couvre en liberté 40 Les sillons paternels du sol qui l'a porté. Ainsi, terre indocile, à ton roi seul constante, Vendée, où la chaumière est encore une tente, Ainsi de ton Bocage aux détours meurtriers Sortirent en priant les paysans guerriers 45 Ainsi, se relevant, l'infatigable Espagne Fait sortir des héros du creux de la montagne. Sur des rochers, non loin de ces antres sacrés, Où Pélage appela les Goths désespérés, D'où sort toujours la gloire, et qui gardent encore, 50 Hélas! les os français mêlés à ceux du More, Au-dessus de la nue, au-dessus des torrents, Viennent de s'assembler les montagnards errants. La pourpre du réseau dont leur front s'environne Forme autour des cheveux une mâle couronne, 55 Et la corde légère, avec des noeuds puissants, S'est tressée en sandale à leurs pieds bondissants. Le silence est profond dans la foule attentive; Car la hache pesante, avec la flamme active, D'un chêne que cent ans n'ont pas su protéger 60 Ont fait pour leur prière un autel passager. Là ce chef dont le nom sème au loin l'épouvante Dépose devant Dieu son oraison fervente; Triomphateur sans pompe, il va d'une humble voix Chanter le TE DEUM sous le dôme des bois. 65 Est-ce un guerrier farouche? est-ce un pieux apôtre? Sous la robe de l'un il a les traits de l'autre Il est prêtre, et, pourtant, promptement irrité, Il est soldat aussi, mais plein d'austérité; Son front est triste et pâle, et son oeil intrépide; 70 Son bras frappe et bénit, son langage est rapide; Il passe dans la foule et ne s'y mêle pas; Un pain noir et grossier compose ses repas; Il parle, on obéit; on tremble s'il commande, Et nul sur son destin ne tente une demande. 75 Le Trappiste est son nom ce terrible inconnu, Sorti jadis du monde, au monde est revenu; Car, soulevant l'oubli dont ces couvents funèbres A leurs moines muets imposent les ténèbres, Il reparut au jour, dans une main la croix, 80 Dans l'autre, secouant, au nom des anciens rois, Ce fouet dont Jésus-Christ, de son bras pacifique, Du haut des longs degrés du temple magnifique, Renversa les vendeurs qui souillaient le saint mur, Dans les débris épars de leur trafic impur. 85 Soit que la main de Dieu le couvre ou se retire, Le condamne à la gloire où l'élève au martyre, S'il vit, il reviendra sans plainte et sans orgueil, D'un bras sanglant encore achever son cercueil, Et, reprendre, courbé, l'agriculture austère 90 Dont il s'est trop longtemps reposé dans la guerre. Tel un mort, évoqué par de magiques voix, Envoyé du sépulcre, apparaÃt pour les rois, Marche, prédit, menace, et retourne à sa tombe, Dont la pierre éternelle en gémissant retombe. 95 Parmi les montagnards, ces robustes bergers, Aventuriers hardis, chasseurs aux pieds légers, Qui rangent sous sa loi leur troupe volontaire, Nul n'a voulu savoir ce qu'il a voulu taire. Dieu l'inspire et l'envoie, il le dit c'est assez, 100 Pourvu que leurs combats leur soient toujours laissés. Joyeux, ils voyaient donc, sanctifiant leur gloire, Ce prêtre offrir à Dieu leur première victoire. Pour lui, couvert de l'aube et de l'étole orné, Devant l'autel agreste il s'était retourné. 105 Déjà , soldat du Christ près d'entrer dans la lice, Il remplissait son coeur des baumes du calice. Mais des soupirs, des bruits s'élèvent; un grand cri L'interrompt; il s'étonne, et, lui-même attendri, Voit un jeune inconnu, dont la tête est sanglante, 110 TraÃnant jusqu'à l'autel sa marche faible et lente, Montrant un fer brisé qui soutenait sa main, Qui défendit sa fuite et fraya son chemin. C'est un de ces guerriers dont la constante veille Fait qu'en ses palais d'or la royauté sommeille. 115 Il tombe! mais il parle, et sa tremblante voix S'efforce à ce discours entrecoupé trois fois " Pour qui donc cet autel au milieu des ténèbres? N'y chantez pas, ou bien dites des chants funèbres. Quel Espagnol ne sait les hymnes du trépas? 120 Les nouveaux noms des morts ne vous manqueront pas J'apporte sur vos monts de sanglantes nouvelles. - Quoi! le roi n'est-il plus? disaient les voix fidèles. - Pleurez! - Il est donc mort? - Pleurez; il est vivant! " Et le jeune martyr, sur un bras se levant, 125 Tel qu'un gladiateur dont la paupière errante Cherche le sol qui tourne, et fuit sa main mourante " Nos combats sont finis, dit-il, en un seul jour; Nos taureaux ont quitté le cirque, et sans retour, Puisque le spectateur à qui s'offrait la lutte 130 N'a pas daigné lui-même applaudir à leur chute. Pour vous, si vous savez les secrets du devoir, Partez, je vais mourir avant de les savoir. Mais, si vous rencontrez, non loin de ces montagnes, Des soldats qui vont vite à travers les campagnes, 135 Qui portent sous leurs bras des fusils renversés, Et passent en silence et leurs fronts abaissés, Ne les engagez pas à cesser leur retraite; Ils vous refuseraient en secouant la tête; Car ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi, 140 De retremper leur âme aux sources de la foi. Nul ne sait s'il succombe ou fidèle ou parjure, Et si le dévoûment ne fut pas une injure. Vous, habitant sacré du mont silencieux, Instruit des saintes morts que préfèrent les Cieux, 145 Jugez-nous et parlez... Vous savez quelle proie Le peuple osa vouloir dans sa féroce joie? Vous le savez, un roi ne porte pas des fers Sans que leur bruit s'entende an bout de l'univers. Nous qui pensions encore, avant l'heure où nous sommes, 150 Qu'un serment prononcé devait lier les hommes, Partant avec le jour, qui se levait sur nous Brillant, mais dont le soir n'est pas venu pour tous, Au palais, dont le peuple envahissait les portes, En silence, à grands pas, marchaient nos trois cohortes 155 Quand le balcon royal à nos yeux vint s'offrir, Nous l'avons salué, car nous venions mourir. Mais, comme à notre voix il n'y paraÃt personne, Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne, A leur joie insultante, à leur nombre croissant, 160 Nous croyons le roi mort parce qu'il est absent; Et, gémissant alors sur de fausses alarmes, Accusant nos retards, nous répandions des larmes. Mais un bruit les arrête, et, passé dans nos rangs, Fait presque de leur mort repentir nos mourants. 165 Nous n'osons plus frapper, de peur qu'un plomb fidèle N'aille blesser le roi dans la foule rebelle. Déjà , le fer levé, s'avancent ses amis, Par nos bourreaux sanglants à nous tuer admis. Nous recevons leurs coups longtemps avant d'y croire, 170 Et notre étonnement nous ôte la victoire. En retirant vers vous nos rangs irrésolus, Nous combattions toujours, mais nous ne pleurions plus. " II se tut. Il régna, de montagne en montagne, Un bruit sourd qui semblait un soupir de l'Espagne. 175 Le Trappiste incliné mit sa main sur ses yeux. On ne sait s'il pleura; car, tranquille et pieux, Levant son front creusé par les rides antiques, Sa voix grave apaisa les bataillons rustiques Comme au vent du midi la neige au loin se fond, 180 La rumeur s'éteignit dans un calme profond. La lune alors plus belle écartait un nuage, Et du moins héroïque éclairait le visage; Troublé sur ses sommets et dans sa profondeur, Le mont de tous ses bruits déployait la grandeur; 185 Aux mots entrecoupés du vainqueur catholique, Se mêlait d'un torrent la voix mélancolique, Le froissement léger des mélèzes touffus, D'un combat éloigné les coups longs et confus, Et des loups affamés les hurlements funèbres, 190 Et le cri des vautours volant dans les ténèbres. " Frères, il faut mourir; qu'importe le moment? Et si de notre mort le fatal instrument Est cette main des rois qui, jadis salutaire, Touchait pour les guérir les peuples de la terre; 195 Quand même, nous brisant sous notre propre effort, L'arche que nous portons nous donnerait la mort; Quand même par nous seuls la couronne sauvée Écraserait un jour ceux qui l'ont relevée, Seriez-vous étonnés, et vos fidèles bras 200 Seraient-ils moins ardents à servir les ingrats? Vous seriez-vous flattés qu'on trouvât sur la terre La palme réservée au martyr volontaire? Hommes toujours déçus, j'en appelle à vous tous; Interrogez vos coeurs, voyez autour de vous; 205 Rappelez vos liens, vos premières années, Et d'un juste coup d'oeil sondez vos destinées. Amis, frères, amants, qui vous a donc appris Qu'un dévoûment jamais dût recevoir son prix? Beaucoup semaient le bien d'une main vigilante, 210 Qui n'ont pu récolter qu'une moisson sanglante. Si la couche est trompeuse et le foyer pervers, Qu'avez-vous attendu des rois de l'univers? Ô faiblesse mortelle, ô misère des hommes! Plaignons notre nature et le siècle où nous sommes 215 Gémissons en secret sur les fronts couronnés; Mais servons-les pour Dieu qui nous les a donnés. Notre cause est sacrée, et dans les coeurs subsiste. En vain les rois s'en vont la royauté résiste, Son principe est en haut, en haut est son appui; 220 Car tout vient du Seigneur, et tout retourne à lui. Dieu seul est juste, enfants; sans lui tout est mensonge, Sans lui le mourant dit " La vertu n'est qu'un songe. " Nous allons le prier, et pour le prince absent, Et pour tous les martyrs dont coule encor le sang. 225 Je donne cette nuit à vos dernières larmes Demain, nous chercherons, à la pointe des armes, Pour le roi la couronne, et des tombeaux pour nous. " Amen! dit l'assemblée, en tombant à genoux. En 1822, à Courbevoie. LA FRÉGATE LA SÉRIEUSE OU LA PLAINTE DU CAPITAINE POÈME I QU'ELLE était belle, ma frégate, Lorsqu'elle voguait dans le vent! Elle avait, au soleil levant, Toutes les couleurs de l'agate; 5 Ses voiles luisaient le matin Comme des ballons de satin; Sa quille mince, longue et plate, Portait deux bandes d'écarlate Sur vingt-quatre canons cachés; 10 Ses mâts, en arrière penchés, Paraissaient à demi-couchés. Dix fois plus vive qu'un pirate, En cent jours du Havre à Surate Elle nous emporta souvent. 15 - Qu'elle était belle, ma frégate, Lorsqu'elle voguait dans le vent! II BREST vante son beau port et cette rade insigne Où peuvent manoeuvrer trois cents vaisseaux de ligne; BOULOGNE, sa cité haute et double, et CALAIS, 20 Sa citadelle assise en mer comme un palais; DIEPPE a son vieux château soutenu par la dune, Ses baigneuses cherchant la vague au clair de lune, Et ses deux monts en vain par la mer insultés; CHERBOURG a ses fanaux de bien loin consultés, 25 Et gronde en menaçant Guernsey la sentinelle Debout près de Jersey, presque en France ainsi qu'elle. LORIENT, dans sa rade au mouillage inégal, Reçoit la poudre d'or des noirs du Sénégal; SAINT-MALO dans son port tranquillement regarde 30 Mille rochers debout qui lui servent de garde; LE HAVRE a pour parure ensemble et pour appui Notre-Dame de Grâce et HONFLEUR devant lui; BORDEAUX, de ses longs quais parés de maisons neuves, Porte jusqu'à la mer ses vins sur deux grands fleuves; 35 Toute ville à MARSEILLE aurait droit d'envier Sa ceinture de fruits, d'orange et d'olivier; D'or et de fer BAYONNE en tout temps fut prodigue; Du grand cardinal-duc LA ROCHELLE a la digue; Tous nos ports ont leur gloire ou leur luxe à nommer; 40 Mais TOULON a lancé la Sérieuse en mer. LA TRAVERSÉE III Quand la belle Sérieuse Pour l'Égypte appareilla, Sa figure gracieuse Avant le jour s'éveilla; 45 A la lueur des étoiles Elle déploya ses voiles, Leurs cordages et leurs toiles, Comme de larges réseaux, Avec ce long bruit qui tremble, 50 Qui se prolonge et ressemble Au bruit des ailes qu'ensemble Ouvre une troupe d'oiseaux. IV Dès que l'ancre dégagée, Revient par son câble à bord, 55 La proue alors est changée, Selon l'aiguille et le nord. La Sérieuse l'observe, Elle passe la Réserve, Et puis marche de conserve 60 Avec le grand Orient Sa voilure toute blanche Comme un sein gonflé se penche; Chaque mât, comme une branche, Touche la vague en pliant. V 65 Avec sa démarche leste, Elle glisse et prend le vent, Laisse à l'arrière l'Alceste, Et marche seule à l'avant. Par son pavillon conduite, 70 L'escadre n'est à sa suite Que lorsqu'arrêtant sa fuite, Elle veut l'attendre enfin Mais, de bons marins pourvue, Aussitôt qu'elle est en vue, 75 Par sa manoeuvre imprévue, Elle part comme un dauphin. VI Comme un dauphin elle saute, Elle plonge comme lui Dans la mer profonde et haute, 80 Où le feu Saint-Elme a lui. Le feu serpente avec grâce; Du gouvernail qu'il embrasse Il marque longtemps la trace, Et l'on dirait un éclair 85 Qui, n'ayant pu nous atteindre, Dans les vagues va s'éteindre, Mais ne cesse de les teindre Du prisme enflammé de l'air. VII Ainsi qu'une forêt sombre 90 La flotte venait après, Et de loin s'étendait l'ombre De ses immenses agrès. En voyant le Spartiate, Le Franklin et sa frégate, 95 Le bleu, le blanc, l'écarlate, De cent mâts nationaux, L'armée, en convoi, remise Comme en garde à l'Artémise, Nous nous dÃmes " C'est Venise 100 Qui s'avance sur les eaux. " VIII Quel plaisir d'aller si vite, Et de voir son pavillon, Loin des terres qu'il évite Tracer un noble sillon! 105 Au large on voit mieux le monde, Et sa tête énorme et ronde Qui se balance et qui gronde, Comme éprouvant un affront, Parce que l'homme se joue 110 De sa force, et que la proue, Ainsi qu'une lourde roue, Fend sa route sur son front. IX Quel plaisir! et quel spectacle Que l'élément triste et froid 115 Ouvert ainsi sans obstacle Par un bois de chêne étroit! Sur la plaine humide et sombre, La nuit, reluisaient dans l'ombre Des insectes en grand nombre, 120 De merveilleux vermisseaux, Troupe brillante et frivole, Comme un feu follet qui vole, Ornant chaque banderole Et chaque mât des vaisseaux. X 125 Et surtout la Sérieuse Était belle, nuit et jour; La mer, douce et curieuse, La portait avec amour, Comme un vieux lion abaisse 130 Sa longue crinière épaisse, Et, sans l'agiter, y laisse Se jouer le lionceau; Comme sur sa tête agile Une femme tient l'argile, 135 Ou le jonc souple et fragile D'un mystérieux berceau. XI Moi, de sa poupe hautaine Je ne m'absentais jamais, Car, étant son capitaine, 140 Comme un enfant je l'aimais J'aurais moins aimé peut-être L'enfant que j'aurais vu naÃtre; De son coeur on n'est pas maÃtre. Moi, je suis un vrai marin; 145 Ma naissance est un mystère; Sans famille, et solitaire, Je ne connais pas la terre, Et la vois avec chagrin. XII Mon banc de quart est mon trône, 150 J'y règne plus que les rois; Sainte Barbe est ma patronne; Mon sceptre est mon porte-voix; Ma couronne est ma cocarde; Mes officiers sont ma garde; 155 A tous les vents je hasarde Mon peuple de matelots, Sans que personne demande A quel bord je veux qu'il tende, Et pourquoi je lui commande 160 D'être plus fort que les flots. XIII Voilà toute la famille Qu'en mon temps il me fallait; Ma frégate était ma fille. " Va! " lui disais-je. Elle allait, 165 S'élançait dans la carrière, Laissant l'écueil en arrière, Comme un cheval sa barrière; Et l'on m'a dit qu'une fois Quand je pris terre en Sicile 170 Sa marche fut moins facile Elle parut indocile Aux ordres d'une autre voix. XIV On l'aurait crue animée! Toute l'Égypte la prit, 175 Si blanche et si bien formée, Pour un gracieux Esprit Des Français compatriote, Lorsqu'en avant de la flotte, Dont elle était le pilote, 180 Doublant une vieille tour, Elle entra, sans avarie, Aux cris " Vive la patrie! " Dans le port d'Alexandrie, Qu'on appelle Abou-Mandour. LE REPOS XV 185 Une fois, par malheur, si vous avez pris terre, Peut-être qu'un de vous, sur un lac solitaire, Aura vu, comme moi, quelque cygne endormi, Qui se laissait au vent balancer à demi. Sa tête nonchalante, en arrière appuyée, 190 Se cache dans la plume au soleil essuyée Son poitrail est lavé par le flot transparent, Comme un écueil où l'eau se joue en expirant; Le duvet qu'en passant l'air dérobe à sa plume Autour de lui s'envole et se mêle à l'écume; 195 Une aile est son coussin, l'autre est son éventail; Il dort, et de son pied le large gouvernail Trouble encore, en ramant, l'eau tournoyante et douce, Tandis que sur ses flancs se forme un lit de mousse, De feuilles et de joncs, et d'herbages errants 200 Qu'apportent près de lui d'invisibles courants. LE COMBAT XVI Ainsi près d'Aboukir reposait ma frégate; A l'ancre dans la rade, en avant des vaisseaux, On voyait de bien loin son corset d'écarlate Se mirer dans les eaux. 205 Ses canots l'entouraient, à leur place assignée. Pas une voile ouverte, on était sans dangers. Ses cordages semblaient des filets d'araignée, Tant ils étaient légers. Nous étions tous marins. Plus de soldats timides 210 Qui chancellent à bord ainsi que des enfants; Ils marchaient sur leur sol, prenant des Pyramides, Montant des éléphants. Il faisait beau. - La mer, de sable environnée, Brillait comme un bassin d'argent entouré d'or; 215 Un vaste soleil rouge annonça la journée Du quinze thermidor. La Sérieuse alors s'ébranla sur sa quille Quand venait un combat, c'était toujours ainsi; Je le reconnus bien, et je lui dis " Ma fille, 220 Je te comprends, merci! " J'avais une lunette exercée aux étoiles; Je la pris, et la tins ferme sur l'horizon. - Une, deux, trois, - je vis treize et quatorze voiles Enfin, c'était Nelson. 225 Il courait contre nous en avant de la brise; Et la Sérieuse à l'ancre, immobile s'offrant, Reçut le rude abord sans en être surprise, Comme un roc un torrent. Tous passèrent près d'elle en lâchant leur bordée; 230 Fière, elle répondit aussi quatorze fois, Et par tous les vaisseaux elle fut débordée, Mais il en resta trois. Trois vaisseaux de haut bord - combattre une frégate! Est-ce l'art d'un marin? le trait d'un amiral? 235 Un écumeur de mer, un forban, un pirate, N'eût pas agi si mal! N'importe! elle bondit, dans son repos troublée, Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs, Et rendit tous les coups dont elle était criblée, 240 Feux pour feux, fers pour fers. Ses boulets enchaÃnés fauchaient des mâts énormes, Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron, S'enfonçaient dans le bois, comme au coeur des grands ormes Le coin du bûcheron. 245 Un brouillard de fumée où la flamme étincelle L'entourait; mais, le corps brûlé, noir, écharpé, Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle, Comme un serpent coupé. Le soleil s'éclipsa dans l'air plein de bitume. 250 Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit; Et, lorsque la nuit vint, sous cette ardente brume On ne vit pas la nuit. Nous étions enfermés comme dans un orage Des deux flottes au loin le canon s'y mêlait; 255 On tirait en aveugle à travers le nuage Toute la mer brûlait. Mais, quand le jour revint, chacun connut son oeuvre. Les trois vaisseaux flottaient démâtés, et si las, Qu'ils n'avaient plus de force assez pour la manoeuvre; 260 Mais ma frégate, hélas! Elle ne voulait plus obéir à son maÃtre Mutilée, impuissante, elle allait au hasard; Sans gouvernail, sans mât, on n'eût pu reconnaÃtre La merveille de l'art! 265 Engloutie à demi, son large pont à peine, S'affaissant par degrés, se montrait sur les flots; Et là ne restaient plus, avec moi capitaine, Que douze matelots. Je les fis mettre en mer à bord d'une chaloupe, 270 Hors de notre eau tournante et de son tourbillon; Et je revins tout seul me coucher sur la poupe Au pied du pavillon. J'aperçus des Anglais les figures livides, Faisant pour s'approcher un inutile effort 275 Sur leurs vaisseaux flottants comme des tonneaux vides, Vaincus par notre mort. La Sérieuse alors semblait à l'agonie; L'eau dans ses cavités bouillonnait sourdement; Elle, comme voyant sa carrière finie, 280 Gémit profondément. Je me sentis pleurer, et ce fut un prodige, Un mouvement honteux; mais bientôt l'étouffant " Nous nous sommes conduits comme il fallait, lui dis-je; Adieu donc, mon enfant! " 285 Elle plonge d'abord sa poupe, et puis sa proue; Mon pavillon noyé se montrait en dessous; Puis elle s'enfonça, tournant comme une roue, Et la mer vint sur nous. XVII Hélas! deux mousses d'Angleterre 290 Me sauvèrent alors, dit-on, Et me voici sur un ponton ; - J'aimerais presque autant la terre! Cependant je respire ici L'odeur de la vague et des brises. 295 Vous êtes marins. Dieu merci! Nous causons de combats, de prises; Nous fumons, et nous prenons l'air Qui vient aux sabords de la mer, Votre voix m'anime et me flatte, 300 Aussi je vous dirai souvent Qu'elle était belle ma frégate, Lorsqu'elle voguait dans le vent! " Dieppe, 1828. LES AMANTS DE MONTMORENCY ÉLÉVATION I ETAIENT-ILS malheureux? Esprits qui le savez! Dans les trois derniers jours qu'ils s'étaient réservés, Vous les vÃtes partir tous deux, l'un jeune et grave, L'autre joyeuse et jeune. Insouciante esclave, 5 Suspendue au bras droit de son rêveur amant, Comme à l'autel un vase attaché mollement, Balancée en marchant sur sa flexible épaule Comme la harpe juive à la branche du saule; Riant, les yeux en l'air, et la main dans sa main, 10 Elle allait en comptant les arbres du chemin, Pour cueillir une fleur demeurait en arrière, Puis revenait à lui, courant dans la poussière, L'arrêtait par l'habit pour l'embrasser, posait Un oeillet sur sa tête, et chantait, et jasait 15 Sur les passants nombreux, sur la riche vallée Comme un large tapis à ses pieds étalée; Beau tapis de velours chatoyant et changeant, Semé de clochers d'or et de maisons d'argent, Tout pareils aux jouets qu'aux enfants on achète 20 Et qu'au hasard pour eux par la chambre l'on jette. Ainsi, pour lui complaire, on avait sous ses pieds Répandu des bijoux brillants, multipliés, En forme de troupeaux, de village aux toits roses Ou bleus, d'arbres rangés, de fleurs sous l'onde écloses, 25 De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts, Et de chênes tordus, par la poitrine ouverts; Elle voyait ainsi tout préparé pour elle Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle, Toute blonde amoureuse et fière; et c'est ainsi 30 Qu'ils allèrent à pied jusqu'à Montmorency. II Ils passèrent deux jours d'amour et d'harmonie, De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie, De regards confondus, de soupirs bienheureux, Qui furent deux moments et deux siècles pour eux. 35 La nuit, on entendait leurs chants; dans la journée, Leur sommeil, tant leur âme était abandonnée Aux caprices divins du désir! Leurs repas Etaient rares, distraits; ils ne les voyaient pas. Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures, 40 Passant des champs aux bois, et des bois aux demeures, Se regardant toujours, laissant les airs chantés Mourir, et tout à coup restaient comme enchantés. L'extase avait fini par éblouir leur âme, Comme seraient nos yeux éblouis par la flamme. 45 Troublés, ils chancelaient, et, le troisième soir, Ils étaient enivrés jusques à ne rien voir Que les feux mutuels de leurs yeux. La nature Étalait vainement sa confuse peinture Autour du front aimé, derrière les cheveux 50 Que leurs yeux noirs voyaient tracés dans leurs yeux bleus. Ils tombèrent assis sous des arbres peut-être... Ils ne le savaient pas. Le soleil allait naÃtre Ou s'éteindre... Ils voyaient seulement que le jour Était pâle, et l'air doux, et le monde en amour... 55 Un bourdonnement faible emplissait leur oreille D'une musique vague au bruit des mers pareille, Et formant des propos tendres, légers, confus, Que tous deux entendaient, et qu'on n'entendra plus. Le vent léger disait de sa voix la plus douce 60 " Quand l'amour m'a troublé, je gémis sous la mousse. " Les mélèzes touffus s'agitaient en disant " Secouons dans les airs le parfum séduisant Du soir, car le parfum est le secret langage Que l'amour enflammé fait sortir du feuillage. " 65 Le soleil incliné sur les monts dit encor " Par mes flots de lumière et par mes gerbes d'or, Je réponds en élans aux élans de votre âme; Pour exprimer l'amour mon langage est la flamme. " Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs; 70 Autant que les rayons de suaves ardeurs; Et l'on eût dit des voix timides et flûtées Qui sortaient à la fois des feuilles veloutées; Et, comme un seul accord d'accents harmonieux, Tout semblait s'élever en choeur jusques aux cieux; 75 Et ces voix s'éloignaient, en rasant les campagnes, Dans les enfoncements magiques des montagnes; Et la terre sous eux palpitait mollement, Comme le flot des mers ou le coeur d'un amant; Et tout ce qui vivait, par un hymne suprême, 80 Accompagnait leurs voix qui se disaient " Je t'aime ! " III Or, c'était pour mourir qu'ils étaient venus là . Lequel des deux enfants le premier en parla? Comment dans leurs baisers vint la mort? Quelle balle Traversa les deux coeurs d'une atteinte inégale 85 Mais sûre? Quels adieux leurs lèvres s'unissant Laissèrent s'écouler avec l'âme et le sang? Qui le saurait? Heureux celui dont l'agonie Fut dans les bras chéris avant l'autre finie! Heureux si nul des deux ne s'est plaint de souffrir! 90 Si nul des deux n'a dit Qu'on a peine à mourir! Si nul des deux n'a fait, pour se lever et vivre, Quelque effort en fuyant celui qu'il devait suivre; Et, reniant sa mort, par le mal égaré, N'a repoussé du bras l'homicide adoré? 95 Heureux l'homme surtout s'il a rendu son âme, Sans avoir entendu ces angoisses de femme, Ces longs pleurs, ces sanglots, ces cris perçants et doux Qu'on apaise en ses bras ou sur ses deux genoux, Pour un chagrin; mais qui, si la mort les arrache, 100 Font que l'on tord ses bras, qu'on blasphème, qu'on cache Dans ses mains son front pâle et son coeur plein de fiel, Et qu'on se prend du sang pour le jeter au ciel. - Mais qui saura leur fin? - Sur les pauvres murailles 105 D'une auberge où depuis l'on fit leurs funérailles, Auberge où pour une heure ils vinrent se poser, Ployant l'aile à l'abri pour toujours reposer, Sur un vieux papier jaune, ordinaire tenture, Nous avons lu des vers d'une double écriture, 110 Des vers de fou, sans rime et sans mesure. - Un mot Qui n'avait pas de suite était tout seul en haut; Demande sans réponse, énigme inextricable, Question sur la mort. - Trois noms sur une table, Profondément gravés au couteau. - C'était d'eux 115 Tout ce qui demeurait... et le récit joyeux D'une fille au bras rouge. " Ils n'avaient, disait-elle, Rien oublié. " La bonne eut quelque bagatelle Qu'elle montre en suivant leurs traces, pas à pas. - Et Dieu? - Tel est le siècle ils n'y pensèrent pas. Écrit à Montmorency, 27 avril 1830. PARIS. ÉLÉVATION. " Prends ma main. Voyageur, et montons sur la Regarde tout en bas, et regarde à l'entour. Regarde jusqu'au bout de l'horizon, regarde Du nord au sud. Partout où ton oeil se hasarde, 5 Qu'il s'attache avec feu, comme l'oeil du serpent Qui pompe du regard ce qu'il suit en rampant, Tourne sur le donjon qu'un parapet prolonge, D'où la vue à loisir sur tous les points se plonge Et règne, du zénith, sur un monde mouvant 10 Comme l'éclair, l'oiseau, le nuage et le vent. Que vois-tu dans la nuit, à nos pieds, dans l'espace, Et partout où mon doigt tourne, passe et repasse? - Je vois un cercle noir si large et si profond, Que je n'en aperçois ni le bout ni le fond. 15 Des collines, au loin, me semblent sa ceinture, Et pourtant je ne vois nulle part la nature, Mais partout la main d'homme et l'angle que sa main Impose à la matière en tout travail humain. Je vois ces angles noirs et luisants qui, dans l'ombre, 20 L'un sur l'autre entassés, sans ordre ni sans nombre, Coupent des murs blanchis pareils à des tombeaux. - Je vois fumer, brûler, éclater des flambeaux, Brillant sur cet abÃme où l'air pénètre à peine Comme des diamants incrustés dans l'ébène. 25 - Un fleuve y dort sans bruit, replié dans son cours, Comme dans un buisson la couleuvre aux cent tours. Des ombres de palais, de dômes et d'aiguilles, De tours et de donjons, de clochers, de bastilles, De châteaux-forts, de kiosks et d'aigus minarets; 30 De formes de remparts, de jardins, de forêts, De spirales, d'arceaux, de parcs, de colonnades, D'obélisques, de ponts, de portes et d'arcades, Tout fourmille et grandit, se cramponne en montant, Se courbe, se replie, ou se creuse ou s'étend. 35 - Dans un brouillard de feu je crois voir ce grand rêve. La Tour où nous voilà dans ce cercle s'élève; En le traçant jadis, c'est ici, n'est-ce pas, Que Dieu même a posé le centre du compas? Le vertige m'enivre, et sur mes yeux il pèse. 40 Vois-je une Roue ardente, ou bien une Fournaise? " - Oui, c'est bien une Roue; et c'est la main de Dieu Qui tient et fait mouvoir son invisible essieu. Vers le but inconnu sans cesse elle s'avance. On la nomme PARIS, le pivot de la France. 45 Quand la vivante Roue hésite dans ses tours, Tout hésite et s'étonne, et recule en son cours. Les rayons effrayés disent au cercle " Arrête. " Il le dit à son tour aux cercles dont la crête S'enchâsse dans la sienne et tourne sous sa loi. 50 L'un le redit à l'autre; et l'impassible roi, Paris, l'axe immortel, Paris, l'axe du monde, Puise ses mouvements dans sa vigueur profonde, Les communique à tous, les imprime à chacun, Les impose de force, et n'en reçoit aucun. 55 Il se meut; tout s'ébranle, et tournoie et circule; Le coeur du ressort bat, et pousse la bascule; L'aiguille tremble et court à grands pas; le levier Monte et baisse en sa ligne, et n'ose dévier. Tous marchent leur chemin, et chacun d'eux écoute 60 Le pas régulateur qui leur creuse la route. Il leur faut écouter et suivre; il le faut bien Car lorsqu'il arriva, dans un temps plus ancien, Qu'un rouage isola son mouvement diurne, Dans le bruit du travail demeura taciturne, 65 Et, brisa, par orgueil, sa chaÃne et son ressort, Comme un bras que l'on coupe, il fut frappé de mort. Car Paris l'éternel de leurs efforts se joue, Et le moyeu divin tournerait sans la roue; Quand même tout voudrait revenir sur ses pas, 70 Seul il irait; lui seul ne s'arrêterait pas, Et tu verrais la force et l'union ravie Aux rayons qui partaient de son centre de vie. C'est donc bien, voyageur, une roue en effet. Le vertige parfois est prophétique. Il fait 75 Qu'une fournaise ardente éblouit ta paupière? C'est la fournaise aussi que tu vois. - Sa lumière Teint de rouge les bords du ciel noir et profond; C'est un feu sous un dôme obscur, large et sans fond; Là , dans les nuits d'hiver et d'été, quand les heures 80 Font du bruit en sonnant sur le toit des demeures, Parce que l'homme y dort, là veillent des Esprits, Grands ouvriers d'une oeuvre et sans nom et sans prix. La nuit, leur lampe brûle, et, le jour, elle fume; Le jour, elle a fumé, le soir, elle s'allume, 85 Et toujours et sans cesse alimente les feux De la Fournaise d'or que nous voyons tous deux, Et qui, se reflétant sur la sainte coupole, Est du globe endormi la céleste auréole. Chacun d'eux courbe un front pâle, il prie, il écrit, 90 Il désespère, il pleure; il espère, il sourit; Il arrache son sein et ses cheveux, s'enfonce Dans l'énigme sans fin dont Dieu sait la réponse, Et dont l'humanité, demandant son décret, Tous les mille ans rejette et cherche le secret. 95 Chacun d'eux pousse un cri d'amour vers une idée. L'un [M. l'abbé de Lamennais] soutient en pleurant la croix dépossédée, S'assied près du Sépulcre et seul, comme un banni, Il se frappe en disant Lamma Sabacthani; Dans son sang, dans ses pleurs, il baigne, il noie, il plonge 100 La couronne d'épine et la lance et l'éponge, Baise le corps du Christ, le soulève, et lui dit " Reparais, Roi des Juifs, ainsi qu'il est prédit; Viens, ressuscite encore aux yeux du seul apôtre. L'Église meurt renais dans sa cendre et la nôtre, 105 Règne, et sur les débris des schismes expiés, Renverse tes gardiens des lueurs de tes pieds. " Rien. Le corps du Dieu ploie aux mains du dernier homme, Prêtre pauvre et puissant pour Rome et malgré Rome. Le cadavre adoré, de ses clous immortels 110 Ne laisse plus tomber de sang pour ses autels; Rien. Il n'ouvrira pas son oreille endormie Aux lamentations du nouveau Jérémie, Et le laissera seul, mais d'une habile main, Retremper la tiare en l'alliage humain. 115 " Liberté! " [Benjamin Constant] crie un autre, et soudain la tristesse Comme un taureau le tue aux pieds de sa déesse, Parce qu'ayant en vain quarante ans combattu, Il ne peut rien construire où tout est abattu. N'importe! Autour de lui des travailleurs sans nombre, 120 Aveugles, inquiets, cherchent à travers l'ombre Je ne sais quels chemins qu'ils ne connaissent pas, Réglant et mesurant, sans règle et sans compas, L'un sur l'autre semant des arbres sans racines, Et mettant au hasard l'ordre dans les ruines. 125 Et, comme il est écrit que chacun porte en soi Ce mal qui le tuera, regarde en bas, et voi. Derrière eux s'est groupée une famille forte, [L'école Saint-Simonienne] Qui les ronge et du pied pile leur oeuvre morte, Écrase les débris qu'a faits la Liberté, 130 Y roule le niveau qu'on nomme Égalité, Et veut les mettre en cendre, afin que pour sa tête L'homme n'ait d'autre abri que celui qu'elle apprête; Et c'est un temple un temple immense, universel, Où l'homme n'offrira ni l'encens, ni le sel, 135 Ni le sang, ni le pain, ni le vin, ni l'hostie, Mais son temps et sa vie en oeuvre convertie, Mais son amour de tous, son abnégation De lui, de l'héritage et de la nation. Seuls, sans père et sans fils, soumis à la parole, 140 L'union est son but et le travail son rôle, Et, selon celui-là qui parle après Jésus, Tous seront appelés et tous seront élus. - Ainsi tout est osé! Tu vois, pas de statue D'homme, de roi, de Dieu, qui ne soit abattue, 145 Mutilée à la pierre et rayée au couteau, Démembrée à la hache et broyée au marteau! Or ou plomb, tout métal est plongé dans la braise, Et jeté pour refondre en l'ardente fournaise. Tout brûle, craque, fume et coule; tout cela 150 Se tord, s'unit, se fend, tombe là , sort de là , Cela siffle et murmure ou gémit; cela crie, Cela chante, cela sonne, se parle et prie; Cela reluit, cela flambe et glisse dans l'air, Éclate en pluie ardente ou serpente en éclair. 155 OEuvre, ouvriers, tout brûle; au feu tout se féconde Salamandres partout! - Enfer! Éden du monde! Paris! principe et fin! ombre et flambeau!... - Je ne sais si c'est mal, tout cela; mais c'est beau! Mais c'est grand ! mais on sent jusqu'au fond de son âme 160 Qu'un monde tout nouveau se forge à cette flamme, Ou soleil, ou comète, on sent bien qu'il sera; Qu'il brûle ou qu'il éclaire, on sent qu'il tournera, Qu'il surgira brillant à travers la fumée, Qu'il vêtira pour tous quelque forme animée, 165 Symbolique, imprévue et pure, on ne sait quoi, Qui sera pour chacun le signe d'une foi, Couvrira, devant Dieu, la terre comme un voile, Ou de son avenir sera comme l'étoile, Et, dans des flots d'amour et d'union, enfin 170 Guidera la famille humaine vers sa fin; Mais que peut-être aussi, brûlant, pareil au glaive Dont le feu dessécha les pleurs dans les yeux d'Eve, Il ira labourant le globe comme un champ, Et semant la douleur du levant au couchant 175 Rasant l'oeuvre de l'homme et des temps comme l'herbe Dont un vaste incendie emporte chaque gerbe, En laissant le désert, qui suit son large cours Comme un géant vainqueur, s'étendre pour toujours. Peut-être que, partout où se verra sa flamme, 180 Dans tout corps s'éteindra le coeur, dans tout coeur l'âme, Que rois et nations, se jetant à genoux, Aux rochers ébranlés crieront " Écrasez-nous! Car voilà que Paris encore nous envoie Une perdition qui brise notre voie! " 185 - Que fais-tu donc, Paris, dans ton ardent foyer? Que jetteras-tu donc dans ton moule d'acier ? Ton ouvrage est sans forme, et se pétrit encore Sous la main ouvrière et le marteau sonore; Il s'étend, se resserre, et s'engloutit souvent 190 Dans le jeu des ressorts et du travail savant, Et voilà que déjà l'impatient esclave Se meut dans la Fournaise, et, sous les flots de lave, Il nous montre une tête énorme, et des regards Portant l'ombre et le jour dans leurs rayons hagards. 195 Je cessai de parler, car, dans le grand silence, Le sourd mugissement du centre de la France Monta jusqu'à la tour où nous étions placés, Apporté par le vent des nuages glacés. - Comme l'illusion de la raison se joue! 200 Je crus sentir mes pieds tourner avec la roue, Et le feu du brasier qui montait vers les cieux M'éblouit tellement que je fermai les yeux. - " Ah! dit le Voyageur, la hauteur où nous sommes De corps et d'âme est trop pour la force des hommes. 205 La tête a ses faux pas comme le pied les siens; Vous m'avez soutenu, c'est moi qui vous soutiens, Et je chancelle encor, n'osant plus sur la terre Contempler votre ville et son double mystère. Mais je crains bien pour elle et pour vous, car voilà 210 Quelque chose de noir, de lourd, de vaste, là , Au plus haut point du ciel, où ne sauraient atteindre Les feux dont l'horizon ne cesse de se teindre; Et je crois entrevoir ce rocher ténébreux Qu'annoncèrent jadis les prophètes hébreux. 215 Lorsqu'une meule énorme, ont-ils dit... - Il me semble La voir. - ...apparaÃtra sur la cité... - Je tremble Que ce ne soit Paris. - ...dont les enfants auront Effacé Jésus-Christ du coeur comme du front... Vous l'avez fait! - ...alors que la ville enivrée 220 D'elle-même, au plaisir du sang sera livrée... Qu'en pensez-vous? - ...alors l'Ange la rayera Du monde, et le rocher du ciel l'écrasera. " Je souris tristement - " Il se peut bien, lui dis-je, Que cela nous arrive avec ou sans prodige; 225 Le ciel est noir sur nous ; mais il faudrait alors Qu'ailleurs, pour l'avenir, il fût d'autres trésors, Et je n'en connais pas. Si la force divine Est en ceux dont l'esprit sent, prévoit et devine, Elle est ici. - Le Ciel la révère. - Et sur nous 230 L'ange exterminateur frapperait à genoux, Et sa main, à la fois flamboyante et timide, Tremblerait de commettre un second déicide. Mais abaissons nos yeux, et n'allons pas chercher Si ce que nous voyons est nuage ou rocher. 235 Descendons et quittons cette imposante cime D'où l'esprit voit un rêve et le corps un abÃme. - Je ne sais d'assurés, dans le chaos du sort, Que deux points seulement, LA SOUFFRANCE ET LA MORT. Tous les hommes y vont avec toutes les villes. 240 Mais les cendres, je crois, ne sont jamais stériles. Si celles de Paris un jour sur ton chemin Se trouvent, pèse-les, et prends-nous dans ta main, Et, voyant à la place une rase campagne, Dis " Le volcan a fait éclater sa montagne! " 245 Pense au triple labeur que je t'ai révélé, Et songe qu'au-dessus de ceux dont j'ai parlé Il en fut de meilleurs et de plus purs encore, Rares parmi tous ceux dont leur temps se décore, Que la foule admirait et blâmait à moitié, 250 Des hommes pleins d'amour, de doute et de pitié, Qui disaient Je ne sais, des choses de la vie, Dont le pouvoir ou l'or ne fut jamais l'envie, Et qui, par dévouement, sans détourner les yeux, Burent jusqu'à la lie un calice odieux. 255 - Ensuite, Voyageur, tu quitteras l'enceinte, Tu jetteras au vent cette poussière éteinte, Puis, levant seul ta voix dans le désert sans bruit, Tu crieras ; " Pour longtemps le monde est dans la nuit! " Écrit le 16 janvier 1834, à Paris. OEUVRES POSTHUMES Les Destinées Poèmes philosophiques LES DESTINÉES Depuis le premier jour de la création, Les pieds lourds et puissants de chaque Destinée Pesaient sur chaque tête et sur toute action. Chaque front se courbait et traçait sa journée, 5 Comme le front d'un boeuf creuse un sillon profond Sans dépasser la pierre où sa ligne est bornée. Ces froides déités liaient le joug de plomb Sur le crâne et les yeux des hommes leurs esclaves, Tous errants, sans étoile, en un désert sans fond; 10 Levant avec effort leurs pieds chargés d'entraves, Suivant le doigt d'airain dans le cercle fatal, Le doigt des Volontés inflexibles et graves. Tristes divinités du monde oriental, Femmes au voile blanc, immuables statues, 15 Elles nous écrasaient de leur poids colossal. Comme un vol de vautours sur le sol abattues, Dans un ordre éternel, toujours en nombre égal Aux têtes des mortels sur la terre épandues, Elles avaient posé leur ongle sans pitié 20 Sur les cheveux dressés des races éperdues, TraÃnant la femme en pleurs et l'homme humilié. Un soir, il arriva que l'antique planète Secoua sa poussière. - Il se fit un grand cri " Le Sauveur est venu, voici le jeune athlète; " 25 " Il a le front sanglant et le côté meurtri, Mais la Fatalité meurt au pied du Prophète; La Croix monte et s'étend sur nous comme un abri! " Avant l'heure où, jadis, ces choses arrivèrent, Tout homme était courbé, le front pâle et flétri; 30 Quand ce cri fut jeté, tous ils se relevèrent. Détachant les noeuds lourds du joug de plomb du Sort, Toutes les nations à la fois s'écrièrent " Ô Seigneur! est-il vrai? le Destin est-il mort? " Et l'on vit remonter vers le ciel, par volées, 35 Les filles du Destin, ouvrant avec effort Leurs ongles qui pressaient nos races désolées; Sous leur robe aux longs plis voilant leurs pieds d'airain, Leur main inexorable et leur face inflexible; Montant avec lenteur en innombrable essaim, 40 D'un vol inaperçu, sans ailes, insensible, Comme apparaÃt au soir, vers l'horizon lointain, D'un nuage orageux l'ascension paisible. - Un soupir de bonheur sortit du coeur humain; La terre frissonna dans son orbite immense, 45 Comme un cheval frémit délivré de son frein. Tous les astres émus restèrent en silence, Attendant avec l'Homme, en la même stupeur, Le suprême décret de la Toute-Puissance, Quand ces filles du Ciel, retournant au Seigneur, 50 Comme ayant retrouvé leurs régions natales, Autour de Jéhovah se rangèrent en choeur, D'un mouvement pareil levant leurs mains fatales, Puis chantant d'une voix leur hymne de douleur, Et baissant à la fois leurs fronts calmes et pâles 55 " Nous venons demander la Loi de l'avenir. Nous sommes, ô Seigneur, les froides Destinées Dont l'antique pouvoir ne devait point faillir. " " Nous roulions sous nos doigts les jours et les années Devons-nous vivre encore ou devons-nous finir, 60 Des Puissances du ciel, nous, les fortes aÃnées? " Vous détruisez d'un coup le grand piège du Sort Où tombaient tour à tour les races consternées. Faut-il combler la fosse et briser le ressort? " Ne mènerons-nous plus ce troupeau faible et morne, 65 Ces hommes d'un moment, ces condamnés à mort, Jusqu'au bout du chemin dont nous posions la borne? " Le moule de la vie était creusé par nous. Toutes les passions y répandaient leur lave, Et les événements venaient s'y fondre tous. 70 " Sur les tables d'airain où notre loi se grave, Vous effacez le nom de la FATALITE, Vous déliez les pieds de l'homme notre esclave. " Qui va porter le poids dont s'est épouvanté Tout ce qui fut créé? ce poids sur la pensée, 75 Dont le nom est en bas RESPONSABILITE? " Il se fit un silence, et la terre affaissée S'arrêta comme fait la barque sans rameurs Sur les flots orageux, dans la nuit balancée. Une voix descendit, venant de ces hauteurs 80 Où s'engendrent, sans fin, les mondes dans l'espace; Cette voix de la terre emplit les profondeurs " Retournez en mon nom. Reines, je suis la Grâce. L'homme sera toujours un nageur incertain Dans les ondes du temps qui se mesure et passe. 85 " Vous toucherez son front, ô filles du Destin! Son bras ouvrira l'eau, qu'elle soit haute ou basse, Voulant trouver sa place et deviner sa fin. " Il sera plus heureux, se croyant maÃtre et libre, En luttant contre vous dans un combat mauvais 90 Où moi seule, d'en haut, je tiendrai l'équilibre. " De moi naÃtra son souffle et sa force à jamais. Son mérite est le mien, sa loi perpétuelle Faire ce que je veux pour venir où JE SAIS. " Et le choeur descendit vers sa proie éternelle 95 Afin d'y ressaisir sa domination Sur la race timide, incomplète et rebelle. On entendit venir la sombre Légion Et retomber les pieds des femmes inflexibles, Comme sur nos caveaux tombe un cercueil de plomb. 100 Chacune prit chaque homme en ses mains invisibles; Mais, plus forte à présent dans ce sombre duel, Notre âme en deuil combat ces Esprits impassibles. Nous soulevons parfois leur doigt faux et cruel. La volonté transporte à des hauteurs sublimes 105 Notre front éclairé par un rayon du ciel. Cependant sur nos caps, sur nos rocs, sur nos cimes, Leur doigt rude et fatal se pose devant nous, Et, d'un coup, nous renverse au fond des noirs abÃmes. Oh! dans quel désespoir nous sommes encor tous! 110 Vous avez élargi le COLLIER qui nous lie, [vous ? Mais qui donc tient la chaÃne? - Ah! Dieu juste, est-ce Arbitre libre et fier des actes de sa vie, Si notre coeur s'entr'ouvre au parfum des vertus, S'il s'embrase à l'amour, s'il s'élève au génie, 115 Que l'ombre des Destins, Seigneur, n'oppose plus A nos belles ardeurs une immuable entrave, A nos efforts sans fin des coups inattendus ! Ô sujet d'épouvante à troubler le plus brave! Question sans réponse où vos saints se sont tus! 120 Ô mystère! ô tourment de l'âme forte et grave! Notre mot éternel est-il C'ETAIT ECRIT? SUR LE LIVRE DE DIEU, dit l'Orient esclave; Et l'Occident répond SUR LE LIVRE DU CHRIST. Écrit au Maine-Giraud Charente, 27 août 1849. LA MAISON DU BERGER A ÉVA I Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie, Se traÃne et se débat comme un aigle blessé, Portant comme le mien, sur son aile asservie, Tout un monde fatal, écrasant et glacé; 5 S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle, S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle, Éclairer pour lui seul l'horizon effacé; Si ton âme enchaÃnée, ainsi que l'est mon âme, Lasse de son boulet et de son pain amer, 10 Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame, Penche sa tête pâle et pleure sur la mer, Et, cherchant dans les flots une route inconnue, Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue, La lettre sociale écrite avec le fer; 15 Si ton corps, frémissant des passions secrètes, S'indigne des regards, timide et palpitant; S'il cherche à sa beauté de profondes retraites Pour la mieux dérober au profane insultant; Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges, 20 Si ton beau front rougit de passer dans les songes D'un impur inconnu qui te voit et t'entend Pars courageusement, laisse toutes les villes; Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin; Du haut de nos pensers vois les cités serviles 25 Comme les rocs fatals de l'esclavage humain. Les grands bois et les champs sont de vastes asiles, Libres comme la mer autour des sombres Ãles. Marche à travers les champs une fleur à la main. La Nature t'attend dans un silence austère; 30 L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs, Et le soupir d'adieu du soleil à la terre Balance les beaux lis comme des encensoirs. La forêt a voilé ses colonnes profondes, La montagne se cache, et sur les pâles ondes 35 Le saule a suspendu ses chastes reposoirs. Le crépuscule ami s'endort dans .la vallée Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon, Sous les timides joncs de la source isolée Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon, 40 Se balance en fuyant dans les grappes sauvages, Jette son manteau gris sur le bord des rivages, Et des fleurs de la nuit entr'ouvre la prison. Il est sur ma montagne une épaisse bruyère Où les pas du chasseur ont peine à se plonger, 45 Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière, Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger. Viens y cacher l'amour et ta divine faute; Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute, J'y roulerai pour toi la Maison du Berger. 50 Elle va doucement avec ses quatre roues, Son toit n'est pas plus haut que ton front et tes yeux; La couleur du corail et celle de tes joues Teignent le char nocturne et ses muets essieux. Le seuil est parfumé, l'alcôve est large et sombre, 55 Et, là , parmi les fleurs, nous trouverons dans l'ombre, Pour nos cheveux unis, un lit silencieux. Je verrai, si tu veux, les pays de la neige, Ceux où l'astre amoureux dévore et resplendit, Ceux que heurtent les vents, ceux que la mer assiège, 60 Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit. Nous suivrons du hasard la course vagabonde. Que m'importe le jour? que m'importe le monde? Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit. Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante 65 Sur le fer des chemins qui traversent les monts, Qu'un Ange soit debout sur sa forge bruyante, Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts Et, de ses dents de feu dévorant ses chaudières, Transperce les cités et saute les rivières, 70 Plus vite que le cerf dans l'ardeur de ses bonds! Oui, si l'Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route, Et le glaive à la main ne plane et la défend, S'il n'a compté les coups du levier, s'il n'écoute Chaque tour de la roue en son cours triomphant, 75 S'il n'a l'oeil sur les eaux et la main sur la braise, Pour jeter en éclats la magique fournaise, Il suffira toujours du caillou d'un enfant. Sur ce taureau de fer qui fume, souffle et beugle, L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaÃt encor 80 Quels orages en lui porte ce rude aveugle, Et le gai voyageur lui livre son trésor, Son vieux père et ses fils, il les jette en otage Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage, Qui les rejette en cendre aux pieds du dieu de l'or. 85 Mais il faut triompher du temps et de l'espace, Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux. L'or pleut sous les charbons de la vapeur qui passe, Le moment et le but sont l'univers pour nous. Tous se sont dit " Allons! " mais aucun n'est le maÃtre 90 Du dragon mugissant qu'un savant a fait naÃtre; Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous. Eh bien! que tout circule et que les grandes causes Sur les ailes de feu lancent les actions, Pourvu qu'ouverts toujours aux généreuses choses, 95 Les chemins du vendeur servent les passions! Béni soit le Commerce au hardi caducée, Si l'Amour que tourmente une sombre pensée Peut franchir en un jour deux grandes nations! Mais, à moins qu'un ami menacé dans sa vie 100 Ne jette, en appelant, le cri du désespoir, Ou qu'avec son clairon la France nous convie Aux fêtes du combat, aux luttes du savoir; À moins qu'au lit de mort une mère éplorée Ne veuille encor poser sur sa race adorée 105 Ces yeux tristes et doux qu'on ne doit plus revoir, Évitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces, Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer, Que la flèche lancée à travers les espaces Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air, 110 Ainsi jetée au loin, l'humaine créature Ne respire et ne voit, dans toute la nature, Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair. On n'entendra jamais piaffer sur une route Le pied vif du cheval sur les pavés en feu 115 Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute, Le rire du passant, les retards de l'essieu, Les détours imprévus des pentes variées, Un ami rencontré, les heures oubliées, L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu. 120 La distance et le temps sont vaincus. La science Trace autour de la terre un chemin triste et droit. Le Monde est rétréci par notre expérience, Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit. Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne, 125 Immobile au seul rang que le départ assigne, Plongé dans un calcul silencieux et froid. Jamais la Rêverie amoureuse et paisible N'y verra sans horreur son pied blanc attaché; Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible 130 Versent un long regard, comme un fleuve épanché, Qu'elle interroge tout avec inquiétude, Et, des secrets divins se faisant une étude, Marche, s'arrête et marche avec le col penché. II Poésie! ô trésor! perle de la pensée! 135 Les tumultes du coeur, comme ceux de la mer, Ne sauraient empêcher ta robe nuancée D'amasser les couleurs qui doivent te former. Mais, sitôt qu'il te voit briller sur un front mâle, Troublé de ta lueur mystérieuse et pâle, 140 Le vulgaire effrayé commence à blasphémer. Le pur enthousiasme est craint des faibles âmes Qui ne sauraient porter son ardeur ni son poids. Pourquoi le fuir ? - La vie est double dans les flammes. D'autres flambeaux divins nous brûlent quelquefois 145 C'est le Soleil du ciel, c'est l'Amour, c'est la Vie; Mais qui de les éteindre a jamais eu l'envie? Tout en les maudissant, on les chérit tous trois. La Muse a mérité les insolents sourires Et les soupçons moqueurs qu'éveille son aspect. 150 Dès que son oeil chercha le regard des satyres, Sa parole trembla, son serment fut suspect; Il lui fut interdit d'enseigner la sagesse. Au passant du chemin elle criait " Largesse! " Le passant lui donna sans crainte et sans respect. 155 Ah! fille sans pudeur, fille du saint Orphée, Que n'as-tu conservé ta belle gravité! Tu n'irais pas ainsi, d'une voix étouffée, Chanter aux carrefours impurs de la cité; Tu n'aurais pas collé sur le coin de ta bouche 160 Le coquet madrigal, piquant comme une mouche, Et, près de ton oeil bleu, l'équivoque effronté. Tu tombas dès l'enfance, et, dans la folle Grèce, Un vieillard, t'enivrant de son baiser jaloux, Releva le premier ta robe de prêtresse, 165 Et, parmi les garçons, t'assit sur ses genoux. De ce baiser mordant ton front porte la trace; Tu chantas en buvant dans les banquets d'Horace, Et Voltaire à la cour te traÃna devant nous. Vestale aux feux éteints! les hommes les plus graves 170 Ne posent qu'à demi ta couronne à leur front; Ils se croient arrêtés, marchant dans tes entraves, Et n'être que poète est pour eux un affront. Ils jettent leurs pensers aux vents de la tribune, Et, ces vents, aveuglés comme l'est la Fortune, 175 Les rouleront comme elle et les emporteront. Ils sont fiers et hautains dans leur fausse attitude, Mais le sol tremble aux pieds de ces tribuns romains. Leurs discours passagers flattent avec étude La foule qui les presse et qui leur bat des mains; 180 Toujours renouvelé sous ses étroits portiques, Ce parterre ne jette aux acteurs politiques Que des fleurs sans parfums, souvent sans lendemains. Ils ont pour horizon leur salle de spectacle; La chambre où ces élus donnent leurs faux combats 185 Jette en vain, dans son temple, un incertain oracle; Le peuple entend de loin le bruit de leurs débats, Mais il regarde encor le jeu des assemblées De l'oeil dont ses enfants et ses femmes troublées Voient le terrible essai des vapeurs aux cent bras. 190 L'ombrageux paysan gronde à voir qu'on dételle, Et que pour le scrutin on quitte le labour. Cependant le dédain de la chose immortelle Tient jusqu'au fond du coeur quelque avocat d'un jour. Lui qui doute de l'âme, il croit à ses paroles. 195 Poésie, il se rit de tes graves symboles, Ô toi des vrais penseurs impérissable amour! Comment se garderaient les profondes pensées Sans rassembler leurs feux dans ton diamant pur, Qui conserve si bien leurs splendeurs condensées? 200 Ce fin miroir solide, étincelant et dur, Reste de nations mortes, durable pierre Qu'on trouve sous ses pieds lorsque dans la poussière On cherche les cités sans en voir un seul mur. Diamant sans rival, que tes feux illuminent 205 Les pas lents et tardifs de l'humaine Raison! Il faut, pour voir de loin les peuples qui cheminent, Que le berger t'enchâsse au toit de sa maison. Le jour n'est pas levé. - Nous en sommes encore Au premier rayon blanc qui précède l'aurore 210 Et dessine la terre aux bords de l'horizon. Les peuples tout enfants à peine se découvrent Par-dessus les buissons nés pendant leur sommeil, Et leur main, à travers les ronces qu'ils entr'ouvrent, Met aux coups mutuels le premier appareil. 215 La barbarie encor tient nos pieds dans sa gaine. Le marbre des vieux temps jusqu'aux reins nous enchaÃne, Et tout homme énergique au dieu Terme est pareil. Mais notre esprit rapide en mouvements abonde; Ouvrons tout l'arsenal de ses puissants ressorts. 220 L'invisible est réel. Les âmes ont leur monde Où sont accumulés d'impalpables trésors. Le Seigneur contient tout dans ses deux bras immenses, Son Verbe est le séjour de nos intelligences, Comme ici-bas l'espace est celui de nos corps. III 225 Éva, qui donc es-tu? Sais-tu bien ta nature? Sais-tu quel est ici ton but et ton devoir? Sais-tu que, pour punir l'homme, sa créature, D'avoir porté la main sur l'arbre du savoir, Dieu permit qu'avant tout, de l'amour de soi-même 230 En tout temps, à tout âge, il fÃt son bien suprême, Tourmenté de s'aimer, tourmenté de se voir? Mais, si Dieu près de lui t'a voulu mettre, ô femme! Compagne délicate! Éva! sais-tu pourquoi? C'est pour qu'il se regarde au miroir d'une autre âme, 235 Qu'il entende ce chant qui ne vient que de toi - L'enthousiasme pur dans une voix suave. C'est afin que tu sois son juge et son esclave Et règnes sur sa vie en vivant sous sa loi. Ta parole joyeuse a des mots despotiques; 240 Tes yeux sont si puissants, ton aspect est si fort Que les rois d'Orient ont dit dans leurs cantiques Ton regard redoutable à l'égal de la mort; Chacun cherche à fléchir tes jugements rapides... - Mais ton coeur, qui dément tes formes intrépides, 245 Cède sans coup férir aux rudesses du sort. Ta pensée a des bonds comme ceux des gazelles, Mais ne saurait marcher sans guide et sans appui. Le sol meurtrit ses pieds, l'air fatigue ses ailes, Son oeil se ferme au jour dès que le jour a lui; 250 Parfois, sur les hauts lieux d'un seul élan posée, Troublée au bruit des vents, ta mobile pensée Ne peut seule y veiller sans crainte et sans ennui. Mais aussi tu n'as rien de nos lâches prudences, Ton coeur vibre et résonne au cri de l'opprimé, 255 Comme dans une église aux austères silences L'orgue entend un soupir et soupire alarmé. Tes paroles de feu meuvent les multitudes, Tes pleurs lavent l'injure et les ingratitudes, Tu pousses par le bras l'homme... Il se lève armé. 260 C'est à toi qu'il convient d'ouïr les grandes plaintes Que l'humanité triste exhale sourdement. Quand le coeur est gonflé d'indignations saintes, L'air des cités l'étouffe à chaque battement. Mais de loin les soupirs des tourmentes civiles, 265 S'unissant au-dessus du charbon noir des villes, Ne forment qu'un grand mot qu'on entend clairement. Viens donc! le ciel pour moi n'est plus qu'une auréole Qui t'entoure d'azur, t'éclaire et te défend; La montagne est ton temple et le bois sa coupole; 270 L'oiseau n'est sur la fleur balancé par le vent, Et la fleur ne parfume et l'oiseau ne soupire Que pour mieux enchanter l'air que ton sein respire; La terre est le tapis de tes beaux pieds d'enfant. Éva, j'aimerai tout dans les choses créées, 275 Je les contemplerai dans ton regard rêveur Qui partout répandra ses flammes colorées, Son repos gracieux, sa magique saveur; Sur mon coeur déchiré viens poser ta main pure, Ne me laisse jamais seul avec la Nature, 280 Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur. Elle me dit " Je suis l'impassible théâtre Que ne peut remuer le pied de ses acteurs; Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre, Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs. 285 Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine Je sens passer sur moi la comédie humaine Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs. " Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, À côté des fourmis les populations; 290 Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre, J'ignore en les portant les noms des nations. On me dit une mère, et je suis une tombe. Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe, Mon printemps ne sent pas vos adorations. 295 " Avant vous, j'étais belle et toujours parfumée, J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers; Je suivais dans les cieux ma route accoutumée, Sur l'axe harmonieux des divins balanciers. Après vous, traversant l'espace où tout s'élance, 300 J'irai seule et sereine, en un chaste silence Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers. " C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe, Et dans mon coeur alors je la hais, et je vois Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe 305 Nourrissant de leurs sucs la racine des bois. Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes " Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes, Aimez ce que jamais on ne verra deux fois. " Oh! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse, 310 Ange doux et plaintif qui parle en soupirant? Qui naÃtra comme toi portant une caresse Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant, Dans les balancements de ta tête penchée, Dans ta taille indolente et mollement couchée, 315 Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant? Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi; Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse, L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi; 320 Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vaines, J'aime la majesté des souffrances humaines; Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi. Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule, en y posant ton front? 325 Viens du paisible seuil de la maison roulante Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront. Tous les tableaux humains qu'un Esprit pur m'apporte S'animeront pour toi quand, devant notre porte, Les grands pays muets longuement s'étendront. 330 Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre Sur cette terre ingrate où les morts ont passé; Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre, Où tu te plais à suivre un chemin effacé, À rêver, appuyée aux branches incertaines, 335 Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines, Ton amour taciturne et toujours menacé. LES ORACLES. DESTINÉE D'UN ROI. I Ainsi je t'appelais au port et sur la terre Fille de l'Océan, je te montrais mes bois. J'y roulais la maison errante et solitaire. - Des dogues révoltés j'entendais les abois. 5 - Je voyais, au sommet des longues galeries - L'anonyme drapeau des vieilles Tuileries Déchiré sur le front du dernier des vieux rois. II L'oracle est à présent dans l'air et dans la rue. Le passant au passant montre au ciel tout point noir. 10 Nous-même en mon désert nous lisions dans la nue, Quatre ans avant l'éclair fatal. - Mais le pouvoir S'enferme en sa doctrine, et, dans l'ombre, il calcule Les problèmes sournois du jeu de sa bascule, N'entend rien, ne sait rien et ne veut pas savoir. III 15 C'était l'an du Seigneur où les songes livides Ecrivaient sur les murs les trois mots flamboyants; Et l'heure où les sultans, seuls sur leurs trônes vides, Disent au ciel muet " Où sont mes vrais croyants? " - Le temps était venu des sept maigres génisses. 20 Mais en vain tous les yeux lisaient dans les auspices, L'aveugle Pharaon dédaignait les voyants. IV Ulysse avait connu les hommes et les villes. Sondé le lac de sang des révolutions, Des saints et des héros les coeurs faux et serviles. 25 Et le sable mouvant des constitutions. - Et pourtant, un matin, des royales demeures, Comme un autre en trois jours, il tombait en trois heures, Sous le vent. empesté des déclamations. V Les parlements jouaient aux tréteaux populaires, 30 A l'assaut du pouvoir par l'applaudissement. Leur tribune savait, par de feintes colères, Terrasser la raison sous le raisonnement. Mais leurs coups secouaient la poutre et le cordage. Et le frêle tréteau de leur échafaudage 35 Un jour vint à crier et croula lourdement. VI Les doctrines croisaient leurs glaives de Chimères Devant des spectateurs gravement assoupis. Quand les lambris tombaient sur eux, ces gens austères Ferraillaient comme Hamlet, sous la table accroupis; 40 Poursuivant, comme un rat, l'argument en détresse, Ces fous, qui distillaient et vendaient la sagesse, Tuaient Polonius à travers le tapis. VII Ô de tous les grands coeurs déesses souveraines. Qu'avez-vous dit alors, ô Justice, ô Raison! 45 Quand, par ce long travail des ruses souterraines. Sur le maÃtre étonné s'effondra la maison, Sous le trône écrasa le divan doctrinaire Et l'écu d'Orléans, qu'on croyait populaire Parce qu'il n'avait plus fleur de lis ni blason? VIII 50 Reines de mes pensers, ô Raison! ô Justice! Vous avez déployé vos balances d'acier Pour peser ces esprits d'audace et d'artifice Que le Destin venait, enfin d'humilier, Quand son glaive, en coupant le faisceau des intrigues 55 Trancha le noeud gordien des tortueuses ligues Que leurs ongles savaient lier et délier. IX Vous avez dit alors, de votre voix sévère " Malheur à vos amis, comme à vos alliés, Sophistes qui parlez d'un ton de sermonnaire! 60 Il a croulé, ce sol qui tremblait sous vos pieds. Mais tomber est trop doux pour l'homme à tous funeste; De la punition vous subirez le reste, Corrupteurs! vos délits furent mal expiés. X " MaÃtres en longs discours à flots intarissables! 65 Vous qui tout enseignez, n'aviez-vous rien appris? Toute démocratie est un désert de sables; Il y fallait bâtir, si vous l'eussiez compris. Ce n'était pas assez d'y dresser quelques tentes Pour un tournoi d'intrigue et de manoeuvres lentes 70 Que le souffle de flamme un matin a surpris. XI " Vous avez conservé vos vanités, vos haines, Au fond du grand abÃme où vous êtes couchés, Comme les corps trouvés sous les cendres romaines Debout, sous les caveaux de Pompéia cachés, 75 L'oeil fixe, lèvre ouverte et la main étendue, Cherchant encor dans l'air leur parole perdue, Et s'évanouissant sitôt qu'ils sont touchés. XII " Partout où vous irez, froids, importants et fourbes, Vous porterez le trouble. En des sentiers étroits 80 Des coalitions suivant les lignes courbes, Traçant de faux devoirs et frappant de vrais droits, Gonflés d'orgueil mondain et d'ambitions folles, Imposant par le poids de vos âpres paroles A l'humble courageux la plus lourde des croix. XIII 85 " Peuple et rois ont connu quels conseillers vous êtes, Quand, sous votre ombre, en vain votre prince abrité, Aux murs du grand banquet et des funestes fêtes, Cherchant quelque lumière en votre obscurité, Lut ces mots que nos mains gravèrent sur la pierre, 90 Comme autrefois Cromwell sur sa rouge bannière Et nunc, reges mundi, nunc intelligite. " 24 février 1862. POST-SCRIPTUM. I Mais pourquoi de leur cendre évoquer ces journées Que les dédains publics effacent en passant? Entre elles et ce jour ont marché douze années; Oublions et la faute et la fuite et le sang, 5 Et les corruptions des pâles adversaires. - Non. Dans l'histoire il est de noirs anniversaires Dont le spectre revient pour troubler le présent. II Il revient quand l'orgueil des obstinés coupables Sort du limon confus des révolutions 10 Ou pêle-mêle on voit tomber les incapables. Pour nous montrer encor ses vieilles passions Et hurler a grands cris quelque sombre horoscope. En observant la vase aux feux d'un microscope, On voit dans les serpents ces agitations. III 15 S'agiter et blesser est. l'instinct des vipères. L'homme ainsi contre l'homme a son instinct fatal, Il retourne ses dards et nourrit ses colères Au réservoir caché de son poison natal. Dans quelque cercle obscur qu'on les ait vus descendre, 20 Homme ou serpent blottis sous le verre ou la cendre Mordront le diamant ou mordront le cristal. IV Le cristal, c'est la vue et la clarté du JUSTE. Du principe éternel de toute vérité, L'examen de soi-même au tribunal auguste 25 Où la raison , l'honneur, la bonté, l'équité, La prévoyance à l'oeil rapide et la science Délibèrent en paix devant la conscience Qui, jugeant l'action, régit la liberté. V Toujours, sur ce cristal, rempart des grandes âmes, 30 La langue du sophiste ira heurter son dard. Qu'il se morde lui-même en ses détours infâmes, Qu'il rampe, aveugle et sourd, dans l'éternel brouillard. Oublié, méprisé, qu'il conspire et se torde, Ignorant le vrai beau, qu'il le souille et qu'il morde 35 Ce diamant que cherche en vain son faux regard. VI Le DIAMANT ! c'est l'art des choses idéales, Et ses rayons d'argent, d'or, de pourpre et d'azur, Ne cessent de lancer les deux lueurs égales Des pensers les plus beaux, de l'amour le plus pur. 40 Il porte du génie et transmet les empreintes. Oui, de ce qui survit aux nations éteintes, C'est lui le plus brillant trésor et le plus dur. 28 mars 1862. LA SAUVAGE. I Solitudes que Dieu fit pour le Nouveau Monde. Forêts, vierges encor, dont la voûte profonde A d'éternelles nuits que les brûlants soleils N'éclairent qu'en tremblant par deux rayons vermeils 5 Car le couchant peut seul et seule peut l'aurore Glisser obliquement aux pieds du sycomore, Pour qui, dans l'abandon, soupirent vos cyprès? Pour qui sont épaissis? ces joncs luisants et frais? Quels pas attendez-vous pour fouler vos prairies? 10 De quels peuples éteints étiez-vous les patries? Les pieds de vos grands pins, si jeunes et si forts, Sont-ils entrelacés sur la tête des morts? Et vos gémissements sortent-ils de ces urnes Que trouve l'Indien sous ses pas taciturnes? 15 Et ces bruits du désert, dans la plaine entendus, Est-ce un soupir dernier des royaumes perdus? Votre nuit est bien sombre et le vent seul murmure. Une peur inconnue accable la nature. Les oiseaux sont cachés dans le creux des pins noirs, 20 Et tous les animaux ferment leurs reposoirs Sous l'écorce, ou la mousse, ou parmi les racines, Ou dans le creux profond des vieux troncs en ruines. - L'orage sonne au loin, le bois va se courber, De larges gouttes d'eau commencent à tomber; 25 Le combat se prépare et l'immense ravage Entre la nue ardente et la forêt sauvage. II - Qui donc cherche sa route en ces bois ténébreux? Une pauvre Indienne au visage fiévreux, Pâle et portant au sein un faible enfant qui pleure; 30 Sur un sapin tombé, pont tremblant qu'elle effleure, Elle passe, et sa main tient sur l'épaule un poids Qu'elle baise; autre enfant, pendu comme un carquois. Malgré sa volonté, sa jeunesse et sa force, Elle frissonne encor sous le pagne d'écorce 35 Et tient sur ses deux fils la laine aux plis épais, Sa tunique et son lit dans la guerre et la paix. - Après avoir longtemps examiné, les herbes Et la trace des pieds sur leurs épaisses gerbes Ou sur le sable fin des ruisseaux abondants, 40 Elle s'arrête et cherche avec des yeux ardents Quel chemin a suivi dans les feuilles froissées L'homme de la Peau-Rouge aux guerres insensées. Comme la lice errante, affamée et chassant. Elle flaire l'odeur du sauvage passant, 45 Indien, ennemi de sa race indienne, Et de qui la famille a massacré la sienne. Elle écoute, regarde et respire a la fois La marche des Hurons sur les feuilles des bois; Un cri lointain l'effraye, et dans la forêt verte 50 Elle s'enfonce enfin par une route ouverte. Elle sait que les blancs, par le fer et le feu. Ont troué ces grands bois semés des mains de Dieu. Et promenant au loin la flamme qui calcine, Pour labourer la terre ont brûlé la racine, 55 L'arbre et les joncs touffus que le fleuve arrosait. Ces Anglais qu'autrefois sa tribu méprisait Sont maÃtres sur sa terre, et l'Osage indocile Va chercher leur foyer pour demander asile. III Elle entre en une allée où d'abord elle voit 60 La barrière d'un parc. - Un chemin large et droit Conduit à la maison de forme britannique, Où le bois est cloué dans les angles de brique Où le toit invisible entre un double rempart S'enfonce, où le charbon fume de toute part, 65 Où tout est clos et sain, où vient blanche et luisante S'unir à l'ordre froid la propreté décente. Fermée à l'ennemi, la maison s'ouvre au jour, Légère comme un kiosk, forte comme une tour. Le chien de Terre-Neuve y hurle près des portes, 70 Et des blonds serviteurs les agiles cohortes S'empressent en silence aux travaux familiers, Et, les plateaux en main, montent les escaliers. Deux filles de six ans aux lèvres ingénues Attachaient des rubans sur leurs épaules nues; 75 Mais, voyant l'Indienne, elles courent; leur main L'appelle et l'introduit par le large chemin Dont elles ont ouvert, à deux bras, la barrière; Et caressant déjà la pâle aventurière " As-tu de beaux colliers d'azaléa pour nous? 80 " Ces mocassins musqués, si jolis et si doux , " Que ma mère a ses pieds ne veut d'autre chaussure? " Et les peaux de castor, les a-t-on sans morsure? " Vends-tu le lait des noix et la sagamité [Pâte de maïs]? " Le pain anglais n'a pas tant de suavité. 85 " C'est NoÃl, aujourd'hui, NoÃl est notre fête, " A nous, enfants; vois-tu? la Bible est déjà prête; " Devant l'orgue ma mère et nos soeurs vont s'asseoir, " Mon frère est sur la porte et mon père au parloir. " L'Indienne aux grands yeux leur sourit sans répondre, 90 Regarde tristement cette maison de Londre Que le vent malfaiteur apporta dans ses bois, Au lieu d'y balancer le hamac d'autrefois. Mais elle entre à grands pas, de cet air calme et grave Près duquel tout regard est un regard d'esclave. 95 Le parloir est ouvert, un pupitre au milieu; Le Père y lit la Bible à tous les gens du lieu. Sa femme et ses enfants sont debout et l'écoutent, Et des chasseurs de daims, que les Hurons redoutent, Défricheurs de forêt et tueurs de bison, 100 Valets et laboureurs, composent la maison. Le MaÃtre est jeune et blond, vêtu de noir, sévère D'aspect et d'un maintien qui veut qu'on le révère. L'Anglais-Américain, nomade et protestant, Pontife en sa maison y porte, en l'habitant, 105 Un seul livre et partout où, pour l'heure, il réside, De toute question sa papauté décide; Sa famille est croyante et, sans autel, il sert, Prêtre et père à la fois, son Dieu dans un désert. Celui qui règne ici d'une façon hautaine 110 N'a point voulu parer sa maison puritaine; Mais l'oeil trouve un miroir sur les aciers brunis, La main se réfléchit sur les meubles vernis; Nul tableau sur les murs ne fait briller l'image D'un pays merveilleux, d'un grand homme ou d'un sage; 115 Mais, sous un cristal pur, orné d'un noir feston, Un billet en dix mots qu'écrivit Washington. Quelques livres rangés, dont le premier, Shakspeare Car des deux bords anglais ses deux pieds ont l'empire, Attendent dans un angle, à leur taille ajusté, 120 Les lectures du soir et les heures du thé. Tout est prêt et rangé dans sa juste mesure, Et la maÃtresse, assise au coin d'une embrasure, D'un sourire angélique et d'un doigt gracieux Fait signe à ses enfants de baisser leurs beaux yeux. IV 125 - La sauvage Indienne au milieu d'eux s'avance " Salut, maÃtre. Moi, femme, et seule en ta présence, Je te viens demander asile en ta maison. Nourris mes deux enfants; tiens-moi dans ta prison, Esclave de tes fils et de tes filles blanches, 130 Car ma tribu n'est plus, et ses dernières branches Sont mortes. Les Hurons, cette nuit, ont scalpé Mes frères; mon mari ne s'est point échappé. Nos hameaux sont brûlés comme aussi la prairie. J'ai sauvé mes deux fils à travers la tuerie; 135 Je n'ai plus de hamac, je n'ai plus de maïs, Je n'ai plus de parents, je n'ai plus de pays. " - Elle dit sans pleurer et sur le seuil se pose. Sans que sa ferme voix ajoute aucune chose. Le MaÃtre, d'un regard intelligent, humain. 140 Interroge sa femme en lui serrant la main. " Ma soeur, dit-il ensuite, entre dans ma famille; Tes pères ne sont plus; que leur dernière fille Soit sous mon toit solide accueillie, et chez moi Tes enfants grandiront innocents comme toi. 145 Ils apprendront de nous, travailleurs, que la terre Est sacrée et confère un droit héréditaire A celui qui la sert de son bras endurci. Caïn le laboureur a sa revanche ici. Et le chasseur Abel va, dans ses forêts vides. 150 Voir errer et mourir ses familles livides. Comme des loups perdus qui se mordent entre eux, Aveuglés par la rage, affamés, malheureux, Sauvages animaux sans but, sans loi, sans âme, Pour avoir dédaigné le Travail et la Femme. 155 " Hommes à la peau rouge! Enfants, qu'avez-vous fait? Dans l'air d'une maison votre coeur étouffait, Vous haïssiez la paix, l'ordre et les lois civiles Et la sainte union des peuples dans les villes, Et vous voilà cernés dans l'anneau grandissant. 160 C'est la loi qui, sur vous, s'avance en vous pressant. La loi d'Europe est lourde, impassible et robuste; Mais son cercle est divin, car au centre est le Juste. Sur les deux bords des mers vois-tu de tout côté S'établir lentement cette grave beauté? 165 Prudente fée, elle a, dans sa marche cyclique, Sur chacun de ses pas mis une. république. Elle dit, en fondant chaque neuve cité " Vous m'appelez la Loi, je suis la Liberté. " Sur le haut des grands monts, sur toutes les collines, 170 De la Louisiane aux deux soeurs Carolines. L'oeil de l'Européen qui l'aime et la connaÃt Sait voir planer de loin sa pique et son bonnet. Son bonnet phrygien, cette pourpre où s'attache, Pour abattre les bois, une puissante hache. 175 Moi, simple pionnier, au nom de la raison J'ai planté cette pique au seuil de ma maison. Et j'ai, tout au milieu des forêts inconnues. Avec ce fer de hache ouvert des avenues; Mes fils, puis, après eux, leurs fils et leurs neveux 180 Faucheront, tout le reste avec leurs bras nerveux. Et la terre où je suis doit être aussi leur terre. Car de la sainte Loi tel est le caractère Qu'elle a de la Nature interprété les cris. Tourne sur tes enfants tes grands yeux attendris, 185 Ma soeur, et sur ton sein. - Cherche bien si la vie Y coule pour toi seule. - Es-tu donc assouvie Quand brille la santé sur ton front triomphant? - Que dit le sein fécond de la mère à l'enfant? Que disent, en tombant des veines azurées. 190 Que disent en courant les gouttes épurées? Que dit le coeur qui bat et les pousse à grands flots? - Ah! le sein et le coeur, dans leurs divins sanglots Où les soupirs d'amour aux douleurs se confondent. Aux morsures d'enfant le coeur, le sein répondent 195 " A toi mon âme, à toi ma vie, à toi mon sang " Qui du coeur de ma mère au fond du tien descend. " Et n'a passé par moi, par mes chastes mamelles. " Qu'issu du philtre pur des sources maternelles; " Que tout ce qui fut mien soit tien, ainsi que lui! " ..................... ................................... 200 " Oui! dit la blonde Anglaise en l' Oui! " Répéta l'Indienne en offrant le breuvage De son sein nu et brun à son enfant sauvage. Tandis que l'autre fils lui tendait les deux bras. " - Sois donc notre convive avec nous tu vivras, 205 Poursuivit le jeune homme, et peut-être, chrétienne Un jour, ma forte loi, femme, sera la tienne, Et tu célébreras avec nous. tes amis, La fête de NoÃl au foyer de tes fils. " 1843 LA COLÈRE DE SAMSON Le désert est muet, la tente est solitaire. Quel pasteur courageux la dressa sur la terre Du sable et des lions? - La nuit n'a pas calmé La fournaise du jour dont l'air est enflammé. 5 Un vent léger s'élève à l'horizon et ride Les flots de la poussière ainsi qu'un lac limpide. Le lin blanc de la tente est bercé mollement; L'oeuf d'autruche, allumé, veille paisiblement, Des voyageurs voilés intérieure étoile, 10 Et jette longuement deux ombres sur la toile. L'une est grande et superbe, et l'autre est à ses pieds C'est Dalila, l'esclave, et ses bras sont liés Aux genoux réunis du maÃtre jeune et grave Dont la force divine obéit à l'esclave. 15 Comme un doux léopard elle est souple et répand Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant. Ses grands yeux, entr'ouverts comme s'ouvre l'amande, Sont brûlants du plaisir que son regard demande, Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs. 20 Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs, Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle, Ses flancs, plus élancés que ceux de la gazelle, Pressés de bracelets, d'anneaux, de boucles d'or, Sont bruns, et, comme il sied aux filles de Hatsor, 25 Ses deux seins, tout chargés d'amulettes anciennes, Sont chastement pressés d'étoffes syriennes. Les genoux de Samson fortement sont unis Comme les deux genoux du colosse Anubis. Elle s'endort sans force et riante et bercée 30 Par la puissante main sous sa tête placée. Lui murmure le chant funèbre et douloureux Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux. Elle ne comprend pas la parole étrangère, Mais le chant verse un somme en sa tête légère. 35 " Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu, Se livre sur la terre, en présence de Dieu, Entre la bonté d'Homme et la ruse de Femme, Car la femme est un être impur de corps et d'âme. " L'Homme a toujours besoin de caresse et d'amour, 40 Sa mère l'en abreuve alors qu'il vient au jour, Et ce bras le premier l'engourdit, le balance Et lui donne un désir d'amour et d'indolence. Troublé dans l'action, troublé dans le dessein, Il rêvera partout à la chaleur du sein, 45 Aux chansons de la nuit, aux baisers de l'aurore, A la lèvre de feu que sa lèvre dévore, Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front, Et les regrets du lit, en marchant, le suivront. Il ira dans la ville, et, là , les vierges folles 50 Le prendront dans leurs lacs aux premières paroles. Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu, Car plus le fleuve est grand et plus il est ému. Quand le combat que Dieu fit pour la créature Et contre son semblable et contre la nature 55 Force l'Homme à chercher un sein où reposer, Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser. Mais il n'a pas encor fini toute sa tâche Vient un autre combat plus secret, traÃtre et lâche; Sous son bras, sur son coeur se livre celui-là ; 60 Et, plus ou moins, la Femme est toujours DALILA. " Elle rit et triomphe; en sa froideur savante, Au milieu de ses soeurs elle attend et se vante De ne rien éprouver des atteintes du feu. A sa plus belle amie elle en a fait l'aveu 65 Elle se fait aimer sans aimer elle-même; Un maÃtre lui fait peur. C'est le plaisir qu'elle aime L'Homme est rude et le prend sans savoir le donner. Un sacrifice illustre et fait pour étonner Rehausse mieux que l'or, aux yeux de ses pareilles, 70 La beauté qui produit tant d'étranges merveilles Et d'un sang précieux sait arroser ses pas. - Donc, ce que j'ai voulu. Seigneur, n'existe pas! - Celle à qui va l'amour et de qui vient la vie, Celle-là , par orgueil, se fait notre ennemie. 75 La Femme est, à présent, pire que dans ces temps Où, voyant les humains. Dieu dit " Je me repens! " Bientôt, se retirant dans un hideux royaume, La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome; Et, se jetant, de loin, un regard irrité, 80 Les deux sexes mourront chacun de son côté. " Éternel! Dieu des forts! vous savez que mon âme N'avait pour aliment que l'amour d'une femme, Puisant dans l'amour seul plus de sainte vigueur Que mes cheveux divins n'en donnaient à mon coeur. 85 - Jugez-nous. - La voilà sur mes pieds endormie. Trois fois elle a vendu mes secrets et ma vie, Et trois fois a versé des pleurs fallacieux Qui n'ont pu me cacher la rage de ses yeux; Honteuse qu'elle était plus encor qu'étonnée 90 De se voir découverte ensemble et pardonnée; Car la bonté de l'Homme est forte, et sa douceur Écrase, en l'absolvant, l'être faible et menteur. " Mais enfin je suis las. J'ai l'âme si pesante, Que mon corps gigantesque et ma tête puissante 95 Qui soutiennent le poids des colonnes d'airain Ne la peuvent porter avec tout son chagrin. Toujours voir serpenter la vipère dorée Qui se traÃne en sa fange et s'y croit ignorée; Toujours ce compagnon dont le coeur n'est pas sûr, 100 La Femme, enfant malade et douze fois impur! Toujours mettre sa force à garder sa colère Dans son coeur offensé, comme en un sanctuaire D'où le feu s'échappant irait tout dévorer; Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer, 105 C'est trop! Dieu, s'il le veut, peut balayer ma cendre. J'ai donné mon secret, Dalila va le vendre. Qu'ils seront beaux les pieds de celui qui viendra Pour m'annoncer la mort! - Ce qui sera, sera! " Il dit et s'endormit près d'elle jusqu'à l'heure 110 Où les guerriers, tremblant d'être dans sa demeure, Payant au poids de l'or chacun de ses cheveux, Attachèrent ses mains et brûlèrent ses yeux, Le traÃnèrent sanglant et chargé d'une chaÃne Que douze grands taureaux ne tiraient qu'avec peine, 115 Le placèrent debout, silencieusement, Devant Dagon, leur Dieu, qui gémit sourdement Et deux fois, en tournant, recula sur sa base Et fit pâlir deux fois ses prêtres en extase, Allumèrent l'encens, dressèrent un festin 120 Dont le bruit s'entendait du mont le plus lointain; Et près de la génisse aux pieds du Dieu tuée Placèrent Dalila, pâle prostituée, Couronnée, adorée et reine du repas, Mais tremblante et disant IL NE ME VERRA PAS! 125 Terre et ciel! avez-vous tressailli d'allégresse Lorsque vous avez vu la menteuse maÃtresse Suivre d'un oeil hagard les yeux tachés de sang Qui cherchaient le soleil d'un regard impuissant? Et quand enfin Samson, secouant les colonnes 130 Qui faisaient le soutien des immenses Pylônes, Ecrasa d'un seul coup, sous les débris mortels, Ses trois mille ennemis, leurs dieux et leurs autels? Terre et ciel! punissez par de telles justices La trahison ourdie en des amours factices, 135 Et la délation du secret de nos coeurs Arraché dans nos bras par des baisers menteurs. Écrit à Shavington Angleterre, 7 avril 1839. LA MORT DU LOUP I Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon, 5 Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine 10 Et le pas suspendu. - Ni le bois ni la plaine Ne poussaient un soupir dans les airs; seulement La girouette en deuil criait au firmament; Car le vent, élevé bien au-dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, 15 Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant; bientôt, 20 Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, 25 Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions, pas à pas, en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères 30 Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maÃtre revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse, Mais les enfants du Loup se jouaient en silence, 35 Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa Louve reposait comme celle de marbre Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus 40 Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées, Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris; 45 Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante, Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair, Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, 50 Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, 55 Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, 60 Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri. II J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois, Avaient voulu l'attendre; et, comme je le crois, 65 Sans ses deux Louveteaux, la belle et sombre veuve Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve; Mais son devoir était de les sauver, afin De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, A ne jamais entrer dans le pacte des villes 70 Que l'homme a fait avec les animaux serviles Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher, Les premiers possesseurs du bois et du rocher. III Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes, Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes! 75 Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, C'est vous qui le savez, sublimes animaux! A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse, Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse. - Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, 80 Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur! Il disait " Si tu peux, fais que ton âme arrive, A force de rester studieuse et pensive, Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté. 85 Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le sort a voulu t'appeler, Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. " Écrit au château du M***, 1843. LA FLÛTE I Un jour, je vis s'asseoir au pied de ce grand arbre Un pauvre qui posa sur ce vieux banc de marbre Son sac et son chapeau, s'empressa d'achever Un morceau de pain noir, puis se mit à rêver. 5 Il paraissait chercher dans les longues allées Quelqu'un pour écouter ses chansons désolées; Il suivait à regret la trace des passants Rares et qui, pressés, s'en allaient en tous sens. Avec eux s'enfuyait l'aumône disparue, 10 Prix douteux d'un lit dur en quelque étroite rue Et d'un amer souper dans un logis malsain. Cependant il tirait lentement de son sein, Comme se préparait au martyre un apôtre, Les trois parts d'une Flûte et liait l'une à l'autre, 15 Essayait l'embouchure à son menton tremblant, Faisait mouvoir la clef, l'épurait en soufflant, Sur ses genoux ployés frottait le bois d'ébène, Puis jouait. - Mais son front en vain gonflait sa veine, Personne autour de lui pour entendre et juger 20 L'humble acteur d'un public ingrat et passager. J'approchais une main du vieux chapeau d'artiste, Sans attendre un regard de son oeil doux et triste En ce temps de révolte et d'orgueil si rempli; Mais, quoique pauvre, il fut modeste et très poli. II 25 Il me fit un tableau de sa pénible vie. Poussé par ce démon qui toujours nous convie, Ayant tout essayé, rien ne lui réussit, Et le chaos entier roulait dans son récit Ce n'était qu'élan brusque et qu'ambitions folles, 30 Qu'entreprise avortée et grandeur en paroles. D'abord, à son départ, orgueil démesuré, Gigantesque écriteau sur un front assuré, Promené dans Paris d'une façon hautaine Bonaparte et Byron, poète et capitaine, 35 Législateur aussi, chef de religion De tous les écoliers c'est la contagion, Père d'un panthéisme orné de plusieurs choses, De quelques âges d'or et des métempsycoses De Bouddha, qu'en son coeur il croyait inventer; 40 Il l'appliquait à tout, espérant importer Sa révolution dans sa philosophie; Mais des contrebandiers notre âge se défie; Bientôt par nos fleurets le défaut est trouvé; D'un seul argument fin son ballon fut crevé. 45 Pour hisser sa nacelle, il en gonfla bien d'autres Que le vent dispersa. Fatigué des apôtres, Il dépouilla leur froc. Lui-même le premier Souriait tristement de cet air cavalier Dont sa marche, au début, avait été fardée 50 Et, pour d'obscurs combats, si pesamment bardée; Car, plus grave à présent, d'une double lueur Semblait se réchauffer et s'éclairer son coeur; Le Bon Sens qui se voit, la Candeur qui l'avoue, Coloraient en parlant les pâleurs de sa joue. 55 Laissant donc les couvents, panthéistes ou non, Sur la poupe d'un drame il inscrivit son nom, Et vogua sur ces mers aux trompeuses étoiles; Mais, faute de savoir, il sombra sous ses voiles Avant d'avoir montré son pavillon aux airs. 60 Alors rien devant lui que flots noirs et déserts, L'océan du travail si chargé de tempêtes Où chaque vague emporte et brise mille têtes. Là , flottant quelques jours sans force et sans fanal, Son esprit surnagea dans les plis d'un journal, 65 Radeau désespéré que trop souvent déploie L'équipage affamé qui se perd et se noie. Il s'y noya de même, et de même, ayant faim, Fit ce que fait tout homme invalide et sans pain. " Je gémis, disait-il, d'avoir une pauvre âme 70 Faible autant que serait l'âme de quelque femme, Qui ne peut accomplir ce qu'elle a commencé Et s'abat au départ sur tout chemin tracé. L'idée à l'horizon est à peine entrevue, Que sa lumière écrase et fait ployer ma vue. 75 Je vois grossir l'obstacle en invincible amas, Je tombe ainsi que Paul en marchant vers Damas. - Pourquoi, me dit la voix qu'il faut aimer et craindre, Pourquoi me poursuis-tu, toi qui ne peux m'étreindre? - Et le rayon me trouble et la voix m'étourdit, 80 Et je demeure aveugle et je me sens maudit. " III " Non, criai-je en prenant ses deux mains dans les miennes, Ni dans les grandes lois des croyances anciennes, Ni dans nos dogmes froids, forgés à l'atelier, Entre le banc du maÃtre et ceux de l'écolier, 85 Ces faux Athéniens dépourvus d'atticisme, Qui nous soufflent aux yeux des bulles de sophisme, N'ont découvert un mot par qui fût condamné L'homme aveuglé d'esprit plus que l'aveugle-né. " C'est assez de souffrir sans se juger coupable 90 Pour avoir entrepris et pour être incapable. J'aime, autant que le fort, le faible courageux Qui lance un bras débile en des flots orageux, De la glace d'un lac plonge dans la fournaise Et d'un volcan profond va tourmenter la braise. 95 Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri, Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri, Et n'avouant jamais 'qu'il saigne et qu'il succombe A toujours ramasser son rocher qui retombe. Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits 100 Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris; Car ce sommet de tout, dominant toute gloire, Ils n'y sont pas, ainsi que l'oeil pourrait le croire. On n'est jamais en haut. Les forts, devant leurs pas, Trouvent un nouveau mont inaperçu d'en bas. 105 Tel que l'on croit complet et maÃtre en toute chose Ne dit pas les savoirs qu'à tort on lui suppose, Et qu'il est tel grand but qu'en vain il entreprit. - Tout homme a vu le mur qui borne son esprit. " Du corps et non de l'âme accusons l'indigence. 110 Des organes mauvais servent l'intelligence Et touchent, en tordant et tourmentant leur noeud, Ce qu'ils peuvent atteindre et non ce qu'elle veut. En traducteurs grossiers de quelque auteur céleste Ils parlent... Elle chante et désire le reste. 115 Et, pour vous faire ici quelque comparaison, Regardez votre flûte, écoutez-en le son. Est-ce bien celui-là que voulait faire entendre La lèvre? Était-il pas ou moins rude ou moins tendre? Eh bien! c'est au bois lourd que sont tous les défauts! 120 Votre souffle était juste et votre chant est faux. Pour moi qui ne sais rien et vais du doute au rêve, Je crois qu'après la mort, quand l'union s'achève, L'âme retrouve alors la vue et la clarté, Et que, jugeant son oeuvre avec sérénité, 125 Comprenant sans obstacle et s'expliquant sans peine, Comme ses soeurs du ciel elle est puissante et reine, Se mesure au vrai poids, connaÃt visiblement Que son souffle était faux par le faux instrument, N'était ni glorieux ni vil, n'étant pas libre; 130 Que le corps seulement empêchait l'équilibre, Et, calme, elle reprend dans l'idéal bonheur, La sainte égalité des esprits du Seigneur. " IV Le pauvre alors rougit d'une joie imprévue, Et contempla sa Flûte avec une autre vue; 135 Puis, me connaissant mieux, sans craindre mon aspect, Il la baisa deux fois en signe de respect, Et joua, pour quitter ses airs anciens et tristes, Ce Salve Regina que chantent les Trappistes. Son regard attendri paraissait inspiré, 140 La note était plus juste et le souffle assuré. LE MONT DES OLIVIERS I Alors il était nuit, et Jésus marchait seul, Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul; Les disciples dormaient au pied de la colline, Parmi les oliviers, qu'un vent sinistre incline; 5 Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux; Triste jusqu'à la mort, l'oeil sombre et ténébreux, Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe, Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni, 10 Il s'arrête en un lieu nommé Gethsémani. Il se courbe à genoux, le front contre la terre; Puis regarde le ciel en appelant " Mon Père! " - Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas. Il se lève étonné, marche encore à grands pas, 15 Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente Découle de sa tête une sueur sanglante. Il recule, il descend, il crie avec effroi " Ne pourriez-vous prier et veiller avec moi? " Mais un sommeil de mort accable les apôtres. 20 Pierre à la voix du maÃtre est sourd comme les autres. Le Fils de l'Homme alors remonte lentement; Comme un pasteur d'Egypte, il cherche au firmament Si l'Ange ne luit pas au fond de quelque étoile. Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile 25 D'une veuve, et ses plis entourent le désert. Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte Serra son coeur mortel d'une invincible étreinte. Il eut froid. Vainement il appela trois fois 30 " Mon Père! " Le vent seul répondit à sa voix. Il tomba sur le sable assis, et, dans sa peine, Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine. - Et la terre trembla, sentant la pesanteur Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur. II 35 Jésus disait " Ô Père, encor laisse-moi vivre! Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre! Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main? C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve, 40 Quand meurt celui qui dit une parole neuve, Et que tu n'as laissé dans son sein desséché Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché. Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle, Qu'il a comme enivré la famille mortelle 45 D'une goutte de vie et de divinité, Lorsqu'en ouvrant les bras, j'ai dit " Fraternité ". "Père, oh! si j'ai rempli mon douloureux message Si j'ai caché le Dieu sous la face du sage, Du sacrifice humain si j'ai changé le prix, 50 Pour l'offrande des corps recevant les esprits, Substituant partout aux choses le symbole, La parole au combat, comme au trésor l'obole, Aux flots rouges du sang les flots vermeils du vin, Aux membres de la chair le pain blanc sans levain; 55 Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave Et l'autre libre; - au nom du passé que je lave, Par le sang de mon corps qui souffre et va finir, Versons-en la moitié pour laver l'avenir! Père libérateur! jette aujourd'hui, d'avance, 60 La moitié de ce sang d'amour et d'innocence Sur la tête de ceux .qui viendront en disant " Il est permis pour tous de tuer l'innocent. " Nous savons qu'il naÃtra, dans le lointain des âges, Des dominateurs durs escortés de faux sages 65 Qui troubleront l'esprit de chaque nation En donnant un faux sens à ma rédemption. - Hélas! je parle encor, que déjà ma parole Est tournée en poison dans chaque parabole; Éloigne ce calice impur et plus amer 70 Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer. Les verges qui viendront, la couronne d'épine, Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine, Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend, N'ont rien, mon Père, oh! rien qui m'épouvante autant! 75 Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes, Ils n'y doivent laisser que des traces profondes; Et, si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet, Dont le gémissement sans repos m'appelait, C'était pour y laisser deux Anges à ma place 80 De qui la race humaine aurait baisé la trace, La Certitude heureuse et l'Espoir confiant, Qui, dans le paradis, marchent en souriant. Mais je vais la quitter, cette indigente terre, N'ayant que soulevé ce manteau de misère 85 Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal, Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal. " Mal et Doute! En un mot je puis les mettre en poudre. Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre De les avoir permis. - C'est l'accusation 90 Qui pèse de partout sur la création! - Sur son tombeau désert faisons monter Lazare. Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare, Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir; Qu'il parle. - Ce qui dure et ce qui doit finir, 95 Ce qu'a mis le Seigneur au coeur de la Nature, Ce qu'elle prend et donne à toute créature, Quels sont avec le ciel ses muets entretiens, Son amour ineffable et ses chastes liens; Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle, 100 Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle; Si les astres des cieux tour à tour éprouvés Sont comme celui-ci coupables et sauvés; Si la terre est pour eux ou s'ils sont pour la terre; Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère, 105 D'ignorant le savoir et de faux la raison; Pourquoi l'âme est liée en sa faible prison, Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies, Entre l'ennui du calme et des paisibles joies Et la rage sans fin des vagues passions, 110 Entre la léthargie et les convulsions; Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée, Attristant la Nature à tout moment frappée; Si le juste et le bien, si l'injuste et le mal Sont de vils accidents en un cercle fatal, 115 Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles, Soutenant terre et cieux sur leurs vastes épaules; Et pourquoi les Esprits du mal sont triomphants Des maux immérités, de la mort des enfants; Et si les Nations sont des femmes guidées 120 Par les étoiles d'or des divines idées, Ou de folles enfants sans lampes dans la nuit, Se heurtant et pleurant, et que rien ne conduit; Et si, lorsque des temps l'horloge périssable Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable, 125 Un regard de vos yeux, un cri de votre voix, Un soupir de mon coeur, un signe de ma croix, Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines éternelles, Lâcher leur proie humaine et reployer leurs ailes. - Tout sera révélé dès que l'homme saura 130 De quels lieux il arrive et dans quels il ira. " III Ainsi le divin Fils parlait au divin Père. Il se prosterne encore, il attend, il espère, Mais il renonce et dit " Que votre volonté Soit faite et non la mienne, et pour l'éternité! " 135 Une terreur profonde, une angoisse infinie Redoublent sa torture et sa lente agonie. Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir. Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir; La Terre, sans clartés, sans astre et sans aurore, 140 Et sans clartés de l'âme ainsi qu'elle est encore, Frémissait. - Dans le bois il entendit des pas, Et puis il vit rôder la torche de Judas. LE SILENCE S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Écritures, Le Fils de l'Homme ait dit ce qu'on voit rapporté; 145 Muet, aveugle et sourd au cri des créatures, Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté, Le juste opposera le dédain à l'absence, Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la Divinité. 2 avril 1862. LA BOUTEILLE A LA MER CONSEIL A UN JEUNE HOMME INCONNU. I Courage, ô faible enfant de qui ma solitude Reçoit ces chants plaintifs, sans nom, que vous jetez Sous mes yeux ombragés du camail de l'étude. Oubliez les enfants par la mort arrêtés; 5 Oubliez Chatterton, Gilbert et Malfilâtre; De l'oeuvre d'avenir saintement idolâtre, Enfin, oubliez l'homme en vous-même. - Écoutez II Quand un grave marin voit que le vent l'emporte Et que les mâts brisés pendent tous sur le pont, 10 Que dans son grand duel la mer est la plus forte Et que par des calculs l'esprit en vain répond; Que le courant l'écrase et le roule en sa course, Qu'il est sans gouvernail et, partant, sans ressource, Il se croise les bras dans un calme profond. III 15 Il voit les masses d'eau, les toise et les mesure, Les méprise en sachant qu'il en est écrasé, Soumet son âme au poids de la matière impure Et se sent mort ainsi que son vaisseau rasé. - A de certains moments, l'âme est sans résistance; 20 Mais le penseur s'isole et n'attend d'assistance Que de la forte foi dont il est embrasé. IV Dans les heures du soir, le jeune Capitaine A fait ce qu'il a pu pour le salut des siens. Nul vaisseau n'apparaÃt sur la vague lointaine, 25 La nuit tombe, et le brick court aux rocs indiens. - Il se résigne, il prie, il se recueille, il pense A Celui qui soutient les pôles et balance L'équateur hérissé des longs méridiens. V Son sacrifice est fait; mais il faut que la terre 30 Recueille du travail le pieux monument. C'est le journal savant, le calcul solitaire, Plus rare que la perle et que le diamant, C'est la carte des flots faite dans la tempête, La carte de l'écueil qui va briser sa tête 35 Aux voyageurs futurs sublime testament. VI Il écrit " Aujourd'hui, le courant nous entraÃne, Désemparés, perdus, sur la Terre-de-Feu. Le courant porte à l'est. Notre mort est certaine Il faut cingler au nord pour bien passer ce lieu. 40 - Ci-joint est mon journal, portant quelques études Des constellations des hautes latitudes. Qu'il aborde, si c'est la volonté de Dieu! " VII Puis, immobile et froid, comme le cap des brumes Qui sert de sentinelle au détroit Magellan, 45 Sombre comme ces rocs au front chargé d'écumes [Les pics San-Diego, San- Ildefonso] Ces pics noirs dont chacun porte un deuil castillan, Il ouvre une bouteille et la choisit très forte, Tandis que son vaisseau que le courant emporte Tourne en un cercle étroit comme un vol de milan. VIII 50 Il tient dans une main cette vieille compagne, Ferme, de l'autre main, son flanc noir et terni. Le cachet porte encor le blason de Champagne De la mousse de Reims son col vert est jauni. D'un regard, le marin en soi-même rappelle 55 Quel jour il assembla l'équipage autour d'elle, Pour porter un grand toste au pavillon béni. IX On avait mis en panne, et c'était grande fête Chaque homme sur son mât tenait le verre en main; Chacun à son signal se découvrit la tête, 60 Et répondit d'en haut par un hourra soudain. Le soleil souriant dorait les voiles blanches; L'air ému répétait ces voix mâles et franches, Ce noble appel de l'homme à son pays lointain. X Après le cri de tous, chacun rêve en silence. 65 Dans la mousse d'Aï luit l'éclair d'un bonheur; Tout au fond de son verre il aperçoit la France. La France est pour chacun ce qu'y laissa son coeur L'un y voit son vieux père assis au coin de l'âtre, Comptant ses jours d'absence; à la table du pâtre, 70 Il voit sa chaise vide à côté de sa soeur. XI Un autre y voit Paris, où sa fille penchée Marque avec les compas tous les souffles de l'air, Ternit de pleurs la glace où l'aiguille est cachée, Et cherche à ramener l'aimant avec le fer. 75 Un autre y voit Marseille. Une femme se lève, Court au port et lui tend un mouchoir de la grève, Et ne sent pas ses pieds enfoncés dans la mer. XII Ô superstition des amours ineffables, Murmures de nos coeurs qui nous semblez des voix, 80 Calculs de la science, ô décevantes fables! Pourquoi nous apparaÃtre en un jour tant de fois? Pourquoi vers l'horizon nous tendre ainsi des pièges? Espérances roulant comme roulent les neiges; Globes toujours pétris et fondus sous nos doigts! XIII 85 Où sont-ils à présent? où sont ces trois cents braves? Renversés par le vent dans les courants maudits, Aux harpons indiens ils portent pour épaves Leurs habits déchirés sur leurs corps refroidis. Les savants officiers, la hache à la ceinture, 90 Ont péri les premiers en coupant la mâture Ainsi de ces trois cents il n'en reste que dix! XIV Le Capitaine encor jette un regard au pôle Dont il vient d'explorer les détroits inconnus. L'eau monte à ses genoux et frappe son épaule; 95 Il peut lever au ciel l'un de ses deux bras nus. Son navire est coulé, sa vie est révolue Il lance la Bouteille à la mer, et salue Les jours de l'avenir qui pour lui sont venus. XV Il sourit en songeant que ce fragile verre 100 Portera sa pensée et son nom jusqu'au port; Que d'une Ãle inconnue il agrandit la terre; Qu'il marque un nouvel astre et le confie au sort; Que Dieu peut bien permettre à des eaux insensées De perdre des vaisseaux, mais non pas des pensées, 105 Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort. XVI Tout est dit. A présent, que Dieu lui soit en aide! Sur le brick englouti l'onde a pris son niveau. Au large flot de l'est le flot de l'ouest succède, Et la Bouteille y roule en son vaste berceau. 110 Seule dans l'Océan, la frêle passagère N'a pas pour se guider une brise légère; Mais elle vient de l'arche et porte le rameau. XVII Les courants l'emportaient, les glaçons la retiennent Et la couvrent des plis d'un épais manteau blanc. 115 Les noirs chevaux de mer la heurtent, puis reviennent La flairer avec crainte, et passent en soufflant. Elle attend que l'été, changeant ses destinées, Vienne ouvrir le rempart des glaces obstinées, Et vers la ligne ardente elle monte en roulant. XVIII 120 Un jour, tout était calme et la mer Pacifique, Par ses vagues d'azur, d'or et de diamant, Renvoyait ses splendeurs au soleil du tropique. Un navire y passait majestueusement, Il a vu la Bouteille aux gens de mer sacrée 125 Il couvre de signaux sa flamme diaprée, Lance un canot en mer et s'arrête un moment. XIX Mais on entend au loin le canon des corsaires; Le Négrier va fuir s'il peut prendre le vent. Alerte! et coulez bas ces sombres adversaires! 130 Noyez or et bourreaux du couchant au levant! La Frégate reprend ses canots et les jette En son sein, comme fait la sarigue inquiète, Et par voile et vapeur vole et roule en avant. XX Seule dans l'Océan, seule toujours! - Perdue 135 Comme un point invisible en un mouvant désert, L'aventurière passe errant dans l'étendue, Et voit tel cap secret qui n'est pas découvert. Tremblante voyageuse à flotter condamnée, Elle sent sur son col que depuis une année 140 L'algue et les goémons lui font un manteau vert. XXI Un soir enfin, les vents qui soufflent des Florides L'entraÃnent vers la France et ses bords pluvieux. Un pêcheur accroupi sous des rochers arides Tire dans ses filets le flacon précieux. 145 Il court, cherche un savant et lui montre sa prise, Et, sans l'oser ouvrir, demande qu'on lui dise Quel est cet élixir noir et mystérieux. XXII Quel est cet élixir? Pêcheur, c'est la science, C'est l'élixir divin que boivent les esprits, 150 Trésor de la pensée et de l'expérience; Et si tes lourds filets, ô pêcheur, avaient pris L'or qui toujours serpente aux veines du Mexique, Les diamants de l'Inde et les perles d'Afrique, Ton labeur de ce jour aurait eu moins de prix. XXIII 155 Regarde. - Quelle joie ardente et sérieuse! Une gloire de plus luit sur la nation. Le canon tout-puissant et la cloche pieuse Font sur les toits tremblants bondir l'émotion. Aux héros du savoir plus qu'à ceux des batailles 160 On va faire aujourd'hui de grandes funérailles. Lis ce mot sur les murs " Commémoration! " XXIV Souvenir éternel! gloire à la découverte Dans l'homme ou la nature, égaux en profondeur, Dans le Juste et le Bien, source à peine entr'ouverte, 165 Dans l'Art inépuisable, abÃme de splendeur! Qu'importe oubli, morsure, injustice insensée, Glaces et tourbillons de notre traversée? Sur la pierre des morts croÃt l'arbre de grandeur. XXV Cet arbre est le plus beau de la terre promise, 170 C'est votre phare à tous. Penseurs laborieux! Voguez sans jamais craindre ou les flots ou la brise Pour tout trésor scellé du cachet précieux. L'or pur doit surnager, et sa gloire est certaine; Dites en souriant comme ce capitaine 175 " Qu'il aborde, si c'est la volonté des Dieux! " XXVI Le vrai Dieu, le Dieu fort, est le Dieu des idées. Sur nos fronts où le germe est jeté par le sort, Répandons le Savoir en fécondes ondées; Puis, recueillant le fruit tel que de l'âme il sort, 180 Tout empreint du parfum des saintes solitudes, Jetons l'oeuvre à la mer, la mer des multitudes Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port. Au Maine-Giraud, octobre 1858. WANDA. HISTOIRE RUSSE. CONVERSATION AU BAL A PARIS. I UN FRANÇAIS. Qui donc vous a donné ces bagues enchantées Que vous ne touchez pas sans un air de douleur? Vos mains, par ces rubis, semblent ensanglantées. Ces cachets grecs, ces croix, souvenirs d'un malheur, 5 Sont-ils chers et cruels? sont-ils expiatoires? Le pays des Ivans a seul ces perles noires, D'une contrée en deuil symboles sans couleur. II WANDA, grande dame russe. Celle qui m'a donné ces ornements de fête, Ce cachet dont un Czar fut le seul possesseur, 10 Ces diamants en feu qui tremblent sur ma tête, Ces reliques sans prix d'un saint intercesseur, Ces rubis, ces saphirs qui chargent ma ceinture, Ce bracelet qu'émaille une antique peinture, Ces talismans sacrés, c'est l'esclave ma soeur. III 15 Car elle était princesse, et maintenant qu'est-elle? Nul ne l'oserait dire et n'ose le savoir. On a rayé le nom dont le monde l'appelle. Elle n'est qu'une femme et mange le pain noir. Le pain qu'à son mari donne la Sibérie; 20 Et parmi les mineurs s'assied pâle et flétrie, Et boit chaque matin les larmes du devoir. IV En ce temps-là , ma soeur, sur le seuil de sa porte, Nous dit " Vivez en paix, je vais garder ma foi. " Gardez ces vanités; au monde je suis morte, 25 " Puisque le seul que j'aime est mort devant la loi. " Des splendeurs de mon front conservez les ruines. " Je le suivrai partout, jusques au fond des mines; " Vous qui savez aimer, vous feriez comme moi. V " L'empereur tout-puissant, qui voit d'en haut les choses, 30 " Du prince mon seigneur voulut faire un forçat. " Dieu seul peut réviser un jour ces grandes causes " Entre le souverain, le sujet et l'État. " Pour moi, je porterai mes fils sur mon épaule " Tandis que mon mari, sur la route du pôle, 35 " Marche et traÃne un boulet, conduit par un soldat. VI " La fatigue a courbé sa poitrine écrasée; " Le froid gonfle ses pieds dans des chemins mauvais; " La neige tombe en flots sur sa tête rasée; " Il brise les glaçons sur le bord des marais. 40 " Lui de qui les aïeux s'élisaient pour l'empire, " Répond Serge, au camp même où tous leur disaient Sire. " Comment puis-je, à Moscou, dormir dans mon palais? VII " Prenez donc, ô mes soeurs, ces signes de mollesse. " J'irai dans les caveaux, dans l'air empoisonneur, 45 " Conservant seulement, de toute ma richesse, " L'aiguille et le marteau pour luxe et pour honneur; " Et puisqu'il est écrit que la race des Slaves " Doit porter et le joug et le nom des esclaves, " Je descendrai vivante au tombeau du mineur. VIII 50 " Là , j'aurai soin d'user ma vie avec la sienne, " Je soutiendrai ses bras quand il prendra l'essieu. " Je briserai mon corps pour que rien ne retienne " Mon âme quand son âme aura monté vers Dieu; " Et bientôt, nous tirant des glaces éternelles, 55 " L'ange de mort viendra nous prendre sous ses ailes " Pour nous porter ensemble aux chaleurs du ciel bleu. " IX Et ce qu'elle avait dit, ma soeur l'a bien su faire; Elle a tissé le lin, et de ses écheveaux Espère en vain former son linceul mortuaire; 60 Et depuis vingt hivers achève vingt travaux, Calculant jour par jour, sur ses mains enchaÃnées, Les grains du chapelet de ses sombres années. Quatre enfants ont grandi dans l'ombre des caveaux. X Leurs yeux craignent le jour quand sa lumière pâle 65 Trois fois dans une année éclaire leur pâleur. Comme pour les agneaux, la brebis et le mâle Sont parqués à la fois par le mauvais pasteur. La mère eût bien voulu qu'on leur apprÃt à lire, Puisqu'ils portaient le nom des princes de l'empire 70 Et n'ont rien fait encor qui blesse l'Empereur. XI Un jour de fête on a demandé cette grâce Au Czar toujours affable et clément souverain, Lorsqu'au front des soldats seul il passe et repasse. Après dix ans d'attente il répondit enfin 75 " Un esclave a besoin d'un marteau, non d'un livre; La lecture est fatale à ceux-là qui, pour vivre, Doivent avoir bon bras pour gagner un bon pain. " XII Ce mot fut un couteau pour le coeur de la mère; Avant qu'il ne fût dit, quand s'asseyait ma soeur, 80 Ses larmes sillonnaient la neige sur la terre, Tombant devant ses pieds, non sans quelque douceur. Mais aujourd'hui, sans pleurs, elle passe l'année A regarder ses fils d'une vue étonnée; Ses yeux secs sont glacés d'épouvante et d'horreur! XIII LE FRANÇAIS. 85 Wanda, j'écoute encore après votre silence; J'ai senti sur mon coeur peser ce doigt d'airain Qui porte au bout du monde à toute âme qui pense Les épouvantements du fatal souverain. Cet homme enseveli vivant avec sa femme, 90 Ces esclaves enfants dont on va tuer l'âme, Est-ce de notre siècle ou du temps d'Ugolin? XIV Non, non, il n'est pas vrai que le peuple en tout âge, Lui seul ait travaillé, lui seul ait combattu; Que l'immolation, la force et le courage 95 N'habitent pas un coeur de velours revêtu. Plus belle était la vie et plus grande est sa perte, Plus pur est le calice où l'hostie est offerte. Sacrifice, ô toi seul peut-être es la vertu! XV Tandis que vous parliez je sentais dans mes veines 100 Les imprécations bouillonner sourdement. Vous ne maudissez pas, ô vous, femmes romaines! Vous traÃnez votre joug silencieusement. Éponines du Nord, vous dormez dans vos tombes, Vous soutenez l'esclave au fond des catacombes 105 D'où vous ne sortirez qu'au dernier jugement. XVI Peuple silencieux, souverain gigantesque! Lutteurs de fer toujours muets et combattants! Pierre avait commencé ce duel romanesque Le verrons-nous finir? Est-il de notre temps? 110 Le dompteur est debout nuit et jour et surveille Le dompté qui se tait jusqu'à ce qu'il s'éveille. Se regardant l'un l'autre ainsi que deux Titans. XVII En bas, le peuple voit de son oeil de Tartare Ses seigneurs révoltés, combattus par ses Czars, 115 Aiguise sur les pins sa hache et la prépare A peser tout son poids dans les futurs hasards. En haut, seul, l'Empereur sur la Russie entière Promène en galopant l'autre hache dont Pierre Abattit de sa main les têtes de Boyards. XVIII 120 Une nuit on a vu ces deux larges cognées Se heurter, se porter des coups profonds et lourds. Les hommes sont tombés, les femmes résignées Ont marché dans la neige à la voix des tambours, Et, comme votre soeur, ont d'une main meurtrie 125 Bercé leurs fils au bord des lacs de Sibérie, Et cherché pour dormir la tanière des ours. XIX Et ces femmes sans peur, ces reines détrônées, Dédaignent de se plaindre et s'en vont au désert Sans détourner les yeux, sans même être étonnées 130 En passant sous la porte où tout espoir se perd. A voir leur front si calme, on croirait qu'elles savent Que leurs ans, jour par jour, par avance se gravent Sur un livre éternel devant le Czar ouvert. XX Quel signe formidable a-t-il au front, cet homme? 135 Qui donc ferma son coeur des trois cercles de fer Dont s'étaient cuirassés les empereurs de Rome Contre les cris de l'âme et les cris de la chair? Croit-on parmi vos serfs qu'à la fin il se lasse De semer les martyrs sur la neige et la glace, 140 D'entasser les damnés dans un terrestre enfer? XXI S'il était vrai qu'il eût au fond de sa poitrine Un coeur de père ému des pâleurs d'un enfant, Qu'assis près de sa fille à la beauté divine Il eût les yeux en pleurs, l'air doux et triomphant, 145 Qu'il eût pour rêve unique et désir de son âme Quelques jours de repos pour emporter sa femme Sous les soleils du Sud qui réchauffent le sang; XXII S'il était vrai qu'il eût conduit hors du servage Un peuple tout entier de sa main racheté, 150 Créant le pasteur libre et créant le village Où l'esclave tartare avait seul existé. Pareil au voyageur dont la richesse est fière D'acheter mille oiseaux et d'ouvrir la volière Pour leur rendre à la fois l'air et la liberté ; XXIII 155 Il aurait déjà dit " J'ai pitié, je fais grâce; L'ancien crime est lavé par les martyrs nouveaux; " Sa voix aurait trois fois répété dans l'espace, Comme la voix de l'ange ouvrant les derniers sceaux. Devant les nations surprises, attentives, 160 Devant la race libre et les races captives " La brebis m'a vaincu par le sang des agneaux. " XXIV Mais il n'a point parlé, mais cette année encore Heure par heure en vain lentement tombera, Et la neige sans bruit, sur la terre incolore, Aux pieds des exilés nuit et jour gèlera. 165 Silencieux devant son armée en silence, Le Czar, en mesurant la cuirasse et la lance, Passera sa revue et toujours se taira. 5 novembre 1847. DIX ANS APRÈS. UN BILLET DE WANDA AU MÊME FRANÇAIS De Tobolsk en Sibérie. Le 21 octobre 1855, jour de la bataille de l'Alma. Vous disiez vrai. Le Czar s'est tu. - Ma soeur est morte. Les serfs de Sibérie ont porté le cercueil. Et les fils de la sainte et de la femme forte Comme esclaves suivaient, sans nom, sans rang, sans deuil. 5 La cloche seule émeut la ville inanimée. Mais, au sud, le canon s'entend vers la Crimée. Et c'est au coeur de l'ours que Dieu frappe l'orgueil. SECOND BILLET DE WANDA AU MÊME FRANÇAIS. De Tobolsk en Sibérie. Après la prise du fort Malakof. Sébastopol détruit n'est plus. - L'aigle de France L'a rasé de la terre, et le Czar étonné Est mort de rage. - On dit que la balance immense Du Seigneur a paru quand la foudre a tonné. 5 - La sainte la tenait flottante dans l'espace. L'épouse, la martyre a peut-être fait grâce, Dieu du ciel! - Mais la mère a-t-elle pardonné? L'ESPRIT PUR A EVA. I Si l'orgueil prend ton coeur quand le peuple me nomme, Que de mes livres seuls te vienne ta fierté. J'ai mis sur le cimier doré du gentilhomme Une plume de fer qui n'est pas sans beauté. 5 J'ai fait illustre un nom qu'on m'a transmis sans gloire. Qu'il soit ancien, qu'importe? il n'aura de mémoire Que du jour seulement où mon front l'a porté. II Dans le caveau des miens plongeant mes pas nocturnes, J'ai compté mes aïeux, suivant leur vieille loi. 10 J'ouvris leurs parchemins, je fouillai dans leurs urnes Empreintes sur le flanc des sceaux de chaque roi. A peine une étincelle a relui dans leur cendre. C'est en vain que d'eux tous le sang m'a fait descendre Si j'écris leur histoire, ils descendront de moi. III 15 Ils furent opulents, seigneurs de vastes terres, Grands chasseurs devant Dieu, comme Nemrod, jaloux Des beaux cerfs qu'ils lançaient des bois héréditaires Jusqu'où voulait la mort les livrer à leurs coups; Suivant leur forte meute à travers deux provinces, 20 Coupant les chiens du roi, déroutant ceux des princes, Forçant les sangliers et détruisant les loups; IV Galants guerriers sur terre et sur mer, se montrèrent Gens d'honneur en tout temps comme en tous lieux, cherchant De la Chine au Pérou les Anglais, qu'ils brûlèrent 25 Sur l'eau qu'ils écumaient du levant au couchant; Puis, sur leur talon rouge, en quittant les batailles, Parfumés et blessés revenaient à Versailles Jaser à l'OEil-de-boeuf avant de voir leur champ. V Mais les champs de la Beauce avaient leurs coeurs, leurs âmes, 30 Leurs soins. Ils les peuplaient d'innombrables garçons, De filles qu'ils donnaient aux chevaliers pour femmes, Dignes de suivre en tout l'exemple et les leçons; Simples et satisfaits si chacun de leur race Apposait saint Louis en croix sur sa cuirasse, 35 Comme leurs vieux portraits qu'aux murs noirs nous plaçons. VI Mais aucun, au sortir d'une rude campagne, Ne sut se recueillir, quitter le destrier, Dételer pour un jour ses palefrois d'Espagne, Ni des coursiers de chasse enlever l'étrier 40 Pour graver quelque page et dire en quelque livre Comme son temps vivait et comment il sut vivre, Dès qu'ils n'agissaient plus, se hâtant d'oublier. VII Tous sont morts en laissant leur nom sans auréole; Mais sur le disque d'or voilà qu'il est écrit, 45 Disant " Ici passaient deux races de la Gaule Dont le dernier vivant monte au Temple et s'inscrit, Non sur l'obscur amas des vieux noms inutiles, Des orgueilleux méchants et des riches futiles, Mais sur le pur tableau des livres de l'ESPRIT. " VIII 50 Ton règne est arrivé, PUR ESPRIT, roi du monde! Quand ton aile d'azur dans la nuit nous surprit, Déesse de nos moeurs, la guerre vagabonde Régnait sur nos aïeux. Aujourd'hui, c'est 1'ECRIT, L'ECRIT UNIVERSEL, parfois impérissable, 55 Que tu graves au marbre ou traÃnes sur le sable, Colombe au bec d'airain! VISIBLE SAINT-ESPRIT! IX Seul et dernier anneau de deux chaÃnes brisées, Je reste. Et je soutiens encor dans les hauteurs, Parmi les maÃtres purs de nos savants musées, 60 L'IDEAL du poète et des graves penseurs. J'éprouve sa durée en vingt ans de silence, Et toujours, d'âge en âge encor, je vois la France Contempler mes tableaux et leur jeter des fleurs. X Jeune postérité d'un vivant qui vous aime! 65 Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés; Je peux en ce miroir me connaÃtre moi-même, Juge toujours nouveau de nos travaux passés! Flots d'amis renaissants! Puissent mes Destinées Vous amener à moi, de dix en dix années, 70 Attentifs à mon oeuvre, et pour moi c'est assez! 10 mars 1863. NOTE POUR LE POEME DE WANDA. LA RUSSIE ET LES RUSSES PAR N. TOURGUENIEF. Tome Ier, p. 104. ...Ce sont les femmes surtout qui, dans cette circonstance comme toujours, ont agi le plus éloquemment. Une d'entre elles, belle et accomplie, appartenant à une famille illustre, et nouvellement mariée à un des condamnés, N. M. je crois Nicolas Mouravief, n'hésita pas un moment à le suivre en Sibérie, où son propre frère fut aussi envoyé. Là , elle donna le jour à un enfant. La rigueur du climat, dans l'endroit où elle se trouvait, était très défavorable à cette pauvre créature et à la mère elle-même. Pendant longtemps on sollicita pour cette famille la faveur d'être envoyée ailleurs, même dans cette affreuse Sibérie; ce fut toujours en vain. - La mort vint mettre un terme aux souffrances de cette femme héroïque. Une autre, la jeune et riche épouse du prince Tr... je pense Troubetzkoï, au moment où l'arrêt qui condamnait son mari lui fut connu, déclara qu'elle le suivrait et accomplit sa résolution, malgré l'opposition de ses parents, qui n'étaient que des courtisans. Un jeune Français, qui se trouvait attaché comme secrétaire particulier au comte L. peut-être Laval, père de Mme T..., pensant aux difficultés qu'aurait pour elle un pareil voyage, l'accompagna également. Il revint bientôt en France et put donner quelques renseignements sur la position des exilés. Lorsqu'elle fut arrivée à destination, on dit à la princesse Tr... que, son mari devant rester prisonnier, elle pourrait se loger dans une maison particulière et qu'elle aurait la permission de le voir une ou deux fois par semaine. Elle persista à vouloir entrer elle-même en prison pour être toujours auprès de lui. On lui représenta vainement que, dans ce cas, elle ne pourrait conserver auprès d'elle personne pour la servir. - Elle accepta toutes ces conditions et continua longtemps à remplir elle-même les pénibles devoirs d'un ménage de prison. Tome III, p. 16. ... Que la Russie, poussée nécessairement vers la civilisation européenne, n'y a choisi avec ardeur que les formes et les usages superficiels. Même tome, p. 38. L'esclavage et la Pologne, obstacles à la civilisation en Russie. TABLE LIVRE MYSTIQUE …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….Pages. MOÃSE, poème. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..5 ÉLOA, SOEUR DES ANGES, mystère. ………………………………………………………………………………………………………………… 11 Chant premier. NAISSANCE ….………………………………………………………………………………………………… 11 Chant deuxième. SÉDUCTION …………………………………………………………………………………………………….24 Chant troisième. CHUTE …………………………………………………………………………………………………………… 33 LE DÉLUGE, mystère. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………….45 LIVRE ANTIQUE ANTIQUITÉ BIBLIQUE LA FILLE DE JEPHTÉ, poème ………………………………………………………………………………………………………………………………….65 LA FEMME ADULTÈRE ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………….69 LE BAIN, fragment d'un poème de SUZANNE. ………………………………………………………………………………………….77 ANTIQUITÉ HOMÉRIQUE …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….Pages. LE SOMNAMBULE, poème. …………………………………………………………………………………………………………………………………………….79 LA DRYADE, idylle. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………….82 SYMÉTHA, élégie. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….88 LE BAIN D'UNE DAME ROMAINE .…………………………………………………………………………………………………………………………….91 LIVRE MODERNE DOLORIDA, poème. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….95 LE MALHEUR. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 102 LA PRISON, poème. XVIIe siècle. ……………………………………………………………………………………………………………….106 MADAME DE SOUBISE, poème, XVIe siècle. …………………………………………………………………………………………….119 LA NEIGE, poème ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….129 LE COR, poème ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 134 LE BAL, poème ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….138 LE TRAPPISTE, poème ……………………………………………………………………………………………………………………………………………….142 LA FRÉGATE La Sérieuse, ou LA PLAINTE DU CAPITAINE, poème …………………………………….152 LA TRAVERSÉE .……………………………………………………………………………………………………………………………………………………….154 LE REPOS .………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….162 LE COMBAT .……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….163 LES AMANTS DE MONTMORENCY, élévation. ……………………………………………………………………………………………….169 PARIS, élévation. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 175 LES DESTINÉES POÈMES PHILOSOPHIQUES OEuvres posthumes LES DESTINÉES. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….189 LA MAISON DU BERGER. …………………………………………………………………………………………………………………………………………….196 …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….Pages. LES ORACLES. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….211 LA SAUVAGE. …….…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….221 LA COLÈRE DE SAMSON. …………………………………………………………………………………………………………………………………………….231 LA MORT DU LOUP. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………….237 LA FLUTE. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….242 LE MONT DES OLIVIERS. ………………………………………………………………………………………………………………………………………….249 LA BOUTEILLE A LA MER. ……………………………………………………………………………………………………………………………………….256 WANDA. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….270 UN BILLET DE WANDA. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… 283 SECOND BILLET DE WANDA. …………………………………………………………………………………………………………………………………….284 L'ESPRIT PUR. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….285 NOTE POUR LE POÈME DE WANDA. ……………………………………………………………………………………………………………………… 291 Achevé d'imprimer Le quinze août mil huit cent quatre-vingt-trois PAR CHARLES UNSINGER POUR ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR A PARIS- FIN DU FICHIER vignypoesie1 -
Ils’inscrit dans le thème du dossier « En marche hors les murs, foi en partage ». Nombre d’entre nous et de nos amis ont bien raison de revendiquer un fonctionnement de l’institution ecclésiale exempt de toute discrimination entre ses membres : pleine égalité femmes-hommes-trans, homos-hétéros, décléricalisation du pouvoir, délégation démocratisée pour
En 2018, 187 000 mineurs et jeunes majeurs étaient pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance. Leur placement est motivé par la nécessité de les protéger de la violence familiale ou de pallier la défaillance ou l’absence des parents. Dans le cadre d’une recherche sur l’accès à l’autonomie de ces jeunes, nous avons mené des entretiens auprès d’une centaine d’entre eux dans la période qui suit leur sortie de placement. Lors de ces échanges, environ un jeune sur trois a évoqué de façon spontanée des faits s’apparentant à de la violence lors du placement. À partir d’un document de travail publié par l’INED, nous proposons de dresser un état des lieux de cette violence en tentant d’analyser les rapports sociaux conduisant à ces situations. Les témoignages laissent apparaître deux grandes familles de violences les violences survenant dans les interactions personnelles que les jeunes ont au quotidien, et celles qui sont liées aux politiques publiques et au fonctionnement de l’institution. En famille d’accueil et en foyer Certaines violences se logent dans les interactions des jeunes enquêtés avec les acteurs institutionnels ou leurs pairs, c’est-à-dire les autres jeunes placés. Elles sont les plus faciles à repérer car elles mettent en jeu un acteur clairement identifiable un membre de la famille d’accueil, un autre jeune, un éducateur, etc. Elles s’expriment le plus fortement dans le huis clos des familles d’accueil, configurations qui rendent difficiles l’expression de la souffrance et la dénonciation de la situation. La violence est plus souvent psychologique dévalorisation, dénigrement, manque d’affection… que physique et peut s’exercer durant de longues années. Parfois, les familles d’accueil font sentir aux jeunes qu’elles ne les prennent en charge que pour des raisons financières. Ceux qui sont issus de l’immigration doivent quant à eux affronter des discriminations et des propos racistes. Les mauvais traitements peuvent aussi s’apparenter à des pratiques d’exploitation, comme en témoigne Rosie On se lève à 7 heures du matin. On commence à faire le ménage, on fait, on était comme des servantes quoi. […] Elle était là à donner des ordres “Faites cela, faites ceci, faites ça !” Le matin on déjeunait pas, à midi, on attendait le reste de ses enfants pour manger. Quand il pleuvait, elle nous mettait dehors. […] Sur le canapé, on n’a pas le droit de s’asseoir dessus, on passait toute la journée debout. » Quel que soit le type de violence subie, la principale difficulté aux yeux des jeunes réside dans l’impossibilité d’exprimer les problèmes. Émilie a eu une très mauvaise expérience dans une famille d’accueil. Selon elle, tout se passait mal dans la deuxième famille d’accueil » sans qu’elle n’ait jamais l’occasion d’exprimer les problèmes Je n’ai eu qu’une visite en l’espace de 5 ans, c’est pas normal […] C’est comme si j’avais été abandonnée […] Je n’avais pas de lieux pour parler de ce qui n’allait pas. » Le foyer, lieu d’accueil privilégié de l’adolescence, est quant à lui davantage la scène d’une agressivité au quotidien entre jeunes pris en charge. Le combat de Perrine Goulet pour les enfants placés Brut, 2019. Cette cohabitation avec la violence ordinaire peut être mal vécue mais, pour la plupart des enquêtés, tant qu’ils ne se sentent pas directement visés, que l’équipe éducative réussit à contenir les débordements et qu’ils sont parvenus à faire leur place en ayant construit des relations suffisamment fortes avec un groupe de pairs, la vie en collectivité leur laisse plutôt de bons souvenirs. Les scènes de violences sont relativisées au regard de leur parcours antérieur, déjà fortement empreint de violence, ou mises en balance avec les moments positifs. Relevons que parmi toutes ces souffrances, la parole autour des violences sexuelles commise lors d’un placement reste encore très difficile à aborder et peine à être entendue. Que les auteurs soient des professionnels, conjoints de professionnels ou jeunes pairs, les victimes se heurtent systématiquement à un défaut de reconnaissance qui conduit à un manque de soutien dans les démarches pour porter plainte. Du placement à la majorité Un autre type de violences résulte d’agents dits de seconde ligne » juges des enfants, inspecteurs de l’enfance et référents ASE et donc moins identifiables par les jeunes. Ces acteurs exercent dans le cadre contraignant des politiques publiques dont les orientations ont des conséquences directes sur l’existence des jeunes. Plusieurs moments apparaissent particulièrement propices à la naissance d’une souffrance. Tout d’abord, l’entrée en placement lorsque l’enfant n’a pas été associé aux décisions qui le concernent. Certains jeunes témoignent du choc du premier placement et des répercussions sur la suite de leur prise en charge, comme Jessica Sur le coup c’est très difficile, hein. À 6 ans quand on vient vous chercher, que c’est pas prévu, on vous emmène dans un endroit que vous connaissez pas, avec des gens que vous connaissez pas… […] Le seul souvenir que j’ai, c’est de dire à ma mère maman on m’amène en prison ». » La sortie de l’Aide sociale à l’enfance constitue également un moment particulièrement sensible. Dans un contexte de restriction budgétaire, les travailleurs sociaux sont incités à pousser les jeunes à quitter rapidement l’ASE. À 18 ans, un enfant placé se retrouve livré à lui-même » La Croix, 2018. Cette situation est à l’origine d’une grande anxiété chez les jeunes qui savent qu’ils devront quitter la structure qui les héberge à leur majorité ou à 21 ans dans le meilleur des cas et qui redoutent de se retrouver à la rue. Ils vivent alors la perspective de la sortie de l’ASE comme une expulsion programmée ». En particulier, le passage à la majorité marque une rupture dans la prise en charge puisque celle-ci cesse d’être un droit dans le cadre d’un éventuel contrat jeune majeur – ceux qui sont engagés dans une démarche d’insertion études, formation professionnelle, recherche d’emploi… peuvent demander la prolongation de l’aide en adhérant à un projet » visant à les rendre autonomes au plus vite. Nadjela, qui était en foyer de jeunes travailleurs avant sa sortie, témoigne de la violence du tournant qu’implique le passage à la majorité Quand tu deviens majeur, couteau dans le dos. C’est tout. Quand t’es mineur, c’est joli, et quand tu deviens majeur tout est moche. Mineur c’est beau et majeur c’est la catastrophe. Il y a plus d’obligation. Ils te le disent hein ! “Dix-huit ans, t’as plus d’obligation, on n’est pas obligé de te garder, on peut te mettre à la rue. T’es considéré comme majeur en France”. Ah, ils te le disent “T’es considéré comme majeur, t’es dehors. » Cette pression à la sortie peut aboutir à des mises à la porte aux conséquences désastreuses pour les jeunes qui ne disposent pas d’un entourage pour les accueillir. Manque d’espaces d’expression La violence institutionnelle forme donc un continuum allant de violences graves à d’autres moins visibles, en apparence mineures, mais qui n’en sont pas moins à l’origine de ruptures et de douleurs. Cette violence subie entre les murs de l’institution se cumule aux autres formes de violences vécues fréquemment par les jeunes placés violences familiales, violences entre jeunes dans les quartiers et violences sociales » précarité économique, discriminations, épisodes à la rue…. Parfois, les violences sont le fait des acteurs institutionnels dits de première ligne » familles d’accueil, éducateurs, parfois elles relèvent de tensions entre pairs et parfois encore elles sont la conséquence d’une organisation liée aux décisions d’acteurs de seconde ligne » décideurs politiques, juges, acteurs administratifs…. Enfants placés les sacrifiés de la République 2019 – CAPA, 30 ans d’histoires. Ces trois niveaux sont enchevêtrés et les violences entre individus sont indirectement le produit de défauts organisationnels le manque de suivi ou de contrôle des lieux de placement est par exemple en cause. Ainsi, une partie de la violence tient à des politiques publiques trop peu ambitieuses et restrictives sur le plan budgétaire. Tout en construisant une politique de prévention des violences institutionnelles plus efficace, il est essentiel de donner aux jeunes placés des possibilités d’expression. La violence la plus difficile à endurer est celle qui se heurte à des portes fermées, sans partage ni reconnaissance par un tiers, ou sans aucune réponse adéquate à celle-ci.
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avec eux les murs ont la parole